Décision

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Landry c. Ville de Québec

2024 QCCA 1597

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

QUÉBEC

 :

200-10-004059-239

              (200-36-003071-214) (CM 7510002102) (CM 7510002566) (CM 7510002662)

 (CM 7510002916) (CM 7510003056)

 

DATE :

27 novembre 2024

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.

STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A.

SOPHIE LAVALLÉE, J.C.A.

 

 

SARTO LANDRY

APPELANT – appelant

c.

 

VILLE DE QUÉBEC

INTIMÉE – intimée

 

 

 

ARRÊT

 

 

[1]                L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 13 mars 2023 par la Cour supérieure, district de Québec (l’honorable Carl Thibault)[1], lequel rejette l’appel du jugement rendu par l’honorable Sabrina Grand de la Cour municipale de la Ville de Québec[2].

[2]                Pour les motifs du juge Sansfaçon, auxquels souscrivent les juges Mainville et Lavallée, LA COUR :

 

 

[3]                REJETTE l’appel, avec les frais de justice.

 

 

 

 

 

ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.

 

 

 

 

 

STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A.

 

 

 

 

 

SOPHIE LAVALLÉE, J.C.A.

 

 

M. Sarto Landry

Non représenté

 

Me Gabriel Chassé

Me Évelyne Julien (absente)

GIASSON ET ASSOCIÉS

Pour lintimée

 

Date d’audience :

12 septembre 2024

 


 

 

 

MOTIFS DU JUGE SANSFAÇON

 

 

[4]                L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 13 mars 2023 par la Cour supérieure, district de Québec (l’honorable Carl Thibault)[3], lequel rejette l’appel du jugement rendu par l’honorable Sabrina Grand de la Cour municipale de la Ville de Québec[4]. Ce dernier jugement avait rejeté la requête en arrêt des procédures de l’appelant à l’égard de cinq constats d’infraction lui reprochant d’avoir « maintenu ou toléré des travaux effectués sans avoir préalablement obtenu un permis, alors qu’un permis était nécessaire pour de tels travaux, contrevenant ainsi aux articles 999 et 1203 du Règlement d’harmonisation sur l’urbanisme de la Ville de Québec[5] » (le « Règlement »).

[5]                Monsieur Landry est propriétaire d’un terrain sur lequel se trouvent sa résidence et un garage, lequel a été construit sans qu’une demande de permis n’ait été demandée ni émise par la Ville de Québec (la « Ville ») malgré la règle en ce sens prévue à l’article 1203 du Règlement :

1203. Un projet de construction, d’implantation, de transformation, d’agrandissement ou d’addition d’un bâtiment est interdit sans l’obtention préalable d’un permis de construction.

[6]                Plus d’un an après la fin des travaux de construction de ce garage, un employé de la Ville remarque la présence du garage construit sans permis maintenu sur le terrain. À la suite de l’envoi d’avis de non-conformité, il délivre cinq constats d’infractions entre novembre 2019 et janvier 2020, dont le libellé se lit comme suit :

Le ou vers le […] au [...], sur le lot numéro [...] du cadastre du Québec, en tant que propriétaire, avoir maintenu ou toléré des travaux effectués sans avoir préalablement obtenu un permis alors qu’un permis était nécessaire pour de tels travaux contrevenant ainsi aux articles 999 et 1203 du Règlement d’harmonisation sur l’urbanisme (R.V.Q. 1400).

 

[7]                L’interdiction de maintenir une construction érigée sans permis, et l’infraction qui s’y rapporte et qui est susceptible d’être sanctionnée par une peine d’amende, desquelles découle le constat d’infraction, sont quant à elles prévues à l’article 999 du Règlement :

999. Quiconque contrevient ou permet que l’on contrevienne à une disposition de ce règlement, maintient des travaux de construction effectués sans permis ou maintient un état de faits [sic] qui nécessite un certificat d’autorisation sans l’avoir obtenu, commet une infraction et est passible, pour une première infraction, d’une amende dont le montant est, dans le cas d’une personne physique, de 1 000 $ et, dans le cas d’une personne morale, de 2 000 $.

[Soulignements ajoutés]

[8]                La juge de la Cour municipale rejette la requête en arrêt des procédures présentée par M. Landry, fondée sur la prescription du constat d’infraction, moyen de défense tiré de l’article 14 du Code de procédure pénale[6], qui prévoit que « [t]oute poursuite pénale se prescrit par un an à compter de la date de la perpétration de l’infraction ».

[9]                La Cour supérieure rejette l’appel de ce jugement et un juge de la Cour accorde la permission d’appeler de ce dernier jugement[7].

[10]           Les deux premiers juges sont d’avis que, contrairement à ce que proposait l’appelant, les articles 1203 et 999 du Règlement sanctionnent bien le maintien d’une construction érigée sans permis de construction, en l’espèce le garage.

[11]           De plus, les deux juges estiment que cette infraction de maintien d’une construction érigée sans permis créée par l’article 999 du Règlement est une infraction qui se continue tant et aussi longtemps que le justiciable n’aura pas rendu le terrain comme il était préalablement aux travaux (c’est-à-dire en enlevant le garage) ou qu’il n’aura pas obtenu le permis requis. Ainsi, le recours n'est pas prescrit bien que les constats aient été délivrés plus d’un an après la fin des travaux de construction du garage.

Analyse

[12]           Le Règlement étant présumé valide[8], le litige ne porte que sur l’interprétation qu’il faut lui donner, et non sur la légalité de l’infraction de maintien d’une construction érigée sans permis créée par son article 999.

[13]           Étant d’avis que l’interprétation donnée à cette disposition par les deux juges s’étant prononcés sur celle-ci est correcte, je suis d’avis que l’appel doit échouer.

[14]           Voici pourquoi.

[15]           Les règlements municipaux doivent être interprétés suivant la règle d’interprétation moderne, et ce, « même dans le cas des lois pénales. Il faut alors rechercher la véritable intention du législateur et appliquer le sens qui correspond à ses objets »[9]. Ce n’est que si les tentatives d’interprétation neutre laissent subsister un doute que la règle d’interprétation restrictive en cette matière pourra être appliquée[10].

[16]           Comme la Cour le rappelle dans Comité paritaire de l'industrie de l'automobile des régions Lanaudière-Laurentides c. 9308-0588 Québec inc.[11], « [l]'arrêt de notre Cour dans Québec (Société des alcools) c. Syndicat des employés de magasins et de bureaux de la société des alcools du Québec[12] a bien circonscrit les critères permettant de distinguer l'infraction continue de l'infraction unique ». Dans l’arrêt auquel la Cour réfère, le juge Proulx explique :

Dans le cas d'une conduite passive qui consiste en une omission d'accomplir une obligation, la démarche consiste à qualifier l'étendue de cette obligation: si l'obligation est continue, l'infraction se poursuit jusqu'au respect de l'obligation et en corollaire l'accomplissement de l'obligation met fin à l'infraction.

Si je considère des cas classiques d'infractions ou de contraventions continues, par exemple maintenir une clôture en contravention d'un règlement municipal, ne pas appliquer un programme de prévention propre à un établissement (article 58 L.S.S.T.), ou séquestrer un individu, je remarque que le point commun de ces infractions réside dans le fait que le contrevenant peut, à tout moment, mettre fin à son état de criminalité en démolissant la clôture ou en appliquant un programme de prévention ou en libérant son otage.

Si je concluais, comme le juge de la Cour supérieure, que les infractions en l'occurrence sont des infractions continues, force serais-je de conclure qu'une fois le délai imparti expiré, plus jamais l'appelante ne pourrait échapper à son état de criminalité même en fournissant les chaussures de sécurité. En effet, une fois le délai imparti écoulé, l'appelante ne pourrait plus jamais donner suite à l'avis de correction dans le délai imparti.

Si le poursuivant avait plutôt reproché à l'appelante de ne pas avoir fourni des chaussures de sécurité aux employés des succursales, il se serait agi alors d'une infraction continue à laquelle l'appelante aurait mis fin en fournissant les chaussures.

L'intimé plaide essentiellement qu'il serait absurde de soutenir que l'obligation de fournir des chaussures de sécurité s'éteint avec l'expiration du délai prévu à l'avis de correction, le but visé par la L.S.S.T. étant la protection du travailleur, plus précisément l'élimination à la source même de dangers pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique des travailleurs. Le défaut du raisonnement de l'intimé réside dans le fait qu'il confond deux obligations totalement distinctes: celle de donner suite à un avis de correction dans le délai imparti et celle de fournir des chaussures de sécurité. À l'expiration du délai prévu dans l'avis de correction, la première obligation s'éteint alors que la seconde survit.

[Soulignements ajoutés]

[17]           Dans Comité paritaire de l'industrie de l'automobile des régions Lanaudière-Laurentides, l’accusation reprochait à la compagnie de n’avoir pas encore transmis un certain rapport au Comité paritaire plus d’une année après l’expiration du délai prévu au règlement pour la transmission d’un tel rapport. La Cour supérieure (l’honorable Marc-André Blanchard), dont le jugement[13] a été confirmé par notre Cour[14], avait conclu que, s’agissant d’une obligation de remettre le rapport avant un certain délai, l’infraction s’était cristallisée dès le jour où la personne visée par la règlementation avait omis de remettre le rapport dans le délai. Dès le lendemain de ce délai, cette personne s’était trouvée en infraction de ne pas avoir produit le rapport dans le délai déterminé et le fait qu’elle ait pu le remettre, par exemple le lendemain ou la semaine suivant l’expiration de ce délai, n’aurait rien changé à cette réalité. Ainsi, concluait-il, que puisque le fait de remettre son rapport en dehors des délais prescrits par le règlement ne lui aurait pas permis de mettre fin à l’infraction (d’avoir omis de produire le rapport avant l’expiration du délai déterminé), il ne pouvait s’agir d’une infraction continue.

[18]           En l’espèce, et contrairement aux faits de cette affaire, l’article 999 du Règlement crée clairement une infraction du fait de maintenir, c’est-à-dire de laisser en place, des travaux de construction effectués sans permis. Le mot « travaux » signifie, dans le contexte de cet article, non pas l’exécution d’un travail, mais bien le résultat d’un tel travail, c’est-à-dire l’ouvrage, la construction qui en a résulté.

[19]           À l’instar de la juge de la Cour municipale, dont le raisonnement a reçu l’aval du juge de la Cour supérieure, il m’apparaît que l’amendement apporté en 2007 à l’article 83 du Règlement sur l’administration des règlements d’urbanisme et l’établissement des droits payables pour les permis et les certificats[15]depuis repris dans l’article 999 du Règlement ajoutant les mots « maintient des travaux de construction effectués sans permis ou maintien dans un état de faits qui nécessite un certificat d’autorisation sans l’avoir obtenu », est venu créer une nouvelle infraction qui couvre la situation de l’appelant[16].

[20]           L’infraction reprochée à l’appelant est donc une infraction continue visée par le deuxième alinéa de l’article 1004 du Règlement qui le rend passible de condamnations quotidiennes[17] :

1004.  Dans chaque cas d’infraction visée au présent chapitre, les frais s’ajoutent à l’amende.

Si une infraction visée au présent chapitre est continue, cette continuité constitue, jour par jour, une infraction séparée et l’amende édictée pour cette infraction peut être infligée pour chaque jour que dure l’infraction.

[…]

[21]           De la même façon, la prescription s’appliquera jour par jour un an suivant chaque jour qu’aura duré l’infraction.

[22]           La conclusion aurait évidemment été différente si le constat d’infraction avait plutôt reproché à l’appelant d’avoir effectué des travaux sans permis, seule infraction possible avant l’ajout en 2007 de l’infraction de maintien. L’exécution de travaux sans permis est une chose alors que le maintien de travaux effectués sans permis en est une autre. Dans les deux cas, si l’infraction dure plus d’un jour, on pourra compter autant d’infractions distinctes qu’il y a de jours où elle a perduré[18], à la différence que dans le premier cas, les infractions prendront fin une année suivant la fin des travaux, alors que dans le cas de l’infraction de maintien de travaux exécutés sans permis, l’infraction perdurera aussi longtemps que le justiciable maintiendra la construction érigée sans permis sur le terrain. En l’espèce, l’appelant pourra mettre fin à cet état d’illégalité, soit en démolissant le garage, soit en demandant et obtenant a posteriori un permis de construction.

[23]           Je propose donc le rejet de l’appel, avec les frais de justice.

 

 

 

 

STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A.

 

 

 


[1]  Landry c. Ville de Québec, 2023 QCCS 721 [jugement entrepris].

[2]  Ville de Québec c. Landry, 2021 QCCM 57. 

[3]  Landry c. Ville de Québec, 2023 QCCS 721 [jugement entrepris].

[4]  Ville de Québec c. Landry, 2021 QCCM 57.

[5]  Règlement d’harmonisation sur l’urbanisme (codification administrative), Conseil municipal de la Ville de Québec, règlement no R.V.Q. 1400.

[6]  RLRQ, c. C-25.1.

[7]  Landry c. Ville de Québec, 2023 QCCA 1088.

[8]  Procureur général du Québec c. Ville de Drummondville, 2024 QCCA 5, par. 62.

[9]  R. c. Hasselwander, [1993] 2 R.C.S. 398, 413; Isolation Confort CO Ltée c. Directeur des poursuites criminelles et pénales, 2015 QCCA 1459, par. 8-9; Transport de conteneurs Garfield inc. c. Montréal (Ville de), 2015 QCCA 120, par. 19-21.

[10]  Idem.

[11]  2022 QCCA 761, par. 3 [Comité paritaire de l'industrie de l'automobile des régions Lanaudière-Laurentides].

[12]  Québec (Société des alcools) c. Syndicat des employés de magasins et de bureaux de la société des alcools du Québec, J.E. 95-1528, 1995 CanLII 4639 (C.A.), p. 10.

[13]  2021 QCCS 927.

[14]  Comité paritaire de l’industrie de l’automobile des régions Lanaudière-Laurentides, supra, note 11.

[15]  Règlement R.V.Q. 1159, art. 1.

[16]  J’adhère à cet égard à l’analyse de mon ancienne collègue la juge Thibault dans Koulouris c. Québec (Ville de), 2012 QCCA 1068, par. 5-7.

[17]  L’article 230 du Code de procédure pénale prévoit que lorsqu’une infraction a duré plus d’un jour, le juge n’est pas tenu d’imposer la peine pour chacun des jours ou des fractions de jour qu’a duré l’infraction s’il est convaincu que le poursuivant a indûment tardé à intenter la poursuite.

[18]  Art. 155 C.p.p.

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