Décision

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Optimum, société d'assurances inc. c. Ville de Trois-Rivières

2018 QCCQ 6099

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

TROIS-RIVIÈRES

LOCALITÉ DE

TROIS-RIVIÈRES

« Chambre civile »

N° :

400-22-009463-171

 

 

 

DATE :

25 juillet 2018

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

ALAIN TRUDEL, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

OPTIMUM, SOCIÉTÉ D’ASSURANCE INC.

Demanderesse

c.

VILLE DE TROIS-RIVIÈRES

Défenderesse

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           Subrogée dans les droits de ses assurées, Centre dentaire Sheila Lemay inc. et Placements Sheila Lemay inc., la compagnie d’assurance demanderesse réclame 22 175,59 $ à la Ville défenderesse.

 

[2]           Elle cherche à recouvrer les montants versés à ses assurées à titre d’indemnités d’assurance pour les dommages causés à leurs biens mobiliers et immobiliers à la suite d’un refoulement des égouts municipaux.

 

Notes préliminaires

 

[3]           À l’audience, les parties soumettent au Tribunal les admissions suivantes :

a)     La demanderesse, Optimum société d’assurance inc., assurait les biens de ses assurées Centre dentaire Sheila Lemay inc. et Placements Sheila Lemay inc., et ce, en vertu d’une police d’assurance portant le numéro GEN11016439, tel qu’il appert de la pièce P-1;

 

b)     Le ou vers le 25 juillet 2016, des dommages par eau ont été causés aux biens tant immobilier que mobiliers des assurées de la demanderesse, et à cette date, il y avait charge du réseau d’égout au même moment où se sont déroulés les dommages subis par les assurées de la demanderesse;

 

c)      Le réseau d’égout est la propriété de la défenderesse et à ce titre est sous sa garde et son contrôle;

 

d)     Les eaux de pluie sont évacuées par le drain situé sur le toit, lequel se jette dans le réseau de la Ville;

 

e)     Les dommages réclamés totalisent la somme de 22 175,59 $, tel qu’il appert de la pièce P-2;

 

f)       La demanderesse a transmis à la défenderesse l’avis de dénonciation du sinistre dans les délais prescrits par la Loi et l’a formellement mis en demeure, tel qu’il appert de la pièce P-3.

 

Question  en litige

 

[4]           Le litige soulève la question suivante :

 

·      Propriétaire et gardienne de son réseau d’égout, la Ville défenderesse peut-elle être tenue responsable des dommages consécutifs au refoulement survenu le 25 juillet 2016?

 

Mise en contexte

 

[5]           Le 25 juillet 2016, une importante pluie s’abat sur la région de Trois-Rivières.

 

[6]           En mi-journée, l’immeuble appartenant et occupé par les assurées de la demanderesse est inondé des suites d’un refoulement des égouts municipaux.

 

[7]           Le bâtiment construit à la fin des années 1950 est ainsi fait que les eaux de pluie qui s’accumulent sur le toit sont évacuées vers les égouts municipaux par un drain de toit ainsi qu’une colonne unitaire qui dessert les appareils sanitaires de l’immeuble.

 

[8]           Malgré que la tuyauterie de l’immeuble soit munie de clapets en conformité à la règlementation municipale, les eaux usées jaillissent d’un drain de plancher et endommagent les biens des assurées de la demanderesse.

 

[9]           Ces dernières sont indemnisées par la demanderesse pour une somme de 22 175,59 $ qui est réclamée, par un recours subrogatoire, de la Ville défenderesse.

 

Les prétentions

 

[10]        La demanderesse invoque à son bénéfice la présomption de faute du gardien d’un bien découlant du fait autonome de celui-ci prévue à l’article 1465 du Code civil du Québec.

 

[11]        Elle plaide que cette présomption de faute s’applique en l’espèce sans qu’elle n’ait à démontrer la cause exacte du sinistre.

 

[12]        Elle ajoute qu’elle n’a commis aucune faute et que la défenderesse ne peut s’exonérer de sa responsabilité ayant été elle-même négligente en ne prenant aucune disposition particulière et raisonnable pour éviter ce sinistre.

 

[13]        La défenderesse soumet pour sa part que la demanderesse n’a pas fait la démonstration par une preuve probante des conditions d’application de la présomption de faute prévue à l’article 1465 du Code civil du Québec.

 

[14]        Elle ajoute que puisque la plomberie de l’immeuble était munie d’un clapet de sûreté, il appartient alors à la demanderesse de prouver que le non-fonctionnement du clapet découle d’une faute de la défenderesse.

 

Analyse et décision

 

[15]        Le régime général de la responsabilité civile délictuelle commande que pour avoir gain de cause, la demanderesse démontre, par la présentation d’une preuve prépondérante, que la défenderesse a commis une faute, qu’elle a subi un préjudice et qu’il existe un lien de causalité (cause à effet) entre la faute et les dommages allégués.

 

[16]        La demanderesse prétend avoir subi un préjudice causé par le refoulement des égouts de la Ville défenderesse. Elle invoque à son bénéfice la présomption de faute qui découle des dispositions de l’article 1465 du Code civil du Québec qui énonce :

 

« 1465. Le gardien d’un bien est tenu de réparer le préjudice causé par le fait autonome de celui-ci, à moins qu’il prouve n’avoir commis aucune faute. »

 


[17]        L’auteur Jean-Louis Baudouin mentionne dans son traité sur la responsabilité civile:

« La victime qui veut se prévaloir du régime de l’article 1465 CCQ doit en établir les conditions que sont l’existence d’un préjudice, le fait autonome d’un bien identifié et la garde du défendeur.  Si elle réussit à le faire, le fardeau de la preuve est alors transféré au défendeur.  La victime est donc dispensée de prouver la faute du gardien de même que la cause exacte de l’accident, du moment que celui-ci ait été relié au fait autonome du bien.  On insiste généralement sur le premier élément, mais peu sur le second lequel permet un allègement de la preuve du lien causal. »[1]

 

[18]        La Cour d’appel dans l’arrêt Dicaire c. Ville de Chambly[2] énonce : 

 

[19] Les actes de l'administration publique sont soumis au régime général de la responsabilité civile (1376 C.c.Q.) sous réserve d'une disposition de droit public qui en restreindrait l'application.  En l'espèce, aucune règle de droit public ne permet de déroger aux règles générales de la responsabilité civile.

 

[20] Il est acquis au débat que Chambly est la gardienne du réseau d'égout qui a débordé et provoqué les inondations de juillet 1997.  En cette qualité, elle est soumise au régime particulier de l'article 1465 C.c.Q.  Cet article établit une présomption de faute et non de responsabilité, comme l'a noté la Cour dans l'arrêt Brown c. Hydro-Québec :

 

Cet article [1465 C.c.Q.] ne crée pas une présomption de responsabilité mais une présomption de faute susceptible d'être renversée par simple preuve de l'absence de faute.  Le gardien doit démontrer qu'il a pris les moyens raisonnables pour prévenir le fait générateur des dommages.  Il peut s'exonérer par une simple preuve générale d'absence de faute. L'appréciation est faite en tenant compte de la norme de conduite de la personne prudente et diligente placée dans les mêmes circonstances.

 

[21] C'est aussi le fardeau retenu par la juge de la Cour supérieure qui conclut que « le gardien de la chose peut s'exonérer en prouvant l'impossibilité d'empêcher la survenance des dommages par des moyens raisonnables eu égard aux circonstances ».

 

[22] En conséquence, il faut mesurer la conduite de Chambly à l'aune d'une municipalité prudente et diligente placée dans les mêmes circonstances.  Cette conduite doit être examinée à toutes les étapes pertinentes : conception du réseau, mise en place, extensions et entretien.

 

[23] En cette matière comme dans d'autres, il faut se méfier de la sagesse rétrospective.  Son application risque de faire supporter à la gardienne de la chose un fardeau trop lourd.  Il ne faut pas se demander, dans l'absolu, ce que l'administration aurait pu faire et vérifier par la suite ce qui a été accompli.  Il faut plutôt examiner, en fonction des circonstances propres à chaque affaire, si les mesures prises étaient suffisantes et adéquates selon la norme ci-haut mentionnée. »

 

[19]        Ainsi, dans la mesure où la démonstration est faite que la Ville de Trois-Rivières est gardienne du réseau d’égout et que la demanderesse démontre qu’elle a subi un préjudice causé par le fait autonome du réseau d’égout, la présomption de faute de l’article 1465 du Code civil du Québec s’applique.

 

[20]        Puisqu’il s’agit d’une présomption relative, la Ville défenderesse peut s’exonérer de sa responsabilité. Pour ce faire, elle doit prouver un motif d’exonération, tel que la force majeure, la faute d’un tiers ou de la victime ou encore l’absence de faute. Il appartient alors au gardien du bien de démontrer qu’il a pris les moyens raisonnables pour prévenir le fait générateur des dommages et qu’il lui était impossible d’en empêcher la survenance par des moyens raisonnables selon les circonstances.

 

[21]        Plus particulièrement, en matière de refoulement d’égout, la règlementation municipale permet aux villes de s’exonérer en prévoyant qu’elles ne sont pas responsables si l’immeuble inondé n’était pas muni d’un clapet. Lorsque cette preuve est établie, il revient alors à la victime de prouver que même avec un tel dispositif, le refoulement aurait eu lieu.

 

[22]        La jurisprudence a également déterminé que dans la situation où un refoulement d’égout survient malgré la présence d’un clapet, il y a lieu de présumer que le fonctionnement du clapet est inadéquat. Dans ce cas, il appartient alors à la victime de faire la preuve du contraire et démontrer que le mauvais fonctionnement du clapet ne peut être imputable au mauvais état de fonctionnement du clapet lui-même.[3]

 

[23]        La défenderesse plaide l’absence de faute. Elle précise qu’elle a pris les moyens raisonnables pour éviter ou prévenir le fait générateur des dommages. Elle ajoute que le refoulement a été causé par la faute des assurées de la demanderesse qui ont maintenu en place un système d’évacuation des eaux de toiture non conforme à la règlementation municipale.

 

[24]        Qu’en est-il?

 


[25]        Il est admis que la défenderesse est propriétaire et gardienne du réseau d’égout qui dessert l’immeuble des assurées de la demanderesse. En ce sens, le régime particulier de responsabilité de l’article 1465 du Code civil du Québec s’applique à la situation sous étude.

 

[26]        La demanderesse est donc dispensée de prouver la faute de la défenderesse de même que la cause exacte du refoulement.

 

[27]        À titre de gardienne du réseau, cette dernière peut s'exonérer en prouvant l'impossibilité d'empêcher la survenance des dommages par des moyens raisonnables eu égard aux circonstances. Le Tribunal doit donc mesurer la conduite de la défenderesse en comparaison à celle d'une municipalité prudente et diligente placée dans les mêmes circonstances.

 

[28]        La défenderesse n’a offert aucune preuve relative à la qualité de la conception du réseau, à sa mise en place, non plus qu’aux efforts déployés pour son entretien. On peut ainsi difficilement conclure qu’elle a fait la démonstration qu’elle a pris les moyens nécessaires et raisonnables pour empêcher la survenance des dommages subis par les assurées de la demanderesse, eu égard aux circonstances de l’affaire.

 

[29]         Elle ne remet pas véritablement en question le fait que l’immeuble des assurées de la demanderesse était muni d’un clapet qui était en bon état de fonctionnement, le tout conformément aux obligations règlementaires en vigueur. D’ailleurs, les conclusions de l’expert Lalonde démontrent clairement que le clapet desservant la plomberie de l’immeuble était, au jour du sinistre, en bon état de fonctionnement et qu’il était bien entretenu et que le refoulement ne peut être imputable au mauvais état de fonctionnement du clapet lui-même.

 

[30]        La défenderesse plaide cependant que la non-conformité des installations d’évacuation des eaux de toiture, qui se drainent par une colonne unitaire à même les égouts municipaux, est à l’origine des dommages.

 

[31]        Elle précise qu’au jour du sinistre, la plomberie de l’immeuble endommagé contrevenait aux dispositions de l’article 563.76 du Règlement sur la construction, sur la sécurité incendie, sur les branchements de service et sur diverses autres matières afférentes « Le règlement », adopté bien après la construction de l’immeuble, qui énonce :

 

« 563.76.  Les eaux de pluie d’un bâtiment à toit plat ou à toit incliné ne peuvent être évacuées vers un égout sanitaire ou vers un égout unitaire. »

 

[32]        En fait, elle tente de faire reposer la survenance du refoulement sur les épaules de la victime.

 

[33]        Dans l’affaire Promutuel du Lac au Fjord c. Ville de Saguenay[4], la juge Lavoie rappelle les principes suivants :

 

« [33]        Comme le Tribunal l’a déjà souligné, l’obligation du gardien est une obligation de moyen, donc de prudence et de diligence raisonnable. (…) Quoi qu’il en soit, bien que la Ville n’est pas tenue de fournir à ses citoyens un réseau d’égout sanitaire et pluvial parfait, elle doit prendre les mesures appropriées pour fournir à ses citoyens un réseau adéquat.

 

(…)

 

[35]        En effet, la jurisprudence a interprété les clauses d’exonération comme permettant au gardien de se dégager de sa responsabilité en prouvant la faute d’un tiers, la force majeure, la faute de la victime ou son impossibilité à prévenir le préjudice. De façon concrète, une preuve scientifique de diligence est presque nécessaire à l’exonération du gardien. Pour se libérer de ce fardeau de preuve, il se doit pratiquement de prouver la cause exacte du sinistre ou de l’accident. Ainsi, cette preuve permet de le dissocier totalement de l’accident. Par ailleurs, s’il est incapable d’avancer une telle preuve, il doit tenter de cerner les causes possibles de l’accident et encore, prouver qu’en regard de celles-ci, son comportement était sans reproche. Il doit nécessairement y avoir une preuve générale d’absence de faute en fonction des causes probables de l’accident. »

 

[34]        À la lumière de ces enseignements et en l’absence de preuve relative à la qualité de la conception du réseau, à sa mise en place, à sa capacité non plus qu’aux efforts déployés pour son entretien, il faut retenir que la proposition de la défenderesse n’est recevable seulement si, d’une part, elle convainc le Tribunal que le non-respect de la règlementation municipale concernant l’évacuation des eaux de pluie accumulées sur les toits plats par les assurées de la demanderesse constitue une faute, et d’autre part, si elle démontre que le refoulement origine du non-respect de la règlementation municipale.

 

[35]        D’abord, au sujet du premier volet de la proposition de la défenderesse concernant le non-respect de la règlementation municipale, le Tribunal fait siens les propos du juge Beauregard dans l’affaire Ville de Trois-Rivières c. Caumartin[5] lorsqu’il mentionne :

 

« [9]                L'appelante ne propose pas qu'à l'époque où les bâtiments en cause ont été construits, ils étaient en contravention de quelconques dispositions réglementaires.

 

[10]           Mais l'appelante nous propose que, lors des inondations qui nous intéressent, il y avait bien longtemps que les intimés auraient dû rendre leur système de plomberie conforme au Code de plomberie du Québec qui, depuis 1951 pour de grands bâtiments, et, depuis 1963 pour tous les bâtiments, exigent que les eaux pluviales et les eaux sanitaires d'un bâtiment soient évacuées par des colonnes pluviales et des colonnes de renvoi séparées et indépendantes.

 

[11]           La proposition est mal fondée: pas plus que les dizaines de milliers de propriétaires au Québec qui se trouvaient dans la même situation que la leur, les intimés avaient-ils l'obligation de faire des débours considérables pour rendre leurs systèmes de plomberie conformes à des dispositions du Code de plomberie qui ont été adoptées après la construction de leurs bâtiments, lesquelles dispositions n'ont pas pour but de préserver la vie, la santé ou la sécurité des occupants.

 

[12]           Si les intimés n'avaient pas cette obligation formelle, le fait de ne pas rendre leurs systèmes conformes à ces dispositions ne constitue pas une faute. Il incombait à l'appelante d'avoir un égout suffisant pour recevoir et les eaux usées et l'eau de pluie des bâtiments en cause. L'appelante ne pouvait se libérer de cette obligation sous prétexte que les intimés pouvaient se protéger contre la capacité insuffisante de son égout. La responsabilité de l'appelante n'est pas anéantie ou diminuée du fait que les intimés n'ont pas pris des moyens extraordinaires pour se prémunir contre les conséquences de la faute de l'appelante. D'ailleurs, qu'un propriétaire ait ou n'ait pas l'obligation d'installer un système de gicleurs automatique dans son bâtiment, la ville qui, par sa faute, allume un incendie dans ce bâtiment peut-elle nier sa responsabilité au motif de l'absence d'un système de gicleurs automatique? Le voleur peut-il invoquer la faute de sa victime qui n'aurait pas verrouillé sa porte?

 

[13]           L'installation de deux colonnes séparées et indépendantes constitue un filet de sécurité contre l'incurie de la ville et l'absence d'une telle installation ne constitue pas une faute contributive des dommages causés par la capacité insuffisante de l'égout municipal. »

           

(Nos soulignés)

 

[36]        Le non-respect de la règlementation municipale adoptée après la construction de l’immeuble des assurées de la demanderesse et la preuve qu’aucun changement n’a été apporté aux installations de plomberie depuis ne peuvent être constitutifs de faute.

 

[37]        Quant à la cause du refoulement, la thèse de la défenderesse sous-entend que le choc des pressions exercées sur le clapet par l’eau provenant des égouts de la défenderesse (de l’extérieur) et celles découlant de l’eau de toit drainée par la colonne unitaire (de l’intérieur) sont à l’origine, par un effet de succion, de l’ouverture du clapet, de son obstruction par une saleté quelconque et par voie de conséquence, de l’infiltration des eaux souillées dans l’immeuble

 

[38]        Il est vrai que le plombier Éric Lalonde soulève cette hypothèse selon laquelle la cause du refoulement relève du choc des pressions d’eau sur le clapet et de l’effet de la succion qui en découle. Or, la preuve ne permet pas de conclure qu’une telle pression a été exercée sur le clapet. Cette hypothèse est certainement possible, mais rien n’indique qu’elle puisse être certaine et encore moins probable dans les circonstances de l’affaire.     

 

[39]        En résumé, le Tribunal conclut que la défenderesse ne s’est pas déchargée de son fardeau de prouver qu’elle a agi en personne prudente et diligente dans la mise en place, la conception et l’entretien de son réseau d’égout selon les circonstances de l’affaire. Elle n’a pas non plus prouvé la faute de la demanderesse et aucune preuve prépondérante ne permet de conclure que les installations de plomberie des assurées de la demanderesse sont à l’origine du sinistre.

 

[40]        La défenderesse plaide que la demanderesse ne peut profiter du fait qu’elle détient un droit acquis pour éluder sa responsabilité et fonder son recours contre elle sur la situation dérogatoire de la plomberie de son immeuble.

 

[41]        Elle souligne au Tribunal les propos du juge Morin dans l’affaire Caumartin précitée lorsqu’il s’exprime à ce sujet, à savoir :

 

« [43]           Il me paraît bon de souligner ici que nous ne nous trouvons pas dans un cas de loi ou de règlement ayant un effet rétroactif.  C'est plutôt la règle de l'effet immédiat ou de l'effet général de la loi qui s'applique ici.

 

[44]           Peut-on contrer cette règle par l'application de la thèse des droits acquis?  Même si on répondait affirmativement à cette question, cela ne justifierait pas le recours intenté par les intimés contre l'appelante.  En effet, si les droits acquis pouvaient être invoqués par les intimés en défense à un recours intenté par l'appelante pour les forcer à se conformer à la règlementation, je ne vois pas, par contre, comment ils pourraient invoquer les droits acquis pour poursuivre l'appelante en dommages-intérêts à la suite de dommages subis par suite de leur non-application du règlement.  En d'autres mots, je ne peux imaginer comment une partie pourrait invoquer une situation dérogatoire en sa faveur pour appuyer une réclamation relative à des dommages résultant de cette situation. »

 

[42]        Ici, la demanderesse n’invoque d’aucune manière la situation dérogatoire de la plomberie de l’immeuble de ses assurées mais fonde plutôt sa réclamation sur la faute de la défenderesse qui n’a pas su fournir un réseau d’égout fonctionnel dans les circonstances et bénéficie en ce sens du régime particulier de l’article 1465 du Code civil du Québec et des présomptions qui en découlent.

 

[43]        La défenderesse connaît la situation dérogatoire de l’immeuble en cause au moment de l’adoption du règlement. Pour paraphraser le juge Beauregard dans l’affaire Caumartin, l’adoption d’un tel règlement n’a pour effet que de constituer un filet de sécurité contre les faiblesses de son réseau d’égout face à certaines installations de ses contribuables permettant l’évacuation des eaux de toiture.

 

[44]        Il incombe à la Ville de s’assurer de mettre en place un réseau d’égout avec une capacité suffisante pour recevoir les eaux usées et eaux de pluie des bâtiments desservis, ce qui, de toute évidence, n’a pas été fait. Par surcroît, contrairement à ce que la règlementation prévoit en matière de clapet de sécurité, la défenderesse ne s’est pas prévalue de la possibilité de s’exonérer pour les dommages subis par les contribuables qui ne se conforment pas au « règlement ».

 

[45]        Avec égards, il ne s’agit pas ici d’une question de droits acquis mais plutôt de savoir si la défenderesse peut faire porter à la demanderesse la responsabilité de ne pas s’être conformée à la règlementation municipale alors que rien ne l’obligeait à le faire.   

 

[46]        La responsabilité de la défenderesse envers la demanderesse est donc engagée.

 

POUR TOUS CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

 

[47]        ACCUEILLE la demande introductive d’instance;

 

[48]        CONDAMNE la défenderesse à payer à la demanderesse la somme de 22 175,59 $ avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, et ce, à compter du 3 août 2016;

 

[49]        LE TOUT avec les frais de justice, y compris les frais d’expertise de Plomberie Éric Lalonde au montant de 1 338,29 $

 

 

__________________________________

ALAIN TRUDEL, J.C.Q.

 

Me Aurélie Figuet

Donati Maisonneuve s.e.n.c.r.l.

Avocats de la demanderesse

 

Me Ghislain Lavigne

Lambert Therrien s.e.n.c.

Avocats de la défenderesse

 

Date d’audience :

30 mai 2018

 



[1]     Baudouin, Jean-Louis, Deslauriers, Patrice et Moore, Benoît, La responsabilité civile, 8e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, 2 volumes, 1-975;

[2]     2008 QCCA 54

[3]     Central Mutual Insurance Co. c. Naudville (Ville de), C.A., 1972-01-31

[4]     2014 QCCS 3790

[5]     C.A., 2004-01-13, SOQUIJ AZ-50213899

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