Directeur général des élections du Québec c. Dufour | 2025 QCCQ 3998 |
COUR DU QUÉBEC |
|
CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC |
DISTRICT DE | CHICOUTIMI |
LOCALITÉ DE | SAGUENAY |
« Chambre criminelle et pénale » |
N° : | 150-61-038946-245 |
|
DATE : | 20 août 2025 |
_____________________________________________________________________ |
|
SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE LOUIS DUGUAY JUGE DE PAIX MAGISTRAT | |
_____________________________________________________________________ |
|
DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ÉLECTIONS DU QUÉBEC |
Poursuivant |
c. |
JULIE DUFOUR |
Défenderesse |
_____________________________________________________________________ |
|
JUGEMENT
|
_____________________________________________________________________ |
|
| | | | | | |
I. INTRODUCTION
- À tous les quatre ans se tiennent au Québec, début novembre, les élections municipales.
- Lors du dernier scrutin tenu le 7 novembre 2021, les électeurs de Saguenay optent pour un changement à la mairie alors que Mme Julie Dufour, (« la défenderesse »), l’emporte sur la mairesse sortante, Mme Josée Néron.
- Depuis lors, un nouvel agenda se définit et nombre d’affaires défraient la chronique à Saguenay. L’une d’entre elles concerne particulièrement la défenderesse en ce qu’elle aurait, dans les mois précédant son élection, contrevenu à trois reprises à la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités[1] (« la Loi »).
- Ainsi, au chef numéro 1 du constat d’infraction, le directeur général des élections du Québec (« le poursuivant ») reproche à la défenderesse d’avoir, le ou vers le 9 février 2021, tenté d’obtenir que M. Jean-Marc Crevier s’abstienne de poser sa candidature lors de l’élection en lui promettant quelque charge ou emploi, et ce, contrairement à l’article 590 par.1° de la Loi[2]. Cette dernière lui aurait alors promis de l’embaucher à titre de négociateur pour la ville s’il ne se présentait pas à la mairie.
- De plus, au chef numéro 2, le poursuivant reproche à la défenderesse d’avoir, le 24 juin 2021, tenté d’obtenir le retrait de M. Serge Simard de la course à la mairie en lui promettant, dans son cas, un avantage, soit des considérations futures.
- Finalement, la même infraction est reprochée à la défenderesse au chef numéro 3 à l’égard de Mme Jacinthe Vaillancourt. Le 22 juillet 2021, elle lui aurait en effet promis un emploi au sein de son cabinet, à condition qu'elle ne pose pas sa candidature à la mairie.
- La défenderesse nie les infractions qui lui sont reprochées. Ne témoignant pas lors du procès, elle présente sa version des faits via ses deux déclarations assermentées, produites en preuve, par le poursuivant[3].
II. IDENTIFICATION DES QUESTIONS EN LITIGE
- Le présent dossier soulève plusieurs questions en litige. Elles sont énumérées comme suit :
- L’infraction prévue à l’article 590 par.1° de la Loi appelle-t-elle la preuve d’une intention malveillante?
- Par ailleurs, quel sens faut-il donner aux termes « avantage » et « promettant » employés à cet article?
- Finalement, suivant la preuve :
- Les explications données en défense sont-elles crédibles?
- Le cas échéant, le poursuivant a-t-il présenté, pour sa part, une preuve hors de tout doute raisonnable au soutien des chefs d’accusation?
III. MISE EN CONTEXTE
A. M. Jean-Marc Crevier
- Syndicaliste de carrière, M. Crevier est conseiller municipal de la Ville de Saguenay depuis 2017. Sans aucune affiliation à un parti politique, il siège au Conseil municipal ainsi qu’au Conseil d’arrondissement de Jonquière.
- Durant son témoignage, M. Crevier rapporte avoir été invité par la défenderesse à passer à son bureau au sortir d’une réunion du conseil d’arrondissement tenue le 9 février 2021. En tête à tête, la défenderesse, alors présidente du conseil, lui mentionne avoir fait le tour du jardin et elle lui annonce sa décision de se porter candidate à la mairie alors que ce dernier y songe lui-même. Elle lui dit également qu’il est un bon négociateur, ajoutant : « Si tu ne te présentais pas, je pourrais t’embaucher quelques jours par semaine. Ce serait aussi payant, même plus, que conseiller, et moins stressant ». M. Crevier dit s’être alors senti insulté car il est étonné que la défenderesse fasse fi de son parcours de représentant et de négociateur syndical. Il ignore alors l’illégalité de ce qui vient de se passer. Il ne l’apprendra que lors d’une rencontre avec la mairesse de l’époque, Mme Josée Néron. Cette dernière l’incite à porter plainte mais il refuse.
- Suivent les élections et l’arrivée de la nouvelle mairesse.
- Petit à petit, les relations entre M. Crevier et la défenderesse s’enveniment. Des désaccords s’accumulent dans la foulée d’une série d’évènements reliés au congédiement du directeur général de la Société de transport de Saguenay et de celui de la greffière de la ville.
- C’est alors qu’il revoit, en 2023, l’ancienne mairesse, au hasard d’une audition en lien avec ces affaires. Lui faisant part de son exaspération à l’endroit de la défenderesse, M. Crevier revient sur sa décision et se dit maintenant prêt à témoigner de ce qui s’est passé en 2021. Mme Néron prend la balle au bond et porte elle-même plainte en juillet 2023 auprès du directeur général des élections du Québec (« le DGEQ »), M. Crevier maintenant son désir d’agir simplement comme témoin, sans plus.
- M. Crevier rencontre par la suite l’enquêteur du DGEQ, M. Pierre Dufour. Une déposition, enregistrée sur vidéo est complétée mais avant de ce faire, M. Crevier donne, le premier septembre 2023, une entrevue à la radio[4] dans laquelle il lance ses accusations.
- L’entrevue fait grand bruit et provoque l’entrée en scène de M. Serge Simard.
B. M. Serge Simard
- Candidat défait lors de l’élection à la mairie de novembre 2021, M. Simard possède de nombreuses années d’expérience en politique. D’abord conseiller municipal à Saguenay au début des années 2000, il est ensuite élu député de Dubuc. Ministre pendant un temps, battu, puis réélu, il est resté député jusqu’à sa défaite aux élections générales de 2018. Puis, en décembre 2020, il fait son retour en politique, en annonçant publiquement sa candidature à la mairie de Saguenay[5]. Terminant troisième derrière la mairesse sortante et la défenderesse, il quitte définitivement la politique.
- Toutefois, un événement provoque le retour de M. Simard dans la sphère médiatique. Il écoute l’entrevue de M. Crevier relatant l’offre que lui aurait faite la défenderesse d’un emploi comme négociateur pour la ville s’il s’abstenait de se présenter à la mairie. Il entend Crevier déclarer, qu’outre lui-même, il n’y a pas d’autre témoin de la rencontre et que ce sera sa parole contre celle de la défenderesse. M. Simard réagit alors vivement. Outré du manège de la défenderesse, il décide alors de contacter la station de radio et donne à son tour une entrevue y relatant qu’il lui est arrivé la même chose.
- La nouvelle a l’effet d’une bombe.
- Lors du procès, M. Simard reprend les propos tenus lors de son entrevue radiophonique. Il affirme avoir été invité par la défenderesse à se rendre chez elle, à Shipshaw. Tous deux sont alors candidats annoncés à l’élection contre la mairesse sortante, ils sont seuls lors de la rencontre. Ils échangent des généralités, parlent de la ville et de choses et d’autres. M. Simard dit alors : « Julie, tu ne m’as pas fait venir chez vous pour me dire seulement ça ». Et la défenderesse de lui rétorquer: « J’aimerais que tu ne te présentes pas. » M. Simard lui répond qu'il a déjà constitué son équipe et qu'il souhaite mettre son expérience au service de la population. « S’ils me disent non, Just too bad! le bonhomme s’en va chez eux. » dit-il. La défenderesse ajoute alors : « Il pourrait y avoir des considérations ». M. Simard rétorque : « Non, moi, c’est réglé. La démocratie est ainsi faite et c’est comme ça que ça va se passer, ma candidature n’est pas à vendre ». Ignorant que les propos de la défenderesse puissent constituer une infraction, il ne s’en scandalise pas outre mesure, rappelant simplement qu’il « n’embarque pas dans ça » puis quitte les lieux.
C. Mme Jacinthe Vaillancourt
- Dernière personne concernée par les chefs d’accusation, Mme Vaillancourt connaît la défenderesse depuis 2018. Consultante en entreprise, elle offre à la défenderesse des services de coaching et d’accompagnement depuis lors, et ce, jusqu’au moment où elle rejoint l’équipe électorale de cette dernière, début 2021.
- Directrice de la campagne, Mme Vaillancourt recrute rapidement des personnes autour d’elle et participe à quelques réunions du comité électoral, et ce, jusqu’en juillet. Par ailleurs, elle mentionne qu’elle se sent de plus en plus mal à l'aise dans l’organisation de la défenderesse. Entre autres, à une occasion, une conférence de presse est convoquée sans qu’elle en soit informée. Elle n'apprécie guère non plus le style trop directif de la défenderesse. Elle songe à quitter l’équipe et même à se porter candidate à la mairie.
- Ainsi, le 23 juillet 2021, elle invite la défenderesse chez elle. Elle lui fait part de son insatisfaction et déplore le manque de communication au sein de l’équipe. Elle mentionne même qu’elle songe à se présenter à la mairie. La défenderesse lui rétorque : « C’est impossible, tu ne connais rien, tu ne seras jamais capable ». Au cours de l’échange, Mme Vaillancourt se rappelle dire à la défenderesse : « Ah bien Julie, je pense que je ne te ferai jamais ça ». L’échange se poursuit et la défenderesse lui dit : « Jacinthe, reste avec moi. Tu vas être comme la mairesse, tu vas me suivre partout, dans les ministères, le gouvernement. Tu me connais, mon caractère. Si je bifurque un peu, tu vas aller réparer ça ».
- Finalement, Mme Vaillancourt quitte l’équipe de la défenderesse. Elle se porte candidate à la mairie et sera défaite par la suite.
D. Mme Julie Dufour
- Comme mentionné précédemment, le poursuivant produit deux déclarations assermentées de la défenderesse[6]. Complétées après que leurs versions sont connues du public via les médias locaux, la première couvre les propos tenus lors de ses rencontres avec M. Crevier et M. Simard. De même, la deuxième est rédigée après que la défenderesse ait été avisée de la plainte de Mme Vaillancourt. Incidemment, ces déclarations sont complétées, puis transmises, par l’avocat de la défenderesse, au DGEQ.
- Énergiquement, la défenderesse y conteste les plaintes portées contre elle et profite de ses déclarations pour donner sa propre version des faits.
- Pour ce qui est de M. Crevier, la défenderesse se rappelle l'avoir invité à son bureau pour lui annoncer qu’elle se présentait à la mairie. Une discussion s’ensuit au cours de laquelle ce dernier lui dit ne pas se présenter à la mairie et qu'il n'est pas certain de se représenter comme conseiller; il lui dit aussi qu’une candidature à la mairie, « c’est trop d’ouvrage » et qu'il est « tanné » du poste de conseiller. La défenderesse mentionne alors vanter ses mérites et saluer son expérience. Puis, la conversation bifurque. Alors que la défenderesse lui fait part de sa vision des choses, de la dépolitisation souhaitable des rôles occupés par les conseillers au sein des commissions de travail de la ville, M. Crevier, questionnant sa place au sein de l’organisme Promotion Saguenay, lui dit : « C’est quoi, tu veux m’acheter? Tu ne veux pas que je me présente? Tu veux me faire fermer la gueule? »
- La conversation se termine ainsi alors que la défenderesse lui dit qu’ils auront de bons débats s’il se présente à la mairie et que, si elle devient mairesse et que lui reste conseiller, il lui fera plaisir de travailler avec lui.
- Cela résume la version de la défenderesse concernant sa rencontre avec M. Crevier.
- Quant aux circonstances entourant sa rencontre avec M. Serge Simard, la défenderesse affirme ne pas avoir souhaité de le convaincre « dans un sens ou dans l’autre, ou de tenter, même subtilement ou indirectement, de le dissuader de quoi que ce soit ». Elle mentionne avoir « rapidement compris que monsieur Simard s’était déplacé pour tenter de me convaincre de lui laisser libre passage en retirant ma candidature et l’appuyant ». Condescendant, il lui dit que c’est à son tour d’être maire, et ce, tout en la dénigrant, affirmant qu’elle est trop naïve et qu’elle a un problème d’image.
- Malgré tout, la défenderesse déclare réagir positivement, soulignant à M. Simard l’importance et le plaisir des débats publics à venir.
- Finalement, dans sa deuxième déclaration assermentée, la défenderesse offre sa version des faits en regard de la plainte de Mme Jacinthe Vaillancourt.
- Dans un premier temps, la défenderesse souligne les liens particuliers l’unissant à Mme Vaillancourt, cette dernière ayant agi dans le passé comme consultante voire confidente et l’ayant épaulé, dans une période difficile de sa vie.
- Quant à la rencontre du 22 juillet 2021, la défenderesse confirme le témoignage de Mme Vaillancourt selon lequel leurs rapports se sont dégradés lors de de la campagne électorale alors que celle-ci lui mentionne être moins à l’aise et moins confiante dans les succès de l’équipe. Par ailleurs, tout au long de la conversation, elles discutent des rouages de la politique et du fonctionnement d’un cabinet à la mairie mais jamais n'est-il question d'un poste ou d'un salaire en particulier.
- Finalement, la défenderesse comprend que Mme Vaillancourt commence à douter, qu’elle souhaite poursuivre sa réflexion. Cependant, de ses propos, la défenderesse croit que cette dernière va continuer à faire équipe avec elle. La défenderesse ajoute que jamais Mme Vaillancourt ne lui suggère qu’elle pourrait elle-même se présenter à la mairie. À fortiori, jamais de son côté, la défenderesse n’offre ou ne promet quoi que ce soit à Mme Vaillancourt afin que cette dernière renonce à s’y présenter.
- Dans les jours qui suivent, Mme Vaillancourt lui annonce qu’elle quitte l’équipe. Elle ajoute qu'elle pense se présenter à la mairie. La défenderesse souligne qu'elle se sent alors trahie. Incidemment, la défenderesse rapporte aussi une tentative de putsch, fomentée contre elle, sans succès.
E. D’autres témoins
1. M. Michel Potvin
- M. Michel Potvin s’implique en politique municipale depuis plus de quinze ans. Membre fondateur en 2010 du parti Équipe du renouveau démocratique, l’ERD, il réussit, après quelques insuccès, à se faire élire conseiller municipal en 2017 alors que sa leader, Mme Josée Néron, remporte la mairie. Œuvrant de concert avec cette dernière, il prend part aux réunions du comité exécutif et il préside Promotion Saguenay. Puis, en décembre 2020, la mairesse Néron le démet de ses fonctions. Réélu en 2021 à titre de candidat indépendant, il cumule actuellement plusieurs responsabilités au sein du Conseil municipal.
- Témoignant en défense, M. Potvin brosse un tableau des enjeux et des forces en présence lors de la dernière campagne électorale. Convaincu pour sa part que seule une femme peut réussir à battre la mairesse sortante, il s’allie à la défenderesse, l’appuyant publiquement en avril 2021. Dès lors, il s’implique dans l’organisation de sa campagne, élaborant des stratégies, préparant des évènements, etc.
- Revenant à la situation prévalant à l’époque, il souligne que seules trois candidatures à la mairie se distinguent dans le paysage électoral : Josée Néron, Julie Dufour et Serge Simard. Entendant peu parler de ce dernier et voulant évaluer les efforts à fournir dans l’arrondissement de La Baie, M. Potvin mandate la défenderesse afin qu’elle contacte ce dernier et lui demande ce qu’il advient de sa candidature. La défenderesse se prête à l’exercice et lui rapporte que Simard veut bel et bien se présenter à la mairie et qu’il souhaite même qu’elle lui laisse la place. « Couche toi là, la petite. C’est à mon tour », lui aurait-t-il alors dit.
- M. Potvin croit en la défenderesse; il salue ses qualités et sa capacité à défendre les dossiers. Il déclare ne pas prêter foi aux plaintes déposées contre elle et lui témoigne son soutien à 100 %, ajoutant qu’il n’y a pas de preuve puisque « pas d’enregistrement, pas de message texte, pas de témoin ». C’est la « ligne » qu’il maintient depuis que l’affaire est véhiculée par les médias; c’est la « ligne » qu’il maintient lors du procès.
- Il ignore ce qu’il en est de l’offre qui aurait été faite à M. Crevier, pas plus qu’il ne connaît ou ne souhaite connaître la version de la défenderesse à l’encontre des accusations. Par ailleurs, malgré la diffusion publique des déclarations assermentées, il dit ne pas en prendre connaissance. Il reste persuadé que Crevier est derrière toute cette histoire, à la suite de l’éviction de son allié, le conseiller Michel Tremblay, du comité exécutif de la ville par la défenderesse, le 14 juin 2023.
2. Mme Josée Néron
- De son côté, l’ancienne mairesse de Saguenay, Mme Josée Néron, témoigne de son intervention dans le cheminement de la plainte auprès du DGEQ, à la suite des propos de M. Crevier, et ce, tant lors du dévoilement de son allégation au cours d’une rencontre au restaurant Summum en mai 2021[7], en présence, entre autres, de son directeur de cabinet M. Luc Desbiens, que par la suite, en 2023, à l’occasion d’une rencontre en marge d’une audition liée à la contestation d’un congédiement.
3. Mme Francyne Tremblay Gobeil
- Autre témoin de la poursuite, Mme Francyne Tremblay Gobeil, bénévole de l’équipe de M. Serge Simard, relate ce qu’elle sait de la rencontre de son candidat avec la défenderesse. Elle rappelle les propos de ce dernier au retour de la rencontre, alors qu’il mentionne s’être fait demander par la défenderesse de ne pas déposer sa candidature et qu’il pourrait avoir une compensation en retour et que M. Simard lui a répondu qu’il n’était pas achetable.
IV. DROIT
- Avant de statuer sur le fond de l’affaire, une discussion s’impose relativement à l’interprétation de l’article 590 par.1° de la Loi, qui se lit comme suit :
« Commet une infraction quiconque:
1° par lui-même ou par l’intermédiaire d’une autre personne, obtient ou tente d’obtenir qu’une personne pose sa candidature à un poste de membre du conseil, s’abstienne de le faire ou retire sa candidature en lui promettant ou en lui accordant quelque don, prêt, charge, emploi ou autre avantage ou en lui faisant des menaces »
[…]
- Notons, par ailleurs, que cette infraction constitue, au sens de la Loi, une manœuvre électorale frauduleuse, tel que l’édicte l’article 645[8] :
« Une infraction prévue à l’un des articles 586 à 588, 589 à 593 […] est une manœuvre électorale frauduleuse.
[…] »
- En conséquence, outre l’amende à payer, la personne reconnue coupable devient inéligible à occuper un poste dans un conseil municipal et perd son droit de vote pour une période de cinq ans[9].
- Bien qu’elle admette que l’infraction reprochée en est une de responsabilité stricte, la défense argue que la poursuite se doit tout de même de démontrer une intention malveillante en raison de sa qualification comme manœuvre frauduleuse et des conséquences qui en découlent.
- Telle est donc la première question en litige :
A. L’infraction prévue à l’article 590 par.1° de la Loi exige-t-elle la preuve d’une intention malveillante?
- Le Tribunal répond par la négative.
- Voici pourquoi.
- Dans un premier temps, il importe de noter que le texte de l’infraction reprochée ne contient aucune des expressions généralement utilisées par le Législateur aux fins de signaler l’occurrence d’une intention[10].
- De surcroît, il convient de rappeler l’à-propos d’une décision rendue par l’honorable François Doyon, alors juge de cette Cour, dans la cause Beaudet c. Simard[11]. Dans cette affaire, la défenderesse Simard, inscrite par erreur sur la liste électorale, avait voté sans droit mais sans intention coupable, lors d’une élection municipale. Après analyse exhaustive des dispositions en jeu, de la qualification de manœuvre frauduleuse y associée et des conséquences majeures d’une condamnation, le juge Doyon définit néanmoins l’infraction comme en étant une de responsabilité stricte et non pas de mens rea.
- Cela dit, il en est de même de l’infraction reprochée en l’instance : il s’agit d’une infraction de responsabilité stricte et nul n’est besoin de prouver une quelconque volonté malveillante. Bref, dès que les éléments constitutifs de l’infraction sont réunis, celle-ci est consommée[12].
- Cela nous amène à la seconde question en litige :
B. Quel sens faut-il donner aux termes « avantage » et « promettant » employés à l’article 590 par.1°?
- Considérant son caractère pénal, la défense plaide que la disposition en cause doit être interprétée de façon restrictive.
- Le Tribunal en disconvient.
- En voici les raisons.
- D’abord, pour fins de démonstration, adaptons le texte de l’article 590 par.1°, en relevant les éléments essentiels de l’infraction en l’espèce. Ainsi, pour résumer, l’infraction consiste à avoir tenté que les personnes nommées au constat s’abstiennent de poser leur candidature au poste de maire de Saguenay en leur promettant une charge, un emploi ou un avantage.
- Cela dit, citons en premier lieu la Loi d’interprétation[13] qui stipule en son article 41 :
Toute disposition d’une loi est réputée avoir pour objet de reconnaitre des droits, d’imposer des obligations ou de favoriser l’exercice des droits, ou encore de remédier à quelques abus ou de procurer quelque avantage.
Une telle loi reçoit une interprétation large, libérale, qui assure l’accomplissement de son objet et l’exécution de ses prescriptions suivant leurs véritables sens, esprit et fin.
- Rappelons de plus que ce principe d’interprétation a également droit de cité en matière de droit pénal règlementaire, le tout tel qu’illustré dans l’arrêt Merk[14] de la Cour suprême du Canada, alors que le plus haut Tribunal y interprète de façon large les termes utilisés dans une loi visant à protéger des employés.
- Nettement, l’objet de la Loi en cause commande une interprétation large et libérale alors qu’elle consiste dans les faits, par voie législative, en l’incarnation de la démocratie, assurant, entre autres, le droit de vote et le droit de se porter candidat aux élections municipales. Aussi, elle favorise l’expression des différentes visions politiques portées par les candidats tout en fixant les règles de leur déploiement lors des rendez-vous électoraux.
- Ainsi, toute personne ayant la qualité d’électeur peut se porter candidat et solliciter l’appui de ses concitoyens afin de les représenter au Conseil municipal. C’est dans ce contexte que l’article 590 par.1° permet d’assurer aux électeurs de faire leur choix parmi tous les candidats intéressés à les représenter, sans exception. En conséquence, le fait d’agir de façon à pervertir ce libre accès au processus démocratique des mises en candidature contrevient à la Loi et à son objet.
- Considérant que l’énoncé de l’article 590 par.1° de la Loi doit être interprété de façon large et généreuse, qu’en est-il des termes « avantage » et « promettant »?
1. Le terme « avantage »
- L’utilisation par le Législateur d’un terme aussi large n’est pas anodine; elle reflète son objectif de combattre tous azimuts le marchandage de candidature en permettant de couvrir toutes sortes de situations : promesse d’argent, promesse de gratification, promesse d’une nomination sur un comité de consultation, promesse d’appui privé ou public pour l’obtention d’un poste, etc.
- Bref, l’avantage n’a pas à être déterminé, encore moins débattu ou négocié; il n’a qu’à être promis. Interpréter le texte comme exigeant de détailler l’avantage plutôt que de simplement l’évoquer, aurait certes pour effet de permettre de vicier le processus démocratique de mise en candidature promu par la Loi.
2. Le terme « promettant »
- Dans le même ordre d’idées, le Tribunal considère que la réalisabilité de la promesse n’est pas un élément essentiel de l’infraction. Alors que la défense plaide l’incapacité voire l’impossibilité pour un maire de créer, en dehors des services existants, un emploi ou une charge de négociateur pour la ville, le Tribunal estime que l’infraction s’incarne avant tout dans l’attrait exercé par la promesse d’un emploi, d’une charge ou d’un avantage et non pas dans sa concrétisation éventuelle. Ainsi rédigée, la disposition vise à agir en amont afin d’éviter toute perversion du processus électoral.
- C’est dans ce contexte que doit également s’interpréter le terme « promettant », utilisé à l’article 590 par.1° de la Loi. Comme mentionné précédemment, la réalisabilité de l’offre d’emploi, de charge ou d’avantage n’est pas de toute importance. Il en va donc de même pour leur évocation, s’apparentant à une promesse, alors que l’on en fait miroiter l’obtention. En revanche, l’objet de l’offre se doit d’être sensé, non pas loufoque, et donc susceptible d’être pris au sérieux, pour engendrer l’infraction.
V. ANALYSE
- Reste maintenant au Tribunal à statuer sur le fond de l’affaire.
- Dans un premier temps, rappelons que l’enseignement de la Cour suprême dans l’arrêt W. (D.)[15] s’applique en l’instance, alors que la défenderesse ne témoigne pas lors du procès, mais que ses déclarations extrajudiciaires faites antérieurement et comportant des éléments disculpatoires, sont mises en preuve par la poursuite[16]. Dès lors, la version offerte par la défenderesse sera donc examinée dans le cadre de l’analyse de la défense.
- Cela dit, il convient de citer les directives énoncées par le juge Cory dans cet arrêt de principe du plus haut Tribunal, pour disposer d’une affaire, comme celle-ci, où la crédibilité est importante :
Premièrement, si vous croyez la déposition de l’accusé, manifestement vous devez prononcer l’acquittement.
Deuxièmement, si vous ne croyez pas le témoignage de l’accusé, mais si vous avez un doute raisonnable, vous devez prononcer l’acquittement.
Troisièmement, même si vous n’avez pas de doute à la suite de la déposition de l’accusé, vous devez vous demander si, en vertu de la preuve que vous acceptez, vous êtes convaincus hors de tout doute raisonnable par la preuve de la culpabilité de l’accusé.
- En définitive, comme dans tout procès pénal, l’exercice d’analyse s’effectue en tenant compte de la preuve dans son ensemble, à savoir la preuve offerte par les deux parties. Le fait que la défenderesse offre sa version via la preuve de la poursuite ne change en rien les critères d’évaluation de la preuve, pas plus que le fait qu’elle soit offerte sous la forme de déclarations assermentées.
- Cela étant établi, qu’en est-il du sort de la preuve concernant les trois infractions reprochées?
- Dans un premier temps, examinons le chef d’accusation relatif à la rencontre avec M. Serge Simard.
A. Cas de M. Serge Simard
1. Les explications fournies en défense sont-elles crédibles?
- Non, voici pourquoi.
- D’abord, il ressort de la preuve, particulièrement du témoignage de M. Michel Potvin, que l’organisation de la campagne de la défenderesse va bon train en juin 2021. L’équipe électorale est en place, la défenderesse est présente dans les médias, des événements sont organisés, le thème de la campagne est trouvé, l’autorisation de recueillir des contributions est déjà accordée par le DGEQ. Bref, tout baigne dans l’huile au sein de l’équipe de la défenderesse. Pourquoi alors inviter son adversaire politique, M. Simard à sa résidence? la défenderesse spécifie dans sa version vouloir alors « mieux connaitre les intentions » de ce dernier quant à la mairie et « discuter de quelques enjeux de campagne pour mieux enligner notre campagne d’un point de vue médiatique ».
- Cela n’est pas crédible, cela n’est pas vraisemblable.
- Premièrement, comment penser que son adversaire déclaré à la mairie se prêtera à cet exercice en se livrant à des confidences quant à son avenir politique ou à sa stratégie médiatique. Il en va de même quant à la discussion des enjeux, non précisés d’ailleurs, pour mieux « enligner » la campagne. Comment croire que M. Simard lui fera part des thèmes de sa campagne ou encore des engagements qu’il prévoit prendre auprès des électeurs.
- Mais il y a plus.
- La défenderesse mentionne que depuis l’annonce de sa candidature en décembre 2020, M. Simard est absent de la scène médiatique; il n’a pas encore demandé d’autorisation auprès du DGEQ et des rumeurs circulent sur ses difficultés à se constituer une organisation de campagne. Si la campagne de M. Simard bat ainsi de l’aile, pourquoi alors réveiller le chat qui dort? Pourquoi s’intéresser à un candidat dont l’organisation semble moribonde? cela non plus n’est pas crédible, cela non plus n’est pas vraisemblable.
- Également, suivant le témoignage de M. Potvin, une autre raison justifie la rencontre avec M. Simard : calculer les efforts supplémentaires à fournir dans l’arrondissement de La Baie, son fief, advenant son retrait, pour aller récolter l’appui des partisans de ce dernier. Manifestement, ce calcul semble court. Faut-il rappeler que M. Simard est présent sur la scène municipale et la scène québécoise depuis plus de vingt ans; il apparaît donc inusité de circonscrire ses appuis, ses votes, au seul arrondissement de La Baie. Sans conteste, des efforts supplémentaires seront requis à la grandeur de la ville de Saguenay advenant son retrait. Cette assertion tenue en défense n’est donc pas retenue.
- Cela dit, et toujours en tenant compte du témoignage de M. Potvin, cette fois quant à l’objectif de faire de la défenderesse la seule alternative à la mairesse sortante, force est de conclure qu’elle et lui ne peuvent alors que souhaiter l’éclipsement de Simard. Le Tribunal ne croit donc pas la défenderesse lorsqu’elle affirme qu’elle n’a jamais entretenu un tel souhait et qu’elle ajoute que cela « n’a même pas effleuré le début d’une de (ses)pensées ». Encore là, cette affirmation n’est ni crédible, ni vraisemblable.
- Autre élément. Il ressort de la preuve dans son ensemble que la défenderesse sait se défendre. D’ailleurs, ses déclarations assermentées le démontrent amplement. Elle y justifie les congédiements du directeur général de la Société de Transports de Saguenay et de la greffière de la ville; elle dénonce les agissements du conseiller Michel Tremblay ainsi que ceux de M. Crevier; elle conteste avec véhémence les accusations portées contre elle, s’en prenant aux trois personnes impliquées. Rompue aux débats publics, elle n’hésite pas à défendre son point de vue.
- Comment expliquer alors son mutisme lors de la mêlée de presse à la sortie d’une séance du Conseil municipal début septembre 2023[17]?. Confrontée par le journaliste Jean Houle aux allégations de M. Simard à son encontre, elle se contente de nier, sans pour autant clamer haut et fort que ce n’est pas elle mais plutôt Simard qui lui a demandé de se retirer de la course. De son point de vue, c’est l’élément majeur de la rencontre, pourtant elle n’en traite que dans sa déclaration assermentée, en mars 2024.
- De même, un détail, non contesté en défense, mérite attention. En réaction à ses propos, M. Simard se rappelle avoir entendu sur les ondes, la défenderesse l’inviter à porter plainte contre elle. Pourquoi se limiter à une telle réponse plutôt que de révéler tout de go ce qui s’est véritablement passé selon elle? Cette histoire ne relevait à ce moment que de la joute politique, pourquoi ne pas se porter alors en contre-attaque et dénoncer le comportement de Simard à son endroit.
- Parlant de mutisme, il en est de même de celui de son organisateur, M. Potvin. Ce dernier dit maintenir toujours la même « ligne » dans ses déclarations publiques à l’encontre des allégations lancées contre la défenderesse : « Pas d’enregistrement, pas de message texte, pas de témoin. Zéro preuve ». Pourtant, il affirme savoir depuis juin 2021, de la bouche de la défenderesse, que c’est Simard qui aurait demandé à la défenderesse de se retirer de la course, et non l’inverse. Pourquoi ne pas alors profiter de ses entrevues avec les médias pour le dénoncer, plutôt que de se cantonner dans sa « ligne » et son mutisme, lui qui manifestement, suivant un commentaire, n’a pas M. Simard en haute estime. Cela discrédite le témoignage de M. Potvin et, du même coup, la défense offerte dans cette instance.
- Par ailleurs, on ne peut passer sous silence la teneur de certains propos de la défenderesse tirés de ses déclarations assermentées.
- D’abord, elle se dit victime de vengeance politique et met tous ses adversaires et ex-adversaires dans le même panier. De plus, elle déclare détenir des informations « de source très sûre et vérifiable » sans toutefois identifier cette source, ni dans sa déclaration, ni lors de sa défense au procès.
- On peut comprendre qu’une personnalité politique puisse donner dans l’enflure verbale mais beaucoup moins dans le cadre d’une déclaration faite sous serment. Cela la discrédite également.
- Finalement, au risque de se répéter, il ressort de la preuve que seuls trois candidats à la mairie se démarquent, à Saguenay, en juin 2021 : la mairesse sortante Josée Néron, Serge Simard et la défenderesse. Il est aussi en preuve que son objectif est d’incarner, auprès de l’électorat, l’alternative, la solution de rechange à la mairesse sortante. Comment alors, du côté de la défenderesse, ne pas souhaiter le retrait de M. Simard et, en prime, son appui et ainsi s’assurer de la réalisation de son objectif. Rien n’est plus normal.
- En démocratie, il arrive qu’un candidat se désiste, en toute liberté, pour donner son appui à un autre qui est plus à même de l’emporter sur leur adversaire commun. Pourquoi ne pas le souhaiter puisque rien ne l’interdit dans de telles circonstances. Pourtant, faut-il le répéter, la défenderesse déclare que cette avenue « n’a même pas effleuré le début d’une de (ses) pensées ». Cette affirmation n'est pas crédible, ni vraisemblable.
- Ainsi, pour toutes ses raisons, le Tribunal déclare ne pas croire la version de la défenderesse, pas plus qu’il ne considère vraisemblable la défense offerte en l’instance.
2. Le poursuivant a-t-il présenté une preuve hors de tout doute raisonnable de l’infraction reprochée?
- Autrement dit, le Tribunal est-il convaincu hors de tout doute raisonnable par la preuve offerte par le poursuivant, preuve essentiellement basée sur le témoignage de M. Serge Simard?
- Le Tribunal répond par l’affirmative pour les raisons suivantes.
- D’abord, il y a lieu de rappeler qu’aucune inimitié n’a cours entre M. Simard et la défenderesse tout au long de leurs rencontres professionnelles, tant à Québec qu’à Saguenay. Lui, alors député de Dubuc et ministre responsable de la région Saguenay - Lac St-Jean, et elle, conseillère municipale de son district couvrant la localité de Shipshaw. À preuve, M. Simard accepte d’emblée l’invitation lancée par la défenderesse de se rendre la rencontrer à sa résidence.
- Cela étant dit, le témoignage de M. Simard est percutant. Livré avec calme et chaleur, il n’est empreint d’aucune animosité ni amertume. D’ailleurs, d’entrée de jeu, il salue la cordialité de son hôtesse.
- C’est dans cette ambiance, alors que son interlocutrice ne l’entretient en début de rencontre que de généralités, que M. Simard lui dit qu’elle ne l’a certainement pas invité chez elle juste pour cela. C’est alors que la défenderesse se commet, lui faisant part de son désir qu’il se retire de la course, tout en lui faisant miroiter l’octroi de considérations. M. Simard coupe court à la proposition en indiquant que sa candidature n’est pas à vendre, qu’il n’embarque pas là-dedans, qu’il se présente et que ce sont les électeurs qui décideront de son sort, la démocratie étant ainsi faite.
- M. Simard ne se choque pas, ni ne se scandalise lors de la rencontre; il refuse tout simplement. D’ailleurs, il ignore alors qu’il s’agit d’une infraction à la Loi.
- Incidemment, le ton demeure cordial et la rencontre se poursuit normalement, M. Simard aimant rappeler qu’il fait alors très beau et qu’il reste impressionné par la qualité des lieux.
- Par la suite, de retour auprès de son équipe, il rapporte l’événement et poursuit sa campagne.
- Battu aux élections, il retourne définitivement sur ses terres, puis en septembre 2023, l’entrevue donnée à la radio par M. Crevier l’interpelle.
- Alors qu’il entend Crevier mentionner qu’il a reçu une offre d’emploi de la part de la défenderesse en échange de son retrait comme conseiller municipal et candidat potentiel à la mairie, et qu’il l’entend reconnaitre que ce sera sa parole contre celle de la défenderesse, M. Simard s’indigne. Il contacte alors la station de radio et donne une entrevue dans laquelle il déclare avoir lui aussi fait l’objet à l’époque du même traitement de la part de la défenderesse et rapporte la teneur de sa rencontre avec elle. Il porte plainte par la suite auprès du DGEQ.
- Hormis l’erreur[18], dont il convient, dans sa version donnée au DGEQ relativement à la date de sa rencontre avec la défenderesse, le témoignage de M. Simard lors du procès ne souffre d’aucune discordance véritable. Il n'est jamais mis en contradiction avec ses propos antérieurs, que ce soit ceux tenus lors de sa déposition devant l'enquêteur ou ceux tenus auprès des médias.
- Qui plus est, il importe de signaler que M. Simard n’a pas de lien personnel avec quiconque dans cette affaire et rien dans la preuve ne suggère qu'il serait impliqué dans une opération concertée à l’encontre de la défenderesse.
- Finalement, les propos de M. Simard, soit l’essentiel de la proposition de la défenderesse et sa prompte réaction, sont soutenus par le témoignage de Mme Tremblay Gobeil.
- Le Tribunal est donc convaincu de la véracité des dires de M. Simard.
- Reste à déterminer la portée des paroles prononcées par la défenderesse : « J’aimerais que tu ne te présentes pas » et « Il pourrait y avoir des considérations ».
- Dans un premier temps, mentionnons que l’emploi du conditionnel présent ne change rien aux propos alors que la première phrase exprime un souhait, une demande, à savoir ne pas se présenter à l’élection, et la seconde, une action possible, à savoir l’octroi de considérations.
- Deuxièmement, soulignons que les considérations évoquées n’ont pas à être précisées. Comme le comprend M. Simard, il peut s’agir d’argent, d’un poste, etc. Il ne pose pas la question car il n’est pas intéressé. Cependant, une chose est claire, la défenderesse est sérieuse lors de la conversation et M. Simard la prend au sérieux.
- Tel que déclaré précédemment, aux termes de la Loi, de son objet et de son utile interprétation, l’avantage évoqué à l’article 590 par.1° n’a pas à être précisé, pas plus d’ailleurs que le montant du don ou du prêt ou encore le type de charge ou d’emploi.
- Promettre quelque emploi, sans le préciser, comme promettre quelque avantage, sans le définir, ne diminue pas le comportement fautif. Faut-il rappeler que la Loi interdit de tenter, et non pas nécessairement d’obtenir, qu’une personne retire sa candidature en lui promettant un avantage quelconque.
- Dans ce contexte, il serait inconvenant d’excuser un comportement tel que décrit en preuve parce que l’interlocuteur, réfractaire à la discussion, coupe court à toute précision ou négociation.
- Qui plus est, la protection du processus démocratique des mises en candidature en vue des élections municipales ne peut tolérer une telle circonstance.
- Par conséquent, le Tribunal est convaincu, et ce, hors de tout doute raisonnable par la preuve offerte en regard du chef d’accusation numéro 2 du constat d’infraction.
- Reste maintenant à statuer sur les deux autres chefs d’accusation.
- D'emblée, le Tribunal déclare que même en ne retenant pas la version de la défenderesse et en ne croyant pas vraisemblable la défense offerte, il ne peut se convaincre, hors de tout doute raisonnable, de la culpabilité de la défenderesse à l’égard de ces chefs d’accusation.
B. Cas de M. Jean-Marc Crevier
- Dans un premier temps, relativement au chef concernant M. Crevier, qu’il soit permis de souligner quelques éléments affectant la valeur de la preuve en poursuite.
- D’abord, on ne peut faire abstraction du conflit ouvert et toujours présent, entre M. Crevier et la défenderesse.
- Par ailleurs, la déclaration de M. Crevier à Mme Néron lors du dévoilement de la teneur de sa rencontre du 9 février 2021 avec la défenderesse est entachée par son attitude puisqu'il lui rétorque, dès qu'elle lui annonce son intention de porter plainte, qu’il niera ce qu’il vient de lui confier.
- Incidemment, il justifie son comportement d’alors par le fait qu’il ne souhaite pas se retrouver au milieu et faire les frais de la controverse à prévoir entre Mme Néron et la défenderesse. Faut-il en revanche rappeler le témoignage de M. Crevier quand il dit répondre à la défenderesse lors de l’annonce de sa candidature à la mairie qu’elle « ne pourra pas être pire que les autres », incluant donc la mairesse sortante, Mme Néron. Faut-il rappeler que M. Crevier jongle alors lui-même avec l’idée de se présenter à la mairie. Bref, veut-il assurer ses arrières?
- Quoi qu’il en soit, il convient, par ailleurs, de relever une contradiction entre la déposition de M. Crevier et celle de Mme Néron. M. Crevier situe la date de la rencontre avec la défenderesse en février 2021. Or, dans son témoignage, Mme Néron mentionne que, lorsque ce dernier lui en fait la révélation, il lui dit que la rencontre avec la défenderesse vient tout juste d’avoir lieu. Cependant, en même temps, Mme Néron établit, facture à l’appui, la date de son entretien avec M. Crevier, trois mois plus tard, en mai.
- Aussi, M. Crevier met en cause plusieurs personnes durant son témoignage, soulignant qu'il a rapidement fait part de ce qui s’est passé dans le bureau de la défenderesse à d’autres conseillers. Pourtant, aucun de ses collègues identifiés, que ce soit Carl Dufour, Jimmy Bouchard ou Michel Tremblay, ne se présente à la barre pour soutenir sa version. Est-ce que ce qu’il leur raconte alors correspond vraiment à ce qu’il relate à la Cour? Qui plus est, M. Crevier est contredit dans son témoignage par son collègue Kevin Armstrong.
- En plus, M. Crevier rapporte que de nombreuses personnes sont au courant de l’affaire en 2021 et qu’elles lui en parlent pendant qu’il fait campagne à vélo dans son district. Encore là, aucun électeur ne vient soutenir cette affirmation.
- Finalement, l’incapacité de M. Crevier de répondre s’il a, oui ou non, conversé avec Mme Néron durant une suspension d’audience lors du procès, marque négativement son témoignage.
- Bref, il est probable que les événements entourant la rencontre entre M. Crevier et la défenderesse se soient déroulés de la façon mentionnée par ce dernier, mais le Tribunal ne peut s’en convaincre hors de tout doute raisonnable.
C. Cas de Mme Jacinthe Vaillancourt
- Quant au chef en lien avec Mme Vaillancourt, il convient de souligner l’incertitude qui l’habite après qu’elle apprend, via les médias, l’objet des plaintes concernant messieurs Crevier et Simard. Ayant elle-même vécu un épisode significatif avec la défenderesse, Mme Vaillancourt souhaite dans un premier temps valider le tout avec les enquêteurs du DGEQ et elle tient, dit-elle, à préserver son anonymat. Il est donc surprenant qu’elle ne contacte pas alors directement le DGEQ plutôt que de passer par des intermédiaires, politiquement impliqués, pour faire savoir à l’enquêteur Dufour son désir de lui parler.
- Dans un autre ordre d’idées, sans lui faire reproche, il est quelque peu étonnant que Mme Vaillancourt ne rapporte qu’au moment du procès un évènement survenu lors d’une réunion du comité électoral au cours duquel la défenderesse déclare que M. Crevier s’occupera des conventions collectives sous son administration. Pourtant, Mme Vaillancourt rencontre en personne l’enquêteur Dufour à deux reprises auparavant, elle complète alors sa déposition, et ce, sans en glisser mot.
- Par ailleurs, Mme Vaillancourt mentionne la présence de M. Bruno Aziz lors de la réunion, de même qu’elle témoigne de la déception et du soutien de ce dernier lorsqu’elle lui annonce quitter l’équipe de la défenderesse. Malheureusement pour elle, ni M. Aziz ni aucune autre personne présente lors de l’épisode de la réunion n’endosse sa version à la Cour.
- On ne peut, non plus, faire abstraction de la dégradation de la relation entre Mme Vaillancourt et la défenderesse. Pendant trois ans, conseillère, mentore puis confidente et aidante auprès de la défenderesse, Mme Vaillancourt éprouve par la suite, en début de campagne, des difficultés dans son rôle de directrice et dans ses rapports avec la défenderesse. Elle quitte par déception, se présente à la mairie et fait campagne sans l’appui de collaborateurs qu’elle avait elle-même recrutés pour la défenderesse. Bref, de son témoignage se dégage parfois une impression d’amertume.
- En terminant, le Tribunal ne peut s’enlever de l’esprit les paroles prononcées par Mme Vaillancourt lors de son témoignage lorsqu’elle dit à la défenderesse, « Ah bien Julie, je pense que je ne ferai jamais ça » alors qu’elle lui déclare en même temps qu’elle songe à se présenter à la mairie. Il apparaît donc possible que la question de la candidature de Mme Vaillancourt soit alors évacuée. Il semble également plausible, par voie de conséquence, que l’offre de faire de Mme Vaillancourt son attachée politique se veuille, pour la défenderesse, un moyen de la convaincre de demeurer au sein de son équipe.
- Bref, du témoignage rendu en poursuite, subsiste un doute dans l’esprit du Tribunal, au bénéfice de la défenderesse.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
- DÉCLARE la défenderesse coupable de l’infraction reprochée au chef numéro 2 du constat d’infraction;
- ACQUITTE la défenderesse des infractions reprochées aux chefs numéros 1 et 3 du constat d’infraction.
| LOUIS DUGUAY Juge de Paix Magistrat |
Me Laurie Mongrain Me Natacha Dupuis Carrier Directeur général des élections du Québec Procureures du poursuivant Me Charles Levasseur Procureur de la défenderesse Dates d’audiences : Les 22, 23, 24, 25 avril et le 14 mai 2025 |
|
|
|
[1] Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités, RLRQ, c E-2.2.
[2] Idem, art. 590 par.1. Note : ce type d’infraction s’avère limité au monde municipal où moins de formations politiques, administrant elles-mêmes leurs mises en candidature, s’y affrontent.
[8] Précitée, note 1, art. 645.
[10] Par exemple : sciemment, intentionnellement, volontairement, dans le but, en vue ou encore avec l’intention.
[11] Beaudet c. Simard, REJB 1997-02426.
[12] Voir Directeur général des élections du Québec c. Maher, 2020 QCCQ 8011; Directeur général des élections du Québec c. Lugassy, 2012 QCCQ 8722.
[13] Loi d’interprétation, RLRQ, c. I-16.
[14] Merk c. Association internationale des travailleurs en ponts, en fer structural, ornemental et d’armature, section locale 770, 2005 CSC 70.
[15] R. c. W. (D), (1991) 1 R.C.S. 742.
[16] Voir Faivre c. R., 2023 QCCA 1150; R. c. Marki, 2021ONCA 83.
[18] La véritable date du 24 juin a pu être établie par l’enquêteur Dufour, voir pièces D-1 et P-6 à P-10.