Décision

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Zicat c. Tanguay

2025 QCCA 1255

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

SIÈGE DE MONTRÉAL

 

 :

500-09-030784-235

(500-17-114299-202)

 

DATE :

6 octobre 2025

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

JOCELYN F. RANCOURT, J.C.A.

CHRISTINE BAUDOUIN, J.C.A.

ÉRIC HARDY, J.C.A.

 

 

KATHLEEN ZICAT

APPELANTE / INTIMÉE INCIDENTE  défenderesse

c.

 

MANON TANGUAY

INTIMÉE / APPELANTE INCIDENTE  demanderesse

 

 

ARRÊT

 

 

  1.                 L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 17 octobre 2023 par la Cour supérieure (l’honorable Marie-Claude Rigaud), lequel fait droit, en partie, à la demande en enrichissement injustifié de l’intimée ainsi qu’à sa demande en simulation. De son côté, l’intimée forme un appel incident aux termes duquel elle demande que le volet du jugement qui rejette sa demande en déclaration d’abus soit infirmé.
  2.                 Pour les motifs du juge Hardy, auxquels souscrivent les juges Rancourt et Baudouin, LA COUR :
  3.                 ACCUEILLE l’appel principal en partie;
  4.                 REJETTE l’appel incident;
  5.                 INFIRME le jugement de première instance à la seule fin de biffer la conclusion énoncée au paragraphe [400];
  6.                 HOMOLOGUE la Convention de vie commune signée par les parties le 3 juin 2008, devant Me Claude Perron sous le numéro 15587 de ses minutes;
  7.                 DÉCLARE que le présent arrêt tient lieu de la signature par les parties de la quittance dont il est question à la clause 5d) de la Convention de vie commune signée par elles le 3 juin 2008, devant Me Claude Perron sous le numéro 15587 de ses minutes et DÉCLARE que cette quittance vaut transaction entre les parties;
  8.                 Sans frais de justice, vu la nature du litige.

 

 

 

 

JOCELYN F. RANCOURT, J.C.A.

 

 

 

 

 

CHRISTINE BAUDOUIN, J.C.A.

 

 

 

 

 

ÉRIC HARDY, J.C.A.

 

Me Awatif Lakhdar

Lavery, De Billy

Me Julie Lavoie

Me Frédérique Fortin

Prévost Fortin D’Aoust

Me Doreen Brown

Green Glazer, Avocats

Pour l’appelante / intimée incidente

 

Me Marie-Élaine Tremblay

Me Viktoriya Pugach

Schirm & Tremblay Avocats

Pour l’intimée / appelante incidente

 

Date d’audience :

26 février 2025


 

 

MOTIFS DU JUGE HARDY

 

 

  1.                 Le jugement de première instance[1] fait droit, en partie, à la demande en enrichissement injustifié de l’intimée ainsi qu’à sa demande en simulation. L’intimée se porte appelante incidente. Selon elle, la juge aurait erré en concluant que l’appelante n’avait pas abusé de son droit d’ester en justice.

I

  1.            L’appelante et l’intimée se rencontrent en mars 1999. En novembre de la même année, elles entament une relation amoureuse. L’appelante a alors 41 ans et occupe le poste de vice-présidente aux ressources humaines dans une grande institution financière. Quant à l’intimée, elle est âgée de 34 ans. Elle est psychologue clinicienne auprès de membres de communautés religieuses et effectue, en parallèle, des études de troisième cycle en psychologie à l’Université de Montréal.
  2.            Les parties ont ceci en commun qu’elles accordent toutes deux une grande importance à leur carrière[2]. Toutefois, leurs ressources financières respectives sont différentes. Au moment de leur rencontre, l’appelante détient des actifs ayant une valeur nette de plus de 800 000 $ qui comprennent une résidence de villégiature. Ses revenus sont également plus élevés que ceux de l’intimée. À titre indicatif, ils sont de 177 236 $ en 2000. De son côté, l’intimée n’a pour seul actif qu’un REER de 5 000 $ alors que son passif est de 20 000 $. En 1999, ses revenus étaient de 47 232 $.
  3.            La vie commune débute en août 2000 lorsque l’appelante emménage dans l’appartement de l’intimée à Rosemont. En décembre 2000, l’appelante fait l’achat d’une maison à Anjou qui deviendra ensuite la résidence du couple jusqu’à la fin de la vie commune. L’appelante utilise ses propres deniers pour faire la mise de fonds de 75 000 $[3].
  4.            Les parties se fiancent au début de 2001, mais ne se marient pas. Tous les témoins, à l’exception de l’appelante, déclarent à la juge qu’elles avaient convenu de le faire une fois que l’appelante aurait pris sa retraite[4].
  5.            En 2008, soit après huit ans de cohabitation, elles signent devant notaire une convention de vie commune (« Convention ») dans laquelle elles indiquent, dans le préambule, vouloir « régler entre [elles] certains aspects patrimoniaux de leur vie commune ». Elles conviennent que chacune « conservera l’administration, la jouissance et la libre disposition de tous ses biens mobiliers et immobiliers ». Aussi, elles reconnaissent qu’elles sont copropriétaires de la résidence d’Anjou quoique le nom de l’appelante soit le seul qui figure dans l’acte d’achat. Cette Convention contient également une clause de rupture de vie commune prévoyant, notamment, qu’en cas de rupture, chacune « conservera les biens mobiliers et immobiliers dont [elle] est propriétaire ». Pour ce qui est des biens sur lesquels aucune ne peut « justifier de son droit exclusif de propriété », ils « ser[ont] présumé[s] appartenir aux deux indivisément à chacun pour moitié ». Aussi, elles s’engagent, en cas de rupture, à signer « une quittance finale et réciproque [qui] sera reconnue comme une transaction aux termes de l’article 2631 du Code civil du Québec, ayant l’autorité de la chose jugée en dernier ressort et mettant fin au litige ».
  6.            Sur le contexte de la signature de la Convention, la preuve démontre que l’intimée s’inquiétait que les titres de propriété de la résidence d’Anjou ne fassent pas état de sa qualité d’indivisaire[5]. De son côté, l’appelante voulait régler les conséquences financières d’une éventuelle rupture de la vie commune. C’est d’ailleurs ce qu’elle recommandait aux clients de son employeur lorsqu’ils vivaient en union de fait. Elle explique qu’elle ne voulait pas être une cordonnière mal chaussée.
  7.            Quelques mois plus tard en 2008, l’appelante fait l’achat d’un condo en Floride et en 2013, d’un terrain adjacent à sa résidence de villégiature.
  8.            Au fil du temps, la carrière de chacune évolue. En septembre 2008, l’appelante devient première viceprésidente de l’institution financière pour laquelle elle travaille, ce qui en a fait la troisième dirigeante en ordre d’importance dans l’organigramme de celle-ci. Sa rémunération et ses avoirs augmentent. Pendant la vie conjugale, le patrimoine de l’appelante s’accroît de 8 331 796 $, net après impôts[6]. De son côté, l’intimée obtient, en 2002, son doctorat en psychologie et délaisse sa pratique auprès des communautés religieuses au profit de la psychologie industrielle[7]. Ses avoirs tout comme ses revenus augmentent[8]. Au moment de la rupture, l’intimée détient des placements REER de plus de 500 000 $ en plus d’être copropriétaire de la résidence d’Anjou dont la Convention lui reconnaît la qualité d’indivisaire quoique le registre foncier n’en fasse pas état[9]. Au total, la valeur de son patrimoine s’élève alors à 739 181 $[10].
  9.            Pendant la cohabitation, chacune a son propre compte en banque et ses propres placements. Elles n’ont pas de compte conjoint. L’appelante effectue les paiements hypothécaires pour la résidence d’Anjou et contribue aux dépenses du couple dans une proportion bien supérieure à celle de l’intimée. Je souligne que l’argent n’est jamais entre elles un sujet de discorde[11].
  10.            En décembre 2015, l’appelante prend sa retraite de l’institution financière qui l’emploie.
  11.            En août 2018, elle met fin à la relation amoureuse avec l’intimée en lui annonçant qu’elle a, depuis plusieurs mois, une nouvelle femme dans sa vie[12].
  12.            Enfin, elles n’ont pas eu d’enfants durant la vie commune.

II

  1.            Le 5 mars 2019, l’intimée intente contre l’appelante une action en enrichissement injustifié et en déclaration de simulation ayant pour objet l’acte d’achat de la résidence d’Anjou.
  2.            Le procès dure dix jours. La preuve est volumineuse. Chacune des parties témoigne longuement. Onze autres témoins sont appelés à la barre, dont deux actuaires, que l’intimée fait entendre afin de déterminer le niveau d’enrichissement de l’appelante durant la vie commune. Leurs rapports ne sont pas contestés ou autrement contredits[13].
  3.            La théorie de la cause de l’intimée se résume à ceci. Sur la promesse de bénéficier d’une « retraite dorée » auprès de l’appelante, les parties conviennent de prioriser la carrière de cette dernière. Elle qualifie ce plan de vie de « projet commun »[14]. Selon l’intimée, leur projet commun possède tous les attributs d’une coentreprise dont elle réclame de l’appelante 50 % de la valeur nette[15]. Aussi, bien que l’appelante ait reconnu dans la Convention le droit de copropriété de l’intimée dans la résidence d’Anjou, cette dernière souhaite que l’existence de ce droit rétroagisse à la signature de l’acte d’achat, ce avec quoi l’appelante est en désaccord.
  4.            L’appelante conteste la demande de l’intimée. D’une part, la Convention y ferait échec. D’autre part, l’intimée ne se serait pas appauvrie durant la vie commune. Au contraire, elle se serait enrichie. Certes, les parties se sont entraidées comme le font les conjoints. Cependant, le soutien que l’intimée lui a apporté dans la sphère professionnelle ne dépasse pas ce qui est normal d’espérer d’un conjoint et surtout, n’a rien d’exceptionnel. L’appelante témoigne s’être montrée très généreuse à l’endroit de l’intimée en lui donnant, par exemple, la moitié indivise de la résidence d’Anjou, en la faisant bénéficier d’un train de vie qu’elle n’aurait pu s’offrir autrement et en lui faisant profiter de son réseau d’affaires pour propulser sa propre carrière.

III

  1.            Le jugement de première instance i) condamne l’appelante à payer à l’intimée la somme de 1 655 357,50 $ majorée des intérêts au taux légal et de l’indemnité additionnelle, en compensation de l’enrichissement injustifié dont elle aurait bénéficié pendant la vie commune et ii) déclare que l’acte d’achat aux termes duquel l’appelante s’est portée acquéreuse de la résidence d’Anjou est une simulation en ce que ce sont toutes les deux, en réalité, qui en auraient fait l’acquisition.
  2.            Le jugement de première instance est minutieusement motivé.
  3.            La juge consacre plusieurs paragraphes de celui-ci à l’analyse de la crédibilité des deux protagonistes[16]. Quoique l’intimée ne soit pas sans reproche, la juge estime son témoignage plus crédible que celui de l’appelante[17].
  4.            La juge fixe ensuite le cadre juridique qui doit la guider. Elle rappelle que celui qui intente un recours en enrichissement injustifié doit faire la preuve d’un enrichissement, d’un appauvrissement corrélatif, d’une absence de justification à l’enrichissement ou à l’appauvrissement et d’une absence d’autres recours[18].
  5.            Elle explique ensuite que l’enrichissement et l’appauvrissement peuvent être soit positifs soit négatifs[19]. Elle souligne que la corrélation entre l’enrichissement et l’appauvrissement ainsi que l’absence de motif juridique à l’enrichissement se présument si l’union de fait est de longue durée. Certes, cette présomption est réfragable, mais la preuve qui est requise pour la repousser doit être convaincante et forte[20].
  6.            La juge souligne que le recours en enrichissement injustifié n’a pas pour objectif « de procéder à un rééquilibrage des actifs des parties ou à un partage des patrimoines accumulés durant la vie commune »[21]. Son but est « plutôt de compenser une partie pour son apport, en biens ou en services, apport qui aurait permis à l’autre de se trouver dans une position meilleure que ce qu’elle aurait été n’eut été de la vie commune »[22].
  7.            Quant à l’indemnité due à l’appauvri, la juge fait état de deux méthodes de calcul possibles, soit celle de la valeur reçue (quantum meruit) et celle de la valeur accumulée[23]. Elle explique qu’« [e]n vertu de la première, l’appauvri a droit à une indemnité équivalant à la moindre des valeurs correspondant à celle de l’enrichissement de son conjoint ou de son propre appauvrissement »[24]. Elle ajoute que « si l’appauvri réussit à prouver l’existence d’une co-entreprise familiale, son indemnité sera établie en fonction de sa contribution à l’accroissement de la valeur du patrimoine de l’enrichi »[25].
  8.            La juge se demande ensuite si les cinq critères de l’enrichissement injustifié sont réunis[26].
  9.            Selon elle, le premier critère, soit celui de l’enrichissement, a été prouvé :

[116] Cet apport à l’avancement de la carrière de la défenderesse, en coaching, en heures de travail intellectuel, dans la réalisation de certaines tâches précises qui seront décrites dans la prochaine section, en accompagnement, en supervision des travaux de rénovation des propriétés du couple, en planification, tout comme les nombreux sacrifices, bien qu’ils ne se monnaient pas facilement, ont clairement aidé la défenderesse dans l’avancement de sa carrière, soit de manière directe, soit en la libérant des contraintes de certaines tâches et de la charge mentale qui y est associée. Cette contribution a été en partie corroborée par les témoignages de Marielle Paradis, et par le contre-interrogatoire de Fabienne Robinson, adjointe de la défenderesse.

[117] La preuve convainc le Tribunal que la vie du couple tournait principalement autour des activités et de la carrière de la défenderesse. Les sorties au restaurant qu’effectuait le couple étaient principalement consacrées à parler des dossiers de la demanderesse. Les heures passées en soirée, chaque semaine, à revoir des documents, des présentations, à commenter divers dossiers, à faire des lectures ou à travailler sur des travaux universitaires et à proférer de nombreux conseils, allaient bien au-delà de ce qui pourrait être attendu d’une conjointe. Le fait que la demanderesse ait pu, pendant ce temps, bénéficier d’un mode de vie très confortable ne saurait, en lui-même, compenser pour cette importante contribution.

[118] En ce qui concerne l’apport de la demanderesse à l’augmentation de la capacité de gain de la défenderesse, la preuve révèle qu’au cours des 18 ans de la vie commune des Parties, la défenderesse a continué à gravir les échelons de la BNC. Bien que l’on puisse arguer que cette ascension avait débuté avant sa rencontre avec la demanderesse et qu’elle seule peut être félicitée pour son succès, cela serait grandement réducteur. Sans l’appui et l’importante contribution de la défenderesse, la demanderesse n’aurait pu avoir l’esprit aussi libre pour se concentrer pleinement et entièrement à sa carrière.

  1.            Sa conclusion sur le second critère, soit celui de l’appauvrissement, est également favorable à l’intimée :

[138] En effet, la demanderesse, en contribuant entre autres, (a) à la carrière de la défenderesse, (b) aux études de cette dernière, (c) à l’entretien et à l’amélioration du chalet, du condo et de la maison d’Anjou, (d) par la prestation de certains services domestiques et par sa contribution au paiement de frais de vie commune et de la vie familiale, et dans une moindre mesure (e) par la mise sur place du stratagème du faux mari, s’est appauvrie au profit de la défenderesse, motivée par l’attente de partager avec sa conjointe une retraite construite grâce à leurs apports respectifs.

[Renvoi omis]

  1.            Selon la juge, l’augmentation du patrimoine de l’intimée pendant la vie commune ne fait pas échec à son recours en enrichissement injustifié :

[129] En effet, conclure sur la base des seuls bilans financiers que la demanderesse se serait en effet enrichie grâce à l’union équivaudrait à faire fi du projet de vie dans lequel les Parties s’étaient engagées conjointement, dès le début de leur union, et pour lequel la demanderesse a investi temps, ressources, talent et énergie et fait des sacrifices.

[130] La même conclusion s’impose en ce qui concerne le fait que la demanderesse ait pu continuer à travailler, n’ait pas été forcée à quitter un emploi ou n’ait pas été rétrogradée. L’appauvrissement doit être examiné sous l’angle du projet de vie commune auquel les deux Parties participaient. Vu sous cet angle, il est clair selon le Tribunal, eu égard à ce qui précède, que la demanderesse s’est appauvrie, car c’est de « sa part » de la richesse accumulée, grâce à ses efforts, dont elle est aujourd’hui privée.

[…]

[133] De l’avis du Tribunal, en raison de la contribution exceptionnelle de la demanderesse, la défenderesse s’est enrichie et a quitté l’union avec une part disproportionnée de la richesse accumulée, laissant la demanderesse privée de ce qui lui est dû pour les efforts dévolus.

[Renvois omis]

  1.            La conclusion de la juge quant à l’existence de cette contribution exceptionnelle est appuyée de nombreuses références à la preuve. En voici quelques-unes :

[142] La défenderesse revenait souvent à la maison avec des caisses de documents sur lesquels les deux conjointes travaillaient. La demanderesse a dicté du contenu pour accompagner les fiches PowerPoint utilisées par la défenderesse lors de rencontres ou de présentations, elle a fait de la recherche de contenu dans des banques de données et lui a procuré des articles lui permettant de se tenir à jour, elle a discuté stratégie de gestion avec la défenderesse en lien avec ses divers mandats, elle l’a aidée à apprendre du contenu par cœur, à rédiger des discours et des allocutions, à préparer et réviser son curriculum, à rédiger des plans d’affaires, des évaluations de performance, elle lui a donné des conseils sur son orientation de carrière, souvent dans l’anonymat et le plus grand des secrets. Elle a participé à l’élaboration de son « look », a sélectionné des vêtements pour elle et des bijoux.

[143] […] C’est la demanderesse qui, par exemple, remplit et transmet le formulaire de candidature de la défenderesse pour le poste de première vice-présidente à la BNC après avoir convaincu cette dernière de postuler alors que la défenderesse ne se sentait pas qualifiée.

[144] […] À l’occasion, la demanderesse était appelée à travailler de manière intensive sur les dossiers de la défenderesse, à raison de plusieurs jours consécutifs.

[145] […] [L]es Parties passaient plusieurs heures à parler de travail le vendredi soir et pendant le weekend. Il était très peu question du travail de la demanderesse, ce que la défenderesse n’a par ailleurs jamais nié. La preuve établit clairement que la vie du couple tournait autour de la carrière de la défenderesse.

[146] La demanderesse a aussi aidé la défenderesse à mettre sur pied Zicat & Associés, qui ne fera pas long feu, en préparant des documents de présentation, ainsi qu’une liste de cours qu’elle était disposée à dispenser pour le compte de l’entreprise. Elle prépare même une conférence destinée à la défenderesse, qu’elle dispensera ultimement elle-même.

[147] Il ne faut pas non plus passer sous silence la participation de la demanderesse entre 2009 et 2017 à de nombreux évènements organisés par la défenderesse pour divers clients prestigieux, des associations caritatives et des fondations durant lesquels elle est appelée à assurer une présence auprès de clients.

[148] Il est clair, à la lumière de ces nombreux exemples, qu’il ne s’agit pas ici d’une contribution usuelle, mais bien d’une contribution exceptionnelle à la carrière de la défenderesse, consentie dans l’espoir, et l’attente, d’être un jour récompensée.

[Renvois omis]

  1.            En ce qui a trait au troisième critère, soit celui de la corrélation, la juge conclut que l’appelante n’a pas réussi à renverser la présomption établissant son existence[27], bien au contraire :

[174] La preuve prépondérante a établi que la défenderesse s’est enrichie de manière significative, surtout dans les dernières années de sa carrière, grâce entre autres à la contribution de la demanderesse. La corrélation entre les deux est clairement établie.

  1.            Elle aborde ensuite le quatrième critère, soit celui de l’absence de justification. Elle rappelle que dans une union de longue durée, celle-ci est présumée[28]. Or, selon elle, l’appelante n’a pas réussi à réfuter cette présomption[29]. Elle ajoute que la Convention ne constitue pas une justification en ce qu’elle ne contient aucune renonciation à l’exercice d’un recours en enrichissement injustifié[30].
  2.            Enfin, la juge est d’avis que le cinquième critère, soit celui de l’absence d’autres recours, a été démontré. Aucun autre recours ne permettrait de dédommager l’intimée pour « ses sacrifices exceptionnels »[31].
  3.            Reste la question de l’indemnité.
  4.            La juge indique qu’elle se calcule en fonction de la valeur reçue ou bien de la valeur accumulée[32]. Toutefois, en présence d’une coentreprise, il faut plutôt procéder à son calcul en fonction de la contribution de la partie appauvrie à l’accroissement de la valeur du patrimoine de la partie enrichie[33].
  5.            La juge relève ensuite certains indices non exhaustifs devant servir à établir l’existence d’une coentreprise, soit (i) la collaboration à la réalisation d’objectifs communs importants; (ii) un niveau élevé d’intégration des finances; (iii) l’intention de partager la richesse créée conjointement; et (iv) le fait qu’une des parties ou les deux se sont fiées sur la relation à leur détriment pour le bien de la famille[34].
  6.            Selon elle, tous ces critères militent ici en faveur de la reconnaissance de l’existence d’une coentreprise :

[226] Les Parties avaient l’intention de partager la richesse accumulée ensemble. Leur conduite démontre qu’elles voulaient que leurs vies fassent partie d’un tout, d’une entreprise commune, tout comme les témoignages entendus et la preuve soumise.

[…]

[228] La preuve établit en effet que les Parties ont gardé tout au cours de leur relation des comptes séparés et qu’elles n’avaient aucun compte conjoint.

[229] Or, malgré cette séparation apparente, il y avait, dans les faits, une intégration économique importante au sein du couple. Tel qu’indiqué précédemment, les finances n’étaient pas un point de discorde au sein du couple. La défenderesse considère qu’elle payait 80% des dépenses et affirme qu’elle était contente de le faire. Selon elle, cela était tout à fait normal car elle faisait plus d’argent.

[230] Bien qu’elles n’aient pas mis en commun leurs économies, chacune accumulant des montants pour leurs pensions et les REERS, il est clair qu’elles mettaient en commun leurs efforts et leurs énergies à la réalisation de leurs objectifs, ce qui se traduisait, entre autres, par un partage organique des dépenses.

[231] Bien que les dépenses n’étaient pas payées à partir d’un compte conjoint, il y avait une intégration tacite complète et ce, grâce à la bonne entente qui prévalait entre elles. Parfois, un seul regard échangé ou quelques mots suffisaient pour que la facture soit payée par l’une ou par l’autre.

[…]

[238] L’achat de la maison d’Anjou, les apports importants de la demanderesse à la carrière de la défenderesse, la décision délibérée du couple de mettre de l’avant la carrière de la défenderesse, les promesses formulées au sujet de l’avenir, la contribution importante de la demanderesse aux travaux de rénovation des trois résidences dans le but que le couple puisse, le jour de la retraite venu, profiter d’une belle qualité de vie, les nombreux sacrifices consentis, peuvent difficilement être qualifiés autrement que comme des indices probants de cette intention commune. Les Parties avaient convenu de travailler fort et de faire des choix parfois difficiles dans le but de pouvoir un jour en profiter ensemble.

[…]

[244] Bien qu’elle ressorte de la relation avec des REERS et la moitié de la maison d’Anjou, elle en ressort aussi sans que sa contribution n’ait été récompensée, d’où l’injustice.

  1.            Ayant conclu à l’existence d’une coentreprise, la juge doit décider à quelle hauteur doit s’effectuer le partage de l’enrichissement de l’appelante. À cette fin, elle évalue à plus d’une journée et demie par semaine le temps que l’intimée consacrait « à la carrière de la défenderesse, à la maison, et à tout le reste »[35]. Elle arbitre ce partage à 30 % de la valeur de la coentreprise dont elle soustrait la richesse accumulée par l’intimée pendant la vie commune, soit 739 181 $ pour un total de 1 655 357,50 $[36].
  2.            Tel que je l’ai déjà souligné, la juge fait aussi droit à la demande visant à obtenir une déclaration selon laquelle l’acte d’achat de la résidence d’Anjou de décembre 2000 est une simulation en ce que les véritables acquéreurs de celle-ci étaient l’appelante et l’intimée.
  3.            Enfin, la juge rejette la demande de l’intimée pour abus du droit d’ester en justice aux termes de laquelle elle réclamait à l’appelante des dommages-intérêts de 73 723,87 $.

IV

  1.            Dans son mémoire, l’appelante attaque le jugement de première instance sur plusieurs fronts que je résumerai ainsi en me limitant à l’essentiel :
  • la juge aurait eu tort de ne pas voir dans la Convention un obstacle dirimant au recours en enrichissement injustifié de l’intimée;
  • elle aurait erré en concluant à l’appauvrissement de l’intimée et à l’existence d’une corrélation entre cet appauvrissement et l’enrichissement de l’appelante;
  • elle aurait erré en concluant à l’existence d’une coentreprise familiale et en attribuant à l’intimée 30 % de sa valeur nette;
  • elle aurait erré en déclarant que le titre de propriété de la résidence d’Anjou qui date, je le rappelle, du 14 décembre 2000, est une simulation quoique l’appelante reconnaisse que l’intimée en est devenue copropriétaire indivise en 2008 par l’effet de la Convention.
  1.            Dans son appel incident, l’intimée plaide que la juge a erré en rejetant sa demande de déclarer abusive la contestation, par l’appelante, de son recours en enrichissement injustifié.

V

  1.            Sans en faire un cinquième moyen d’appel à proprement parler, l’appelante ajoute aux quatre moyens qu’elle propose un argument destiné à jeter un doute sur l’objectivité de la juge. Étant donné la nature de cet argument, j’estime préférable d’y répondre dès à présent.
  2.            De façon plus concrète, l’appelante reproche à la juge d’avoir fait un compte-rendu partial de la preuve et de l’avoir analysée à travers un prisme déformant qui aurait teinté l’ensemble de son analyse. Elle aurait accordé une importance démesurée au projet des parties de profiter ensemble d’une retraite dorée et aurait passé sous silence certains passages de la preuve favorables à l’appelante ou, à tout le moins, les aurait interprétés de façon incorrecte.
  3.            L’appelante s’en prend aussi à la façon dont la juge a présidé l’instruction. Elle aurait « mené une véritable inquisition auprès [d’elle et] de ses témoins ». Elle se serait montrée plus sévère envers elle qu’envers l’intimée. Pourtant, le témoignage de cette dernière était, selon l’appelante, « grandement affecté par un manque de crédibilité flagrant ».
  4.            Cet argument de manque d’objectivité est sans fondement.
  5.            Je rappelle que le juge qui préside un procès bénéficie d’une forte présomption d’impartialité[37]. Celle-ci ne fait pas obstacle à ce que le juge puisse avoir « une opinion à la lecture d’un dossier tant qu’il demeure ouvert d’esprit et à l’écoute des représentations des parties pendant l’audition »[38]. De plus, le fait qu’il intervienne durant l’instruction ne suffit pas pour mettre en doute son impartialité. Comme la Cour suprême l’a souligné il y a plusieurs années dans Brouillard dit Chatel c. R.[39], l’époque du juge sphinx et passif est révolue :

D’abord, il est clair que l’on n’exige plus du juge la passivité d’antan; d’être ce que, moi, j’appelle un juge sphinx. Non seulement acceptons-nous aujourd’hui que le juge intervienne dans le débat adversaire, mais croyons-nous aussi qu’il est parfois essentiel qu’il le fasse pour que justice soit effectivement rendue. Ainsi un juge peut et, parfois, doit poser des questions aux témoins, les interrompre dans leur témoignage, et au besoin les rappeler à l’ordre.

  1.            L’appelante échoue à repousser cette forte présomption d’impartialité de la juge. Elle ne démontre pas que son analyse de la preuve est entachée de partialité. Ses interventions durant le témoignage de l’appelante attestent simplement de sa volonté de bien comprendre les enjeux du dossier et non d’un quelconque parti pris. Du reste, celles effectuées durant le témoignage de l’intimée sont également nombreuses et sont animées du même désir. Enfin, l’impartialité de la juge transparaît de l’analyse équilibrée qu’elle fait de la crédibilité des parties et dont j’ai déjà fait état.
  2.            Par ailleurs, la notion de prisme déformant que l’appelante invoque ne saurait alléger son fardeau de démontrer que les conclusions de fait ou mixtes de fait et de droit de la juge sont entachées d’une erreur manifeste et déterminante[40]. Cette image du prisme déformant « n’autorise pas [non plus] la juridiction d’appel à soupeser la preuve à nouveau ou à simplement substituer ses propres conclusions de fait à celles du juge de première instance »[41]. En bref, la partie qui n’a pas obtenu gain de cause en première instance ne peut l’invoquer en appel pour replaider sa cause comme si elle s’adressait au juge du procès.
  3.            C’est donc en fonction de la norme d’intervention propre aux questions de fait ou mixtes de fait et de droit que les moyens de l’appelante seront analysés.

VI

  1.            Avant de répondre aux moyens d’appel que propose l’appelante, je crois utile d’effectuer un survol des conditions d’ouverture du recours en enrichissement injustifié.
  2.            Ce recours se fonde sur l’article 1493 C.c.Q. :

1493. Celui qui s’enrichit aux dépens d’autrui doit, jusqu’à concurrence de son enrichissement, indemniser ce dernier de son appauvrissement corrélatif s’il n’existe aucune justification à l’enrichissement ou à l’appauvrissement.

1493. A person who is enriched at the expense of another shall, to the extent of his enrichment, indemnify the other for the latter’s correlative impoverishment, if there is no justification for the enrichment or the impoverishment.

  1.            Afin de s’en prévaloir, le conjoint qui estime s’être appauvri doit démontrer, par prépondérance des probabilités[42], les éléments suivants[43] :
  1. l’enrichissement du patrimoine de son conjoint;
  2. l’appauvrissement de son propre patrimoine;
  3. une corrélation entre les deux;
  4. l’absence de justification à l’enrichissement ou l’appauvrissement;
  5. l’absence de tout autre recours pour l’appauvri.
  1.            Comme précédemment mentionné, lorsque l’union de fait entre les parties en a été une de longue durée, deux présomptions allègent le fardeau de la partie demanderesse[44], soit, prima facie :
  1.      l’existence d’une corrélation entre l’enrichissement et l’appauvrissement (condition 3);
  2.      l’absence de justification à l’enrichissement (condition 4).
  1.            Quant au critère de la justification, l’article 1494 C.c.Q. indique :

1494. Il y a justification à l’enrichis-sement ou à l’appauvrissement lorsqu’il résulte de l’exécution d’une obligation, du défaut, par l’appauvri, d’exercer un droit qu’il peut ou aurait pu faire valoir contre l’enrichi ou d’un acte accompli par l’appauvri dans son intérêt personnel et exclusif ou à ses risques et périls ou, encore, dans une intention libérale constante.

1494. Enrichment or impoverishment is justified where it results from the performance of an obligation, from the failure of the person impoverished to exercise a right of which he may avail himself or could have availed himself against the person enriched, or from an act performed by the person impoverished for his personal and exclusive interest or at his own risk and peril, or with a consistent liberal intention.

  1.            Les tribunaux ont rappelé à plusieurs reprises que le concept d’enrichissement injustifié, en matière familiale, « doit être appliqu[é] avec souplesse et de façon généreuse »[45]. Il ne s’agit donc pas d’un exercice comptable, mais plutôt d’une « analyse libérale et globale de la situation des parties, prenant en compte tous les apports des conjoints durant la vie commune »[46].
  2.            Lorsque le conjoint qui s’est appauvri démontre que les cinq conditions précédemment énumérées sont remplies, il a alors droit à une compensation correspondant à « la moindre des deux sommes suivantes : l’enrichissement de son conjoint ou son propre appauvrissement »[47]. L’indemnité peut être calculée différemment lorsque les parties ont mis en place une coentreprise familiale pendant leur vie commune comme la juge en a fait état.
  3.            Voilà ce qui résume, à grands traits, les principes juridiques qui devaient guider la juge et qu’elle a bien compris.

VII

  1.            Le premier moyen soulevé par l’appelante se résume à ceci : la Convention, et plus particulièrement sa clause 5, constituerait la justification de son enrichissement de sorte que l’une des conditions du recours de l’intimée ferait défaut. À l’audience, c’est sur ce moyen que l’appelante concentre l’essentiel de ses efforts.
  2.            La clause en question se lit ainsi :

5. Rupture de la vie commune

Dans l’éventualité d’une rupture de la vie commune, les comparants conviennent de ce qui suit :

a) Chaque comparant conservera les biens mobiliers et immobiliers dont il est propriétaire et tout bien sur lequel aucun des comparants ne pourra justifier de son droit exclusif de propriété sera présumé appartenir aux deux indivisément à chacun pour moitié;

b) Le comparant qui désire aliéner sa part ou une partie de sa part à titre onéreux, en faveur d’une tierce personne doit d’abord l’offrir à l’autre copropriétaire en lui donnant un avis écrit à cet effet. L’avis doit contenir, selon le cas, soit le prix et les conditions d’aliénation envisagées par le comparant, soit le prix établi à sa juste valeur marchande par un évaluateur choisi par les deux parties;

Le copropriétaire doit se prononcer dans les trente (30) jours qui suivent la réception de cet avis. Le défaut de répondre dans ce délai ou de conclure l’acte de vente dans les quinze (15) jours suivant une réponse positive équivaut à un refus de se porter acquéreur. Le comparant pourra alors aliéner sa part ou une partie de sa part, mais le prix et les conditions ne pourront être inférieurs à ce qui a été offert à l’autre copropriétaire.

En cas de mise en vente, la propriété sera vendue à une tierce partie, toujours à sa juste valeur marchande, et le produit net de cette vente sera partagé en parts égales entre les deux copropriétaires, à savoir Kathleen Zicat et Manon Tanguay.

Toutefois, Manon Tanguay devra voir à payer, à même sa part, tout solde hypothécaire encore dû sur la maison à la Banque Nationale du Canada lors de l’achat de ladite propriété par Madame Kathleen Zicat.

c) Quant à la résidence secondaire située au [...] à St-Hippolyte, elle appartient entièrement à Madame Kathleen Zicat et, en cas de rupture, elle demeurera toujours la propriété exclusive de Madame Kathleen Zicat.

d) En cas de rupture de vie commune, une quittance finale et réciproque devra être signée et rédigée par chacune des parties et cette quittance finale sera reconnue comme une transaction aux termes de l’article 6231 du Code civil du Québec, ayant l’autorité de la chose jugée en dernier ressort et mettant fin au litige.

  1.            Selon l’appelante, la juge aurait erré en ne donnant pas effet à cette Convention et en refusant de l’homologuer tel que cela lui avait été demandé. La juge ne pouvait en faire abstraction surtout qu’elle reconnaît qu’elle ne souffre d’aucune ambiguïté[48]. Elle aurait dû constater qu’elle réglait toutes les conséquences d’une rupture éventuelle, d’où la quittance finale et réciproque que les parties se sont engagées à se donner en pareil cas de rupture.
  2.            Bien que la juge écrive que cette Convention est claire et qu’elle n’a pas besoin d’être interprétée, l’appelante souligne qu’elle a tout de même pris en considération, pour en restreindre la portée, le témoignage de l’intimée qui a affirmé que son seul objet était de reconnaître son droit de copropriétaire indivis de la résidence d’Anjou. La juge aurait dû donner un sens à l’ensemble des clauses de cette Convention qui expriment, de l’avis de l’appelante, la volonté claire des parties de régler l’ensemble des conséquences pécuniaires d’une éventuelle rupture.
  3.            De son côté, l’intimée rappelle que l’interprétation d’un contrat soulève « une question mixte de fait et de droit à l’égard de laquelle les tribunaux d’appel ne peuvent intervenir qu’en présence d’une erreur manifeste et déterminante »[49]. Or, l’appelante ne pointerait aucune erreur de ce type dans la conclusion de la juge et dans l’analyse qui la précède.
  4.            La juge reconnaît d’emblée qu’une convention de vie commune peut, en principe, faire naître une justification à un enrichissement injustifié[50]. La jurisprudence le reconnaît d’ailleurs[51]. Une transaction réglant les modalités de la séparation entre les parties peut en faire autant[52].
  5.            La juge relève que les parties font une lecture très différente de la Convention. L’appelante y voit un obstacle dirimant au recours de l’intimée alors que cette dernière plaide qu’elle n’avait pour but que de reconnaître sa qualité d’indivisaire dans la résidence d’Anjou comme je l’ai déjà noté[53].
  6.            La juge constate que la Convention ne règle pas uniquement la question du droit de propriété de la résidence d’Anjou, mais également celle de la résidence secondaire et de tout autre bien mobilier ou immobilier que l’une ou l’autre des parties pourrait acquérir individuellement. En revanche, elle observe que la Convention est silencieuse sur plusieurs autres sujets « dont, entre autres, le partage des dépenses, l’apport des Parties, et les recours qui seraient ouverts (ou non) aux Parties en cas de rupture, incluant au sujet d’une éventuelle demande en enrichissement injustifié »[54]. Au bout du compte, la volonté exprimée par les parties dans la Convention de ne « régler [que] certains aspects patrimoniaux de leur vie commune »[55] ne laisse planer aucun doute, selon elle, sur leur volonté réelle :

[193] À la lumière de la preuve entendue et du libellé de la convention, le Tribunal conclut que bien qu’allant en effet au-delà de simplement confirmer le titre de propriété de la maison d’Anjou, la convention ne constitue pas pour autant une justification à l’enrichissement injustifié.

[194] En effet, bien que la convention spécifie le droit de propriété des Parties sur certains biens, dont la maison d’Anjou et les propriétés à venir, et certaines modalités pour la mise en vente éventuelle de la maison d’Anjou, il est faux de prétendre qu’elle constitue une justification à l’enrichissement. 

[195] La défenderesse n’a tout simplement pas fait la preuve qu’au moment de la signature de la convention, les Parties auraient eu l’intention de régler l’ensemble des recours qui leur seraient ouverts, dont un recours en enrichissement injustifié. Il faut d’ailleurs se demander si cela aurait même été possible. Comment les Parties auraient-elles pu, en 2008, anticiper toutes les conséquences découlant de leur rupture? Comment auraient-elles pu le faire alors qu’elles étaient impliquées dans autant de projets communs?

  1.            Pour lui permettre de conclure autrement, il aurait fallu, selon la juge, que la Convention contienne une renonciation expresse à un recours en enrichissement injustifié, d’autant plus que les exemples de convention de vie commune que l’on porte à son attention contiennent tous une clause ainsi libellée :

Sous réserve des engagements et obligations prévues à cette entente, les parties renoncent à toute réclamation que chacune a ou pourrait avoir contre l’autre pour avances, contributions, prêts, apports, sommes globales ou tout droit pouvant résulter ou découlant de leur vie commune et de sa rupture.[56]

[Renvoi omis]

  1.            La juge ajoute que si elle avait eu à interpréter la Convention, elle lui aurait donné la même portée[57] :

[203] Même si le Tribunal avait conclu que la convention comportait une ambiguïté, il en serait venu à la même conclusion. Il aurait, dans ce cas, fallu que la défenderesse démontre que les Parties avaient prévu un recours en enrichissement injustifié. Or, non seulement la preuve n’en a pas été faite, plusieurs éléments indiquent que les Parties n’avaient pas une telle intention. Il suffit à cet égard de revoir le texte même de la convention qui indique qu’elle ne règle « que certains aspects » patrimoniaux de la vie commune des Parties. Comment ne pas y voir une indication claire du fait que les Parties reconnaissaient explicitement que ce document était incomplet et ne visait qu’à régler certaines questions?

[204] Finalement, rappelons le contexte particulier dans lequel la convention a été signée et le témoignage de la demanderesse à l’effet qu’elle voulait simplement avoir un écrit au sujet de la maison d’Anjou, ce que le Tribunal a considéré comme étant crédible.

[205] En d’autres mots, le Tribunal conclut qu’en signant la convention, il n’était pas question pour les Parties de régler de façon définitive et d’un seul coup toutes les conséquences économiques de leur séparation.

[206] Pour tous ces motifs, le Tribunal est d’avis que la défenderesse n’a tout simplement pas réussi à faire une preuve convaincante ou forte pour renverser la présomption d’absence de justification et ainsi rejeter le recours de la demanderesse.

* * *

  1.            Je suis d’avis que la juge fait fausse route lorsqu’elle conclut que la Convention ne fait pas échec au recours en enrichissement injustifié de l’intimée.
  2.            Je m’explique.
  3.            Les conjoints vivant en union de fait ne sont soumis à aucun régime semblable aux régimes matrimoniaux[58] ni aux dispositions portant sur le patrimoine familial[59], hormis ceux qui sont désormais visés par le nouveau régime de l’union parentale[60]. En l’occurrence, il est acquis que les parties n’y sont pas soumises.
  4.            Pour régler les conséquences pécuniaires d’une rupture, sauf celles relatives aux obligations alimentaires qu’ils peuvent avoir à l’endroit de leurs enfants, les conjoints de fait non visés par le nouveau régime de l’union parentale doivent s’en remettre aux principes généraux de droit civil[61]. Sous réserve du respect des règles d’ordre public, rien ne leur interdit cependant de convenir à l’avance, dans ce qu’il est communément appelé un « contrat de vie commune »[62], des conséquences pécuniaires de leur rupture[63]. Lorsqu’ils le font, ce contrat devient la loi des parties et c’est à celui-ci exclusivement qu’il faut se référer pour trancher tout litige découlant de la fin de la vie commune[64]. Le juge ne peut alors recourir aux principes généraux du droit civil, tels ceux en matière d’enrichissement injustifié, pour trancher le différend qui les oppose. Or, c’est précisément ce que la juge a fait à l’invitation de l’intimée.
  5.            La Convention énonce les règles qui gouverneront les parties en cas de rupture. La moitié du texte y est consacrée. C’est vers la Convention et nulle part ailleurs qu’il lui fallait se tourner pour décider du litige dont elle était saisie. La question que la juge devait se poser n’était pas de savoir si le texte de la Convention faisait échec au recours en enrichissement injustifié, mais plutôt s’il en permettait l’exercice, autrement dit si les parties l’avaient incorporé à leur entente. Or, la simple lecture de la Convention suffit pour constater qu’il n’en est rien. C’est d’ailleurs le constat que la juge a fait : la Convention est muette à ce sujet. Dès lors, elle aurait dû conclure, d’une part, que le recours en enrichissement injustifié n’était pas ouvert à l’intimée et d’autre part, que la Convention constitue une « justification »[65] à l’enrichissement de l’appelante ou, en d’autres mots, qu’elle consacre le partage des effets patrimoniaux de l’union consensuellement convenu.
  6.            J’ajoute que le caractère exhaustif du régime contractuel mis en place par les parties en cas de rupture est confirmé par l’alinéa 5d) de la Convention aux termes duquel les parties conviennent de se donner quittance « finale et réciproque » en cas de rupture de vie commune. Elles prennent même la peine de préciser que cette quittance vaudra transaction au sens de l’article 2631 C.c.Q., ce qui confirme leur volonté de régler ainsi toutes les conséquences d’une éventuelle rupture[66].
  7.            Je constate que la juge ne traite pas de cet alinéa 5d), fort important, sauf pour évoquer sa présence dans la Convention[67].
  8.            Finalement, l’argument que retient la juge selon lequel les modèles de contrats de vie commune qui lui ont été présentés contiendraient tous une clause de renonciation au recours en enrichissement injustifié a peu de poids. Je note au passage que le modèle proposé par la Chambre des notaires du Québec dans l’édition de 2017 de son Répertoire de droit n’en contient pas[68].
  9.            Bref, la démarche de la juge est entachée d’une erreur de principe dont l’importance justifie, selon moi, l’intervention de la Cour. En concluant comme elle l’a fait, elle redéfinit l’entente convenue entre les parties en y ajoutant des termes qui ne s’y trouvent pas et en vidant de sens leur engagement de se donner une quittance finale et réciproque.

* * *

  1.            Qu’est-il maintenant de la demande en homologation de la Convention?
  2.            L’intimée n’a pas signé la quittance finale et réciproque prévue à l’alinéa 5d) de la Convention comme elle s’était engagée à le faire. Je propose de simplement déclarer que l’arrêt rendu vaudra signature de cette quittance et que celle-ci, à son tour, vaudra transaction et d’homologuer la Convention.

* * *

  1.            En ce qui a trait au volet de l’appel portant sur la déclaration de simulation, je suis d’avis qu’il n’y a pas lieu d’intervenir. En effet, la conclusion de la juge qui fait remonter les effets de cette simulation à la date de l’acquisition de la résidence d’Anjou par l’appelante (14 décembre 2000) n’est entachée d’aucune erreur révisable.

VIII

  1.            En ce qui a trait à l’appel incident, l’intimée échoue à démontrer que la conclusion de la juge quant à l’absence d’abus souffrirait d’une erreur révisable d’autant plus que la position que l’appelante défendait s’est avérée être celle qui aurait dû prévaloir en première instance. Au contraire, la décision de la juge est conforme à la jurisprudence de la Cour[69].
  2.            Je propose donc d’accueillir en partie l’appel principal et de rejeter l’appel incident, le tout sans les frais de justice, vu la nature du litige.

 

 

 

 

ÉRIC HARDY, J.C.A.

 


[1]  Tanguay c. Zicat, 2023 QCCS 3920 [jugement de première instance].

[4]  Id., paragr. 20.

[5]  Id., paragr. 38, 192 et 204.

[6]  Voir la note de bas de page 51 du jugement de première instance.

[7]  Jugement de première instance, paragr. 9.

[8]  Id., paragr. 126-127.

[9]  Ibid.

[10]  Id., paragr. 263.

[11]  Id., paragr. 33-35.

[12]  Id., paragr. 48.

[14]  Id., paragr. 5.

[15]  Id., paragr. 220-221.

[16]  Id., paragr. 71-84.

[17]  Id., paragr. 84.

[18]  Id., paragr. 93.

[19]  Id., paragr. 94 et 95.

[20]  Id., paragr. 98-100.

[21]  Id., paragr. 102.

[22]  Ibid.

[23]  Id., paragr. 103.

[24]  Id., paragr. 104.

[25]  Id., paragr. 105.

[27]  Id., paragr. 173.

[28]  Id., paragr. 178 et 183.

[29]  Id., paragr. 186.

[30]  Id., paragr. 195, 199 et 200.

[31]  Id., paragr. 208.

[32]  Id., paragr. 212.

[33]  Id., paragr. 214.

[34]  Id., paragr. 219.

[35]  Id., paragr. 261.

[36]  Id., paragr. 263.

[37]  Syndicat des copropriétaires du condominium Verrières VI c. Maddalon, 2019 QCCA 1737, paragr. 9.

[38]  Id., paragr. 10.

[39]  [1985] 1 R.C.S. 39, p. 44. Voir également Laflamme c. Groupe Norplex inc., 2017 QCCA 1459, paragr. 32, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 16 août 2018, no 37874.

[40]  Benhaim c. St-Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 R.C.S. 352, paragr. 36; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, paragr. 10 et 61.

[41]  Salomon c. Matte-Thompson, 2019 CSC 14, [2019] 1 R.C.S. 729, paragr. 40. Voir également Gestion Marigec inc. c. Immeubles Rimanesa inc., 2024 QCCA 1055, paragr. 30, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 24 juillet 2025, dossier no 41500; 9251-4157 Québec inc. c. Procureur général du Québec, 2022 QCCA 1343, paragr. 63.

[42]  Québec (Procureur général) c. A, 2013 CSC 5, paragr. 118; Débigaré c. Boudreau, 2019 QCCA 928, paragr. 10, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 30 avril 2020, n° 38779.

[43]  Gouin c. Pépin, 2020 QCCA 680, paragr. 11, citant Mac Rae c. Hammond, 2014 QCCA 1359, paragr. 26 et Droit de la famille — 132495, 2013 QCCA 1586, paragr. 39. Pour l’arrêt de principe, qui ajoutait la condition de « l’absence de fraude à la loi », voir Cie Immobilière Viger c. L. Giguère Inc., [1977] 2 R.C.S. 67, p. 77; Pour un historique des sources de ce recours, voir Droit de la famille — 201878, 2020 QCCA 1587, paragr. 41-52, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 5 août 2021, no 39542.

[44]  Québec (Procureur général) c. A, 2013 CSC 5, paragr. 119, citant : Peter c. Beblow, [1993] 1 R.C.S. 980, p. 1013 et 1018. Voir aussi : Duval c. Boisvert, 2021 QCCA 1820, paragr. 7. Droit de la famille — 132495, 2013 QCCA 1586, paragr. 42; B.(M.) c. L.(l.), [2003] R.D.F. 539, paragr. 3637 (C.A.).

[45]  Trépanier c. Houle, 2024 QCCA 216, paragr. 4. Voir aussi : Québec (Procureur général) c. A, 2013 CSC 5, paragr. 120, renvoyant à Lacroix c. Valois, [1990] 2 R.C.S. 1259, p. 1279 et C.L. c. J.L., 2010 QCCA 2370, paragr. 12-13.

[46]  C.L. c. J.L., 2010 QCCA 2370, paragr. 12, cité avec approbation par Québec (Procureur général) c. A, 2013 CSC 5, paragr. 120; Débigaré c. Boudreau, 2019 QCCA 928, paragr. 23, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 30 avril 2020, n° 38779; Leclerc c. J.L., 2021 QCCA 215, paragr. 41.

[47]  Québec (Procureur général) c. A, 2013 CSC 5, paragr. 119, référant à Cie Immobilière Viger c. L. Giguère Inc., [1977] 2 R.C.S. 67, p. 77.

[48]  Jugement de première instance, paragr. 202.

[49]  Uniprix inc. c. Gestion Gosselin et Bérubé inc., 2017 CSC 43, [2017] 2 R.C.S. 59, paragr. 41.

[50]  Jugement de première instance, paragr. 189.

[51]  Droit de la famille — 13367, 2013 QCCS 698, paragr. 86, 99 et 100; H.G. c. J.C., 2011 QCCQ 4578; paragr. 53-61; St-Louis c. Martel, 2006 QCCS 5155, paragr. 41; Voir aussi : Pépin c. Gouin, 2018 QCCS 4435, paragr. 33 confirmée par Gouin c. Pépin, 2020 QCCA 680; Roberge c. Hétu, 2020 QCCS 1427, paragr. 43 et 99; Droit de la famille — 20468, 2020 QCCS 1043, paragr. 18; Nassif c. CTI Capital valeurs mobilières inc., 2024 QCCS 2371, paragr. 34, 35 et 55, demande de permission d’appeler rejetée, Nassif c. CTI Capital valeurs mobilières inc., 2024 QCCA 1339.

[52]  Droit de la famille — 235, 2023 QCCS 16, paragr. 18 et 134; F.S. c. A.A., 2011 QCCS 4053, paragr. 95-97.

[53]  Jugement de première instance, paragr. 191-192.

[54]  Id., paragr. 197.

[55]  Ibid.

[56]  Id., paragr. 199.

[57]  Id., paragr. 203.

[58]  Art. 431 et s. C.c.Q.; Alain Roy, « Qu’avez-vous fait de mon contrat de mariage? Je l’ai réinventé », (2013) 115:2 R. du N. 307, p. 316.

[59]  Art. 414 et s. C.c.Q.

[60]  Art. 521.20 et s. C.c.Q.

[61]  Michel Tétrault, Droit de la famille, vol. 1 « Le mariage, l’union civile et les conjoints de fait : droits, obligations et conséquences de la rupture », 4e éd., Montréal, Yvon Blais, 2010, p.  1, 3 et 18.

[62]  Sandra Fontaine, « La séparation de corps et le divorce : aspects généraux du traitement du litige conjugal », dans École du Barreau (dir.), Collection de droit 2024-2025, vol. 4 « Droit de la famille », Montréal, CAIJ, 2024-2025, p. 63.

[63]  Québec (Procureur général) c. A, 2013 CSC 5, [2013] 1 R.C.S. 61, paragr. 114, 264 et 444.

[64]  Id., paragr. 264; Alain Roy, « Qu’avez-vous fait de mon contrat de mariage? Je l’ai réinventé », (2013) 115:2 R. du N. 307, p. 322-323; JeanLouis Baudouin, PierreGabriel Jobin et Nathalie Vézina, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2013, no 551; Brigitte Lefebvre, « Conjoints de fait : concept de vie maritale et autres problèmes », dans Congrès de l’Association de planification fiscale et financière, vol. 2018-1, Montréal, 2018; Michel Tétrault, Droit de la famille, vol. 1 « Le mariage, l’union civile et les conjoints de fait : droits, obligations et conséquences de la rupture », 4e éd., Montréal, Yvon Blais, 2010, ch. 7, sections 4.1 et 4.4.

[65]  Art. 1493 et 1494 C.c.Q.

[66]  Dominique Lettre et François Crête, La convention de séparation, 5e éd., Montréal, Wilson & Lafleur et Chambre des notaires du Québec, 2021, paragr. 499.

[67]  Jugement de première instance, paragr. 68 et 305.

[68]  « Convention régissant les relations entre conjoints de fait », dans Chambre des notaires du Québec, Répertoire de droit Nouvelle série, « Famille », Montréal, Chambre des notaires du Québec, 2017.

[69]  Marigec inc. c. Immeubles Rimanesa inc., 2024 QCCA 1055, paragr. 60-62; demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 24 juillet 2025, dossier no 41500; Biron c. 150 Marchand Holdings inc., 2020 QCCA 1537, paragr. 126; 2741-8854 Québec inc. c. Restaurant King Ouest inc., 2018 QCCA 1807, paragr. 21; Fillion c. Chiasson, 2007 QCCA 570, paragr. 123 et 126; Viel c. Entreprises immobilières du terroir ltée, [2002] R.J.Q. 1262 (C.A.), paragr. 77-78.

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