Décision

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Hamel Construction inc. c. Ville de Québec

2025 QCCS 1387

COUR SUPÉRIEURE

(Chambre civile)

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

québec

 

 :

200-17-033681-222

 

DATE :

Le 14 janvier 2025

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE ROBERT DUFRESNE, j.c.s.

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hamel construction inc.

Demanderesse

c.

ville de québec

Défenderesse

 

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JUGEMENT

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  1.                 Les parties sont liées par des contrats conclus au terme de quatre appel d’offres relatifs au « déneigement de certaines rues de la Ville de Québec ». Ces contrats s’échelonnent de la saison 2019-20 à la saison 2023-24. Les contrats sont initialement d’une durée de trois ans mais comportent une clause, au bénéfice de Ville de Québec, de prolongation.
  2.                 Il n’est pas contesté que les clauses pertinentes au présent litige peuvent comporter des distinctions de numérotation et de rédaction mais qu’elles sont au même effet.
  3.                 Le litige porte sur l’interprétation de la clause d’ajustement de prix relative à la quantité de précipitation réelle de neige. Hamel Construction conteste l’application effectuée par Ville de Québec de cette clause d’ajustement de prix et lui réclame 507 655,78$.
  4.                 Le fondement de la réclamation est contesté par Ville de Québec mais si l’interprétation de Hamel Construction était retenue, la somme est admise.

LES contrats

  1.                 Les contrats découlent de l’acceptation par Ville de Québec des soumissions reçues de Hamel Construction.
  2.                 Hamel Construction exécute des contrats de déneigement pour la Ville de Québec depuis 2009. Initialement, le prix soumis l’était en fonction d’une quantité de neige exprimée en centimètres.
  3.                 Depuis un certain temps et à tous égards en l’espèce, la quantité de neige s’exprime en millimètres équivalents en eau.
  4.                 Pour soumettre son prix, Hamel Construction considère le lieu de son exécution, soit la localisation de la zone décrite à l’appel d’offres.
  5.                 Chaque zone est en effet plus ou moins éloignée des installations de Hamel Construction, de sorte que chaque sortie d’équipements exige plus ou moins de déplacements après et avant l’exécution des travaux.
  6.            Hamel Construction considère également la complexité d’exécution des travaux exigés pour chaque zone visée par l’appel d’offres. La largeur des rues, leur dénivelé, la densité d’occupation du secteur ou l’usage, sont des exemples d’éléments qui influent sur la complexité d’exécution des travaux.
  7.            Hamel Construction estime la localisation du lieu de disposition de la neige usée pour chaque zone visée par l’appel d’offres. Le transport de la neige usée sur une distance plus ou moins grande influence évidemment le coût d’exécution du contrat.
  8.            Hamel Construction apprécie par la suite la disponibilité des équipements nécessaires à l’exécution optimale des travaux pour chaque zone visée par l’appel d’offres. Un équipement moins adapté peut s’avérer moins performant et générer des coûts additionnels. Enfin, Hamel Construction considère la disponibilité de la maind’œuvre.
  9.            Les différentes zones visées par les appels d’offres sont subdivisées en « articles ». Chaque subdivision porte un code et sa « quantité » est exprimée en mètres carrés. Le prix soumis par l’entrepreneur doit l’être pour chaque subdivision et s’exprime en dollars par mètre carré. Sont calculées la superficie des chaussées et des trottoirs. La seule distinction paraît être relative au déneigement des « poteaux d’incendie », dont le nombre d’unités de la zone visée est indiquée et le prix soumis par unité.
  10.            Chaque subdivision est décrite selon un niveau d’intervention requis, soit quant à l’exigence du soufflage, du transport ou du délai d’enlèvement de la neige, notamment.
  11.            Il faut se référer aux devis techniques pour connaître la description des travaux requis selon que la subdivision est de niveau 1 ou qu’une section de trottoir est de niveau 3, par exemple.
  12.            En complétant la formule de soumission, chaque soumissionnaire, au regard de chaque zone visée, soumet son « prix forfaitaire total annuel ».
  13.            Les contrats comportent deux clauses d’ajustement de prix. La première, non contestée, est relative au prix du carburant.
  14.            Le Tribunal retient du témoignage de M. Pierre Hamel, P.D.G. de Hamel Construction, que la variation du prix du carburant est un risque qui fait partie intégrante de quatre des cinq éléments pris en compte dans l’élaboration de la soumission. Le cinquième élément étant la disponibilité de la main-d’œuvre.
  15.            Cette clause d’ajustement du prix du carburant fait reposer sur la Ville de Québec, du moins en partie, les risques inhérents à une éventuelle hausse du prix du carburant.
  16.            Le Tribunal retient également du témoignage de M. Pierre Hamel que les salaires, de même que le coût des équipements, qu’il s’agisse de leur acquisition, de leur entretien ou de leur réparations, sont d’autres composantes du risque inhérent pris en compte dans l’élaboration de la soumission. Le risque inhérent à ces éléments et à d’autres est à la charge de l’entrepreneur[1]. La clause 1 du devis technique se lit comme suit[2] :
  1. GÉNÉRALITÉS

Le devis de déneigement est un devis de performance basé sur les résultats et le respect des délais. Il est de la responsabilité du fournisseur d’affecter un nombre suffisant d’équipements, de main-d’œuvre et de matériel pour atteindre les résultats spécifiés sans quoi celui-ci s’expose à des pénalités et, à la limite, à une résiliation de contrat.

Autrement dis, pour toutes les opérations stipulées dans le devis, le fournisseur doit prendre tous les moyens nécessaires afin d’atteindre les résultats attendus pour respecter les délais prescrits, et ce, sans attendre un avis de la part du représentant désigné ou de ses remplaçants.

[Caractères accentués et soulignements dans le texte]

  1.            C’est la Ville de Québec qui fixe ses attentes en fonction des priorités qu’elle détermine. Elle l’exprime en identifiant chaque subdivision suivant un niveau d’exigence.
  2.            La lecture du devis technique démontre qu’il stipule de nombreuses opérations à être réalisées suivant les circonstances.
  3.            C’est en nous y référant que M. Julien Maheux, ing., chargé de projet pour Hamel Construction, explique que la pluie verglaçante est l’objet d’opérations distinctes qui la distingue de la pluie. Or, seule la pluie doit être exclue de la précipitation totale pour obtenir la précipitation de neige. C’est à la clause 4.5.4, ou 4.5.5 selon le contrat, que l’on retrouve le passage litigieux, ci-après souligné[3] :

4.5.5 Analyse des soumissions – précipitation annuelle

Les soumissionnaires doivent présenter des prix pour tous les articles mentionnés à la formule de soumission. La somme des produits obtenus en multipliant les différents coûts soumis par les quantités correspondantes constitue, pour le contrat en question, le prix forfaitaire total annuel. Les surfaces à déneiger sont mesurées numériquement à partir d’une réduction à l’horizontale, la mesure ne tient donc pas compte des pentes du terrain.

La somme des prix soumis par article, par conséquent le prix forfaitaire total annuel, sont des prix fermes basés sur une précipitation annuelle de neige mesurée en équivalent en eau (EE) de 295 millimètres pour la période du 1er novembre au 30 avril suivant. Les données sur les précipitations de neige sont celles fournies par Environnement Canada pour la Ville de Québec (QUÉBEC/JEAN LESAGE INTL A). L’équivalent en eau de la précipitation de neige exprimée en millimètre s’obtient en soustrayant la pluie de la précipitation totale (pluie et neige). Aux fins de comparaison, l’annexe « données météo » donne l’historique des précipitations de neige par saison hivernale, pour les saisons 1974-1975 à 2018-2019, mesurées en centimètre et mesurées en millimètres équivalent en eau.

Le prix forfaitaire total annuel constitue le montant du contrat pour chacune des années du contrat. Le montant du contrat peut toutefois être modifié compte tenu des modalités prévues à la clause « Modification au contrat ».

[Nos soulignements et caractères accentués]

  1.            Ville de Québec nous réfère à la clause 8.1.2, qui lit comme suit[4] :

8.1.2 Base de paiement – Ajustement de prix – Précipitation annuelle

Les prix unitaires soumis étant basés sur une précipitation de neige, mesurée en équivalent en eau (EE), de 295 mm, la présente clause décrit le processus selon lequel le montant du contrat est ajusté en fonction de la précipitation de neige.

À la fin de chaque saison de déneigement, le montant du contrat (ajusté préalablement en fonction du carburant) est ajusté à raison de 0,1695 % de sa valeur à 295 mm pour chaque millimètre d’équivalent en eau de neige tombée, en plus de 310 mm ou en moins de 280 mm.

La Ville garantit au fournisseur que le montant du contrat (contrat de déneigement de zone) n’est jamais ajusté à moins de 85% de sa valeur (ajusté préalablement en fonction du carburant, clause « Base de paiement – Ajustement de prix – Carburant ») à 295 mm EE.

[…]

[Nos soulignements et caractères accentués]

  1.            Hamel Construction nous réfère au texte de la clause 8.1.3, qui se lit[5] :

8.1.3 Base de paiement – Ajustement de prix – Précipitation annuelle

Les prix unitaires soumis pour le Bloc 1 – Déblaiement (grattage et épandage) ainsi que le Bloc 3 – Poteaux d’incendie étant basés sur une précipitation de neige, mesurée en équivalent en eau (EE), de 295 mm, la présente clause décrit le processus selon lequel les prix unitaires sont ajustés en fonction de la précipitation réelle de neige mesurée à l’aéroport de Québec (QUÉBEC/JEAN LESAGE INTL A).

[…]

[Notre soulignement et caractères accentués]

  1.            Hamel Construction soutient que la pluie verglaçante ne doit pas être soustraite de la précipitation totale (pluie et neige) alors que la Ville de Québec soutient le contraire puisque cette clause d’ajustement de prix ne s’applique qu’à l’égard des précipitations réelles de neige.

ANALYSE

  1.            Il n’est pas contesté que les appels d’offres desquels découlent les contrats intervenus entre les parties en font des contrats d’adhésion. L’article 1379 du Code civil du Québec se lit comme suit :

1379. Le contrat est d’adhésion lorsque les stipulations essentielles qu’il comporte ont été imposées par l’une des parties ou rédigées par elle, pour son compte ou suivant ses instructions, et qu’elles ne pouvaient être librement discutées.

Tout contrat qui n’est pas d’adhésion est de gré à gré

  1.            Un contrat d’adhésion doit s’interpréter, en cas de doute, en faveur de l’adhérent soit en l’espèce en faveur de Hamel Construction.
  2.            Cette règle (art. 1432 C.c.Q.) est toutefois de dernière application. Avant toute chose, il faut déterminer si les termes du contrat requièrent une interprétation pour en comprendre le sens. En l’absence d’ambiguïté, le contrat doit être appliqué selon le sens ordinaire des mots qu’il comporte. En cas d’ambiguïté, les articles 1425 à 1432 C.c.Q. énoncent les règles d’interprétation qui visent à mettre un terme à l’ambiguïté.
  3.            Il y a lieu de reproduire ici les passages des deux clauses pertinentes au présent litige :

4.5.5 […] L’équivalent en eau de la précipitation de neige exprimée en millimètre s’obtient en soustrayant la pluie de la précipitation totale (pluie et neige) […].

8.1.3 […] la présente clause décrit le processus selon lequel les prix unitaires sont ajustés en fonction de la précipitation réelle de neige […].

  1.            Aux termes du contrat, la précipitation totale se présente sous deux formes de précipitations.
  2.            Le dictionnaire Larousse définit « précipitation » ainsi : nom féminin singulier, « Quantité totale d'eau liquide ou solide précipitée par l'atmosphère » et « précipitations », nom féminin pluriel, « Formes revêtues par la précipitation de l'eau dans l'atmosphère (pluie, neige, grêle) ».[6]
  3.            Les termes du contrat utilisent ainsi le sens ordinaire des mots. La précipitation dans l’atmosphère est liquide ou solide, nous apprend le dictionnaire Larousse et le contrat nous apprend que la précipitation totale est sous forme de pluie et de neige.
  4.            Pluie et neige sont des noms féminins. « verglaçant(e) » est un adjectif qui signifie « qui provoque le verglas ». Quant à « verglas », le dictionnaire le définit ainsi : « Couche de glace naturelle très mince qui se forme sur un sol au-dessous de 0°C. »[7]
  5.            Ainsi, la pluie ne devient verglas qu’au contact des surfaces, après avoir quitté l’atmosphère.
  6.            Le devis technique décrit ainsi les éléments suivants[8] :

8.1 SITUATION DE VERGLAS

8.1.1 Portée de la présente clause

La présente clause s’applique aux situations de pluie verglaçante ou de pluie suivie d’un refroidissement de la température.

8.1.2. Intervention du fournisseur

Dans une situation de verglas, le fournisseur doit entrer en opération sans attendre d’avis de la part du représentant désigné de la Ville.

[Nos soulignements]

  1.            Les travaux d’intervention décrits à la clause 8.1.6 sont relatifs au dégagement des puisards et à l’épandage de fondants et/ou d’abrasifs. Des travaux similaires sont requis lors de la fonte de la neige lorsqu’elle est suivie d’un refroidissement qui provoquent la formation de verglas. D’autres situations de présence de glace sont visées à la section 6 du devis technique « Entretien des rues et des trottoirs ». Les mêmes exigences de résultats sont attendus.
  2.            Comme le souligne l’avocate de Ville de Québec, le verglas n’est pas chargé dans des camions à l’aide d’une souffleuse et transporté dans un site dédié. Le Tribunal conclut qu’il n’y a pas d’ambiguïté requérant d’avoir recours aux dispositions d’interprétation des contrats édictées aux articles 1425 à 1432 C.c.Q. Les termes des clauses 4.5.4 ou 4.5.5 et 8.1.2 ou 8.1.3 sont rédigées suivant le sens ordinaire des mots.
  3.            Le Tribunal conclut que la pluie, verglaçante ou non, n’est pas de la neige. Elle doit être déduite de la précipitation totale afin de ne conserver que la réelle quantité de neige tombée, seule précipitation visée par la clause d’ajustement de prix.
  4.            L’interprétation suggérée par Hamel Construction dénature le sens ordinaire des mots.
  5.            L’ensemble des variables ou risques inhérents autre que la variation du prix du carburant et la précipitation réelle de neige, est à la charge du fournisseur. Le recours de Hamel Construction entrepris en l’instance doit en conséquence être rejeté.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

  1.            REJETTE la demande introductive d’instance modifiée de Hamel Construction inc.
  2.            LE TOUT, avec les frais de justice en faveur de la Ville de Québec.

 

 

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ROBERT DUFRESNE, j.c.s.

 

Me Vincent St-Pierre

ksa avocats

vstpierre@ksalegal.ca

 

Avocats de la demanderesse

 

Me Émilie Morissette

giasson et associés

emilie.morissette@ville.quebec.qc.ca

 

Avocats de la défenderesse

 

Date d’audience : le 10 octobre 2024

 


[1]  Pièce P-2, clause 1.9.

[2]  Id., clause 1.

[3]  Id., clause 4.5.5.

[4]  Id., clause 8.1.2.

[5]  Id., clause 8.1.3.

[6]  Larousse, en ligne, aux mots « précipitation » et « précipitations ».

[7]  Le Robert dico en ligne, aux mots « Verglaçant(e) » et « verglas ».

[8]  Pièce P-2, clause 8.1.

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