Décision

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Mateluna-Ahumada c. Ville de Charlemagne

2024 QCCS 54

 COUR SUPÉRIEURE

(chambre civile)

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

JOLIETTE

 

 :

705-17-010478-228                                               

 

 

 

DATE :

12 janvier 2024

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

JEAN-YVES LALONDE, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

CLAUDIA MATELUNA-AHUMADA

Demanderesse

 

c.

 

VILLE DE CHARLEMAGNE

et

CARREFOUR CANIN

           Défenderesse

 

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

 

et

 

HÔPITAL VÉTÉRINAIRE DES PRAIRIES

             Mis en cause

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT SUR UN POURVOI EN CONTRÔLE JUDICIAIRE

______________________________________________________________________

 

LES ORIGINES DU LITIGE

[1]   La demanderesse, Claudia Mateluna-Ahumada (ci-après «Mateluna» ou «la demanderesse»)[1] se pourvoit en contrôle judiciaire à l'encontre de trois résolutions adoptées par la Ville de Charlemagne (ci-après «la Ville» ou «Charlemagne»).  Dans sa plus récente décision, soit celle du 22 août 2022, la Ville ordonne à Mateluna de procéder à l’euthanasie de son chien «Santos», un chien de type husky, lequel aurait mordu un enfant de cinq ans sur le territoire de Charlemagne.[2]

[2]   Mateluna conteste la légalité de cette ordonnance pour deux motifs.  Premièrement, la demanderesse soutient que la Ville aurait agi en contravention de son obligation d’équité procédurale, notamment parce qu’elle n’aurait pas eu l’occasion de soumettre son point de vue au niveau de la dangerosité de son chien «Santos» et deuxièmement parce qu’à ses yeux les faits ne justifient pas une telle mesure.

LE CONTEXTE

[3]   Le 14 juillet 2022, le directeur général de la Ville, Olivier Goyet (ci-après «Goyet») est informé par un appel téléphonique de Diane Aubert (ci-après «Aubert») du Carrefour Canin, que la veille (13 juillet) un chien nommé «Santos», portant le numéro de licence #52188, a attaqué un enfant de cinq (5) ans et l’a mordu sévèrement à la joue droite.  Le chien a été remis volontairement au Carrefour Canin par sa propriétaire à la demande de la police.  Selon les premières observations dAubert, le chien en cause n’a pas d’inhibition à la morsure et représente un risque élevé de récidive; elle recommande dès lors l’euthanasie du chien mordeur.

[4]   Aubert transmet alors à Goyet une photographie du casque de vélo que portait présumément l’enfant lors de l’attaque du chien.  C’est la grand-mère de l’enfant qui a remis la photo du casque à Aubert.  On y observe des traces de sang, mais aussi des perforations du côté droit qui semblent incrustées dans le casque par l’effet d’une morsure.[3]

[5]   Le même jour, Goyet reçoit le rapport de police, lequel comporte la version de certains témoins et des photographies du lieu de l’événement.[4]  L’une des photographies montre des gouttes de sang dans la rue à l’avant de la propriété de la demanderesse.

[6]   La déclaration du grand-père de l’enfant relate que dans la soirée du 13 juillet 2022 il a vu le chien de type husky se ruer sur son petit-fils alors que celui-ci se trouvait sur sa trottinette dans la rue derrière un véhicule (VUS) stationné à proximité de la résidence de la demanderesse.  Selon le grand-père, il y avait alors deux chiens qui n’étaient pas attachés.

[7]   Toujours le 14 juillet 2022, la Ville reçoit de la part d’un médecin le signalement d’une morsure de chien ayant causé deux (2) lacérations profondes sur la joue droite de l’enfant mordu.[5]  Dix-huit (18) points ont été nécessaires pour suturer les lacérations sur la joue de l’enfant.  Un suivi médical sera requis.

[8]   Dans les jours qui suivirent l’événement, Goyet reçoit un appel téléphonique d’une résidente du quartier qui affirme que vingt (20) minutes avant l’attaque du chien, lors d’une promenade avec son propre chien, les deux chiens de la demanderesse ont manifesté un comportement plutôt agressif à son endroit.

[9]   Le 19 juillet 2022, Aubert, contrôleur animalier, confirme par écrit sa recommandation de procéder à l’euthanasie du chien.  Elle justifie sa recommandation par la gravité de la blessure infligée à l’enfant et du fait que l’attaque fut imprévisible et gratuite.[6]

[10]           Le 20 juillet 2022, lors d’une séance extraordinaire, les informations recueillies par Goyet sont présentées au Conseil municipal, lequel adopte la résolution # 22-07-189 par laquelle la Ville laisse connaître, en vertu de l’article 12 du Règlement d’application de la Loi visant à favoriser la protection des personnes par la mise en place d’un encadrement concernant les chiens (RLRQ, c. P-38.002 c.1) ( ci-après le «Règlement d’application»), son intention d’ordonner l’euthanasie du chien «Santos» en appuyant sa décision sur l’article 10 du Règlement d’application.[7]

[11]           La Ville s’autorise du pouvoir que lui confère l’article 10 parce qu’elle est d’avis que la blessure infligée par le chien à l’enfant s’avère «grave» au sens de cette disposition qui prévoit :

Art. 10.  Une municipalité locale ordonne au propriétaire ou gardien d’un chien qui a mordu ou attaqué une personne et qui a causé sa mort ou lui infligé une blessure grave de faire euthanasier ce chien.  Elle doit également faire euthanasier un tel chien dont le propriétaire ou gardien est inconnu ou introuvable.

Jusqu’à l’euthanasie, un chien visé au premier alinéa doit en tout temps être muselé au moyen d’une muselière-panier lorsqu’il se trouve à l’extérieur de la résidence de son propriétaire ou gardien.

Pour l’application du présent article, constitue une blessure grave toute blessure physique pouvant entraîner la mort ou résultant en des conséquences physiques importantes.[8]

                                                                                                (Nos soulignements)

[12]           Cette résolution sera communiquée le lendemain (21 juillet 2022) à la demanderesse afin qu’elle puisse faire valoir ses observations et, s’il y a lieu, produire des documents pour compléter son dossier.  Un délai de cinq (5) jours ouvrables est accordé à Mateluna pour y procéder.

[13]           Sans tarder (25 juillet 2022), la demanderesse exprime son intention d’être représentée par avocat et annonce qu’elle souhaite exercer des droits de visite auprès du chien, au Carrefour Canin de Lanaudière.

[14]           Le 26 juillet 2022, une résidente du secteur, madame Sara Robillard (ci-après «Robillard») informe la greffière de la Ville au sujet d’un événement survenu quelques mois plus tôt (décembre 2021), alors que le chien «Santos» se serait échappé de la résidence de la demanderesse pour s’immiscer sur son terrain et y tuer une de ses poules.  Des photos et une vidéo montrent la présence d’un chien ressemblant étrangement à «Santos» et la poule morte.[9]  Mateluna nie que ce soit son chien que l’on aperçoit sur la vidéo.

[15]           Pourtant, une carte d’appel de la police du même jour (8 décembre 2021) rapporte la présence d’un chien husky en liberté.  La police y indique l’adresse où «demeure» le chien et il s’agit bel et bien de l’adresse de Mateluna.  La carte d’appel révèle que : «La porte était entrouverte, la propriétaire dormait et le chien serait sorti.»[10]  Mateluna, à l’instruction, persiste à plaider qu’il existe plusieurs chiens husky(s) sur le territoire de Charlemagne et que c’est un autre chien que le sien qui se serait attaqué à la poule.  Déjà on constate que Mateluna s’autorise quelques écarts par rapport à la vérité, ce qui porte ombrage à sa crédibilité.

[16]           Le 27 juillet 2022, une autre résidente du quartier, Pamela Massie-Goulet (ci-après «Massie-Goulet») rapporte à la greffière de la Ville un événement distinct au cours duquel le chien «Santos» se serait échappé de la résidence de la demanderesse pour retontir sur son balcon, à la porte d’entrée, en jappant et grognant après elle de manière menaçante.[11]  Massie-Goulet appréhende une récidive et se dit très inquiète pour ses propres enfants et ceux qui fréquentent l’école primaire située à proximité.

[17]           Le 27 juillet 2022, Mateluna, par l’entremise de son avocat, transmet ses observations.[12]  Elle s’insurge contre l’avis d’intention de la Ville d’ordonner                     l’euthanasie de son chien.  Dans une version revancharde, Mateluna prétend que la victime alléguée (ce sont les termes utilisés) a démontré un manque flagrant d’éducation et blâme carrément les parents de l’enfant.

[18]           Contre toute attente, la première réaction de Mateluna consiste à rendre l’enfant (5 ans) responsable de l’événement du 13 juillet 2022.  Voici un extrait de sa lettre qui exprime bien la position de la demanderesse :

p. 5 : «Le moment où c’est (sic) produit l’incident, devant 3 témoins, l’enfant s’est rué à l’intérieur du terrain privé de notre cliente sur le chien Santos en l’approchant par derrière déclenchant ainsi une réaction de celui-ci.»

[19]           Le litige éclôt.  Mateluna annonce déjà son intention d’intenter un pourvoi en contrôle judiciaire et évoque la possibilité d’un litige coûteux pour les contribuables de Charlemagne.

[20]           Mateluna envisage la possibilité de faire examiner le chien «Santos» par un spécialiste en comportement canin dans le but d’obtenir une expertise sur le niveau de dangerosité de son chien.

[21]           Après avoir pris connaissance des observations de Mateluna et soupesé les nouvelles informations disponibles, le 29 juillet 2022, la Ville adopte la résolution #22-07-192, réaffirmant son intention, mais accordant toutefois à Mateluna un délai supplémentaire de vingt (20) jours pour qu’elle puisse procéder à l’expertise comportementale annoncée.

[22]           La résolution du 29 juillet 2022 intègre la nomenclature des nouvelles informations recueillies par la Ville.[13]  Cette résolution sera signifiée à la demanderesse et transmise à son avocat le 29 juillet 2022.

[23]           Le 2 août 2022, Mateluna nie, pour la première fois, que l’enfant portait un casque de vélo lors de l’événement du 13 juillet 2022 à l’occasion duquel le chien a mordu l’enfant.  Elle allègue que la Ville fait preuve de racisme à son endroit et laisse poindre une opposition farouche.[14]

[24]           Dans cette même missive du 2 août 2022, Mateluna annonce :

«Nous allons attendre de recevoir la réponse de votre cliente aux allégations ci-devant avant de procéder à la signification et à la production d’une ordonnance de sauvegarde et de pourvoi en contrôle judiciaire à son endroit.»

[25]           Sur ces entrefaites, la Ville reçoit le dossier médical de l’enfant qui révèle que la victime a subi deux (2) lacérations profondes à la joue droite, l’une de deux (2) centimètres et l’autre de cinq (5) centimètres.  Pour l’heure, la preuve disponible révèle que les lacérations ont laissé une importante balafre à la joue droite de l’enfant.

[26]           Le 4 août 2022, Charlemagne rappelle à la demanderesse quelle est dans l’attente de ses observations et documents supplémentaires.[15]

[27]           Ce n’est que le 11 août 2022 que la réponse viendra, laquelle mentionne que le spécialiste en comportement canin que Mateluna «envisage» de mandater est en vacances pour deux (2) semaines.  Elle demande un délai additionnel de trois (3) ou quatre (4) semaines.

[28]           Le 16 août 2022, Mateluna est informée que le Conseil de Ville se réunira le 22 août 2022 pour rendre une décision et qu’elle devra conséquemment compléter sa preuve documentaire le ou avant cette date.[16]

[29]           La Ville refuse de prolonger le délai de vingt jours.

[30]           En conséquence, le 22 août 2022, après avoir révisé l’ensemble du dossier, dont les plus récentes informations colligées, le Conseil municipal de Charlemagne adopte la résolution #22-08-211[17], laquelle ordonne l’euthanasie du chien de la demanderesse.

[31]           La résolution municipale du 22 août 2022 s’autorise cette fois-ci des pouvoirs conférés aux articles 9, 10 et 11 du Règlement d’application.

[32]           Autrement dit, la Ville déclare le chien «Santos» potentiellement dangereux parce qu’il a attaqué une personne et lui a infligé une «blessure» (art. 9).  Elle considère que la blessure subie par l’enfant s’avère «grave» (art. 10, ce qui, selon la Ville, entraîne automatiquement l’ordonnance d’euthanasie) et que, dans tous les cas, si la blessure n’était pas considérée comme étant «grave», les circonstances justifient (art. 11) l’ordonnance d’euthanasie, ce qui s’avère, au regard de la Ville, une mesure proportionnelle au risque que constitue le chien pour la santé ou la sécurité publique.

[33]           À défaut d’obtempérer à l’ordonnance d’euthanasie exécutoire le vendredi 26 août 2022, la Ville ordonne que le chien soit conduit à l’hôpital vétérinaire des Prairies (mise-en-cause) afin qu’il soit euthanasié à cette date.

[34]           Le litige s’envenime et explose littéralement.

[35]           Le 31 août 2022, le juge Labelle, j.c.s. prononce un jugement intérimaire par lequel il sursoit à l’exécution de l’ordonnance d’euthanasie du 22 août 2022, laquelle devenait exécutoire le 26 août 2022 (la demande en sursis était présentable dans la semaine précédente et fut reportée au 31 août 2022).

[36]           Le 29 septembre 2022, la juge Lalande, j.c.s. accorde à Mateluna un droit de visite du chien au Carrefour Canin.

[37]           Le 20 octobre 2022, la juge Perreault, j.c.s. rejette une demande de libérer le chien afin de le remettre à Mateluna.

[38]           À plus d’une reprise, Mateluna demande qu’on lui accorde une dérogation mineure afin de construire chez elle un enclos métallique haut de six (6) pieds afin d’y recevoir le chien.  Deux jugements, dont l’un du soussigné (10 novembre 2022), rejettent une demande mandatoire visant à forcer la Ville à émettre une telle dérogation mineure (mandamus).

[39]           Le 29 novembre 2022, le juge Brossard, j.c.s. accueille une demande en irrecevabilité partielle du recours intenté indûment par Mateluna, contre les membres du conseil municipal, personnellement, lesquels seront dorénavant exclus de la poursuite judiciaire.

[40]           Le 2 mai 2023, le juge Nollet, j.c.s. tranche cent quatre-vingts (180) objections soulevées majoritairement par le procureur de Mateluna lors des interrogatoires hors cour des principaux témoins de l’événement.  Le juge Nollet ne manque pas de souligner que le procureur de Mateluna (Me Raymond) a enfreint, de façon significative, la règle de proportionnalité et réserve à la défenderesse (la Ville), le droit de revendiquer au terme de l’instruction l’application de l’article 342 C.p.c. en raison des interrogatoires abusifs et d’un débat en très grande partie inutile (cette réclamation particulière fut réglée hors cour après l’intervention du Fonds d’assurance du Barreau, en raison d’un recours intenté contre Me Raymond personnellement).

[41]           Le 25 mai 2023, le juge Labelle, j.c.s. déclare admissibles en preuve les déclarations assermentées des agents Sirois et Turgeon (policiers).

[42]           Le 15 juin 2023, le juge Labelle, j.c.s. coordonnateur du district de Joliette, tient une conférence de gestion.

[43]           Le 21 juin 2023, le juge Labelle, j.c.s. rejette la demande de Mateluna visant à soumettre à l’appréciation d’un expert (examen technique) «le casque» que portait vraisemblablement l’enfant lors de l’attaque du chien.

[44]           Le 22 juin 2023, la cause est fixée pour une durée de trois jours.  L’instruction se tiendra les 23, 24 et 25 octobre 2023 devant le soussigné.  Au matin du deuxième jour de l’instruction, Mateluna se désiste de sa demande (art. 76 C.p.c.) à l’encontre du Procureur général du Québec, pour faire invalider une partie du Règlement d’application.

[45]           C’est dans ce contexte que le Tribunal devra trancher les questions en litige.

LES QUESTIONS EN LITIGE

A)    Les objections à la preuve de la Ville sont-elles bien fondées?

B)    Quelle est la norme de contrôle applicable aux résolutions adoptées par la Ville visant à ordonner l’euthanasie du chien «Santos»?

C)    La Ville a-t-elle respecté son obligation d’équité procédurale envers Mateluna?

D)    La décision de la Ville s’avère-t-elle raisonnable en fonction des contraintes factuelles et juridiques en cause?

ANALYSE ET RÉPONSE AUX QUESTIONS

A)    LES OBJECTIONS

[46]           Il importe de souligner que le juge Pierre Nollet, j.c.s., dans un jugement rigoureux prononcé le 2 mai 2023, a déjà tranché plus de cent quatre-vingts (180) objections formulées principalement par le procureur de la demanderesse dans le cadre de plusieurs interrogatoires tenus hors cour.

[47]           Suite à la notification de la déclaration assermentée de l’agent(e) Cassandra Turgeon (policière) (pièce MD-6), les procureurs de la Ville ont soulevé une objection à propos de l’opinion qu’exprimait celle-ci concernant la gravité de la blessure.

[48]           L’objection s’avère bien fondée.  L’opinion d’un témoin idoine qui se permet de qualifier les faits n’est pas recevable en preuve.  La question du procureur de la demanderesse, adressée à la policière dans le présent cas, à savoir «s’agit-il d’une blessure grave?», constitue une question illégale parce qu’elle sollicite du témoin ordinaire une opinion qualificative.  L’objection est donc maintenue.

[49]           Au terme de l’exposé de la preuve et des arguments en demande, le Tribunal a mentionné à la demanderesse qu’aucune preuve ne permettait de circonscrire le moment précis (fait juridique) auquel elle aurait confié un mandat à un expert en comportement canin après avoir manifesté son intention d’y procéder en juillet 2022.  La demanderesse a choisi de produire une déclaration assermentée explicative contenant certaines informations non documentées.  Le procureur de la Ville s’est objecté à cette façon de faire et à la production de la déclaration assermentée.

[50]           Bien que cela n’ait pas été discuté à l’instruction, le Tribunal pouvait fort bien (art. 268 C.p.c.) soulever une lacune dans la preuve de la demande (à tout moment) et permettre à la demanderesse de combler cette lacune.  C’est exactement ce qu’a fait la demanderesse en déposant une déclaration assermentée explicative en lien avec le mandat confié à l’expert Girard.  Reste à vérifier la valeur probante et le niveau de fiabilité de cette déclaration assermentée.

[51]           Cette preuve est recevable.  C’est le Tribunal qui a proposé de procéder par déclaration assermentée, ce qui entre dans les paramètres des conditions prévues à l’article 268 C.p.c.  L’objection sera donc rejetée.

B)    LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[52]           Il importe de savoir que le «Règlement d’application de la Loi visant à favoriser la protection des personnes par la mise en place d’un encadrement concernant les chiens»[18] ne prévoit aucun mécanisme de révision ou d’appel.  Le seul recours dont dispose le propriétaire du chien visé par une ordonnance d’euthanasie consiste dans un pourvoi en contrôle judiciaire en Cour supérieure.

[53]           Aussi faut-il constater que le Règlement d’application précité confère aux responsables municipaux divers pouvoirs qui sont clairement discrétionnaires.  Notamment le Conseil municipal doit décider :

53.1  - si la blessure infligée par le chien concerné s’avère une «blessure grave» (art. 10 du Règlement)

53.2 - si les circonstances particulières à chaque cas justifient l’ordonnance de faire euthanasier le chien (art. 11 du Règlement)

53.3 - si l’ordonnance s’avère proportionnelle au risque que constitue le chien (art. 11 in fine du Règlement)

[54]           Ces facteurs discrétionnaires doivent être exercés de façon quasi-judiciaire et sont en soi suffisants pour justifier un haut standard d’équité procédurale.  (Voir Road to Home Rescue Support c. Ville de Montréal, 2019 QCCA par. 40 et ss, et 71 et ss).

[55]           J’ai toujours été d’avis qu’il n’était pas nécessaire de déterminer une norme de contrôle pour l’examen judiciaire des questions relatives à l’obligation d’équité procédurale.  L’approche serait celle voulant que lorsqu’un tribunal constate un accroc à l’équité procédurale, une intervention s’impose pour circonscrire le redressement approprié (ex : retourner le dossier au décideur administratif avec des directives destinées à corriger l’accroc observé).

[56]           On peut aussi penser que lorsque la principale question en litige concerne la validité de l’ordonnance d’euthanasie en lien avec l’équité procédurale, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.[19]

[57]           En toutes circonstances, le résultat devrait être le même.  Si l’équité procédurale n’a pas été respectée, l’ordonnance d’euthanasie doit être cassée et le dossier retourné à la Ville afin de corriger la défaillance soulevée.[20]

[58]           À l’examen du Règlement d’application, le Tribunal constate que le législateur a prévu spécifiquement des modalités d’exercice des pouvoirs par les municipalités locales (art. 12 et ss du Règlement). Ainsi, il incombe aux municipalités locales désireuses de mettre en application le Règlement d’informer préalablement le propriétaire ou gardien du chien de son intention (ex : d’euthanasier le chien) ainsi que des motifs sur lesquels elles fondent leur décision.  Ce préavis d’intention doit indiquer le délai dans lequel le propriétaire ou gardien peut présenter ses observations et s’il y a lieu, produire des documents pour compléter le dossier.

[59]           Le Tribunal y voit un souci du législateur de mettre en place un profil de mesures destinées à consolider les normes fondamentales sous-jacentes à l’obligation d’équité procédurale et sûrement des modalités préalables (précautions) à observer pour éviter toute décision arbitraire et précipitée.  Nous reviendrons sur cet aspect.

[60]           Bref, les municipalités locales ne peuvent échapper aux règles d’équité procédurale en pareilles circonstances et la Cour supérieure est là pour exercer son devoir de contrôle et de surveillance en cas de contravention significative.

[61]           À propos de la norme de contrôle applicable à l’opportunité de la décision municipale d’ordonner l’euthanasie du chien «Santos» par l’effet de la résolution du 22 août 2022, les parties en conviennent et le Tribunal n’en disconvient pas, c’est la norme de contrôle de la décision raisonnable qui s’applique.  Il faut s’en remettre aux arrêts Vavilov[21] et Catalyst[22] de la Cour suprême du Canada pour en saisir la substantifique moelle.

[62]           Les municipalités ne jouissent d’aucun pouvoir leur étant directement accordé par la Constitution.  Elles n’ont que les pouvoirs que leur délèguent les législatures provinciales.  Cela signifie qu’elles doivent s’en tenir aux contraintes juridiques et législatives que la province leur impose, à défaut de quoi leurs décisions peuvent être annulées à l’issue d’un pourvoi en contrôle judiciaire.

[63]           En règle générale, les lois provinciales confèrent aux municipalités de larges pouvoirs discrétionnaires, étant donné qu’il s’agit d’institutions démocratiques qui doivent concilier des considérations juridiques et non juridiques, notamment sur les plans social, économique et politique.

[64]           Pour apprécier le caractère raisonnable d’une résolution municipale, il convient donc d’examiner le processus qui a mené à son adoption ainsi que sa teneur.

[65]           L’arrêt Vavilov constitue présentement l’arrêt fondamental concernant le contrôle judiciaire des décisions administratives de toutes sortes.

[66]           Au départ, le contrôle judiciaire repose sur la présomption que le tribunal de révision doit appliquer la norme de contrôle de la décision raisonnable.  La partie qui prétend que le décideur administratif a rendu une décision déraisonnable doit se décharger du fardeau de le démontrer.

[67]           Le tribunal de révision doit examiner le dossier dans son ensemble, à la recherche d’une justification claire de la décision.  Ainsi, une résolution municipale doit énoncer les motifs qui sous-tendent sa décision.

[68]           La décision doit être rationnelle, cohérente et logique.

[69]           Le résultat doit être conforme aux objets et aux réalités pratiques et témoigner d’une approche raisonnable, compte tenu des conséquences et des effets concrets de la décision.

[70]           L’analyse s’effectue en deux étapes :

70.1  - une décision raisonnable est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent;

70.2  - une décision raisonnable est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles qui ont une incidence sur la décision.[23]

[71]           Le tribunal de révision en application de la norme de contrôle de la décision raisonnable doit, avant d’intervenir, être convaincu que la décision attaquée souffre de lacunes graves à tel point qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence.[24]

[72]           La cour de justice doit être convaincue que la lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision s’avère suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable.[25]

[73]           Le rôle des cours de justice consiste, en pareil cas, à s’abstenir de trancher la question en litige.  Le tribunal de révision ne se demande donc pas quelle décision il aurait rendue à la place du décideur administratif.[26]

 

[74]           On peut donc présumer qu’un pourvoi en contrôle judiciaire pourra être accueilli à l’encontre d’une municipalité dans les cas suivants :

  • un acte ultravires
  • de fraude, de violation évidente de la loi, d’abus de pouvoir qui équivaut à fraude et entraîne une injustice flagrante
  • d’erreur déraisonnable ou de manquement à l’équité procédurale
  • de mauvaise foi
  • d’exercice d’un pouvoir discrétionnaire dans un but incorrect
  • de décisions arbitraires qui relèvent du caprice, de la fantaisie, de l’ignorance volontaire, de négligence, de considérations non pertinentes ou discriminatoires.

[75]           Autrement, il n’existe aucune présomption de validité des résolutions attaquées.

[76]           Toutefois, le principe de retenue judiciaire s’applique en raison de l’importance sociale et politique des administrations publiques locales, qui, de par leur nature de proximité avec leurs citoyens, sont plus sensibles aux problèmes locaux.[27]

[77]           Pour statuer sur le caractère raisonnable des résolutions adoptées par une administration municipale, les tribunaux doivent tenir compte du large pouvoir discrétionnaire que les législateurs provinciaux ont traditionnellement conféré aux municipalités en matière de législation déléguée.

[78]           Or, en l’instance, nous sommes en présence d’un Règlement d’application qui découle d’une loi provinciale.[28]  Le législateur a choisi de déléguer certains pouvoirs aux municipalités locales (art. 5 et ss du Règlement d’application).  Ce faisant, le législateur permet aux municipalités de faire intervenir une gamme de considérations non juridiques, notamment sur le plan social, avec l’objectif d’assurer ou, du moins, de favoriser la protection des personnes.  L’objet même de la loi et du Règlement d’application consiste à assurer la protection publique.

[79]           En dépit de ce qui précède, cet objectif de sécurité publique coexiste avec d’autres valeurs fondatrices qui trouvent leur expression, de diverses manières, dans l’ordre juridique positif.  Cette coexistence implique notamment que la sécurité publique doit parfois être mise en équilibre avec l’une ou l’autre de ces valeurs fondatrices.[29]

[80]           C’est exactement ce que devait faire la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Road to Home Rescue Support c. Ville de Montréal[30], alors qu’elle devait concilier les valeurs fondamentales reliées à la sécurité publique en lien avec les normes sous-jacentes à l’application de l’article 898.1 du Code civil du Québec, notamment celle qui veut que les animaux sont des êtres doués de sensibilité, qu’on ne peut traiter comme des objets.  La Cour devait aussi tenir compte des contraintes juridiques qui se dégagent de la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal.[31]  Nous y reviendrons.

[81]           C’est donc à travers ce prisme juridique que le Tribunal doit examiner la validité et l’opposabilité de l’ordonnance d’euthanasie du chien «Santos», adoptée par la Ville.

LA RÉVISION JUDICIAIRE

1)       Les contraintes juridiques

a)                                                                                                        L’équité procédurale :  C) La Ville a-elle respecté son obligation d’équité procédurale envers Mateluna?

[82]           Il va sans dire qu’à l’instar de tout organisme administratif, la Ville, dans la prise d’une décision particulière affectant les droits de l’administré, est assujettie à une obligation d’équité procédurale.[32]  Généralement, on reconnaît qu’une résolution adoptée par une municipalité est un acte administratif à portée particulière.

[83]           L’administré dont les droits sont affectés doit donc être avisé préalablement de la décision que l’autorité municipale s’apprête à rendre et doit avoir l’occasion de faire part de son point de vue au décideur, ce qui comprend l’opportunité de lui permettre de présenter les faits et les arguments ou même les documents qu’il estime pertinents, en temps utile.  L’autorité municipale doit considérer les observations soumises par l’administré même s’il n’est pas obligé d’y souscrire.

[84]           La mise en oeuvre du Règlement d’application en litige obéit à ce principe, d’autant plus que la Ville ordonne l’euthanasie d’un chien qui s’avère un être doué de sensibilité (art. 898.1 C.c.Q.).

[85]           En l’espèce, le «Règlement d’application de la Loi» prévoit des modalités particulières qui gouvernent les municipalités locales chargées de l’exercice des pouvoirs conférés par la Loi.  Il s’agit en quelque sorte d’un code à respecter pour tenir compte de l’équité procédurale à laquelle doit obéir l’autorité municipale avant de rendre exécutoire toute décision découlant de l’application du Règlement.

 

[86]           Il est à propos de reproduire les dispositions pertinentes :

12. Une municipalité locale doit, avant de déclarer un chien potentiellement dangereux en vertu des articles 8 ou 9 ou de rendre une ordonnance en vertu des articles 10 ou 11, informer le propriétaire ou gardien du chien de son intention ainsi que des motifs sur lesquels celle-ci est fondée et lui indiquer le délai dans lequel il peut présenter ses observations et, s’il y a lieu, produire des documents pour compléter son dossier.

13. Toute décision de la municipalité est transmise par écrit au propriétaire ou gardien du chien. Lorsqu’elle déclare un chien potentiellement dangereux ou rend une ordonnance, la décision est motivée par écrit et fait référence à tout document ou renseignement que la municipalité locale a pris en considération.

La déclaration ou l’ordonnance est notifiée au propriétaire ou gardien du chien et indique le délai dont il dispose pour s’y conformer. Avant l’expiration de ce délai, le propriétaire ou gardien du chien doit, sur demande de la municipalité, lui démontrer qu’il s’est conformé à l’ordonnance. À défaut, celui-ci est présumé ne pas s’y être conformé. Dans ce cas, la municipalité le met en demeure de se conformer dans un délai donné et lui indique les conséquences de son défaut.

14. Une municipalité locale peut désigner un fonctionnaire ou un employé de la municipalité responsable de l’exercice des pouvoirs prévus à la présente section.

                                                                                              (Nos soulignements)

[87]           En première ligne, on constate l’obligation de la Ville d’informer le propriétaire ou le gardien du chien de son intention ainsi que des motifs sur lesquels celle-ci est fondée et lui indiquer le délai dans lequel il peut présenter ses observations et, s’il y a lieu, produire des documents pour compléter son dossier.  Le délai que doit consentir la municipalité à l’administré n’est pas défini par le Règlement d’application.  Le Tribunal est d’avis qu’il doit s’agir d’un délai raisonnable qui doit tenir compte des circonstances particulières de chaque cas.

[88]           Lorsque la municipalité rend une ordonnance en vertu du Règlement d’application, sa décision doit être écrite, motivée et faire référence à tout document ou renseignement qui ont été pris en considération.  Cette ordonnance doit être par la suite notifiée au propriétaire ou gardien du chien à qui un délai pour s’y conformer est accordé.

[89]           Le Tribunal est d’avis que toute municipalité locale qui se conforme raisonnablement à ces modalités respecte conséquemment son obligation d’équité procédurale.

[90]           En revanche, l’administré doit faire preuve de diligence lorsqu’on lui laisse l’occasion de présenter ses observations et arguments.

[91]           En l’espèce, Mateluna, propriétaire du chien, pouvait et a eu l’opportunité de faire valoir ses observations, notamment sur les points suivants :

91.1    La blessure infligée par le chien à l’enfant s’avère-t-elle une blessure grave? (art. 10)

91.2      Les circonstances particulières à l’instance justifient-elles l’ordonnance de faire euthanasier le chien? (art. 11)

91.3   L’ordonnance sélectionnée (en l’instance l’euthanasie) s’avère-t-elle proportionnée au risque que constitue le chien ou le propriétaire pour la santé publique? (art. 11 in fine)

91.4      Quel est le niveau de risque que constitue le chien pour la santé ou la sécurité publique?

[92]           Un examen de la chronologie des faits pertinents en lien avec la notion d’équité procédurale s’impose pour bien comprendre la dynamique de confrontation qui régnait très tôt dans le cheminement qui a conduit à la décision finale du 22 août 2022 d’ordonner l’euthanasie du chien «Santos».

[93]           D’abord, rappelons que l’attaque du chien à l’endroit de l’enfant a eu lieu le 13 juillet 2022.  Après avoir recueilli les informations factuelles pertinentes du Carrefour Canin de Lanaudière, la Ville, le 20 juillet 2022, adopte une résolution (22-07-189) par laquelle elle annonce son intention d’ordonner l’euthanasie, conformément à l’article 12 du Règlement d’application (avis d’intention). Déjà, sept jours se sont écoulés depuis l’événement du 13 juillet 2022.  Dès le lendemain, 21 juillet 2022 (P-2.1), la Ville informe Mateluna de son intention d’ordonner l’euthanasie du chien (art. 10) et lui accorde cinq (5) jours ouvrables pour transmettre ses observations et produire les documents qu’elle estime nécessaires pour compléter le dossier de la Ville avant une décision finale.

[94]           Ce n’est que le 27 juillet 2022, par l’intermédiaire de Me Raymond (MC-11) que Mateluna fait valoir ses observations.  Déjà le ton de la correspondance est provocateur, on y allègue un «manquement flagrant d’éducation de l’enfant».  Dès lors, la version de Mateluna est à l’effet que l’enfant s’est rué à l’intérieur de son terrain privé en approchant le chien par derrière, provoquant ainsi une réaction du chien.

[95]           C’est à cette date que la demanderesse divulgue pour la première fois son intention de soumettre à la Ville une expertise réalisée par un spécialiste en comportement canin.

[96]           Dès cet instant, on comprendra que la teneur des informations glanées par la Ville diverge radicalement par rapport à la version de Mateluna à propos de l’événement du 13 juillet 2022.[33]

[97]           Mais il y a plus : Déjà le 27 juillet 2022, Mateluna fait écho de sa ferme intention de s’adresser à la cour en vue d’obtenir une ordonnance de sauvegarde afin de surseoir à l’euthanasie du chien.  La demanderesse scande dès cet instant son intention de contester toute décision, non prise à cette date, de la Ville qui viserait à faire euthanasier son chien (MC-11).  On apprendra plus tard que ce n’est que le 1er septembre 2022 qu’un mandat aurait été confié à l’expert Girard (comportement canin).

[98]           Le 29 juillet 2022, après avoir obtenu et pris connaissance de nouvelles informations (nous y reviendrons plus loin), la Ville adopte une seconde résolution (#22-07-192) réaffirmant son intention d’ordonner l’euthanasie du chien, mais accordant désormais un délai supplémentaire de vingt (20) jours à Mateluna pour procéder à l’expertise comportementale (MD-12) annoncée.

[99]           Le Tribunal est d’avis que le délai supplémentaire accordé par la Ville s’avère, dans les circonstances particulières à la présente instance, tout à fait suffisant et raisonnable, d’autant plus que la Ville savait très bien que les récriminations de Mateluna étaient pour le moins tendancieuses et qu’un litige âpre s’annonçait.

[100]       La preuve révèle qu’entre le 13 juillet 2022 ou du moins le 20 juillet 2022 (date du préavis d’intention) et le 1er septembre 2022, Mateluna n’a pas démontré la diligence requise (arrêt Road to home Rescue Support par. 71) pour s’acquitter de sa propre obligation de retenir, en temps utile, un expert compétent.

[101]       Le délai de vingt (20) jours de calendrier, accordé à la demanderesse, expirait le 18 août 2022.  Or, la preuve révèle que ce n’est que le 1er septembre 2022 qu’un mandat aurait été confié à l’expert Girard, soit une semaine après le dépôt d’un pourvoi en contrôle judiciaire et la demande de sursis afférente.

[102]       Le mandat a aussi été confié à l’expert Girard après la résolution du 22 août 2022, date à laquelle la Ville opte pour l’ordonnance définitive de procéder à l’euthanasie du chien.

[103]       Mais, encore une fois, il y a plus : présumant que le rapport de l’expert Girard eut été déposé à l’intérieur du délai de vingt (20) jours accordé par la Ville, cela n’aurait rien changé.  L’expertise produite s’avère hautement hypothétique lorsque mise en corrélation avec la preuve prépondérante de la véritable trame factuelle (nous y reviendrons dans les questions relatives aux contraintes factuelles) en ce que l’incident est survenu dans la rue et non sur le terrain de Mateluna à plus de trois pieds de la voie publique comme le prétend l’expert et qu’il s’agit bien d’une morsure contrairement à un simple contact accidentel des dents sur la joue, comme l’expose l’expert Girard.

[104]       De toute évidence, les conclusions de l’expert Girard furent induites par une description factuelle fabriquée de toutes pièces par la demanderesse et mal accrochée à la réalité flagrante qui veut que le chien «Santos» a mordu l’enfant sur la voie publique.

[105]       Constatons également que l’expertise fut elle-même réalisée le 14 septembre 2022, soit après l’introduction de la procédure judiciaire.

[106]           En toutes circonstances, la Ville aurait eu raison de se fier davantage et raisonnablement à la recommandation de Diane Aubert (MD-14.2) qui fait état d’une morsure qui fut infligée à l’enfant de manière imprévisible et gratuite, d’où la recommandation d’euthanasier le chien mordeur.

[107]           Bref, en respectant les prescriptions procédurales prévues aux articles 12 et ss du Règlement d’application, la Ville, en l’espèce, s’est acquittée de son obligation de respecter l’équité procédurale dont elle devait faire preuve en pareilles circonstances.

[108]           Le Tribunal est d’avis que le délai supplémentaire de vingt (20) jours consenti par la Ville par l’effet de sa résolution du 29 juillet 2022 s’avère raisonnable, tenant compte du litige acrimonieux annoncé par la demanderesse.

[109]           C’est la demanderesse qui n’a pas fait preuve de diligence dans le délai imparti (20 jours supplémentaires).  Elle ne peut s'en plaindre aujourd’hui.

[110]           Aussi doit-on considérer que la demanderesse a choisi d’axer son combat sur le comportement du chien alors que la question centrale consiste plutôt à déterminer si la blessure subie par l’enfant s’avère une «blessure grave» au sens de l’article 10 du Règlement d’application.

[111]           Quoi qu’il en soit, la demanderesse est mal venue de se plaindre d’un non-respect des règles sous-jacentes à l’obligation d’équité procédurale qui incombait à la Ville (art. 12 et ss du Règlement).

b)                  La conciliation entre le concept de bien-être et de sécurité de l’animal versus la protection de la sécurité publique

[112]       La question est celle de savoir si les dispositions pertinentes du Règlement d’application qui permettent d’ordonner l’euthanasie d’un chien mordeur ou déclaré dangereux sont conciliables avec l’article 898.1 C.c.Q. ou encore avec la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal ?

[113]       C’est par le truchement des principes qui ressortent de l’arrêt Road to Home Rescue Support c. Ville de Montréal (2019 QCCA 2187) qu’une seule réponse s’impose.  Il n’existe aucune incompatibilité entre le Règlement d’application et l’article 898.1 C.c.Q., ni avec la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal.

[114]       En dépit du principe voulant qu’un animal s’avère un être doué de sensibilité, ayant des impératifs biologiques (norme comportementale), il n’est pas interdit, en soi, d’abattre ou d’euthanasier un animal constituant une nuisance ou présentant un danger indu.

[115]       En revanche, l’objectif de sécurité publique (il ne faut pas oublier l’affaire Vadnais, un incident tragique lors duquel un pit-bull a mortellement mordu une résidente de Pointe-aux-Trembles) doit parfois être mis en équilibre et concilier avec les valeurs fondatrices de l’art. 898.1 C.c.Q. et de la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal.

[116]       Il faut en comprendre que si l’euthanasie de l’animal constitue une issue acceptable, la municipalité locale concernée devra dans l’intervalle prodiguer à l’animal les soins prévus à la loi et s’assurer que la procédure d’euthanasie, le cas échéant, soit effectuée dans le respect de la sensibilité de l’animal et d’une manière qui soit aussi douce que possible.  Ce que le législateur vise, c’est de proscrire la maltraitance menant à la mort et non l’euthanasie respectueuse des conditions prévues à l’article 12 L.b.s.a.[34]

[117]       Somme toute, le Règlement d’application demeure conciliable avec l’article 898.1 C.c.Q., et la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal. Il doit cependant être mis en application pour des motifs raisonnables et des impératifs légitimes de protection du public.[35]

c)     Pour choisir la mesure d’euthanasie, la Ville devait-elle consulter un médecin vétérinaire ou un expert comportemental?

[118]       Pour déclarer un chien (qui n’a pas mordu) potentiellement dangereux, une municipalité locale doit demander à son propriétaire, lorsqu’il existe des motifs raisonnables, de soumettre le chien en cause à l’examen d’un médecin vétérinaire afin d’évaluer son état et son niveau de dangerosité (art. 5 à 8 du Règlement).

[119]       Ainsi, un chien ne peut être déclaré potentiellement dangereux de manière arbitraire.  Si, cependant, le médecin-vétérinaire est d’avis que le chien constitue un risque pour la santé et la sécurité publique, la Ville peut ordonner à son propriétaire d’appliquer les normes de sécurité qui sont édictées aux articles 22 à 25 inclusivement du Règlement d’application (normes applicables aux chiens potentiellement dangereux).

[120]       C’est la seule partie du Règlement d’application qui prévoit spécifiquement le recours à un expert (vétérinaire).

[121]       Aucune disposition de la Loi ou du Règlement d’application ne fait référence à un expert comportemental.

[122]       Toutefois, comme nous le verrons plus tard, dans l’interprétation de l’article 11 du Règlement d’application, le propriétaire ou gardien du chien pourrait certainement soumettre, en temps utile, une expertise comportementale pour influencer la décision de la Ville en ce qui a trait au risque que constitue le chien problématique pour la santé ou la sécurité publique (art. 11 in fine).  Rappelons que l’ordonnance finale doit être proportionnelle au risque que représente l’animal.  Néanmoins, le législateur n’a pas posé cette exigence aux municipalités locales et sûrement pas lorsque l’article 10 du Règlement d’application (mort d’une personne ou blessure grave) s’applique.

[123]       Appelé à se prononcer sur l’effet concret du Règlement d’application, l’honorable juge Pierre Nollet, j.c.s. pose les principes juridiques suivants :

[50] Un chien peut être déclaré potentiellement dangereux dès lors qu’il y a morsure avec blessure sur une personne ou un animal sans qu’il soit nécessaire de faire une expertise comportementale.

 [51] Toutefois, la municipalité peut aussi exiger que le propriétaire du chien le soumette à l’examen d’un médecin vétérinaire.

 [52] Le rôle du vétérinaire est de donner son avis concernant le risque que constitue le chien pour la santé ou la sécurité publique.

 [53] Le vétérinaire peut fournir des recommandations sur les mesures à prendre à l’égard du chien ou de son propriétaire ou gardien.

 [54] C’est la Ville qui, après avoir considéré l’avis du médecin vétérinaire, a le pouvoir de déclarer un chien potentiellement dangereux.

 [55] En vertu de l’article 11 du Règlement provincial, la Ville peut, lorsque les   circonstances le justifient, ordonner l’euthanasie du chien potentiellement dangereux.[36]

                                                                                                (Nos soulignements)

[124]       Le Tribunal partage, emprunte et fait siens ces postulats juridiques.

[125]       Ainsi, comme l’a décidé le juge Nollet, rien n’oblige la Ville à consulter un vétérinaire ou un expert en comportement animalier avant d’ordonner l’euthanasie du chien en cause, un chien mordeur.

 

d)     L’interprétation des articles 8, 9, 10 et 11 du Règlement d’application à l’origine des attributions et de la décision de la Ville

[126]       Comme nous l’avons vu, de manière préventive, un chien «non mordeur» peut être déclaré potentiellement dangereux par une municipalité locale après avoir considéré le rapport d’un médecin vétérinaire qui examine son état et sa dangerosité, de même que le risque que le chien constitue pour la sécurité publique (art. 8).

[127]       Les normes de sécurité préventives applicables aux chiens déclarés potentiellement dangereux sont énoncées aux articles 22 à 25 du Règlement d’application.  Notons entre autres qu’un chien qualifié de dangereux ne peut-être gardé en présence d’un enfant de dix (10) ans ou moins que s’il est sous la supervision constante d’une personne âgée de dix-huit (18) ans et plus.

[128]       Le Tribunal en comprend que le législateur partage avec la population en général un souci de protection des enfants de moins de dix (10) ans dont le niveau de vulnérabilité s’avère plus grand.

[129]       En ce qui a trait au chien «mordeur», s’il a attaqué une personne ou un animal domestique et lui a infligé une «blessure», la municipalité locale peut aussi déclarer ce chien potentiellement dangereux (art. 9).

[130]       Dans l’un ou l’autre cas, la municipalité locale peut aussi appliquer les mesures prévues à l’article 11 du Règlement d’application :

11.  Une municipalité locale peut, lorsque des circonstances le justifient, ordonner au propriétaire ou gardien d’un chien de se conformer à une ou plusieurs des mesures suivantes:

  soumettre le chien à une ou plusieurs des normes prévues à la section IV ou à toute autre mesure qui vise à réduire le risque que constitue le chien pour la santé ou la sécurité publique;

  faire euthanasier le chien;

  se départir du chien ou de tout autre chien ou lui interdire de posséder, d’acquérir, de garder ou d’élever un chien pour une période qu’elle détermine.

L’ordonnance doit être proportionnelle au risque que constitue le chien ou le propriétaire ou gardien pour la santé ou la sécurité publique.

                                                                                                (Nos soulignements)

[131]       La différence majeure réside dans le fait que le chien soit un chien «mordeur» ou «non mordeur».  Dans le cas du chien «mordeur» qualifié de potentiellement dangereux, il n’est pas nécessaire pour la municipalité locale de considérer le rapport d’un médecin vétérinaire (art.9) ou d’obtenir une expertise comportementale.[37]  Par contre, si le chien n’a pas mordu, il peut tout de même être qualifié de dangereux si le médecin vétérinaire est d’avis qu’il constitue un risque pour la sécurité publique (art. 8).

[132]       Les articles 8 et 9 du Règlement d’application comportent un pouvoir discrétionnaire attribué aux municipalités locales.  Dans chaque cas de figure, le texte législatif utilise le mot «peut» aux fins de qualification du chien, à savoir s’il est «potentiellement dangereux» ou non.

[133]       Lorsque les circonstances le justifient au sens de l’article 11 du Règlement d’application (précité), rien n’oblige la municipalité locale à obtenir une recommandation d’euthanasie de la part d’un vétérinaire ou d’un expert en comportement canin.

[134]       Par ailleurs, la municipalité locale n’a pas de pouvoir discrétionnaire si le chien a mordu une «personne» et en a causé la mort ou lui a infligé une «blessure grave».  Dans ce cas, une seule mesure s’impose : l’euthanasie du chien (art. 10).

[135]       Il faut en comprendre que peu importe les circonstances (art. 11), s’il y a «mort» ou «blessure grave», une seule issue s’impose : l’euthanasie du chien.

[136]       Le législateur a confié aux municipalités locales la compétence de décider si la «blessure» infligée par le chien mordeur s’avère «grave» ou non.  Dans l’affirmative, une seule conclusion péremptoire s’impose et cela clôt le débat.

[137]       Pour aider les municipalités locales dans la prise de décision sous l’empire du Règlement d’application, le gouvernement provincial propose une définition de ce que constitue une blessure grave.  Voyons d’abord ce qu’en dit le Règlement :

Art. 10 in fine :  Pour l’application du présent article, constitue une blessure grave toute blessure physique pouvant entraîner la mort ou résultant en des conséquences physiques importantes.

                                                                                               (Notre soulignement)

[138]       Le Guide d’application (MD-2.2) propose la définition suivante de «blessure grave» :

«Dans le but de clarifier l’interprétation et de faciliter l’application de cette définition, voici des exemples de cas qui pourraient être considérés comme des «blessures graves» aux fins de l’application du Règlement :

  • Une blessure physique nécessitant une intervention de maintien en vie (ex. : intubation, ventilation assistée, réanimation cardiorespiratoire et contention d’une hémorragie grave);
  • Une blessure physique entraînant des conséquences importantes sur les fonctions physiologiques de la personne blessée (ex. :  fracture du crâne, perte de conscience et amputation d’un membre);
  • Une blessure physique ayant des conséquences importantes sur les fonctions motrices de la personne blessée (ex. : une paralysie totale ou partielle des membres ou du tronc);
  • Une détérioration de l’état physique de la personne blessée nécessitant une hospitalisation aux soins intensifs.

«Il est important de préciser que cette liste est non exhaustive et que les exemples fournis le sont à titre indicatif seulement.»

                                                                                    (Notre soulignement)

[139]       Rappelons que les municipalités locales sont des organismes administratifs de proximité en lien avec les personnes intéressées.[38]  C’est à elles que le législateur a choisi de déléguer le pouvoir d’appliquer le Règlement d’application.  La retenue judiciaire s’impose lorsque le législateur a attribué un rôle de décideur spécialisé aux municipalités locales et leur a conféré le pouvoir décisionnel de trancher les questions sous-jacentes à la mise en œuvre du Règlement d’application.

[140]       C’est aux municipalités locales que le gouvernement provincial a délégué le pouvoir décisionnel d’assurer la sécurité du public.  Pour ce faire, les municipalités locales peuvent adopter des mesures destinées à favoriser la protection des personnes en mettant en place un encadrement concernant les chiens dont la sanction la plus ultime permet l’euthanasie de l’animal.

[141]       C’est la protection du public qui demeure l’objectif primordial et davantage lorsqu’il s’agit d’un enfant vulnérable (moins de 10 ans).

[142]       Finalement, il convient de référer à l’article 2 de la Loi visant à favoriser la protection des personnes par rapport à la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal pour comprendre que c’est la sécurité publique qui doit avoir préséance :

Art. 2   Les dispositions de la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal (Chapitre B-3.1) ne peuvent être interprétées comme ayant pour effet d’empêcher l’application des dispositions d’un règlement pris en application de la présente loi.

[143]       Somme toute, une seule conclusion s’impose, la Ville possédait tous les attributs juridiques nécessaires pour adopter la décision finale de faire euthanasier le chien «Santos», un «chien mordeur».  Une expertise comportementale n’était pas nécessaire.  En ce sens, la décision de la Ville s’avère rationnelle, transparente et cohérente en fonction des contraintes juridiques applicables.

[144]       Reste à vérifier si les contraintes factuelles justifient le caractère raisonnable de la décision.

2)                                                                                                                                   Les contraintes factuelles :  D) La décision de la Ville s’avère-t-elle raisonnable en fonction des contraintes factuelles et juridiques (précitées)?

[145]       L’examen judiciaire sous le prisme du caractère raisonnable de la décision de la Ville passe par une vérification de la trame factuelle qui sous-tend chacune des résolutions adoptées par la Ville.  Les trois résolutions adoptées par la Ville sont-elles justifiées, rationnelles et cohérentes?

A)    La résolution du 20 juillet 2022 (MD-1.1)

[146]       Par cette résolution, la Ville campe initialement sa position en s’autorisant de l’article 10 du Règlement d’application.  Avec les informations disponibles à cette date, la Ville considère que la blessure infligée à l’enfant est «grave» et que des séquelles futures sont plausibles.  La Ville choisit alors d’annoncer à la propriétaire du chien son intention d’ordonner l’euthanasie de l’animal (art. 10) et accorde à la demanderesse un délai de cinq (5) jours ouvrables pour faire valoir ses observations et, s’il y a lieu, de communiquer tout document complémentaire.

[147]       Évidemment, le nœud gordien de toute cette affaire réside dans la qualification des blessures infligées par le chien à l’enfant.  Le Tribunal est d’avis que cette qualification appartient à l’appréciation de la Ville.  Bien que le Tribunal de révision ne soit pas nécessairement en accord avec la qualification retenue par le Ville (les blessures sont certes importantes), il n’en demeure pas moins que ce n’est pas le rôle du Tribunal de substituer sa décision à celle du décideur administratif si par ailleurs le choix de la Ville se situe à l’intérieur des issues possibles acceptables (par. 47 Dunsmuir).

[148]       Cette qualification de «blessure grave» à elle seule s’avère suffisante pour clore le débat (art. 10).  Dans ce cas, seule l’euthanasie doit constituer la mesure réglementaire applicable.

[149]       Le Tribunal constate qu’à la date du 20 juillet 2022, la Ville avait en main les éléments de preuve suivants :

149.1   La photo du casque (présumé porté par l’enfant au moment de l’événement du 13 juillet 2022 (MC-2)

149.2 le Règlement d’application

149.3 la fiche de signalement du médecin (MD-4.3.1)

149.4 la recommandation écrite de Diane Aubert datée du 19 juillet 2022 qui fait état du contexte de morsure imprévisible et gratuite (elle recommande l’euthanasie du chien)

149.5 le rapport de police (incluant des photos et déclarations) (MC-3)

149.6 la fiche d’admission du chien au refuge (MD-14.5)

[150]       À cette date, il ne faisait aucun doute que c’était bel et bien le chien «Santos» qui avait mordu l’enfant.

[151]       Le Tribunal est d’opinion que l’avis d’intention du 20 juillet 2022 s’avérait justifié, cohérent et rationnel en lien avec les faits connus à cette date.

[152]       Dès le lendemain (21 juillet 2022), le directeur de la Ville (Olivier Goyet) adresse une lettre à Mateluna, lui transmettant une copie de la résolution de la Ville et avisant celle-ci que l’enfant a dû être hospitalisé et qu’il a subi une chirurgie (MD-1.1).

[153]       Ce faisant, la Ville se conformait raisonnablement aux modalités d’exercice du pouvoir que lui confère le Règlement d’application (art. 12).

B)    La résolution du 29 juillet 2022 (MD-1.2)

[154]       C’est à cette date que le débat prend une nouvelle tournure.  En plus de la gravité de la blessure subie par l’enfant (art. 10), la Ville ajoute à ses motifs la notion de «chien potentiellement dangereux» (art. 9) et considère que les circonstances justifient (art. 11) l’ordonnance d’euthanasie.

[155]       Ainsi, la Ville modifie son avis d’intention et accorde dorénavant un délai supplémentaire de vingt (20) jours de calendrier à la demanderesse pour déposer son expertise comportementale (avant le 18 août 2022).  Par conséquent, la Ville reporte sa décision finale d’autant.

[156]       On le sait maintenant, ce n’est que le 1er septembre 2022 que la demanderesse confie un mandat d’analyse comportementale à l’expert Girard.  De toute évidence la demanderesse n’a pas fait preuve de diligence dans sa démarche.

[157]       À la date du 29 juillet 2022 lorsqu’elle adopte sa seconde résolution (22-07-192), la Ville détient d’autres informations :

157.1 le courriel de madame Sara Robillard du 26 juillet 2022 qui relate comment un chien loup se serait attaqué à l’une de ses poules (MC-5)

157.2 des photos de la poule (MC-6)

157.3 une vidéo de laquelle on peut voir un chien de type husky s’en prendre à une poule sur le terrain de madame Robillard (MC-7)

157.4 une carte d’appel du service de police de Repentigny qui réfère à un chien en cavale le 8 décembre 2021 et qui relate qu’un chien de type husky aurait attaqué des poules et que le chien demeure au [...] (adresse de la demanderesse) adresse à laquelle les policiers ont rencontré Ashley De Paul Mateluna (fille de la demanderesse) qui a expliqué que le chien serait sorti par une porte entrouverte alors qu’elle dormait dans la maison (nous sommes en décembre) (MC-8)

157.5 le courriel du 27 juillet 2022 de Pamela Massie-Goulet qui relate un événement survenu à l’automne 2021, au cours duquel le chien husky serait monté sur sa galerie, puis s’est mis à sauter dans sa porte d’entrée en jappant et grognant avec insistance.  Elle ajoute que le soir où le husky a attaqué l’enfant, elle est passée devant la maison de madame Mateluna et les chiens de celle-ci se sont mis à japper et grogner après madame Massie-Goulet (MC-9)

157.6  la lettre d’observations de madame Mateluna du 27 juillet 2022 qui annonce déjà son intention de procéder à un pourvoi en contrôle judiciaire et qui soutient que l’enfant s’est rué à l’intérieur de son terrain privé sur le chien en l’approchant par derrière, ce qui aurait déclenché la réaction du chien.

[158]       De toute évidence, au 29 juillet 2023, la Ville détenait amplement d’informations pour conclure que les «circonstances justifiaient» la décision de poursuivre ses démarches sous l’autorité de l’article 11 du Règlement d’application.

[159]       Le Tribunal est d’avis que cette seconde étape s’avère cohérente, intelligible et rationnelle en fonction de la preuve recueillie jusqu’alors.  Le délai de vingt (20) jours accordé par la Ville s’avère mesuré et suffisant en pareil cas.  La demanderesse, de son côté, choisit alors de se braquer en se réfugiant derrière une version mal accrochée à la réalité en blâmant l’enfant de cinq (5) ans et ses parents.  Nous y reviendrons.

[160]       Bref, la seconde résolution, celle du 22 juillet 2022, s’avère un geste raisonnable qui ne relève pas de l’arbitraire, mais autrement s’appuie sur une preuve convaincante.

[161]       Ce qui nous amène à la résolution finale qui conclut à l’ordonnance d’euthanasie du chien «Santos».

C)    La résolution du 22 août 2022 (MD-1.1)

[162]       Il s’agit de la pierre d’assise du processus décisionnel de la Ville d’ordonner l’euthanasie du chien «Santos».

[163]       L’exercice de révision judiciaire implique de scruter à la loupe le raisonnement adopté par le décideur administratif afin de vérifier si le syllogisme qui sous-tend la décision s’avère un cheminement logique, rationnel et transparent.

[164]       Examinons l’ensemble des «considérants» qui établit l’assise de la décision afin de déterminer s’ils répondent aux critères qui sous-tendent la norme de contrôle de la décision raisonnable.

[165]       Les faits qui ont servi à infléchir la décision de la Ville et son fondement:

165.1   Le 13 juillet 2022, sur le territoire de Charlemagne, un chien de race husky a attaqué un jeune garçon et lui a infligé deux lacérations au visage qui ont nécessité des points faits par plastie

165.2    De l’avis de la Ville, les blessures sont graves parce qu’elles entraînent des conséquences physiques importantes

165.3  N’eût été du port d’un casque de vélo par l’enfant, les conséquences de l’attaque auraient été plus graves

165.4 Le chien représente un risque important pour la sécurité du public en raison d’un niveau d’absence d’inhibition à la morsure

165.5 La recommandation claire et sans équivoque du Carrefour Canin de Lanaudière de procéder à l’euthanasie du chien

165.6 Que l’article 10 du Règlement s’applique en raison de la gravité des blessures infligées à l’enfant

165.7 Que la demanderesse a reçu deux avis d’intention lui accordant dans un premier temps 5 jours, puis subséquemment 20 jours pour faire valoir ses observations et produire des documents, le cas échéant

165.8 Que la demanderesse a réellement soumis ses observations par l’intermédiaire de son procureur le 27 juillet 2022

165.9 Considérant le témoignage de quelques résidents du quartier (Robillard et Massie-Goulet) à l’effet que le chien Santos a tué une poule et menacé un autre citoyen

165.10 Que la demanderesse allègue un manque d’éducation de l’enfant de 5 ans et un manque de surveillance parentale

165.11 Que selon madame Mateluna, l’enfant se serait rué à l’intérieur de son terrain privé en approchant le chien par derrière déclenchant ainsi la réaction du chien

165.12 Que la version de la demanderesse ne correspond pas aux déclarations recueillies par ailleurs et aux photographies prises par les policiers

165.13 Que les circonstances justifient en outre l’application des articles 9 et 11 du Règlement

165.14 La densité du secteur et la présence d’une école à proximité d’où les préoccupations importantes exprimées par plusieurs résidants à propos de l’agressivité du chien

165.15 Le risque que constitue le chien pour la santé ou la sécurité du public

165.16 La demanderesse a disposé d’un temps raisonnable pour produire une expertise comportementale

165.17 Le conseil refuse d’accorder un délai supplémentaire

165.18 La Ville déclare le chien «Santos» potentiellement dangereux au sens de l’article 9 du Règlement et;

165.19 Ordonne l’euthanasie du chien en date du 26 août 2022 à 18 heures

[166]       Si les faits à la base de la décision sont prouvés (balance des probabilités), la décision de la Ville passe remarquablement le test de la raisonnabilité.  La trame factuelle considérée s’avère transparente, les inférences tirées de certains faits sont précises, concordantes, défendables.  La logique privilégiée par la Ville est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et implacable qui prend appui sur une preuve bien étoffée.

[167]       Ce que dit la Ville, ni plus ni moins, c’est que la gravité des blessures subies par l’enfant justifie l’application de l’article 10 du Règlement d’application qui n’accorde aucune discrétion à la municipalité locale dans l’exercice du pouvoir délégué.  Sinon les circonstances justifient la mesure «d’ordonner l’euthanasie du chien» sous les auspices de l’article 11 du Règlement d’application.

[168]       Le Tribunal de révision est d’avis, d’une part, que la qualification des blessures subies par l’enfant (art. 10) appartient à la Ville et, qu’en l’espèce, cette qualification n’est pas déraisonnable. Même si ce n’est pas nécessairement la qualification qu’aurait retenue le Tribunal (voir guide de la notion de blessure grave, p.9), elle demeure une issue possible acceptable.[39]  Décider autrement aurait comme conséquence de réduire à néant l’autonomie décisionnelle de la Ville et amoindrir son rôle de gouvernement de proximité.  D’autre part, la décision de la Ville en ce qui a trait à l’application de l’article 11 s’avère aux yeux du Tribunal, non seulement raisonnable, mais mesurée et pleinement justifiée par l’ampleur de la preuve recueillie par les fonctionnaires municipaux.  Le chien «Santos» est un chien dangereux, trop souvent en cavale, qui manque de surveillance et d’éducation (voir commentaires subséquents) et qui représente un danger potentiel pour la sécurité publique.  Ici, nous ne sommes pas en présence d’un geste isolé, mais plutôt d’un comportement caractérisé. Somme toute, l’ordonnance d’euthanasie s’avère en l’espèce proportionnelle au risque que constitue le chien ou le propriétaire du chien ou gardien pour la santé ou la sécurité publique (art. 11 in fine) et, en ce sens, il s’agit d’une décision respectueuse des contraintes factuelles connues au moment de la décision finale adoptée par la Ville.

D)    Les faits contestés

a)     Le casque porté par l’enfant au moment de l’attaque

[169]       D’abord, plusieurs éléments de preuve convergent vers la conclusion qu’au moment de l’attaque, l’enfant portait bel et bien le casque de vélo que l’on voit sur plusieurs photographies (MC-2/MD-19.2 à MD-19.8).

[170]       Dès le lendemain de l’événement tragique, la grand-mère de la victime a transmis la photo du casque (MC-2.1) à Aubert (Centre Canin)[40] ce que confirme la déclaration assermentée de Nathalie Provencher (MD-12.2).  C’est la grand-mère de l’enfant qui a elle-même retiré le casque porté par celui-ci en le déposant sur le comptoir de la cuisine à son retour à la maison familiale après l’attaque du chien.  Le casque porte des empreintes de crocs de chien, du même côté que la morsure à la joue droite de l’enfant.  Le casque porte aussi des traces de sang qui, de toute probabilité, est celui de l’enfant.

[171]       Le fait que les policiers n’aient pas vu le casque à leur arrivée sur les lieux alors que l’enfant se dirigeait à l’hôpital ne contredit en rien le fait plausible que l’enfant portait le casque de vélo lors de l’attaque du chien.  La crédibilité de la grand-mère n’est pas mise en doute.

[172]       Nathalie Provencher, la grand-mère, a remis subséquemment à la Ville des photographies et une vidéo prise peu de temps avant l’incident.  Ces éléments de preuve démontrent que pour son cinquième anniversaire, une fête familiale avait été organisée à l’occasion de laquelle une nouvelle trottinette a été offerte en cadeau à l’enfant.  Une des photographies montre l’enfant portant le casque (de style mohawk) avant l’événement fatidique.  Plus tard, en début de soirée, les grands-parents ont pris une vidéo de l’enfant qui fait l’essai de la trottinette reçue en cadeau, dans la rue à proximité de la résidence de Mateluna.  Là encore, l’enfant porte le casque (MC-21 et MC-22).

[173]       Ces vidéos ont été prises quelques minutes avant l’attaque du chien.  Le Tribunal en infère que l’enfant portait bel et bien le casque de vélo lorsqu’il a été mordu par le chien «Santos».

[174]       La Ville a donc eu raison de conclure pertinemment que si l’enfant n’avait pas porté ce casque protecteur, il aurait été blessé plus gravement; cela coule de source.

[175]       L’hypothèse mal fagotée de la demanderesse selon laquelle le chien se serait levé sur ses pattes arrière et aurait accroché accidentellement le visage de l’enfant en redescendant s’avère en l’espèce invraisemblable.  La version de la demanderesse voulant que l’enfant ne portait pas de casque au moment de l’incident ne colle pas à la réalité la plus probable et constitue une fausse prémisse dont le seul objectif consiste à dénaturer volontairement les faits.  Reste que la preuve convaincante et pour le moins prépondérante permet de conclure que l’enfant portait le casque et que les marques incrustées dans le casque sont celles de la mâchoire supérieure du chien alors que les crocs inférieurs de la mâchoire du chien ont perforé et lacéré la joue droite de l’enfant lors de l’attaque par morsure. Les circonstances graves, précises et concordantes mises en preuve permettaient à la Ville d’arriver raisonnablement à la conclusion que, n’eut été du casque, l’enfant aurait subi des blessures plus graves.  Cette inférence s’avère cohérente, intelligible et le poids qu’accorde la Ville à ce facteur demeure bien mesuré; la déférence s’impose en l’absence d’erreur révisable selon la norme de contrôle de la raisonnabilité.

b)     L’endroit précis de l’attaque

[176]       Encore une fois, la preuve prépondérante permet de conclure que l’agression du chien est survenue dans la rue, derrière un véhicule stationné à proximité de la maison de la demanderesse et non pas sur son terrain.

[177]       Les photographies jointes au rapport de police montrent des traces de sang dans la rue.  Le grand-père a ramassé l’enfant dans la rue.  Selon sa version, l’enfant était dans la rue lorsqu’il a été attaqué et le chien n’était pas attaché.  Cette version est corroborée en partie par l’ex-conjoint de la demanderesse, monsieur De Paul, qui précise à deux reprises (interrogatoire du 22 novembre 2022) que le grand-père a récupéré l’enfant dans la rue derrière un véhicule stationné dans la rue.

[178]       La version de la demanderesse varie selon son intérêt.  Dans sa lettre d’observations du 27 juillet 2022, elle dit par l’intermédiaire de son procureur :

«Le moment où c’est (sic) produit l’incident, devant 3 témoins, l’enfant s’est rué à l’intérieur du terrain privé de notre cliente sur le chien Santos en l’approchant par derrière déclenchant ainsi une réaction de celui-ci.»

(p 51 mémoire) par. 117 (MC-11)

[179]       Dans sa demande introductive d’instance, la demanderesse tient un autre discours :

Par. 17  «Ashley est dans la partie arrière de son véhicule, le coffre ouvert et les quatre portes ouvertes complètement et à ce moment elle aperçoit quelque chose du coin de l’œil, et voie (sic) alors Santos sur ses pattes arrière léchant le visage de l’enfant X, pour dès ce moment se diriger rapidement vers les deux;»

Par. 18   «C’est après quelques secondes que la demanderesse se rend à quelques pieds derrière Santos, rendue devant la barrière et la main sur celle-ci, quelle voie (sic) Santos debout sur l’enfant qui le lèche.  C’est alors que la demanderesse baisse les yeux une demie seconde ouvre la barrière et entends (sic) un cri qui ne venait pas de l’enfant, pendant qu’elle entre dans son stationnement passer (sic) de l’autre côté, de la barrière.  Le cri ne vient pas de l’enfant;»

[180]       Puis le 14 septembre 2022, elle relate une toute nouvelle version à l’expert Girard (MD-19.5) et soutient dorénavant que l’enfant aurait surgi face au chien et que l’événement se serait déroulé dans son entrée de cour, sur son terrain.  De toute évidence, la demanderesse n’hésite pas à dénaturer les faits lorsque son intérêt est en jeu.

[181]       La version de la mère n’est pas plus fiable que celle de sa fille Ashley (toutes les photos montrent que son véhicule était stationné à reculons) dont le récit factuel suggère que l’enfant était debout dans le stationnement, que le chien avait ses pattes avant sur les épaules de l’enfant et lui léchait le visage (MD-10) et que pendant ce temps, selon Ashley, sa mère était sur le balcon (ce qui n’est pas la version de la mère).

[182]       Madame Mateluna et sa fille ont livré une version insidieuse des faits à l’expert Girard, qui se fonde donc sur une prémisse trompeuse pour tirer des conclusions qui manquent d’objectivité.

[183]       La preuve prépondérante permet à la Ville de conclure raisonnablement que l’attaque du chien est survenue dans la rue sur son territoire.

c)     La fiabilité de l’expertise comportementale

[184]       L’expert manque de crédibilité lorsqu’il dit :

p.2 … «La blessure à la joue de l’enfant a été causée par les dents du chien, mais il ne s’agit pas d’une morsure à gueule fermée.  La blessure peut avoir été causée par le contact des dents sur la joue, mais ne coïncide pas avec la morsure proprement dite.»

[185]       Monsieur Girard tient pour acquis comme prémisse que le chien était attaché sur le terrain de Mateluna, à plus de trois pieds de la voie publique.  Cet énoncé est totalement faux et laisse poindre un manque de fiabilité de l’expertise proposée par la demanderesse.

[186]       Puis, l’expert Girard commet une dichotomie simpliste lorsqu’il dit, dans un premier temps, que le chien «Santos» ne représente pas un risque pour la sécurité publique et que du même souffle, il soutient que le chien devrait être gardé sur un terrain clôturé d’un grillage métallique pour l’empêcher de sortir.  Selon l’expert, le chien ne devrait jamais être laissé sans surveillance à l’avant de la propriété.  Raisonnement fort surprenant !  L’expert savait-il que le chien a fréquemment été vu en cavale et qu’il a tué une poule chez un voisin, sans compter la menace qu’il représentait pour les voisins (madame Massie-Goulet)?

[187]       Décidément, l’expert ne connaît pas la véritable histoire du chien «Santos» ou il accepte sans explication de livrer une expertise complaisante qui soulève un doute quant à son impartialité.

[188]       L’explication de l’expert Girard au sujet du port du casque s’avère également non crédible, voire même alambiquée.  Les perforations apparaissant du côté droit du casque correspondent à la mâchoire supérieure du chien et les blessures à la joue droite de l’enfant, à la mâchoire inférieure de l’animal.  Tous les éléments de preuve convergent vers ce constat.  La proposition de l’expert relève d’une théorie conjecturale non soutenue par la preuve administrée par la Ville.

[189]       On peut penser que la Ville aurait pu attendre le rapport de l’expert Girard avant de prendre une décision finale, mais en toutes circonstances, l’issue aurait été la même.  La Ville, sans équivoque, en tant que protectrice de la sécurité publique était et demeure justifiée de s’en remettre à la recommandation de madame Aubert. Rappelons que l’autorité municipale n’est pas tenue de souscrire aux arguments et observations de l’administré(e).

[190]       Dans la présente instance, l’expertise de monsieur Girard est loin de revêtir le degré de fiabilité que lui prête la demanderesse et n’atteint pas l’objectif recherché au plan de la valeur probante.

[191]       La Ville était pleinement justifiée de conclure que le chien mordeur (Santos) représente un risque important pour la sécurité du public, notamment en raison de l’absence d’inhibition à la morsure comme le démontre l’ensemble de la preuve recueillie par la Ville.  Sa décision à ce sujet s’avère rationnelle, cohérente et intelligible.

d)     La poule morte

[192]       La demanderesse a soutenu à l’instruction par l’intermédiaire de son procureur que le chien husky que l’on voit sur la vidéo (MC-7) serait un autre chien que «Santos» et que rien ne prouve que c’est le chien qui a tué la poule.  Encore une histoire sophistiquée qui cherche à contourner la preuve prépondérante voulant que c’est le chien «Santos» que l’on aperçoit sur les vidéos.[41]

[193]       La carte d’appel du service de police de Repentigny ne ment pas et fait le lien entre la poule tuée et le husky qui se serait échappé du [...], résidence de la demanderesse (MC-8).  La version de Ashley de Paul Mateluna à l’effet qu’elle s’est rendue dans la cour de la voisine et qu’elle n’a vu ni poule, ni plumes par terre et aucune trace de sang, constitue une autre démonstration du sans-gêne et l’expression d’une volonté malséante à dénaturer la vérité pour servir ses propres intérêts (MC-23).  Cela démontre aussi le peu de souci manifesté par la propriétaire du chien «Santos» ou ses gardiens, de le laisser filer trop fréquemment en cavale dans le quartier.

[194]       La vidéo supplémentaire (MC-24) ne ment pas, c’est bien le chien Santos qui tient une poule dans sa gueule.

[195]       Le juge Nollet, j.c.s. l’a souligné à juste titre dans l’affaire Bastien : les municipalités locales sont autorisées (art. 2 à 4 du Règlement) à considérer les morsures antérieures.  Ici, la Ville détient la preuve irréfutable que le chien «Santos» a tué une poule en décembre 2021, elle pouvait certes en tenir compte dans la logique de sa décision.

e)     Le chien menaçant

[196]       La Ville pouvait aussi tenir compte de la déclaration d’une résidente du quartier (Massie-Goulet) qui relate un événement antérieur lors duquel le chien «Santos», en cavale et sans surveillance, a grimpé sur sa galerie et sans raison apparente, s’est mis à sauter dans sa porte d’entrée en jappant et grognant de manière menaçante.

[197]       Selon le courriel du 27 juillet 2022 de cette voisine (MC-9), à sa connaissance, le chien se serait évadé à plusieurs reprises.  Il pouvait se sauver et demeurer en liberté pendant 20 à 30 minutes avant que ses propriétaires ou gardiens le réalisent.  Madame Massie-Goulet n’a pas manqué de partager son inquiétude :

«De plus je m’inquiète énormément pour la sécurité des enfants du quartier parce que presque toutes (sic) la rue est rendu (sic) avec des jeunes enfants et surtout sans oublier l’école primaire qui est juste à coter (sic).»

[198]       Ne serait-ce qu’en raison de l’événement rapporté par une résidente voisine et l’inquiétude qu’elle manifeste pour les enfants du quartier (une école à proximité), la Ville était pleinement justifiée de conclure qu’elle était en présence d’un chien dangereux dans un secteur dense de la Ville et que le chien en question pouvait constituer un risque inacceptable pour la santé et la sécurité publique.  Le raisonnement de la Ville à ce sujet s’avère raisonnable.  C’est la sécurité publique qui doit primer, surtout celle des enfants vulnérables de moins de dix (10) ans, comme c’est le cas en l’espèce.

f)  Les versions contradictoires et la possibilité de conflit d’intérêts

[199]       La Ville devait choisir entre les informations objectives recueillies, y compris la recommandation de madame Aubert (d’euthanasier le chien), et la version tortueuse des événements de madame Mateluna et sa fille.  La Ville a fait un choix judicieux, dicté par l’intérêt public.  Impossible de conclure à un conflit d’intérêts comme le prétend la demanderesse et encore moins à un manque d’impartialité du Conseil, du directeur général Goulet ou de tout autre fonctionnaire municipal.  La preuve ne supporte pas cette hypothèse fantaisiste.

CONCLUSION RELATIVE À LA RAISONNABILITÉ DE LA DÉCISION DE LA VILLE

[200]       Au regard de ce qui précède, une seule conclusion s’impose, la Ville de Charlemagne a, conformément au Règlement d’application, raisonnablement conclu que le chien «Santos» a mordu et attaqué une personne, en l’occurrence un enfant de cinq (5) ans (art. 9), que le chien lui a causé une blessure grave (art. 10) et que, même si la blessure n’était pas grave au sens de la Loi et du Règlement, les circonstances particulières à la présente instance justifient (art. 11) la décision de la Ville de déclarer le chien «Santos» potentiellement dangereux et d’en ordonner l’euthanasie.

[201]       La demanderesse n’a pas démontré à la satisfaction de la cour que la décision administrative de la Ville souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence.

[202]       La décision de la Ville est fondée sur un raisonnement à la fois logique, rationnel et tout à fait justifié au regard des contraintes juridiques et factuelles précédemment discutées.  En clair, la décision de la Ville s’avère rationnellement défendable sous l’angle des faits et du droit.

COMMENTAIRES

[203]       Le Tribunal a visionné plusieurs vidéos pendant l’instruction, dont l’une prise par Mateluna et son ex-conjoint lors d’une visite au Centre canin où le chien demeure détenu.  Il n’est pas nécessaire d’être maître-chien ou expert en comportement canin, pour constater que le chien «Santos» a tendance à se cabrer fréquemment sur ses pattes arrière.  De toute évidence, il n’a pas reçu l’éducation nécessaire pour contrôler cette fâcheuse habitude, ce qui en fait un chien menaçant.  Ce constat soulève la question de savoir si la demanderesse et son entourage possèdent la compétence et les connaissances requises pour garder et manier un chien de ce gabarit.  La Ville n’a pas cru bon de soulever cette problématique, bien qu’elle pouvait le faire (art. 11 in fine).  En l’instance, le risque que constitue le chien peut aussi être associé à son propriétaire ou gardien.  Cet élément de preuve ajoute aux circonstances aggravantes.

[204]       Il est compréhensible que le débat entrepris suscite le réveil des passions, mais pas au détriment du recul de la raison.

POUR CES MOTIFS, le Tribunal :

[205]       REJETTE la demande de pourvoi en contrôle judiciaire (modifiée le 29 décembre 2022) de la demanderesse Claudia Mateluna-Ahumada.

[206]       DÉCLARE valides et opposables à la demanderesse Claudia Mateluna-Ahumada, les trois résolutions de la Ville de Charlemagne portant les numéros 22-07-189, 22-07-192 et 22-08-211, lesquelles furent adoptées respectivement les 20 juillet 2022, 29 juillet 2022 et 22 août 2022.

[207]       AVEC LES FRAIS de justice à la faveur de la Ville de Charlemagne et du Carrefour Canin.

 

 

 

__________________________________

JEAN-YVES LALONDE, J.C.S.

 

 

Me Bernard Twyford Raymond

Avocat de la demanderesse

 

 

Me Sébastien Dorion

Me Annie Daigneault

Dunton Rainville avocats

Avocats de la défenderesse Ville de Charlemagne

Carrefour canin

 

 

Me Julie Lapierre

Avocate de la défenderesse Procureur général du Québec

Hôpital vétérinaire des Prairies

 

Me Caroline Tremblay

Avocate du Fonds d’assurance responsabilité professionnelle du Barreau du Québec

 

Dates d’audience:

23, 24, 25 octobre 2023

 

 

TABLE DES MATIÈRES

Les origines du litige…………….………………………………………………...…………p. 2

Le contexte ………………………………………………………………….………………..p. 2

Les questions en litige……………………………………..………………….………….…p. 8

A)    Les objections à la preuve de la Ville sont-elles bienfondées?...........................................................................p. 8

B)    Quelle est la norme de contrôle applicable aux résolutions adoptées par la Ville visant à ordonner l’euthanasie du chien «Santos»……………………………………...………………..….p. 9

C)    La Ville a-t-elle respecté son obligation d’équité procédurale envers Mateluna?..................................................................p. 13

D)    La décision de la ville s’avère-t-elle raisonnable en fonction des contraintes factuelles et juridiques en cause?.......................p. 33

ANALYSE ET RÉPONSES AUX QUESTIONS

  Les objections……………………………………………….…………………….…p.  8

  La Norme de contrôle applicable………………………….…………………….….p. 9

  La Révision judiciaire………………………………………………………………p. 13

LES CONTRAINTES JURIDIQUES

a)       L’équité procédurale : C) La Ville a-t-elle respecté son obligation d’équité procédurale envers Mateluna?................ p.13

b)   La conciliation entre le concept de bien-être et de sécurité de l’animal versus la protection de la sécurité publique………….....p.17

c)   Pour choisir la mesure d’euthanasie, la Ville devait-elle consulter un médecin-vétérinaire ou un expert comportemental?........................................................................p. 18

d)   L’interprétation des articles 8, 9 ,10 et 11 du Règlement d’application à l’origine des attributions et décision de la Ville……………………………………………….….....………........p. 20

 

LES CONTRAINTES FACTUELLES 

 D) la décision de la Ville s’avère-t-elle raisonnable en fonction des contraintes factuelles et juridiques (précitées)?.............................................................................p.23

           A)   La résolution du 20 juillet 2022 (MD-1.1)………………….........................p. 23

  B)    La résolution du 29 juillet 2022 (MD-1.2)…….………….………………....p. 24

  C)    La résolution du 22 août 2022 (MD-1.1)…….…………………………..…p. 25

  D)    Les faits contestés………………………………………………………...…..p.28

               a)  Le casque porté par l’enfant au moment de l’attaque......p. 28

                           b)  L’endroit précis de l’attaque……………………………....p.29

c)  La fiabilité de l’expertise comportementale………............ p. 30

        d)  La poule morte………………………………………….…... p. 31

               e)  Le chien menaçant……………………………….....…..…..p. 32

          f)  Les versions contradictoires et la possibilité de conflit                  d’intérêts….……………....................................................... p. 33

Conclusion relative à la raisonnabilité de la décision de la Ville………………..…..p. 33

Commentaires…………………………………………………………….……………..….p. 33

Dispositif…………………………………………………………………….…………….…p. 34

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ANNEXE «A»

Règlement d’application de la Loi visant à favoriser la protection des personnes par la mise en place d’un encadrement concernant les chiens. RLRQ, c. P-38.002, r.1

 

5.  Lorsqu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un chien constitue un risque pour la santé ou la sécurité publique, une municipalité locale peut exiger que son propriétaire ou gardien le soumette à l’examen d’un médecin vétérinaire qu’elle choisit afin que son état et sa dangerosité soient évalués.

D. 1162-2019, a. 5.

 

6. La municipalité locale avise le propriétaire ou gardien du chien, lorsque celui-ci est connu, de la date, de l’heure et du lieu où il doit se présenter avec le chien pour l’examen ainsi que des frais qu’il devra débourser pour celui-ci.

D. 1162-2019, a. 6.

 

7. Le médecin vétérinaire transmet son rapport à la municipalité locale dans les meilleurs délais. Il doit contenir son avis concernant le risque que constitue le chien pour la santé ou la sécurité publique.

Il peut également contenir des recommandations sur les mesures à prendre à l’égard du chien ou de son propriétaire ou gardien.

D. 1162-2019, a. 7.

 

8. Un chien peut être déclaré potentiellement dangereux par la municipalité locale qui est d’avis, après avoir considéré le rapport du médecin vétérinaire ayant examiné le chien et évalué son état et sa dangerosité, qu’il constitue un risque pour la santé ou la sécurité publique.

D. 1162-2019, a. 8.

 

9. Un chien qui a mordu ou attaqué une personne ou un animal domestique et lui a infligé une blessure peut également être déclaré potentiellement dangereux par une municipalité locale.

D. 1162-2019, a. 9.

 

10. Une municipalité locale ordonne au propriétaire ou gardien d’un chien qui a mordu ou attaqué une personne et qui a causé sa mort ou lui a infligé une blessure grave de faire euthanasier ce chien. Elle doit également faire euthanasier un tel chien dont le propriétaire ou gardien est inconnu ou introuvable.

Jusqu’à l’euthanasie, un chien visé au premier alinéa doit en tout temps être muselé au moyen d’une muselière-panier lorsqu’il se trouve à l’extérieur de la résidence de son propriétaire ou gardien.

Pour l’application du présent article, constitue une blessure grave toute blessure physique pouvant entraîner la mort ou résultant en des conséquences physiques importantes.

D. 1162-2019, a. 10.

 

11. Une municipalité locale peut, lorsque des circonstances le justifient, ordonner au propriétaire ou gardien d’un chien de se conformer à une ou plusieurs des mesures suivantes:

  soumettre le chien à une ou plusieurs des normes prévues à la section IV ou à toute autre mesure qui vise à réduire le risque que constitue le chien pour la santé ou la sécurité publique;

  faire euthanasier le chien;

  se départir du chien ou de tout autre chien ou lui interdire de posséder, d’acquérir, de garder ou d’élever un chien pour une période qu’elle détermine.

L’ordonnance doit être proportionnelle au risque que constitue le chien ou le propriétaire ou gardien pour la santé ou la sécurité publique.

D. 1162-2019, a. 11.

§ 2.   Modalités d’exercice des pouvoirs par les municipalités locales

D. 1162-2019, ss. 2.

 

12. Une municipalité locale doit, avant de déclarer un chien potentiellement dangereux en vertu des articles 8 ou 9 ou de rendre une ordonnance en vertu des articles 10 ou 11, informer le propriétaire ou gardien du chien de son intention ainsi que des motifs sur lesquels celle-ci est fondée et lui indiquer le délai dans lequel il peut présenter ses observations et, s’il y a lieu, produire des documents pour compléter son dossier.

D. 1162-2019, a. 12.

 

13. Toute décision de la municipalité est transmise par écrit au propriétaire ou gardien du chien. Lorsqu’elle déclare un chien potentiellement dangereux ou rend une ordonnance, la décision est motivée par écrit et fait référence à tout document ou renseignement que la municipalité locale a pris en considération.

La déclaration ou l’ordonnance est notifiée au propriétaire ou gardien du chien et indique le délai dont il dispose pour s’y conformer. Avant l’expiration de ce délai, le propriétaire ou gardien du chien doit, sur demande de la municipalité, lui démontrer qu’il s’est conformé à l’ordonnance. À défaut, celui-ci est présumé ne pas s’y être conformé. Dans ce cas, la municipalité le met en demeure de se conformer dans un délai donné et lui indique les conséquences de son défaut.

 

 


[1]      L’utilisation des noms de famille dans le jugement a pour but d’alléger le texte et l’on voudra bien n’y    voir aucune discourtoisie à l’égard des personnes concernées.

 

[2]     Pièce MD-1.

[3]     Pièce MC-2.1.

[4]     Pièce MC-3 p.14.

[5]     Pièce MD-4.3.1

[6]     Pièce MD-14.2.

[7]     Les articles 5 à 13 inclusivement sont reproduits en Annexe A du présent jugement.

[8]     Voir pièce MD-1.1 du 20 juillet 2022.

 

[9]     Voir la pièce MC-5, MC-6 et MC-7 (vidéo).

[10]    Pièce MC-8.

[11]    Pièce MC-9.

[12]    Pièce MC-11.

[13]    Pièce MD-1.2.

[14]    Pièce MC-14.

[15]    Pièce MC-15.

[16]    Pièce MC-18.

[17]    Pièce MD-1.

[18]     Chapitre P.38.002, r1.

[19]     Trahan c. Ville de Montréal, 2019 QCCS 4607.

[20]     Auclair c. Ville de Montréal, 2018 QCCS 3937.

[21]     2019, CSC 65.

[22]     [2012] 1 R.C.S. 5.

[23]     Vavilov par. 101.

[24]     Vavilov par. 100.

[25]     Idem

[26]     Vavilov par. 83.

[27]    Restaurants Canada c. Ville de Montréal, 2021 QCCA 1639.

[28]    Loi visant à favoriser la protection des personnes par la mise en place d’un encadrement concernant les chiens, Chap. P-38.002.

[29]     Trahan c. Ville de Montréal, 2019 QCCS 4607 par. 28.

[30]     2019 QCCA 2187.

[31]     L.R.Q. B-3.1

[32]    Congrégation des témoins de Jéhovah de Saint-JérômeLafontaine c. Lafontaine (Village) [2004] 2 R.C.S. 650 et Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration [1999] 2 R.C.S. 817.

[33]     Pièce MC-11.

[34]    Art. 12 Lorsqu’un animal est abattu ou euthanasié, son propriétaire, la personne en ayant la garde ou la personne qui effectue l’abattage ou l’euthanasie de l’animal doit s’assurer que les circonstances entourant l’acte ainsi que la méthode employée ne soient pas cruelles et qu’elles minimisent la douleur et l’anxiété chez l’animal. La méthode employée doit produire une perte de sensibilité rapide, suivie d’une mort prompte. La méthode ne doit pas permettre le retour à la sensibilité de l’animal avant sa mort.

La personne qui effectue l’abattage ou l’euthanasie de l’animal doit également constater l’absence de signes vitaux immédiatement après l’avoir effectué.

 

[35]     Voir Bastien c. Ville de Montréal, 2022 QCCS 1742 par. 24.

[36]     Bastien c. Ville de Montréal, précité note 34.

[37]     Bastien c. Ville de Montréal, précitée par. 50.

[38]     Canada C. Vavilov, précité par. 29.

[39]   Un postulat juridique raisonnable peut-être une chose et son contraire, voir Béton Brunet ltée c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP), section locale 700, 2015 QCCA 188/ Même si le Tribunal a qualifié à première vue les blessures de graves dans un jugement interlocutoire du 10 novembre 2022./ Il est important de rappeler que la liste des exemples répertoriés au Guide d’application (MD-2.2) n’est pas exhaustive et que les exemples fournis ne le sont qu’à titre indicatif seulement, ce qui laisse une large discrétion aux autorités municipales chargées de mettre en application le Règlement.  Malgré le fait que la qualification choisie par la Ville n’aurait pas été forcément celle retenue par le Tribunal, il n’en demeure pas moins que le Tribunal de révision reste d’opinion que la Ville pouvait raisonnablement conclure que les blessures subies par l’enfant (des cicatrices importantes au visage) ont comme résultat des conséquences physiques importantes (art. 10 in fine).

[40]     Voir MD-14.4, déclaration assermentée de Diane Aubert du 10 novembre 2022.

[41]     Pièce MC-24.

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