9 h 30 | Début de l’audience. Continuation de l'audience du 7 mai 2025. Les parties ont été dispensées d’être présentes à la Cour. |
| PAR LA COUR : Arrêt – voir page 3. |
| Fin de l’audience. |
| |
|
Vitélina Saint-Phard, Greffière-audiencière |
- L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 8 janvier 2024 par la Cour supérieure, district de Gatineau (l’honorable Serge Laurin), lequel accueille la demande de l’intimée Municipalité de Saint-Sixte (« Municipalité ») et ordonne à l’appelante Agrégats de Saint‑Sixte (« Agrégats ») de payer les sommes dues pour le transport de matières hors site en vertu de la Loi sur les compétences municipales (« LCM »)[1].
- Le contexte est le suivant.
- La Municipalité réclame à Agrégats des redevances réglementaires en vertu du Règlement 151-08 concernant la constitution d’un fonds local réservé à la réfection et à l’entretien de certaines voies publiques (« Règlement 151-08 »), lequel a été adopté conformément aux articles 78.1 et suivants de la LCM. La réclamation est de 68 517,51 $ en date du 31 octobre 2023.
- Agrégats soumet essentiellement deux moyens d’appel.
- Elle avance premièrement que les municipalités ont un pouvoir discrétionnaire leur permettant d’accorder une exemption plus large que celles prévues à l’article 78.6 de la LCM.
- Elle plaide ensuite qu’une interprétation adéquate de l’article 6 du Règlement 151‑08 prévoit une telle exemption plus large que celle prévue à l’article 78.1, compte tenu de l’expression « de son site ». Selon elle, la Municipalité a modifié cette exemption par l’utilisation de l’expression « de son site » à l’article 6 du Règlement 151-08, qu’il faut le lire comme signifiant uniquement « les voies de la Municipalité où se situe le site » d’Agrégats, et non « à partir du site d’Agrégats ». Par conséquent, Agrégats ne devrait aucune redevance pour le transit sur des voies publiques d’autres municipalités que celles de la Municipalité.
Premier moyen d’appel
- S’agissant du premier moyen d’appel, le juge de première instance n’a pas commis d’erreur en concluant que la LCM ne laisse aucune discrétion aux municipalités d'exclure certaines voies publiques pour exempter des exploitants. Il s’agit d’un pouvoir lié puisqu’à défaut pour la MRC de s’en acquitter, la municipalité locale « doit » mettre en place le régime sur son territoire[2].
- Les articles 78.1 et 78.2 de la LCM précisent que toute municipalité locale dont le territoire comprend le site d'une carrière ou d'une sablière a l’obligation générale de constituer un fonds réservé à la réfection et à l'entretien de certaines voies publiques. Ce fonds est alimenté par les droits payables par chaque exploitant d'un tel site, calculés sur l’ensemble des matières assujetties, si elles sont en tout ou en partie transportées hors de son site et sont susceptibles de transiter par les voies publiques municipales[3]. Cette obligation est imposée à toute municipalité locale, sauf lorsque la MRC a constitué un tel fonds conformément à l’article 110.1 LCM. Les sommes cumulées dans ce fonds, « soustraction faite de celles consacrées aux coûts d’administration du régime » ne peuvent servir qu’« à la réfection ou l’entretien de tout ou partie des voies où transitent ou sont susceptibles de transiter les substances pour lesquelles un droit est payable » ou « à des travaux visant à pallier les inconvénients liés au transport de ces substances »[4].
- Dans ce régime d’auto-déclaration, tout exploitant doit faire des déclarations à la municipalité « à la fréquence et selon les modalités qu’elle détermine par règlement », indiquant « si des substances provenant du site […] sont susceptibles de transiter par les voies publiques municipales pendant la période couverte par la déclaration » et « le cas échéant, la quantité des substances »[5].
- Comme la Cour le rappelait récemment, « [l]a règle est si bien connue qu’on peut parler d’adage : les municipalités sont des créatures des assemblées législatives provinciales et elles ne peuvent par conséquent exercer que les pouvoirs qui leur sont attribués par la loi »[6]. L’habilitation prévue à l’article 78.6 LCM permet à l’intimée d’établir, par règlement, des mécanismes de vérification des déclarations prévues par ce régime législatif. Toutefois, les cas d’exemption au régime de redevances sont limitativement prévus par la loi, aux articles 78.2 et 78.5 LCM. Ces exemptions ne prévoient aucun pouvoir habilitant une municipalité à s’en écarter, et en l’espèce, aucune des exemptions prévues dans ces dispositions de la LCM n’est ici susceptible de s’appliquer.
- En effet, le juge ne commet aucune erreur en concluant que la circulation sur les voies publiques municipales d’une autre municipalité que celle où est sise la carrière assujettit le transport de matières au paiement de redevances. Agrégats prétend être dans une situation exceptionnelle, puisque le Règlement 151-08 aurait modifié les exemptions dictées par la LCM, telles qu’interprétées par les tribunaux, ce qui n’est pas exact.
- Ce premier moyen d’appel est donc rejeté.
Le second moyen d’appel
- Dans son second moyen d’appel, Agrégats soutient que le juge de première instance a commis une erreur en interprétant l'article 6, al. 2, du Règlement 151-08, lorsqu’il conclut que l'emploi des mots « de son site » signifie « à partir de son site » et que, ce faisant, cette disposition ne limite pas le transit aux voies publiques municipales à celles sur le territoire de la Municipalité. L’effet de cette interprétation est dicté par la jurisprudence qui a interprété « les voies publiques municipales à partir de son site » comme couvrant l’ensemble des voies publiques municipales au Québec[7].
- L’appelante admet que tel est l’état du droit, mais soutient que la Municipalité a modifié cette exemption par l’utilisation de l’expression « de son site » à l’article 6 du Règlement 151-08 et qu’il faut le lire comme signifiant « les voies de la Municipalité où se situe son site » uniquement.
- L’interprétation proposée par Agrégats ne résiste pas à l’analyse.
- La rédaction hasardeuse de cette disposition du Règlement 151-08 ne modifie pas l’état du droit. Il va de soi, comme le conclut le juge, que ces mots signifient « à partir du site de l’appelante ». L’interprétation retenue par le juge est conforme à l’interprétation moderne des lois et en assure la cohérence avec l’objectif de ce régime spécifique de la LCM. Nous réitérons qu’en présence d’une ambiguïté, il convienne de retenir l’interprétation qui assure la légalité du règlement et la cohérence avec les objectifs.
- Ce second moyen d’appel doit donc également être rejeté.
- L’article 78.2 LCM a été expressément modifié en 2009 pour clarifier qu’un site sera assujetti au paiement du droit pour toutes les substances qui sont visées au second alinéa et qui sortent du site[8]. À défaut pour les carrières et sablières d’apporter des contributions foncières, faute de bâtiments susceptibles d’inscription au rôle et à défaut de taxes foncières sur la ressource, cette redevance permet une compensation pour les dépenses encourues par les municipalités pour la réfection des voies publiques[9].
- De plus, la jurisprudence « a jugé que l’assujettissement de l’exploitant à l’obligation de payer des droits ne résultait pas d’un test prospectif », mais plutôt de la « susceptibilité d’un transit sur les voies publiques municipales au cours de la période de référence »[10]. Il ne suffisait donc pas à Agrégats de dire qu’aucune substance n’avait effectivement transité par les voies publiques municipales, le critère applicable étant plutôt de savoir s’il « est objectivement et raisonnablement possible que des substances transitent par une voie publique municipale au cours de la période de référence ». La démonstration d’un tel transit n’est dès lors pas requise[11].
- Ayant conclu que la preuve soumise par Agrégats ne mentionnait rien sur ses autres clients, le juge a eu raison de conclure qu’elle n’a pas réussi à démontrer que sa déclaration assermentée, dans laquelle elle affirmait qu’aucune substance transportée hors de son site n’était susceptible de transiter par les voies publiques municipales, était bien fondée. En effet, il ressort du témoignage de M. Connelly, propriétaire de l’appelante, que sa société liée Béton RB acquiert 95 % des matières et qu’il n’a pas de client à Saint-Sixte. Or, rien dans la preuve reproduite en appel n’indique clairement que le 5 % restant ne transite pas ou n’est pas susceptible de transiter par les voies publiques municipales de Saint-Sixte. Il est d’ailleurs à souligner que le juge de première instance avait le bénéfice d’éléments de preuve n’ayant pas été reproduits en appel, dont certaines cartes.
- Le régime prévoit que dès qu’une partie de la matière transite par des voies publiques municipales, les redevances sont payables sur l’ensemble des matières transportées hors site[12]. Même si cette Cour avait conclu différemment sur les deux moyens d’appel invoqués, il y aurait eu lieu de confirmer le jugement de première instance, vu l’absence de toute preuve concernant ce 5 % de matière ayant transité hors du site de l’appelante.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
- REJETTE l’appel, avec les frais de justice.
| STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A. |
[1] Municipalité de Saint-Sixte c. Les Agrégats de Saint-Sixte, 2024 QCCQ 9802.
[2] Loi sur les compétences municipales, RLRQ c. C-47.1, art. 78.1. Constructions Bricon ltée (proposition de), 2015 QCCA 249, paragr. 47.
[3] Loi sur les compétences municipales, art. 78.2, al. 1 et 2.
[5] Id., art. 78.5, al. 1.
[6] MRC de Vaudreuil-Soulanges c. Location Rivoca inc., 2021 QCCA 1535, paragr. 18.
[7] Percé (Ville de) c. Aristide Brousseau & Fils ltée, 2015 QCCQ 10106, paragr. 44, appel rejeté par Aristide Brousseau & Fils ltée c. Ville de Percé, 2017 QCCA 633.
[8] Marie-Andrée Simard, Loi sur les compétences municipales annotée, Cowansville, Yvon Blais, 2011, p. 118.
[9] Marie-Claude Prémont et Fanny Tremblay-Racicot, « Le pouvoir de redevance réglementaire des municipalités du Québec : un outil propice au développement urbain durable et à l’équité fiscale », (2019) 49 R.D.U.S. 315, p. 347.
[10] Municipalité de Saint-Urbain c. Entreprises Jacques Dufour & Fils inc., 2020 QCCQ 1914, paragr. 39.
[11] Jean Hétu, Yvon Duplessis et Lise Vézina, Droit municipal – Principes généraux et contentieux, 2e éd., vol. 1, Brossard, CCH, 2003 (feuilles mobiles, mise à jour no 58, novembre 2024), p. 1 127. S’appuyant sur Municipalité de Saint-Urbain c. Entreprises Jacques Dufour & Fils inc., 2020 QCCQ 1914. Voir aussi 7136579 Canada inc. c. Municipalité de Déléage, 2018 QCCQ 3956.
[12] Loi sur les compétences municipales, art. 78.2, al. 2.