Ville de Mirabel c. Ferme Gerard Renaud inc. |
2019 QCCM 10 |
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COUR MUNICIPALE COMMUNE VILLE DE MIRABEL |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
TERREBONNE |
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N° : |
000403849-000403850-000403851-000403852 000403859-000403860-000403861-000403862 |
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DATE : |
28 JANVIER 2019 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
MICHEL LALANDE J.C.M. |
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VILLE DE MIRABEL |
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Poursuivante-Intimée |
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c. |
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FERME GERARD RENAUD INC. ET 9322-0895 QUÉBEC INC. ET 9045-3499 QUÉBEC INC. |
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Défenderesses-Requérantes |
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DÉCISION SUR REQUÊTES POUR REJET DES POURSUITES (arts. 70 & |
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INTRODUCTION |
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[1] Le Tribunal est saisi de requêtes pour rejet des constats d’infractions délivrés aux défenderesses au motif que la personne mentionnée aux dits constats comme étant autorisée par la poursuivante à les délivrer n’était pas autorisée par celle-ci.
[2]
Les défenderesses demandent donc au Tribunal, en vertu de l’article
[3] L’enquête s’est tenue de façon commune pour l’ensemble des défenderesses requérantes, d’un commun accord entre les parties.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[4] Le litige porte évidemment sur la question de savoir si la personne qui a délivré les constats d’infractions au nom de la poursuivante était autorisée à le faire.
[5] Le litige porte également sur la question de savoir si la poursuivante peut, au moyen d’une résolution rétroactive, corriger le défaut d’autorisation initial de la personne qui a délivré en son nom un constat d’infraction.
CONTEXTE
[6] Les 12 et 20 juillet 2018, les constats d’infractions visés par les présentes requêtes sont émis et reprochent aux défenderesses, en leur qualité de propriétaire des immeubles en cause ou d’exécutant de travaux, d’avoir effectués ou permis que soient effectués, sans certificats d’autorisation, des travaux massifs d’abattage d’arbres dans un corridor forestier métropolitain, identifié au schéma d’aménagement de la poursuivante, sur différentes superficies, en contravention des dispositions des articles 3.1A du règlement sur les permis et certificats U-50 et 16.1 du règlement de zonage U-947.
[7] Tous ces constats d’infractions sont signés par monsieur Éric Charron qui y déclare être une personne autorisée par la poursuivante.
[8] Par moyens préliminaires, les défenderesses contestent l’autorité de monsieur Charron pour émettre ces constats d’infractions au nom de la poursuivante.
PREUVE DE LA POURSUIVANTE
[9] Compte tenu des allégués des requêtes des défenderesse, la poursuivante dépose, avec le consentement des défenderesses, les documents suivants afin d’établir que le signataire des constats d’infractions, monsieur Éric Charron, était dûment autorisé à le faire en son nom :
· Arts. 1.3, 1.4 et 1.5 du règlement U-950 sur les permis et certificats;
· Arts. 1.3, 1.4 et 1.5 du règlement U-947 sur le zonage;
· Résolution 997-11-2018, en date du 26 novembre 2018, autorisant rétroactivement monsieur Éric Charron à émettre les présents constats d’infractions.
· Résolution 760-12-91 concernant l’embauche de monsieur Éric Charron à la fonction d’inspecteur en environnement;
· Règlement no. 766, et ses amendements, concernant la nomination des personnes autorisées à délivrer un constat d’infraction.
[10] Ont également été produites, à la demande du Tribunal, des versions complètes des règlements U-947 et U-950 ainsi que différents autres règlements modificateurs de ces deux premiers.
LES ARGUMENTS
· La poursuivante
[11] À l’appui de sa prétention à l’effet que monsieur Éric Charron est une personne autorisée par la poursuivante à émettre des constats d’infractions en son nom, la poursuivante présente deux arguments.
[12] Le premier s’appui sur l’ensemble des règlements déposés qui démontrent une intention claire de la poursuivante d’autoriser monsieur Charron à émettre des constats d’infractions.
[13] D’une part, le règlement 766, ainsi que ses amendements, qui concerne spécifiquement la délivrance de constats d’infractions et énonce à son article 2 que les employés de la municipalité, dans l’exercice de leurs fonctions, sont autorisés à émettre des constats d’infractions en regard de l’application des règlements municipaux qui relèvent de leur compétence :
« 2.- Les employés de la municipalité, dans le cadre de leurs fonctions, sont autorisés à émettre des constats d’infraction pour l’application des règlements municipaux qui relèvent de leur compétence et pour toute autre loi ou règlement adopté par toute autorité compétente, provinciale ou autre, et qu’ils pourraient être appelés à appliquer. Lesdits employés sont donc autorisés, lorsqu’il y a lieu de croire qu’il pourrait y avoir contravention à tout règlement, à visiter tout lieu et d’entrer dans tout bâtiment, construction ou immeuble afin de s’assurer que toutes les dispositions des règlements s’appliquant sont observées.»
[14] D’autre part, l’article 1.4 e) du règlement de zonage U-947 prévoit spécifiquement l’intention du législateur municipal de confier, entre autres, à l’inspecteur en environnement la responsabilité de voir à l’application des dispositions du règlement relatives à la protection de l’environnement.
[15] La poursuivante soumet qu’avant l’entrée en vigueur du règlement U-2145, le 3 mai 2017, le chapitre 9 du règlement de zonage U-947, auquel réfère l’article 1.4 e), concernait, entre autres, toute la question de l’exploitation forestière (art. 9.6) et était donc sous la responsabilité de l’inspecteur en environnement.
[16] Le règlement U-2145 serait venu abroger cet article 9.6 afin de l’intégrer dans un nouveau chapitre 16 portant spécifiquement sur les normes de préservation et d’abattage des arbres en omettant toutefois de faire la concordance appropriée à l’article 1.4 e) afin de maintenir clairement la responsabilité de l’inspecteur en environnement à cet égard.
[17] Pour la poursuivante, il s’agit là d’un simple oubli technique qui ne devrait pas affecter l’intention manifeste du législateur municipal de confier à l’inspecteur en environnement la responsabilité de voir à l’application de ce nouveau chapitre 16, comme il le faisait auparavant, alors que les dispositions en cause se retrouvait plutôt au chapitre 9 du règlement de zonage U-947.
[18] En ce qui concerne le règlement U-950 sur les permis et certificats, les infractions reprochées le sont en vertu de l’article 3.1 A), introduit par le règlement U-2149, qui modifie «le règlement U-950 sur les permis et certificats numéro U-950 afin que l’obtention d’un permis d’abattage d’arbres soit requis…».
[19] Selon la poursuivante, comme l’abattage d’arbres est manifestement de la responsabilité de l’inspecteur en environnement, il en découle nécessairement que les infractions y relatives prévues au règlement sur les permis et certificats sont également sous sa responsabilité.
[20] Le second argument de la poursuivante concerne la résolution 997-11-2018, adoptée par le conseil municipal le 26 novembre 2018, soit postérieurement à la délivrance des présents constats d’infractions.
[21] Cette résolution confirme l’intention constante du conseil municipal d’autoriser monsieur Charron à émettre des constats d’infractions au nom de la poursuivante et, au cas où cela serait nécessaire, l’autorise rétroactivement à émettre les présents constats.
[22]
S’appuyant sur la jurisprudence concernant l’article
[23]
Comme on ne retrouve pas au Code de procédure pénale de
disposition similaire à celle de l’article
[24] Citant une décision de mon collègue le juge Pierre-Armand Tremblay[1], la poursuivante rappelle les propos du juge Lamer dans l’arrêt R. c. Moore[2] :
« (…) l’obligation pour les juges d’annuler les actes d’accusation s’est graduellement transformée en une obligation de les modifier; le juge ne conserve en effet qu’un pouvoir discrétionnaire restreint pour annuler…».
[25] Pour la poursuivante, si le Tribunal estime que le règlement 766, qui autorise les employés de la municipalité à émettre des constats d’infractions en regard de l’application des règlements municipaux qui relèvent de leur compétence, n’est pas assez explicite pour conclure que monsieur Charron est autorisé à émettre les présents constats d’infractions, et si la résolution rétroactive 997-11-2018 ne suffit pas à combler le défaut, le Tribunal doit appliquer le principe moderne d’interprétation élaboré par Elmer A. Driedger[3] dont l’application est confirmée par l’auteur Pierre-André Côté[4] :
«1451. Cette solution
mitoyenne semble justifiée : une interprétation qui n’insiste que sur le texte doit
être rejetée, ne serait-ce que pour le motif que les mots n’ont pas de sens en eux-mêmes.
Ce sens découle en partie du contexte de leur
utilisation, et l’objet de la loi fait partie
intégrante de ce contexte. Ajoutons que si l’interprétation strictement littérale présume beaucoup des
possibilités du langage humain, elle surestime aussi la clairvoyance et l’habilité des
rédacteurs de
textes législatifs. La séparation des pouvoirs ne devrait pas exclure
nécessairement la collaboration des pouvoirs.
Le rédacteur, qui ne peut prévoir toutes les circonstances où son texte devra s’appliquer,
doit pouvoir attendre des tribunaux autre chose que des critiques : il doit pouvoir
compter sur leur collaboration dans l’accomplissement du but de la loi. Pour
reprendre les paroles
de Lord Denning, le juge, en raison de la
nature particulière de sa fonction, ne peut pas changer le tissu dans lequel la loi est taillée,
mais il devrait pouvoir en repasser les faux plis. […] »
[26] D’ailleurs, souligne la poursuivante, les tribunaux supérieurs reconnaissent aujourd’hui que même en présence d’un texte en apparence clair et concluant, il importe d’examiner le contexte global dans lequel s’inscrit la disposition en cause afin de donner effet à l’intention du législateur et à l’objectif recherché.[5]
[27] Ainsi, pour la poursuivante, le Tribunal doit en premier lieu interpréter les termes du règlement 766 de façon large et libérale de manière à donner son plein effet à l’intention du législateur de permettre aux employés municipaux, à l’intérieur de leur champ de compétence, d’émettre des constats d’infraction en son nom.[6]
[28] Interprété de cette façon, le mot «compétence» du règlement 766 doit référer aux compétences personnelles de l’employé, celles pour lesquelles il a été engagé soit, dans le cas qui nous intéresse, l’environnement.
· Les défenderesses
[29] Pour les défenderesses, les dispositions du règlement sur les permis et certificats et du règlement de zonage sont claires : l’inspecteur en environnement n’est pas une personne autorisée à en assurer intégralement l’application et à émettre généralement des constats d’infractions. Son autorité est limitée au chapitre 9 du règlement de zonage.
[30] Elles plaident que les articles 1.4 a) et c) du règlement de zonage U-947 prévoient que l’application du règlement est confiée au directeur du service de l’aménagement et de l’urbanisme, son adjoint, à l’inspecteur en bâtiments et à toute autre personne désignée spécifiquement par résolution du conseil municipal.
[31] En l’instance, l’inspecteur en environnement ne serait manifestement pas inclus dans cette nomenclature et ne fait l’objet d’aucune autorisation par résolution au moment de l’émission des présents constats d’infractions, d’autant plus que l’article 1.5 b) du règlement de zonage ne l’autorise pas plus à signer des constats d’infractions.
[32] Selon les défenderesses, on ne saurait prétendre à un oubli technique dans la rédaction des articles 1.4 et 1.5 du règlement de zonage puisque le paragraphe e) de l’article 1.4 autorise spécifiquement l’inspecteur en environnement à voir à l’application du chapitre 9 de ce règlement.
[33] Quant au règlement 766, pour les défenderesses, le terme «compétence» doit nécessairement référer aux compétences conférées aux employés municipaux par les divers règlements, comme le règlement de zonage.
[34] Ainsi, la «compétence» de l’inspecteur en environnement d’émettre des constats d’infractions est spécifiquement limitée au chapitre 9 du règlement de zonage.
[35] Or, l’abattage d’arbres ne relève pas de la compétence de l’inspecteur en environnement puisque ce sujet se retrouve au chapitre 16 du règlement de zonage. Que cette question se soit trouvée antérieurement au chapitre 9 est sans conséquence puisque le législateur peut conférer des compétences comme il peut les retirer, ce qui pourrait très bien être ici le cas.
[36] En ce qui à trait à la résolution rétroactive du 26 novembre 2018, elle ne serait d’aucun secours à la poursuivante puisque le défaut d’autorisation entraine la nullité ab initio des constats d’infractions : On ne peut valider rétroactivement une procédure nulle ab initio![7]
[37] Ainsi, monsieur Charron n’étant pas, au moment où il les émet, une personne autorisée à émettre des constats d’infraction au nom de la poursuivante, ceux-ci sont nuls et le Tribunal, ne pouvant que le constater, doit les rejeter.
ANALYSE ET DÉCISION
· Les règles et principes applicables
A) Contenu d’un constat d’infraction
[38] Tout constat d’infraction doit comporter le nom du poursuivant[8] ainsi que le nom et la qualité de celui qui le délivre en son nom et avec son autorisation[9].
[39]
Une distinction s’impose entre le «poursuivant», c’est-à-dire l’une des
personnes mentionnées à l’article
B)
La demande de rejet (art.
[40]
L’article
[41] En cette matière, le fardeau du défendeur est très léger : Il lui suffit de manifester son intention de «contester l’existence de l’autorisation de la personne qui a délivré le constat au nom du poursuivant»[13].
[42] Dans un tel cas, il appartiendra à la poursuivante de prouver la qualité et l’autorité de la personne qui a délivré le constat d’infraction.
[43]
Lorsqu’à l’issue de l’enquête sur cette question, le Tribunal est
convaincu de l’inexistence de l’autorisation de la personne qui a délivré le
constat d’infraction, il en ordonne le rejet, nous dit l’article
[44]
Dans l’affaire précitée de Lavallée c. St-Joseph-du-Lac[15],
la Cour supérieure signale que l’inexistence de l’autorisation rend le
constat d’infraction nul ab initio et qu’aucune modification n’en est
possible suivant le second alinéa de l’article
[45] L’une des questions que soulève la présente affaire est celle de savoir, dans l’éventualité où la personne qui a délivré le constat ne détenait pas l’autorisation de le faire, s’il peut être remédié rétroactivement à ce défaut ?
[46] Les défenderesses prétendent que non, le constat étant nul ab initio, cette nullité affectant la compétence du tribunal de juger les infractions qui y sont alléguées[16].
[47] La poursuivante soumet que oui puisqu’il ne s’agit que d’une formalité administrative, le Code de procédure pénale optant pour une approche préférant le fond à la forme.
[48]
Dans cette perspective, pour la poursuivante, le Tribunal devrait
s’inspirer de la jurisprudence qui concerne l’article
[49] Le Tribunal est d’opinion que cette jurisprudence ne peut servir d’éclairage dans le présent dossier.
[50] Bien qu’il soit exact, comme le souligne le juge Cournoyer dans ses commentaires en regard de l’article 184 C.p.p.[18], que le Code de procédure pénale «préfère l’efficacité et l’équité à un formalisme suranné», trois raisons militent en faveur du maintien de ce formalisme dans le cas d’absence d’autorisation de délivrer un constat d’infraction.
[51]
En premier lieu, on ne retrouve au Code de procédure pénale aucune
disposition qui s’apparente, de près ou de loin, à celle de l’article
[52] La seule exception à ce rejet réside dans la possibilité de «modifier» le constat pour corriger un vice dans la mesure où il n’en résulte aucun préjudice. Or, le Tribunal ne voit pas quelle «modification» aux constats d’infractions ici en cause pourrait être apportée du fait de la résolution rétroactive.
[53] En second lieu, nous sommes ici en matière pénale et l’absence d’autorisation pour émettre un constat d’infraction, donc d’instituer une poursuite pénale, touche directement à la compétence du Tribunal de juger les infractions alléguées[19].
[54]
Et finalement, si le législateur voulait permettre de palier
rétroactivement, en tout état de cause, au défaut d’autorisation d’émettre un
constat d’infraction, il lui suffisait d’incorporer au Code de procédure
pénale une disposition similaire à l’article
[55] Ainsi, si le Tribunal devait conclure à l’absence d’autorisation de monsieur Charron pour émettre les présents constats d’infractions, il n’aurait d’autre choix que d’en ordonner le rejet, aucune modification n’étant possible.
C) Les règles d’interprétation
[56] Le Tribunal croit important de rappeler que les règlements municipaux ne doivent pas être interprétés de façon stricte et littérale mais plutôt de façon à permettre la réalisation des objectifs du législateur.
[57] À cet égard, dans l’affaire Bois-des-Filion (ville) c. Guay[20], la Cour d’appel mentionne :
«37. Les lois et les règlements ne doivent pas être interprétés de façon stricte et littérale. La lettre de la loi ou du règlement ne doit pas permettre d’écarter l’interprétation la plus appropriée pour assurer l’accomplissement des objectifs du législateur.»
(Mes soulignés)
[58] La règle à suivre doit être celle de la recherche de l’intention du législateur, comme le souligne le juge Forget, de la Cour d’appel, dans l’arrêt Ville de Mascouche c. Russel Thiffault et al.[21] :
« À titre d’analogie, on peut souligner qu’en matière fiscale, on avait répété depuis toujours que les lois et règlements devaient être interprétés de façon restrictive. La Cour suprême est venue mettre fin à cette prétention en statuant qu’en cette matière, comme en toutes autres, on devait rechercher l’intention du législateur. Je ne vois vraiment pas pourquoi on ne devrait pas suivre le même cheminement en matière d’interprétation d’un règlement municipal de zonage.»[22]
[59] Quant aux auteurs, Pierre-André Côté[23] mentionne :
«Pour favoriser l’accomplissement de ce qui parait être le but d’un texte législatif, le juge peut devoir donner à l’une de ses dispositions un sens plus large que celui qu’elle aurait eu ne tenant compte que du sens littéral des mots.»
[60] Il faut également noter l’existence d’un courant jurisprudentiel qui permet au juge de tenir compte de l’interprétation que fait la municipalité de son propre règlement.
[61] Dans l’affaire Cayouette c. Boulianne[24] la Cour d’appel précise :
«[12] Les règles applicables à l’interprétation des règlements sont les mêmes que celles qui s’appliquent aux lois : ils doivent recevoir une interprétation large et libérale de manière à faire primer leurs objectifs[8].
[13] Plusieurs auteurs abordent la question précise de l’interprétation des règlements de zonage. Dans son ouvrage Le zonage en droit québécois[9], Marc-André LeChasseur préconise l’interprétation des règlements de zonage en fonction de leur objet :
En adoptant une attitude stricte et formaliste qui ne tient pas suffisamment compte de l’objectif visé par le législateur municipal, les tribunaux interfèrent avec l’exercice du pouvoir législatif municipal, ce qui peut avoir pour conséquence de dénaturer l’acte réglementaire. Aussi, il nous apparaît nécessaire dans le cadre de l’évolution que nous connaissons actuellement de favoriser l’application de la purposive approach aux normes de zonage. Une telle interprétation doit se faire, d’une part, pour que les objectifs visés par le règlement se réalisent mais aussi, d’autre part, pour que les usages qui ne sont pas spécifiquement prévus mais sont de même nature puisse être autorisés, et ce, une fois leur impact et leur niveau d’intégration évalués et confirmés[10].
[14] L’auteur conclut : « En bref, l’interprétation faite par les municipalités de leurs normes de zonage servira plus que jamais de guide aux tribunaux dont le réflexe premier sera de respecter l’exercice par l’administration d’un pouvoir discrétionnaire législatif issu de la souveraineté parlementaire. (…)[11] ».
[15] Il faut noter que, en matière d’interprétation de règlements municipaux, il y a un courant jurisprudentiel qui tient fortement compte de l’interprétation que fait la municipalité de son propre règlement[12]. Bien sûr, l’interprétation de sa propre loi par une administration n’est pas contraignante pour les tribunaux, mais il est admis que le juge en tienne compte[13], tout en gardant à l’esprit que la pratique administrative ne peut pas contredire un texte clair[14]…»
(Références omises)
[62] Dans un ouvrage subséquent[25] à celui ici cité par la Cour d’appel, l’auteur Marc-André LeChasseur mentionne :
« Les pouvoirs des municipalités doivent être interprétés libéralement pour atteindre leurs objectifs. Implicitement, cela revient à dire que l’interprétation faite par la municipalité de ses normes de zonage constitue un élément de référence intéressant mais non décisif pour guider un tribunal dans l’application, par exemple, d’un usage ou d’un permis émis par la municipalité dont la validité est contestée…»[26]
(Références omises)
Et il ajoute :
« … À notre avis, l’intérêt collectif doit présider à toute décision judiciaire, ce qui revient à dire que l’interprétation proposée par la municipalité, laquelle est réputée représenter cet intérêt, devra être retenu à moins d’être manifestement déraisonnable, arbitraire, excessive ou impliquant une disproportion totale entre les objectifs et les effets en matière de Charte.»[27]
(Références omises)
[63] Cette «purposive approach» a pour but de favoriser la prise en compte de l’objectif derrière la disposition pour en déterminer la portée[28].
[64] Bien que les propos de l’auteur Marc-André LeChasseur, ainsi que la jurisprudence qu’il cite, concernent spécifiquement les normes de zonage, le Tribunal ne voit pas pourquoi ils ne devraient pas s’appliquer à l’interprétation de toute autre disposition d’un règlement municipal puisqu’en réalité ce qui doit être déterminant c’est l’objectif poursuivi par le législateur qui se dessine derrière la disposition ou le règlement en cause.
[65] Il convient maintenant d’examiner les dispositions règlementaires en cause et de leur appliquer les règles et principes dont il vient d’être question.
· Les dispositions règlementaires en cause
[66] Le règlement 766 est un règlement général qui désigne les personnes autorisées à délivrer des constats d’infractions au nom de la ville de Mirabel.
[67] L’article 2 de ce règlement concerne les employés de la municipalité et prévoit :
« 2. Les employés de la municipalité, dans l’exercice de leurs fonctions, sont autorisés à émettre des constats d’infraction pour l’application des règlements municipaux qui relèvent de leur compétence…»
[68] Le règlement sur les permis et certificats U-950 prévoit à l’article 1.4 que son application est confiée au «Directeur», terme qui désigne, suivant l’article 1.3.1, le directeur général, le directeur général adjoint ainsi que le directeur du service de l’aménagement et de l’urbanisme.
[69] Ces personnes peuvent être représentées, suivant l’article 1.4.c) par un adjoint, l’inspecteur des bâtiments-urbaniste, l’inspecteur des bâtiments, l’assistant-inspecteur des bâtiments ou par toute autre personne désignée par résolution du conseil municipal.
[70] Le paragraphe d) de cet article 1.4 précise que toutes ces personnes sont spécialement autorisées à signer tout affidavit, dénonciation ou sommation ou tout autre document requis pour donner effet à la poursuite.
[71] Le règlement de zonage U-947 reprend essentiellement les mêmes dispositions à ses articles 1.4 a), c) et 1.5.b).
[72] De plus, le règlement de zonage U-947 prévoit à son article 1.4 (e) que l’application de son chapitre 9, qui concerne les dispositions relatives à la protection de l’environnement, est confiée au directeur du service de l’aménagement et l’urbanisme ainsi qu’au directeur du service de l’environnement et à l’inspecteur en environnement.
[73] Finalement, l’article 1.6 g) du règlement de zonage U-947 prévoit que toute disposition spécifique de ce règlement prévaut sur une disposition générale contradictoire.
· Application du droit aux faits
[74] Les requêtes des défenderesses soulèvent deux questions : 1) L’inspecteur en environnement Eric Charron est-il une personne autorisée généralement à émettre, au nom de la ville de Mirabel, des constats d’infractions aux règlements sur les permis et certificats U-950 et sur le zonage U-947 ? et, 2) Est-il une personne autorisée généralement ou spécifiquement à en émettre pour des infractions au chapitre 16 du règlement de zonage U-947 ?
[75] La preuve démontrant qu’il n’y a aucune résolution particulière du conseil municipal qui autorisait l’inspecteur en environnement, ou encore monsieur Charron personnellement à émettre des constats d’infractions, au moment où ceux ici en cause l’ont été, c’est donc dans les règlements de la ville que doit se trouver la réponse à ces deux questions.
[76] Les règlements sur les permis et certificats U-950 et sur le zonage U-947 ne traitent pas spécifiquement de la question de l’émission des constats d’infractions. On traite de leur «application» mais non de la répression des infractions au moyen de l’émission de constats.
[77] Dans leur argumentation respective, les parties semblent considérer que l’application de ces règlements comporte l’émission de constats en cas de contravention.
[78] Pour les défenderesses, comme l’inspecteur en environnement n’est pas une personne à qui est confiée l’application du règlement, il en découle qu’il ne dispose d’aucune autorisation générale pour émettre des constats d’infractions, sauf en ce qui concerne le chapitre 9 du règlement de zonage puisque l’autorité de l’appliquer lui est spécifiquement conférée par l’article 1 e) de ce règlement.
[79] Pour la poursuivante l’omission de mentionner l’inspecteur en environnement comme personne autorisée à voir généralement à l’application du règlement de zonage U-947 et du règlement sur les permis et certificats U-950 relève d’un simple oubli, le conseil municipal ayant toujours considéré l’inspecteur en environnement comme une personne autorisée à émettre des constats pour des infractions à ces deux règlements.
[80] En ce qui concerne le règlement de zonage U-947, le Tribunal ne peut retenir cet argument du fait qu’à l’article 1.4 (e) le législateur prévoit spécifiquement que l’inspecteur en environnement est l’une des personnes de qui relève l’application du chapitre 9 concernant les dispositions relatives à l’environnement.
[81] Pour le Tribunal, le fait que le législateur autorise spécifiquement l’inspecteur en environnement à voir à l’application du chapitre 9 du règlement de zonage démontre qu’il est conscient que ce même inspecteur est exclu de l’application générale du règlement par les articles 1.4 a) et c).
[82] Quant au règlement sur les permis et certificats, numéro U-950, il ne contient pas de disposition spécifique en regard de l’inspecteur en environnement, ce qui laisse croire qu’il n’est pas de sa responsabilité de voir à son application.
[83] Pour le Tribunal, tout ceci mène à un non-sens : Si voir à l’application d’un règlement comporte la faculté d’émettre des constats d’infractions on se retrouve nécessairement avec des aberrations et on doit, en plus, se demander à quoi sert le règlement 766.
[84] Par exemple, l’inspecteur en environnement qui constate qu’une personne contrevient à une disposition du chapitre 9 du règlement de zonage, ce qui relève de sa responsabilité en vertu de l’article 1.4 e), en exécutant des travaux sans permis ou sans certificat d’autorisation, ne pourrait émettre un constat puisqu’une telle infraction relève du règlement sur les permis et certificats dont il n’a pas l’autorité de voir à l’application.
[85] Le Tribunal est plutôt d’avis que l’on doit faire une distinction entre «voir à l’application» d’un règlement et l’émission des constats en cas de contravention.
[86] Voir à la l’application du règlement signifie voir à sa mise en œuvre, à sa mise en pratique[29] : C’est tout le travail administratif qui permet de s’assurer que les exigences de la règlementation sont respectées.
[87] Par ailleurs, lorsque dans l’application du règlement, une contravention est constatée, on passe à l’étape de la mise en force, de la poursuite pénale et il est tout à fait possible que la responsabilité d’émettre les constats d’infractions relève d’une personne différente de celle qui voit à l’application du règlement.
[88] Pour le Tribunal, il s’agit là de la seule façon de concilier les dispositions des règlements de la ville de Mirabel de manière à leur donner pleinement effets : Les règlements sur les permis et certificats ainsi que sur le zonage prévoient les personnes qui ont la responsabilité de voir à leur application alors que le règlement 766 prévoit les personnes à qui l’autorité d’émettre des constats d’infraction est confiée.
[89] En effet, si l’on interprète le mot «application» des règlements en cause comme signifiant également l’autorité d’émettre des constats en cas d’infractions, le règlement 766 devient tout à fait inutile.
[90] Ainsi, l’inspecteur en environnement n’a pas la responsabilité de voir généralement à l’application des règlements sur les permis et certificats et de zonage mais le règlement 766 l’autorise, dans l’exécution de ses fonctions, à émettre des constats d’infraction pour «l’application des règlements qui relèvent de sa compétence».
[91] La question qui se pose maintenant est celle de savoir ce que l’on doit entendre par «règlements qui relèvent de sa compétence».
[92] Pour le Tribunal, la compétence de l’inspecteur en environnement est manifestement l’environnement, terme non défini au règlement de zonage mais que le législateur utilise dans ce sens lorsqu’il prévoit à l’article 1.4 e) du règlement de zonage U-947 lorsqu’il mentionne que le chapitre 9 contient les dispositions relatives à la protection de l’environnement.
[93] Suivant la définition qu’en donne le dictionnaire Larousse[30] l’environnement est «l’ensemble des éléments objectifs (qualité de l’air, bruit, etc.) et subjectifs (beauté du paysage, qualité du site, etc.) constituant le cadre de vie d’un individu».
[94] Pour le tribunal, la gestion de la forêt et, par conséquent la coupe forestière, relève directement de l’environnement et est donc de la compétence de l’inspecteur en environnement, en l’absence d’une définition plus restrictive ou d’une indication contraire aux règlements.
[95] Ainsi, pour le Tribunal, en toutes matières qui se rapportent à l’environnement, l’inspecteur en environnement est autorisé, par le règlement 766, à émettre des constats d’infraction lors de contraventions aux dispositions de l’ensemble de la règlementation municipale, incluant les règlements de zonage et sur les permis et certificats, même si ces règlements ne prévoient pas spécifiquement que leur application lui est confiée.
[96] Le Tribunal est d’avis que l’objectif poursuivi par le législateur au règlement 766, la répression des infractions à ses règlements, est mieux servi par une interprétation contextuelle, large et libérale, des termes «règlements municipaux qui relèvent de sa compétence» plutôt que par une interprétation restrictive qui voudrait que cette expression ne désigne que les règlements dont la mise en œuvre lui est spécifiquement confiée.
[97] Le Tribunal croit bon d’ajouter que si le législateur municipal voulait limiter le sens du mot «compétence» aux seules «compétences» spécifiquement confiées par règlements, il aurait utilisé le mont compétence au pluriel, le singulier ne pouvant référer qu’à la compétence générale de la personne en cause.
B) L’inspecteur en environnement Eric Charron est-il une personne autorisée, généralement ou spécifiquement, à émettre des constats pour des infractions au chapitre 16 du règlement de zonage U-947 ?
[98] Bien que la réponse à la question précédente suffise pour régler le sort des présentes requêtes, le Tribunal croit opportun de répondre tout de même à la seconde dans l’éventualité où l’on devrait plutôt considérer que la réponse à la première question aurait dû être négative.
[99] Nous avons vu que l’article 1.4 e) du règlement de zonage U-947 prévoit spécifiquement que l’application de son chapitre 9 «concernant les dispositions relatives à la protection de l’environnement» était confié, entre autres personnes, à l’inspecteur en environnement.
[100] Avant l’entrée en vigueur du règlement U-2145, ce chapitre 9 comportait les articles 9.6 et 9.7 concernant l’exploitation forestière et la préservation des arbres.
[101] Compte tenu du libellé de l’article 1.4 e), il apparait évident que l’application des dispositions sur l’exploitation forestière et la préservation des arbres était alors confiée à l’inspecteur en environnement.
[102] Le 13 mars 2017, le législateur municipal adopte le règlement U-2145 qui a pour but, entre autres, d’«intégrer des dispositions particulières applicables au niveau de l’abattage et la préservation des arbres».
[103] Ce règlement abroge les articles 9.6 et 9.7 du règlement U-947 et regroupe toutes les dispositions relatives aux normes de préservation et d’abattage des arbres qui s’y retouvaient dans un nouveau chapitre 16.
[104] Le Tribunal note d’entrée de jeu que les dispositions du nouveau chapitre 16 auraient tout aussi bien pu être intégrée au chapitre 9. C’est de toute évidence pour une question de clarté qu’un nouveau chapitre a été créé.
[105] Le problème réside dans le fait que le législateur n’a pas fait la concordance à l’article 1.4 e) en ce qui concerne l’autorité de l’inspecteur en environnement de voir à l’application du nouveau chapitre 16.
[106] De ce fait, l’inspecteur en environnement a-t-il perdu l’autorité d’émettre des constats d’infraction lorsqu’il constate une contravention aux dispositions de ce nouveau chapitre 16 ?
[107] Pour les raisons qui suivent, le Tribunal est d’opinion que la réponse à cette question est négative, l’inspecteur en environnement ayant toujours l’autorité de voir à l’application du chapitre 16 du règlement de zonage U-947 et étant toujours autorisé à émettre des constats d’infractions dans les cas de contraventions à l’une ou l’autre de ses dispositions.
[108] En premier lieu, le Tribunal estime que le raisonnement tenu préalablement en regard de la compétence générale de l’inspecteur en environnement pour émettre des constats d’infractions doit s’appliquer ici en y faisant les adaptations nécessaires.
[109] En effet, puisque la coupe forestière et l’abattage des arbres sont des sujets directement reliés à l’environnement, ils relèvent de la «compétence» de l’inspecteur en environnement et le règlement 766 l’autorise en conséquence à émettre des constats d’infractions lorsqu’il est contrevenu aux dispositions du nouveau chapitre 16 du règlement de zonage U-947.
[110] En second lieu, le Tribunal est d’opinion que l’article 1.4 e) du règlement de zonage U-947 doit être lu de façon à y inclure non seulement les dispositions du chapitre 16 mais également toutes celles du règlement relatives à la protection de l’environnement.
[111] En effet, les défenderesses proposent d’interpréter littéralement les dispositions de l’article 1.4 e) : Le législateur y ayant précisé que la juridiction de l’inspecteur en environnement se limite au chapitre 9 du règlement, il aurait perdu compétence sur l’exploitation forestière et l’abattage des arbres dès lors que les dispositions y relatives ont été retirées du chapitre 9 pour être intégrées au nouveau chapitre 16.
[112] Une telle méthode d’interprétation ne tient pas compte du fait que le législateur, lorsqu’il réfère au chapitre 9, à l’article 1.4 e), ajoute les mots «concernant les dispositions relatives à la protection de l’environnement».
[113] Quoi qu’en apparence clairs, les termes de l’article 1.4 e) du règlement de zonage soulèvent des questions d’importance : Quelle est la véritable intention du législateur? Quel est l’objectif poursuivi par la disposition ? Est-ce que législateur entend limiter la juridiction de l’inspecteur en environnement à la seule application du chapitre 9 ou plutôt l’étendre à toutes les dispositions du règlement qui concernent la protection de l’environnement ?
[114] Pour répondre efficacement à ces questions, le Tribunal doit appliquer la méthode d’interprétation moderne ou contextuelle suivant laquelle il faut lire la disposition du règlement dans un contexte global, en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’effet de la loi, son objet et l’intention du législateur.
[115] L’auteur Pierre-André Côté[31] précise ce qu’il faut entendre du «contexte global» d’une disposition législative :
«Il s’agit, d’abord, de l’environnement légal d’une disposition, des autres dispositions de la loi, des lois connexes, des autres règles du système juridique. C’est le contexte au sens étroit. Le contexte d’énonciation d’une disposition inclut cela, mais bien davantage : il comprend toutes les idées liées au texte que le législateur peut présumer suffisamment connues des justiciables pour se dispenser d’avoir à les exprimer. Ces idées peuvent être relatives aux circonstances qui ont amené l’énonciation du texte, à l’objet qu’il cherche à accomplir, aux valeurs auxquelles le législateur est attaché, à ses habitudes d’expression, et ainsi de suite. Un texte est lu dans son contexte global lorsque l’interprète se met, comme on doit, «sur la même longueur d’ondes» que le législateur. Une lecture d’une disposition hors contexte peut conduire à des résultats tout à fait absurdes.»
[116] Il faut d’ailleurs garder à l’esprit que l’on doit privilégier une interprétation qui donne un effet utile à la disposition plutôt que le contraire[32].
[117] Contrairement à ce que souhaitent les défenderesses, la lettre du règlement «ne doit pas permettre d’écarter l’interprétation la plus appropriée pour assurer l’accomplissement des objectifs du législateur»[33].
[118] Pour l’auteur Pierre-André Côté[34], il faut aller au-delà du texte :
1053. On doit absolument dépasser le texte, pour deux raisons en
particulier. La première, c’est que, comme on l’a vu, l’objectif de l’interprétation ne
consiste pas uniquement
à découvrir la pensée historique de l’auteur du texte : l’interprétation poursuit d’autres
objectifs et exige donc la prise en considération de facteurs,
telles les conséquences de l’interprétation,
qui n’ont rien à voir avec la formulation du texte. Deuxièmement, même si l’on devait
concevoir l’interprétation
comme ayant pour seul objectif la découverte de la pensée du législateur, deux raisons
principales justifieraient que l’on ne se limitât pas à la méthode littérale pour
découvrir cette pensée. D’abord, à cause de ce que l’on a
appelé la « texture ouverte » du langage, la
seule approche littérale souvent ne permet pas de dissiper les doutes que soulève l’application
d’un texte. Deuxièmement,
l’approche littérale ne permet de tenir compte que de la partie expresse de la
communication légale : la partie implicite, celle qui se dégage du
contexte global de l’énonciation légale, doit
également être prise en considération si l’on veut reconstituer la pensée du
législateur.»
(Références omises)
[119] Les passages suivants de l’arrêt de notre Cour d’appel dans l’affaire Corporation d’Urgences Santé c. Syndicat des employées et employés d’Urgences Santé (CSN)[35], que le Tribunal fait siens, résument parfaitement l’état du droit sur la question :
[43] À mon avis, même si le texte de l’article 40 LÉS peut sembler clair, une interprétation littérale de celui-ci mène, comme l’a conclu la juge de la Cour supérieure, à un résultat qui n’est pas acceptable. Il faut plutôt appliquer ici le « principe moderne » d’interprétation élaboré par Elmer A. Driedger[16] :
Aujourd’hui, il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.[17]
[44] Après analyse d’un bon nombre de décisions, Pierre-André Côté conclut que cette méthode moderne d’interprétation fait l’objet d’un large consensus :
1112. En conclusion, on peut dire qu’actuellement il se dégage malgré tout un large consensus à la Cour suprême du Canada autour de l’idée que l’interprétation ne saurait jamais se confiner au texte de la loi, qu’il s’agisse d’établir le sens de la règle légale ou de justifier le sens retenu au terme d’un processus d’interprétation.
1113. Les désaccords paraissent porter non pas tant sur la pertinence des éléments autres que textuels, que sur leur importance relative dans l’interprétation. […][18]
[référence omise] [je souligne]
[45] En ce qui concerne le principe moderne d’interprétation de Driedger, Me Côté ajoute :
1451. Cette solution mitoyenne semble justifiée : une interprétation qui n’insiste que sur le texte doit être rejetée, ne serait-ce que pour le motif que les mots n’ont pas de sens en eux-mêmes. Ce sens découle en partie du contexte de leur utilisation, et l’objet de la loi fait partie intégrante de ce contexte. Ajoutons que si l’interprétation strictement littérale présume beaucoup des possibilités du langage humain, elle surestime aussi la clairvoyance et l’habilité des rédacteurs de textes législatifs. La séparation des pouvoirs ne devrait pas exclure nécessairement la collaboration des pouvoirs. Le rédacteur, qui ne peut prévoir toutes les circonstances où son texte devra s’appliquer, doit pouvoir attendre des tribunaux autre chose que des critiques : il doit pouvoir compter sur leur collaboration dans l’accomplissement du but de la loi. Pour reprendre les paroles de Lord Denning, le juge, en raison de la nature particulière de sa fonction, ne peut pas changer le tissu dans lequel la loi est taillée, mais il devrait pouvoir en repasser les faux plis. […][19]
[référence omise] [je souligne]
[46] La Cour suprême a, pour sa part, déclaré qu’elle considérait désormais que, « même en présence d’un texte en apparence clair et concluant, il importe néanmoins d’examiner le contexte global dans lequel s’inscrit la disposition sous étude »[20].
[47] Ma collègue la juge Thibault résume très bien l’état du droit sur cette question. Le « principe moderne » d’interprétation est la méthode fondamentale retenue par la jurisprudence canadienne :
[30] Il n'est pas nécessaire de discourir longtemps pour affirmer que le « principe moderne » d'interprétation énoncé par Elmer A. Drieger fait maintenant autorité dans la jurisprudence canadienne. […]
[…]
[34] Comme ces auteurs le précisent, le « principe moderne » d'interprétation est la méthode fondamentale retenue par la jurisprudence canadienne. Celle-ci met à la disposition des juges quatre outils interprétatifs : le contexte législatif, le sens grammatical et ordinaire des mots, le rôle de la loi, l'objet de celle-ci. Cette règle fondamentale peut être complétée par d'autres indices interprétatifs qui n'y figurent pas expressément telles l'interprétation libérale des principes qui la commandent, l'interprétation restrictive des exceptions, les considérations rattachées aux politiques gouvernementales, etc.[21]
[je souligne]
[48] En
somme, il faut conclure que la méthode d’interprétation littérale ne doit pas
être utilisée de manière exclusive pour interpréter une disposition législative
telle que l’article 40 LÉS, et ce, même en présence
d’un texte en apparence clair. Il faut non seulement rechercher le sens courant
des termes, mais aussi l’objet, l’esprit de la loi et l’intention du
législateur. En outre, dans l’interprétation de la législation, il faut tenir
compte du principe codifié à l’article
|
|
41.1 Les dispositions d'une loi s'interprètent les unes par les autres en donnant à chacune le sens qui résulte de l'ensemble et qui lui donne effet. |
41.1 The provisions of an Act are construed by one another, ascribing to each provision the meaning which results from the whole Act and which gives effect to the provision. |
[49] La jurisprudence admet que le sens ordinaire des mots peut être écarté si cela permet d’assurer la cohérence de l’ensemble du texte législatif[23].
(Références omises)
[120] Appliquant ces principes, le Tribunal est d’opinion qu’il faut comprendre de l’article 1.4 e) du règlement de zonage U-947 que le législateur entend confier à l’inspecteur en environnement la responsabilité de l’application non seulement du chapitre 9 mais également celles des autres chapitres du règlement, dont le chapitre 16, dans la mesure où elles sont «relatives à la protection de l’environnement».
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
REJETTE les requêtes des défenderesses en vertu des
dispositions de l’article
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__________________________________ Michel Lalande j.c.m. |
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Pour la poursuivante : |
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Mes. Andréanne Lavoie et Carl-Éric Therrien
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Pour les défenderesses : |
||
Me. Christian Ladouceur |
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|
[2]
[3] Elmer A. Driedger, Construction ofStatutes, 2e éd., collection « Canadian legal manual series », Toronto, Butterworths, 1983, p. 87.
[4]
Pierre-André Côté, avec la collaboration de Stéphane
Beaulac et Mathieu Devinat, Interprétation des
lois, 4e éd., Montréal, Les
Éditions Thémis, 2009, no 1451, p. 456.
[5]
Pharmascience
inc. c. Binet,
and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy and Utilities Board),
paragr. 48; Montréal
(Ville) c. 2952-1366 Québec inc.,
[6]
Mascouche
(Ville) c. Thiffault,
[7]
Lavallée
c. St-Joseph-du-Lac (municipalité de),
[8]
Art,
[9]
Art.
[10] Létourneau, Cournoyer, Code de procédure pénale du Québec annoté 2016, 10e ed., Montréal, Wilson & Lafleur, pages 160, 161, 321.
[11]
Art.
[12]
Art.
[13] Lavallée c. St-Joseph-du-Lac (municipalité de), op.cit. note 7, par. 63, 64, 66.
[14] Art. 184 (4), al. 2 C.p.p.
[15] Lavallée c. St-Joseph-du-Lac (municipalité de), op.cit. note 7, par. 39-42
[16] Ibid., par. 76, 91
[17]
Desgagné
cé Fabrique de la Paroisse St-Philippe d’Arvida,
[18] Létourneau, Cournoyer, Code de procédure pénale du Québec annoté 2016», op.cit note 10, p. 412.
[19] Lavallée c. St-Joseph-du-Lac (municipalité de), op.cit. note 7, par. 76, 91.
[20]
[21]
[22]
Le juge Forget réfère ici à l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Québec
(Communauté urbaine) c. Corp. Notre-Dame-de-Bon-Secours,
[23]
Côté, Pierre-André,
[24]
[25] LeChasseur, Marc-André, Zonage et urbanisme en droit canadien, 2016, 3e ed., Montréal, Wilson & Lafleur.
[26] Ibid., p. 144-145
[27] Ibid., p. 146
[28] Ibid., p. 139
[31] Op.cit. note 4, p. 324
[32] Ibid., p. 433
[33] Bois-des-Filion (Ville) c. Guay, op.cit. note 20, par. 37
[34] Op.cit. note 4, pages 320-321
[35] Op.cit. note 5
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.