Innus de Uashat et de Mani-Utenam c. Hydro-Québec | 2025 QCCS 40 |
COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC |
DISTRICT DE | Montréal |
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No : | 500-17-110903-195 |
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DATE : | 8 janvier 2025 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE | DE L’HONORABLE | THOMAS M. DAVIS, J.C.S. |
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LES INNUS DE UASHAT ET DE MANI-UTENAM -et- LA BANDE INNUE TAKUAIKAN UASHAT MAK MANI-UTENAM -et- LE CHEF MIKE MCKENZIE Demandeurs |
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c. |
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HYDRO-QUÉBEC -et- LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC -et- LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA |
Défendeurs |
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JUGEMENT
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- Le présent jugement raconte l’histoire de la relation entre une société d’État, la défenderesse Hydro-Québec (HQ) et les demandeurs, les Innus de Uashat et de Mani-Utenam, la bande innue Takuaikan Uashat Mak Mani-Utenam et le chef Mike McKenzie (collectivement les Innus de UMM ou ITUM[1]) ainsi que le rôle des défendeurs, le Procureur général du Québec (PGQ) et le Procureur général du Canada (PGC), dans le cadre du développement du projet hydroélectrique de la Romaine (le Projet).
- En 2004, HQ débute la planification d’un projet hydroélectrique sur la rivière Romaine. Le Projet est à l’origine des présentes procédures, mais l’histoire entre HQ et les Innus de UMM va bien au-delà du Projet.
- Les Innus de UMM estiment qu’HQ est une mandataire de la Couronne. Ainsi, elle doit d’appliquer les principes de l’honneur de la Couronne et de réconciliation dans sa relation avec eux. Les Innus de UMM soutiennent qu’HQ a failli à l’application de ces principes et est également coupable de mauvaise foi institutionnelle à leur égard.
- En revanche, pour HQ sa relation avec les Innus de UMM est de nature commerciale, surtout dans le cadre des faits qui donnent lieu au présent litige.
- Le Tribunal aura donc à déterminer si HQ est mandataire de la Couronne et, de ce fait, tenue de respecter les principes de l’honneur de la Couronne et de réconciliation.
- Il doit également décider si HQ était de mauvaise foi dans ses relations contractuelles avec ITUM.
- Pour bien comprendre le présent litige, un bref aperçu du litige initial en relation au Projet est requis.
- C’est en 2009 que les Innus de UMM entament leurs procédures. Ils contestent certains aspects du Projet, dont les lignes de transmission qui passeront principalement sur les terres qu’ils considèrent comme faisant partie de leur territoire traditionnel (le dossier la Romaine). La contestation vise toutefois l’ensemble du Projet.
- En 2010, les Innus de UMM déposent une requête pour obtenir une injonction interlocutoire, ainsi qu’une demande Haïda. Une requête amendée est déposée en janvier 2013.
- Malgré lesdites procédures, le Projet va de l’avant, le Tribunal ayant refusé de prononcer une ordonnance de sauvegarde, le 27 mai 2013[2].
- La demande Haïda n’est jamais entendue, car une entente de principe est signée par ITUM et HQ les 27 et 28 février 2014 (l’EDP)[3]. Celle-ci vise à instaurer une relation harmonieuse à long terme et, ainsi, mettre fin à plusieurs litiges, bien qu’elle doive faire l’objet d’un vote populaire par référendum au sein de la communauté. Si acceptée en référendum, l’EDP doit être soumise au conseil d’administration d’HQ et une entente finale doit être élaborée dans les semaines qui suivent. L’entente prévoit le paiement de sommes importantes à ITUM pendant de nombreuses années, et comporte plusieurs autres stipulations au bénéfice de la communauté.
- Les choses ne vont pas comme prévu et l’EDP n’est jamais finalisée par une entente finale entre les parties. HQ ne soumet pas l’EDP à son conseil d’administration, malgré son acceptation par les membres de la communauté en référendum.
- Néanmoins, sur une assez longue période, les parties tentent de trouver une solution à l’impasse, dont une des étapes est le règlement du dossier la Romaine.
- D’autres étapes devaient suivre ce règlement. Certaines ont été accomplies, certaines n’ont cependant pas été finalisées. À ce jour aucune entente finale n’est intervenue entre les parties.
- Le 19 décembre 2019, les demandeurs intentent les présentes procédures. Les Innus de UMM soutiennent qu’en raison de son comportement et de sa mauvaise foi institutionnelle, HQ est redevable de dommages. Les Innus de UMM demandent également la remise en état des parties, et ce, avant la signature de l’EDP. Ils requièrent une déclaration stipulant que le Canada et le Québec ont failli à leurs obligations fiduciaires envers ITUM.
- La période couverte par le présent litige s’échelonne depuis au moins 2004 jusqu’à ce jour. Pendant ce temps, les Innus de UMM ont connu plusieurs chefs. Cependant le principal intervenant aux fins du présent litige est le chef actuel, Mike McKenzie, chef depuis 2013, et donc au moment de la négociation de l’EDP.
- Au niveau des relations avec les membres de la communauté et surtout pour les explications des ententes potentielles avec HQ, il est secondé par Mme Gloria Vollant et l’ancien chef, Rosario Pinette. Jean-Claude Therrien Pinette est son attaché politique. Il est très familier, tant avec les discussions avec HQ, qu’avec la situation dans la communauté. Ricky Fontaine est le directeur général de la communauté pendant la période la plus pertinente au litige.
- M. Therrien Pinette et M. Fontaine travaillent étroitement avec le Chef McKenzie.
- ITUM a sa propre équipe de négociateurs pour le Projet, dont le négociateur principal M. Pinette. Accompagné des avocats d’ITUM, Me James O’Reilly et Me Jean-François Bertrand, ainsi que des membres de leurs cabinets respectifs, il est présent à la table de négociations pour les ententes intervenues en 2011 et en 2014.
- Thierry Vandal est le PDG d’HQ tout au long des événements les plus importants, pour être remplacé par Eric Martel en 2015.
- Richard Cacchione est le Président production. Il se rapporte à M. Vandal et, par la suite, à M. Martel. Au bout du compte, c’est à lui que se réfère l’équipe de relations avec les autochtones, et ce, parfois par l’entremise de Louise Pelletier.
- L’équipe juridique d’HQ, notamment Maître René Bourassa[4], participe également aux discussions avec ITUM. Les principaux dossiers de M. Bourassa, au sein d’HQ, furent en matière autochtone. Après sa retraite en 2018, Maître Stephanie Lisa Roberts prend la relève.
- HQ est dotée d’une équipe spécialisée dont la responsabilité consiste à veiller aux relations avec les communautés autochtones, y compris la communauté de Uashat et Mani-Utenam. Mathieu Boucher et Richard Laforest assistent également aux négociations et assurent des communications régulières avec ITUM.
- L’intervenante principale pour le Québec est Me Marie-Josée Thomas, du Secrétariat aux affaires autochtones. Elle est au courant du dossier par le biais de ses communications avec l’équipe d’HQ. Elle discute du dossier également avec Me O’Reilly et tente d’intervenir auprès d’HQ en 2014, lors de l’impasse en relation à l’EDP.
- Le principal dissident est Georges McKenzie, dont sa mère, Philomène, a intenté des procédures en 1996 pour contester un projet minier sur les terres traditionnelles de la famille (le dossier des familles traditionnelles). L’EDP comporte une clause spécifique qui lui permet de poursuivre ce litige (la clause McKenzie).
- Les Innus de UMM présentent une preuve très détaillée de leur communauté, de l’impact qu’ont les projets de développement sur leur territoire, de l’opposition de certains membres de la communauté au développement, des tentatives d’ITUM à forger une nouvelle relation avec le Québec et HQ et surtout des efforts déployés par ITUM pour faire accepter l’EDP par la population.
- Plusieurs personnes clés aident ITUM à expliquer l’EDP à la population, notamment Mme Vollant. Au moment de la négociation de l’EDP, elle est à l’emploi du bureau de consultation d’ITUM, mais y occupe, au fil des années, plusieurs postes, largement en relation à la reconnaissance du titre ancestral des Innus de UMM sur le Nitassinan, le nom que les Innus de UMM donnent à leur territoire traditionnel. Elle est une personne crédible aux yeux de la population.
- Mme Vollant effectue des recherches sur l’étendue du territoire traditionnel, moyennant des visites auprès des ainées, surtout ceux et celles pouvant décrire l’état des choses avant l’arrivée du chemin de fer au début des années 50. D’autres personnes l’épaulent dans ce travail, en l’occurrence la regrettée anthropologue, Sylvie Vincent, Josée Mailhot, une linguiste et Laurent Girouard, un archéologue. L’équipe dialogue avec au moins 125 ainés dans le cadre de son labeur.
- Leur travail consiste également à établir les lignées généalogiques des familles prédominantes.
- Mme Vollant explique au Tribunal l’importance des terres traditionnelles pour les Innus et comment ceux-ci s’attachent à leurs terres familiales, en plus de l’importance pour eux d’y retourner régulièrement :
Q. Parfait. Donc, quand on parlait tantôt de « itinéraire », pouvez-vous nous expliquer un peu qu’est-ce que ça signifiait, l’itinéraire? Vous pouvez utiliser la carte si vous voulez aider le Juge à bien...
R. D’accord. Quand on parle d’itinéraire, c’est que les gens qui partent de la côte, la grande rivière, ils partaient de la côte, de la grande rivière, avec plusieurs familles. Fait que plusieurs familles montaient la rivière jusqu’à tant que des fois il y a quelques familles qui bifurquaient puis qu’ils étaient rendus chez eux.[5]
- Rosario Pinette fait également partie du groupe de personnes chargées d’expliquer l’EDP à la population et relate également l’importance des terres pour les familles innues.
- Pour Jean-Claude Therrien Pinette, toute la communauté doit jouir du territoire traditionnel des Innus de UMM, même si certaines familles revendiquent des droits sur leurs lots traditionnels. Il en est ainsi pour tout projet de développement.
- Avant l’arrivée du chemin de fer, la rivière Moisé est la route principale vers le Nord. Les Innus doivent quitter la région de Sept-Îles suffisamment tôt pour arriver au lac Waswanipi avant le gel. Encore aujourd’hui, 66% de la population continue à fréquenter le territoire pour y pratiquer des activités traditionnelles.
- Les lots de castors sont créés vers 1950. La compagnie de la Baie de Hudson et le gouvernement du Québec, alors inquiets de la diminution de la population de castors, rencontrent les hommes de la communauté innue de UMM. La plupart d’entre eux sont en accord pour recenser les castors sur une superficie donnée, moyennant un paiement de 50 $ et c’est ainsi que les lots de castors sont nés[6]. Bien que les bornes de ces lots n’empêchent pas un autre Innu d’y aller, les lots de castors correspondent largement aux terres traditionnelles des diverses familles innues.
- Le (ou la) chef de famille doit gérer l’exploitation et la préservation du territoire traditionnel de la famille et peut imposer certaines règles aux autres membres de la famille à cet égard. Le chef de famille est choisi par un consensus des autres membres de la famille; il s’agit d’une personne qui puisse veiller à la sécurité de la famille, surtout lorsque les membres de celle-ci se trouvent sur leur terre traditionnelle. Les chefs de famille sont consultés lorsqu’une décision d’ITUM touche aux territoires traditionnels de leur famille.
- Lorsqu’un nouveau projet est présenté par un promoteur, lequel pourrait affecter le territoire d’une famille, Mme Vollant joue alors un rôle dans sa présentation aux familles touchées. Elle discute avec elles de ces demandes de développement et en fait rapport au directeur général d’ITUM et souvent au Conseil de bande, et ce, plus particulièrement en relation aux projets qui doivent engendrer une consultation par le Québec.
- S’il arrivait qu’une ou des familles soient en désaccord, il se peut qu’elle tienne alors deux réunions, une avec les membres de la communauté en faveur du projet de développement et une autre avec les familles s’y opposant. Sur un plan plus général, elle doit essayer de protéger les intérêts des familles sur leurs territoires traditionnels et doit parfois tenter de les concilier avec ceux du Conseil de bande.
- En revanche, elle dit que la responsabilité de l’ensemble du Nitassinan revient à ITUM. Elle estime que son travail auprès des familles est d’autant plus facilité si elle est appuyée par une résolution du Conseil. Son travail ainsi que sa connaissance du territoire lui permettent de faire rapport au Conseil sur les activités des familles sur le territoire traditionnel des Innus de UMM.
- Elle peut observer, à raison de son travail, que l’arrivée de tout projet sur le territoire suscite beaucoup de débats au sein de la communauté. Le projet Sainte-Marguerite (SM-3), soulevé dans les procédures du dossier la Romaine[7], en est un exemple. Le référendum de 1994, ne l’a appuyé qu’à 1% de majorité et ce projet continue à être un point sensible pour la communauté au moment des discussions en relation au Projet.
- Malgré les efforts d’HQ et ITUM, il y a toujours une certaine méfiance au sein de la communauté lorsqu’un nouveau projet est proposé. D’ailleurs, des différends perdurent jusqu’à ce jour en relation à des projets potentiels sur la rivière Moisie.
- Le Projet, quant à lui, n’est pas l’exception. Il engendre les mêmes divergences de points de vue. Les échecs de deux référendums démontrent qu’il fut controversé. Le blocus de la route 138 en est un autre exemple.
- L’ITUM est le Conseil de bande de la communauté. Il est constitué de personnes élues par les membres de la communauté.
- Ricky Fontaine occupe son poste à partir du mois d’août 2013, alors qu’ITUM connaît certains défis financiers. Le Chef McKenzie lui ordonne alors de remettre la communauté sur les rails. M. Fontaine fait un compte rendu trimestriel au Conseil de bande.
- M. Fontaine veille également à modifier le modèle de gouvernance d’ITUM, et ce, en réduisant le nombre de conseillers de bande de neuf à six.
- Son bureau gère les quelques 800 employés d’ITUM. Environ 300 membres de la communauté sont employés par les entreprises qui opèrent sur le territoire. Plusieurs de ces entreprises sont parties à des ententes avec ITUM, à qui ils paient une certaine somme annuellement; un genre de loyer pour l’utilisation du territoire.
- Les discussions concernant le Projet remontent à l’année 2004, alors qu’HQ a des rencontres préliminaires avec l’ITUM[8]. Le Projet lui est présenté par HQ. Le Chef de l’époque, Elie-Jacques Jourdain, réagit. Tout en acceptant de participer aux études préliminaires, il offre une mise en garde à HQ :
Pour terminer, nous tenons à préciser que Innu Takuaikan mak Mani-Utenam même en y participant aux études ne signifie pas qu'il approuve ou accepte le projet de raccordement de complexe de La Romaine au réseau de transport d'électricité d'Hydro-Québec.[9]
- Richard Laforest se joint à HQ vers la fin de 1989 et occupe, depuis lors, un rôle clé auprès de cette communauté. Il est impliqué lors des négociations concernant le projet SM-3 qui aboutissent en 1994. Il est au courant de la discorde au sein de la communauté en relation à celui-ci.
- Avec son supérieur, Mathieu Boucher, il est impliqué dans les négociations avec ITUM concernant, entre autres, le Projet, et ce, jusqu’en 2018. Tous deux se rapportent à divers cadres au cours des années, dont Robert Landry, Louise Pelletier et, après sa retraite, Daniel Lauzon. Ce dernier est le premier directeur des relations avec les communautés autochtones et occupe aussi le poste de directeur des relations de travail. Il se rapporte à M. Cacchione.
- Dès l’été 2006[10], HQ se dit prête à amorcer les négociations plus substantielles concernant le Projet. Robert Landry, d’HQ, écrit également au chef Jourdain[11], dans le but de faire avancer les discussions.
- Dès le début des négociations, les droits des familles traditionnelles, ainsi qu’une demande de rouvrir l’entente SM-3, font partie de la discussion. En 2008, la position d’ITUM est que les familles doivent consentir à toute entente convenue avec HQ[12].
- En 2010, M. Laforest croise Me O’Reilly et M. Rosario Pinette à l’aéroport de Sept-Îles. Me O’Reilly réitère que, dans le cadre d’une entente éventuelle, HQ va devoir envisager une compensation financière pour les familles[13].
- Pour ce qui est de SM-3, Rosario Pinette parle de ce projet comme étant un exemple de discorde, discorde qui perdure quand les discussions sur le Projet reprennent. Il soulève les déficiences de l’entente SM-3 pour la communauté[14]. Les discussions sur le Projet sont ainsi teintées par l’historique des discussions sur le projet SM-3 et par le conflit au sein de la communauté, en relation à l’entente qui intervient à l’époque.
- Le projet SM-3 reste important tout au long de la période pertinente au présent litige. Vers la fin de 2016, HQ annonce qu’elle désire y ajouter une turbine et l’implantation de cette nouvelle turbine fait dorénavant partie de la discussion entre les parties au même moment où HQ dit qu’elle désire conclure une entente finale sur la base de l’EDP[15].
- Revenons au Projet. Au moment de la reprise des discussions sur le Projet en 2008, le chef Grégoire demande à rencontrer M. Vandal[16]. La réunion a lieu en mai 2009, et il semble que celle-ci soit satisfaisante. En revanche, la position d’HQ, communiquée à la réunion de négociation du 26 mai 2009, ne l’est pas. HQ offre une minime somme de 2 000 000 $[17] pour compenser ITUM pour le passage des lignes de raccordement, étant établie suivant le Programme de mise en valeur intégrée (PMVI)[18]. L’importance des familles traditionnelles est à nouveau soulevée.
- HQ dépose un projet d’entente de principe à cette rencontre. ITUM dépose une contre-offre le lendemain, sous la forme d’un projet d’entente[19].
- Les négociations n’aboutissent pas en 2009.
- À l’exception de la rencontre entre le Chef Grégoire et M. Vandal en 2009, la haute direction d’HQ est peu impliquée dans les discussions.
- Selon M. Laforest, M. Vandal s’impliquait parfois dans les dossiers autochtones. En revanche, son successeur, M. Eric Martel, fut très peu impliqué.
- M. Vandal confirme qu’il s’impliquait de temps à autre dans le dossier concernant le Projet, mais qu’il se fiait surtout sur M. Cacchione et parfois sur l’équipe juridique, pour laquelle il avait beaucoup d’estime. Quant à M. Martel, celui-ci confirme une connaissance du dossier plutôt incomplète.
- Les discussions perdurent jusqu’en 2011. Tout au long des discussions, HQ maintient sa position, voulant qu’elle désire mettre fin aux litiges entre elle et les Innus de UMM.
- Rosario Pinette continue à souligner le climat difficile et le besoin de réparer la relation entre HQ et ITUM.
- Les négociations de 2011 mènent à une entente[20] entre HQ et les Innus de UMM. Le rôle des familles dans la société innue continue à être important. L’entente de 2011 prévoit la création d’un fonds au profit des familles[21].
- L’emphase sur les familles ne surprend pas. À l’époque où Rosario Pinette est chef, par résolution, ITUM reconnaît le statut des familles au sein de la société innue en ces termes :
Le conseil affirme que la coutume innu relativement au territoire veut que chaque famille puisse librement et sans restriction s’entendre avec d’autres familles innu afin de partager leur partie du territoire pour les fins auxquelles elles se seront entendu entre elles;[22]
- Pour M. Pinette, le désir d’ITUM de reconnaître l’importance des familles au sein de la société dans l’entente de 2011 rejoignait l’esprit de cette résolution.
- En revanche, cette même résolution déclarait que le Conseil de bande « est habilité à faire valoir les droits ancestraux des familles innues de Uashat mak Mani-Utenam[23]. »
- En 2011, tout comme plus tard en 2014, ITUM déploie des efforts considérables pour faire accepter l’entente par la communauté. Entre autres, Mme Vollant et M. Pinette consultent la population par divers moyens. ITUM se sert, notamment, des réseaux sociaux ainsi que de la radio communautaire et des réunions publiques. ITUM planifie même une réunion unique avec la famille de Georges McKenzie[24]. Ce dernier exhibe une opposition fervente à l’entente[25].
- Malgré tous ces efforts, les membres de la communauté se prononcent par référendum et rejettent l’entente de 2011. ITUM publie un communiqué de presse pour en annoncer le résultat[26] et se sert également de la radio communautaire pour en informer les membres.
- Des discussions avec le Québec, décrites en tant que discussions « Nation à Nation » s’ensuivent. Les discussions mènent à une lettre d’intention, signée par les parties le 17 janvier 2011, où ITUM et le Québec s’entendent que :
1. Que le Québec s'engage à aider, favoriser et encourager le développement économique des Uashaunnuat et à prendre les mesures appropriées, de concert avec les Uashaunnuat, afin de favoriser ce développement, y compris des mesures quant à la formation, à la recherche d'emploi et au placement en emploi, et quant à la participation des Uashaunnuat à l'emploi et à des contrats.
2. Que dans cette optique, le Québec s'engage à faciliter et à encourager la signature d'ententes sur les répercussions et les avantages (ERA), entre les promoteurs et les Uashaunnuat, à l'égard de types de projet de développement à convenir entre les parties, et qui pourraient avoir des effets préjudiciables sur les droits que revendiquent les Uashaunnuat.
3. Que le Québec s'engage à poursuivre dans les plus brefs délais les travaux de la table de discussion avec les Uashaunnuat, afin d'identifier des mesures visant le développement économique et communautaire des Uashaunnuat.[27]
- Le ministre responsable des Affaires autochtones, Pierre Corbeil, a confirmé certains engagements du Québec dans une lettre au Chef Grégoire le 2 février 2011[28].
- Une entente entre ITUM et le Québec intervient dans laquelle une nouvelle relation avec le Québec est envisagée[29].
- Malheureusement, cette entente avec le Québec, présentée à la population avec l’entente de 2011 intervenue avec HQ, connaît le même sort par référendum. L’échec du référendum n’est certainement pas le résultat d’un manque d’effort par ITUM de faire accepter les ententes par la population. Ce rejet mènera à une longue pause dans les négociations.
- C’est après l’élection du Chef Mike McKenzie en 2013 que les discussions reprennent. Lors de sa campagne M. McKenzie préconise une nouvelle relation avec le Québec et HQ. Une fois élu, il tente de livrer sa vision politique avec l’aide de MM. Fontaine et Therrien Pinette. Ce dernier explique que le Conseil de bande désire conclure des ententes qui seront gagnantes pour l’ensemble de la population.
- Voulant relancer les discussions concernant le Projet, le Conseil de bande déploie de nouveau des personnes clés, en l’occurrence Mme Vollant et M. Pinette, afin d’expliquer la position d’ITUM à la communauté, et ce, avant même que les négociations ne reprennent. À cette même fin, ils se servent des ainés, des réseaux sociaux ainsi que de la radio communautaire.
- Les discussions reprennent en 2014. Le Conseil de bande désire conserver les acquis de la négociation et les ententes de 2011. Cependant, à la suite de l’échec de 2011, les parties décident de n’inclure ni la ligne Arnaud Alouette ni la troisième turbine à la centrale Sainte-Marguerite dans les discussions.
- Les parties réussissent à signer l’EDP en février 2014. Comparée à l’entente de 2011, elle comprend certaines différences. Le paiement total à ITUM est de 75 101 717 $, payable entre 2014 et 2073. Cette somme est acceptée, malgré qu’en janvier 2014, ITUM eut proposé un scénario révisé, préparé par Ricky Fontaine, lequel prévoyait alors un paiement de 77 297 717 $, non ventilé[30].
- Pour ITUM, cette indemnité incarnait la compensation pour les installations et les projets existants d’HQ, visés par diverses procédures, notamment l’ensemble du Projet, soit le complexe et les lignes de transmission, les postes de transformation, les lignes de transmission entre ces postes, le projet SM-3 et Hart Jones.
- Par ailleurs, à l’époque des discussions en 2014, ITUM est assujetti à un plan de compression budgétaire autogéré. Il doit alors respecter une ligne de conduite afin de satisfaire à certaines attentes du ministère des Affaires indiennes. La situation financière deviendra importante à la suite de la négociation de l’EDP et selon M. Fontaine, les paiements qui y étaient prévus devaient aider cette situation.
- Contrairement à l’entente de 2011, lors de la rédaction de l’EDP, les parties conviennent de ne pas spécifier de postes pour le paiement de la somme globale convenue. Il s’agit là d’un paiement global.
- Ricky Fontaine, bien qu’il ne fût pas impliqué directement aux négociations, est mandaté par ITUM pour signer l’EDP. Le dossier crée des frictions dans la communauté et le Conseil estime préférable que son directeur général signe l’entente. M. Fontaine ignore à qui l’EDP a été montrée avant qu’elle ne soit signée. Il est peu familier avec certains aspects de son contenu, en l’occurrence les représentants des familles qui font l’objet de la clause 9.3.
- À la demande d’HQ, l’EDP doit être soumise à un vote populaire.
- Comme en 2011, une consultation auprès de la population a lieu avant que les négociations reprennent[31] et cette fois-ci encore, entre la signature de l’EDP du 28 février 2014, et le vote du 11 avril 2014.
- Le message important que Mme Vollant et son équipe communiquent est que les droits ancestraux de la communauté ne sont pas compromis par l’EDP. Elle n’a alors pas de copie de l’EDP pour les membres de la communauté, mais leur en présente un résumé.
- Un dépliant est préparé, qui en explique ses grandes lignes[32].
- La consultation est accomplie principalement par des rencontres de cuisine. Elle est alimentée par des diffusions à la radio communautaire et par des affichages dans des lieux publics, tels des dépanneurs.
- M. Pinette, tient également des assemblées générales[33]. On s’adresse à un plus grand auditoire lors des assemblées publiques. Celles-ci sont annoncées à la radio communautaire et sur une page Facebook que le Conseil a créée.
- La consultation fait effet, car le 11 avril 2014, l’EDP est approuvée par le vote populaire.
- Toutefois, avant même que le vote ait lieu, arrive un défi pour les parties. Certains chefs de famille déclarent leur opposition à l’EDP, et ce, malgré la position d’HQ dans les négociations de ne pas toucher aux droits ancestraux dans les ententes, tel que l’explique M. Bourassa. Il estime que les questions en relation aux droits ancestraux relèvent des gouvernements.
- Malgré cela et les textes de l’EDP, plusieurs familles y voient une perte de leurs droits ancestraux. Ce sont cinq familles, dont celle de Georges McKenzie, qui écrivent aux avocats d’ITUM pour leur faire part de leur opposition à l’EDP[34].
- Le 4 avril 2014[35], André Jérôme signifie sa dissidence en rapport à l’EDP, par le biais d’une lettre dans laquelle il invoque des raisons environnementales. Son territoire de famille, représenté approximativement par les numéros de lot de castors 273 et 281, est situé au Québec et est traversé par les lignes de Churchill Falls[36].
- Le 7 avril 2014[37], Mathieu Tshernish s’oppose également à l’EDP en invoquant un manque d’informations qui lui permettraient de prendre une décision libre et éclairée. Son territoire de famille, représenté approximativement par le numéro de lot de castors 246, est situé au Québec et ne comporte aucune installation hydroélectrique d’HQ. M. Tshernish retirera son opposition le 19 octobre 2015[38], tout au moins à l’égard du Projet.
- Le 8 avril 2014[39], c’est Michel Pinette qui manifeste sa dissidence à l’égard de l’EDP par le biais d’une lettre dans laquelle il invoque des motifs liés à la reconnaissance de ses droits ancestraux. Son territoire de famille, représenté approximativement par le numéro de lot de castors 239, est situé au Labrador.
- Marc Vollant (de la famille de feu Édouard Vollant), dont le territoire de famille est situé au Labrador, exprime également sa dissidence en rapport à l’EDP. Son territoire de famille, représenté approximativement par le numéro de lot de castors 258, ne comporte aucune installation hydroélectrique d’HQ.
- Le 9 avril 2014[40], certains membres de la famille de Grégoire Jourdain lui annoncent leur retrait de la famille qu’il représente, vu leur préoccupation avec la reconnaissance du titre ancestral; cependant, ces membres ne sont pas ceux visés à l’annexe C de la procédure de la Romaine[41], et ne sont pas non plus demandeurs dans le dossier des familles traditionnelles[42].
- Le dissident principal est effectivement Georges McKenzie. Souvent présent lors des rencontres dans la communauté avant le vote, il fait véhiculer l’idée que l’EDP fait perdre des droits aux membres de la communauté. Pour des raisons qui demeurent plutôt vagues pour le Tribunal, son opposition est toutefois perçue comme un risque acceptable par HQ. L’EDP comporte effectivement une clause particulière quant à toute action qu’il pourrait possiblement entreprendre ou continuer à l’avenir. Le Tribunal y reviendra.
- Les familles dissidentes sont rencontrées par Mme Vollant et son équipe, tout comme elle l’avait fait en 2011. Un chef de famille traditionnelle, M. Lucien Saint-Onge, modifie éventuellement sa position, après avoir entendu les explications de l’équipe de Mme Vollant.
- HQ est préoccupée par la situation des familles dissidentes. M. Laforest écrit à Mme Pelletier le 10 avril 2014[43]. Depuis son arrivée à HQ, il comprend que plusieurs familles réclament le titre ancestral, ainsi que des droits ancestraux sur le territoire. Il estime que la présence des familles dissidentes peut être un « deal breaker », et ce, avant même que le référendum ait lieu. M. Bourassa aurait discuté de ce problème avec lui et M. Boucher, avant que M. Laforest envoie le courriel à Mme Pelletier.
- Quant à Mme Pelletier, elle est impliquée dans le processus qui mène à l’EDP, mais de loin. Elle n’a pas d’implication directe avec ITUM, sauf possiblement pour une rencontre au tout début des discussions. Elle reçoit des rapports de l’équipe de Mathieu Boucher et en fait part à M. Cacchione.
- M. Bourassa y perçoit également un risque important.
- Vu l’évaluation de ses subalternes, M. Vandal décide de ne pas soumettre l’EDP au conseil d’administration d’HQ, malgré l’engagement d’HQ dans l’EDP.
- Comme l’explique M. Therrien Pinette, le Conseil de bande désire préserver les gains de 2011 et créer des opportunités d’affaires pour des entreprises de la communauté.
- Mais, aux fins du présent litige, les éléments importants pour le Tribunal sont plutôt ceux qui traitent des sommes qu’HQ consent à verser à l’EDP, la résolution des litiges en cours et la voie vers une entente finale.
- À l’EDP les paiements sont stipulés en ces termes :
• Cinq millions cent trente mille dollars ($5 130 000) au plus tard dans les trente (30) jours suivant la signature de l'entente finale;
• Deux millions de dollars ($2 000 000) en 2020;
• Un montant de soixante-sept millions neuf cent soixante-onze mille sept cent dix-sept ($67 971 717) payable de 2015 à 2073;[44]
- Quant aux litiges, l’EDP prévoit :
8. Les lnnus de Uashat mak Mani-Utenam représentent et garantissent qu'ils ne poseront aucun geste ayant pour effet de retarder, bloquer ou nuire de quelque façon que ce soit à la réalisation des projets La Romaine entre la date de la signature de cette Entente de principe 2014 et la date de la signature de l'entente finale et qu'ils se désisteront des recours intentés dans les dossiers CSM 500-17- 050868-093, CF T-923-09, CF T-957-09,et CF T-1979-10 (dossiers« La Romaine») à la signature de l'entente finale, chaque partie payant ses frais.
9. L'entente finale comprendra également :
9.1. Une mainlevée totale et incondltionnelle de toute ordonnance d'injonction Interlocutoire et/ou permanente prononcée par la Cour supérieure dans le dossier CS Min 650-05-000083-940 (dossier Ste-Marguerite) de même qu'un désistement total et inconditionnel de toute requête pendante pour l'émission d'une ordonnance d'outrage au tribunal, le cas échéant, contre Gilbert Pilot, Jeannette Pilot, Marc Vollant, Rolland Vollant, Édouard Vollant, Bobby St Onge, Jean-Marie Fontaine, Jean-Guy Roch, Andy Canapé et la Coalition Nitassinan ainsi que tous ses membres, et toute autre personne visée par lesdites ordonnances et procédures, et ce, dans la mesure où ces derniers le souhaitent.
9.2. Une mainlevée totale et inconditionnelle de toute ordonnance d'injonction provisoire et/ou de sauvegarde prononcée par la Cour supérieure dans le dossier CSMin 650-17-000626-123 (dossier Blocus 138) de même qu'un / désistement total et inconditionnel de toute requête pendante pour l'émission d'une ordonnance d'injonction permanente contre Jonathan Grégoire, Denise Jourdain, Péchu Pilot et Dany Grégoire et toute autre personne visée par lesdites ordonnances, et ce, dans la mesure où ces derniers le souhaitent.
9.3. En ce qui concerne le dossier CSM 500-05—027983-962 (dossier « Familles traditionnelles ») :
9.3.1 Les modalités d'un règlement hors cour, chaque partie payant ses frais, comprenant des amendements retirant toute référence à Hydro-Québec, ses activités, ses ouvrages, installations et équipements dans le dossier des Familles Traditionnelles en faveur d'Hydro-Québec uniquement et d'une quittance à Hydro-Québec uniquement relativement à ses ouvrages, équipements et installations situés au Québec, à l'intérieur des limites des terres traditionnelles visées par ce litige, à l'exclusion de ceux situés sur la partie des terres traditionnel/es chevauchant le territoire couvert par ta CBJNQ.
9.3.2 Des dispositions visant les membres de la famille Mckenzie qui ne sont pas représentés par les procureurs de la Partie lnnue. (la clause Mckenzie)
9.4. En ce qui concerne le dossier CSQ 200-17-004196-036 (dossier:« Pinette A »)[45],les modalités d'un règlement hors cour, chaque partie payant ses frais, comprenant des amendements retirant toute référence à Hydro-Québec, ses activités, ses ouvrages, installations et équipements dans le dossier CSQ 200-17-004196-036 (dossier: (< Plnette A,.,) en faveur d'Hydro-Québec uniquement et d'une quittance à Hydro-Québec uniquement relativement à ses ouvrages, équipements et installations situés au Québec, à l'intérieur des limites des terres traditionnelles visées par ce litige, à l'exclusion de ceux situés sur la partie des terres traditionnelles chevauchant le territoire couvert par la CBJNQ.
10. Le plus rapidement possible après la signature de la présente Entente de principe 2014, les Parties s'engagent à demander conjointement aux tribunaux concernés une suspension des procédures dans les dossiers La Romaine et du blocus de la route 138, de façon à minimiser les frais reliés à celles-ci. Cette suspension prendra fin suivant les modalités prévues à l'article 15.
- Et, quant à la suite des choses, les parties s’entendent en ces termes :
13. Dans l'éventualité où l'Entente de principe· 2014 serait ratifiée par les lnnus de Uashat mak Mani-Utenam, Hydro-Québec prendra les dispositions nécessaires afin d'obtenir de son conseil d'administration une résolution approuvant cette Entente de principe 2014.
14. Les Parties verront, par la suite, à rédiger l'entente finale dans un délai raisonnable suivant la ratification de la présente Entente de principe 2014 par les lnnus de Uashat mak Mani-Utenam (par référendum) et par Hydro-Québec.
15. Si la présente Entente de principe 2014 est ratifiée par les lnnus de Uashat mak Mani-Utenam (par référendum), mais que les Parties ne s'entendent pas sur une entente finale en vertu de la présente Entente de principe 2014 le ou avant le 1 juin 2014 ou à toute autre date ultérieure convenue par écrit par les Parties, la présente Entente de principe 2014 n'aura pas d'effet et sera sans préjudice aux droits des Parties.
2.7.1 L’EDP n’est pas soumise au conseil d’administration
- Dès l’approbation de l’EDP par la communauté, M. Bourassa écrit à ses supérieurs en ces termes :
Les prochaines étapes sont:
Approbation de l'entente de principe par le C.A. d'HQ
Le cas échéant, rédaction/signature d'une entente finale (objectif: juin)
Une ombre au tableau:
Certaines familles traditionnelles, demanderesses dans les litiges nous opposant aux Uashaunnuat, pourraient se dissocier de cette démarche de règlement et poursuive les procédures. Si tel était le cas, il y aurait lieu de réévaluer très sérieusement l'opportunité de conclure l'entente finale.[46]
- Il semble que la décision d’HQ de ne pas présenter l’EDP au conseil d’administration est en lien à cette réserve de M. Bourassa, dont M. Vandal était d’ailleurs au courant. C’est à lui que revenait la décision de la présenter au conseil d’administration, s’il jugeait opportun de le faire, dit-il. Il estime que l’EDP est déjà compromise par l’opposition des familles dissidentes. Cependant, il ne mentionne pas comment il a concilié sa décision avec les stipulations de l’EDP qui prévoient que l’entente finale comporterait des clauses de règlement des litiges et l’insistance d’HQ que l’EDP soit soumise à un vote populaire.
- M. Bourassa dit avoir parlé à Me O’Reilly de la décision de ne pas présenter l’EDP au conseil. Il lui explique qu’il voulait avoir des conditions gagnantes et que, devant les oppositions, l’EDP n’aurait pas été approuvée par le conseil d’administration. Ses notes, d’une rencontre de négociation du 7 mai 2014, indiquent que Me O’Reilly était en accord avec son idée de ne pas aller immédiatement devant le conseil d’administration[47]. En revanche, les notes de M. Laforest et de M. Boucher, de la même réunion, ne comportent pas cette mention.
- Bien que, vu la présence des opposants, M. Vandal décide de ne pas présenter l’EDP au conseil d’administration, il n’a, cependant, qu’un aperçu très sommaire des situations des familles dissidentes. À titre d’exemple, personne ne l’informe de l’emplacement de leurs lots en rapport aux installations d’HQ.
- Pour toute décision qu’il prend en relation à l’EDP, M. Vandal se fie sur les recommandations du contentieux d’HQ, qui lui sont normalement communiquées par M. Cacchione. Pourtant, la compréhension de ce dernier de l’état du dossier est très limitée.
- M. Vandal ne se rappelle pas avoir discuté du sort de l’EDP ni avec le premier ministre, Philippe Couillard, ni avec M. Geoffrey Kelley (le ministre responsable des affaires autochtones) et pas non plus avec M. Pierre Arcand (le ministre responsable pour HQ).
- Malgré l’acceptation de l’EDP par la communauté, M. Cacchione, quant à lui, explique au Tribunal sa propre compréhension du résultat du vote par référendum. Il croyait que le vote allait à l’encontre l’EDP et c’est pour cette raison qu’elle n’a pas été soumise au conseil d’administration :
Q. Allez voir la clause 13 de l'entente de principe. Je vais vous en faire la lecture, là:
«Dans l'éventualité où l'entente de principe 2014 serait ratifiée par Les Innus de Uashat Mak Mani-Utenam...» j'arrête là.
Ça a été le cas, monsieur, ils ont ratifié par voie de référendum qui a été accueilli, c'est exact?
R. Je sais pas.
Q. Vous savez même pas?
R. Bien, moi, je pensais que cette entente-là n'a pas été approuvée, moi, par...
Q. Vous savez même pas que cette entente-là a été approuvée par voie de référendum?
R. Non. Je pensais qu'elle avait été refusée par référendum.[48]
- M. Cacchione reconnaît toutefois que pour conclure l’entente finale, il fallait d’abord que L’EDP soit soumise au conseil d’administration.
- En outre, M. Cacchione ne se souvient pas avoir reçu de rapport sur l’EDP en vertu de la directive d’HQ « Conduite des relations avec les collectivités » du 29 septembre 2013, dont l’article 5a) est rédigé en ces termes :
Art. 5. Afin de faciliter le déploiement des projets et des activités de l’entreprise sur le territoire régional, l’unité RAM et, selon l’éventualité, les unités corporatives doivent :
- fournir aux unités d’affaires des analyses et avis sur les problématiques et les enjeux dans le domaine des affaires municipales, régionales et autochtones et identifier ceux qui peuvent avoir une incidence sur les activités et projets de l’entreprise ; [49]
2.7.2 L’emphase d’HQ sur le risque posé par les familles dissidentes
- Le 4 mai 2014, M. Bourassa écrit à Mme Pelletier en ces termes :
Bonjour Louise,
Voici, de façon sommaire, l'état de situation des dossiers Uashat, tant au niveau des litiges que des négociations:
Litiges
Tous les litiges sont actuellement en suspend pour permettre à Uashat et à HQ de poursuivre leurs démarches dans le but de conclure une entente de règlement.
Advenant un échec des pourparlers, des auditions de l'injonction interlocutoire visant la Romaine, de l'injonction relative au blocus de la route 138 et des demandes de révision des autorisations fédérales pourraient se tenir dans un délai de 12 à 18 mois de la reprise des procédures.
Familles dissidentes
Les familles dissidentes sont:
o La famille représentée par Georges MacKenzie (sic): Il s'agit d'un cas à part, M. MacKenzie ayant certains problèmes personnels. Nous avions accepté, dans le passé, de régler les dossiers même en l'absence du consentement de cet individu. Ils ne sont officiellement plus représentés par Me O'Reilly.
o La famille représentée par Grégoire Jourdain: les membres de cette famille ont retiré le mandat à Grégoire Jourdain de les représenter, mais sont toujours représentés par Me O'Reilly.
o La famille représentée par Mathieu Tshernish: Les membres de cette famille se sont dissociées de l'entente de principe. Ils n'ont pas formellement retirer (sic) le mandat à Me O'Reilly de les représenter.
o La famille représentée par André Jérôme: Les membres de cette famille ont "temporairement" retiré le mandat à Me O'Reilly de les représenter.
Pour l'instant aucune autre famille ne s'est manifestée, mais il y aurait probablement un phénomène d'entraînement si nos questionnements et hésitations à s'engager dans une entente finale étaient connues.
Enjeu: dans le cadre du règlement des litiges, il faudra trouver un moyen, consensuel ou procédural, visant à s'assurer que les dossiers soient complètement réglés, suivant les paramètres qui avaient été convenus dans le passé.[50]
- Jusqu’à sa retraite, M. Cacchione insistera sur les désistements des familles dissidentes comme condition préalable à la signature d’une entente finale par HQ.
- M. Bourassa préfère désigner les familles dissidentes comme des demanderesses dans les différentes actions qui visent HQ[51]. Il estime que ces actions comportent un risque important pour HQ et en avise ses supérieurs.
- L’offre d’ITUM, de prendre fait et cause pour HQ[52] si des familles avançaient leurs demandes, ne modifie pas son évaluation du risque, bien que l’entente de 2011 comportât une telle clause[53], et qu’en relation aux négociations de 2014, M. Bourassa envisageait des discussions rapides, car :
R. Ça devait être très rapide, pourquoi? Parce que comme j’ai dit, c’était clair qu’on ne renégociait pas l’entente finale, on recommençait pas à zéro. On l’actualisait, on la rendait conforme à l’entente de principe.
Mais, tout était déjà là dans l’entente de deux mille onze (2011). La majeure partie ça aurait été du copié-collé pour en faire l’entente, pour faire l’entente finale deux mille quatorze (2014).
Donc, ça aurait été ... c’est un exercice technique, mais très simple et très rapide, parce que là, on recommençait pas à zéro sur les montants, sur les principes, sur tout ça, c’était réglé là-dedans.
Ça fait qu’on actualisait les montants, on mettait ... S’il y avait des choses obsolètes, on écartait de l’entente les éléments obsolètes et on allait de l’avant. C’était une question, ça se calculait plus en semaines qu’autrement.[54]
(Le Tribunal souligne)
- M. Bourassa explique l’inclusion de la clause d’indemnisation à l’entente de 2011. Il estime qu’il s’agit là d’une clause qui n’a pas de dents et que, vu son image publique, HQ ne l’invoquerait jamais. Il la perçoit plutôt comme une clause « marketing » pour ITUM. Il n’était pas prêt à l’inclure à l’EDP.
- À son tour, M. Cacchione prend en considération ce qu’il comprend de la situation financière des Innus de UMM. Il considère qu’ITUM n’est pas suffisamment solvable pour assumer les honoraires d’avocats d’HQ, advenant qu’un individu poursuive son action contre HQ. Il dit ceci lors de son interrogatoire hors cour :
Q Puis dans la mesure où la communauté s'engage auprès d'Hydro-Québec, à prendre fait et cause pour Hydro-Québec si tant est qu'il y a des contestations?
R Maî... Maître Bertrand, la communauté de Uashat était... était en faillite, elle l'est peut-être encore. La... la... la - ce qu'ils nous offraient, comme garantie, ne valait pas le papier sur lequel c'était écrit.[55]
- Bien que dans le cadre de son interrogatoire il dise que les informations sur la situation financière de la communauté provenaient de M. Laforest, à l’audience, il dit que des gens de son organisation ont regardé le bilan d’ITUM, sans toutefois pouvoir préciser de qui il s’agissait.
- Cependant, lors de son témoignage, M. Boucher dit que, entre 2014 et 2017, HQ n’a pas fait une évaluation de la situation financière de la bande. Il ajoute :
On n'a jamais fait une évaluation détaillée des états financiers, non, mais on voyait ce qu'il y avait dans les médias, on voyait ce que les gens nous disaient, on voyait ce que le DG nous... on entendait ce que le DG nous disait. Donc, on avait une certaine appréciation de l'état général des finances du conseil.[56]
- M. Cacchione n’a pas non plus pris en considération la réalité de l’EDP, laquelle prévoyait des paiements étalés sur 60 ans et que ces paiements, en soi, auraient fourni des sommes à ITUM, qui lui auraient permis de respecter l’offre de prendre fait et cause, le cas échéant. Il ne peut pas dire pourquoi une telle offre fut acceptée en 2011, mais catégoriquement rejetée en 2014.
- M. Fontaine est d’avis que le plan de redressement, qui régissait les finances d’ITUM, ne l’empêchait pas de s’engager à prendre fait et cause pour HQ, advenant que certaines familles poursuivent leurs actions. Selon lui, la possibilité qu’ITUM fasse faillite était inexistante. Les bandes, étant financées par le Fédéral, le gouvernement enverrait alors quelqu’un afin de reprendre le contrôle de son administration, au cas où l’une d’entre elles s’approchait de la faillite.
- Le contentieux ne considère pas la possibilité d’élargir la clause McKenzie prévue à l’EDP. M. Cacchione ne remet pas l’avis du contentieux en question et ne pose pas de questions poussées en relation au vrai risque d’un élargissement de la clause.
- En ce qui concerne la demande de Georges McKenzie[57], en 2011, M. Bourassa était initialement opposé à une clause d’exception à son égard, mais il fut cependant convaincu par ses confrères d’en inclure une, afin de faire avancer le dossier. En 2014, comme en 2011, par le biais de la clause McKenzie, les parties voulaient adresser une situation particulière. Le risque était jugé acceptable vu la situation propre à Georges McKenzie. Il n’était pas question d’élargir la clause afin qu’elle comprenne les autres familles dissidentes.
- De surcroît, M. Bourassa n’avait pas vraiment peur qu’HQ fasse face à un litige avec M. McKenzie. Il écrit ceci dans une note de service interne le 6 avril 2011 :
Si l'entente finale est signée, les litiges seront en bonne partie réglés, mais pas totalement puisque qu'il reste un individu (Georges McKenzie) qui tient mordicus [sic] à poursuivre les procédures judiciaires. Cependant, j'ai bon espoir qu'en quelques mois, nous pourrons forcer un dénouement plus rapide de ces "restants de litiges".[58]
- Expliquant son optimisme au Tribunal, M. Bourassa explique que l’EDP, tout comme l’entente de 2011, ne prévoyait aucune cession de droits ancestraux et aucune perte de droits; il estimait donc qu’une solution devant les tribunaux était envisageable pour le cas de M. McKenzie.
- Toutefois, en décidant de ne pas élargir la clause McKenzie, les situations propres aux autres familles dissidentes n’ont pas été analysées.
- M. Cacchione est informé de la dynamique en relation à Georges McKenzie, mais ne possède cependant aucune information sur les autres familles. Il payait pour éliminer le risque et tant que les désistements n’étaient pas obtenus, le risque était présent, dit-il. Curieusement, il dit apprendre la portée de la clause McKenzie, voulant que ce dernier puisse continuer son dossier et que les litiges ne soient donc pas finis, lors de la journée de son témoignage.
- Rosario Pinette se souvient que la possibilité d’élargir la clause McKenzie est proposée, sans toutefois qu’HQ ne modifie sa position. Il est un peu surpris qu’HQ ferme la porte à cette possibilité, car la position d’HQ permet à un petit groupe de personnes de faire échec à la finalisation d’une entente approuvée par la population par référendum.
- ITUM tente de faire réviser la position d’HQ en relation à l’importance qu’elle donne aux familles dissidentes. À la réunion du 7 mai 2014, ITUM communique à HQ qu’elle ne doit pas donner de droit de veto à qui que ce soit sur une entente qui a déjà été approuvée par la communauté. HQ doit plutôt respecter la volonté de cette communauté. Devant le Tribunal, M. Bourassa se dit d’accord avec ce souhait exprimé par M. Pinette[59].
- L’évaluation du risque des autres litiges pour HQ est faite en grande partie, sinon intégralement, par M. Bourassa.
- M. Bourassa estime que les coûts d’une défense pour HQ face à une demande poussée de l’avant par une ou des familles dissidentes seraient semblables à ceux pour une demande avancée par ITUM.
- En revanche, dans le rapport annuel d’HQ de 2014, la direction ne semble pas y voir un risque financier important :
Dans le cours normal de ses activités de développement et d’exploitation, Hydro-Québec est parfois partie à des réclamations et poursuites judiciaires. La Direction est d’avis qu’une provision adéquate a été constituée à l’égard de ces litiges. Par conséquent, elle ne prévoit pas d’incidence défavorable de tels passifs éventuels sur la situation financière ni sur les résultats d’exploitation consolidés d’Hydro-Québec.[60]
- M. Martel confirme que le non-règlement des litiges cités à l’EDP n’aurait pas engendré un risque financier pour HQ.
- Quant à la décision d’HQ de ne pas exiger que des litiges en lien au territoire couvert par la Convention de la Baie-James et du Nord québécois soient également réglés, M. Bourassa explique qu’HQ est impliquée dans au moins 10 autres litiges sur ce même territoire, y compris des litiges avec d’autres communautés autochtones.
- À ces mêmes rencontres, le manque d’intérêt dans le litige des familles dont les terres familiales sont situées au Labrador est soulevé.
- Les parties remettent également en question l’intérêt des individus à poursuivre leurs actions[61], vu la nature du titre ancestral. Le Tribunal en discute plus amplement plus bas.
- Néanmoins, afin de mettre fin à l’impasse, HQ propose à ITUM que les familles dissidentes participent aux négociations.
- Cependant, comme l’explique M. Therrien Pinette, ITUM n’acceptait pas que les droits de la communauté sur le territoire puissent être dictés par des membres individuels de celle-ci. Néanmoins, HQ voulait l’unanimité, sauf pour la famille de Georges McKenzie.
- ITUM exprime sa déception envers la position intransigeante d’HQ dès le 29 mai 2014, en ces termes :
Jusqu'à ce jour, les négociateurs continuaient leurs discussions et semblaient sur la bonne voie pour solutionner cette problématique. Or, voilà que ce matin, Hydro-Québec nous a signifié qu'elle ne discutait plus avec nos négociateurs tant et aussi longtemps que nous n'obtenions pas l'unanimité de l'ensemble des demandeurs dans les différentes procédures qui opposent notre communauté à Hydro-Québec.
Nous sommes profondément consternés par cette attitude puisque vous savez fort bien que l'obtention d'une unanimité se veut à toute fin pratique illusoire. Vous œuvrez dans le milieu depuis suffisamment longtemps pour comprendre que cette exigence rigide constitue une manière détournée de mettre fin aux négociations avec notre communauté alors que pour la première fois la population s'est exprimée en faveur d'une telle entente.
À ce titre, vous n'êtes pas sans ignorer les répercussions désastreuses qu'aura la décision d'Hydro-Québec au sein de la communauté.
Nous estimons que l'opposition d'environ trois (3) familles 2014 ne devrait d'aucune façon faire obstacle à la signature d'une entente finale entre notre communauté et Hydro-Québec. En effet, aucune de ces familles n'est touchée par des installations prévues dans le cadre du Projet La Romaine. En ce qui a trait aux autres procédures, seulement une de ces familles est touchée par les autres installations d'Hydro-Québec.
Or, il est vrai que ces trois familles pourraient être susceptibles de continuer seules les procédures contre Hydro-Québec mais l'Entente de principe prévoyait déjà que la famille McKenzie allait continuer les procédures entreprises contre Hydro-Québec!
Compte tenu de ce qui précède, nous estimons qu'il est indispensable que nous nous rencontrions la semaine prochaine afin de dénouer cette impasse.[62]
- Malgré cette lettre du Chef McKenzie, que M. Vandal transmet à M. Cacchione, HQ persiste dans sa posture[63]. La rencontre demandée n’a pas lieu.
- HQ maintient sa position, en dépit des propos du Chef McKenzie concernant l’emplacement des lots des familles en relation aux installations d’HQ. Selon M. Boucher et M. Bourassa, même si HQ n’avait des installations liées aux litiges mentionnés à l’EDP que sur les lots familiaux de M. Jérôme, le risque de ne pas obtenir les désistements restait réel pour elle. Dans ses discussions avec le Chef McKenzie, HQ maintient que la seule solution consiste à signer une entente où tous les litiges sont résolus.
- Mme Vollant confirme l’emplacement du territoire traditionnel de chaque famille dissidente, en relation aux lots de castors. Le lot 294 appartient à la famille de Georges McKenzie. La seule installation qu’on y retrouve est une pourvoirie. Il n’y a aucune installation d’HQ.
- André Jérôme, quant à lui, est « titulaire » de deux lots, soit les lots 273 et 281. La voie ferrée et une ligne de transmission traversent ses lots. Cependant, il est surtout préoccupé par l’existence de l’algue bleue dans les lacs de son territoire de famille et par les produits chimiques qu’HQ peut utiliser en dessous des lignes. Le Conseil de bande travaille étroitement avec lui sur cette problématique et, en fin de compte, il a été déterminé que l’algue bleue est en fait le résultat d’une ancienne latrine qui n’a pas été ôtée par une société minière.
- Malgré le fait que, sur les lots des autres familles au Québec, on ne retrouve aucune installation d’HQ et que les lots de deux des familles dissidentes sont au Labrador, HQ ne considère pas ces éléments dans son analyse du risque. Elle maintient qu’elle fait face à un risque important, vis-à-vis le refus de ces familles de se désister des litiges en cours. Personne d’HQ ne s’informe de l’emplacement des lots des familles dissidentes. Personne ne vérifie non plus s’il y a des installations d’HQ sur ces lots. Aucune vérification n’est effectuée, même après la lettre du Chef McKenzie qui informe HQ que seul M. Jérôme est affecté par des installations d’HQ.
- M. Bourassa dit avoir considéré la position communiquée par le Chef McKenzie le 29 mai 2014 dans son évaluation du risque, même si les représentants d’HQ ne savent pas où se trouvent les terres traditionnelles des familles dissidentes.
- M. Bourassa dit finalement qu’il devait considérer le risque réputationnel pour HQ dans son évaluation du risque.
- Il ne considère pas la notion de réconciliation dans son évaluation, mais estime qu’il l’a appliquée dans sa recette procédurale. La poursuite de la recette procédurale devait mener à une solution.
- Frustré de l’impasse, ITUM écrit même au premier ministre Couillard[64]. Celui-ci ne répond pas.
- Le 17 novembre 2014, par l’entremise de M. Cacchione, HQ maintient sa position.
- ITUM est surpris, mais offre d’alléger le risque que perçoit HQ, dans une lettre du Chef McKenzie adressée à M. Cacchione, le 16 décembre 2014 :
D'emblée, il est faux de prétendre que la conclusion de l'entente de principe signifiait la fin de tous les dossiers (concernés par l'entente de principe) puisque d'une part, il y avait une exclusion quant à M. George McKenzie et d'autre part, le litige Pinette continuait quant aux installations d'Hydro-Québec dans les territoires conventionnés. Fort de ce qui précède, nous estimons qu'il n'y a aucune différence pour Hydro-Québec de faire face à quelques familles plutôt qu'une seule. S'il y a poursuite des procédures par M. George McKenzie, Hydro-Québec devra faire face à la même preuve et aux mêmes arguments, que ce soit avec ou sans les autres familles en désaccord avec l'entente.
Par conséquent, en vue de démontrer toute sa bonne foi et son ouverture à la conclusion de l'entente finale, ITUM est prêt à prendre fait et cause pour Hydro- Québec advenant que les procédures se continuent entre ces familles et Hydro-Québec. D'ailleurs, dans les deux premières ententes conclues entre HQ et ITUM, ce dernier acceptait déjà de prendre fait et cause pour HQ.
Ainsi, il va de soi qu'ITUM n'agirait pas en Cour contre ces familles, mais elle assumerait, en moins prenant des sommes qui lui seraient dues par Hydro-Québec conformément à l'entente, une proportion des honoraires extrajudiciaires qu'il lui en coûterait pour se défendre. Pour illustrer ce qui précède, ITUM assumerait 50% des honoraires extrajudiciaires si seulement l'une des familles continue les procédures en sus de George McKenzie. Si toutes les autres familles poursuivent les instances judiciaires, ITUM assumerait alors le 2/3 de ces frais.[65]
- M. Therrien Pinette résume la perception d’ITUM. La position d’intransigeante d’HQ donne lieu à une perte de momentum en relation à l’acceptation du Projet par les membres de la communauté. Par un formalisme déplacé, HQ voulait bloquer la volonté de la communauté.
- M. Therrien Pinette ajoute que, depuis 2013, personne n’a ni fait avancer une demande existante ni intenté de nouvelles actions contre HQ. C’est plutôt la communauté qui veille à la protection du territoire devant les tribunaux.
- ITUM tentait également de rassurer certaines familles dissidentes en offrant de faire des études environnementales en relation aux installations d’HQ à proximité de leurs terres traditionnelles[66].
2.7.3 L’évaluation d’HQ des droits de la collectivité versus les droits individuels
- Tant M. Vandal que M. Martel et M. Cacchione expriment qu’ils se fiaient sur l’évaluation du risque présenté par le contentieux. Le dossier est piloté par M. Bourassa jusqu’à sa retraite. Qu’en est-il de son évaluation des droits des familles dissidentes?
- Dès le 7 mai 2014, selon les notes de rencontres de M. Laforest, M. Bourassa reconnaît que les droits de la collectivité ont préséance sur ceux des individus et que les familles ne peuvent pas revendiquer les droits ancestraux[67]. Voyant ces notes, pourtant produites par HQ, M. Bourassa se dit surpris et évoque la possibilité que M. Laforest se soit trompé dans sa prise de notes, ou a mal interprété ses paroles. Il dit : « que j’ai dit que les familles ne peuvent pas revendiquer les droits ancestraux, ça va à l’encontre de tout ce que je pense depuis le tout début dans ce dossier-là…[68] » Dans la même rencontre, il soulève, toutefois, un autre jugement qui aurait donné un « standing » aux familles.
- En revanche, plus tôt dans son témoignage, M. Bourassa dit qu’il doit justement revoir les notes des différentes rencontres pour l’aider à se souvenir de leurs contenus.
- De plus, son doute qu’il ait dit une telle chose ne concorde pas avec la recette procédurale qu’il a proposée à la même époque, qui est, au moins en partie, basée sur la compréhension que les droits collectifs ont préséance sur les droits des individus.
- Mais, qu’en est-il de ce standing que M. Bourassa attribue aux individus?
- Il estime surprenante l’intervention du Chef McKenzie du 29 mai 2014, qui souligne l’emplacement des lots en relation aux installations d’HQ, car les procédures d’ITUM font état des dommages causés par les installations d’HQ sur une vaste partie du territoire revendiqué par les demandeurs. Pour lui ce n’est pas farfelu qu’une famille puisse réclamer des dommages, même si son lot n’est pas affecté par une installation d’HQ :
Ce qui m’amène à dire pour ces demandeurs-là qui ne veulent pas régler leurs dossiers, que c’est pas farfelu qu’ils prétendent, même si les lignes passent pas sur leur territoire, qu’ils en subissent des conséquences, qu’ils en subissent des préjudices.[69]
- Et, en ce qui concerne ses recherches sur la question de l’intérêt des individus à poursuivre ces demandes, M. Bourassa dit ceci :
Q. Avez-vous fait une recherche jurisprudentielle, dans le cadre de votre analyse de risques? Le volet juridique de votre analyse de risques?
R. Si j’ai fait une recherche jurisprudentielle? Non.
[…]
Q. O.K. Mais dans le cadre de votre analyse de risques au niveau juridique, ce n’était pas important pour vous d’être à la fine pointe du droit des familles, de ci, de ça au niveau juridique, avant de faire une évaluation de risques?
[…]
Q. Ce n’était pas important pour vous, Monsieur Bourassa, dans la question de votre analyse de risques au niveau juridique, d’être à la fine pointe?
R. Non.[70]
- Il semble également que M. Bourassa se fiait surtout sur un jugement du juge Louis Tannenbaum prononcé en 1997. Le Tribunal discutera plus amplement de ce jugement et de l’arrêt de la Cour d’appel qui le maintient, plus loin.
- Pour M. Bourassa, ces jugements démontrent que la position de M. McKenzie et des autres familles opposantes ne devait pas être écartée du revers de la main. En revanche, questionné sur des jugements plus récents, dont Komoyue Heritage Society v. British Columbia (AG)[71], qui remet en question le raisonnement du juge Tannenbaum, M. Bourassa dit ne pas en être au courant.
- Tout ce que M. Bourassa estime qu’il devait savoir, à l’époque de son évaluation du risque, est que l’état du droit n’était pas cristallisé quant à la possibilité que les familles revendiquent des droits qui sont normalement considérés des droits collectifs. Il ne ressentait pas le besoin d’effectuer une recherche plus exhaustive sur la question.
- En revanche, lors des discussions de septembre 2008, M. Bourassa s’étonne du discours de M. Pinette qui soulève le manque de consentement des familles au projet SM-3, car HQ « a signé avec un gouvernement responsable[72]. »
- Pour ce qui est de l’entente de 2011, il réitère que l’interlocuteur d’HQ était le Conseil de bande.
- En dépit de cela, dans le cadre des discussions de 2014, comme le Tribunal a dit, il suggère que les familles demanderesses, dans les divers dossiers, fassent partie des négociations.
- M. Bourassa explique également au Tribunal qu’HQ tenait à avoir des référendums et que l’acceptation d’une entente par plus de 50% de la communauté pouvait assurer la pérennité de l’entente négociée :
[…] La position traditionnelle d’Hydro-Québec c’est que le consentement qu’on devait aller chercher, je dirais, entre guillemets, «obligatoire» était celui du Conseil de bande.
Pas obligatoire, mais juridique, le consentement juridique devait être donné par le référendum Conseil de bande qui était apte à donner ou habile à donner ce consentement-là.
Q. [128] Pour qui?
R. Pour la Communauté, au nom de la Communauté. Maintenant, on a toujours fait valoir une grande préférence pour qu’il y ait également un, non pas pour le consentement, mais pour s’assurer de la pérennité de l’entente.[73]
- Plus tard durant son témoignage, en parlant de la décision de demander un référendum sur l’EDP, il dit ceci :
Et l’idée que je voulais voir là-dedans, c’est de dire: «On va essayer de rédiger une entente de principe, courte évidemment et dans un langage accessible aussi et on va utiliser cette entente de principe-là pour les fins du référendum, de façon à ce que ce soit plus digeste pour la population de Uashat».
C’est pour ça cette transition-là ou ce transfert-là du référendum à l’entente de principe.
C’est positif.
Évidemment, on devait faire avaliser cette entente-là par le Conseil d’administration d’Hydro-Québec et se lancer dans la rédaction de l’entente finale.[74]
- Malgré tout cela, il évalue le risque pour HQ quant aux poursuites des individus comme très important, et M. Vandal ainsi que la haute direction d’HQ se fient sur cette évaluation, sans poser de questions. HQ continue à insister sur un désistement complet ainsi que sur une quittance complète des familles, dans les dossiers des familles traditionnelles et Pinette A[75].
- Plusieurs rencontres ont lieu durant le mois de mai 2014 pour tenter de passer outre l’impasse. Le contentieux d’HQ, de concert avec leurs avocats externes, travaille en vue d’une solution et une recette procédurale est proposée le 14 mai. L’idée vise à isoler les familles dissidentes par le rejet de leurs demandes[76]. La recette envisage le retrait d’HQ des dossiers en cours, tout en laissant les dossiers aller de l’avant sur les questions du titre ancestral et des droits ancestraux.
- Toutefois, HQ reste ferme dans son aspiration à obtenir les désistements des familles dissidentes.
- À partir du 26 mai 2014, il y a des discussions entre les parties, voulant qu’HQ paie immédiatement une certaine somme à ITUM en relation au Projet, quitte à finaliser le règlement des autres litiges plus tard. Les discussions sur la recette procédurale perdurent aussi, mais il n’y a pas d’entente en 2014.
- La recette est initialement communiquée par les avocats externes d’HQ, le 22 mai 2014[77], mais il y a un long délai avant que les véritables échanges aient lieu. Me Bourassa écrit à Me O’Reilly et à Me Bertrand le 13 février 2015 et propose ceci :
Hydro-Québec vous propose plutôt un processus global de règlement des litiges permettant de dénouer l'impasse et de reprendre les négociations en vue de conclure une entente finale, conformément aux intentions exprimées à l'Entente de principe de 2014.[78]
(Le Tribunal souligne)
- Cette même lettre comprend une offre aux demandeurs. Un élément de l’offre, dont le règlement immédiat de certains différends, est rédigé en ces termes :
Dans un esprit d'ouverture et animée par la volonté de rétablir des relations harmonieuses avec les demandeurs et de régler immédiatement certains différends, Hydro-Québec est disposée, et ce, malgré le statut des familles dissidentes et l'absence d'une Entente finale, à :
(i) verser six millions six cent trente mille dollars (6 630 000 $) à ITUM; et
(ii) se désister de son recours dans le dossier de la Route 138.
Le paiement de cette somme libérerait notamment Hydro-Québec de toute obligation relative au Programme de mise en valeur intégré d'Hydro-Québec. Également, ce paiement serait conditionnel au désistement par les demandeurs (sauf les demandeurs dissidents) de leur recours dans le dossier Uashat # 5CS (injonction La Romaine) et au dépôt d'une déclaration de règlement hors Cour.[79]
(Le Tribunal souligne)
- M. Bourassa reconnaît que sa lettre discutait également de la recette procédurale. Mais il y avait certains éléments de la recette sur lesquels les parties ne s’entendaient pas, dont, qui, entre ITUM et HQ, assumerait le risque si la recette ne fonctionnait pas. Il témoigne en ces termes :
Q. Et en parlant de risque, c'est... Votre recette, comment... Vous traitiez comment le risque associé à ce que ça ne fonctionne pas, la recette?
R. Si la recette ne fonctionnait pas, il n'y avait pas d'entente. Parce que la recette ici, je viens d'écarter avec le 6 630 000, je viens d'écarter les lignes Romaine. Ce qui me reste là-dedans, c'était ma considération principale dans le dossier, c'était mon entente de règlement hors cour. La recette ne s'applique que sur l'entente de règlement hors cour. Si ça ne fonctionne pas, il n'y a pas de règlement hors cour. Il n'y a pas d'entente.[80]
(Le Tribunal souligne)
- Les avocats des demandeurs répondent le 5 mars 2015 en indiquant qu’ils consentent à participer à un processus global de règlement hors cour des litiges :
Nous avons communiqué avec nos clients et nous avons reçu instructions de ces derniers, à l'exception des familles André Jérôme, Mathieu Tshernish, Michel Pinette, et feu Édouard Vollant, de consentir à participer dans un processus global de règlement hors Cour des litiges tel que généralement proposé dans votre lettre, et ce, au lieu de procéder à une conférence de règlement à l'amiable.
[…]
3. Nous déposerons une déclaration de règlement hors Cour dans le dossier 500-17-050868-093 (La Romaine - Cour supérieure – v/d Uashat #5CS) au nom des demandeurs (à l'exception des demandeurs que nous ne représenterons plus, à savoir les familles André Jérôme, Mathieu Tshernish, Michel Pinette, et feu Édouard Vollant) et ce, en contrepartie du
a. versement par Hydro-Québec de six millions six cent trente mille dollars (6 630 000 $) à ITUM avant le 31 mars 2015; et
b. désistement par Hydro-Québec de son recours dans le dossier 650-17-000626-123 (Route 138).[81]
(Le Tribunal souligne)
- Une déclaration de règlement hors cour est effectivement signée le 27 mars 2015, dans le dossier la Romaine, et est déposée au dossier de la cour. C’est en relation à la clause suivante que les parties n’ont pas la même compréhension[82] :
Dans le cadre du présent règlement hors cour, le défendeur Hydro-Québec, verse aux demandeurs la somme de six millions six cent trente mille dollars ( 6 630 000$), pour laquelle les demandeurs donnent quittance complète et finale, étant entendu que la réalisation et l’exploitation du Projet La Romaine ne saurait être source d’aucune autre indemnité que celles découlant de l’entente de principe 2014 conclue entre ITUM et Hydro-Québec (ci-après « Entente de principe 2014 »)
- En ce qui concerne M. Bourassa, il ne voulait pas que le projet la Romaine puisse rendre HQ redevable d’autres sommes. Il confirme que la somme de 6 630 000 $ fut versée en relation aux lignes de transmission pour le projet la Romaine.
- M. Boucher voit la somme de 6 630 000 $ comme un montant faisant partie de l’entente globale de principe de 75 000 000 $. Il estime que le paiement de 6 630 000 $ fut convenu dans le contexte des discussions visant la conclusion de l’entente finale :
Q. Donc, vous, là, de votre compréhension à vous, la somme de 6,63 millions à l'époque, quand elle a été versée, elle était additionnelle à quoi, cette somme-là de 6,63 millions? Elle était additionnelle à quoi?
R. Pour moi, elle était pas additionnelle. Elle fait partie du 75.
Q. Ah! Donc, vous, elle faisait partie de l'entente de principe, là, vraiment du 75 000 000?
R. Oui.[83]
- À l’honneur de M. Boucher, nous constatons qu’il n’a pas la même vision du dossier que M. Cacchione. Il estime que les discussions entre HQ et les Innus de UMM vont au-delà des intérêts commerciaux des deux parties. Il convient qu’ITUM est à la recherche d’une nouvelle relation et d’une compensation pour les torts du passé, ainsi que d’une meilleure collaboration sur le territoire. Le paiement en 2015 répondait à un besoin financier ponctuel d’ITUM, dit-il.
- Pour M. Therrien Pinette, les éléments de la discussion d’un paiement, en mars 2015, visaient les questions qu’ITUM voulait régler rapidement.
- Il en va de soi pour M. Fontaine. Il est au courant des communications entre les avocats d’ITUM et M. Bourassa. Il reconnaît que, lors des discussions de 2014, la somme de 6 630 000 $ qu’HQ doit verser est en relation au Projet.
- Les fonds, devant être versés en 2014 suivant l’EDP, auraient aidé à la bonification de certains programmes de la communauté. En revanche, M. Fontaine note qu’il ne comptabilisait jamais de fonds dans son budget tant qu’ils n’étaient pas reçus. L’échec de l’EDP est difficile pour la communauté, car elle n’a plus autant de fonds pour les programmes qu’elle voulait instaurer.
- Pour M. Cacchione, la somme de « 6 000 000 $ »[84], qui a éventuellement été versée, l’a été pour le raccordement du complexe de la Romaine, bien que cette somme soit supérieure à ce que la politique d’HQ[85] aurait permis de verser. Le versement additionnel de « 60 000 000 $ » devait servir au règlement des litiges, dit-il. L’intention initiale était d’appliquer la PMVI à ITUM[86], mais durant les discussions HQ assouplit sa position afin de permettre un paiement plus important, tout en maintenant l’esprit de la PMVI.
- M. Vandal considère le paiement de 6 630 000 $ comme un risque acceptable, surtout dans un contexte où les parties allaient poursuivre une solution procédurale pour les autres aspects du litige. Il ajoute que la somme représentait une juste valeur pour les lignes qui traversaient le territoire des Innus, mais que la question du territoire ancestral relève de la compétence gouvernementale.
- Le paiement proposé de 6 630 000 $ est soumis au conseil d’administration d’HQ. Le 27 mars 2015, le conseil adopte une résolution en ces termes :
ENTENTE DE RÈGLEMENT HORS COUR AVEC INNU TAKUAIKAN UASHAT MAK MANI-UTENAM POUR LE PROJET DE RACCORDEMENT DU COMPLEXE DE LA ROMAINE
Le président d’Hydro-Québec TransÉnergie, M. André Boulanger, présente et commente la recommandation intitulée Entente de règlement hors cour avec Innu Takuaikan Uashat Mak Mani-Utenam pour le projet de raccordement du complexe de la Romaine, versée au dossier de la présente réunion.
Il explique que plusieurs litiges opposent Hydro-Québec et les Innus d’Uashat Mak Mani-Utenam dans le cadre du projet de raccordement du Complexe de la Romaine.
Dans le but de sortir de l’impasse des discussions avec le conseil de bande depuis le printemps 2014 et de démontrer sa bonne foi, Hydro-Québec a décidé de scinder l’entente de principe en deux volets, soit le volet Transport et le volet Production. La présente entente porte donc sur le premier volet et vise à obtenir une déclaration de règlement hors cour et un désistement d’Innu Takuaikan Uashat mak Mani-Utenam (ITUM) de leur demande d’injonction visant à obtenir un arrêt des travaux de réalisation des lignes de transport et de se libérer de ses obligations résultant de l’application du Programme de mise en valeur intégrée.
Le président d’Hydro-Québec Production, M. Richard Cacchione, explique les autres litiges liés au complexe de la Romaine. Il rappelle qu’une entente relative au complexe de la Romaine a été signée en 2010 (sic) d’une valeur de 75 M$. Avec la présente entente, la communauté recevra une somme additionnelle de 6,63 M$. Il explique les différends qui règnent présentement dans cette communauté innue.
Le président-directeur général, M. Thierry Vandal, souligne l’importance de cette communauté pour les futurs projets d’Hydro-Québec puisque ses revendications portent sur le territoire incluant la rivière Caniapiscau, c’est-à-dire le site du projet hydroélectrique C-80.
Sur proposition dûment faite et appuyée, il est unanimement
RÉSOLU :
D’autoriser Hydro-Québec TransÉnergie, dans le cadre de son projet de raccordement au réseau de transport du complexe de la Romaine, à verser une somme de 6 630 000 $ à Innu Takuaikan Uashat mak Mani-Utenam (ITUM) afin d’obtenir une déclaration de règlement hors cour et un désistement d’ITUM de leur demande d’injonction visant à obtenir un arrêt des travaux de réalisation des lignes de transport et de se libérer de ses obligations résultant de l’application du Programme de mise en valeur intégrée (PMVI).[87]
- Qu’en est-il de la recette procédurale? Elle est rédigée en ces termes :
A. Dossier Uashat # 1— Familles traditionnelles (McKenzie) 500-05-027983-962
• O'Reilly et Associés et Jean-François Bertrand (« Mes O'Reilly et Bertrand ») transmettront aux Uashaunnauts n'ayant pas consenti à renoncer à leurs recours contre Hydro-Québec (« Uashaunnauts dissidents ») des avis leur indiquant qu'ils cesseront de les représenter;
• Mes O'Reilly et Bertrand continueront à représenter les Uashaunnauts ayant consenti à renoncer à leurs recours contre Hydro-Québec (les « Uashaunnauts en faveur d'un règlement »);
Dans le recours des Uashaunnuats en faveur du règlement :
Dépôt par Mes O'Reilly et Bertrand d'une déclaration amendée afin de radier toute référence à Hydro-Québec; et
Dépôt par Mes O'Reilly et Bertrand d'une déclaration de règlement hors cour visant toute réclamation des Uashaunnauts en faveur du règlement relative à Hydro-Québec (cependant, le recours des Uashaunnauts en faveur d'un règlement se poursuit à l'égard du PGC et PGQ);
• Dans le recours des Uashaunnauts dissidents :
- Dépôt d'une Requête en radiation d'allégués par le Conseil de bande et/ou le PGQ demandant au Tribunal de retirer tout allégué visant Hydro-Québec.
B. Dossier Uashat # 2 — Pinette 200-17-004196-036
• Mes O'Reilly et Bertrand transmettront aux Uashaunnauts dissidents des avis leur indiquant qu'ils cesseront de les représenter;
• Mes O'Reilly et Bertrand continueraient à représenter les Uashaunnauts en faveur d'un règlement;
• Dépôt par Mes O'Reilly et Bertrand d'une requête demandant à ce que les Uashaunnauts en faveur d'un règlement poursuivent séparément le recours intenté contre PGC, PGQ et Hydro-Québec;
• Dans le recours des Uashaunnauts en faveur d'un règlement:
Dépôt par Mes O'Reilly et Bertrand d'une Requête introductive réamendée :
• reprenant les amendements proposés le 15 décembre 2009 afin de distinguer les allégations concernant la poursuite visant la partie « Pinette A » (hors convention de la Baie James) de celles concernant la partie « Pinette B » (conventionnée); et
• retirant toute référence à Hydro-Québec et à ses ouvrages et installations concernant la partie « Pinette A» (hors convention);
Dépôt par Mes O'Reilly et Bertrand d'une Déclaration de règlement hors Cour entre les Uashaunnauts en faveur d'un règlement et Hydro-Québec concernant la partie « Pinette A » (hors convention);
• Dans le recours des Uashaunnauts dissidents:
- Dépôt d'une Requête en radiation d'allégués par le Conseil de bande et/ou le PGQ demandant au Tribunal de retirer tout allégué visant Hydro-Québec.
C. Dossier Uashat # 5CF — La Romaine (selon les règles applicables de la Cour fédérale) T-923-09, T-957-09 et T-1979-10
• Mes O'Reilly et Bertrand transmettront aux Uashaunnauts dissidents des avis leur indiquant qu'ils cesseront de les représenter;
• Mes O'Reilly et Bertrand continueraient à représenter les Uashaunnauts en faveur d'un règlement;
• Dépôt par Mes O'Reilly et Bertrand d'un désistement du recours en ce qui concerne les Uashaunnauts en faveur d'un règlement;
• Dépôt d'une Requête en irrecevabilité par le Conseil de bande et/ou les procureurs généraux demandant le rejet du recours à l'égard des Uashaunnuats dissidents.
D. Dossier Uashat # 5CS — La Romaine 500-17-050868-093
• Suite au désistement et à la Déclaration de règlement hors Cour fournis en contrepartie du versement de six millions six cent trente mille dollars (6 630 000 $), Mes O'Reilly et Bertrand transmettront aux Uashaunnuats dissidents des avis leur indiquant qu'ils cesseront de les représenter;
• Dépôt d'une Requête en irrecevabilité par le Conseil de bande et/ou le PGQ demandant le rejet de la Requête introductive à l'égard des Uashaunnauts dissidents.
À l'issu du règlement des litiges, les parties poursuivront les négociations requises en vue d'une Entente finale, conformément aux intentions exprimées à l'Entente de principe de 2014.[88]
- Informé de la recette procédurale, M. Cacchione ne veut pas qu’HQ la gère. Pour lui, cela revenait à ITUM. Pourtant, dans sa lettre du 5 mars 2015, Me O’Reilly indique clairement que son étude ne pourrait pas agir dans les demandes en rejet contre les familles pour des considérations déontologiques[89].
- Selon M. Bourassa, M. Cacchione avait une vision strictement monétaire du dossier et, à sa décharge, M. Bourassa n’était pas confortable avec cette approche et a dû aller plus haut que M. Cacchione pour faire approuver l’application de la recette.
- M. Bourassa était relativement confiant des chances de succès de la recette dans le dossier la Romaine, mais l’était moins pour les autres dossiers, vu les sommes en jeu.
- Pour comprendre l’intention des parties en 2015 ainsi que leur compréhension de la recette procédurale, il sera utile de regarder le projet d’entente que M. Bourassa prépare en début 2017. Il est communiqué par M. Laforest en février 2017[90], mais ne sera pas signé. Le Tribunal en discute plus loin.
- Quant aux agissements du Québec après 2011, la preuve reste plutôt vague, vu le temps qui s’est écoulé, à l’exception de la participation du PGQ dans les discussions sur le règlement hors cour du dossier la Romaine. Bien entendu, le Québec était très impliqué dans la demande en rejet que le Tribunal a entendue en fin 2015.
- M. Boucher est souvent en communication avec le Secrétariat aux affaires autochtones, où son principal contact est Patrick Brunelle, bien qu’il rencontre souvent Mme Thomas.
- Maître O’Reilly et Maître Marie-Josée Thomas, du Secrétariat aux affaires autochtones, ont des discussions, mais Mme Thomas a de la difficulté à se souvenir de leurs contenus précis et de leurs dates .
- Mme Pelletier confirme avoir discuté du dossier avec Mme Thomas. Toutefois, puisque Mme Pelletier n’a pas le mandat d’assouplir la position d’HQ, Mme Thomas lui dit qu’elle contactera M. Cacchione. Ce dernier reconnaît avoir parlé à Mme Thomas entre 2014 à 2017, car HQ voulait trouver une entente.
- M. Cacchione ne se souvient pas de toutes les conversations qu’il aurait eu avec Mme Thomas. Il se rappelle, toutefois très bien, de celle en rapport avec l’EDP. Quand Mme Thomas lui demande s’il y a une façon de la finaliser, il lui indique qu’il ne versera pas les 60 000 000 $ si la contrepartie (le règlement des litiges) n’est pas incluse. Il ajoute que le Québec peut payer la somme à l’ITUM s’il le veut. Il explique au Tribunal que la relation entre HQ et ITUM est commerciale. Il comprend également que la préoccupation d’ITUM est l’argent.
- Mme Thomas confirme la teneur de cette conversation. M. Cacchione disait qu’HQ n’avait pas l’intention de payer, mais que le gouvernement pouvait payer s’il voulait un règlement.
- Après cette conversation, il semble que le Québec a été peu impliqué dans le dossier.
- Le Canada était peu présent dans le dossier, à l’exception des discussions qui ont donné lieu à l’entente de règlement hors cour du dossier la Romaine. Bien qu’il appuie la recette procédurale, il n’a pas joué un rôle actif dans sa mise en application.
- Il est important de s’attarder sur la situation dans la communauté à partir de fin de 2014, car elle a eu un impact sur le déroulement des discussions avec HQ. De surcroît, la preuve démontre qu’HQ est largement au courant des défis au sein de la communauté à l’époque, mais ne modifie pas pour autant sa stratégie de négociation pour en tenir compte.
- La période du référendum de 2014 cause des divisions au sein de la communauté. M. Therrien Pinette a l’impression de revivre la même situation qui s’est produite en 2011, où il n’a même pas voté, vu le climat de l’époque.
- Cliff Ressources ferme sa mine de fer en 2015, à la suite d’une baisse dans le prix du fer. La fermeture donne lieu à un ébranlement dans la communauté et à la perte d’emploi de plusieurs de ses membres. Heureusement, les activités de Cliff Ressources reprennent plus tard alors qu’une nouvelle société en achète les actifs. Cependant, la fermeture a un effet sur les prévisions budgétaires 2015-2016 d’ITUM. Il y a une certaine tension dans la communauté; une incertitude sur le plan économique.
- Malheureusement, il y a également certains incidents de violence contre des femmes de la communauté, de même qu’une vague de suicides, jusqu’au point où une enquête du coroner est entamée.
- Le Chef McKenzie fait face à des accusations d’agression sexuelles, portées contre lui en juin 2016, pour n’être acquitté qu’en janvier 2018. Il doit se retirer temporairement de ses fonctions pour être remplacé par la vice-chef Virginie Michel.
- Mme Michel et M. Therrien Pinette décident de mettre l’emphase sur un programme d’éducation pour la communauté, notamment pour informer les membres des concepts du droit ancestral et du titre ancestral. Les discussions avec HQ sont mises sur la glace pendant la durée de cette période éducative.
- Bien que M. Boucher ne soit pas initialement au courant de ce tournant au sein de la communauté, M. Therrien Pinette l’en informe et lui en parle lors de leurs entretiens. M. Boucher fait rapport à M. Cacchione le 18 août 2017, en partie en ces termes :
Entente de principe 2014 :
Le Conseil ne désire pas signer l’entente en ce moment pour ne pas alimenter les chicanes et les conflits dans la communauté. Nous avons offert d’échanger des lettres confirmant que l’Entente de principe n’est plus valide mais le Conseil refuse en raison du referendum. Nous avons mentionné que ce flou ne pourrait pas durer éternellement. Les représentants d’ITUM nous ont mentionné mettre en place un programme « d’éducation communautaire » dans les prochaines semaines et qu’ils auraient une position à l’automne.
[…]
3e groupe SM-3 :
ITUM a pris connaissance de notre projet de texte et auront des commentaires. La discussion a vite dérapé vers des demandes relatives à une entente de Nation à Nation, les dommages du passé, la situation difficile dans la communauté et autres sujets connexes. La protection de la Moisie est encore un incontournable. Nous ferons une proposition financière durant la semaine du 28 août.
Nous voyons peu d’engagement du Conseil vers un règlement. Nous maintenons toutefois la pression sur nos interlocuteurs pour faire avancer les discussions. Nous croyons que les chances d’en venir à une entente d’ici la fin de l’année sont très minces, voire inexistante. Si nous désirons démarrer l’avant-projet cet automne, nous croyons que nous devrions proposer une « entente administrative » ou un « contrat de service » avec le Conseil pour impliquer les innus aux activités d’avant-projet. Une telle entente serait beaucoup moins engageante pour le Conseil.
À titre d’information, les prochains mois seront difficiles avec Uashat. Le chef quittera ses fonctions temporairement le temps de son procès et les deux commissions d’enquêtes en cours (policiers et femmes disparues) seront de passage dans la communauté cet automne.[91]
- M. Therrien Pinette confirme qu’ITUM veut promouvoir la protection du territoire, notamment du bassin de la rivière Moisie.
- Quant au développement économique, le Conseil de bande est à la recherche de partenariats. Il désire promouvoir des opportunités pour les membres de la communauté.
- Malgré la situation difficile au sein de la communauté, M. Laforest communique un projet d’entente finale, préparé par M. Bourassa le 16 février 2017[92], geste que M. Therrien Pinette juge un peu indécent. Le Tribunal y reviendra.
- Au début de 2015, M. Vandal prépare son départ et n’est pas vraiment impliqué dans le dossier ITUM. Il sera remplacé par M. Martel.
- Ce dernier est au courant de l’existence de l’EDP, mais n’en connaît pas les détails. M. Cacchione a pleine autorité, dit-il, et ce, jusqu’au point où M. Martel ne soit même pas au courant des raisons de l’impasse dans le dossier. M. Martel n’a des discussions que sommaires avec M. Cacchione, qui lui dit tout simplement que le dossier n’avance pas.
- M. Martel ne connaît même pas le détail des litiges qu’HQ voulait régler!
- Qui plus est, durant son mandat, M. Martel ne discute de la revendication des Innus de UMM avec aucun représentant du gouvernement du Québec.
- Bien qu’à la suite de l’EDP, aucune entente finale ne soit finalisée, HQ désire aller de l’avant avec d’autres projets sur le territoire traditionnel des Innus de UMM, dont une centrale de cogénération de la biomasse, la ligne Arnaud-Alouette, la possibilité d’un projet éolien sur le territoire et une troisième turbine pour le projet SM-3[93]. Des rencontres ont lieu à l’automne 2016. Les discussions traitent d’une entente finale, mais également des autres dossiers qu’HQ désire discuter avec ITUM.
- Le 28 octobre 2016, M. Cacchione écrit au Chef McKenzie et lui fait part de son désir de conclure une entente finale, mais également de discuter d’autres projets, dont Arnaud-Alouette et le projet SM-3[94].
- En 2018 HQ est toujours très préoccupée par le projet SM-3 :
Je te rappelle que nous tentons depuis le début de l’année 2018 d’organiser une rencontre pour poursuivre les discussions avec ITUM en rapport notamment avec le projet de 3e groupe à SM-3.[95]
- Un document fourni au Tribunal en rapport au projet SM-3 ne comporte pas de date, mais semble donner suite à un courriel du Chef McKenzie à M. Laforest :
Kuei Richard,
Nous sommes évidemment sous le choc et consternés d’avoir reçu hier l’Avis de projet concernant l’ajout d’une troisième turbine SM-3. Nous vous rappelons que non seulement nous n’avons pas consenti à ce projet, mais qu’HQ s’était engagée lors de nos discussions préliminaires d’obtenir notre consentement avant de lancer la phase d’avant-projet. Or maintenant, nous faisons malheureusement face à un fait accompli.[96]
- M. Fontaine participe à des discussions avec HQ, en 2015 et 2016, sur les autres projets soulevés dans la lettre de M. Cacchione. Le projet éolien est particulier, car il regroupe neuf communautés de la grande Nation innue. M. Fontaine fait également le suivi sur certains aspects de l’entente en relation avec SM-3, où HQ devait contribuer à certaines activités culturelles de la communauté.
- M. Therrien Pinette reste également toujours impliqué.
- Quant à l’EDP, à la suite du paiement de 6,63 millions en 2015, sa finalisation est essentiellement à la remorque de la recette procédurale.
- Pour M. Boucher, la poursuite des discussions vers une entente finale dépend du succès de la recette procédurale. Il perçoit la lettre de Me O’Reilly, du 5 mars 2015[97], comme une contre-proposition à celle d’HQ, mais estime que le dossier la Romaine fut réglé, par ce qu’il décrit comme étant une discussion entre avocats.
- M. Boucher est cependant d’avis que les parties n’ont pas procédé avec la recette procédurale, hormis le dossier la Romaine.
- Pour ce qui est du dossier la Romaine, une demande en rejet des actions intentées par les familles traditionnelles contestant le Projet est produite par le PGQ au mois d’octobre 2015[98].
- Le 23 février 2016, le Tribunal accueille la demande en rejet en ces termes :
[45] L'arrêt de la Cour Suprême dans Nation Tsilhqot'in c. Colombie-Britannique est aussi utile à considérer, car la Cour reconnaît que le titre ancestral est un titre collectif. Il s'ensuit que les intérêts de la bande doivent normalement prendre préséance sur les intérêts des individus dissidents.
[88] En résumé, le titre ancestral confère au groupe qui le détient le droit exclusif de déterminer l'utilisation qu'il est fait des terres et le droit de bénéficier des avantages que procure cette utilisation, sous réserve d'une seule exception, soit que les utilisations respectent sa nature collective et préservent la jouissance des terres pour les générations futures. Lorsque le gouvernement porte atteinte au titre ancestral sans le consentement du groupe titulaire du titre, il doit le faire en respectant l'obligation procédurale de la Couronne de consulter le groupe.
[46] De tout cela, le Tribunal conclut que de permettre aux familles dissidentes de faire échec à l'entente négociée par les lnnus de UM en continuant la requête introductive d'instance contre le projet La Romaine serait abusif et contre les intérêts de la justice.
[59] REJETTE le recours Les Uashaunnuat et al. c. le Procureur général du Québec et al. : 500-17-050868-093 à l'égard des demandeurs les chefs de familles, les familles, et les membres des familles de feue Philomène McKenzie, d'André Jérôme, de feu Édouard Vollant et de Michel Pinette;[99]
- M. Boucher voit et lit le jugement. Il croit le dossier la Romaine réglé, mais estime que les trois familles, toujours dissidentes, peuvent encore s’opposer à l’EDP. D’après son souvenir, ce jugement n’est partagé ni avec M. Cacchione ni avec M. Martel.
- M. Cacchione explique sa compréhension à l’effet qu’ITUM n’ait pas donné suite à la recette procédurale que le contentieux d’HQ a mise en place. Il croyait que l’option d’obtenir un jugement contre les trois familles était tombée à l’eau.
- M. Boucher dit qu’ITUM voulait finaliser l’EDP avant de continuer avec la recette procédurale. Effectivement, dans sa lettre du 5 mars 2015, Me O’Reilly avait stipulé que certaines autres étapes de la recette procédurale seraient conditionnelles à la signature d’une entente finale[100].
- M. Laforest comprend que l’approche procédurale utilisée dans le dossier la Romaine pouvait servir à d’autres dossiers.
- Le 15 août 2016, M. Boucher écrit à M. Fontaine afin de mettre en place une table de négociation. Un des buts visés par la reprise des négociations est la : « Finalisation de l’entente de 2014 en fonction des développements à la Cour d’appel[101]. » Le jugement du 23 février avait été porté en appel par certaines familles, mais s’en sont, toutefois, désistées.
- Vers la fin de 2016, le Chef McKenzie, s’étant retiré de ses fonctions durant son procès criminel, ITUM se dit alors disposé à poursuivre les discussions, mais sans la présence des avocats[102].
- Une rencontre a lieu le 7 novembre 2016, où la possibilité d’une entente finale est abordée. HQ maintient sa position quant aux désistements des familles dans les autres dossiers impliquant HQ et ITUM :
Hydro-Québec a réitéré que l’Entente finale doit permettre à Hydro-Québec d’obtenir un désistement complet et une quittance des familles dans les dossiers McKenzie et Pinette A. Hydro-Québec est confiant qu’un juge écartera les deux familles dissidentes comme ce fut le cas pour le projet Romaine à l’automne 2015, si toutes les autres familles impliquées et ITUM acceptent d’abandonner les recours contre Hydro-Québec dans les dossiers McKenzie et Pinette.[103]
(Le Tribunal souligne)
- La possibilité de communiquer un nouveau projet d’entente est discutée le 15 décembre 2016, et un nouveau projet est communiqué le 16 février 2017[104] par M. Laforest. Vu la situation dans la communauté M. Therrien Pinette, n’apprécie pas qu’un projet d’entente soit transmis à ce moment là.
- HQ continue à exiger le désistement des familles dissidentes dans les autres dossiers litigieux.
- Néanmoins, les discussions se poursuivent en 2017, mais englobent plusieurs éléments, dont la ligne Arnaud-Alouette et le 3e groupe SM-3. À la suite de son envoi du projet d’entente, M. Laforest, discute du contenu avec Me Ken Rock, qui travaille pour ITUM, ainsi qu’avec M. Antoine Grégoire, membre du Conseil de bande. Tous deux estiment que cette nouvelle proposition d’HQ n’offre que très peu pour le développement économique de la communauté.
- Le 18 août 2017, M. Boucher rapporte à ses supérieurs qu’il ne voit que peu de chance de conclure une entente finale et les informe des difficultés au sein de la communauté. Il indique qu’ITUM: « ne désire pas signer l’entente en ce moment pour ne pas alimenter les chicanes et les conflits dans la communauté [105]. » Les discussions ne progressent pas.
- Durant cette période, au moins une autre étape de la recette procédurale est accomplie. Me O’Reilly et Me Bertrand cessent de représenter les familles opposantes.
- Cependant, d’autres phases ne sont pas poursuivies. Les parties ne s’entendent ni sur qui doit les accomplir ni sur quelle étape devrait être la prochaine à être complétée, comme disait M. Boucher devant le Tribunal.
- Un élément important de la mésentente se situe au niveau du retrait des références visant HQ dans les dossiers de Pinette A et des familles traditionnelles. Cela n’est pas fait et M. Bourassa estime qu’ITUM doit effectuer cette démarche. En revanche, comme le Tribunal vient de le dire, pour les Innus d’UMM, les modifications à ces procédures étaient conditionnelles à la conclusion d’une entente finale basée sur l’EDP[106].
- Des courriels entre le Chef McKenzie et M. Laforest sont échangés en avril 2018. Le Chef invite HQ à être de bonne foi avec ITUM. M. Laforest ne comprend pas en quoi HQ manifeste de la mauvaise foi[107].
- Vers la même période, les avocats d’ITUM informent le Tribunal de leur intention de réactiver le dossier la Romaine[108]. Une audience est fixée pour le mois de novembre 2018, mais le 26 septembre 2018[109], ITUM en demande le report. Un des objectifs du report est la reprise des discussions avec HQ. La nouvelle avocate interne chez HQ, Me Stephanie Lisa Roberts, écrit aux avocats d’ITUM en ces termes :
Pour les fins de l’obtention d’instructions claires de la part de mes commettants, pourrais-tu me formuler exactement ce que tu recherches comme engagement de la part d’HQ dans le contexte de l’avis de gestion et des démarches que vous avez entreprises auprès des familles.
En effet, après discussions avec Mathieu, nous voulons être bien certains de faire monter les bonnes informations dans notre ligne hiérarchique.[110]
- Maître Bertrand lui répond le même jour :
Pour les fins de l'obtention d'instructions de la part de vos commettants, nous vous rappelons que présentement, il n'y a qu'une ou deux familles demanderesses dans la cause McKenzie qui n'ont pas participé à la Déclaration de règlement hors cour et désistement dans le dossier la Romaine. De plus, malgré que la cause McKenzie demeure, en principe, intacte, il n'y a eu aucun avancement dans ce dossier depuis plusieurs années.
Je peux vous confirmer, et ceci est sans préjudice pour la suite de nos discussions, que plusieurs familles affectées par les installations d'HQ sur leurs territoires demeurent déçues de l'absence d'une entente finale et comprennent difficilement comment une ou deux familles peuvent y empêcher sa conclusion. Nous croyons donc que la seule solution pour régler l'impasse entre ITUM et HQ est que ce dernier d’une part assouplisse, une fois pour toute, sa position à l’égard des familles traditionnelles opposées à l'Entente de principe 2014 et accepte d’autre part de bonifier l’entente 2014.
Si HQ assouplit sa position vis-à-vis les familles dissidentes et accepte de négocier une bonification des montants prévus à l'Entente de principe 2014, qui date maintenant de presque cinq ans, nous croyons qu'il y a moyen de se rendre à une juste conclusion pour toutes les parties prenantes.[111]
- HQ n’assouplit pas sa position. En fait, jusqu’au départ de M. Cacchione en 2018, HQ la maintient et insiste pour que tous les litiges soient réglés.
- Cependant, HQ n’assume aucun rôle actif dans la gestion de la recette procédurale. Personne n’informe M. Cacchione que Georges McKenzie n’a pas poursuivi ses procédures, malgré son opposition à l’EDP. Nous pouvons présumer qu’il n’était pas au courant que les familles dissidentes avaient abandonné leur appel du jugement de février 2016, car il ne l’avait pas vu.
- HQ s’est dotée de plusieurs politiques en matière autochtone, mais la connaissance de celles-ci par les personnes qui devaient les appliquer est mitigée.
- Certains témoins d’HQ ont témoigné sur leur connaissance du concept de l’honneur de la Couronne, mais à l’époque des faits en litige, leur connaissance était limitée. M. Boucher ne conseille pas aux membres de son équipe de l’appliquer dans leur travail auprès des autochtones.
- Il est familier avec la politique sur le rôle social d’HQ[112], mais ne l’a pas consultée souvent. Son équipe appliquait les principes de la politique dans leur quotidien, dit-il.
- La décision d’HQ, de ne pas présenter l’EDP au conseil d’administration, n’est pas perçue par M. Boucher comme un défaut de respecter la politique d’HQ sur son rôle social, politique sur laquelle le Tribunal reviendra et qui exprime l’objectif d’HQ en ces termes :
La présente politique constitue l'engagement d'Hydro-Québec en regard de son rôle social dans une perspective de développement durable. Hydro-Québec se définit comme une entreprise citoyenne et responsable, soucieuse d'apporter sa contribution à l'essor économique, social et culturel de la société dans laquelle elle exerce ses activités.[113]
- Quant à la directive « Conduite des relations avec les collectivités[114] », M. Boucher l’a lue et l’a commentée avant son adoption.
- Curieusement, questionné sur les politiques, M. Cacchione répond qu’HQ n’avait pas de politiques ou de mesures concrètes concernant ses relations avec les autochtones, car celles-ci étaient harmonieuses, y compris celles avec les Innus de Uashat, dit-il. Il n’y avait pas de réconciliation à faire avec eux :
[…] Moi, ma question: est-ce que vous avez pris des mesures concrètes soit par l'adoption de politiques au sein de la division que vous dirigiez, soit par l'adoption de directives ou peu importe. Avez-vous pris des mesures concrètes pour améliorer les relations avec les autochtones?
R. Concrètement, non, parce qu'on avait des relations harmonieuses et puis on voulait les maintenir. Donc, on faisait des ajustements dans le quotidien mais on a pas établi de politique de procédures, il y avait une politique et il y avait une orientation de garder des bonnes relations avec toutes les communautés et avec celle de Uashat en particulier.
Q. Quand vous êtes arrivé en 2005, est-ce que les relations étaient bonnes avec la communauté de Uashat?
R. Je vous dirais oui.
[…]
Q. Non, votre réponse m'éclaire. Est-ce que vous au fait de ce que constitue la réconciliation?
R. Oui.
Q. C'est quoi, pour vous, la réconciliation?
R. Ça, c'est entre les autochtones et les nonautochtones, c'est se réconcilier. S'il y a eu des chicanes, on va essayer de rétablir les liens.
Q. Avez-vous essayé de rétablir les liens avec la communauté de Uashat?
R. On avait pas de conflit, maître. Il y avait eu des conflits historiques qui étaient en cours et on avait des relations harmonieuses avec les membres de la communauté et puis on avait des gens dans la communauté qui nous le confirmait à chaque fois. Donc, il y avait pas de résolution de conflit à faire autre qu'un conflit juridique sur une cause qui datait de bien longtemps.[115]
- Toutefois, M. Cacchione n’a jamais pris connaissance de l’étendue de la revendication territoriale des Innus de UMM.
- Lorsqu’on lui montre la politique « Notre rôle social », il avoue ne pas avoir été consulté sur son contenu, car établir les politiques pour l’organisation n’était pas de son ressort. M. Cacchione n’a pas un souvenir très poussé de la politique en question. De toute manière, pour lui, elle ne devait pas modifier le comportement d’HQ quant à son rôle social envers les autochtones :
Q. Alors, vous, quand vous prenez connaissance de ça, monsieur Cacchione, en 2013, vous trouvez que c'est une politique qui est suffisante pour les relations avec les autochtones, en tant que directeur?
R. Je vous ai pas dit ça.
Q. Je vous pose la question?
R. Non, non. J'ai pris connaissance de cette politique-là et j'ai continué à exploiter mon opération comme on le faisait avant. Il y a rien là-dedans qui changeait la gestion qu'on devait faire de nos relations avec les autochtones.
LA COUR:
Si vous me permettez, excusez-moi, maître Bertrand.
Q. Mais à la lumière de cette politique-là, à votre connaissance, si je comprends bien, votre réponse, ça changeait pas votre façon de...
R. Absolument pas, absolument pas.
Q. ... d'agir dans les dossiers impliquant les autochtones?
R. Pas du tout. Vous avez raison, Votre Honneur.[116]
(Le Tribunal souligne)
- Ce n’est qu’en 2017 qu’HQ crée un poste de Directeur de relations avec les autochtones, celui comblé par Daniel Lauzon.
- Pour ce qui est de M. Vandal, ayant déjà été impliqué dans les négociations avec les Cris, avant qu’il ne devienne PDG, il a une certaine connaissance des principes des relations avec les autochtones.
- Au niveau de la politique sur le rôle social et de la directive sur la conduite des relations avec les collectivités, sa connaissance n’est toutefois que sommaire :
Q. [267] Est-ce que vous le reconnaissez?
R. Bien, c’est-à-dire que je suis capable de lire qu’il y en a une que c’est une politique et l’autre que c’est une directive. Le libellé exact ça remonte à deux mille treize (2013) dans un cas ... dans les deux cas, alors. Puis, le Répertoire des politiques et directives c’est pas quelque chose que je lisais à tous les jours. Alors, ce sont des encadrements ...
Q. [268] Oui.
R. Ce sont des encadrements assez larges, puis c’est, disons que c’est ... On dit à l’organisation: «Voici le cadre ... la façon qu’on souhaite opérer» dans un cadre qui est très-très large. C’est pas spécifique. Ça se veut suffisamment large pour qu’on puisse naviguer à l’intérieur de ce cadre-là. Donc, c’est pas une formule. Il faut pas voir ça ici comme une recette. C’est pas un carcan, c’est pas ...[117]
- Quant à M. Martel, il avoue que sa connaissance des droits et des cultures autochtones était très limitée avant d’arriver chez HQ. Il a une connaissance très générale des politiques qui existaient chez HQ concernant les relations avec les autochtones. Toutefois, il ne connaît pas les politiques qui étaient en place en 2014 et avant.
- En 2019, M. Martel veut que les souhaits et pratiques d’HQ en matière de relations avec les autochtones fassent partie d’une politique. HQ en adopte une : « Nos relations avec les autochtones. »[118] Pour M. Martel, elle reprend les pratiques déjà en vigueur chez HQ, depuis de nombreuses années.
- Voici certains énoncés de la politique :
- Introduction
La présente politique constitue les engagements d’Hydro-Québec en matière de relations avec les autochtones. Elle présente les orientations adoptées par l’entreprise, qui guident ses relations avec les autochtones et les services qui leurs sont offerts.
2. Principes généraux
Hydro-Québec est soucieuse de l’acceptabilité de ses activités au sein des milieux autochtones. Elle reconnaît qu’une approche adaptée aux caractéristiques culturelles et aux structures de gouvernance autochtones est nécessaire. Elle mise sur l’établissement et le maintien de relations fondées sur le respect mutuel, le partenariat et une participation réelle des autochtones. En conséquence,
Implication des autochtones
pour favoriser l’acceptabilité et l’intégration de ses projets et de ses activités au sein du milieu autochtone, Hydro-Québec s’engage à :
informer et impliquer les communautés autochtones à toutes les étapes du cycle de vie de ses projets (planification, conception, réalisation et exploitation) afin de s’assurer que leurs attentes et préoccupations soient prises en compte ;
recourir à un processus de consultation et de participation du public adapté et qui tient compte des spécificités sociales, culturelles, politiques des communautés autochtones et du savoir autochtone ;
favoriser les retombées économiques des communautés autochtones en encourageant la participation des entreprises autochtones aux activités de l’entreprise ;
favoriser, au besoin, la mise en place de mesures visant à s’assurer du soutien des communautés autochtones à l’égard de ses projets et activités.
Esprit de collaboration
pour favoriser la progression et le maintien de ses relations avec les autochtones, Hydro-Québec s’engage à :
contribuer à l'essor économique, social et culturel des peuples autochtones de façon distincte et respectueuse de leur identité dans le cadre de ses projets et activités d’exploitation;
[…]
s’assurer que ses décisions d’affaires prennent en considération les droits et revendications, les intérêts, la culture, le mode de vie et la gouvernance autochtone ;
[…]
3. Reddition de comptes
imputabilité
Chaque gestionnaire est responsable de faire appliquer les principes généraux contenus dans la présente politique et d’en rendre compte dans sa ligne hiérarchique.[119]
(Le Tribunal souligne)
- À un très haut niveau, M. Martel est au courant du concept du titre ancestral. Pour lui, c’est au gouvernement qu’il revient de gérer ces droits et à HQ d’en gérer les projets.
- En 1996, Philomène McKenzie et son fils Georges McKenzie intentent une action contre le PGQ et le PGC, soit le dossier des familles traditionnelles. Ils veulent obtenir une déclaration stipulant qu’ils détiennent un titre indien non éteint et des droits ancestraux sur leurs terres traditionnelles[120]. Ils sont préoccupés par un projet minier sur leur territoire de famille.
- Le Conseil de bande de la Nation INNUE (Montagnais) produit une demande d’intervention et le PGQ fait une demande en rejet soulevant les articles 165 (3), 55 et 59 C.p.c., alléguant que Mme McKenzie et son fils n'ont ni l'intérêt ni la capacité légale pour intenter l'action en question.
- Le 2 juin 1997, le juge Tannenbaum décide de la demande du Conseil de bande en ces termes :
la réception de l'intervention est refusée avec dépens et sans préjudice aux droits de l'intervenant de formuler une demande d'intervention selon la loi.[121]
- Il note que le Conseil de bande voulait essentiellement la suspension des procédures et ajoute :
Les demandeurs contestent la demande d'intervention non pas parce qu'ils veulent exclure I‘intervenant du débat, mais parce que l'intervenant demande la suspension (de mettre en limbe le débat) parce qu'il veut négocier un règlement avec les défendeurs.
[…]
Bien que les allégations de la demande d'intervention démontrent que l'intervenant possède un intérêt afin d'intervenir, la demande ne sera pas reçue puisque, à l'avis du tribunal, la seule conclusion formulée par la demande, à savoir « la suspension des procédures principales » n'a aucun fondement juridique. L'intervenant, une tierce personne, ne demande pas d'intervenir, soit pour autoriser, ni assister, ni pour représenter les demandeurs, mais simplement pour demander la suspension de l'action intentée par les demandeurs.[122]
- La même journée, il rejette la demande en rejet du PGQ. Le juge dit ceci :
Le tribunal ne comprend pas du tout la position prise par le Procureur général du Québec lorsqu'il dit que les demandeurs, qui sont indiens, autochtones et membres d'une première nation, n'ont pas le droit de réclamer personnellement un titre indien, ainsi que des droits ancestraux.[123]
- L’appel du Conseil de bande est rejeté le 29 avril 1998[124], la demande du PGQ, en permission d’en appeler du jugement rejetant sa demande en rejet, ayant été rejetée auparavant. La Cour émettait une réserve quant aux droits de Mme McKenzie et de son fils George :
Sous toutes ces réserves et nuances, les intimés McKenzie possèdent ce droit fondamental de plaider et d'être entendus, et c'est ce dont l'ordonnance demandée les priverait. Ajoutons qu'on n'a pas remis en cause complètement leur qualité pour prendre la procédure judiciaire demandée, bien qu'on puisse s'interroger quant à leur intérêt à l'égard des droits collectifs proprement dits. Leurs droits ancestraux ne se résument toutefois pas à la seule dimension collective, comme il ressort de l'arrêt Delgamuuvkw c. Colombie-Britannique, 1997 CanLII 302 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 1010, mais ils pourraient avoir des aspects individuels, qui peuvent être réclamés par des individus (voir loc. cit, pp. 1093 à 1095; aussi, R. c. Adams, 1996 CanLII 169 (CSC), [1996] 3 R.C.S. 101, p. 119). Par ailleurs, le recours des intimés repose aussi sur la législation d'application générale, notamment celle qui a trait à l'environnement.[125]
(Le Tribunal souligne)
- Le 28 mai 2007, d’autres familles s’ajoutent à titre de demanderesses et réclament à leurs tours un titre indien non éteint et des droits ancestraux sur leurs terres traditionnelles[126].
- Le 16 avril 2008, HQ intervient au dossier[127].
- Le 15 décembre 2009, La Bande innue Takuaikan Uashat Mak Mani-Utenam et l’ancien chef, Rosario Pinette, déposent une intervention volontaire à titre conservatoire[128]. Ils estiment qu’il y a des conclusions communes dans ce dossier et celui portant le numéro 200-17-004196-036 (le dossier Pinette A)[129].
- Il n’est pas sans intérêt de considérer les conclusions de ces demandes. Dans le dossier des familles traditionnelles, la plupart visent la reconnaissance du titre ancestral et des droits ancestraux. Les demandeurs estiment que tout projet, y compris des projets hydroélectriques, requiert leur consentement. Il n’y a pas de conclusion monétaire contre HQ.
- En revanche, dans le dossier Pinette A, il y a de nombreuses conclusions contre HQ et elle est également visée par une réclamation monétaire. Différentes familles traditionnelles sont intervenantes conservatoires dans le dossier, mais pas celle de M. McKenzie.
- Trois dossiers sont pendants à la Cour fédérale, les numéros CF-T-923-09, CF-957-09 et CF-T-1979-10. Il s’agit là de trois demandes en contrôle judiciaire, contre diverses « décisions », prises au niveau fédéral, en relation au Projet, qui n’ont pas vraiment été discutées dans la preuve administrée devant le Tribunal.
- La demande principale des Innus de UMM est une déclaration voulant que, dans l’inexécution de l’entente finale à la suite de l’EDP, HQ soit de mauvaise foi institutionnelle, ayant exercé ses droits en vue de nuire aux Innus d’UMM ou d’une manière excessive et déraisonnable et qu’elle a contrevenu à son obligation d’agir en conformité avec les principes de l’honneur de la Couronne et de la réconciliation.
- Les Innus de UMM estiment également que le Tribunal doit déclarer qu’HQ est une mandataire de la Couronne.
- Ils estiment avoir droit à une indemnisation juste, correcte et équitable au sens de l’article 28 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, laquelle est consacrée au droit positif du pays[130].
- Les Innus de UMM attaquent la Déclaration de règlement hors cour et désistement dans le dossier la Romaine et en demandent son annulation, pour vice de consentement, puisque la conclusion d’une entente finale, à la suite de l’EDP, était une condition essentielle à sa signature.
- Finalement, ils sollicitent le Tribunal afin qu’il constate que le PGQ et le PGC ont failli à leurs obligations, notamment fiduciaires, en ne prenant pas de mesures concrètes afin de mettre un terme à l’impasse entre les Innus d’UMM et HQ.
- HQ soulève que le règlement du dossier la Romaine ne peut être annulé pour cause d’erreur ou de vice de consentement.
- Elle fait valoir également, qu’en relation aux demandeurs dissidents, il ne soit pas nécessaire d’analyser le caractère fautif ou non de la position qu’HQ a prise à compter de la fin avril-début mai 2014, puisqu’en raison du consentement d’ITUM à la recette procédurale proposée par HQ le 5 mars 2015, il ne peut y avoir un lien de causalité entre cette prétendue faute et les dommages réclamés par ITUM.
- HQ soumet également que le Tribunal ne pourrait accorder à ITUM des dommages-intérêts équivalents aux montants prévus dans l’EDP, puisqu’aucune entente finale n’a été conclue. De surcroît, une entente finale n’aurait pas pu être conclue à moins que, de commun accord, l’EDP ait été modifiée en y ajoutant une clause d’exception élargie couvrant les autres demandeurs dissidents et George McKenzie. Le Tribunal n’a pas le pouvoir de réécrire le contrat et ainsi, ne pourrait condamner Hydro-Québec à des dommages.
- HQ ajoute qu’ITUM n’a pas respecté son devoir précontractuel de renseignement, car il n’a pas avisé HQ de son incertitude à pouvoir obtenir les désistements des demandeurs dissidents prévus par l’EDP.
- Pour HQ, en droit, l’acceptation par ITUM de la recette procédurale rompt le lien causal entre sa prétendue faute, basée sur sa soi-disant « mauvaise foi institutionnelle », et les dommages prétendument subis par ITUM du fait de cette faute, car si dommages il y a, ceux-ci auront plutôt été causés par le fait que la recette procédurale n’a pas été menée à terme, et non pas par une soi-disant position déraisonnable prise par Hydro-Québec, lors de l’apparition des demandeurs dissidents.
- HQ estime que le Tribunal, vu la nature du litige, n’a pas à déterminer si elle est mandataire de la Couronne tenue de respecter les principes de l’honneur de la Couronne.
- Finalement, HQ prétend que la cause d’action des Innus de UMM est prescrite.
- Le PGQ estime que le Québec n’a manqué à aucune obligation envers les Innus de UMM dans le cadre des discussions sur le Projet.
- Il adopte la même position qu’HQ quant à la nécessité de déterminer si HQ est mandataire de la Couronne.
- Comme HQ, le Canada estime qu’une transaction a été conclue en mars 2015 dans le dossier la Romaine, et qu’il n’y a pas lieu de l’annuler. Plus particulièrement, la transaction n’était pas assujettie à une clause ou condition résolutoire.
- Il ajoute que le Canada n’a pas manqué à ses obligations constitutionnelles.
- Le Tribunal arrive à la conclusion que, la responsabilité d’HQ est engagée, tant par sa mauvaise foi dans ses relations contractuelles avec ITUM, que par son défaut de respecter les principes de l’honneur de la Couronne envers les Innus de UMM.
- HQ explique sa position en ces termes :
430. En l’espèce, la prescription extinctive qui s’applique à l’action d’ITUM fondée sur la mauvaise foi institutionnelle est celle qui est applicable aux actions faisant valoir un droit personnel. L’action d’ITUM est en effet une action personnelle, car elle vise la reconnaissance et la protection d’un droit personnel (d’une créance fondée sur la mauvaise foi) et ce, peu importe sa source. Il est à noter qu’une demande en nullité est également un droit de créance car il est exercé par une personne à l’encontre d’une autre personne.[131]
- Elle s’appuie sur la prescription triennale de l’article 2925 C.c.Q.
- Pour ce qui est du point de départ du délai de trois ans, elle dit :
438. Il est donc nécessaire de déterminer quel est le fondement de l’action d’ITUM contre Hydro-Québec. Hydro-Québec soumet que l’action d’ITUM est fondée sur un seul véritable reproche à l’égard d’Hydro-Québec, soit d'avoir insisté pour obtenir le règlement total des litiges visés par l’EDP 2014 et ce, même si des demandeurs dissidents se sont manifestés.[132]
- Ainsi, pour HQ, la prescription court à partir de la fin mai 2014 au plus tard, car c’est à ce moment-là que les Innus d’UMM connaissent sans aucun doute la position d’HQ, à l’effet que le règlement complet de l’ensemble des litiges énumérés à l’EDP était – tel qu’indiqué clairement dans l’EDP – une condition essentielle qui devait être satisfaite pour qu’une entente finale puisse être conclue.
- Avec égards, le Tribunal ne peut être d’accord avec cet énoncé, car en mai 2014 les faits du dossier sont loin d’être cristallisés. De l’avis du Tribunal, l’analyse du comportement d’HQ, pour déterminer s’il équivaut tant à la mauvaise foi institutionnelle qu’au non-respect des principes de l’honneur de la Couronne, ne peut se limiter qu’à une analyse de son comportement entre février et mai 2014 uniquement.
- La discussion en relation à la négociation de l’EDP, incluant le règlement des autres litiges, a perduré longtemps après le mois de mai 2014.
- Le 13 février 2015, par l’entremise de ses avocats, HQ communique avec le Tribunal en ces termes :
Or, nous avons informé les procureurs des demandeurs qu'en lieu et place d'une Conférence de règlement à l'amiable, Hydro-Québec propose un processus de règlement des litiges alternatif. En effet, estimant que l'Entente de principe de 2014 a jeté les bases d'une entente globale à venir et qu'elle constitue le fondement de règlement possible de l'ensemble des litiges, Hydro-Québec favorise la mise en œuvre de ce processus.
[…]
Évidemment, à l'issu du règlement des litiges, les parties poursuivront les négociations requises en vue d'une entente finale, conformément aux intentions exprimées dans l'Entente de principe ITUM-HQ 2014.[133]
- Comme mentionné, en février 2017, M. Laforest soumet à ITUM un projet d’entente préparé par M. Bourassa. Voici ce qu’il dit dans le courriel de transmission :
Comme convenu lors de notre réunion du 15 décembre 2016, je te transmets ci-joint une proposition d’entente portant sur le projet Romaine et le règlement des litiges.[134]
- Le Projet est défini en ces termes :
« Projet La Romaine »: L’ensemble des ouvrages, équipements et installations de production et de transport d’énergie existants et en construction au moment de la signature de l’Entente qui sont visés par les Litiges La Romaine.[135]
- À son chapitre 2, l’objet de l’entente proposée comporte :
2.1 Concilier les droits et intérêts respectifs des Uashaunnuat et d'Hydro-Québec dans le cadre des Ouvrages et du Projet La Romaine.
[…]
2.5 Créer un cadre de coopération efficace entre les Parties relativement à la réalisation et l’exploitation des Ouvrages et du Projet La Romaine.
[…]
2.8 Régler hors cour les différents litiges opposant Hydro-Québec aux Uashaunnuat.[136]
- Parmi les différents litiges énumérés à l’entente proposée, nous y voyons :
1.6 « Litiges La Romaine »: Poursuites judiciaires intentées dans les dossiers CSM 500-17-050868-093, CF T-923-09, CF T-957-09 et CF T-1979-10.[137]
- Les discussions entre les parties se poursuivent, jusqu’à l’été de 2017. Même en 2018, toujours dans le but de trouver un terrain d’entente final, HQ continue à communiquer avec ITUM[138]. Par ailleurs, ceci est tout à fait normal dans le cadre d’une relation entre une société comme HQ, qui veut instaurer des projets que toucheront aux territoires traditionnels d’une communauté autochtone, et la communauté autochtone visée par les projets. Nous savons, des enseignements de la Cour suprême du Canada, que le processus de consultation existe quand un groupe d’autochtones revendique le titre ancestral et que la Couronne désire mettre en œuvre un projet qui utilisera leurs terres, et ce quand l’existence du titre n’est pas encore établie :
[89] Avant que l’existence du titre soit établie par un jugement déclaratoire ou une entente, la Couronne est tenue de consulter de bonne foi les groupes autochtones qui revendiquent le titre sur des terres au sujet de ses projets d’utilisation des terres et, s’il y a lieu, de trouver des accommodements aux intérêts de ces groupes. Le niveau de consultation et d’accommodement requis varie en fonction de la solidité de la revendication du groupe autochtone et de la gravité de l’effet préjudiciable éventuel sur l’intérêt revendiqué. Le manquement par la Couronne à son obligation de consultation peut donner lieu à diverses mesures de réparation, notamment une injonction, des dommages-intérêts ou une ordonnance enjoignant la tenue de consultations ou la prise de mesures d’accommodement : Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, [2010] 2 R.C.S. 650 par., 37.[139]
- Qui plus est, le Tribunal expliquera plus loin, qu’il estime que, dans le cadre du développement et de l’exploitation des projets hydroélectriques, HQ est la mandataire de la Couronne québécoise, rendant encore plus évidente l’importance de considérer son comportement pendant toute la période des discussions avec les Innus de UMM. Ce constat du Tribunal s’applique tant à la conclusion qu’HQ doit respecter les principes de l’honneur de la Couronne, qu’à la conclusion qu’elle doit en tout temps appliquer les principes de la réconciliation à sa relation avec les Innus de UMM.
- Regardons également certains éléments factuels que le Tribunal aura à analyser.
- Il se peut que le plus important soit la recette procédurale, une idée, bien sûr, d’HQ. Mais, il n’en demeure pas moins que le Tribunal aura à regarder le comportement d’HQ dans la mise en application de celle-ci.
- La mise en application débute en mars 2015 avec la déclaration de règlement hors cour dans le dossier la Romaine.
- Ce n’est qu’en fin 2015 que la demande en rejet des actions des demandeurs individuels est entendue, avec le jugement qui suivra en février 2016. Pour le Tribunal, le comportement d’HQ après ce jugement est également pertinent à l’analyse tant de sa bonne foi que de son respect des principes de l’honneur de la Couronne.
- Une autre étape importante de la recette est celle qui se retrouve à l’item 4 de la lettre de Me O’Reilly, du 5 mars 2015, laquelle prévoit des amendements aux diverses procédures afin de retirer toute référence à HQ. Cependant, cette étape était conditionnelle à la conclusion d’une entente finale sur la base de l’EDP.
- Il s’ensuit que le comportement des parties, dans la négociation de l’entente finale, est un élément que le Tribunal aura à examiner.
- Or, devant cette trame factuelle, il est évident que la réclamation des demandeurs, qui soulève la mauvaise foi d’HQ et son non-respect des principes de l’honneur de la Couronne, n’est pas prescrite. Comme le Tribunal a noté, les discussions sur l’entente finale se sont poursuivies jusqu’en 2017. Ces négociations, basées sur l’EDP, comprenaient le règlement des litiges. Ainsi, contrairement à la perspective d’HQ, sa position sur ces autres litiges n’était pas finale en mai 2014. Elle devenait finale, au plus tôt le 18 août 2017, quand M. Boucher fait son rapport à M. Cacchione sur l’état des négociations.
- Qui plus est, une partie importante de l’analyse de la bonne ou mauvaise foi d’HQ est reflétée dans son comportement à l’application de la recette procédurale. Or, le jugement du 23 février 2016 est porté en appel, mais l’appel est déclaré abandonné en début août 2016. La poursuite de la recette procédurale devait suivre.
- HQ ne poursuit pas la recette, mais préfère négocier d’autres ententes commerciales, conformément à ses missives des 15 août et 28 octobre 2016[140]. Un nouveau projet d’entente est communiqué en février 2017, lequel comporte une clause voulant que les parties fassent le nécessaire pour faire avancer la recette procédurale, mais HQ ne fait rien. L’action des Innus de UMM, notifiée le 20 novembre 2019, quant aux questions de la mauvaise foi institutionnelle et du non-respect de l’honneur de la Couronne, n’est pas prescrite.
- Il en est de même pour la question de la nullité de la déclaration de règlement hors cour. ITUM soulève son erreur quant à l’intention d’HQ de négocier une entente finale de bonne foi. Or, la mauvaise foi d’HQ continue à se manifester, au moins jusqu’au moment de la note de service de M. Boucher, en août 2017. C’est alors qu’ITUM sait également avec certitude qu’HQ ne versera pas les sommes qui constituent une juste compensation pour le Projet, tel qu’elle le reconnait du fait de sa signature à la déclaration de règlement hors cour.
- Ainsi, la demande de déclarer la déclaration de règlement hors cour nulle n’est pas prescrite.
- HQ est constituée en vertu de la Loi sur Hydro-Québec (la Loi).[141] L’article 3.1.1 est rédigé en ces termes :
3.1.1. La Société est, pour les fins de la présente loi, un mandataire de l’État et l’a toujours été depuis le 14 avril 1944.
- Le statut d’HQ a été discuté par le juge Duprat dans Molima c. Hydro-Québec, en ces termes :
[117] Dans ce contexte, la simple allégation que l’État est actionnaire d’Hydro-Québec n’est pas générateur de responsabilité et l’action collective proposée ne peut être autorisée sur cette base. La même conclusion s’impose ne (sic) ce qui concerne la qualité de mandataire d’Hydro-Québec face au Gouvernement. La demande réfère le Tribunal aux articles 2130 et suivants du Code civil du Québec pour étayer son recours, mais n’allègue rien de spécifique à l’encontre du Gouvernement. Le simple statut de mandant est invoqué. Or, il faut apporter une distinction à ce sujet, puisqu’Hydro-Québec n’est pas un mandataire au sens du Code civil, la qualité de mandataire de l’État permet plutôt à la Société de se prévaloir de certaines immunités. C’est ce que l’auteur Patrice Garant illustre ainsi :
(…) il importe de constater que la principale conséquence juridique de la qualité de mandataire de la Couronne est de rendre applicables au mandataire les privilèges et immunités de la Couronne, qu'il s'agisse des prérogatives existant en vertu de la common law ou de celles conférées par les lois ordinaires. La clause que l'on retrouve dans notre législation ne prête d'ailleurs à aucune équivoque lors qu'il est dit que « la société jouit des droits et privilèges d'un mandataire de l'État ».
(…)
Ce principe soulève cependant un certain nombre de difficultés. Doit-on appliquer les règles régissant le mandat de droit privé aux rapports existant entre la Couronne et les personnes morales qualifiées comme ses mandataires ou agents ? Nous croyons qu’on ne peut appliquer aux organismes publics les règles du droit civil ou de la common law de droit privé relatives au mandat (agency). Le mandat est fondamentalement un contrat par lequel le mandant confie au mandataire la gestion d’une affaire juridique. Dans le cas des organismes mandataires du gouvernement, il n’est nullement question de contrat, mais d’habilitation législative. Il n’est pas non plus question que le mandataire choisisse d’accepter ou de décliner le mandat. La loi lui confère une mission qu’il doit remplir. L’institution juridique qu’est le contrat de mandat est par le fait même substantiellement différente, dans son fondement, du mandat de droit public créé par voie législative. Ce qui n’empêche pas qu’il puisse exister plusieurs analogies entre les deux institutions.
L’article 2136 du Code civil du Québec en est un exemple. Cet article interdit au mandataire d’agir au-delà de ce qui est porté dans son mandat ou peut s’en inférer. Dans le cas où il ne le respecte pas, il devient personnellement responsable envers les tiers avec lesquels il aurait pu contracter. Un recours en dommages existe alors en leur faveur contre le mandataire ; on peut y greffer un recours délictuel basé sur le Code civil du Québec. Dans tous les cas toutefois, son acte n’est pas nul comme tel. Par contre, en matière de droit public, la situation est différente. L’agent qui outrepasse les limites imposées par la loi excède sa compétence et se voit appliquer les règles de l’ultra vires. En application du droit civil, un recours en dommages contre l’organisme fautif est possible ; celui-ci devient ainsi personnellement responsable des dommages qu’il aurait causés. En droit public, il est difficilement concevable que le Gouvernement poursuive en responsabilité l’agent de la Couronne qui aurait agi illégalement. De façon générale, nous croyons avec le professeur Griffith que
[…] it is a fatal blunder to push private law analogy too far into the field of public law. The relationship of public corporations to the Crown is not to be found in any private agreement, but in a public act of Parliament. It is a matter of status, not of contract.
Il faut en revenir à une conception existentielle de la qualité de mandataire en droit public. Comme le soulignait si bien la Cour d’appel du Québec en 1968, l’agent de la Couronne « n’a été constitué que pour agir comme mandataire de la Couronne et cette qualité est inséparable de sa personnalité ». Ceci signifie que l’organisme, agissant en vertu de sa loi constitutive, agit nécessairement pour le compte de l’État ; pour ce faire, il bénéficie des privilèges et immunités de la Couronne. [Le Tribunal souligne][142].
- HQ soutient toutefois que, bien qu’elle soit mandataire de l’État (de la Couronne provinciale), elle ne l’est pas à toutes fins ou à des fins indéfinies, mais l’est seulement à des fins particulières, précises et limitées, dans le but de notamment assurer l’approvisionnement énergétique et électrique au patrimoine
- HQ a raison de dire qu’elle n’est pas mandataire de la Couronne à toutes fins. Cependant, d’autres articles de la Loi démontrent une relation étroite entre la Couronne et HQ. À l’article 3.1.2, la Loi stipule qu’HQ peut posséder des biens, mais que les biens qu’elle possède sont la propriété de l’État. La construction d’immeubles, destinés à la production d’électricité, doit être préalablement autorisée par le gouvernement[143].
- Ainsi, avant qu’HQ puisse entamer le Projet, celui-ci devait être autorisé par le gouvernement du Québec. Aux fins de la réalisation de celui-ci (et des autres projets sur les terres traditionnelles des Innus de UMM) HQ est mandataire de la Couronne.
- Il est approprié de faire un bref rappel des principes de l’honneur de la Couronne. Ces principes sont discutés dans l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Nation Haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts) :
16 L’obligation du gouvernement de consulter les peuples autochtones et de prendre en compte leurs intérêts découle du principe de l’honneur de la Couronne. L’honneur de la Couronne est toujours en jeu lorsque cette dernière transige avec les peuples autochtones : voir par exemple R. c. Badger, 1996 CanLII 236 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 771, par. 41; R. c. Marshall, 1999 CanLII 665 (CSC), [1999] 3 R.C.S. 456. Il ne s’agit pas simplement d’une belle formule, mais d’un précepte fondamental qui peut s’appliquer dans des situations concrètes.
17 Les origines historiques du principe de l’honneur de la Couronne tendent à indiquer que ce dernier doit recevoir une interprétation généreuse afin de refléter les réalités sous‑jacentes dont il découle. Dans tous ses rapports avec les peuples autochtones, qu’il s’agisse de l’affirmation de sa souveraineté, du règlement de revendications ou de la mise en œuvre de traités, la Couronne doit agir honorablement. Il s’agit là du minimum requis pour parvenir à « concilier la préexistence des sociétés autochtones et la souveraineté de Sa Majesté » : Delgamuukw, précité, par. 186, citant Van der Peet, précité, par. 31.
[…]
20 Tant qu’un traité n’a pas été conclu, l’honneur de la Couronne exige la tenue de négociations menant à un règlement équitable des revendications autochtones : R. c. Sparrow, 1990 CanLII 104 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 1075, p. 1105‑1106. Les traités permettent de concilier la souveraineté autochtone préexistante et la souveraineté proclamée de la Couronne, et ils servent à définir les droits ancestraux garantis par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. L’article 35 promet la reconnaissance de droits, et « [i]l faut toujours présumer que [la Couronne] entend respecter ses promesses » (Badger, précité, par. 41). Un processus de négociation honnête permet de concrétiser cette promesse et de concilier les revendications de souveraineté respectives. L’article 35 a pour corollaire que la Couronne doit agir honorablement lorsqu’il s’agit de définir les droits garantis par celui‑ci et de les concilier avec d’autres droits et intérêts. Cette obligation emporte à son tour celle de consulter et, s’il y a lieu, d’accommoder.[144]
- À titre de gouvernement qui transige avec les Innus de UMM, le Québec est lié par les principes de l’honneur de la Couronne .
5.4.1 L’obligation d’HQ d’agir en conformité avec l’honneur de la Couronne
- HQ et le PGQ font valoir qu’il n’est pas nécessaire pour le Tribunal de déterminer si les principes de l’honneur de la Couronne s’appliquent à HQ dans le cadre du présent litige. HQ estime que, même si ces principes s’appliquaient à elle, en l’espèce, cela ne changerait rien à l’issue du litige.
- Elle soutient agir à titre de promoteur, dans ses interactions avec ITUM, et non en tant que représentante du gouvernement.
- HQ soulève aussi le jugement du Tribunal dans le dossier Innus de Uashat et de Mani-Utenam (Innus de UMM) c. Procureur général du Québec[145] à l’appui de sa position voulant qu’elle ne soit pas liée par l’honneur de la Couronne.
- Dans cette affaire, entre les mêmes parties, le Tribunal a déterminé que dans le cadre de la construction des lignes de transmission entre le poste Arnaud et l’Aluminerie Alouette, le Québec avait un devoir de consultation envers les Innus de UMM :
[137] Dans l’arrêt Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani, après avoir repris les conditions discutées obligeant une consultation dans Nation Haïda, la Cour suprême ajoute :
[31] […] Ce critère comporte trois volets : (1) la connaissance par la Couronne, réelle ou imputée, de l’existence possible d’une revendication autochtone ou d’un droit ancestral, (2) la mesure envisagée de la Couronne et (3) la possibilité que cette mesure ait un effet préjudiciable sur une revendication autochtone ou un droit ancestral. J’examinerai chacun de ces volets plus en détail. D’abord, quelques remarques générales sont de mise concernant la source et la nature de l’obligation de consulter.
[138] L’arrêt de la Cour suprême dans Première Nation Tlingit de Taku River c. Colombie-Britannique (Directeur d'évaluation de projet), reconnaît que l’acceptation d’une revendication de titre en vue de la négociation d’un traité constitue une preuve prima facie du bien-fondé de celle-ci. Or, dans le présent dossier, bien que nous ne soyons pas devant la négociation d’un traité proprement dit, en 2011 le gouvernement du Québec convenait de négocier avec les Innus « Nation à Nation[146]; » un bel indice de sa reconnaissance de leur revendication.
[139] Pour le Tribunal, il est clair que le Québec avait une obligation de consulter[147].
- HQ, ne s’étant pas acquittée de son devoir dans le cadre des diverses rencontres dans la communauté avant de construire la ligne, le Tribunal a décidé que l’ultime responsabilité pour la consultation revenait au gouvernement, surtout devant les faits du dossier, où le Québec n’avait pas informé ITUM qu’il confiait certains aspects du processus de consultation à HQ.
- Ici la question est différente. Le présent dossier ne traite pas spécifiquement de la suffisance de la consultation, mais plutôt du comportement des parties au moment de la négociation de l’EDP, après le référendum dans la communauté qui l’a approuvé, dans les tentatives de conclure une entente finale et dans l’accomplissement de la recette procédurale.
- Qui plus est, dans le dossier Alouette, même si certains accommodements avaient été convenus durant la construction, le Tribunal devait surtout examiner la suffisance de la consultation avant que le Projet ne soit entamé. Ici, la suffisance de la consultation par le Québec avant le début du Projet n’a pas encore été considérée, vu la conclusion de l’EDP. Le Tribunal doit plutôt examiner le comportement d’HQ après la période où la consultation entre le Québec et les Innus de UMM aurait normalement eu lieu et alors que le projet était presque complet.
- L’arrêt de la Cour suprême dans Clyde River (Hameau) c. Petroleum Geo‑Services Inc., est utile au niveau du devoir d’une société qui, pour le compte de la Couronne, se doit de respecter les principes de l’honneur de la Couronne :
[28] Il importe de répéter que l’obligation de consulter incombe à la Couronne. En un sens, la « Couronne » s’entend de la personnification de Sa Majesté de l’État canadien dans l’exercice des prérogatives et des privilèges qui lui sont réservés. Cependant, la Couronne désigne aussi la souveraine dans l’exercice de son rôle législatif officiel (lorsqu’elle sanctionne les projets de loi, qu’elle refuse de les sanctionner ou qu’elle réserve sa décision), et en tant que chef du pouvoir exécutif (McAteer c. Canada (Attorney General), 2014 ONCA 578, 121 O.R. (3d) 1, par. 51; P. W. Hogg, P. J. Monahan et W. K. Wright, Liability of the Crown (4e éd. 2011), p. 11-12; mais voir Carrier Sekani, par. 44). Pour cette raison, le mot « Couronne » est couramment employé comme symbole du pouvoir exécutif et pour désigner ce pouvoir. C’est ce que lord Simon of Glaisdale a décrit dans Town Investments Ltd. c. Department of the Environment, [1978] A.C. 359 (H.L.), p. 397 :
[traduction] La couronne, en tant qu’objet, est une coiffure ornée de bijoux conservée sous garde à la tour de Londres. Mais elle symbolise les pouvoirs du gouvernement qui étaient auparavant exercés par la personne portant la couronne; c’est ainsi qu’au 13e siècle, les crimes étaient commis non seulement contre la paix du roi, mais aussi contre « sa couronne et sa dignité » : Pollock and Maitland, History of English Law, 2e éd. (1898), vol. I, p. 525. Par conséquent, on utilise l’expression « la Couronne » en droit constitutionnel pour désigner l’ensemble des pouvoirs de cette nature qui subsistent (la prérogative royale), ainsi que les autres pouvoirs que la loi confère expressément à « la Couronne ».
[29] Selon cette interprétation, l’ONÉ n’est pas, à proprement parler, « la Couronne ». Il n’est pas non plus, à proprement parler, un mandataire de la Couronne, étant donné que — comme l’ONÉ exerce ses activités de manière indépendante des ministres de la Couronne — il n’existe entre eux aucun lien de dépendance (Hogg, Monahan et Wright, p. 465). Cependant, en tant qu’organisme créé par la loi à qui incombe la responsabilité visée à l’al. 5(1)b) de la LOPC, l’ONÉ agit pour le compte de la Couronne lorsqu’il prend une décision définitive à l’égard d’une demande de projet. En termes simples, dès lors que l’on accepte qu’un organisme de réglementation existe pour exercer le pouvoir de nature exécutive que le législateur concerné l’autorise à exercer, toute distinction entre les mesures de cet organisme et celles de la Couronne disparaît rapidement. Dans ce contexte, l’ONÉ est le moyen par lequel la Couronne agit, d’où l’emploi interchangeable dans Carrier Sekani des expressions « mesure gouvernementale » et « mesure [. . .] de la Couronne » (par. 42‑44). Par conséquent, il importe peu que le décideur ultime dans un projet soit le Cabinet ou l’ONÉ. Dans les deux cas, la décision constitue une mesure de la Couronne qui peut donner naissance à l’obligation de consulter. Comme l’a affirmé en dissidence le juge Rennie de la Cour d’appel fédérale dans Chippewas of the Thames, « [l]’obligation, comme l’honneur de la Couronne, ne s’envole pas en fumée simplement parce qu’une décision sans appel a été rendue par un tribunal établi par le Parlement, plutôt que par le Cabinet » (par. 105). La mesure qu’a prise l’ONÉ dans l’exercice du pouvoir qu’il possède, en vertu de l’al. 5(1)b) de la LOPC, de prendre la décision ultime concernant des essais tels ceux proposés en l’espèce, constitue manifestement une mesure de la Couronne.[148]
- Vu les stipulations de la Loi qui l’a créée, dans le cadre du développement et de l’exploitation d’un projet hydroélectrique, où HQ représente clairement les intérêts de l’État québécois dans la poursuite de sa mission législative, le Tribunal estime qu’elle doit elle-même respecter les principes de l’honneur de la Couronne.
- Si le Tribunal acceptait la proposition de M. Cacchione, voulant que la relation entre HQ et ITUM soit strictement commerciale, il passerait outre le statut réel d’HQ. HQ n'est pas une société privée comme les autres. Elle est une mandataire de l'État qui exécute une mission confiée par la loi et qui vise la poursuite d'objectifs considérés d'intérêt public par le législateur, dont le développement et l’exploitation des projets hydroélectriques sur le territoire québécois. L’interaction régulière entre Mathieu Boucher et le Secrétariat des affaires autochtones fait preuve du lien très étroit entre HQ et le Québec.
- En outre, dès les discussions de 2009, ITUM a souligné que, pour lui, la relation était plus qu’une relation commerciale et qu’on ne pouvait pas séparer les aspects commerciaux des revendications territoriales[149].
- Bref, dans un contexte législatif, où le gouvernement doit autoriser les nouveaux projets d’HQ et où les immeubles qui en font partie appartiennent à la Couronne, un résultat où HQ pourrait traiter sa relation avec ITUM de manière uniquement commerciale serait très illogique.
- En concluant ainsi, le Tribunal a considéré le jugement de la Cour d’appel de Terre-neuve et Labrador dans NunatuKavut Community Council Inc. v. Nalcor Energy[150]. Citant Nation Haïda, le juge en chef Greene a noté que Nalcor, un délégué de la Couronne, n’avait pas un devoir de consulter une communauté autochtone ou de l’accommoder, car ces devoirs revenaient à la Couronne. Même si Nalcor ne remettait pas en question la conclusion du juge d’instance qu’elle avait elle-même ses devoirs, le juge a tenu pour acquis qu’ils ne s’appliquaient pas à Nalcor[151].
- Or, le litige était en relation à un protêt, par un groupe d’autochtones, sur les chemins d’accès au projet « Muskrat Falls ».
- La loi pertinente, la « Energy Corporation Act »[152] stipule que Nalcor est agente de la Couronne, mais en relation au projet Muscrat Falls, spécifie qu’elle contracte en sa capacité personnelle et non comme agente de la Couronne.
- Le juge Rowe, alors à la Cour d’appel, dans ses motifs concurrents, dit ceci :
110 In the end, like the Chief Justice, I do not seek to answer the question whether Nalcor has a duty to consult and accommodate. I say only that the question has not yet been definitively answered.[153]
- À l’instar du juge Rowe, le Tribunal estime que la question reste ouverte. De plus le cadre législatif au Québec est différent.
- En outre, la position mise de l’avant par HQ, voulant que sa relation soit strictement commerciale, est encore plus illogique lorsque nous considérons le cheminement du dossier la Romaine. Rappelons-nous que la demande Haïda n’a jamais été entendue. L’étendue du devoir de consultation du gouvernement à l’égard du Projet, et encore moins des accommodements nécessaires n’a pas été déterminée. En, revanche dans l’entente d’ITUM-HQ 2011[154], qui devait également être signée par le gouvernement, il y avait des accommodements proposés, dont, en l’occurrence, une compensation financière importante.
- L’entente de principe entre le Québec et les Innus de UMM est également pertinente à regarder. Un des objets de celle-ci était :
Un partenariat unique entre le Québec et les Uashaunnuat à l’égard de la mise en valeur des ressources minières, forestières et hydroélectriques sur la partie du territoire traditionnel des Uashaunnuat située au Québec et à l’égard des bénéfices en découlant.[155]
- Et, finalement au niveau du caractère illogique de l’attitude strictement commerciale prôné par M. Cacchione, nous n’avons qu’à regarder le préambule de l’entente de 2011.
- Or, déjà en 2011, HQ semble avoir une certaine reconnaissance de son devoir envers les Innus de UMM. HQ dit qu’elle désire prendre des mesures positives afin de développer une relation empreinte de respect avec les Innus de UMM et qu’elle désire concilier les intérêts des Innus de UMM avec les siens. Tout en étant réfractaire à faire des aveux en relation aux droits ancestraux des Innus de UMM, elle s’exprime en ces termes dans les attendus de l’entente de principe de 2011[156] :
ATTENDU QU’Hydro-Québec désire prendre des mesures positives afin de développer une relation empreinte de respect avec les Uashaunnaut.
ATTENDU QUE Hydro-Québec désire apporter des solutions aux différends entre les Parties afin de concilier les droits et intérêts des Uashaunnuat et les intérêts d’Hydro-Québec.
- Les mêmes clauses sont reprises dans l’entente finale que les parties signent en 2011[157]. Elles se retrouvent de nouveau dans l’EDP.
- Nous savons que les référendums de 2011 sur les ententes avec HQ et le Québec n’ont pas réussi. Cependant, de l’avis du Tribunal, ces échecs ne donnaient pas carte blanche, ni au Québec ni à HQ, de réaliser le Projet sans que des accommodements appropriés soient accordés aux Innus de UMM.
- Bien que le Québec fût moins impliqué dans les discussions, après les échecs de 2011, à titre de mandataire du Québec, HQ devait respecter les principes de l’honneur de la Couronne et poursuivre les discussions avec les Innus de UMM, honorablement. Au besoin, le Québec, HQ et les Innus de UMM étaient tenus de discuter des accommodements appropriés.
- De permettre à HQ de passer outre cette obligation et de voir le Projet uniquement d’un point de vue commercial, lui permettrait d’en tirer profit, sans que les Innus de UMM bénéficient des accommodements appropriés pour le dommage potentiel causé à leur territoire traditionnel, à l’exception des sommes reçues pour les lignes.
- De surcroît, il découle de l’obligation d’HQ de respecter les principes de l’honneur de la Couronne, qu’elle doit également respecter les principes de la réconciliation dans sa relation avec les Innus de UMM.
- Rappelons des mots de la Cour suprême du Canada dans Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), où la Cour s’est exprimée ainsi :
32 La jurisprudence de la Cour étaye le point de vue selon lequel l’obligation de consulter et d’accommoder fait partie intégrante du processus de négociation honorable et de conciliation qui débute au moment de l’affirmation de la souveraineté et se poursuit au‑delà du règlement formel des revendications. La conciliation ne constitue pas une réparation juridique définitive au sens usuel du terme. Il s’agit plutôt d’un processus découlant des droits garantis par le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Ce processus de conciliation découle de l’obligation de la Couronne de se conduire honorablement envers les peuples autochtones, obligation qui, à son tour, tire son origine de l’affirmation par la Couronne de sa souveraineté sur un peuple autochtone et par l’exercice de fait de son autorité sur des terres et ressources qui étaient jusque-là sous l’autorité de ce peuple. Comme il est mentionné dans Mitchell c. M.R.N., [2001] 1 R.C.S. 911, 2001 CSC 33, par. 9, « [c]ette affirmation de souveraineté a fait naître l’obligation de traiter les peuples autochtones de façon équitable et honorable, et de les protéger contre l’exploitation » (je souligne)[158].
- Puisque le Projet deviendra la propriété du gouvernement, le Tribunal estime être devant une situation où, par l’entremise de sa mandataire, HQ, le gouvernement tente d’imposer son autorité sur les terres revendiquées par les Innus de UMM. Le respect des principes, qui découlent de l’article 35, est de mise et leur respect comporte la réconciliation :
L’objectif fondamental du droit moderne relatif aux droits ancestraux et issus de traités est la réconciliation entre les peuples autochtones et non autochtones et la conciliation de leurs revendications, intérêts et ambitions respectifs. La gestion de ces rapports s’exerce dans l’ombre d’une longue histoire parsemée de griefs et d’incompréhension. La multitude de griefs de moindre importance engendrés par l’indifférence de certains représentants du gouvernement à l’égard des préoccupations des peuples autochtones, et le manque de respect inhérent à cette indifférence, ont causé autant de tort au processus de réconciliation que certaines des controverses les plus importantes et les plus vives. Et c’est le cas en l’espèce.[159]
- La réconciliation fait appel à une relation empreinte de respect réciproque entre les Canadiens autochtones et non autochtones[160] et elle constitue un projet à long terme[161].
- L’article 35, premier alinéa, de la Loi constitutionnelle de 1982 est rédigé en ces termes :
35 (1) Les droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés.[162]
- Il a été maintes fois considéré par la Cour suprême du Canada. Récemment dans l’arrêt Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Procureur général) c. Uashaunnuat (Innus de Uashat et de Mani‑Utenam), un dossier qui avait à sa base une réclamation contre une société minière, la Cour s’est exprimée en ces termes :
[21] Consacrés à la partie II de la Loi constitutionnelle de 1982, les droits garantis par l’art. 35 sont une composante centrale de l’ordre constitutionnel canadien. En effet, cette disposition établit le cadre constitutionnel qui permet à la fois de reconnaître le fait historique que les peuples autochtones vivaient sur le territoire en sociétés distinctes avant la colonisation par les Européens et de concilier ce fait avec la souveraineté du Canada : R. c. Van der Peet, 1996 CanLII 216 (CSC), [1996] 2 R.C.S. 507, par. 31. La Cour a qualifié l’art. 35 d’engagement qui doit avoir un sens utile, reconnaissant non seulement l’occupation passée de terres par les Autochtones, mais aussi leur contribution à l’édification du Canada : R. c. Sparrow, 1990 CanLII 104 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 1075, p. 1108; Renvoi relatif à la sécession du Québec, par. 82.
[22] La réconciliation, qui est l’objectif fondamental des règles de droit modernes relatives aux droits ancestraux, fait intervenir l’honneur de la Couronne : Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69, [2005] 3 R.C.S. 388, par. 1 et 4. L’obligation découlant de ce principe peut varier en fonction de la situation; toutefois, l’honneur de la Couronne entre toujours en jeu lorsqu’il est question d’affirmer la souveraineté ou de trancher des revendications de droits ou de titres : Nation haïda c. Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 R.C.S. 511, par. 16; Manitoba Metis Federation Inc. c. Canada (Procureur général), 2013 CSC 14, [2013] 1 R.C.S. 623, par. 74. En effet, dans certaines circonstances, l’honneur de la Couronne oblige cette dernière à s’acquitter de certaines obligations, même avant que les droits protégés par l’art. 35 soient établis avec certitude : Nation haïda, par. 27.[163]
- Bref, le Tribunal estime qu’HQ, doit garder à l’esprit la réconciliation dans ses relations avec les Innus de UMM. Pour reprendre les mots de la Cour suprême du Canada dans Manitoba Metis Federation Inc. c. Canada (Procureur général)[164], elle peut être assimilée à une fonctionnaire de la Couronne, en anglais : « servant », un mot qui décrit bien le rôle d’HQ[165].
- Qui plus est, dans le présent dossier, lorsque vient le moment de finaliser l’EDP en 2014, HQ est au courant des droits revendiqués par les Innus de UMM, et ce, depuis longtemps. Ainsi, dans ses discussions avec ITUM, elle devait placer au premier plan les droits de la communauté et l’effet que le Projet et les autres projets d’HQ pourraient avoir sur celle-ci.
- Elle devait ne pas démontrer « une tendance persistante à l’indifférence »[166].
- Néanmoins, HQ soutient que l’EDP ne met en cause aucun droit ancestral, de sorte que l’honneur de la Couronne n’est même pas engagé. Voici ce qu’elle dit dans son plan d’argument :
472. Il faut aussi tenir compte du fait que l’EDP 2014 ne met en jeu aucun droit ancestral ou issu de traités. Les parties ont convenu expressément de cette distinction dans l’EDP 2014 elle-même. […] :
Entente de principe ITUM-HQ 2014, pièce P-7, clause 16, p. 7.[167]
- La clause 16 de l’EDP est rédigée en ces termes :
16. Les parties s'entendent pour que les droits ancestraux, issus de traités ou autres, revendiqués par les lnnus de Uashat mak Mani-Utenam ainsi que l'exercice de ces droits et les revendications territoriales des lnnus de Uashat mak Mani-Utenam ne soient aucunement affectés par la présente Entente de principe 2014. Pour plus de certitude, les parties déclarent que la présente Entente de principe 2014 n'entraine, ni est censée entrainer, aucune cession ou aliénation, ni aucun transport ou abandon, total ou partiel de ces droits ancestraux, issus de traités ou autres revendiqués ou affirmés.
- Or, le Tribunal estime que le but de la clause 16 est plutôt de reconnaître que, par leur signature à l’EDP, les Innus de UMM n’abandonnaient pas la poursuite de la reconnaissance de leur titre et de leurs droits indigènes sur leurs territoires traditionnels.
- Pourtant, la négociation de l’EDP était justement nécessaire, du fait que les Innus d’UMM revendiquaient des droits et le titre ancestral sur le territoire où se trouve le Projet. Par les procédures instituées en 2009, Les Innus de UMM voulaient obtenir une juste compensation pour le Projet. N’eût été leur revendication territoriale, ils n’auraient pas eu d’assise pour la compensation demandée.
- La déclaration du règlement hors cour dans le dossier la Romaine confirme que les revendications en relation au titre ancestral ne sont pas remises en question :
La présente est sans préjudice et sans renonciation au titre autochtone revendiqué ou aux droits revendiqués - ancestraux ou issus de traités - des demandeurs à l'encontre du gouvernement du Canada, du gouvernement du Québec ou de tout autre tiers non partie à la présente pour autant que ce titre revendiqué, ce droit revendiqué ou cette revendication ou l'exercice de ceux-ci ne puisse être invoqué de façon à empêcher, à restreindre ou à limiter de quelque façon que ce soit la réalisation et l'exploitation du projet hydroélectrique de la Romaine, y compris les lignes de transport et les postes de transformation tel que substantiellement défini au paragraphe 37 de la Requête introductive d'instance dans la présente cause (ci-après « Projet La Romaine ») .[168]
- Il est toutefois utile de souligner que cette déclaration reconnaît que l’EDP constituait « une juste compensation de toute atteinte aux droits ancestraux revendiqués, y compris au titre autochtone revendiqué, pouvant découler de la réalisation et l’exploitation du Projet la Romaine. »[169]
- Le Tribunal ne voit aucune contradiction entre sa conclusion ici, voulant que l’EDP était reliée aux droits ancestraux, et ce qu’il a dit dans un jugement de 2020 qui portait sur la radiation des allégations :
[45] Or, dans le présent dossier, le respect de la proportionnalité passe par la circonscription du débat aux éléments de preuve qui sont pertinents au traitement de la finalité de celui-ci. Malgré la position des Innus, il faut reconnaître que l’objet du litige actuel ne demande pas au Tribunal de considérer le titre ancestral ou les droits ancestraux. La question que le Tribunal aura à trancher se limite à l’effet du comportement d’Hydro-Québec à la suite de la signature de l’Entente de principe en 2014. Il faudra essentiellement déterminer si l’erreur sur une condition essentielle au règlement du dossier, soit la conclusion d’une entente finale, vicie le consentement des Innus.
[…]
[49] À l’instar d’Hydro-Québec et la PGQ, le Tribunal estime que la période pertinente au présent débat débute après la signature de l’Entente de principe en 2014.[170]
- Bref, ce n’est pas parce que le Tribunal ne tranchera pas les questions du titre ancestral et des droits ancestraux, qu’il ne pourra pas considérer le comportement d’HQ, dans le cadre d’un projet construit sur des terres qui font justement l’objet d’une revendication du titre ancestral.
- Finalement, et à la lumière de son jugement de 2020, prononcé dans le cadre d’une gestion d’instance et sans que le Tribunal ne remette en question son avis quant à la période la plus importante aux fins du présent litige, il note que les parties, sans objection de part et d’autre, ont administré une longue preuve sur les négociations entre les parties avant 2014. Le Tribunal devait peut-être s’y attendre, car comme la Cour suprême dit dans Nation haïda : « L’honneur de la Couronne est toujours en jeu lorsque cette dernière transige avec les peuples autochtones. »[171]
5.4.2 Est-ce que l’honneur de la Couronne s’applique dans le contexte d’un litige?
- HQ prétend que peu importe l’application du principe de l’honneur de la Couronne à son égard, il est ici inapplicable, vu que les discussions entre les parties se déroulaient dans le cadre du règlement d’un litige. Parmi d’autres autorités, elle réfère le Tribunal à l’arrêt de la Cour d’appel de la Saskatchewan dans R v. Ochapowace Ski Resort Inc.[172], où l’appel portait sur une demande de la Couronne de rejeter un appel que la défenderesse n’a pas avancé depuis 15 ans. La cour s’est exprimée en ces termes :
[61] Nor, to my knowledge, is the Honour of the Crown an independent source of restriction on the Crown’s conduct in litigation involving Indigenous people (see Watson v Canada (Indian and Northern Affairs), 2017 FC 321, at para 35 [Watson 2017]).
[62] According to these authorities, the Honour of the Crown should not be seen as a restriction on the Crown’s conduct in litigation involving Indigenous people.[173]
- Avec égards, HQ se méprend dans sa position. Sans que le Tribunal ne remette en question que l’entente finale que les parties se sont engagées à négocier, après l’approbation de l’EDP en référendum, devait régler certains litiges entre elles, pour revenir à son jugement de 2020, le vrai débat que le Tribunal doit trancher vise le comportement des parties après la signature de l’EDP et non leur conduite dans le cadre d’un litige en tant que tel.
- Qui plus est, les stipulations de l’EDP vont bien au-delà du règlement des litiges entre les parties. Prenons la clause 4 à titre d’exemple :
L’entente finale comprendra les mesures suivantes au bénéfice des Innus de Uashat mak Mani-Utenam :
- Des mesures financières pour favoriser le développement économique et communautaire des Innus de Uashat mak Mani-Utenam décrites à l’article 5;
- Des mesures financières pour favoriser la pratique des activités traditionnelles des Innus de Uashat mak Mani-Utenam décrites à l’article 5;
- La création d’une ou plusieurs fiducies au bénéfice des Innus de Uashat mak Mani-Utenam;
- Des mesures relatives à la formation et à l’emploi;
- Des mesures relatives à la formation et à l’emploi;
- Des mesures relatives aux contrats;
- Des mesures pour minimiser l’impact des projets La Romaine et de la présence des ouvrages, équipements et installations appartenant à Hydro-Québec;
- L’engagement d’Hydro-Québec de négocier de gré à gré avec un entreprise innue d’Uashat mak Mani-Utenam un contrat pour le contrôle du castor.
- Il est vrai qu’un an plus tard, dans le cadre de la mise en œuvre de la recette procédurale, une déclaration de règlement hors cour fut signée dans le dossier la Romaine. Cependant, bien que le Tribunal ait à traiter des conséquences de ce document, il doit également examiner le comportement des parties après sa signature. Cette analyse ne peut se limiter qu’aux différents litiges entre les parties. Elle doit considérer tout le processus qui visait la conclusion d’une entente finale à la suite de l’EDP, surtout que cette entente devait traiter de la relation future entre ces parties.
- Bref, nous sommes loin de la situation discutée par la Cour d’appel de la Saskatchewan.
5.4.3 La position du Québec
- Pour le Québec, le Tribunal doit faire appel au principe de la retenue judiciaire et éviter de se prononcer sur l’assujettissement d’HQ à l’honneur de la Couronne ainsi que sur son statut de mandataire du gouvernement. Il soutient qu’une décision sur ces principes n’est pas requise, et ce, car l’obligation de consulter ne s’applique pas à la conduite des parties à l’intérieur d’une instance judiciaire.
- Or, comme le Tribunal a déjà dit, il estime que les enjeux entre les Innus de UMM, HQ et le Québec vont bien au-delà d’une simple instance judiciaire.
- En outre, le Québec fait valoir que le principe de l’honneur de la Couronne ne crée pas une cause d’action en soi. La cause d’action serait plutôt le défaut de la Couronne de respecter une obligation qui découle du principe de l’honneur de la Couronne. Il réfère le Tribunal aux enseignements de la Cour suprême dans Manitoba Metis Federation:
[73] L’honneur de la Couronne n’est « pas simplement [. . .] une belle formule, mais [. . .] un précepte fondamental qui peut s’appliquer dans des situations concrètes », et il « fait naître différentes obligations selon les circonstances » (Nation haïda, par. 16 et 18). Il ne s’agit pas d’une cause d’action en soi, mais d’un principe qui a trait aux modalités d’exécution des obligations dont il emporte l’application. Jusqu’à ce jour, le principe de l’honneur de la Couronne a été appliqué dans au moins quatre cas :
(1) Le principe de l’honneur de la Couronne fait naître une obligation fiduciaire lorsque la Couronne assume des pouvoirs discrétionnaires à l’égard d’un intérêt autochtone particulier (Wewaykum, par. 79 et 81; Nation haïda, par. 18);
(2) Le principe de l’honneur de la Couronne guide l’interprétation téléologique de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et fait naître une obligation de consultation lorsque la Couronne envisage des mesures qui auront une incidence sur un intérêt autochtone revendiqué, mais non encore établi (Nation haïda, par. 25);
(3) Le principe de l’honneur de la Couronne régit la conclusion des traités et leur mise en œuvre (Province of Ontario c. Dominion of Canada (1895), 1895 CanLII 112 (SCC), 25 R.C.S. 434, p. 512, le juge Gwynne, dissident; Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69, [2005] 3 R.C.S. 388, par. 51), et commande le respect d’exigences telles que s’en tenir à une négociation honnête et éviter l’apparence de manœuvres malhonnêtes (Badger, par. 41);
(4) Le principe de l’honneur de la Couronne exige qu’elle agisse de manière à ce que les traités conclus avec les Autochtones et les concessions prévues par la loi en leur faveur atteignent leur but (R. c. Marshall, 1999 CanLII 665 (CSC), [1999] 3 R.C.S. 456, par. 43, citant les arrêts The Case of The Churchwardens of St. Saviour in Southwark (1613), 10 Co. Rep. 66b, 77 E.R. 1025, et Roger Earl of Rutland’s Case (1608), 8 Co. Rep. 55a, 77 E.R. 555; Première nation crie Mikisew, par. 51; Badger, par. 47). [174]
- Pour le Québec, la demande des Innus de UMM n’allègue aucun manquement à une obligation reconnue par la jurisprudence.
- Le Tribunal n’est pas d’accord avec cette affirmation. Premièrement, il note que l’énoncé de quatre cas offerts par la Cour suprême n’est pas exhaustif. De plus, il estime que les faits du présent dossier démontrent que le Québec, et HQ, vu son statut de mandataire du Québec dans le développement des projets hydroélectriques, prennent des mesures qui auront une incidence sur un intérêt autochtone revendiqué, mais non encore établi.
- Avec égards, il est trop simpliste de dire que l’objet du présent dossier se limite au règlement d’un litige. La preuve démontre que, dès 2004, HQ a commencé à discuter du projet convoité avec les Innus de UMM, justement parce que les terres revendiquées par la communauté seraient affectées par celui-ci[175]. La question du règlement des litiges ne faisait pas partie des discussions initiales.
- Deuxièmement, personne ne remettrait en question que, dans le cadre du développement du Projet, il devait y avoir consultation entre les Innus de UMM et le Québec.
- Finalement, bien que nous ne soyons pas devant un traité proprement dit, tant le Québec qu’HQ ont pris des engagements envers les Innus de UMM dans le cadre de leurs discussions, lesquelles vont beaucoup plus loin que le règlement d’un litige.
- Pour le Québec, ses engagements sont clairement énumérés dans sa lettre du 17 janvier 2011[176].
- Pour HQ, nous les voyons dans l’EDP, comme le Tribunal a déjà expliqué.
- Le PGQ affirme que les modifications à la demande introductive d’instance, à 20 jours du procès, doivent être écartées, car tardives.
- Il ajoute ceci à son plan d’argumentation :
256. Par cet ajout, les demandeurs ne limitent pas leur demande à ce qui est nécessaire pour résoudre le litige (art. 19 C.p.c.) fondé sur une allégation d’erreur dans une condition essentielle d’un contrat (art. 1400 C.c.Q.) et prennent les défendeurs par surprise (art. 20 et 99 C.p.c.) en ayant omis de déposer des procédures complètes en temps utile.
- Le Tribunal n’est pas d’accord. Comme il l’a expliqué, la Loi sur Hydro-Québec stipule qu’HQ est mandataire de le Couronne dans le développement des projets hydroélectriques. Devant une telle stipulation et considérant les circonstances de l’affaire, où les discussions entre les parties allaient au-delà du règlement d’un ou des litiges, la détermination des obligations d’HQ, eu égard aux principes de l’honneur de la Couronne, est une question que le Tribunal aurait eu à considérer peu importe les modifications à la demande introductive d’instance.
- En outre, contrairement à ce qu’affirme le PGQ, pour les raisons discutées au présent jugement, l’étendue du présent litige est beaucoup plus vaste qu’une simple erreur lors de la signature d’un contrat, en l’occurrence la déclaration de règlement hors cour et les documents qui ont donné lieu à celle-ci.
- Rappelons également que la règle veut que la modification à une procédure soit permise, pourvu qu’elle ne donne pas lieu à une demande entièrement nouvelle, sans rapport avec la demande initiale. Ce n’est sûrement pas le cas ici.
- Le PGQ soutient que la modification à la demande introductive d’instance équivaut à un changement de position par les Innus de UMM, en rapport à celle qu’ils ont prise dans le dossier Alouette, où ils soutenaient qu’un promoteur comme HQ « ne peut diriger le processus de consultation et d’accommodement »[177].
- Or, dans le présent jugement, la suffisance de la consultation ni la personne qui devaient la diriger n’ont à être considérés. Pour le Tribunal, même si HQ doit respecter les principes de l’honneur de la Couronne, ce constat ne donne pas nécessairement lieu à la conclusion qu’elle assume, à toutes fins, le rôle du gouvernement dans la consultation avec les Innus de UMM. Les principes discutés dans le jugement Alouette demeurent applicables, mais n’ont pas à être considérés dans le présent dossier.
- Finalement, le Tribunal ne peut pas conclure que le PGQ a été pris par surprise par cette modification. La modification est connue depuis le ou vers le 17 octobre 2023. Les arguments ont eu lieu durant la semaine du 11 mars 2024. Il avait amplement de temps pour préparer son plaidoyer.
- ITUM fait valoir que le droit reconnaît, depuis longtemps, que les ententes avec les communautés autochtones constituent des promesses solennelles qui doivent être respectées et interprétées libéralement, et ce, en faveur de la partie autochtone. Il estime que les principes applicables aux traités, tant historiques que modernes, conclus entre la Couronne et les peuples autochtones, sont pertinents au présent dossier, notamment en ce qui concerne la qualification et l’interprétation de l’EDP ainsi que les échanges de correspondances et discussions qui ont donné lieu à la signature de la déclaration de règlement hors cour.
- HQ considère que l’EDP est plutôt un contrat commercial, dont l’interprétation se limite aux règles du Code civil et estime que si le Tribunal faisait droit à la demande d’ITUM cela équivaudrait à réécrire l’EDP. Elle insiste sur le fait que le contrat soit de nature commerciale, bien que M. Bourassa ait une vision moins restreinte que celle de M. Cacchione :
Q. Est-ce que vous êtes d’accord, justement, avec – et c’était ma prochaine question - avec monsieur Cacchione qui vient dire - qui est venu dire - à la cour que c’est une entente purement commerciale?
R. Je serais porté à dire oui et non, dans le sens que ce n’est pas uniquement une question... Si ça avait été une entente purement commerciale, ce n’est pas moi qui l’aurais négocié cette entente-là. C’est une entente de nature commerciale, oui, parce qu’on se tient loin, Monsieur le Juge, de tout ce qui est reconnaissance de droit ou toute la... tout ce qui concerne le droit autochtone, les revendications et tout ça, on se tenait loin, le plus loin possible de ça pour en rester à une entente, oui, de nature commerciale, c’est-à-dire dans laquelle on prévoit des emplois, de la formation, des contrats, des montants compensatoires.
Mais quand je dis... l’hésitation que j’ai, c’est que oui, il y a des choses particulières parce qu’on est avec des communautés autochtones. Si je prends, par exemple, des fonds d’activités traditionnelles, bien, ça, je ne retrouve pas ça dans quelque chose de strictement commercial. C’est comme...
Bon, il y a des considérations, aussi, qui ne sont pas nécessairement aussi strictement commerciales. Je regarde le chapitre qu’il y avait sur le conseil des familles, tu sais, ça va au-delà de dire qu’on attribue simplement des contrats. Et encore là, dans l’attribution de contrats, bien, il y a des clauses particulières qu’on ne retrouve pas de façon générale où ça fonctionne par appels d’offres; on fait du gré à gré. Mais le sens qu’on donne à l’entente strictement commerciale, c’est de dire : ce n’est pas un traité qu’on fait là. On n’est pas en train de négocier des droits sur un territoire. Même que ce n’est pas ça le... le terme qu’on utilise, ce n’est pas au niveau de l’exercice des droits sur le territoire. Nous, ce qu’on regarde, c’est les utilisateurs du territoire, quels qu’ils soient. S’il y a des inconvénients à l’égard de ces utilisateurs-là, on va faire des choses. Donc, dans ce sens-là, on dit que c’est une entente commerciale par opposition à une entente de type «traité».[178]
(Le Tribunal souligne)
- Qu’en est-il?
- Dans l’arrêt First Nation of Nacho Nyak Dun c. Yukon, la Cour suprême du Canada discute des traités modernes :
[1] En témoignant de l’expression d’un partenariat entre les nations, les traités modernes jouent un rôle crucial dans la réalisation de la réconciliation. Par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, ces traités ont pris une place fondamentale dans notre tissu constitutionnel. La négociation de traités modernes et le respect des responsabilités et des droits mutuels qui y sont énoncés peuvent permettre de bâtir une relation renouvelée entre la Couronne et les peuples autochtones (Beckman c. Première nation de Little Salmon/Carmacks, 2010 CSC 53, [2010] 3 R.C.S. 103, par. 10; Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, vol. 2, Une relation à redéfinir (1996), p. 3, 12, 44-46 et 63). Le présent pourvoi fait ressortir le rôle des tribunaux dans le règlement des conflits qui surviennent dans la mise en œuvre des traités modernes.[179]
- Antérieurement, dans l’arrêt Beckman c. Première nation de Little Salmon/Carmacks, la Cour suprême a également souligné l’importance des traités modernes en ces termes :
[10] La réconciliation des Canadiens autochtones et non autochtones dans le cadre d’une relation à long terme empreinte de respect mutuel : voilà le noble objectif de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Les traités récents, y compris ceux en cause en l’espèce, tentent de contribuer à la réalisation de cet objectif de réconciliation, non seulement en répondant aux griefs relatifs aux revendications territoriales, mais en créant le fondement juridique propre à favoriser une relation à long terme harmonieuse entre les collectivités autochtones et non autochtones. Une application judicieuse du traité aidera à aplanir, sans nécessairement les éliminer, certains des malentendus et des doléances qui ont caractérisé le passé. Mais comme le montrent les faits de la présente affaire, l’objectif du traité ne pourra être atteint si les responsables territoriaux l’interprètent de façon mesquine ou comme s’il s’agissait d’un banal contrat commercial. Le traité vise tout autant l’établissement de relations que la résolution des griefs du passé. L’avenir est plus important que le passé. Un canoteur qui souhaite avancer regarde devant lui, non derrière.[180]
- Pour le Tribunal, il n’est pas nécessaire de déterminer si l’EDP est un traité moderne. Cependant, comme le Tribunal dit ci-haut, les engagements d’HQ consacrés à l’EDP, permettent de voir que l’EDP est beaucoup plus qu’un simple contrat commercial. Les discussions qui ont mené à sa conclusion, ainsi qu’à son contenu, démontrent que les parties visaient la création d’une relation harmonieuse à long terme.
- Ainsi, la position avancée par M. Cacchione, et même celle de M. Bourassa, est trop simpliste et ne reflète pas l’étendue des stipulations de l’EDP. Ces deux personnes semblent également oublier que la négociation de l’EDP était nécessaire, justement à cause de la revendication territoriale des Innus de UMM. Rappelons également qu’HQ désirait aussi apporter des solutions aux différends entre les parties afin de concilier les droits et intérêts des Innus de UMM avec les intérêts d’HQ. L’EDP est clairement plus qu’un contrat commercial relié à un seul projet hydroélectrique.
- C’est à cause de ces éléments qu’avec égards, HQ se méprend en invitant le Tribunal à prendre une approche strictement civiliste dans son analyse de l’EDP. Elle met beaucoup d’emphase sur sa prétention qu’un jugement favorable aux Innus de UMM équivaille à la réécrire, et surtout, les éléments de l’article 9 de celle-ci, qui visent le règlement des litiges. Or, le point n’est pas là. Bien qu’il soit vrai que les Innus de UMM demandent au Tribunal de déclarer l’EDP nulle, au risque de répétition, le vrai débat demeure le comportement des parties à la suite de la signature de l’EDP.
- De surcroît, il ne peut être question de réécrire l’EDP, car les étapes, à la suite de sa signature étaient, d’une part, le référendum, ce qui a eu lieu, et d’autre part, la soumission de l’EDP au conseil d’administration d’HQ, ce qui n’a pas été fait. En ne soumettant pas l’EDP à son conseil d’administration, HQ a sans doute rendu la prochaine étape, soit la négociation d’une entente finale, plus difficile.
- Les parties ont néanmoins tenté de conclure une entente, en dépit de la présence des familles dissidentes. Bref, l’EDP n’était qu’une étape vers une entente finale et non pas l’entente qui devait, en soi, régler les litiges entre HQ et les Innus de UMM.
- Qu’en est-il des discussions et des négociations subséquentes qui ont conduit aux échanges du début de 2015 et à la signature de la déclaration règlement hors cour dans le dossier la Romaine? Dès la lettre de M. Bourassa du 13 février 2015, il est évident qu’HQ et ITUM recherchaient un règlement global des litiges, ou, autrement dit : une relation harmonieuse à long terme.
- Le règlement hors cour ne visait qu’un seul litige, soit le dossier la Romaine, ou une partie de celui-ci, mais, les échanges entre M. Bourassa et Me O’Reilly allaient beaucoup plus loin et, rappelons-le, faisaient partie d’un processus de règlement global.
- HQ et ITUM s’entendent pour dire que les échanges de février et mars 2015, ainsi que la déclaration de règlement hors cour, doivent être examinés ensemble. Or, les lettres entre M. Bourassa et Me O’Reilly démontrent l’intention d’HQ et des Innus de UMM de s’embarquer dans un processus, dont le but était de conclure un règlement global de plusieurs différends. Le Tribunal doit tenir compte de cette intention commune[181]. La déclaration de règlement hors cour faisait partie de ce processus.
- Nous savons que, tant en 2011, qu’avec l’EDP, HQ et ITUM recherchaient un genre de partenariat pour régir leurs relations à l’avenir. À ce niveau, leurs échanges étaient semblables à ceux discutés par la Cour suprême du Canada dans First Nation of Nacho Nyak Dun[182], et devaient « favoriser chez les signataires une relation à long terme harmonieuse et empreinte de respect mutuel. »[183] Ainsi, les échanges et la déclaration de règlement hors cour devaient régler « les griefs du passé, tout en se tournant vers l’avenir. »[184]
- Suivant les principes énoncés dans Beckman, le Tribunal est d’avis que ce document, ainsi que les échanges au préalable de sa signature, doivent recevoir une interprétation généreuse, car ils faisaient tous partie de la tentative des parties d’établir des relations harmonieuses à long terme. Toutefois, il faut porter une grande attention à chacun des libellés des divers documents[185].
- Finalement, quant à la demande d’ITUM de déclarer l’EDP nulle, il y a lieu de l’accorder. Même si HQ s’est dit ouverte à des négociations, comme le Tribunal a dit, celles-ci n’ont pas été entamées, sans que HQ mélange la conclusion de l’EDP avec d’autres objectifs. Qui plus est, HQ n’a pas accompli une étape importante de l’EDP, soit de la soumettre au conseil d’administration.
- HQ estime qu’ITUM a failli à son obligation de la renseigner sur une information importante à la conclusion de l’EDP, soit l’existence de familles qui allaient se déclarer contre l’entente.
- Le Tribunal n’est pas d’accord.
- Premièrement, par le travail de son équipe des relations avec les autochtones, notamment M. Laforest, HQ devait déjà savoir qu’il y avait plusieurs membres de la communauté qui étaient méfiants de ses projets.
- De plus, les modalités de désistement des familles devaient faire partie de la négociation de l’entente finale, et ce, après l’acceptation de l’EDP par la population, dans le cadre d’un référendum et de sa soumission au conseil d’administration d’HQ. Le négociateur, M. Pinette souligne ce fait durant son interrogatoire au préalable :
L'entente de principe quant aux procédures des familles ne prévoyait pas de désistement. C'est plutôt l'entente finale qui prévoyait les modalités d'un règlement hors cour des procédures.[186]
- Bien sûr certaines familles ont manifesté leur désaccord avant le référendum, et il aurait été préférable que ces dissidences furent connues par les parties avant la signature de l’EDP. En revanche, vu que les modalités de désistement devaient faire partie de l’entente finale, c’est à cette étape que l’obligation de renseignements devenait plus pertinente.
- Et, pourquoi exiger un référendum si HQ était si préoccupée par la présence de quelques familles dissidentes?
- Qui plus est, la bonne foi est à la base de l’obligation de renseignement. Dès 2013, avec l’arrivée du Chef McKenzie, ITUM a tout fait pour expliquer à la population, y compris aux familles dissidentes, les enjeux à l’égard d’HQ. ITUM ne pouvait être tenu d’être au courant de toutes les familles dissidentes avant même que celles-ci ne se soient manifestées. Cela est encore plus vrai quand nous reconnaissons que ces familles n’ont fait part de leur désaccord qu’après la signature de l’EDP et avant le référendum. Or, entre la signature et le référendum, ITUM a entrepris une campagne d’information massive pour assurer un vote favorable. Il se peut que les dissidences des familles ne se soient cristallisées qu’après les explications à cette époque, de sorte qu’il aurait été impossible de les soulever à la table de négociation.
- En outre, puisque l’EDP devait faire l’objet d’un référendum, suivi par la négociation de l’entente finale, ITUM avait la possibilité de se servir d’un vote positif pour tenter de convaincre les familles dissidentes de reconsidérer leurs positions, ce qu’il a effectivement fait.
- Finalement, sur le plan de la bonne foi et de l’obligation de renseignement, nous pouvons nous questionner sur le pourquoi d’HQ de ne pas informer ITUM qu’elle ne présenterait pas l’EDP au conseil d’administration s’il y avait des familles dissidentes. Le défaut d’HQ de présenter l’EDP au conseil d’administration, comme convenu, était contraire à un principe des relations entre la Couronne et les peuples autochtones, car HQ n’a pas acquitté une promesse :
[75] En appliquant les précédents et les principes qui encadrent le comportement honorable, nous estimons que, lorsqu’il est question de la mise en œuvre d’une obligation constitutionnelle envers un peuple autochtone, le principe de l’honneur de la Couronne oblige la Couronne : (1) à adopter une approche libérale et téléologique dans l’interprétation de la promesse; (2) à agir avec diligence pour s’acquitter de la promesse.[187]
- Qui plus est, le Tribunal estime que l’exigence de bonne foi imposait qu’HQ avertisse les Innus qu’elle ne soumettrait pas l’EDP au conseil d’administration, et ce, dès qu’elle eut pris connaissance des familles dissidentes. Une telle communication aurait permis à ITUM de prendre une décision informée sur l’opportunité ou non de reporter le référendum à une autre date. Pourtant les lettres de M. Pinette, de la famille Grégoire et de M. Tshernish semblent avoir été communiquées à HQ les 8 et 9 avril 2014, soit avant le vote et M. Laforest en était au courant.
- HQ va plus loin dans sa critique des agissements des Innus de UMM et son reproche vise surtout les avocats ad litem. Puisque Me O’Reilly et Me Bertrand représentaient également les demandeurs individuels, selon HQ, ils devaient être au courant de leur position alors qu’ils négociaient avec HQ et se devaient de la communiquer lors des discussions. HQ estime qu’il soit manifeste que ces avocats ne se sont pas informés de la position de toutes les familles qu’ils représentaient.
- La position d’HQ donne lieu à une question délicate, car nous pouvons nous questionner sur l’opportunité des mêmes avocats de représenter à la fois ITUM et les familles individuelles.
- En revanche, lors des négociations avec HQ, les avocats étaient mandatés par et représentaient les intérêts d’ITUM. Les demandeurs individuels dans le dossier des familles traditionnelles et le dossier Pinette A n’étaient pas à la table de négociation. Personne d’HQ ou d’ITUM n’a remis en question le fait que les familles n’étaient pas ainsi représentées. Il est clair que le négociateur en chef, Rosario Pinette, était mandaté par ITUM et non pas par les familles traditionnelles. Il était assisté de Me O’Reilly et Me Bertrand dans le cadre des négociations.
- À ce niveau, le Tribunal ne peut pas accepter la position que M. Bourassa fait valoir à l’effet qu’il ait « pris pour acquis que les gens autour de la table de négociation avaient le mandat de tout le monde et parlaient au nom de tout le monde. »[188] Quand les discussions ont commencé en 2006, elles étaient en relation au Projet. Les premières discussions ne traitaient même pas du règlement des litiges. HQ voulait limiter son paiement à la somme prévue par le PMVI. Ce n’est que lorsque les négociations étaient beaucoup plus avancées qu’il est question du règlement des litiges et HQ ne demande pas que les familles individuelles soient représentées à la table de négociation. Ce n’est qu’après l’impasse que M. Bourassa a suggéré que les familles fassent partie des discussions.
- De plus, à aucun moment durant les discussions, il n’a été question de verser des sommes directement à des familles, en leur qualité de demanderesses, et ce, dans aucun des litiges.
- Qui plus est, dans sa politique sur son rôle social[189], HQ s’engageait à : « travailler de concert avec les collectivités, dont les communautés autochtones dans ses activités de planification, de conception, de réalisation et d’exploitation. » Tant M. Boucher, que M. Bourassa, ont reconnu que, dans le cadre de discussions avec une collectivité, c’est le conseil de bande qui en est le porte-parole.
- Finalement, sur ce point, dans la mesure où certaines familles pouvaient avoir des positions qui divergeaient de celle d’ITUM, vu le privilège avocat/client, ces positions n’auraient pas pu être partagées à la table de négociation par Me O’Reilly ou Me Bertrand sans le consentement des familles en question.
- Devant cette divergence qui est devenue évidente, juste avant le référendum, Me O’Reilly et Me Bertrand ont effectivement cessé de représenter les familles dissidentes, comme il se devait.
- HQ fait valoir que, par sa demande, ITUM requiert que le Tribunal réécrive la clause McKenzie, afin qu’elle comprenne d’autres familles et, ainsi, de faire fi de l’entente entre les parties sur les règlements des litiges.
- Elle soutient également que le principe de l’intangibilité du contrat s’applique à l’EDP.
- Le Tribunal ne peut pas être d’accord avec cette affirmation. Premièrement, les modalités de ces clauses devaient faire partie de l’entente finale.
- Plus important encore, ITUM demande au Tribunal de déclarer l’EDP caduque et non pas de la réécrire. Cette demande d’ITUM est tout à fait compréhensible, vu la nature de l’EDP. C’était une entente de négocier une entente finale en reprenant ses principes. Le principe de l’intangibilité du contrat ne peut pas s’appliquer parce qu’il aurait pu y avoir des modalités spécifiques à être déterminées à l’entente finale.
- Avec égards, la vraie question n’est pas la possibilité de réécrire la clause McKenzie ou d’autres clauses du contrat, mais plutôt si le refus d’HQ de considérer une telle option était raisonnable, compte tenu de son devoir d'agir de bonne foi et honorablement dans ses relations contractuelles.
- La position d’HQ, à l’égard de la clause McKenzie, est difficile à suivre. M. Bourassa témoigne que la clause McKenzie est intuitu personae à George McKenzie, en ce qu’elle considère spécifiquement sa personne. En revanche, l’exception à l’EDP vise « les membres de la famille McKenzie ».
- M. Bourassa estimait que George McKenzie pourrait voir son dossier rejeté par un tribunal en raison de « motifs personnels » :
Q. Alors, c’est quoi la logique, quand vous venez dire à la cour : « Qu’ils soient un ou 10, c’est la même preuve devant moi puis c’est aussi lourd » puis c’est ci. Alors, c’est quoi la logique de cette affirmation-là alors qu’Hydro-Québec, personnifiée par vous, s’est entêtée à ne pas vouloir accepter la clause McKenzie où ils auraient été cinq avec George McKenzie?
R. O.K. Ma logique, si on veut, là-dedans, c’est... puis c’est pour ça que, vous me trouvez tatillonneux, là, mais quand on parle d’élargir je suis inconfortable avec ce terme-là, là, puis vous allez comprendre pourquoi dans cette logique-là que je vous explique, Monsieur le Juge. La clause de monsieur McKenzie, c’est une clause intuitu personae qui collait à la représentation que les représentants des Innus m’avaient faite à l’effet que monsieur McKenzie avait des problèmes mentaux, avait des problèmes de toxicomanie, avait de problème d’agressivité qui faisaient en sorte que j’espérais, sans être méchant, qu’il fasse la démonstration par lui-même devant la cour que son dossier était boiteux.
J’estimais, peut-être à tort, j’estimais à tort ou à raison que j’avais de bonnes chances de convaincre un tribunal qu’on pouvait mettre ce dossier-là de côté. Pourquoi? Pour des motifs personnels à monsieur McKenzie. Ces motifs-là, je ne les ai pas avec les autres et c’est pour ça que je ne peux pas parler de l’élargissement de la clause McKenzie, mais plutôt d’une clause autres demandeurs où là on aurait pu les mettre dans cette boîte-là où je n’ai pas ces considérations personnelles là. Et là j’ai affaire à un petit groupe. Petit groupe de familles traditionnelles qui s’appuie sur des procédures préparées par des avocats chevronnés en matière autochtone, par des experts de longue haleine en matière autochtone, des procédures très sérieuses, c’est le moins qu’on puisse dire en lisant les procédures de la demande, qui pour moi, la défense à ces procédures-là était aussi lourde qu’elle le serait dans le présent dossier ou qu’elle l’est dans le présent dossier. Mais je ne peux pas faire le lien avec le cas de monsieur McKenzie. C’est là que je ne suis pas d’accord.[190]
- Or, par ces propos, M. Bourassa pensait inviter le tribunal saisi de la demande de M. McKenzie, à la rejeter sur la base de ses qualités personnelles. À l’instar d’ITUM, le Tribunal estime qu’une revendication en matière autochtone ne sera pas décidée en considération de qualités propres à une personne en demande.
- Le Tribunal estime qu’au cas où un individu ou une famille se retrouve dans la situation relativement exceptionnelle d’avoir une cause d’action contre HQ, la légitimité de son droit d’action doit plutôt être analysée en considérant les effets que pourraient avoir les installations d’HQ sur ses terres familiales et non pas par le fait qu’il soit toxicomane.
- À ce niveau, la preuve démontre qu’une seule terre d’une famille au Québec était touchée par des installations d’HQ, soit celle de la famille d’André Jérôme.
- HQ, malgré le fait qu’elle avait alors une équipe qui négociait avec ITUM, n’a vérifié aucune des situations des lots traditionnels des familles dissidentes.
- Il en résulte que l’évaluation du risque pour HQ d’un élargissement de la clause McKenzie a été faite avec une absence de données nécessaires à cette évaluation.
- La position d’HQ est troublante. Son interlocuteur, pour les discussions en relation à l’EDP, a toujours été ITUM, le conseil de bande. L’exigence de tenir un référendum vient d’HQ. Elle ne pouvait pas s’attendre à l’unanimité. Finalement, après deux échecs en 2011, un référendum réussit, mais HQ ne présente toutefois pas l’EDP au conseil d’administration à cause de quelques familles dissidentes.
- En agissant ainsi, HQ décide que le référendum, qu’elle a elle-même exigé, n’a aucune pertinence ou une pertinence que très mitigée. La logique d’HQ menait à une situation où la dissidence d’une seule personne (autre que Georges McKenzie) empêchait la conclusion de l’entente finale.
- Rappelons aussi que la preuve démontre, qu’à l’époque, il y avait beaucoup de méfiance envers HQ dans la communauté. Nous ne le saurons jamais, mais qui sait si l’approbation de l’EDP par le conseil d’administration n’aurait pas facilité le discours entre ITUM et les familles dissidentes par la suite?
- En agissant ainsi, HQ n’a pas respecté la gouvernance de la communauté. De plus, il ne faut pas perdre de vue que, dans le dossier la Romaine, il y avait de nombreux demandeurs à titre personnel. Nous ignorons qui a voté en faveur de l’EDP et qui a voté contre, mais après que le résultat eut été connu, aucune autre famille ne s’est déclarée contre l’EDP, un indice que les familles qui se sont manifestées auparavant n’avaient que peu d’influence sur les autres et que le résultat du vote était accepté par la communauté.
- Le Tribunal estime que cette position d’HQ est déraisonnable.
- Avant son départ de 2015, M. Vandal, qui avait beaucoup d’estime pour le contentieux d’HQ, acceptait son évaluation du risque des litiges pour HQ :
Mais ce que je sais, c'est que le Contentieux d'Hydro-Québec et les équipes qui œuvraient au dossier avaient établi que la présence de la manifestation de ces demandeurs dissidents, des familles dissidentes, faisait en sorte de rendre le dossier très risqué pour Hydro-Québec et donc, venait créer un obstacle majeur dans le parcours vers une entente finale.[191]
- Le Tribunal n’a aucun indice à l’effet que M. Vandal ait mal compris les informations qu’il a reçues du contentieux, mais il doit conclure que sa caractérisation du dossier comme étant très risqué était non fondée, vu l’obligation d’HQ d'agir de bonne foi et honorablement dans son évaluation du risque et également lors de sa caractérisation de l’existence d’autres litiges comme très risqué.
- En quelque sorte, la question du niveau du risque pour HQ est liée à la question de l’élargissement de la clause McKenzie et à l’offre d’ITUM de prendre fait et cause pour HQ si une ou des familles poursuivaient leur demande. Si HQ acceptait que certaines familles dissidentes ne se désistent pas de leurs demandes, quelle était la probabilité que ces familles fassent le nécessaire pour mettre leurs dossiers en état?
- L’expérience vécue en 2014 et 2015 démontre que la probabilité était minime.
- Il y a également lieu de considérer certaines allégations des Innus de UMM, dans les dossiers où les familles sont demanderesses; d’abord dans le dossier des familles traditionnelles. Celles-ci démontrent la vision des Innus de UMM quant au rôle des familles traditionnelles :
1b) Les demandeurs sont aussi membres des familles Innu qui ont des droits et responsabilités particuliers quant aux terres traditionnelles de leurs familles (ci-après les terres traditionnelles ou le territoire). Ces terres traditionnelles sont décrites au paragraphe 6.
1d) Selon les coutumes, pratiques et traditions Innu, les demandeurs nommés au paragraphe 1 ont et exercent la responsabilité de contrôler, gérer, préserver et protéger les terres traditionnelles, et ses ressources naturelles, de leurs familles respectives qui sont décrites au paragraphe 6.
1e) Les demandeurs ont tous un intérêt distinct de la Nation Innu sur leurs terres traditionnelles ainsi que des droits individuels et des droits collectifs, partagent le titre indien sur et dans ces territoires et ses ressources naturelles et jouissent tous des droits ancestraux et des droits issus de traités sur leurs terres traditionnelles et ses ressources naturelles.
[…]
6) Les territoires respectifs des demandeurs (le territoire ou les terres traditionnelles) et de leurs ancêtres comprennent une superficie totale d'approximativement 16,679, 20,245 kilomètres carrés situés au nord de Sept-Îles, Québec, entre approximativement les 502 et 532 parallèles de latitude nord et les méridiens 652 à 682 ouest. Ces territoires respectifs ou territoires familiaux, quoique des territoires traditionnels, sont communément décrits par rapport aux lots de la réserve à castors. […][192]
- Nous voyons de ces paragraphes que les demandeurs, y compris les chefs de famille, font une distinction entre les terres des familles et les terres de la collectivité.
- Certains paragraphes réfèrent, toutefois, à des installations d’HQ :
23c) Des projets hydroélectriques, dont la centrale SM-3 construite sur la rivière Sainte-Marguerite et les lignes de transmission, ont déjà eu un impact sérieux et négatif sur le territoire des demandeurs et leurs activités traditionnelles. De nouveaux projets hydroélectriques menacent le territoire réclamé par les demandeurs. Il est notamment question de la construction projetée de lignes de transport d'électricité (736 kV) le long de la rivière Nipisso, en direction de Sept-Îles et ensuite le long du St-Laurent.
- De plus, certaines conclusions de la demande font moins de distinctions entre les terres des familles et les terres de la collectivité et peuvent avoir un impact sur HQ. Les plus pertinentes se retrouvent aux paragraphes 8 et 9 :
8. Qu'il soit déclaré que tout projet de développement, y compris les projets miniers, forestiers, hydroélectriques, ferroviaires, touristiques et pourvoiries, est sujet au consentement des demandeurs en vertu du titre indien et des droits ancestraux existants et issus de traités des demandeurs.
9. Qu'il soit déclaré que tout projet de développement sur les terres traditionnelles des demandeurs et tous les travaux s'y rattachant sont inconstitutionnels, illégaux, nuls et ultra vires et constituent une violation du titre indien et des droits ancestraux et issus de traités des demandeurs et qu'ils outrepassent les droits et l'autorité de l'Assemblée nationale du Québec et du défendeur, le Procureur général du Québec.
- C’est à la lumière de ces paragraphes et de ces conclusions qu’il faut analyser le vrai risque pour HQ à l’effet que des familles traditionnelles puissent poursuivre le litige et, le cas échéant, devenir un enjeu pour HQ.
- De surcroît, puisque M. Bourassa dit que le jugement du juge Tannenbaum, prononcé au tout début du dossier, demeurait pertinent à son analyse du risque, le Tribunal l’abordera ici également.
- Le juge Tannenbaum, qui a rejeté la demande d’intervention du conseil de bande à l’époque, y voyait une tentative de suspendre les procédures. L’essence des procédures de la famille McKenzie était une contestation d’un projet minier sur les terres traditionnelles de la famille de Philomène McKenzie, et HQ n’était même pas au dossier.
- Maintenant, pour faciliter la lecture, le Tribunal reproduira encore les mots de la Cour d’appel :
Sous toutes ces réserves et nuances, les intimés McKenzie possèdent ce droit fondamental de plaider et d'être entendus, et c'est ce dont l'ordonnance demandée les priverait. Ajoutons qu'on n'a pas remis en cause complètement leur qualité pour prendre la procédure judiciaire demandée, bien qu'on puisse s'interroger quant à leur intérêt à l'égard des droits collectifs proprement dits. Leurs droits ancestraux ne se résument toutefois pas à la seule dimension collective, comme il ressort de l'arrêt Delgamuuvkw c. Colombie-Britannique, 1997 CanLII 302 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 1010, mais ils pourraient avoir des aspects individuels, qui peuvent être réclamés par des individus (voir loc. cit, pp. 1093 à 1095; aussi, R. c. Adams, 1996 CanLII 169 (CSC), [1996] 3 R.C.S. 101, p. 119). Par ailleurs, le recours des intimés repose aussi sur la législation d'application générale, notamment celle qui a trait à l'environnement.[193]
(Le Tribunal souligne)
- Or, considérant que la seule famille dissidente au Québec affectée par une installation d’HQ est la famille d’André Jérôme, est-ce que les autres pourraient éventuellement réclamer des droits individuels contre HQ?
- Cette question devient encore plus pertinente à la lumière du jugement du 23 février 2016, bien que rendu dans le dossier la Romaine, où le Tribunal a conclu qu’il ne devrait pas être permis aux familles dissidentes « de poursuivre à titre personnel les revendications contre Hydro-Québec[194]. »
- Bref, le jugement du juge Tannenbaum, vu sa portée très limitée, n’éliminait pas la possibilité pour HQ ou le PGQ, dans le dossier des familles traditionnelles, de faire valoir les mêmes arguments que le PGQ a faits dans le dossier la Romaine, concernant l’intérêt des familles à poursuivre leurs actions à titre individuel.
- Regardons maintenant le dossier Pinette A.
- La demande des Innus de UMM comporte des allégations voulant que tant le Canada, que le Québec « par action ou inaction, a autorisé Hydro-Québec à construire et exploiter ses ouvrages, installations et équipements dans le Territoire traditionnel «A» des demandeurs au mépris et sans égard pour les droits ancestraux […][195] ».
- Il est vrai qu’une longue série d’allégations, ainsi que les conclusions contre HQ, sont plus détaillées, et surtout plus étendues que dans le dossier des familles traditionnelles. Certaines allèguent que les droits des familles traditionnelles ont également été atteints par les agissements d’HQ sur le territoire. En revanche, la plupart des revendications sont reliées aux droits ancestraux de la collectivité ainsi qu’ au titre ancestral, dont la revendication appartient à la communauté.
- Comme le Tribunal a dit, c’est M. Bourassa qui évaluait le risque pour HQ en relation aux autres litiges. C’est le positionnement qu’il relate, après le jugement du 23 février, qui surprend, et ce, encore plus, vu que c’est lui qui a proposé la recette procédurale :
Q. O.K. Puis des suites du jugement de Monsieur le Juge Davis, voyant que l’appel est déserté par les gens, ça ne vous aide pas aussi à vous rassurer à l’effet qu’ils n’iront probablement pas plus loin puis que le risque devient minime? Ils ont même fait un... Non, oubliez mon dernier commentaire.
R. Ça ne me rassurait pas. Pourquoi? C’est que j’ai toujours, Monsieur le Juge, à l’esprit les procédures telles qu’elles sont instituées devant le tribunal, les arguments qui sont au soutien de cette procédure-là - de ces procédures-là - rédigées par ces avocats chevronnés...
LA COUR :
Q. Alors, vous parlez de quelles procédures, là?
R. Bien, on parle des procédures dans McKenzie, on parle des procédures dans Pinette, peut parler des procédures dans la Romaine où on retrouve les allégués relativement aux familles traditionnelles et à leurs droits distincts, leurs droits collectifs distincts des droits collectifs de la communauté. Et je ne peux pas, avec grand respect, Monsieur le Juge, malgré votre décision, je ne peux pas prendre pour acquis que l’état de la jurisprudence est maintenant cristallisée sur cette question-là. Et comme je vous ai dit au début de mon témoignage, ça fait des années que je croise le fer avec maître O’Reilly et je prends au sérieux chaque virgule que je trouve dans ces procédures-là. Et j’ai toujours eu très raison de prendre au sérieux ce qu’il allègue; c’est songé, réfléchi, savant ce qui est là-dedans et pour moi, je ne peux pas prendre aucune chance. Et ce que je retrouve dans ces procédures-là ce n’était pas des petits allégués de forme, c’est des éléments importants et je vois là-dedans - est-ce que je me suis trompé? Peut-être, je ne le sais pas - mais ce que je vois là-dedans, c’est une volonté, une tentative de créer de la jurisprudence à l’égard d’une nouvelle couche de droits collectifs au niveau des familles traditionnelles. Et ça, je voyais toujours cette...j’ai toujours cette inquiétude-là. L’effet de la décision, pour moi, ça me rendait optimiste en disant : « on a des bonnes chances ».[196]
- M. Bourassa ajoute qu’il avait la même crainte, même si Me O’Reilly ne représentait plus les familles.
- Avec égards, le Tribunal trouve que l’analyse du risque de M. Bourassa, à ce niveau, était superficielle. Ceci est encore plus vrai lorsque nous considérons que rien n’empêchait HQ de présenter elle-même des demandes en rejet dans le dossier des familles traditionnelles ou dans le dossier Pinette A. Tout comme le PGQ l’a fait dans le dossier la Romaine, HQ pouvait soulever que, de permettre à certains chefs de famille de poursuivre leurs demandes contre HQ serait contraire aux intérêts de la communauté et de toutes les autres familles traditionnelles, dont les membres supportaient l’EDP et donc, contraire aux intérêts de la justice[197].
- Ajoutons à cela le fait que M. Bourassa jugeait qu’il n’avait pas à être à la fine pointe de la jurisprudence afin de faire son évaluation du risque pour la haute direction d’HQ.
- Lors de l’audience, sans établir si M. Bourassa en a tenu compte dans son évaluation du risque, HQ cherche un appui pour sa position dans l’arrêt Behn c. Moulton Contracting Ltd., où la Cour suprême du Canada s’est exprimée en ces termes :
[33] La Couronne soutient que les demandes fondées sur des droits issus de traités doivent être présentées par la collectivité autochtone ou en son nom. Cette proposition générale est trop restrictive. Il est vrai que les droits ancestraux et issus de traités sont, de par leur nature, des droits collectifs : voir R. c. Sparrow, 1990 CanLII 104 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 1075, p. 1112; Delgamuukw, par. 115; R. c. Sundown, 1999 CanLII 673 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 393, par. 36; R. c. Marshall, 1999 CanLII 666 (CSC), [1999] 3 R.C.S. 533, par. 17 et 37; R. c. Sappier, 2006 CSC 54, [2006] 2 R.C.S. 686, par. 31; Beckman, par. 35. Toutefois, certains droits, bien que la collectivité autochtone en soit titulaire, sont néanmoins exercés par des membres à titre individuel ou attribués à ceux-ci. De tels droits peuvent par conséquent posséder des attributs à la fois collectifs et individuels. Il est possible que des membres de la collectivité possèdent à titre individuel un intérêt acquis dans la protection de ces droits. Comme certains intervenants l’ont fait valoir, il se peut fort bien que, lorsque les circonstances s’y prêtent, des membres d’une collectivité puissent être en mesure d’invoquer à titre individuel certains droits ancestraux ou issus de traités.[198]
- Le Tribunal est d’accord avec HQ, qu’à la lumière de ces mots, la question du droit d’un membre individuel d’une communauté autochtone de revendiquer un droit ancestral n’est possiblement pas cristallisée. En revanche, ce droit existe lorsque les circonstances s’y prêtent et le Tribunal a décidé, en 2016, qu’il revenait au Conseil de bande de gérer le différend en relation au Projet avec HQ. Le même raisonnement s’appliquerait à d’autres projets ou installations d’HQ.
- De plus, foncièrement, l’implantation d’une installation par HQ touche à l’utilisation des terres de l’ensemble de la communauté des Innus de UMM et comme la Cour suprême du Canada a dit plus tard dans Nation Tsilhqot’in c. Colombie‑Britannique « le titre ancestral confère au groupe qui le détient le droit exclusif de déterminer l’utilisation qui est faite des terres »[199].
- Un autre élément du risque qu’HQ devait évaluer était si les familles traditionnelles avaient les ressources financières nécessaires pour faire avancer leurs dossiers à titre personnel. Comme le Tribunal a dit, HQ ne s’est pas renseignée sur ces ressources, mais s’est tout de même servie de son impression erronée pour prendre sa décision quant au risque lié aux litiges.
- HQ passe aussi beaucoup de temps sur une demande de provision pour frais qui est toujours pendante devant le tribunal. M. Bourassa dit ceci en relation à cette demande :
Q. O.K. Et justement, vous parlez d’un citoyen. Vous avez dit hier, les recours en droits autochtones, de par votre expérience de plaideur au PGQ dans un premier temps, et chez Hydro-Québec, consacré exclusivement aux litiges de gammes... d’envergures chez Hydro-Québec, pour Hydro-Québec, que ça coûte une fortune, que c’est long, que c’est complexe, ça prend des anthropologues, des historiens, des sociologues, tous les « lologues » du monde entier que vous pouvez imaginer, et c’est des affaires d’années, d’années, d’années. Un exemple que vous connaissez, Pinette qui a été logé en 93, un autre exemple, McKenzie logé en 96. Et vous avez cru sincèrement dans votre analyse des risques qu’un citoyen pourrait prendre un recours contre Hydro-Québec et le mener de front jusqu’à la conclusion, à l’exception, puis on va en parler tout de suite après votre réponse, de George McKenzie? Puis vous le savez pourquoi parce que je vous l’ai dit lors d’une rencontre de négo puis c’est dans vos notes.
Alors, votre réponse : est-ce que vous croyez sincèrement qu’un citoyen aurait les moyens d’aller en cour contre Hydro-Québec?
R. Oui.
Q. Oui.
R. Oui.
Q. O.K.
R. On a des requêtes en provision pour frais au dossier, un citoyen pourrait très bien présenter une telle requête. D’ailleurs, ça a été fait.[200]
- M. Bourassa estime que, même si Me O’Reilly avait cessé d’occuper, un nouvel avocat aurait pu relancer ces demandes de provision pour frais.
- Or, à la lumière de la conclusion du Tribunal en 2016 que : « de permettre aux familles dissidentes de faire échec à l'entente négociée par les lnnus de UM en continuant la requête introductive d'instance contre le projet La Romaine serait abusif et contre les intérêts de la justice »[201] il semble très douteux qu’il regarde favorablement une demande de provision pour frais, instituée par une famille traditionnelle dissidente.
- Qui plus est, avec l’exception possible de M. McKenzie, les familles dissidentes n’ont rien fait pour faire avancer leurs revendications individuelles dans les dossiers Pinette et des familles traditionnelles depuis 2013, voire bien avant.
- Un autre facteur de risque consiste en l’emplacement des lots des familles traditionnelles en relation aux installations d’HQ. HQ n’en a pas tenu compte non plus. Ce témoignage de M. Bourassa est révélateur :
Q. Donc, on s’arrête à ces deux-là pour l’instant. Vous êtes d’accord que les deux, Édouard Vollant, Michel Pinette, leur territoire est au Labrador? Terre-Neuve?
R. Bien, oui.
Q. Donc, rien à voir avec ce qui nous concerne ici?
R. Non.
Q. O.K. Ensuite...
R. Bien, non, je ne suis pas d’accord, « ça n’a rien à voir ».
Q. En quel sens? Est-ce qu’il y avait à ce moment-là un litige au Labrador avec Hydro-Québec? À Terre-Neuve?
R. Non.
[…]
R. Par rapport vous me référiez aux lettres et je ne suis pas d’accord que ce n’est pas pertinent dans le cadre de nos litiges.
Q. Pourquoi? Expliquez-moi.
R. Parce que s’il y a des impacts créés... ce n’est pas inimaginable de dire que s’il y a des impacts créés à l’égard de l’exercice de droit de ces familles-là qui font partie de la communauté d’Uashat, que ça ne nous concerne pas.[202]
- Pourtant, M. Bourassa n’explique pas en quoi les familles au Labrador pourraient avoir un impact sur les litiges qui font l’objet de l’EDP et qui visent les installations au Québec.
- Qui plus est, ni M. Marc Vollant, ni M. Michel Pinette n’ont de statut à titre de partie ou d’intervenant dans les dossiers Pinette A ou des familles traditionnelles.
- Quant à Mathieu Tshernish, tout comme Georges McKenzie, il n’y a aucune installation d’HQ sur son territoire de famille et de plus, à compter du 19 octobre 2015, il s’est désisté de sa demande dans le dossier la Romaine et s'est donc rallié à la majorité des Innus d’UMM quant à l’EDP 2014.
- Devant ces constats, le Tribunal conclut que, l’évaluation de risque communiqué à M. Vandal, que le dossier était très risqué, était plus qu’inexacte. Le risque était plutôt faible voire même inexistant.
- À partir du 19 octobre 2015, alors que M. Martel est en poste, le risque est encore plus faible que lorsqu’il a été initialement expliqué à M. Vandal.
- Dans le dossier des familles traditionnelles, parmi les familles dissidentes qui se sont manifestées en 2014, il ne reste effectivement que les familles de Georges McKenzie, Mathieu Tschernish et d’André Jérôme comme demandeurs. M. Jérôme et M. Tschernish sont également intervenants dans le dossier Pinette A, un dossier où Georges McKenzie n’a pas de statut[203]. Nous pouvons nous questionner sur la probabilité que M. Tschernish continue ses actions, et, de surcroît, sommes donc très loin du phénomène d'entrainement, dont M. Bourassa a fait part à Mme Pelletier le 4 mai 2014.
- Aucune famille traditionnelle n’était spécifiquement mentionnée dans les dossiers introduits à la Cour Fédérale.
- Bref, nous pouvons avoir l’impression qu’HQ était à la recherche de toutes les raisons possibles pour ne pas conclure l’entente finale, tout en voulant, toutefois, instaurer d’autres projets sur le territoire revendiqué par les Innus de UMM.
- Cette analyse superficielle et surtout le résultat de celle-ci surprennent encore plus quand nous considérons l’importance qu’HQ dit donner à sa réputation. M. Bourassa dit ceci :
[352] Et quelle a été votre évaluation du risque réputationnel que posait la continuation des recours, est-ce que c’est un élément que vous avez considéré ou c’est comment?
R. Oui, c’est un élément que j’ai considéré.
[…]
R. Bon, on parlait du 18-K qui est un peu, sur le marché international, question de financement; ça a la forme d’un audit dans lequel Hydro-Québec dénonce les litiges en cours. C’est toujours une roche dans le soulier lorsqu’il y a des litiges qui traînent et tout ça, d’où l’empressement de monsieur Vézina, dans le sens: «C’est-tu réglé, c’est-tu réglé? On peux-tu rayer ça de notre 18-K?»
Puis là, je suis obligé de dire: «Non, non, attends, je pense que ça va bien aller à l’égard de monsieur McKenzie, mais soyons prudents, on va attendre que ce soit fait avant».
Mais il y a un empressement dans ce temps-là, ça aurait été vite changé... Ça fait que oui, il y a un impact au niveau réputationnel.
C’est une tache dans le dossier lorsqu’il y a des litiges en cours qui ne sont pas réglés, pour Hydro-Québec.[204]
- Mathieu Boucher a dit sensiblement la même chose :
Q. [96] Mais, pour quelles raisons, qu'est-ce qui faisait que vous vouliez, vous teniez tant que ça à ces désistements-là?
[…]
R. […] Bien, on y tient, c'est le but du deal depuis des années-là. L'intention nous c'est les désistements, 1) c'était une - on l'a vu dans nos discussions hier - c'était une façon de rapprocher les parties parce qu'on était tellement loin au niveau financier puis au niveau des principes, donc le désistement est devenu une façon de faire un sens de toutes ces sommes-là.
De rapprocher tout le monde, on avait accepté d'avoir des désistements. Mais, c'était ça le principe de base de l'entente, puis il y avait des sommes financières importantes dans le soixante-quinze millions (75 millions) qui étaient, qui étaient la contrepartie des désistements.
Pour Hydro-Québec c'était important, bien, 1) c'était important parce que c'était ça l'entente qu'on avait négociée, c'était ça l'entente qui faisait l'objet de nos mandats à l'interne, c'était ça l'entente qu'on avait justifiée avec les montants.
Puis notre bénéfice de tout ça, bien, il est financier, parce qu'on sauve tout le temps/personnes, les frais d'avocats, la représentation. Le «réputationnel» parce qu'on règle des litiges au lieu d'augmenter des litiges. Donc nous, le désistement c'était ça la valeur de l'entente puis c'était ça le gain qu'on faisait dans l'entente, puis c'était important de l'avoir.[205]
- Mettant ces propos en juxtaposition avec la décision d’HQ d’insister sur les désistements des familles dissidentes après octobre 2015, cette insistance semble en effet très curieuse alors qu’il n’y avait que M. Jérôme et M. Tschernish qui restaient en qualité d’intervenants dans le dossier Pinette A et à titre de demandeurs dans le dossier des familles traditionnelles.
- Elle est encore plus difficile à expliquer après le jugement du 23 février 2016.
- Le Tribunal la questionne également à l’aune de la déclaration de règlement hors cour où HQ reconnaît que l’EDP « constitue une juste compensation de toute atteinte aux droits ancestraux revendiqués […] pouvant découler de la réalisation et l’exploitation du Projet la Romaine[206]. » Pourtant, à ce jour, elle n’a payé que 6 630 000 $ alors que dans ce document elle reconnaît que le paiement total est en lien avec le Projet.
- La recette est consacrée dans une série d’échanges de correspondance à la fin de l’hiver 2015.
- M. Bourassa lance la balle le 13 février 2015, en partie, en ces termes :
Hydro-Québec vous propose plutôt un processus global de règlement des litiges permettant de dénouer l'impasse et de reprendre les négociations en vue de conclure une entente finale, conformément aux intentions exprimées à l'Entente de principe de 2014.
[…]
Afin de permettre à ITUM d'obtenir le règlement global des litiges tel qu'envisagé dans l'Entente de principe 2014, Hydro-Québec accepterait de convenir d'un délai raisonnable supplémentaire pour l'obtention de quittances des familles dissidentes ou pour la présentation des requêtes requises afin de dégager Hydro-Québec de toute responsabilité à l'égard des litiges visés. […]
A. Dossier Uashat # 1— Familles traditionnelles (McKenzie) 500-05-027983-962
• O'Reilly et Associés et Jean-François Bertrand (« Mes O'Reilly et Bertrand ») transmettront aux Uashaunnauts n'ayant pas consenti à renoncer à leurs recours contre Hydro-Québec (« Uashaunnauts dissidents ») des avis leur indiquant qu'ils cesseront de les représenter;
• Mes O'Reilly et Bertrand continueront à représenter les Uashaunnauts ayant consenti à renoncer à leurs recours contre Hydro-Québec (les « Uashaunnauts en faveur d'un règlement »);
• Dépôt par Me O'Reilly et Bertrand d'une requête demandant que les Uashaunnuats en faveur d'un règlement poursuivent séparément le recours intenté contre PGC et PGQ;
• Dans le recours des Uashaunnuats en faveur du règlement :
-Dépôt par M' O'Reilly et Bertrand d'une déclaration amendée afin de radier toute référence à Hydro-Québec; et
-Dépôt par M" O'Reilly et Bertrand d'une déclaration de règlement hors cours visant toute réclamation des Uashaunnauts en faveur du règlement relative à Hydro-Québec (cependant, le recours des Uashaunnauts en faveur d'un règlement se poursuit à l'égard du PGC et PGQ);
• Dans le recours des Uashaunnauts dissidents :
- Dépôt d'une Requête en radiation d'allégués par le Conseil de bande et/ou le PGQ demandant au Tribunal de retirer tout allégué visant Hydro-Québec.
B. Dossier Uashat # 2 — Pinette 200-17-004196-036
[…]
• Dans le recours des Uashaunnauts en faveur d'un règlement:
-Dépôt par Mes O'Reilly et Bertrand d'une Requête introductive réamendée :
• reprenant les amendements proposés le 15 décembre 2009 afin de distinguer les allégations concernant la poursuite visant la partie « Pinette A » (hors convention de la Baie James) de celles concernant la partie « Pinette B » (conventionnée); et
• retirant toute référence à Hydro-Québec et à ses ouvrages et installations concernant la partie « Pinette A» (hors convention);
-Dépôt par M" O'Reilly et Bertrand d'une Déclaration de règlement hors Cour entre les Uashaunnauts en faveur d'un règlement et Hydro-Québec concernant la partie « Pinette A » (hors convention);
• Dans le recours des Uashaunnauts dissidents:
- Dépôt d'une Requête en radiation d'allégués par le Conseil de bande et/ou le PGQ demandant au Tribunal de retirer tout allégué visant Hydro-Québec.[207]
- Le 5 mars 2015, Me O’Reilly répond en partie en ces termes :
Nous avons communiqué avec nos clients et nous avons reçu instructions de ces derniers, à l’exception des familles André Jérôme, Mathieu Tshernish, Michel Pinette, et feu Édouard Vollant, de consentir à participer dans un processus global de règlement hors Cour des litiges tel que généralement proposé dans votre lettre, et ce, au lieu de procéder à une conférence de règlement à l’amiable.
Cette participation est assortie de certaines précisions dont nous vous avons déjà fait part :
4. Les amendements envisagés aux procédures 500-05-027983-962 (Familles traditionnelles – v/d Uashat #1) et 200-17-004196-036 (Pinette Partie « A » - v/d Uashat #2) retirant toute référence à Hydro-Québec, et ce, au nom des demandeurs que nous représenterons, seront conditionnels à la conclusion d’une Entente finale sur la base de l’entente de principe ITUM-HQ 2014. À cet égard, sous réserve de la séparation des recours, nous suggérons la préparation des amendements envisagés aux procédures précitées, et ce, avant la conclusion d’une Entente finale, et de vous remettre ces procédures ainsi amendées en fidéicommis jusqu’à la conclusion de l’Entente finale. Le dépôt de ces procédures amendées se ferait dès la conclusion de l’Entente finale.
De manière semblable, les déclarations de règlement hors Cour envisagées dans les procédures 500-05-027983-962 (Familles traditionnelles – v/d Uashat #1) et 200-17-004196-036 (Pinette Partie « A » - v/d Uashat #2), et ce au nom des demandeurs que nous représenterons, seront conditionnelles à la conclusion d’une Entente finale sur la base de l’Entente de principe ITUM-HQ 2014. Cela étant, nous suggérons la signature de ces déclarations de règlement hors Cour, et ce, avant la conclusion d’une Entente finale, et de vous remettre en fidéicommis jusqu’à la conclusion d’une Entente finale. Le dépôt de ces déclarations de règlement hors Cour se ferait dès la conclusion de l’Entente finale.[208]
- HQ fait valoir que la lettre de Me O’Reilly du 5 mars, est, en soi, l’acceptation d’une offre communiquée le 13 février 2015, par M. Bourassa.
- Avec égards, HQ se méprend. Sur le plan contractuel, le Tribunal estime que le 5 mars, Me O’Reilly fait une contre-offre. ITUM se dit généralement disposé à participer à un processus de règlement global, mais à certaines conditions.
- Le Tribunal ne dispose pas d’une réponse écrite d’HQ, et suivant l’article 1394 C.c.Q. son silence ne saurait être réputé comme une acceptation des conditions d’ITUM[209].
- Quant à la déclaration de règlement hors cour, HQ la considère comme un contrat distinct, mais ajoute que : « ces deux contrats sont interdépendants et doivent donc être considérés comme faisant partie d’un seul ensemble. »[210]
- Pour le Tribunal, la déclaration de règlement hors cour est nécessairement un contrat distinct de celui qui aurait pu être convenu le 5 mars, car elle comprend d’autres signataires. Cela dit, elle doit être interprétée à l’aune des lettres du 13 février et du 5 mars, car la discussion d’une déclaration de règlement hors cour faisait partie de cet échange. Cependant, la preuve démontre que, contrairement aux lettres entre Me O’Reilly et M. Bourassa, son contenu avait également été discuté avec le Canada et le Québec.
- La déclaration de règlement hors cour est effectivement signée le 27 mars 2015. Elle comporte certains paragraphes qui méritent d’être reproduits :
Dans le cadre du présent règlement hors cour, le défendeur Hydro-Québec, verse aux demandeurs la somme de six millions six cent trente mille dollars (6 630 000$), pour laquelle les demandeurs donnent quittance complète et finale, étant entendu que la réalisation et l’exploitation du Projet La Romaine ne saurait être source d’aucune autre indemnité que celles découlant de l’Entente de principe 2014 conclue entre ITUM et Hydro-Québec (ci-après « Entente de principe 2014 »).
Pour plus de certitude, les parties déclarent que la présente n’entraine, ni est censée entrainer, aucune cession ou aliénation, ni aucun transport ou abandon, total ou partiel de ces droits ancestraux, issus de traités ou autres revendiqués ou affirmés par les demandeurs, mais l’Entente de principe 2014 constitue une juste compensation de toute atteinte aux droits ancestraux revendiqués, y compris au titre autochtone revendiqué, pouvant découler de la réalisation et l’exploitation du Projet La Romaine. Ainsi, les demandeurs renoncent à tout recours qu’ils ont, pourraient avoir ou vouloir faire valoir à l’encontre des gouvernements du Canada et du Québec en relation avec la réalisation et l’exploitation du Projet la Romaine ou en relation avec l’entente de principe 2014 à l’égard de la réalisation et l’exploitation du Projet La Romaine.
Sauf lorsque prévu autrement ici, la présente déclaration de règlement hors cour opère quittance à l’endroit de l’ensemble des parties défenderesses à l’égard de toute réclamation ultérieure pouvant découler des faits relatifs au présent recours à l’égard du Projet La Romaine.[211]
- Or, en relation au paiement du 6 630 000 $, HQ dit ceci :
327. Hydro-Québec accepte, quant à elle, de modifier l’EDP 2014 pour y extraire le règlement du Dossier Romaine afin d’en faire un contrat distinct (une transaction) consistant en un règlement hors cour, pour un montant de 6,63M$, à intervenir immédiatement, avec tous les demandeurs à l’exception de George McKenzie et des demandeurs dissidents.[212]
- Cependant, cette affirmation d’HQ n’est pas reflétée dans le texte de la déclaration de règlement hors cour, car les parties reconnaissent que « la réalisation et l’exploitation du Projet ne sauraient être source de quelque autre indemnité que celles découlant de l’EDP ».
- Nous savons également qu’HQ concevait que le paiement de 6 630 000 $ servait à la libérer de toute obligation relative au PMVI[213].
- Les mots de la déclaration de règlement hors cour voulant que l’EDP « constitue une juste compensation de toute atteinte aux droits ancestraux revendiqués […] pouvant découler de la réalisation et l’exploitation du Projet la Romaine. » sont également importants.
- Nous savons que d’autres indemnités, totalisant 68 471 717 $, devaient être payées en vertu de l’EDP et dans la déclaration de règlement hors cour, les parties reconnaissent que « la réalisation et l’exploitation du Projet La Romaine ne saurait être source d’aucune autre indemnité que celles découlant de l’Entente de principe 2014 », en l’occurrence cette somme de 68 471 717 $.
- Retournons à la recette procédurale. Nous savons que certains aspects de la recette ont été complétés. Cependant, les étapes convenues en relation aux dossiers Pinette A et des familles traditionnelles n’ont pas été accomplies. Pourquoi pas?
- À partir de 2016, un nombre limité de rencontres a eu lieu entre ITUM et HQ. Cependant, alors qu’en 2014 le projet de la troisième turbine SM-3 fut écarté des discussions afin de rendre l’EDP plus acceptable pour la population, en 2016 HQ en fait un point de discussion avec ITUM[214]. M. Stéphane Duguay est présent à certaines des séances, justement à cause de cette troisième turbine. Ce nouvel élément est ajouté malgré les difficultés et les défis au sein de la communauté. HQ est également au courant que des séquelles du projet Sainte-Marguerite perdurent dans la communauté.
- En dépit des défis dans la communauté, comme le Tribunal a dit, M. Laforest communique un projet d’entente finale au mois de février 2017[215]. Plusieurs clauses donnent lieu à une réflexion importante sur l’intention d’HQ lorsqu’elle signe la déclaration de règlement hors cour, dont :
ATTENDU QUE le 13 février 2015, Hydro-Québec a proposé un processus de règlement des différents litiges l’opposant aux Uashaunnuat et que ce processus de règlement a été accepté, à certaines conditions, par les Uashaunnuat le 5 mars 2015;
ATTENDU QUE que plusieurs étapes de ce processus de règlement ont déjà été franchies par les Parties;
ATTENDU QUE les Parties, afin de finaliser le règlement des différents litiges se sont engagées à convenir de l’Entente et à compléter les étapes prévues à l’annexe A-1;
[…]
1.6 « Litiges La Romaine »: Poursuites judiciaires intentées dans les dossiers CSM 500-17-050868-093, CF T-923-09, CF T-957-09 et CF T-1979-10.[216]
[…]
1.14 « Projet La Romaine »: L’ensemble des ouvrages, équipements et installations de production et de transport d’énergie existants et en construction au moment de la signature de l’Entente qui sont visés par les Litiges La Romaine.
1.15 « Proposition de règlement » : La proposition de règlement d’Hydro-Québec contenue dans une lettre datée du 13 février 2015 ainsi que l’acceptation de cette proposition par les Uashaunnuat contenue dans une lettre datée du 5 mars 2015 reproduites à l’annexe;
[…]
Chapitre 2 Objets et portée de l'Entente
Les objets et la portée de l’Entente sont les suivants :
[…]
2.8 Régler hors cour les différents litiges opposant Hydro-Québec aux Uashaunnuat.
3.4 Versement au Fonds
3.4.1 Un montant de six millions six cent trente mille (6 630 000 $) qui a déjà été versé à ITUM au bénéfice des Uashaunnuat le ou vers le 31 mars 2015, conformément à la Proposition de règlement;
3.4.2 Un montant supplémentaire de soixante-huit millions quatre cent soixante et onze mille sept cent dix-huit dollars (68 471 718 $) qui sera versé à ITUM au bénéfice des Uashaunnuat de la façon suivante :
3.4.3 Le premier versement (an 1) sera effectué dans les 30 jours de la production aux différents dossiers de cour de l’ensemble des procédures utiles et de l’obtention des jugement finaux visant à donner plein effet aux dispositions prévues au Chapitre 5 - Règlement des litiges.
[…]
Chapitre 5 - Règlement des litiges.
5.1.1 Les Parties reconnaissent que le présent chapitre a partiellement été mis en œuvre suite à la Proposition de règlement qui est toujours en cours d’exécution.
5.1.2 Les Parties s’engagent à prendre toutes les mesures nécessaires, y compris les procédures judiciaires utiles conformément à la Proposition de règlement afin que les litiges soient mutuellement considérés comme officiellement et définitivement réglés préalablement au premier versement prévu au paragraphe 3.4.3.
5.1.3 Au besoin, la date de la signature de l’Entente pourra être reportée afin de permettre aux Parties de finaliser le processus de règlement.
[…]
5.3 Litiges La Romaine
5.3.1 En considération et sous réserve des droits qui leur sont accordés par l'Entente, les Uashaunnuat consentent à régler hors cour toutes les poursuites judiciaires relatives au Projet La Romaine.
5.3.2 Les Uashaunnuat s’engagent, en outre, à ne pas intenter d’autres poursuites judiciaires concernant les Ouvrages et le Projet La Romaine.
5.3.3 Ce règlement hors cour mentionné à l'article 5.3.1 constitue une transaction aux termes du Code civil du Québec ayant l'autorité de la chose jugée en dernier ressort.
5.3.4 Ainsi, les poursuites intentées dans les dossiers CSM 500-17-050868-093, CF T-923-09, CF T-957-09 et CF T-1979-10 («Dossiers La Romaine») sont réglées et transigées de façon finale et définitive par l'Entente et les Parties renoncent de façon définitive et irrévocable à toutes demandes et réclamations se rapportant directement ou indirectement aux Ouvrages et au Projet La Romaine incluant toutes réclamations pour dommages-intérêts, inconvénients et répercussions ou pour tous frais, coûts, honoraires ou débours encourus ou à encourir incluant ceux des avocats ou des experts, de quelque nature que ce soit quant aux Ouvrages et au Projet La Romaine et les Parties, incluant leurs ayants droit, mandataires, assureurs, administrateurs, officiers, employés et filiales, s’en donnent mutuellement quittance totale, finale et définitive.
5.3.5 En considération de la Proposition de règlement, les gestes suivants ont été posés :
a) Le ou vers le 27 mars 2015, dépôt de déclarations de règlement hors Cour et désistements dans les différents litiges entre les Uashaunnuats en faveur d’un règlement et Hydro-Québec, PGC et PGQ.
b) Le 23 février 2016, obtention d’un jugement (dossier 500-17-050868-093) rejetant la Requête introductive d’instance des Uashaunnuats ne participant pas au règlement.
[…]
5.7.2 De plus, ITUM consent et s’engage, par l'Entente, à indemniser entièrement Hydro-Québec et à la tenir indemne de toute action, réclamation, obligation ou demande de quelque nature que ce soit à laquelle Hydro-Québec pourrait être assujettie et qui résulterait de toute réclamation ou procédure intentée directement ou indirectement par les Uashaunnuat se rapportant directement ou indirectement à la construction, l’entretien ou l’exploitation du Projet La Romaine et Ouvrages d’Hydro-Québec situés au Québec sur le Territoire traditionnel non visé par les Dossiers La Romaine, le Dossier McKenzie et le Dossier Pinette A mais à l’exclusion des Ouvrages d’Hydro-Québec situés sur la partie du Territoire traditionnel visée par la CBJNQ.
5.8 Droits des Uashaunnuat au Labrador non touchés
Le présent chapitre ne s’applique pas à la partie du Territoire traditionnel des Uashaunnuat au Labrador ni aux droits, revendications et réclamations des Uashaunnuat quant au Labrador et à ses ressources naturelles.
(Le Tribunal souligne)
- Nous voyons de ces clauses, écrites par M. Bourassa, qu’il voyait sa démarche de février 2015 comme un processus de règlement des divers litiges opposant HQ aux Uashaunnuats et qu’au moment de la rédaction de ce projet d’entente, le processus n’était pas encore terminé. La pensée de M. Bourassa rejoignait là celle de Me O’Reilly.
- Nous y voyons également par sa définition des litiges La Romaine, et particulièrement par les mots à la clause 5.3.1, qu’il ne considérait pas que le dossier devant cette cour était réglé, et ce, en dépit de la production de la déclaration de règlement hors cour. Le Tribunal y voit une attitude qui concorde avec l’idée que la déclaration de règlement hors cour faisait partie du processus de règlement global des litiges convenu entre les parties.
- Qui plus est, M. Bourassa spécifie que le consentement des Innus de UMM au règlement des litiges en relation au Projet est : « [e]n considération et sous réserve des droits qui leur sont accordés par l'Entente[217] ». En vertu de l’Entente, ITUM devait recevoir une somme additionnelle de 68 471 718 $. Par ailleurs, cette idée de M. Bourassa rejoignait, en quelque sorte, les mots dans la déclaration de règlement hors cour en relation à la « juste compensation pouvant découler de la réalisation et l’exploitation du Projet ».
- Il semble que le conseil d’administration d’HQ avait une idée semblable, vu la résolution qu’il adopte le 27 mars 2015, dont le versement de 6 630 000 $ était en relation au projet de raccordement au réseau de transport du complexe de la Romaine, et fait dans le but d’obtenir une déclaration de règlement hors cour et un désistement d’ITUM, de leur demande d’injonction visant à obtenir un arrêt des travaux de réalisation des lignes de transport et de se libérer de ses obligations résultant de l’application du Programme de mise en valeur intégrée (PMVI)[218].
- De surcroît, selon le préambule de la résolution, cette somme devait être versée en sus d’une somme de 75 000 000 $ déjà versée aux Innus de UMM, à la suite d’une entente signée en 2010 relative au Projet. L’information communiquée au conseil d’administration par M. Cacchione était manifestement incorrecte! Cependant, nous pouvons retenir de la résolution que le conseil d’administration semblait être disposé à l’idée que les Innus de UMM reçoivent une somme de 81 630 000 $ en relation au Projet.
- Bien entendu, le projet d’entente de 2017 de M. Bourassa et l’EDP prévoyaient le règlement d’autres litiges, mais cela ne change pas la réalité que, lors de la signature de la déclaration de règlement hors cour, les parties reconnaissaient le paiement de la somme de 68 471 717 $ à titre de juste compensation pour le Projet. À ce jour, le Projet opère, et ce, sans que cette somme n’ait été versée à ITUM.
- Un autre élément de ce projet d’entente qui mérite une discussion est la rédaction de la clause 5.1.2. Bien que M. Cacchione ne voulût pas qu’HQ gère la recette procédurale, en 2017, dans ce projet d’entente HQ, étant une des parties, s’engageait à prendre les demandes requises pour tenter de mettre fin aux demandes des familles dissidentes dans les dossiers des familles traditionnelles et Pinette A.
- M. Bourassa n’a point expliqué au Tribunal pourquoi, sachant qu’ITUM ne pouvait pas présenter de telles demandes, HQ n’a pas présenté de demandes en rejet, semblables à celle que le PGQ a présentée dans le dossier la Romaine, dans les dossiers Pinette A et des familles traditionnelles.
- Finalement, bien que M. Bourassa refusât de considérer une clause d’indemnisation en 2014, il en suggérait une en 2017.
- Qu’arrive-t-il avec la recette procédurale à la suite du jugement du 23 février 2016?
- HQ estime qu’ITUM n’a pas donné suite à la recette. Elle fait valoir qu’à partir du jugement, la prochaine étape était qu’ITUM produise « une requête demandant que les Uashaunnuats en faveur d'un règlement poursuivent séparément le[s] recours intenté[s] contre PGC et PGQ »[219] dans les dossiers Pinette et des familles traditionnelles.
- M. Bourassa explique son point de vue en ces termes :
Q. Maintenant, on est en février 2016. Est-ce que vous, pendant... Comment s'est finie la recette procédurale? Ça a fini comment, à votre connaissance?
R. Bien, ça a fini là. La balle était dans le camp des Uashaunnuat. On était rendu à ce point-là dans l'évolution de la recette. Enfin, je ne dirai pas que ça a finit là, je vais rester optimiste. Ça a été suspendu là. Si on avait à reprendre demain matin, c'est la première chose qui devrait être faite.[220]
- Le « ce point-là » est en référence à la troisième puce de la lettre du 13 février :
Dépôt par MC5 O'Reilly et Bertrand d'une requête demandant que les Uashaunnuats en faveur d'un règlement poursuivent séparément le recours intenté contre PGC et PGQ.[221]
- HQ se méprend en disant ceci. Cette étape était suggérée dans la lettre de M. Bourassa du 13 février 2015, mais cette offre de Me Bourassa n’a pas été acceptée par ITUM sans condition.
- ITUM a plutôt accepté de participer à un processus global de règlement et, pour lui, la prochaine étape était plutôt de préparer des amendements aux demandes introductives d’instance dans ces deux dossiers, le tout afin de retirer les références à HQ. Cependant, ces amendements étaient conditionnels à la conclusion d’une entente finale basée sur l’EDP[222].
- De plus, cette condition est clairement spécifiée dans l’avis de gestion préparé par les Innus de UMM en février 2016[223]. Le Tribunal ne peut pas reprocher à ITUM de ne pas lui avoir présenté l’avis de gestion sans qu’une entente finale ne soit conclue.
- HQ a raison de dire qu’ITUM n’a pas remis les procédures modifiées en fidéicommis, comme Me O’Reilly avait proposé, mais, à son tour, ITUM a raison de dire qu’à la suite du jugement du 23 février 2016, l’accent d’HQ n’était plus sur l’EDP et l’entente finale qui devait en résulter, mais plutôt sur d’autres projets, dont la troisième turbine à SM-3.
- Durant son témoignage, M. Laforest a même confirmé, qu’au moins pour l’équipe des négociateurs, l’aspiration primordiale était le règlement du dossier la Romaine :
Je pense que les litiges faisaient partie des préoccupations, mais effectivement, il y avait peut-être une importance parce que c'est comme ça qu'on l'a initié, là. Nous, on a dit... on a toujours dit : « Ce qu'on veut régler, c'est Romaine. » Les Innus, comme je vous l'ai expliqué, insistaient pour régler des choses du passé. On a trouvé une façon de peut-être aborder ça après des discussions que j'ai passées en revue, là, monsieur Vandal qui accepte avec le chef de déborder. Mais nous, c'est certain qu'on voulait régler Romaine puis que c'est ITUM qui nous a amenés sur ce terrain-là, qui voulait régler le passé, voulait renégocier pour une xième fois Ste-Marguerite, bon, et on avait accepté.
- Ces propos de M. Laforest démontrent également en quoi le projet SM-3 restait une question sensible au sein de la communauté. Néanmoins, au lieu de tenter de finaliser l’entente finale suivant les stipulations de l’EDP, HQ ajoute la question de la troisième turbine aux négociations. Celle-ci restera un sujet très sensible, même en 2018[224].
- En outre, en 2016, ce n’est pas uniquement la question de la troisième turbine qu’HQ veut ajouter aux discussions; M. Boucher met également le dossier Arnaud-Alouette sur la table[225]. Or, en 2016, ITUM estime qu’il y avait eu une insuffisance de consultation en relation à cette ligne et elle demeure un point très sensible pour la communauté. Ce litige continue encore aujourd’hui.
- L’emphase sur la troisième turbine a également été confirmée par M. Laforest dans son témoignage, et ce, au même moment où il reconnaissait que les Innus de UMM étaient réticents à négocier l’entente finale :
[…]
Peut-être que dans le cadre de ces discussions-là... mais là, je spécule, là, mais à ce moment-là, c'était un peu ça la situation puis je pense que Mathieu l'a bien exprimée à un moment donné. T'sais, il a dit : « T'sais, on va-tu... en voulez-vous de 2014 ou on ferme ça puis c'est fini? On va revient plus là-dessus. » Les Innus ont dit... en tout cas, les gens de ITUM qui étaient là ont dit : « Non, non, non, on n'est pas prêts en ce moment, là, à s'embarquer dans une... le règlement, un règlement pour les litiges qui restent parce que ça va faire trop de... ça risque de faire de la chicane dans la communauté puis on veut éviter ça. Donc, mettons ça un peu sur la glace. Peut-être qu'on va arriver à quelque chose parce que, par ailleurs, on va faire de l'éducation populaire. Alors, on va faire de l'éducation populaire dans la communauté sur la question des droits ancestraux puis des revendications territoriales. »
Donc, quand je disais, là, on allait en réunion puis ça bougeait, là. Les positions étaient pas stables.
Q.441 Puis pour vous, les dossiers prioritaires du côté d'Hydro-Québec, c'était la troisième turbine?
R.437 Le troisième groupe, oui, exactement. Puis il y avait... quand il y avait eu une rencontre pour Apuiat, mais...
- Mathieu Boucher reconnaissait aussi l’importance de la troisième turbine pour HQ.
- Rappelons qu’en 2014, HQ exprime sa volonté d’entreprendre des mesures positives afin de développer une relation empreinte de respect avec les Innus de UMM ainsi que son désir de trouver des solutions aux différends.
- Néanmoins, en faisant le compte rendu de la réunion du 15 décembre 2016, M. Laforest, sous la rubrique « Ententes à négocier », indique ceci : « Pour ITUM les discussions avec HQ doivent s’inscrire dans une démarche plus globale de nation à nation qui implique le Québec. »[226] Pour HQ il s’agit là d’un indice du manque d’intérêt d’ITUM à conclure l’entente finale.
- L’emphase qu’elle a mise sur la troisième turbine, après la signature de la déclaration de règlement hors cour, n’était assurément pas une voie prometteuse pour aboutir à une entente finale. C’était plutôt là une démonstration qu’HQ continuait à considérer sa relation avec les Innus d’UMM, en tant que relation commerciale. Qui plus est, HQ était du courant de la discorde au sein de la communauté en relation au projet SM-3.
- Bref, HQ a elle-même grandement contribué à la difficulté à conclure l’entente finale et, ainsi, à la poursuite de la recette procédurale. Pour elle l’entente finale n’était plus au premier plan, un constat qui devient facile pour le Tribunal quand il considère le manque d’implication de M. Martel et sa connaissance presque nulle du dossier.
- Par ailleurs, M. Bourassa reconnaît lui-même l’importance de la haute direction dans la prise de décision autour de l’EDP et de l’entente finale :
Q. […] Alors, je vais commencer avec quelque chose que vous avez dit hier qui m'a... qui m'a fait sursauter un peu. Vous avez dit votre analyse du risque, on s'entend que tout ce dossier-là – ma première question, c'est ça - tout ce dossier-là repose sur l'analyse de risque que vous avez faite. Le fait qu'on soit ici, c'est en fonction de l'analyse de risque que vous avez faite et produite à vos commettants. C'est exact?
R. C'est un élément, là, central, oui, j'en conviens.
[…]
Q. Donc, c'est l'élément central pour ne pas dire le seul élément qui a conduit Hydro-Québec à prendre la décision de ne pas conclure d'entente avec les Uashaunnuat.
R. Je ne peux pas vous dire si c'est le seul élément parce que ce n'est pas moi qui a pris la décision, mais c'est un élément majeur, central.
Q. Qui a pris la décision?
R. Ultimement, c'est monsieur Vandal.[227]
- Bien sûr, HQ a raison de dire que M. Vandal se fiait sur les informations reçues de Richard Cacchione, mais l’arrivée de M. Martel n’a rien changé à la chaine de communication. Nous pouvons présumer qu’à partir de son arrivée comme PDG en 2015, M. Martel en devenait l’ultime décideur. À l’instar de M. Cacchione, il n’était même pas au courant du jugement de février 2016, malgré son importance pour la recette procédurale. Nous nous trouvons loin d’une situation où la haute direction se montrait intéressée par un dossier qui revêtait une grande importance pour une communauté autochtone.
- Par conséquent, le Tribunal ne peut pas être en accord avec la prétention d’HQ que l’échec de la recette procédurale est imputable aux Innus de UMM.
5.11.1 Introduction
- Avec l’arrêt récent de la Cour suprême dans Québec (Procureur général) c. Pekuakamiulnuatsh Takuhikan[228], il est maintenant clair que la responsabilité d’HQ peut être engagée à deux niveaux. HQ peut être trouvée responsable en vertu du régime du droit privé et devoir « compenser le préjudice causé [aux Innus de UMM] par le non-respect des exigences de la bonne foi »[229]. Elle peut également être redevable des dommages en vertu du régime du droit public si elle est assujettie aux principes de l’honneur de la Couronne et si la nature de ses relations avec les Innus de UMM engage ses principes[230]. Est-ce que l’EDP, étant donné sa nature, engage les principes de l’honneur de la Couronne? Le Tribunal estime que oui :
[147] L’honneur de la Couronne requiert de celle-ci qu’elle agisse honorablement dans ses rapports avec les peuples autochtones. Ce principe tire son origine de « l’affirmation par la Couronne de sa souveraineté sur un peuple autochtone et [de] l’exercice de fait de son autorité sur des terres et ressources qui étaient jusque-là sous l’autorité de ce peuple ».[231]
- Agissant à titre de mandataire du Québec, HQ exerce son autorité sur les terres des Innus de UMM.
- En outre, le Tribunal estime que l’EDP et même la déclaration de règlement hors cour sont des contrats qui font appel à l’honneur de la Couronne :
- Premièrement, les accords en question sont conclus entre HQ, agissant à titre de mandataire de la Couronne, et ITUM en raison et sur la base de la spécificité autochtone du peuple qu’il représente.
- Les contrats en question comportent un aspect collectif [232].
- Les Innus de UMM ont une revendication territoriale crédible[233].
- Le refus obstiné d’HQ de faire des compromis dans la négociation de l’entente finale constitue non seulement une atteinte aux exigences de la bonne foi, mais aussi un manquement à l’obligation d’agir conformément à l’honneur de la Couronne, un principe de droit public qui s’appuie sur une norme plus exigeante que celle liée à l’obligation de bonne foi du droit privé. La violation de ses obligations découlant de l’honneur de la Couronne, indépendamment de tout manquement aux exigences de la bonne foi, justifie à elle seule de retenir sa responsabilité[234].
- L’analyse que le Tribunal aborde maintenant, sur la réclamation des Innus de UMM découlant de la mauvaise foi d’HQ et de son non-respect des principes de l’honneur de la Couronne, doit se faire sur plusieurs étapes.
- Dans les sections précédentes, notamment de 4.6 à 4.9, le Tribunal a déjà commenté le comportement d’HQ dans le cadre du déroulement des discussions avec ITUM. Pour les raisons qui suivent, le Tribunal conclut qu’HQ est coupable de mauvaise foi institutionnelle sur le plan du droit privé et a fait défaut de respecter ses obligations découlant de l’honneur de la Couronne au niveau du droit public. Pour expliquer cette conclusion, le Tribunal se permet une certaine répétition dans afin de faciliter la lecture.
- À l’instar des Innus de UMM, le Tribunal estime que le comportement d’HQ doit être considéré, non pas en se limitant au droit civil, mais en considérant surtout les principes du droit autochtone. Dans le cadre des relations avec une communauté autochtone, le devoir de la Couronne de négocier de bonne foi et de faire les compromis qui s’imposent est reconnu par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Delgamuukw c. Colombie-Britannique :
[…] En outre, la Couronne a l’obligation morale, sinon légale, d’entamer et de mener ces négociations de bonne foi. En fin de compte, c’est au moyen de règlements négociés — toutes les parties négociant de bonne foi et faisant les compromis qui s’imposent — processus renforcé par les arrêts de notre Cour, que nous pourrons réaliser ce que, dans Van der Peet, précité, au par. 31, j’ai déclaré être l’objet fondamental du par. 35(1), c’est-à-dire «concilier la préexistence des sociétés autochtones et la souveraineté de Sa Majesté». Il faut se rendre à l’évidence, nous sommes tous ici pour y rester.[235]
- Ces mêmes principes sont repris dans Pekuakamiulnuatsh Takuhikan.
- Dans Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, la Cour suprême nous donne également des enseignements sur la bonne foi contractuelle :
Cela dit, la bonne foi entraîne aussi des interdictions qui se prêtent à une analyse objective, dont l’interdiction d’alourdir indûment le fardeau de son cocontractant, d’adopter une conduite excessive ou déraisonnable ou de compromettre l’existence ou l’équilibre de la relation contractuelle (voir les art. 6, 7 et 1375 C.c.Q.;[236]
- De plus, la Cour note que la bonne foi dans les relations contractuelles est une norme législative d’ordre public[237]. Une attitude inflexible peut constituer de la mauvaise foi :
Comme l’a noté une autrice dans un texte portant notamment sur la renégociation en matière de construction, « une attitude inflexible ou rigoriste serait susceptible de compromettre la relation contractuelle “au mépris des attentes légitimes du partenaire contractuel” » et, ainsi, constituerait une violation de la bonne foi (M.-H. Dufour, « L’impact de la bonne foi en droit de la construction » (2023), 57 R.J.T.U.M. 229, p. 262, citant Churchill Falls, par. 118).[238]
- La Cour suprême discute longuement de la notion de l’honneur de la Couronne en matière contractuelle. Nous pouvons en conclure que, lorsque l’honneur de la Couronne est engagé, le standard de comportement que la Couronne doit adopter est encore plus élevé :
[187] Je ne veux pas dire par là que l’entente devient un traité au même titre que les traités protégés par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Il s’agit plutôt de reconnaître que l’honneur de la Couronne requiert de celle-ci, lorsqu’elle négocie et exécute une entente ayant pour trame de fond la réconciliation, qu’elle réponde à une norme de conduite plus élevée que dans le contexte d’une relation contractuelle ordinaire (Pallister, par. 56; Witchekan Lake, par. 130; voir aussi Motard et Chartrand, p. 201).
[188] La norme de conduite plus élevée à laquelle est assujettie la Couronne crée des obligations qui s’ajoutent aux obligations contractuelles. Le contenu conventionnel du contrat est déterminé par ses stipulations et par les obligations qui s’y attachent en vertu des dispositions du Code civil. Lorsque le principe de l’honneur de la Couronne s’applique, le contenu conventionnel n’est pas seulement interprété généreusement (Badger, par. 41) : une obligation additionnelle de droit public s’ajoute aux obligations contractuelles, soit l’obligation pour la Couronne d’agir avec honneur et intégrité dans l’exécution du contrat.[239]
- Une autre facette de la bonne foi en matière contractuelle a été discutée par le juge Sheehan dans un jugement récent, Ville de Montréal c. Services Ricova inc., en ces termes :
[77] La troisième déclinaison de la bonne foi est beaucoup plus large. Comme l’expliquent les auteurs :
Cette bonne foi, dite objective, a un sens beaucoup plus large, soit celui de norme de comportement acceptable. Selon le contexte, de telles normes ont une dimension morale, sociale, ou encore elles renvoient simplement au « bon sens » ou au « raisonnable ». La bonne foi est donc devenue l’éthique de comportement exigée en matière contractuelle […]. Elle suppose un comportement loyal et honnête. On parle alors d’agir selon les exigences de la bonne foi. Ainsi, une personne peut être de bonne foi (au sens subjectif), c’est-à-dire ne pas agir de façon malicieuse ou agir dans l’ignorance de certains faits, et aller tout de même à l’encontre des exigences de la bonne foi, soit en violant des normes de comportement objectives et généralement admises dans la société.
[78] On considère, qu’au minimum, l’exigence d’agir de bonne foi comprend l’obligation de s’abstenir de tout abus, d’adopter un comportement raisonnable et modéré, sans agir dans son intérêt exclusif, ni nuire de manière injustifiée à son partenaire.[240]
(Références omises) (Le Tribunal souligne)
- Nous pouvons également considérer l’arrêt de la Cour d’appel dans Dunkin' Brands Canada Ltd. c. Bertico inc.[241]. Bien sûr, les circonstances sont très différentes, mais il y a un parallèle. Un franchiseur et son franchisé ont un intérêt commun à développer une relation digne de confiance qui perdure à long terme. HQ et les Innus de UMM ont reconnu avoir ce même intérêt dans l’EDP, de sorte que les Innus de UMM pouvaient s’attendre à une « intensification de la coopération qui reste la caractéristique fondamentale de tout contrat relationnel »[242].
- Le Tribunal conclut qu’HQ n’a pas adopté un comportement contractuel conforme à ses obligations constitutionnelles. De plus ce ne sont pas uniquement les membres de l’équipe chargée des relations avec les autochtones qui ont failli à leurs obligations à ce niveau – c’est également le contentieux et la haute direction.
- Le Tribunal abordera maintenant les différentes actions d’HQ, où elle a agi sans tenir compte de la perspective des Innus de UMM de manière adéquate. Pris isolément, il se peut que certains gestes ou omissions d’HQ ne constituent pas de la mauvaise foi, mais pris dans leur ensemble, ils démontrent un comportement empreint de mauvaise foi et surtout un défaut de respecter les principes de l’honneur de la Couronne.
5.11.2 La décision de ne pas soumettre l’EDP au conseil d’administration
- Dans ses observations sur l’arrêt Pekuakamiulnuatsh Takuhikan[243], HQ soutient que son comportement n’allait pas à l’encontre des attentes suscitées par le mécanisme contractuel mis en place par les parties. Elle se méprend.
- La clause 13 de l’EDP est limpide :
Dans l’éventualité où l’Entente de principe 2014 serait ratifiée par les Innus de Uashat mak Mani-Utenam, Hydro-Québec prendra les dispositions nécessaires afin d’obtenir de son conseil d’administration une résolution approuvant cette Entente de principe 2014.
- Après l’acceptation par le conseil d’administration, les parties devaient procéder à la négociation de l’entente finale.
- Dans l’arrêt Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, la Cour suprême note que : « lorsque les parties ont prévu par une clause qu’elles devront entreprendre des négociations, l’obligation de les mener de bonne foi découle directement du contrat[244]. »
- Le référendum était une condition d’HQ. De surcroît en 2014, contrairement à ce qui a été fait en 2011, où c’était l’entente finale qui a fait l’objet du référendum, les parties ont décidé de présenter une entente de principe à la population, car un document plus court et simple devait être plus compréhensible pour elle.
- Bien que la décision finale de ne pas présenter l’EDP au conseil d’administration revenait à M. Vandal, regardons ce que M. Bourassa dit en relation à celle-ci.
Q. [382] Oui. Et qu’est-ce qu’il est advenu de cette séquence-là qui était aussi une clause dans l’entente de principe?
R. J’ai volontairement retenu cette étape-là. Je n’ai pas mis de l’avant cette étape-là pour que ce soit présenté au Conseil d’administration, pour la simple et bonne raison que ça n’aurait pas passé.
Quand on ... on a le droit à - comment je pourrais dire ça - à une shot devant le Conseil d’administration, si on avance quelque chose, il faut que ça passe ce coup-là, sinon c’est fini.
Et là, j’arrivais: «Voici, nous avons une entente de telle valeur qui vise le règlement des dossiers, des litiges qu’on a depuis longtemps, mais qui, à cause d’une situation X, ne réglera pas ces dossiers».
Qu’est-ce que c’est que le Conseil d’administration va me dire? C’est: «Pourquoi tu nous déranges avec ça?» T’sais.[245]
- Or, la preuve ne permet pas de conclure que M. Bourassa avait les moyens de prévoir la décision du conseil, surtout si le conseil possédait toutes les informations sur le risque réel que représentaient les familles dissidentes. Que le conseil d’administration aurait eu le bénéfice de toutes les informations pertinentes à sa décision peut également être remis en doute à la lumière du fait que M. Cacchione n’était même pas au courant du résultat du vote en 2014, croyant que l’EDP avait été rejetée! De surcroît, il a communiqué de fausses informations au conseil d’administration le 25 mars 2015.
- Qui plus est, bien que, vu son importance, le Tribunal se répète de nouveau sur ce point, les modalités du règlement des litiges devaient être réglées durant la négociation finale.
- Il est vrai que M. Bourassa soutienne qu’il avait une « entente » avec M. O’Reilly de ne pas soumettre l’EDP au conseil d’administration :
Je lui ai mentionné à ce moment-là, j’ai dit: «Écoute, si je retiens ça c’est pour toi, parce que moi, je veux réunir les conditions gagnantes. Je peux pas présenter ça, on va se faire ramasser».[246]
- Le Tribunal voit dans ces mots certains éléments d’une approche paternaliste de la part de M. Bourassa, approche à proscrire selon la Cour suprême du Canada[247].
- L’utilisation des mots « conditions gagnantes » donne aussi lieu à une réflexion. Au niveau de la présentation de l’EDP au conseil d’administration, la perception de celui-ci de l’existence, ou non, des conditions gagnantes, aurait été influencée par la nature des informations communiquées. Il y a une différence importante entre dire que les autres litiges ne seront pas réglés et de dire que nonobstant le référendum, quelques familles s’opposent à l’entente, mais que les modalités de règlement de leurs litiges seront déterminées par l’entente finale.
- De plus, la décision du conseil d’administration aurait sûrement été influencée par une explication appropriée du risque que ces familles puissent faire avancer leurs dossiers, risque qui, malheureusement, a toujours été surévalué par le contentieux, sans avoir pris connaissance des données nécessaires, et en minimisant l’importance de la jurisprudence pertinente.
- Les notes manuscrites de la réunion de négociation du 7 mai 2014 parlent également de l’accord de ne pas présenter l’EDP « immédiatement » au conseil[248]. En revanche ces notes ne permettent pas de conclure que Me O’Reilly était d’accord à ce que l’EDP ne soit jamais présentée au conseil. Quelques semaines après cette première discussion, Me O’Reilly redemande à Me Bourassa quand il allait présenter l’EDP. M. Bourassa rapporte cette conversation en ces termes :
Et j’ai été surpris de recevoir quelques semaines plus tard, un second appel me demandant la même chose. J’ai dit: «Écoute, James, on a encore le même problème. Je peux y aller, puis leur dire: «Écoutez, on a une entente pour régler des dossiers, mais les dossiers ne seront pas réglés, voulez-vous l’accepter?» La réponse va être non. «Ah oui. O.K. »
Puis ça semblait, on semblait d’accord relativement au fait de ne pas présenter ce projet- là au Conseil d’administration, dans l’état où le dossier était. […][249]
- Cette deuxième conversation ne fait pas partie des notes produites devant le Tribunal, mais on y constate que M. Bourassa n’affirme pas que Me O’Reilly était d’accord avec sa persistance à ne pas présenter l’EDP au conseil d’administration.
- Elle démontre également que M. Bourassa tenait pour acquis que les parties n’allaient pas pouvoir négocier les modalités de règlement lors de la négociation de l’entente finale alors qu’elles avaient justement convenu que la question des autres litiges devait être discutée à cette prochaine étape.
- Finalement, sur ce point, nous ne faisons pas face à une situation où Me O’Reilly avait un vrai choix s’il voulait que les négociations se poursuivent[250]. L’idée de M. Bourassa était faite. En revanche, si HQ avait respecté son engagement, ITUM et son négociateur n’auraient pas été mis devant un fait accompli et les discussions auraient pu continuer comme prévu à l’EDP.
- Est-ce que cette décision unilatérale d’HQ constitue de la mauvaise foi? Le Tribunal estime que oui et considère également qu’elle allait à l’encontre de son devoir de traiter les Innus de UMM honorablement.
- Pour ce qui est de M. Vandal, nous pouvons initialement être portés à conclure qu’il était de bonne foi, car c’était raisonnable pour lui de se fier sur les informations reçues du contentieux à l’époque. En revanche au niveau de l’institution, les personnes qui se rapportaient à M. Vandal, lui fournissaient des informations incomplètes. De surcroît, la preuve démontre qu’à l’époque, au moins en relation à la discussion de l’EDP, le principe de la réconciliation n'était pas vraiment dans l’esprit de ses subalternes. En tant que président, il doit en assumer l’ultime responsabilité.
- Le comportement de M. Bourassa est plus délicat à discuter, car le Tribunal ne peut pas conclure qu’il a eu de mauvaises intentions envers les Innus de UMM. Cependant, sur le plan objectif, le Tribunal estime que sa décision unilatérale de ne pas soumettre l’EDP au conseil d’administration ne reflétait ni un comportement raisonnable et modéré ni un comportement qui respecte les obligations constitutionnelles d’HQ.
- Sur le plan contractuel, la clause 13 de l’EDP est claire. Pour ce qui est des relations avec une communauté autochtone, cette décision d’HQ démontrait un manque de respect pour la gouvernance de la communauté.
- De plus, sa décision démontre un manque au devoir d’HQ d’agir honorablement, car M. Bourassa n’a fait une analyse ni de la situation des familles dissidentes ni de la jurisprudence en relation aux droits des individus versus les droits collectifs.
- À cela s’ajoute le principe bien connu en droit autochtone voulant que la Couronne doive être ouverte à des compromis, ce qui incite le Tribunal à retourner aux mots « conditions gagnantes » utilisés par M. Bourassa. Est-ce que sa décision ponctuelle de ne pas respecter une obligation prévue par l’EDP favorisait des conditions gagnantes pour un climat de compromis à l’avenir? Le Tribunal ne le croit pas.
5.11.3 Le défaut d’HQ d’informer ITUM de sa position face à la présence des familles dissidentes
- Selon le Tribunal, dès que les personnes d’HQ, responsables des négociations avec ITUM, ont su que la manifestation des familles dissidentes pouvait être un « deal breaker » elles devaient en informer ITUM. Bien sûr le délai aurait été court, mais cette information aurait pu faire en sorte qu’ITUM décide de reporter le référendum.
- Pourquoi laisser ITUM tenir un référendum si HQ n’avait pas l’intention de respecter ses obligations face à un résultat positif?
- Pour le Tribunal, même si son analyse se limitait au devoir de bonne foi, énoncé aux articles 6, 7 et 1375 C.c.Q., il conclurait à la mauvaise foi d’HQ, car son comportement aurait pu faire en sorte qu’ITUM se retrouve dans une situation très précaire vis-à-vis de la communauté. Quand nous considérons la perspective autochtone, cette mauvaise foi est encore plus évidente.
5.11.4 La suggestion d’HQ d’inviter les familles dissidentes à la table de négociation
- Après la manifestation des familles dissidentes, M. Bourassa suggère que ces familles soient présentes à la table de négociation et participent à la signature d’une éventuelle entente.
- Encore une fois, le Tribunal est d’avis que cette position de M. Bourassa ne représente ni un comportement raisonnable ni modéré.
- Premièrement, le référendum, demandé par HQ, a réussi et l’EDP devait être soumise au conseil d’administration d’HQ. Mais, encore plus important, par son désir d’avoir les familles dissidentes à la table de négociation, M. Bourassa minait l’importance du référendum et, également, le rôle d’ITUM comme fiduciaire des terres des Innus de UMM.
- Encore une fois, peut-être sans que M. Bourassa ne le réalise à l’époque, HQ prenait une approche commerciale à la négociation avec ITUM.
- De plus, M. Bourassa lance cette idée sans prendre la peine de s’enquérir d‘importantes informations en relation au risque réel que les familles dissidentes puissent continuer leurs demandes avec une chance réaliste de succès. Il ne savait pas où se trouvaient les terres traditionnelles de ces familles, ou même si elles possédaient les ressources financières nécessaires à la poursuite des litiges.
- Encore plus important, M. Bourassa aurait dû savoir que son idée aurait mis ITUM dans une position où il se retrouverait à la table de négociation avec des individus avec lesquels il était en conflit, et ce, en relation à la gestion des terres de la communauté, un rôle qui appartient à la collectivité.
- Cette suggestion démontre également un manque de respect pour l’autorité d’ITUM à titre de gouvernement de la communauté et ne tient pas compte de l’état du droit qui reconnaît que :
« Le fait de promouvoir les institutions et les processus d’autonomie gouvernementale autochtone favorise une relation à long terme harmonieuse et empreinte de respect mutuel entre les communautés autochtones et non autochtones, ce qui contribue à l’atteinte de l’objectif de réconciliation (First Nation of Nacho Nyak Dun c. Yukon, 2017 CSC 58, [2017] 2 R.C.S. 756, par. 10; Beckman c. Première nation de Little Salmon/Carmacks, 2010 CSC 53, [2010] 3 R.C.S. 103, par. 9‑10).[251]
- Finalement, auparavant dans certaines situations, M. Bourassa reconnaît avoir organisé des réunions avec des familles traditionnelles :
Dans le meilleur des mondes, ou quand j’en ai eu l’occasion, je tentais des rencontres avec ces gens-là. Comme je vous dis, dans des dossiers, j’ai eu des rencontres avec des anciens. Dans des dossiers sur des, justement, des barrages, des blocus par des familles traditionnelles, j’ai réuni ces familles traditionnelles là, ça faisait, je pense, deux mois que j’étais arrivé chez Hydro-Québec, dans une salle dans un hôtel et puis on a jasé un petit peu, voir leurs prétentions et tout ça, et j’ai établi de bonnes relations avec ces personnes-là par la suite. On n’était pas d’accord, mais c’est des gens, aujourd’hui, que je rencontre puis que j’ai encore de très bonnes relations avec eux.[252]
- Bien que l’impasse n’impliquât que quelques familles, il ne suggère pas une telle démarche, mais adopte plutôt une approche qui mettrait ces familles encore plus en conflit avec le Conseil de bande.
- En disant ceci, le Tribunal est conscient que devant lui, en janvier 2015, les avocats d’ITUM ont accepté que les familles dissidentes participent à une conférence de règlement à l’amiable. Cependant, on se situait à peu près à un an depuis l’impasse. En outre, la dynamique d’une conférence de règlement est différente, car elle est présidée par un tiers. Nous pouvons comprendre pourquoi ITUM acceptait la présence des familles à une telle conférence de règlement à l’amiable et non pas à la table de négociation avec lui et HQ.
5.11.5 L’analyse du risque par HQ
- Ici, avec égards, le Tribunal conclut également que le comportement d’HQ violait les normes de comportements objectifs, lesquelles sont généralement admises dans la société.
- Dans un contexte de réconciliation, où c’était dans l’intérêt d’HQ et d’ITUM de tourner la page et de promouvoir une relation empreinte de respect, le Tribunal s’étonne, qu’avant de prendre une position aussi intransigeante quant au risque que les familles dissidentes poursuivent les autres litiges, qu’HQ ne se soit aucunement renseignée ni sur la situation géographique, ni sur les ressources financières et pas non plus sur le statut à titre de parties aux litiges, des familles impliquées dans les litiges Pinette A et des familles traditionnelles.
- Pourtant, la spécificité de la situation de Georges McKenzie étant si importante pour M. Bourassa, il pensait qu’il pouvait faire rejeter son action justement à cause de celle-ci. Avec un peu de vérification sur la spécificité de la situation des autres familles, il aurait pu constater qu’il y avait des moyens juridiques sérieux qu’HQ aurait pu soulever afin de tenter de faire rejeter les actions des autres familles, et ce, sans même parler de la recette procédurale.
- Qui plus est, le 7 mai 2014, après qu’il (ou si ce n’était pas lui, quelqu’un d’autre d’HQ) reconnaisse que les droits de la collectivité avaient préséance sur ceux des individus et que les familles ne pouvaient pas revendiquer les droits ancestraux, M. Bourassa maintient la même position, et ce, sans être à la fine pointe de la jurisprudence.
- Cependant, l’analyse de la mauvaise foi d’HQ et de son respect de ses obligations constitutionnelles, au niveau de son évaluation du risque, ne doit pas s’arrêter en mai 2014. Comme le Tribunal a dit, M. Tschernish s’est rallié à la position d’ITUM en octobre 2015, au moins à l’égard du projet la Romaine. Il était certainement toujours partie dans le dossier des familles traditionnelles et intervenant dans le dossier Pinette A, mais il était assurément prêt à faire des compromis et, il n’y avait pas d’installation d’HQ sur ses terres de famille. Après le jugement de 2016, iI ne restait que M. Jérôme, à titre de partie dans les dossiers Pinette A et des familles traditionnelles, ayant des installations d’HQ sur ses terres de famille.
- Ayant déjà accepté le risque que posait M. McKenzie dans le dossier des familles traditionnelles, le risque posé par les recours de M. Jérôme était-il vraiment aussi important pour HQ? Il semble qu’elle ne se soit même pas posé la question.
- Le Tribunal est d’avis que ce risque devait être considéré en tenant compte de l’expérience d’HQ en relation aux demandes en justice intentées contre elle par des familles d’UMM. Or, depuis l’institution des procédures par la famille McKenzie en 1996, dans le dossier des familles traditionnelles, aucune autre famille, agissant seule, n’a institué de procédures contre HQ et M. Bourassa en était au courant :
Q. Non, non, pendant tout le temps qu’il était là jusqu’à [votre] départ, avez-vous eu une poursuite d’un membre innu de la communauté en matière de droits ancestraux? Je ne parle pas en vertu de la Loi sur les pêches ou la chasse, là. O.K. Une poursuite d’un membre de la communauté, contre Hydro-Québec?
R. Non. À ma connaissance, on n’a pas eu de poursuite d’un membre autre que monsieur McKenzie. [253]
- Finalement, qu’en est-il du jugement du 23 février 2016? Le Tribunal estime que ce jugement réduisait encore plus le risque des autres litiges pour HQ et devait rendre plus facile le rejet des autres litiges contre elle si elle signait l’entente finale.
- Mais, son positionnement n’a jamais changé. Elle le maintient dans le projet d’entente de 2017.
- On peut en conclure qu’HQ a été intransigeante à faire des compromis, ce qui peut constituer tant de la mauvaise foi que le défaut d’agir honorablement en droit autochtone.
- Deux autres aspects du risque ont été soulevés par M. Bourassa, le risque financier et le risque réputationnel.
- Pour ce qui est du risque financier, il ne pouvait pas être très important; il n’était même pas mentionné dans les rapports annuels d’HQ[254]. Pourtant, ayant accepté que la demande de M. McKenzie puisse continuer dans le dossier des familles traditionnelles et, également, que la partie « B » du dossier Pinette continue, HQ se retrouvait quand même face à un certain risque financier. Encore une fois, en refusant de modifier sa position, HQ était loin d’une posture de compromis.
- De surcroît, HQ aurait pu éliminer le risque financier en acceptant la clause d’indemnisation offerte par ITUM, clause qu’elle avait acceptée en 2011 et qui a été reproposée dans le projet d’entente de 2017.
- Sa position sur le risque réputationnel est aussi troublante, surtout à la lumière de la description que M. Bourassa lui donne :
[…] Puis le plus gros travail de la part d’Hydro, parce qu’Hydro a l’image rattachée à elle d’étant un développeur du territoire, un envahisseur - oui, un envahisseur - et...
Q. L’incarnation du mal, comme vous avez dit hier.
R. Oui, c’est ça, l’incarnation du mal. On a cette image-là accolée qu’il faut réussir, un moment donné, à passer au travers, donc il y a un travail pour rassurer. Puis aussi, en établissant des ententes, mais en faisait du travail de longue haleine avec les gens, ça établit des ponts, ça établit des discussions.
- Pourtant, par ses agissements, HQ coupait les ponts avec ITUM. À l’instar d’ITUM, le Tribunal estime qu’HQ a négligé de considérer le risque réputationnel qu’elle encourait 1) à l’égard des Innus de UMM, 2) à l’égard des communautés autochtones en général et 3) à l’égard de la société en général, car son comportement portait atteinte à la réconciliation. En plus, elle ne respectait pas le vote démocratique de la collectivité des Innus de UMM. Comment sera la réputation d’HQ lors d’un prochain projet si celui-ci devait être soumis à un vote?
- Encore une fois, par son comportement, HQ laissait de côté le compromis requis dans les relations avec les autochtones, pour favoriser des intérêts purement commerciaux.
- Et, cette attitude, empreinte de mauvaise foi, était reflétée par le président d’HQ production, M. Cacchione :
Q ... dans l'entente de principe - prenez P-7 - à quel endroit que c'est écrit que vous devez cesser tout le processus à l'entente de principe?
[…]
Alors, si vous allez - hypothétiquement, on se met dans une époque où vous pouvez aller au restaurant.
Vous vous assoyez, vous commandez un steak, pis... euh... ils vous amènent la facture, pis ils vous ont pas servi votre steak.
Est-ce que vous... vous allez payer, pour votre steak?
Alors, c'est un peu ce qu'on demandait à Hydro-Québec : «Payez-moi le soixante millions (60 M$), mais on... vous aurez pas les mainlevées et les désistements.»[255]
5.11.6 La clause d’indemnisation
- Pour enchainer sur cet aspect, le Tribunal remet en question le refus de considérer la clause d’indemnisation offerte par ITUM en 2014. HQ se justifie en se basant sur la situation financière précaire d’ITUM. Cependant, aucune vérification sérieuse de celle-ci n’aura été faite par HQ. De surcroît, par l’EDP, entre 2014 et 2024, ITUM devait recevoir la somme de 15 130 000 $. Dans l’éventualité où l’une des familles, restantes aux litiges en octobre 2015, décidait de poursuivre sa réclamation individuelle, il semble évident qu’ITUM aurait eu les fonds nécessaires au versement de l’indemnité à HQ si l’entente finale avait été conclue.
- Une fois de plus, HQ se montrait réfractaire au genre de compromis que la Cour suprême préconise en matière autochtone.
5.11.6.1 L’affidavit de Rosario Pinette (Pièce D-100)
- HQ demande de produire un affidavit de Rosario Pinette, et ce, après avoir déclaré sa preuve close, pour appuyer un argument qu’elle voulait faire valoir sur la fragilité financière d’ITUM. Ce dernier s’oppose à sa production, l’estimant tardive et notant que la demande de la produire arrive après le témoignage de M. Pinette.
- Le Tribunal conclut que l’objection doit être maintenue. La possibilité que M. Pinette témoigne était connue depuis le début de l’audience. Sa présence en janvier 2024 était annoncée avec un délai suffisant pour permettre à HQ de le questionner sur cet affidavit lors de son témoignage. De permettre la production de cet affidavit au moment de l’argumentation priverait ITUM de son droit de le questionner lui-même sur l’affidavit à la suite des questions d’HQ.
- Les critères énoncés par la Cour d’appel dans l’arrêt Modes Striva inc. c. Banque Nationale du Canada[256] militent contre la production du document.
5.11.7 Le refus d’élargir la clause McKenzie
- Cet élément du présent jugement, ainsi que la discussion sur l’analyse du risque, se recoupent.
- La raisonnabilité de la position d’HQ doit surtout être considérée à la lumière de la situation d’avril 2014. Comme le Tribunal a déjà discuté, des cinq familles qui ont exprimé leur opposition à l’EDP, autres que la famille McKenzie, seulement deux d’entre elles, les familles Tschernish et Jérôme, avaient un statut de demanderesses dans le dossier des familles traditionnelles. Ces mêmes deux familles étaient intervenantes dans le dossier Pinette. Tout comme le territoire traditionnel de la famille McKenzie, celui de la famille Tschernish n’était affecté par aucune installation d’HQ.
- Or, bien que M. Bourassa estimât avoir des raisons intuitu personae pour demander le rejet de l’action de M. McKenzie, il avait également des raisons juridiques pour en demander son rejet, vu l’absence d’installations d’HQ sur le terrain familial de M. Mckenzie, ou alors il avait un manque d’intérêt. Ce même argument est valable pour la réclamation de M. Tschernish.
- De plus, le point de discorde principal pour M. McKenzie, M. Jérôme et Michel Pinette était en relation à des menaces à leurs droits ancestraux causées par les activités d’HQ. Or, la protection des terres traditionnelles revient généralement à la collectivité.
- En ce qui concerne la mauvaise foi, la difficulté du Tribunal vis-à-vis de l’approche d’HQ en 2014 est qu’elle a aveuglément adopté une position où elle n’acceptait pas un élargissement de la clause McKenzie, et ce, sans avoir validé la situation des autres familles. Vu la nature de la négociation et l’importance de l’EDP pour la communauté, cette vérification était de mise.
- En outre, vu qu’HQ était prête à laisser continuer la réclamation de M. McKenzie, est-ce que deux autres réclamations auraient vraiment modifié le risque pour HQ, alors que seulement une des familles visées, celle de M. Jérôme, était affectée par des installations d’HQ?
- En outre, après octobre 2015, il semble que le risque posé par la famille Tschernish était moindre, mais la position d’HQ n’a pas changé. Qui plus est, en dépit de leurs lettres d’avril 2014, ni M. Tschernish, ni M. Jérôme n’ont fait quoi que ce soit pour faire avancer leurs demandes dans les dossiers Pinette A et des familles traditionnelles.
- Encore une fois, le comportement d’HQ n’était pas celui d’une mandataire de la Couronne prête à considérer des compromis.
5.11.8 La recette procédurale
- La bonne foi d’HQ peut certainement être remise en question, au niveau de la mise en application de la recette procédurale.
- D’entrée de jeu, le comportement de M. Cacchione, voulant qu’HQ ne prenne pas le leadership du processus, est étrange. La recette devait permettre la résolution d’une impasse qui était essentiellement entre HQ et ITUM. HQ, qui aurait grandement bénéficié du rejet des actions des familles individuelles, savait qu’ITUM ne pouvait pas intenter une demande en rejet contre ses propres membres. Heureusement, le PGQ a consenti à le faire dans le dossier de la Romaine, mais, à vrai dire, rien n’empêchait HQ de produire la même demande dans le dossier la Romaine ou dans les autres dossiers.
- Qui plus est, dans l’entente de 2017, proposée par HQ, M. Bourassa reconnaissait qu’il n’y avait pas d’empêchement à ce qu’HQ intente une telle demande[257].
- Non seulement HQ n’a pas fait cette demande, mais elle persiste, et ce, jusqu’à l’audience, à prétendre que le défaut d’aller de l’avant avec la recette procédurale est imputable à ITUM. Pourtant, comme le Tribunal a dit, pour ITUM, avant que celui-ci fournisse des modifications aux procédures dans les dossiers Pinette A et les familles traditionnelles, l’entente finale devait être conclue.
- HQ n’a fait aucune tentative réaliste à ce niveau-là, vu sa préoccupation avec la troisième turbine à SM-3 et d’autres projets, manquant ainsi à son devoir de rechercher la réconciliation avec les Innus de UMM.
- Dans ce virage, axé sur ses intérêts commerciaux, plutôt que sur le règlement des litiges, HQ a omis de tenir compte de la perspective autochtone ainsi que de la situation dans la communauté. Le Tribunal, dans un contexte autochtone, conclut qu’elle est de mauvaise foi et n’a pas agi honorablement.
5.11.9 La passivité de la haute direction
- La discussion sur la bonne foi d’HQ doit comporter un bref survol du comportement des membres de la haute direction d’HQ. Alors que son équipe de négociateurs négocie l’EDP, où HQ dit qu’elle désire prendre des mesures positives afin de développer une relation empreinte de respect avec les Innus de UMM, la direction accepte une analyse de risque superficielle de la part du contentieux, sans poser de questions. La conséquence de ce manque de questionnement est que deux ou trois familles avec des réclamations douteuses contre HQ peuvent faire échec à l’EDP.
- Vu suivant une perspective autochtone, en considérant uniquement le risque que certains litiges ne soient pas réglés, le Tribunal estime que la direction d’HQ a fait défaut de se poser une question plus importante, soit : Comment est-ce que notre décision de ne pas respecter le référendum va-t-elle affecter le développement d’une relation empreinte de respect avec les Innus de UMM?
- Supplié par le Chef McKenzie, le 29 mai 2014[258], de considérer les conséquences du positionnement d’HQ, M. Vandal ne lui répond pas lui-même, mais passe plutôt la balle à M. Cacchione, une personne qui estimait que les relations avec les Innus de UMM étaient excellentes, tout en les qualifiant de strictement commerciales.
- Sa réponse, peu détaillée du 5 juin 2014, surprend :
Nous devons cependant nous reporter au contenu de l’entente de principe que nous avons conclue et qui exprime clairement les responsabilités de chacune des parties.
Il apparaît certain, malgré l’effort déployé par nos deux équipes, qu’à moins d’un renversement de la situation, des engagements importants de cette entente ne pourront être rencontrés par votre communauté.[259]
- Elle surprend, car HQ n’a pas elle-même respecté sa propre obligation de présenter l’EDP au conseil d’administration après la réussite du référendum ni tenté de négocier les modalités des règlements lors de la discussion de l’entente finale.
- En revanche, peut-être que le positionnement de M. Cacchione n’est pas si surprenant, car il croyait que le référendum de 2014 avait échoué!
- Qui plus est, l’explication du paiement de 6 630 000 $ qu’il présente au conseil d’administration en mars 2015 est truffée d’erreurs. Notamment, il fait croire aux membres du conseil que les Innus de UMM ont déjà reçu une somme de 75 000 000 $, ce qui était complètement faux.
- Comment peut-on conclure que la haute direction d’HQ prend ses obligations envers les Innus de UMM au sérieux, quand elle ne s’assure même pas que les bonnes informations soient communiquées au conseil d’administration?
- Ce manque d’intérêt de la haute direction d’HQ s’aggrave après 2014. On en retrouve le meilleur exemple alors que le résultat d’une des étapes importantes de la recette procédurale, soit le jugement de février 2016, n’est pas partagé avec M. Cacchione et celui-ci ne se préoccupe pas non plus de la suite du dossier. M. Martel n’était aucunement ou très peu au courant du dossier.
- Bref, la haute direction d’HQ a fait fi des principes de la réconciliation et du compromis. En matière autochtone, un tel comportement équivaut à de la mauvaise foi.
- Ce comportement reflète peut-être le fait qu’entre 2005 et 2018, HQ n’avait pas de politique propre aux communautés autochtones. Comme le Tribunal a dit, elle n’a même pas suivi les principes de sa propre politique « Notre rôle social » à la suite de la manifestation des familles dissidentes.
- Elle n'a sûrement pas suivi les principes de la politique que M. Martel fait adopter en 2019, surtout au niveau d’une approche adaptée aux caractéristiques culturelles et aux structures de gouvernance autochtone. Pourtant, M. Martel a dit que les principes de sa nouvelle politique devaient être le reflet des pratiques déjà appliquées par HQ.
- La notion de bonne foi, déjà traitée par le Tribunal, peut s'appliquer à une institution, à l’égard de sa norme comportementale, dans le cadre de ses relations contractuelles.
- En outre, HQ devait être familière avec la notion de mauvaise foi institutionnelle, car elle était partie dans l’affaire Hydro-Québec c. Construction Kiewit cie, où cette question a été traitée en ces termes :
[55] Toutefois, la bonne foi consacrée par le législateur aux articles 6, 7 et 1375 C.c.Q. ne se limite pas à l'intention malicieuse et à la connaissance subjective de l'illégalité. Les professeurs Jobin et Vézina exposent le fondement d'un troisième sens à donner à la bonne foi – dite « objective » – la rattachant notamment aux enseignements des arrêts Soucisse, Houle et Bail de la Cour suprême du Canada :
132 – Bonne foi. Notion. Caractère impératif […]
[...] Cette bonne foi, dite objective, a un sens beaucoup plus large, soit celui de norme de comportement acceptable. Selon le contexte, de telles normes ont une dimension morale, sociale, ou encore elles renvoient simplement au « bon sens » ou au « raisonnable ». La bonne foi est donc devenue l'éthique de comportement exigée en matière contractuelle (comme d'ailleurs dans bien d'autres matières). Elle suppose un comportement loyal et honnête. On parle alors d'agir selon les exigences de la bonne foi. Ainsi, une personne peut être de bonne foi (au sens subjectif), c'est-à-dire ne pas agir de façon malicieuse ou agir dans l'ignorance de certains faits, et aller tout de même à l'encontre des exigences de la bonne foi, soit en violant des normes de comportement objectives et généralement admises dans la société.
[Références omises]
[56] C'est bien ce sens de la bonne foi, qui se rapporte aux normes de comportement objectives, qui constitue le fondement du raisonnement du juge. Dans ses motifs, le juge est formel : il taxe Hydro-Québec de « déraisonnabilité » et, ainsi, de « mauvaise foi institutionnelle » parce que, à son avis, en tant que partie contractante elle n'a pas agi selon les exigences de la bonne foi mesurée objectivement. La conclusion du juge sur ce point s'appuie directement sur la règle énoncée par l'article 7 C.c.Q. : « Aucun droit ne peut être exercé […] d'une manière excessive ou déraisonnable, allant ainsi à l'encontre des exigences de la bonne foi / No right may be exercised […] in an excessive and unreasonable manner which is contrary to the requirements of good faith ». On ne peut donc pas dire que le juge a commis une erreur de droit en invoquant la mauvaise foi institutionnelle dans l’exécution du contrat.[260]
(Références omises)
- Ici à certains égards, la situation est différente de celle dans Kiewit. Le juge Mongeau n’avait pas reconnu de faute chez les employés d’HQ. Dans le présent dossier, le Tribunal estime fautif le comportement de certains employés d’HQ. Plus précisément, dans le présent dossier, plusieurs d’entre eux se sont acquittés de leurs rôles, sans égard au principe de la réconciliation et sans considération de l’effet de leurs gestes sur l’autorité du Conseil de bande au sein de la communauté.
- À titre d’institution, en 2014, HQ s’est engagée à veiller aux bonnes relations entre elle et les Innus de UMM, posture qu’elle a rapidement abandonnée après les lettres des familles dissidentes. En agissant ainsi, elle a fait défaut de respecter son devoir de loyauté implicite qui découle des articles 6, 7 et 1375 C.c.Q.[261], un devoir que le Tribunal considère encore plus important dans le cadre des relations avec une communauté autochtone.
- Au moins aussi surprenant est que bien qu’HQ se soit dotée de plusieurs politiques devant régir ses relations avec les communautés autochtones, les personnes qui ont témoigné n’étaient que peu familières avec celles-ci. D’autres, comme M. Cacchione, ignoraient les politiques, mais estimaient que les relations entre les Innus de UMM et HQ étaient très bonnes. Par conséquent les politiques n’ont pas été appliquées.
- ITUM demande au Tribunal de la déclarer nulle pour cause d’erreur.
- La mention que « la réalisation et l’exploitation du projet La Romaine ne saurait être source d’aucune autre indemnité que celles découlant de l’Entente de principe 2014 conclue entre ITUM et Hydro-Québec » a été ajouté au texte quelque part entre le 24 et le 27 mars 2015[262]. Pour les raisons que le Tribunal a déjà discutées, cet ajout est un élément important dans sa conclusion voulant qu’entre HQ et ITUM, le règlement du litige de la Romaine, ou d’une partie de celui-ci, ne fût qu’une étape en voie de la signature de l’entente finale.
- HQ réfère le Tribunal au témoignage de M. Bourassa pour prétendre le contraire :
On voulait s'assurer, bon, on avait une quittance, mais en fait, ce qu'on voulait là-dedans, c'était les bretelles et la ceinture, mais qu'il soit clair pour tout le monde que le projet de lignes faisant l'objet du litige ne puisse pas générer ou qu'on ne puisse pas interpréter l'entente de principe de 2014 comme pouvant générer d'autres... d'autres compensations que ce 6 630 000 là.[263]
(Le Tribunal souligne)
- Pourtant, par ces mots, M. Bourassa confirme plutôt que le paiement de 6 630 000 $ était pour « le projet des lignes ». Il ne prétend pas que le paiement réglait l’ensemble des revendications des Innus de UMM en relation à l’ensemble du Projet.
- Ce propos de M. Bourassa s’arriment bien avec la rédaction de l’EDP, où les indemnités qui y sont prévues ont un caractère global. Les parties n’ont pas assigné une valeur de 6 630 000 $ au Projet[264].
- Ajoutons que, dans la déclaration de règlement hors cour, les parties ont défini le « Projet la Romaine » en des termes beaucoup plus larges que le projet de lignes discuté par M. Bourassa dans son témoignage. En référant au paragraphe 37 de la Requête introductive d’instance[265], les parties ont convenu que le Projet comportait tous les éléments qui y sont mentionnés. La déclaration de règlement hors cour doit être considérée en tenant compte de cette définition.
- Qu’en est-il des mots : « Sauf lorsque prévu autrement ici, la présente déclaration de règlement hors cour opère quittance à l'endroit de l'ensemble des parties défenderesses à l'égard de toute réclamation ultérieure pouvant découler des faits relatifs au présent recours à l'égard du Projet La Romaine. »?
- HQ estime que ces mots démontrent qu’aucune stipulation de la déclaration de règlement hors cour ne donne lieu à une condition implicite qui se rattache aux quittances données.
- Le Tribunal n’est pas d’accord. D’autres mots de la déclaration de règlement hors cour permettent de conclure qu’il peut y avoir d’autres réclamations. Les stipulations de la déclaration de règlement hors cour, qui reconnaissent que la somme de 75 101 717 $ constitue une indemnité appropriée pour le Projet, y compris le PMVI, démontrent que d’autres réclamations peuvent exister.
- HQ ajoute qu’il n’y a pas lieu d’ajouter une condition implicite de conclure une entente finale à la déclaration de règlement hors cour..
- À son tour, le PGQ cautionne aussi le Tribunal contre une réécriture de la déclaration de règlement hors cour. Il soutient que le principe de l’honneur de la Couronne ne permet pas au Tribunal de réécrire les termes d’un traité ou d’un contrat. Le Tribunal n’est pas en désaccord avec cette position, qui par ailleurs a souvent été reprise dans la jurisprudence. À titre d’exemple, regardons l’arrêt de la Cour d’appel de la Saskatchewan dans George Gordon First Nation v Saskatchewan :
[172] I agree that the Settlement Agreement cannot be interpreted solely in accordance with commercial contract principles, such as those set out in Sattva Capital Corporation v Creston Moly Corporation, 2014 SCC 53, [2014] 2 SCR 633 [Sattva], or Mosten Investments LP v The Manufacturers Life Insurance Company (Manulife Financial), 2021 SKCA 36, [2021] 9 WWR 1, leave to appeal to SCC refused, 2021 CanLII 109595, 2021 CanLII 109580 and 2021 CanLII 109579. However, despite this caveat, the analysis must not lose sight of the fact that an enforceable contract was entered into in order to satisfy unfulfilled treaty rights under Treaty No. 4. As is implicit from the judgments in Quebec (Attorney General) v Moses, 2010 SCC 17, [2010] 1 SCR 557 [Moses], and Canada (Attorney General) v Fontaine, 2017 SCC 47, [2017] 2 SCR 205 [Fontaine], the general principles of contractual interpretation apply to agreements with Indigenous peoples. The Settlement Agreement must be interpreted through the lens of the honour of the Crown, but such an interpretation cannot result in the rewriting of the agreement: Pasqua First Nation 2016 at para 64 and Pasqua First Nation 2018 at paras 12–13. It must be kept in mind that the honour of the Crown is a flexible concept, which varies with the situation and depends heavily on the circumstances in which it is engaged: Mikisew Cree First Nation 2018 at para 24 and Peter Ballantyne at para 41. At the same time, the honour of the Crown is not a doctrine that can “exempt the Aboriginal party from honouring its own undertakings” (Beckman at para 106).
[173] Recently, the Manitoba Court of Appeal had an opportunity to address the principle of the honour of the Crown in the context of the interpretation of a written agreement (Manitoba Métis Federation Inc. v Brian Pallister, 2021 MBCA 47, 458 DLR (4th) 625, leave to appeal to SCC requested, Docket 39799):
[55] … Accordingly, giving up certain legal remedies in an agreement does not mean that the concept of the honour of the Crown is somehow an inapplicable or alien principle. As stated in Beckman, the duty to consult “can be shaped by agreement of the parties, but the Crown cannot contract out of its duty of honourable dealing with Aboriginal people” (at para 61).
[56] Likewise, while one cannot “contract out” of the honour of the Crown, neither can one read in supplementary duties when the parties have agreed on specific terms to address outstanding issues. Rather, the honour of the Crown requires that the Crown adhere to and implement the terms of a carefully worded agreement in an open and fair manner, and in a manner consistent with the wording of the agreement and the principles of contractual interpretation. The honour of the Crown principle does not mean that the agreement can be ignored or rewritten (see Moses at para 6; and [Pasqua First Nation 2018] at paras 12–13).[266]
- À l’instar de la Cour d’appel de la Saskatchewan, le Tribunal estime que la déclaration de règlement doit être examinée dans l’optique de l’honneur de la Couronne. Lorsque nous tenons compte de l’honneur de la Couronne, et surtout des mots convenus entre les parties, il devient évident que la finalisation de l’entente finale était en fait plus qu’une condition implicite.
- Les échanges entre les parties, de février et mars 2015, voulant qu’elles s’embarquassent sur un processus de règlement global étaient clairs.
- Il en est de même pour leur comportement après la signature de la déclaration de règlement hors cour. Rappelons que, dans l’entente de principe qu’HQ a communiqué en 2017, après de la signature de la déclaration de règlement hors cour, elle reconnaissait que le litige de la Romaine n’était pas encore réglé :
5.3.1 En considération et sous réserve des droits qui leur sont accordés par l'Entente, les Uashaunnuat consentent à régler hors cour toutes les poursuites judiciaires relatives au Projet La Romaine.
- Le Tribunal estime que l’article 1494 C.c.Q. trouve son application. Il est rédigé en ces termes :
1497. L’obligation est conditionnelle lorsqu’on la fait dépendre d’un événement futur et incertain, soit en suspendant sa naissance jusqu’à ce que l’événement arrive ou qu’il devienne certain qu’il n’arrivera pas, soit en subordonnant son extinction au fait que l’événement arrive ou n’arrive pas.
- Les parties ont stipulé une condition future et incertaine sur laquelle dépendait le règlement hors cour[267].
- Les Innus de UMM soutiennent également que leur consentement a été vicié. Qu’en est-il?
- Or, pour HQ et ITUM, la considération principale évoquée par leurs correspondances de février et mars 2015, était la conclusion de l’entente finale, et ce, par un processus de règlement global, dont de la déclaration de règlement hors cour faisait partie.
- ITUM était en droit de croire que, lorsqu’il accepte de participer à ce processus, HQ serait de bonne foi tout le long de celui-ci, y compris lors de la finalisation de l’entente finale. Cependant, par son comportement, déjà discuté par le Tribunal, HQ ne s’est pas comportée d’une manière appropriée pour permettre la conclusion d’une entente, et était de mauvaise foi.
- En revanche, la conclusion d’une entente finale étant un événement ultérieur, HQ fait valoir que, de ce fait, l’erreur alléguée par ITUM, si erreur il y avait, n’aurait pas été susceptible de vicier le consentement d’ITUM.
- Dans l’arrêt de la Cour d’appel dans Société immobilière du Massif de Charlevoix inc. c. Collin, la Cour offre la définition suivante de l’erreur :
[56] Ainsi, on se retrouve en plein cœur de la théorie de l’erreur pour vice de consentement, et non celle de l’inexécution contractuelle :
L’erreur est habituellement définie comme une représentation erronée de la réalité. L’erreur est une fausse représentation que se fait une personne de la réalité contractuelle dans laquelle elle s’est engagée. Il y a absence de concordance entre les deux consentements.[268]
(Référence omise)
- L’arrêt Boulay c. Sénécal, note qu’il existe deux sortes d’erreurs : « l’erreur simple prévue à l’article 1400 C.c.Q. et l’erreur causée par le dol ou la fraude régie par l’article 1401 C.c.Q. »[269].
- Dans ce même arrêt, la Cour d’appel décrit l’erreur sur un élément essentiel en ces termes :
[13] Les auteurs Lluelles et Moore indiquent que l’erreur sur un élément essentiel s’apparente à celle prévue à l’article 992 C.c.B.C. qui prévoyait l’erreur sur la considération principale de l’engagement. En conséquence, l’erreur sur des considérations personnelles ne serait retenue qu’à la condition qu’elles aient été portées à l’attention du cocontractant.
[14] Les auteurs Jobin et Cumyn sont aussi d’avis que l’erreur sur une caractéristique particulière doit avoir été exprimée par l’acheteur et connue du cocontractant.
[15] L’auteur Karim se dit pour sa part d’avis que « Lorsqu’il est évident que la chose faisant l’objet de la prestation doit normalement posséder une qualité substantielle, il ne sera pas nécessaire de prouver que la victime de l’erreur a informé son cocontractant qu’elle recherchait cette caractéristique particulière.[270]
- Pour le Tribunal, c’est plutôt l’article 1400 C.c.Q. qui s’applique en l’espèce :
1400. L'erreur vicie le consentement des parties ou de l'une d'elles lorsqu'elle porte sur la nature du contrat, sur l'objet de la prestation ou, encore, sur tout élément essentiel qui a déterminé le consentement.
L'erreur inexcusable ne constitue pas un vice de consentement.
- Le juge Nollet le considère dans l’affaire 9266-0257 Québec inc. c. Wrapcity Gourmet Restaurants inc. en ces termes :
[46] L'erreur simple, contrairement à l'erreur provoquée par le dol, ne donne pas ouverture à un recours en dommages-intérêts. L'erreur simple ne peut entraîner qu'une sanction, soit la nullité relative de l'engagement.
[47] L'évaluation du caractère déterminant de l'erreur se fait in concreto, c'est-à-dire du point de vue du contractant qui l'invoque.[271]
- Est-ce que la conclusion d’une entente finale était un élément essentiel à la signature de la déclaration de règlement par ITUM?
- Le 13 février 2015, les avocats d’HQ informent le Tribunal que l'EDP : « a jeté les bases d'une entente globale à venir et qu'elle constitue le fondement de règlement possible de l'ensemble des litiges… [272] ».
- La même journée, M. Bourassa écrit à Me O’Reilly et à Me Bertrand et leur propose : « un processus global de règlement des litiges […] et de reprendre les négociations en vu de conclure une entente finale…[273] ».
- Me O’Reilly répond le 5 mars et informe HQ que ses clients acceptent de participer à un processus de règlement global des litiges. La déclaration de règlement hors cour est un des éléments d’un processus de règlement, mais la conclusion d’une entente finale était clairement indiquée comme un élément essentiel à la réussite du processus.
- À certains égards, la déclaration de règlement, en soi, reconnaît qu’il devait y avoir une entente finale sur la base de l’EDP, vu sa reconnaissance que la somme de 75 101 717 $ constitue une indemnité appropriée pour le Projet.
- Mais comment aborder la position d’HQ voulant que la conclusion d’une entente finale soit un événement futur et ne puisse pas constituer une erreur qui viciait le consentement d’ITUM?
- Bien que le Tribunal soit d’accord avec HQ à l’effet que la conclusion de l’entente finale, comme telle, était un événement futur, la conclusion de l’entente finale était une condition imposée par ITUM pour sa participation dans le processus global de règlement, dont la déclaration de règlement hors cour faisait partie. Cette condition était actuelle et implicitement acceptée par HQ.
- Dans la mesure où la condition ne se réalisait pas et que la déclaration de règlement devait quand même rester valide entre ITUM et HQ, ITUM a fait erreur sur un élément essentiel du contrat.
- S’agit-il d’une erreur inexcusable?
- La juge Blondin traitait de l’erreur inexcusable dans Richard-Gagné c. Poiré en ces termes :
[23] Ainsi, l'erreur peut constituer un vice, à moins qu'elle ne soit qualifiée d'inexcusable. L'honorable juge Baudouin définit ainsi le critère applicable à une telle situation:
Le Code civil du Québec a adopté le point de vue du droit français sur la question, en excluant l'annulation lorsque l'erreur est inexcusable. On retrouve dans cette nouvelle règle le souci de la stabilité des contrats et l'idée, déjà admise dans un contexte voisin, que chacun doit se renseigner avant de passer un contrat. On y verra aussi une marque très claire de l'équité: si la faute de la victime se trouve à être la véritable cause de son erreur, il est injuste d'annuler le contrat et de priver ainsi le cocontractant – de bonne foi – de son bénéfice.
[…]
Au Québec, pour priver la victime d'une erreur de son droit de demander la nullité du contrat, il faut à tout le moins que la preuve de sa faute soit très claire et que l'on tienne compte de facteurs tels que son inexpérience dans le domaine. Pour évaluer le caractère inexcusable de l'erreur, la jurisprudence doit tenir compte des circonstances particulières de chaque espèce et adopter une appréciation in concreto de l'erreur; elle fera peser dans la balance notamment (comme pour la crainte d'ailleurs) l'âge, l'état mental, l'intelligence, et la position professionnelle ou économique des parties.[274]
- Le Tribunal ne peut pas voir, dans le comportement d’ITUM, une erreur inexcusable. Dans le cadre de toutes les discussions, en début 2015, HQ et ITUM discutaient d’un processus de règlement global, lequel comporterait la finalisation d’une entente incluant les principes de l’EDP.
- Les défenderesses ajoutent que les remords subséquents d’une partie sur la valeur d’un règlement ne peuvent être considérés pour conclure à une erreur. Dans l’arrêt Martineau, Provencher & Associés Ltée c. Grace, la Cour d’appel dit :
[96] […] À tous les jours des créanciers acceptent moins que ce qui leur est dû pour éviter des procédures judiciaires. Après avoir reçu partiellement ce à quoi ils croient avoir droit, ces créanciers ne peuvent plus, à loisir et à leur aise, faire fi de la transaction et poursuivre leurs débiteurs pour obtenir le solde de ce qu'ils croyaient leur être dû. Et un tribunal ne peut annuler une transaction au motif qu'a posteriori, on peut dire qu'en la faisant une partie a été lésée.[275]
- Bien que le Tribunal soit en accord avec le principe, il ne le trouve pas applicable en l’espèce, car les parties ont toutes reconnu que le Projet pouvait être la source d’autres indemnités et que la somme de 75 101 717 $ était une juste compensation pour celui-ci.
- Le PGQ soutient également que le cocontractant est « tous les demandeurs » de sorte que la preuve est insuffisante pour apprécier l’erreur du point de vue de l’ensemble des demandeurs, dont les chefs de familles traditionnelles, avec le résultat que le Tribunal ne puisse conclure que l’ensemble des demandeurs a commis une erreur.
- Avec égards, le Tribunal est en désaccord. Rappelons que l’EDP a été expliquée aux membres de la communauté, y compris tous les demandeurs. Ces derniers étaient en faveur de l’EDP et nous pouvons présumer qu’au moins en partie, leur accord était en considération de la totalité de la somme qu’ HQ devait verser. Il est irréaliste de demander au Tribunal d’inférer que les demandeurs, après avoir reconnu que la somme de 75 101 717 $ était une compensation appropriée pour le Projet, accepteraient qu’HQ puisse régler le litige moyennant un paiement de 6 630 000 $.
- Finalement, à ce titre, M. Therrien Pinette a expliqué au Tribunal qu’ITUM parlait pour les demandeurs dans le cadre du litige, à l’exception bien entendu, des demandeurs dissidents.
- Mais, il y a plus, comme la Cour d’appel de la Saskatchewan a discuté dans l’affaire George Gordon First Nation, les principes du droit général de l’interprétation des contrats s’appliquent. Au Québec nous avons l’article 1434 C.c.Q. et, à juste titre, HQ réfère le Tribunal à cet article :
1434 C.c.Q. Le contrat valablement formé oblige ceux qui l’ont conclu non seulement pour ce qu’ils y ont exprimé, mais aussi pour tout ce qui en découle d’après sa nature et suivant les usages, l’équité ou la loi.
- Celui-ci a récemment été considéré par la Cour Suprême du Canada dans Ponce c. Société d’investissements Rhéaume ltée :
[55] En l’espèce, les obligations implicites des appelants procèdent avant tout de la nature même de l’Entente des présidents. Comme l’a souligné la Cour, la nature d’un contrat sera la source d’une obligation implicite lorsque celle-ci « semble nécessaire pour que le contrat soit cohérent et lorsqu’elle s’inscrit dans son économie générale » (Churchill Falls (Labrador) Corp. c. Hydro-Québec, 2018 CSC 46, [2018] 3 R.C.S. 101, par. 74). Dit autrement, l’obligation implicite découlant de la nature du contrat ne doit pas avoir pour effet d’ajouter à celui-ci des obligations inédites, mais doit plutôt combler les carences de son contenu explicite (D. Lluelles et B. Moore, Droit des obligations (3e éd. 2018), no 1542). Selon le professeur Crépeau, la justification de l’inclusion des obligations implicites découlant de la nature d’un contrat tient avant tout de la volonté présumée des parties (p. 7‑8). En ce sens, les obligations implicites participent du même fondement que les obligations explicites, reliant ainsi, comme le rappelle aujourd’hui le sous-titre précédant l’art. 1434 C.c.Q., l’autonomie de la volonté avec la « force obligatoire et [le] contenu du contrat » (voir Churchill Falls, par. 74, le juge Gascon, et par. 170, le juge Rowe, dissident, mais non sur ce point).[276]
- Rappelons que, tout en soutenant que la déclaration de règlement hors cour est un contrat distinct, HQ reconnaît qu’il forme un ensemble, avec les lettres des 13 février et 5 mars 2015. Or, si ces lettres ne permettent pas de conclure que la conclusion d’une entente finale était une condition explicite de ces échanges, elle était certainement une condition implicite, vu que les parties s’entendaient pour s’embarquer dans un processus de règlement global, dont le règlement hors cour et l’entente finale faisait partie.
- Qui plus est, même en regardant uniquement la déclaration de règlement hors cour, nous pouvons y voir une obligation implicite de conclure l’entente finale, vu la reconnaissance des parties que la somme de 75 101 717 $ constitue une indemnité appropriée pour le Projet.
- Comme dit la Cour suprême, certaines ententes commandent une loyauté contractuelle réciproque[277]. L’entente de s’engager à un processus global de règlement des litiges était un tel contrat.
- Pour les raisons que le Tribunal a déjà discutées, cette loyauté était inexistante chez HQ. Ainsi, si le Tribunal se méprend en concluant qu’il y a une erreur d’ITUM sur un élément essentiel du contrat, il estime que l’erreur d’ITUM avait été provoquée par le dol d’HQ.
- Premièrement, dans sa lettre du 5 mars 2015, Me O’Reilly a clairement exprimé que les négociations vers une entente finale devaient reprendre rapidement, sans qu’après cette lettre, HQ remette en question son engagement à négocier une entente finale. Or, la preuve est silencieuse quant aux négociations de 2015. En revanche, il y en avait en 2016, et comme le Tribunal l’a expliqué, dans ses négociations HQ avançait d’autres projets au premier plan. Elle s’est permis de conserver, jusqu’à ce jour, une somme de 68 471 171 $, alors qu’elle reconnaît que cette somme fait partie de la juste compensation pour le Projet.
- Nous pouvons y voir un manque de loyauté et conclure aisément qu’ITUM n’aurait pas signé la déclaration de règlement hors cour s’il avait su qu’HQ allait se comporter ainsi.
- Il y a également une autre manière de regarder la déclaration de règlement hors cour, qui mène à la conclusion qu’elle est nulle, même si l’erreur alléguée d’ITUM ne donne pas lieu à sa nullité.
- L’article 2631 C.c.Q. est rédigé en ces termes :
2631. La transaction est le contrat par lequel les parties préviennent une contestation à naître, terminent un procès ou règlent les difficultés qui surviennent lors de l’exécution d’un jugement, au moyen de concessions ou de réserves réciproques.
Elle est indivisible quant à son objet.
- Le juge Gouin traite de l’article 2631 C.c.Q. dans Icanda Corporation et EMD Construction inc. en ces termes :
[31] Il ne peut être question qu’une entente réglant, en principe, une réclamation, puisse subséquemment faire l’objet d’une contestation de ladite réclamation. Cela irait clairement à l’encontre du principe d’un jugement final et exécutoire, du principe de «l’autorité de la chose jugée».[278]
- Pour le Tribunal, la reconnaissance par les parties, à la déclaration de règlement hors cour, que 75 101 717 $ est une juste indemnité pour la réalisation et l’exploitation du Projet donne clairement ouverture à une réclamation subséquente. Nous ne pouvons pas conclure que les Innus de UMM ont renoncé à la possibilité de réclamer la différence entre cette somme et la somme qu’ils ont reçue. Nous pouvons ainsi douter que les conditions pour une transaction valide soient présentes.
- Le juge Gouin parle également de l’importance des concessions comme étant essentielles à une transaction :
[39] Il ne fait donc aucun doute qu’ELC ne fait aucune concession dans le cadre de la Transaction/modifiée et, par le fait même, le critère de «concessions ou réserves réciproques», essentiel à l’homologation d’une transaction, n’est pas rencontré.[279]
- Or, dès le début des discussions, HQ reconnaissait qu’elle devait verser une somme en vertu du PMVI, obligation que son conseil d’administration a entérinée. Elle fut respectée par le paiement de 6 630 000 $[280]. Ce paiement était pour le raccordement et non pas pour le Projet comme il est défini dans la déclaration de règlement hors cour.
- Nous pouvons nous demander si le paiement était réellement une concession.
- Qui plus est, nous pouvons nous demander si la déclaration de règlement hors cour est conforme à l’ordre public, surtout si elle est vue comme mettant fin à tout le litige en relation au Projet, tel que les défendeurs prétendent.
- Comme tout contrat, le Tribunal peut déclarer la déclaration de règlement hors cour nulle si elle est contraire à l’ordre public.
- À ce niveau il y a lieu de considérer l’équilibre entre les parties sur le plan des concessions. Le Tribunal a déjà fait part d’une préoccupation quant à la vraie concession d’HQ, mais si la concession est effectivement le paiement de 6 630 000 $ contre la renonciation par les Innus de UMM de tout recours en relation au Projet, il y a un déséquilibre très important entre les concessions. Voici ce que Mme Lachance dit d’une telle situation :
22. Par réciprocité des concessions, il ne faut pas entendre égalité des sacrifices. La transaction demeure le produit de la conciliation d’intérêts antagonistes ; il n’y a pas donc pas de souci d’équilibre dans les prestations. Néanmoins, si le sacrifice consenti par une des parties est minime par rapport à celui fait par l’autre, la transaction est nulle : une concession dérisoire équivaut à une absence de concession.[281]
(Références omises) (Le Tribunal souligne)
- Le juge André Roy dit ceci dans 2622-6241 Québec inc. c. Héneault et Gosselin inc. :
[42] Sans que les concessions n’aient à être égales pour qu’il y ait réciprocité, il est tout de même nécessaire que la concession ne soit pas à ce point dérisoire qu’elle équivaille en réalité à une absence de concession :
Néanmoins, si le sacrifice consenti par une des parties est minime par rapport à celui fait par l’autre, la transaction est nulle : une concession dérisoire équivaut à une absence de concession.[282]
(Référence omise)
- Déclarer la transaction valide, ou au moins de l’interpréter comme le suggèrent les défendeurs, donnerait lieu effectivement à une situation où ITUM verrait ses droits disparaître à la suite d’une concession dérisoire. Au risque de se répéter, il est facile de caractériser ainsi la concession d’HQ devant la reconnaissance que la juste compensation pour le Projet est beaucoup plus élevée.
- En dernier lieu, HQ affirme, avec raison, qu’ITUM n’a pas offert de restituer la somme de 6 630 000 $. En certaines circonstances, le défaut de consigner la somme reçue lorsqu’on demande la nullité d’un contrat peut justifier le rejet de la demande[283].
- Qu’en est-il du présent dossier? Or, comme le Tribunal a dit, HQ a reconnu que le paiement de la somme de 6 630 000 $ servait à la libérer de ses obligations en vertu du PMVI et personne ne niera que les lignes aient été construites.
- Deuxièmement, HQ a elle-même reconnu qu’une juste compensation pour l’ensemble du Projet était au moins 75 101 717 $. En outre, jusqu’à présent, même si nous considérions la somme de 6 630 000 $ comme un accommodement pour les lignes, dans leur demande dans le dossier la Romaine, les Innus demandent des accommodements pour l’ensemble du Projet. Si HQ et les Innus de UMM sont remis en état pour ce qui est du dossier la Romaine, le Tribunal aura à déterminer les accommodements et pourra faire les ajustements au besoin.
- Qui plus est, comme la Cour suprême du Canada dit dans Ontario (Procureur général) c. Restoule[284], le Tribunal doit être créatif dans les dossiers où l’honneur de la couronne est en jeu. Vu la nature du dossier, le Tribunal est d’avis que la consignation de la somme de 6 630 000 $ par ITUM n’était pas requise.
- Il ne faut pas perdre de vue que « la transaction est, par nature, un contrat qui a un caractère déclaratif et non synallagmatique[285] ». HQ par sa signature à la déclaration reconnaît que la somme de 75 101 717 $ est une juste compensation pour le Projet. Les Innus de UMM doivent avoir un moyen de récupérer cette somme.
- Les parties ont reconnu également que : « La présente est sans préjudice et sans renonciation au titre autochtone revendiqué ou aux droits revendiqués…[286] ». Dans son plan d’argumentation, le PGC explique que ces mots font en sorte que : la Déclaration de règlement hors cour (P-20) prévoit expressément être « sans préjudice et sans renonciation » aux droits protégés par l’article 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982[287].
- Pour le Tribunal, il découle de l’arrêt Nation Haïda que les droits protégés par l’article 35 comprennent tant le droit d’être consulté dans le cadre d’un projet que dans la tenue des négociations menant à un règlement équitable :
16 L’obligation du gouvernement de consulter les peuples autochtones et de prendre en compte leurs intérêts découle du principe de l’honneur de la Couronne. L’honneur de la Couronne est toujours en jeu lorsque cette dernière transige avec les peuples autochtones : voir par exemple R. c. Badger, 1996 CanLII 236 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 771, par. 41; R. c. Marshall, 1999 CanLII 665 (CSC), [1999] 3 R.C.S. 456. Il ne s’agit pas simplement d’une belle formule, mais d’un précepte fondamental qui peut s’appliquer dans des situations concrètes.
[…]
20 Tant qu’un traité n’a pas été conclu, l’honneur de la Couronne exige la tenue de négociations menant à un règlement équitable des revendications autochtones : R. c. Sparrow, 1990 CanLII 104 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 1075, p. 1105‑1106. Les traités permettent de concilier la souveraineté autochtone préexistante et la souveraineté proclamée de la Couronne, et ils servent à définir les droits ancestraux garantis par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. L’article 35 promet la reconnaissance de droits, et « [i]l faut toujours présumer que [la Couronne] entend respecter ses promesses » (Badger, précité, par. 41). Un processus de négociation honnête permet de concrétiser cette promesse et de concilier les revendications de souveraineté respectives. L’article 35 a pour corollaire que la Couronne doit agir honorablement lorsqu’il s’agit de définir les droits garantis par celui‑ci et de les concilier avec d’autres droits et intérêts. Cette obligation emporte à son tour celle de consulter et, s’il y a lieu, d’accommoder.[288]
- De plus, vu que nous sommes en matière où la réconciliation et l’honneur de la Couronne sont en jeu, le Tribunal doit se garder contre une interprétation mesquine de la déclaration de règlement hors cour :
[37] Porter une grande attention au libellé des traités modernes signifie qu’il faut interpréter la disposition en cause à la lumière du texte du traité dans son ensemble et des objectifs du traité (Little Salmon, par. 10; Moses, par. 7; art. 2.6.1, 2.6.6 et 2.6.7 des ententes définitives; voir aussi la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, c. I‑21, art. 12). Certes, un traité moderne n’atteindra pas son objectif, qui consiste à favoriser une relation à long terme harmonieuse entre les peuples autochtones et la Couronne, s’il est interprété « de façon mesquine ou comme s’il s’agissait d’un banal contrat commercial » (Little Salmon, par. 10; voir aussi D. Newman, « Contractual and Covenantal Conceptions of Modern Treaty Interpretation » (2011), 54 S.C.L.R. (2d) 475). De plus, les tribunaux doivent « essayer de respecter le fruit [du] travail » des parties à un traité moderne, mais toujours « sous réserve des limitations constitutionnelles comme le principe de l’honneur de la Couronne » (Little Salmon, par. 54).[289]
- Comme le Tribunal a déjà dit, vu l’arrêt Restoule[290], le Tribunal doit faire preuve de créativité dans la recherche de ce qui est nécessaire pour préserver l’honneur de la Couronne et pour concilier les intérêts de la Couronne et ceux des Autochtones.
- Nous pouvons également regarder les mots de la Cour suprême dans Manitoba Metis Federation Inc. c. Canada (Procureur général), voulant que l’honneur de la Couronne « ne s’agit pas d’une cause d’action en soi, mais d’un principe qui a trait aux modalités d’exécution des obligations dont il emporte l’application[291]. »
- Qu’en est-il de l’exécution du paiement de la compensation juste pour le Projet? Voici ce que la Cour suprême du Canada dit dans Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien) :
51 L’obligation de consultation repose sur l’honneur de la Couronne, et il n’est pas nécessaire pour les besoins de l’espèce d’invoquer les obligations de fiduciaire. L’honneur de la Couronne est elle-même une notion fondamentale en matière d’interprétation et d’application des traités que le juge Gwynne de notre Cour avait déjà qualifiée d’obligation découlant d’un traité en 1895, soit quatre ans avant la conclusion du Traité no 8 : Province of Ontario c. Dominion of Canada (1895), 1895 CanLII 112 (SCC), 25 R.C.S. 434, p. 511‑512, le juge Gwynne (dissident). Même si son opinion, voulant que l’obligation découlant d’un traité de verser des rentes aux Indiens crée une fiducie à l’égard des terres provinciales, était minoritaire, les juges majoritaires n’ont rien dit dans cette affaire qui permette de douter que l’honneur de la Couronne garantissait l’exécution de ses obligations envers les Indiens. La Couronne en avait fait sa politique au moins depuis la Proclamation royale de 1763, et cette notion ressort clairement des promesses consignées dans le rapport des commissaires. L’honneur de la Couronne existe également en tant que source d’obligation indépendante des traités, bien entendu. Dans les arrêts Sparrow, Delgamuukw c. Colombie‑Britannique, 1997 CanLII 302 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 1010, Nation Haïda et Taku River, l’« honneur de la Couronne » a été invoqué à titre de principe central du règlement des demandes de consultation des Autochtones, et ce, même en l’absence d’un traité.[292]
- Bien sûr, le Tribunal n’en est pas à l’étape d’ordonner le paiement de 68 471 717 $, mais plutôt à celle de la conséquence de la reconnaissance des parties, de la juste compensation pour le Projet
- Cette reconnaissance et le désistement des Innus de UMM de leur demande contre le Canada et le Québec donnent lieu à une réflexion en relation à la transaction, et également comment cette reconnaissance de la juste compensation peut être mise en application.
- Martine Lachance dit ceci sur les transactions :
40. Les paramètres ci-dessus exposés démontrent l’existence d’une double norme de contrôle: soit l’acte n’est pas une transaction, soit il n’est pas conforme à l’ordre public. En dehors de ces situations, l’entente librement consentie par les comparants est intangible, quels que soient ses mérites. Soutenir l’idée de l’intangibilité d’un règlement valide n’est d’ailleurs pas néfaste, la société étant à la recherche d’un véritable équivalent à la justice publique.[293]
- Dans une autre œuvre, Me Lachance dit ceci :
44. Dès lors, quel pouvoir d’intervention reste-t-il aux tribunaux en regard de l’aménagement du contenu obligationnel de la convention ? Hormis son pouvoir d’interprétation, presque aucun. Un magistrat n’est admis à se substituer à la volonté des parties que dans la mesure où le législateur lui accorde expressément ce pouvoir. À titre d’exemple, il peut, en certaines circonstances, réduire ou moduler les obligations d’une partie. Il est également autorisé, dans certains cas, à aménager le contrat pour établir l’équité contractuelle ; en présence d’une clause jugée abusive, son autorité lui permet même d’en prononcer la nullité. Bien que limité dans son intervention, le magistrat peut exercer un contrôle minimal de la moralité contractuelle. Mais ce filet n’est admis que si le contractant lésé est dans un état de dépendance protégé ; le juge ne peut « intervenir simplement parce que la situation lui paraît inéquitable ».
- Dans le cadre d’une négociation entre un promoteur et une communauté autochtone, nous pouvons nous demander si, une transaction qui permet au promoteur, appuyé par le Québec et le Canada, de passer outre le paiement d’une somme que toutes les parties reconnaissent être une juste compensation pour le projet convoité, ne serait pas abusive.
- Qui plus est, l’interprétation qu’HQ et le PGQ donnent à la déclaration de règlement hors cour voulant que l’exécution de celle-ci soit complète avec le paiement de 6 630 000 $, leur permettrait de passer outre une évaluation de la suffisance de la consultation avant l’implantation du Projet et, le cas échéant, des accommodements requis. En de telles circonstances, les droits des Innus de UMM en vertu de l’article 35 ne seraient pas protégés.
- À maintes reprises, la Cour suprême du Canada a souligné la nécessité de la consultation entre la Couronne qui désire permettre l’implantation d’un projet et la communauté autochtone qui en serait affectée. De nos jours, il est requis qu’une consultation appropriée ait lieu pour tout projet comme celui qui fait l’objet du présent litige.
- Pour le Tribunal, d’accepter l’idée d’HQ, du PGQ et du PGC que la déclaration de règlement hors cour met tout simplement fin à toute réclamation possible des Innus de UMM en relation au Projet, irait non seulement à l’encontre du texte de celle-ci, mais s’opposerait également aux principes fondamentaux des relations entre la Couronne et les peuples autochtones. Puisque la demande Haïda n’a pas été entendue, il y aurait une forte possibilité que les Innus de UMM ne bénéficient pas des accommodements appropriés.
- À ce stade, le Tribunal ne peut pas cautionner un tel résultat. Au contraire, et le Tribunal se répète, il doit démontrer une certaine créativité dans sa recherche des solutions[294].
- Il y a une nuance à discuter en relation à la déclaration de règlement hors cour entre la situation d’HQ et celle du Québec et du Canada, car les Innus de UMM se sont tous désistés de leurs actions contre le Québec et le Canada, mais pas contre HQ.
- Cette phrase de la déclaration de règlement hors cour, qui suit la reconnaissance des parties, que l’EDP constitue une juste compensation de toute atteinte pouvant résulter du Projet, fait réfléchir également :
Ainsi, les demandeurs renoncent à tout recours qu’ils ont, pourraient avoir ou vouloir faire valoir à l’encontre des gouvernements du Canada et du Québec en relation avec la réalisation et l’exploitation du Projet La Romaine ou en relation avec l’Entente de principe 2014 à l’égard de la réalisation et l’exploitation du Projet La Romaine.
- La seule façon de la comprendre, vu le mot « ainsi » en début de phrase, est de retenir que les demandeurs renonçaient à leurs recours contre le Canada et le Québec, dans la mesure où la totalité des sommes prévues à l’EDP est versée aux Innus de UMM. Évidemment, afin que cela arrive, il fallait qu’HQ et ITUM concluent l’entente finale.
- Par ailleurs, cette phrase fait échec à l’argument du PGC voulant qu’aucune clause ou condition n’ait été portée à son attention, car ayant signé la déclaration, le PGC reconnaissait que la somme de 75 101 717 $ était une juste compensation pour le Projet.
- Tout cela mène à la conclusion du Tribunal que, la nullité de la déclaration de règlement hors cour vaut tant pour HQ que pour le Québec et le Canada.
- La déclaration de règlement hors cour doit être déclarée nulle. De permettre aux demandeurs de reprendre les procédures dans le dossier la Romaine fait partie de la créativité requise à la lumière des faits du présent dossier.
- Le Québec fait valoir qu’à son égard, le Tribunal doit se limiter à déterminer si la déclaration de règlement hors cour doit être annulée.
- Avec égards, bien qu’il soit d’accord que la plus grande partie du présent dossier touche aux relations entre HQ et les Innus de UMM, le Tribunal estime que le rôle du Québec dans l’impasse qui a suivi l’EDP après mai 2014 doit également être considéré. En tant que gouvernement, le Québec a un devoir fiduciaire envers les Innus de UMM, un devoir encore plus présent vu la relation entre HQ et le gouvernement.
- Nous savons que le Québec se gardait informé des développements dans le dossier, même avant 2014. L’équipe de M. Boucher rencontrait le Secrétariat aux affaires autochtones. Le Secrétariat était au courant de l’impasse et Me Thomas est même intervenue auprès d’HQ afin de la pousser vers une solution.
- En revanche et à juste titre, le Québec souligne qu’il n’était pas participant actif dans les discussions avec ITUM après 2011, sauf en relation à la déclaration de règlement hors cour. Ainsi, il n’était pas impliqué dans les diverses suggestions faites par HQ et ITUM visant le dénouement de l’impasse, dont, à titre d’exemple, inviter les familles dissidentes à la table de négociation ou élargir la clause McKenzie.
- Le PGQ offre une analyse de la prescription qui est axée sur le comportement d’HQ et sur le fait que, dès le mois de mai 2014, les Innus de UMM étaient au courant qu’HQ ne modifierait pas la position qu’elle avait adoptée depuis la manifestation des familles dissidentes.
- Le Tribunal a déjà expliqué pourquoi il conclut que la demande contre HQ n’est pas prescrite, mais cela n’empêche pas une conclusion différente quant à la demande contre le Québec. Le PGQ soutient que les règles de prescription s’appliquent aux demandes comportant des conclusions « réparatrices », même si elles sont intentées par une communauté autochtone[295]. Sommes-nous devant une ou des conclusions réparatrices contre le Québec?
- Plusieurs conclusions le visent, dont celle de déclarer la déclaration de règlement hors cour et désistement nulle; de constater et déclarer que le PGQ a failli à ses obligations et notamment à ses obligations fiduciaires; et, en ne prenant pas de mesure concrète afin de mettre un terme à l'impasse entre lTUM et HQ.
- Le Tribunal estime que la principale demande est celle qui recherche une déclaration que le Québec a failli à ses obligations fiduciaires. Or, une telle demande est imprescriptible :
[134] Notre Cour a statué que, bien que les délais de prescription s’appliquent aux demandes de réparations personnelles découlant de l’annulation d’une loi inconstitutionnelle, les tribunaux conservent le pouvoir de statuer sur la constitutionnalité de la loi sous‑jacente (Kingstreet Investments Ltd. c. Nouveau‑Brunswick (Finances), 2007 CSC 1, [2007] 1 R.C.S. 3; Ravndahl c. Saskatchewan, 2009 CSC 7, [2009] 1 R.C.S. 181). La constitutionnalité d’une loi a toujours été une question justiciable (Thorson c. Procureur général du Canada, 1974 CanLII 6 (CSC), [1975] 1 R.C.S. 138, p. 151). Une atteinte au « droit des citoyens au respect de la constitution par le Parlement » peut être réprimée par un jugement déclarant qu’une loi est invalide ou qu’un acte public est ultra vires (Canadian Bar Assn. c. British Columbia, 2006 BCSC 1342, 59 B.C.L.R. (4th) 38, par. 23 et 91, citant Thorson, p. 163 (italiques ajoutés)). « Une question [. . .] constitutionnelle est toujours justiciable » (Waddell c. Schreyer (1981), 1981 CanLII 761 (BC SC), 126 D.L.R. (3d) 431 (C.S.C.‑B.), p. 437, conf. par (1982), 1982 CanLII 510 (BC CA), 142 D.L.R. (3d) 177 (C.A.C.‑B.), autorisation d’appel refusée, [1982] 2 R.C.S. vii (sub nom. Foothills Pipe Lines (Yukon) Ltd. c. Waddell).
[135] Par conséquent, notre Cour a conclu que les lois sur la prescription des actions ne peuvent empêcher les tribunaux, à titre de gardiens de la Constitution, de rendre des jugements déclaratoires sur la constitutionnalité d’une loi. Par extension, les lois sur la prescription des actions ne peuvent empêcher les tribunaux de rendre un jugement déclaratoire sur la constitutionnalité de la conduite de la Couronne.[296]
(Le Tribunal souligne)
- Mais qu’en est-il de la demande de déclarer la déclaration de règlement hors cour et désistement nulle? Bien qu’à première vue, nous pourrions être tentés de conclure que cet élément de la demande est prescrit, le Tribunal conclut que, vis-à-vis le Québec, cette question n’est pas non plus prescrite, et ce, parce qu’elle fait également appel au devoir fiduciaire du Québec envers les Innus d’UMM.
- Rappelons que le dossier la Romaine comportait une demande Haïda que le Tribunal n’a jamais entendue. À ce jour nous ignorons si le Québec a entrepris une consultation suffisante auprès des Innus de UMM. De plus nous ignorons si des accommodements adéquats ont été offerts. La somme de 6 630 000 $, selon HQ, devait la libérer de ses obligations résultant de l’application du Programme de mise en valeur intégrée (PMVI)[297], mais est-ce que cette somme constituait un accommodement adéquat pour l’intégralité du Projet? En signant la déclaration de règlement hors cour, le Québec et les autres parties ont reconnu que 75 101 717 $ était une juste compensation pour toute atteinte aux droits ancestraux résultant du Projet.
- De prime abord, de ce fait, le Tribunal estime que les devoirs du Québec envers les Innus de UMM pouvaient comporter un devoir de veiller à ce que les Innus de UMM reçoivent cette somme. Cet aspect du litige n’est pas prescrit non plus.
- La conclusion déclaratoire recherchée contre le PGQ se lit comme suit :
CONSTATER ET DÉCLARER que la PGQ et le PGC ont failli à leurs obligations et notamment à leurs obligations fiduciaires, en ne prenant pas des mesures concrètes afin de mettre un terme à l’impasse entre ITUM et HQ;
- La demande introductive d’instance modifiée comprend peu de paragraphes qui traitent du comportement du Québec.
- Aux paragraphes 57, 67 et 119 de la demande introductive d’instance modifiée, les demandeurs reprochent au PQG de ne pas avoir présenté les requêtes en rejet qui étaient prévues à la « recette procédurale » pour les dossiers des familles traditionnelles, Pinette A, et La Romaine en Cour fédérale.
- Au paragraphe 164, les demandeurs reprochent au PGQ de ne pas avoir pris des « mesures concrètes » afin de mettre un terme à l’impasse entre HQ et ITUM.
- Au paragraphe 164.2, les demandeurs énumèrent des « mesures concrètes » que le Québec aurait dû, selon eux, mettre en place :
164.2 Les mesures concrètes que le PGQ et le PGC auraient dû prendre afin de mettre un terme à l’impasse entre ITUM et HQ, comprennent l’appui de la position des demandeurs vis-à-vis HQ, la directive par le PGQ à HQ de conclure une entente finale basée sur la substance et non la forme des dispositions de l’entente de principe, la signature d’une entente de nouvelle relation entre le Québec et les Innus de UMM avec le texte reproduit à la pièce P-4, la reconnaissance par le fédéral du bien-fondé des revendications des demandeurs à l’égard d’HQ et la communication de cette reconnaissance à HQ, la prise de mesures par le fédéral pour empêcher les exportations d’hydroélectricité provenant de La Romaine et l’opposition du PGQ et du PGC à l’utilisation par HQ de l’énergie provenant du complexe La Romaine tant qu’il n’y a pas d’entente entre les demandeurs et HQ à l’égard du complexe La Romaine qui est satisfaisante aux demandeurs.
- Avec égards à la position des demandeurs, bien que le Tribunal estime que sa mandataire, HQ, a manqué à ses obligations envers les Innus de UMM, la preuve ne permet pas de conclure que le Québec, à titre de gouvernement, a également manqué à ses obligations fiduciaires envers les Innus de UMM entre la signature de l’EDP et les présentes procédures.
- Pour comprendre ce constat du Tribunal. Il est nécessaire de regarder brièvement le déroulement des négociations lors de l’échec de l’entente entre Les Innus de UMM et HQ en 2011. Le Québec s’implique et négocie une entente « Nation à Nation » avec ITUM. En agissant ainsi, il respectait ses devoirs envers les Innus de UMM. Or, entre 2011 et 2013, voire en 2014, à la suite de l’impasse dans les négociations, la preuve ne permet pas de conclure que les Innus de UMM ont fait une demande formelle de reprendre les négociations à une table avec le Québec. Nous savons également qu’il y avait très peu de discussions durant cette période, vu la méfiance dans la communauté.
- Il est vrai qu’ITUM écrit au premier ministre Couillard le 30 mai 2014, et lui demande une réunion. Bien que le premier ministre aurait pu décider de rencontrer le Chef McKenzie, nous ne pouvons pas conclure que son omission de le faire constitue un accroc au devoir fiduciaire du gouvernement. Ceci est encore plus vrai, quand nous considérons que le Secrétariat aux affaires autochtones, par l’entremise de Me Thomas, intervient auprès d’HQ pour tenter de lui faire modifier sa position. Le Tribunal n’a pas de preuve voulant que l’emprise du gouvernement sur HQ lui permette d’obliger HQ à faire un paiement contre son gré.
- En outre, pendant les discussions entre ITUM et HQ, entre la fin mai 2014 et les procédures, il n’y a pas de preuve que les Innus de UMM demandent au gouvernement de s’impliquer davantage, autrement que pour la présentation de la demande en rejet dans le dossier la Romaine. Est-ce que le PGQ aurait dû entreprendre des demandes semblables dans les autres dossiers? Le Tribunal ne le croit pas. Premièrement, les amendements envisagés aux procédures dans le dossier des familles traditionnelles et Pinette A, retirant toute référence à Hydro-Québec, étaient conditionnels à la conclusion d'une entente finale. De plus, dans les circonstances, il revenait à HQ de faire les demandes qui s’imposaient dans ces dossiers.
- Il est également un peu utopique d’imputer une obligation au gouvernement de ne pas utiliser l’électricité générée par le Projet, tant que l’entente finale n’est pas conclue. Rappelons qu’une communauté autochtone n’a pas le droit de véto sur un projet, du moins tant que l'existence d'un titre ancestral sur les terres en cause n'est pas établie par un jugement ou par des négociations.
- Ainsi, le Tribunal ne peut pas conclure que le Québec a manqué à ses obligations fiduciaires dans le cadre de l’impasse entre HQ et les Innus de UMM.
- En revanche, ils avaient le droit le plus strict d’être consultés dans le cadre du Projet qui pouvait affecter les terres traditionnelles. Comme le Tribunal a dit ci-haut, la demande Haïda n’a pas été entendue dans le présent dossier. Il s’agit là d’une autre raison de remettre les parties en état, et ce, pour permettre de vérifier si la consultation requise par les principes de l’honneur de la Couronne a eu lieu et si des accommodements appropriés ont été offerts aux Innus de UMM. De prime abord, il semble que non, car les parties reconnaissent que la somme de 75 101 717 $ constitue une juste compensation pour le projet. De surcroît, HQ reconnaît que la somme de 6 630 000 $ a été payée afin qu’HQ se libère de ses obligations résultant de l’application du PMVI.
- De plus, dans son plan d’argumentation, le PGQ reconnaît ceci :
279, Le PGQ ne nie pas que les actes posés par un mandataire de la Couronne puissent, dans certaines rares circonstances, faire naître une obligation qui a sa source dans le principe de l’honneur de la Couronne, notamment lorsqu’il est question de l’obligation de consulter.
280. Cependant, même dans de telles circonstances – qui ne sont pas en cause dans notre affaire – le respect de cette obligation incombe ultimement à la Couronne, seule entité dont le comportement est régi par ce principe constitutionnel. En d’autres mots, le mandataire n’est pas, en lui-même, indépendamment soumis à l’honneur de la Couronne.[298]
- Bien que le PGQ ne rejoigne pas le Tribunal sur l’assujettissement d’HQ aux principes de l’honneur de la Couronne, ces paroles se trouvent à illustrer pourquoi, devant les faits du présent dossier, il est nécessaire de remettre les parties en état. Même si cet énoncé du PGQ est correct, contrairement à ce que dit le Tribunal, la position qu’il adopte, en relation à la déclaration de règlement hors cour, donnerait lieu à une situation où son propre respect de l’honneur de la Couronne, avant l’implantation du projet, ne pourrait même pas être vérifié.
- Le Canada estime avoir agi dans le respect de l’honneur de la Couronne tout au long du litige La Romaine et de la signature de la déclaration du règlement hors cour.
- Le PGC ajoute que la demande introductive d’instance modifiée ne comporte pas d’allégation qui traite des comportements du Canada qui auraient violé ses obligations envers les Innus de UMM, de sorte que le Tribunal ne peut pas faire la déclaration qu’ils demandent.
- Le Tribunal est d’accord. Durant la période pertinente au litige, le Canada ne participe pas à ces négociations et ni les Innus de UMM, ni HQ ne lui demandent d’y participer non plus. Dès le départ, ITUM et Hydro-Québec conviennent que le Canada ne sera pas impliqué dans leurs discussions. Ainsi, il n’est pas impliqué dans la négociation de l’EDP, ou dans les différents référendums ni en 2011 ni en 2014 et personne ne lui demande son aide. Par conséquent, durant le déroulement des négociations menant à l’EDP, il n’y a pas lieu de considérer le rôle du Canada. Il n’en avait aucun.
- Il est également utile de rappeler que l’EDP n’entrainait pas une conséquence sur la revendication des Innus de UMM du titre ancestral ou des droits ancestraux. Même si le Tribunal estime que le comportement qu’HQ et le Québec doivent adopter envers les Innus de UMM est affecté par la nature du Projet et la revendication des Innus de UMM, la situation est différente pour le Canada. Il n’a pas de lien avec HQ. Ce n’est pas lui qui doit autoriser le projet convoité par HQ. Le Projet se construit sur des terres de la Couronne québécoise. Finalement, il n’y a aucune preuve que, dans le cadre du présent dossier, le Canada a tenté de diminuer l’importance de la revendication territoriale des Innus de UMM.
- Le Canada n’était pas impliqué dans les discussions de règlement ou même dans la confection de la recette procédurale. Il a fait part de sa position dans une lettre du 18 février 2015 :
N’étant pas partie à l’entente de principe ITUM-HQ de 2014, le gouvernement du Canada n’entend pas prendre part à des discussions de règlement hors-cour dans le cadre de cette affaire. Nous souhaitons par ailleurs meilleur succès aux parties dans leurs nouvelles discussions.
Soulignons que les procureurs demeurent intéressés à participer et à collaborer, comme par le passé, à tout échange concernant les questions procédurales susceptibles de se soulever dans le cadre de la mise en œuvre d’une Entente finale. À cette fin, nous avons accepté l’invitation qui nous a été faite par le Procureur général du Québec de participer à une rencontre entre procureurs devant se dérouler la semaine prochaine.[299]
- Il s’ensuit qu’il n’a aucunement été impliqué dans la détermination du montant de 6 630 000 $ versé par HQ au moment de la signature de la déclaration de règlement hors cour.
- Par la suite, le Canada consent à la suspension des litiges entamés en Cour fédérale où il est défendeur. Quant aux litiges au Québec, personne n’a sollicité l’assistance du Canada en vue de la conclusion de l’entente finale envisagée dans l’EDP.
- Bref, nous ne pouvons pas dire que le Canada avait le devoir de jouer un rôle actif dans l’impasse entre HQ et les Innus de UMM.
- En février 2020, HQ et le PGQ ont demandé la radiation de certaines allégations contenues dans la demande introductive d’instance. Le PGQ a aussi demandé des précisions d’allégations et la communication de certaines pièces en lien avec celles-ci.
- Le Tribunal entend les demandes en radiation d’allégations d’Hydro-Québec et du PGQ le 27 mai 2020. Ces demandes portaient essentiellement sur des allégations des demandeurs concernant la mauvaise foi institutionnelle historique d’Hydro-Québec, la violation de droits ancestraux et issus de traités ainsi que la violation des dispositions de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
- Le Tribunal rend son jugement le 26 août 2020. Il a tenté de circonscrire le débat entre les parties :
[45] Or, dans le présent dossier, le respect de la proportionnalité passe par la circonscription du débat aux éléments de preuve qui sont pertinents au traitement de la finalité de celui-ci. Malgré la position des Innus, il faut reconnaître que l’objet du litige actuel ne demande pas au Tribunal de considérer le titre ancestral ou les droits ancestraux. La question que le Tribunal aura à trancher se limite à l’effet du comportement d’Hydro-Québec à la suite de la signature de l’Entente de principe en 2014. Il faudra essentiellement déterminer si l’erreur sur une condition essentielle au règlement du dossier, soit la conclusion d’une entente finale, vicie le consentement des Innus.
[46] Ajoutons que les Innus ne soulèvent pas le comportement historique d’Hydro-Québec pour soutenir leur réclamation en dommages. Celle-ci se limite aux sommes qui devaient être versées en vertu de l’Entente de principe.
[47] Devant une telle réclamation, on peut difficilement voir la pertinence d’entendre une preuve détaillée sur la relation historique entre les parties.[300]
- Cependant, sans objection de part et d’autre, comme le Tribunal a dit, les parties, et surtout HQ, ont largement ignoré ces consignes du Tribunal en administrant une preuve testimoniale et documentaire de la situation depuis 2004. Le Tribunal ne peut pas occulter cette preuve.
- La question de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones est plus importante. Dans son jugement, le Tribunal a radié une allégation écrite en ces termes :
139. En plus d'avoir violé les droits ancestraux et issus de traité des Innus de UMM de manière flagrante, HO, de même que le PGO et le PGC, a aussi violé les dispositions de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones;
- Le 22 juin 2020, alors que le jugement sur les demandes en radiation n’est pas encore rendu, les demandeurs notifient une demande introductive d’instance modifiée et précisée. Les précisions ajoutées par les demandeurs portaient notamment sur des manquements allégués du PGC et du PGQ aux obligations découlant de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, dont le paragraphe 164.1 est ainsi rédigé :
Ces obligations découlent notamment de l’honneur de la Couronne incombant à la PGQ et au PGC, des obligations de la Couronne envers les Innus en vertu des traités, des obligations découlant de la nécessité d’accommoder les Innus suite à l’obligation de les consulter, des obligations découlant de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, des obligations de respecter et de donner effet aux droits constitutionnels sui generis des demandeurs et des obligations de garantir un traitement équitable, un processus de conciliation de bonne foi et des recours efficaces, y compris l’accès à la justice (des principes découlant aussi de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et des principes constitutionnels tels qu’élaborés dans l’arrêt Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 RCS 217).
- Une nouvelle version comportant le même paragraphe est signifiée vers le 30 novembre 2020.
- Nous voyons que la Déclaration est à nouveau citée, pas pour alléguer une violation précise, mais pour soulever les éléments de l’honneur de la Couronne qui découlent de celle-ci.
- Cette demande introductive d’instance modifiée n’a pas fait l’objet d’une demande de radiation des allégations, de sorte que le Tribunal estime qu’il peut tenir compte de la nouvelle allégation.
- Il est exact qu’à la suite de son jugement du 26 août 2020, le Tribunal n’a pas à considérer si la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones a été violée. Cependant, qu’il considère cette déclaration ou non, le Tribunal peut assurément considérer les autres éléments soulevés par les demandeurs au paragraphe 164.1 de la demande introductive d’instance modifiée.
- Les Innus de UMM réclament des dommages-intérêts contre HQ.
- Cette demande doit être considérée en tenant compte de l’effet du présent jugement qui permettra aux Innus de UMM de reprendre leurs procédures dans le dossier la Romaine et du fait qu’ils ont déjà reçu une somme de 6 630 000 $ en relation au projet.
- Les Innus résument leur réclamation de 15 000 000 $ en ces termes :
783. Cependant, pour les fins des présentes procédures, les manquements d’HQ décrits dans les présentes ont entraîné plusieurs préjudices particuliers pour les Innus de UMM à savoir: l’absence de nouvelle relation et la perpétuation d’une relation historique conflictuelle et difficile; la continuation du trespass et des troubles de voisinage par HQ; une atteinte à la gouvernance de la communauté et l’éclatement du tissu social; le manque total de respect d’HQ à l’égard des Innus de UMM; la violation de la relation sui generis qui devait exister entre les Innus de UMM et HQ; le défaut de pouvoir aller de l’avant avec certains projets sociaux et économiques. Ces préjudices donnent droit à une compensation de 15 millions de dollars.[301]
- Bien que le Tribunal soit tout à fait d’accord que l’attitude d’HQ fait en sorte que les parties n’ont pas pu arriver à la nouvelle relation que les Innus de UMM convoitaient, et dont l’EDP parlait, le Tribunal voit mal comment il peut dédommager les Innus de UMM sous ce titre. Dans la mesure où HQ respecte les principes de l’honneur de la Couronne et de la réconciliation dans le cadre de ses nouveaux projets, le Tribunal ne peut pas lui reprocher de ne pas avoir finalisé une nouvelle relation avec les Innus de UMM.
- Qu’en est-il de la conclusion du Tribunal que, dans le cadre du Projet, HQ n’a pas respecté ses devoirs découlant de l’honneur de la Couronne? À certains égards le « dédommagement » sera traité dans le cadre de l’audience qui traitera éventuellement des accommodements requis dans le cadre du Projet.
- Il en est de même pour la continuation du trépas et des troubles de voisinage par HQ.
- L’atteinte à la gouvernance de la communauté, l’éclatement du tissu social et le retard dans le versement des sommes qui devaient être versées en vertu de l’EDP, en revanche, ne feront pas partie d’une audience éventuelle sur les accommodements.
- Pour ce qui est de l’éclatement du tissu social, la preuve ne permet pas de conclure que cela peut être imputé à HQ. En revanche, il est clair que les agissements d’HQ ont porté atteinte à la gouvernance de la communauté.
- Comme le Tribunal a dit, c’est HQ qui voulait le référendum, et après son succès, a décidé de ne pas respecter une des obligations fondamentales qu’elle a contractées dans l’EDP, soit de soumettre l’EDP au conseil d’administration.
- Qui plus est, elle voulait inviter les familles dissidentes à la table de négociation alors qu’elle a toujours reconnu que le conseil de bande était son vis-à-vis.
- Bref, le refus d’HQ de respecter la volonté de la communauté a fait fi de la culture innue, mais plus important encore, a accordé un pouvoir de force à certaines familles qui était inconnues dans cette culture.
- En outre, au-delà du préjudice moral, ITUM fait valoir que la conduite d’HQ fait en sorte que les montants prévus à l’EDP (Annexe B) n’ont jamais été remis à la communauté. Sur cela il a évidemment raison. Et, la non-remise de ces sommes n’était pas sans conséquence pour la communauté.
- M. Fontaine, alors directeur général d’ITUM, a témoigné sur les programmes sociaux qui ont fait l’objet de coupures, ainsi que sur des occasions de développement manquées, en raison de l’absence d’entrée des allocations annuelles :
Des projets au niveau de la communauté, au niveau social, le coût social qui est associé au fait de ne pas pouvoir maintenir des programmes, des services qui ont été créés, il y a un problème de crédibilité majeur qui peut difficilement être chiffré.
En termes d'opportunités économiques, il y en a eu plusieurs qui se sont pointées, pour lesquelles on n'avait pas l'équité nécessaire pour y participer activement. Ça peut être... Il y a peut-être certaines opportunités qui ont été ratées. Certaines ont tout simplement été retardées. Certains projets ont dû être financés à un niveau plus élevé que ce que c'est qu'on avait anticipé.[302]
- Il est donc clair que les agissements d’HQ ont causé et continuent à causer des dommages à la communauté, car HQ a manqué aux exigences de la bonne foi, de l’honneur de la Couronne et de la réconciliation, commettant ainsi des fautes. Les Innus de UMM ont droit à des dommages-intérêts pour le préjudice subi.
- Ce genre de manquement peut donner lieu à l’octroi des dommages :
[94] Pour appliquer ce qu’exigeaient les obligations qu’avait le Canada envers la LSFN dans la présente affaire, le juge de première instance s’est concentré sur le fait que le Canada pouvait légalement exproprier les terres en vertu de l’art. 48 de la Loi des Indiens, car le projet était un ouvrage public. Le juge de première instance a donc conclu à tort qu’à titre de fiduciaire, le Canada avait l’obligation de ne faire que le minimum requis dans le cas d’une expropriation de terres en fief simple. Comme je l’expliquerai plus loin, l’obligation de fiduciaire exigeait du Canada qu’il obtienne plus qu’une indemnité établie en fonction des principes d’expropriation en l’espèce pour trois raisons. Premièrement, l’existence du pouvoir discrétionnaire de s’approprier ou d’exproprier les terres prévu à l’art. 48 de la Loi des Indiens ne définissait pas les devoirs qu’imposait l’obligation de fiduciaire du Canada. Deuxièmement, le fait que les terres étaient nécessaires pour les besoins d’un ouvrage public n’annulait pas les devoirs imposés par l’obligation de fiduciaire du Canada. Troisièmement, les principes du droit de l’expropriation sont fondamentalement différents de ceux qui sous‑tendent l’intérêt autochtone sur les terres. En l’espèce, les obligations de fiduciaire doivent plutôt refléter la nature de l’intérêt, les répercussions de la perte sur la Première Nation, l’importance du rapport fiduciaire et la réconciliation, qui constitue l’objectif fondamental de l’obligation de fiduciaire elle‑même, reposant sur l’honneur de la Couronne.
[95] Par conséquent, pour les motifs qui suivent, je conclus que même si les terres étaient nécessaires pour un ouvrage public, l’obligation de fiduciaire exigeait quand même que le Canada tente d’abord de négocier une cession avec la LSFN. Si les négociations avaient échoué et que le Canada avait exproprié les terres en vertu de l’art. 48, il aurait au moins dû verser une indemnité équitable correspondant à la valeur de l’utilisation des terres pour le stockage des eaux en vue de la production d’hydroélectricité. [303]
- Plus pertinent encore est l’arrêt récent de la Cour suprême dans Ontario (Procureur général) c. Restoule.[304] Le Tribunal peut octroyer des dommages à ce stade liés au non-respect par HQ de ses obligations découlant de l’honneur de la Couronne :
[276] Lorsque la Couronne manque à ses obligations issues de traités ou aux devoirs découlant de l’honneur de la Couronne, il est possible d’accorder toute la gamme des réparations, y compris des dommages‑intérêts et d’autres mesures de nature coercitive, pour remédier à ce manquement (Roach, § 15:2). Dans le contexte de l’obligation de consulter, par exemple, notre Cour a reconnu que le manquement à cette obligation « peut donner lieu à un certain nombre de mesures allant de l’injonction visant l’activité préjudiciable, à l’indemnisation, voire à l’ordonnance enjoignant au gouvernement de consulter avant d’aller de l’avant avec son projet » (Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, [2010] 2 R.C.S. 650, par. 37, citant Nation haïda, par. 13‑14).
[277] Comme ils le font pour les autres droits constitutionnels, les tribunaux devraient adopter une approche téléologique pour déterminer la réparation appropriée en cas de manquement à des obligations issues de traités (Roach, § 15:2). Comme toujours, « [l]a question décisive [. . .] consiste à déterminer ce qui est nécessaire pour préserver l’honneur de la Couronne et pour concilier les intérêts de la Couronne et ceux des Autochtones » (Nation haïda, par. 45). Le rétablissement de l’honneur de la Couronne [traduction] « oblige les tribunaux à faire preuve de créativité » en respectant un cadre juridique raisonné, et à accorder des réparations qui « f[ont] avancer l’atteinte de l’objectif de réconciliation » (Hogg et Dougan, p. 292; voir aussi Roach, §§ 15:1‑15:2)[305].
(Le Tribunal souligne)
- Comment évaluer le quantum?
- Comme la Cour suprême dit dans l’arrêt Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, « [l]e bien-fondé du montant accordé à titre de dommages-intérêts en cas de violation d’une obligation découlant de l’honneur de la Couronne est une question hautement contextuelle »[306]. Le contexte ici fait en sorte qu’ITUM a dû entamer des procédures pour tenter de faire respecter l’esprit, sinon la lettre, de la déclaration de règlement hors cour, quant à la juste compensation pour le Projet. Si HQ avait respecté son devoir d’agir honorablement envers lui, nous pouvons croire que l’entente finale aurait été conclue, de sorte qu’ITUM aurait pu engager son temps et ses ressources financières autrement.
- ITUM a le droit de recevoir une compensation importante pour les fautes d’HQ.
- Or, dans le présent dossier, HQ a reconnu ce qui serait l’indemnité équitable, ayant avoué dans la déclaration de règlement hors cour que la somme de 75 101 717 $ est une juste compensation pour le Projet. Par son comportement elle a nié à ITUM la possibilité de se servir d’une somme importante, qu’elle a convenu de verser, jusqu’à ce jour.
- En revanche, les Innus de UMM recherchent une déclaration que l’EDP est maintenant, sans effet, de sorte que le Tribunal serait mal venu à ce stade d’octroyer la totalité de cette somme, ou même les 15 000 000 $ demandés.
- Entre la date de la signature de l’EDP et de l’introduction des procédures, les Innus d’UMM auraient dû recevoir la somme de 2 500 000 $, en plus de la somme de 6 630 000 $ qui fut versée en 2015. Ses dommages représentent au moins cette somme.
- Vu les conclusions du présent jugement qui donneront lieu à une nouvelle audience, dans le cadre de laquelle le Tribunal aura à considérer les accommodements appropriés, ou idéalement, à une nouvelle négociation où les parties tenteront de nouveau de réconcilier leurs intérêts, le Tribunal est d’avis qu’en relation à la somme convenue à l’EDP, il ne serait pas approprié d’octroyer un montant pour la période après l’introduction des procédures en 2019.
- Par contre, le Tribunal estime que les dommages doivent également comporter une somme qui va au-delà des sommes prévues à l’EDP, car : « […] les droits ancestraux et les droits issus de traités protégés en vertu du par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 [traduction] « ne seront pas utiles sans des réparations efficaces » (K. Roach, Constitutional Remedies in Canada (2e éd. (feuilles mobiles)), § 15:2). »[307] Vu la mauvaise foi institutionnelle d’HQ et son manque à ses devoirs découlant de l’honneur de la Couronne, le Tribunal octroie une somme additionnelle de 2 500 000 $.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
- ACCUEILLE la demande des demandeurs en partie;
- DÉCLARE que la défenderesse, Hydro-Québec, dans les circonstances de la présente affaire, est mandataire de la Couronne et qu'à ce titre, elle est assujettie aux principes de l'honneur de la Couronne;
- DÉCLARE que la défenderesse, Hydro-Québec, a contrevenu à son obligation d'agir en conformité avec les principes de l'honneur de la Couronne;
- DÉCLARE que la défenderesse, Hydro-Québec, dans les circonstances de la réalisation et de la mise en œuvre de l'Entente de principe de 2014 (pièce P-7) et de la réalisation et de la mise en œuvre du processus de règlement global, a fait preuve de mauvaise foi institutionnelle;
- DÉCLARE que l’Entente de principe de 2014 est nulle et sans effet à compter du présent jugement;
- DÉCLARE que la déclaration de règlement hors cour signée le 27 mars 2015 est nulle et sans effet à compter du présent jugement;
- PERMET aux demandeurs de reprendre les procédures dans le dossier la Romaine (500-17-050868-093);
- CONDAMNE la défenderesse Hydro-Québec à payer aux demandeurs la somme de cinq millions dollars (5 000 000 $) avec intérêts au taux légal en plus de l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec à compter de l'assignation du 21 novembre 2019, et ce, en sus de la somme de 6 630 000 $ déjà versée;
- AVEC FRAIS DE JUSTICE contre la défenderesse, Hydro-Québec.
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| THOMAS M. DAVIS, J.C.S. |
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Me Jean-François Bertrand Me Elodie Drolet-French JEAN-FRANÇOIS BERTRAND AVOCATS INC et |
Me James O’Reilly Me Marie-Claude André-Grégoire Me Florence Lavallée Me Laurence Prud’homme Me Isabelle Boisvert-Chastenay O’REILLY, ANDRÉ-GRÉGOIRE & ASSOCIÉS |
Avocats pour les demandeurs |
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Me Emil Vidrascu Me Gabrielle Tétrault Me Audrey Nardini DENTONS CANADA LLP. |
et Me Alexandre-Philippe Avard HYDRO-QUÉBEC – AFFAIRES JURIDIQUES Avocats pour Hydro-Québec |
Me Stéphanie Dépeault Me Isabelle Mathieu-Millaire MINISTÈRE DE LA JUSTICE DU CANADA Avocates pour le Procureur général du Canada Me Maxence Duchesneau Me Daniel Benghozi BERNARD, ROY (JUSTICE-QUÉBEC) Avocats pour le Procureur général du Québec |
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Dates d’audience : | 6, 7 , 8, 9,10,13,14,15,16,17, 20, 21, 22, 23, novembre 2023, et 29, 30, 31 janvier et 1 et 2 février et 11, 12, 13, 14, 15 mars 2024; réouverture des arguments, 27 novembre 2024; réception des notes, 12 décembre 2024. |
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