Morency c. Municipalité de Saint-Férréol-les-Neiges | 2025 QCCA 275 |
COUR D’APPEL |
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CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC |
SIÈGE DE | QUÉBEC |
N° : | 200-09-010657-234 |
(200-17-025563-172) (200-17-025970-179) |
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DATE : | 17 avril 2025 |
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FORMATION : | LES HONORABLES | MICHEL BEAUPRÉ, J.C.A. BENOÎT MOORE, J.C.A. SOPHIE LAVALLÉE, J.C.A. |
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No : 200-17-025563-172 |
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ÉRIC MORENCY |
APPELANT – demandeur |
c. |
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MUNICIPALITÉ DE SAINT-FERRÉOL-LES-NEIGES |
INTIMÉE – défenderesse |
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No : 200-17-025970-179 |
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ÉRIC MORENCY |
APPELANT – défendeur |
c. |
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MUNICIPALITÉ DE SAINT-FERRÉOL-LES-NEIGES |
INTIMÉE – demanderesse |
et |
SÉMINAIRE DE QUÉBEC PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC représentant le MINISTRE DE L’ÉNERGIE ET DES RESSOURCES NATURELLES OFFICIER DE LA PUBLICITÉ FONCIÈRE DE MONTMORENCY |
MIS EN CAUSE – mis en cause |
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ARRÊT
RECTIFICATIF (de l’arrêt rendu le 6 mars 2025) |
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- ATTENDU qu’il y a lieu de clarifier la question de l’octroi des frais de justice au paragraphe 4 de l’arrêt rendu le 6 mars 2025, et de corriger une erreur d’écriture aux paragraphes 23 et 24 de l’arrêt, en ce qu’il y était indiqué que c’est le Procureur général du Québec qui avait plaidé un point alors qu’il s’agissait du Séminaire de Québec.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
- RECTIFIE le paragraphe 4 de l’arrêt de la Cour de la manière suivante :
[4] LE TOUT, avec les frais de justice, en première instance et en appel, contre l’appelant au bénéfice de l’intimée, la municipalité de Saint-Ferréol-les-Neiges.
- RECTIFIE les paragraphes 23 et 24 de l’arrêt de la Cour de la manière suivante :
[23] Le Séminaire de Québec (« Séminaire »), mis en cause, plaide que la juge ne devait pas traiter du second alinéa de l’article 228 LAU, puisque la rénovation cadastrale n’entraîne pas la légalité d’opérations cadastrales effectuées en contravention à la réglementation municipale.
[24] Le Séminaire est donc d’avis que les procédures en annulation des opérations cadastrales ont été intentées en temps utile, et qu’aucun délai de déchéance ne trouve application en l’espèce. Le jugement est déclaratif de droits et a forcément une portée rétroactive.
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| MICHEL BEAUPRÉ, J.C.A. |
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| BENOÎT MOORE, J.C.A. |
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| SOPHIE LAVALLÉE, J.C.A. |
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Me Steeve Demers |
QUESSY, HENRY |
Pour l’appelant |
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Me Antoine La Rue (absent) Me Guillaume Renauld |
THERRIEN, COUTURE |
Pour l’intimée |
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Me Michel St-Pierre |
CAIN, LAMARRE |
Pour le Séminaire de Québec |
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Me Mélanie Fortin |
LAVOIE, ROUSSEAU |
Pour le Procureur général du Québec |
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Date d’audience : | 5 décembre 2024 |
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Morency c. Municipalité de Saint-Férréol-les-Neiges | 2025 QCCA 275 |
COUR D’APPEL |
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CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC |
SIÈGE DE | QUÉBEC |
N° : | 200-09-010657-234 |
(200-17-025563-172) (200-17-025970-179) |
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DATE : | 6 mars 2025 |
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FORMATION : | LES HONORABLES | MICHEL BEAUPRÉ, J.C.A. BENOÎT MOORE, J.C.A. SOPHIE LAVALLÉE, J.C.A. |
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No : 200-17-025563-172 |
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ÉRIC MORENCY |
APPELANT – demandeur |
c. |
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MUNICIPALITÉ DE SAINT-FERRÉOL-LES-NEIGES |
INTIMÉE – défenderesse |
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No : 200-17-025970-179 |
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ÉRIC MORENCY |
APPELANT – défendeur |
c. |
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MUNICIPALITÉ DE SAINT-FERRÉOL-LES-NEIGES |
INTIMÉE – demanderesse |
et |
SÉMINAIRE DE QUÉBEC PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC représentant le MINISTRE DE L’ÉNERGIE ET DES RESSOURCES NATURELLES OFFICIER DE LA PUBLICITÉ FONCIÈRE DE MONTMORENCY |
MIS EN CAUSE – mis en cause |
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ARRÊT (rectifié le 17 avril 2025) |
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- L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 26 mai 2023 par la Cour supérieure, district de Québec (l’honorable Marie-Paule Gagnon).
- Pour les motifs de la juge Lavallée, auxquels souscrivent les juges Beaupré et Moore, LA COUR :
- ACCUEILLE en partie l’appel, à la seule fin de supprimer le paragraphe 156 du jugement entrepris; les autres conclusions du jugement demeurant inchangées.
- LE TOUT, avec les frais de justice, en première instance et en appel, contre l’appelant au bénéfice de l’intimée, la municipalité de Saint-Ferréol-les-Neiges.
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| MICHEL BEAUPRÉ, J.C.A. |
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| BENOÎT MOORE, J.C.A. |
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| SOPHIE LAVALLÉE, J.C.A. |
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Me Steeve Demers |
QUESSY, HENRY |
Pour l’appelant |
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Me Antoine La Rue (absent) Me Guillaume Renauld |
THERRIEN, COUTURE |
Pour l’intimée |
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Me Michel St-Pierre |
CAIN, LAMARRE |
Pour le Séminaire de Québec |
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Me Mélanie Fortin |
LAVOIE, ROUSSEAU |
Pour le Procureur général du Québec |
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Date d’audience : | 5 décembre 2024 |
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MOTIFS DE LA JUGE LAVALLÉE |
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- L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 26 mai 2023 par la Cour supérieure, district de Québec (l’honorable Marie-Paule Gagnon), lequel conclut que les permis de lotissement délivrés par la Municipalité de Saint‑Ferréol‑les‑Neiges (« l’intimée ») l’ont été en violation de sa réglementation municipale et que leur annulation, le 28 juin 2016, est valide. La juge fait donc droit à la demande en annulation des opérations cadastrales présentée par la Municipalité en vertu de l’article 228, alinéa 1 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (« LAU »)[1].
- Le pourvoi soulève une seule question. Il s’agit de savoir si la juge devait appliquer le second alinéa de l’article 228 LAU dans le contexte de la présente affaire, et le cas échéant, quelles conséquences son application entraîne-t-elle pour les conclusions du jugement entrepris.
Contexte
- La juge résume ainsi le litige entre les parties, lequel s’inscrit dans un différend plus large qui perdure depuis de nombreuses années[2] :
[15] D’entrée de jeu, soulignons que les recours en l’instance s’inscrivent dans un contexte de nombreux litiges mus notamment entre Éric Morency, la Municipalité et le Séminaire de Québec. Il s’agirait vraisemblablement de la dernière ou avant-dernière étape de ce que la Cour d’appel a qualifié de saga judiciaire, qui perdure sur un peu plus d’une décennie.
[16] D’un côté, Éric Morency, un homme d’affaires et entrepreneur qui achète pour la somme de 35 000 $ des terrains d’AbiBow qu’il souhaite à tout prix développer. De l’autre, le Séminaire de Québec qui ne souhaite pas un développement domiciliaire en marge du chemin de l’Abitibi-Price qui mène aux terres communément appelées Terres du Séminaire.
[17] Au milieu, la Municipalité qui doit appliquer sa réglementation et qui est confrontée aux mises en demeure de l’un et de l’autre.
[Renvois omis]
- Les parties s’en remettent au résumé des faits donné par la juge. Pour les fins de ce pourvoi, il convient de rappeler que, dans un premier dossier, l’appelant demande l’annulation de résolutions par lesquelles l’intimée chargeait un cabinet d’avocats de requérir l’annulation de subdivisions cadastrales obtenues par l’appelant après s’être vu délivré des permis de lotissement de l’intimée, en contravention de la réglementation applicable.
- Dans un autre dossier, l’intimée demande la nullité des lotissements en vertu de l’article 228 LAU, invoquant l’annulation des permis et le refus de l’arpenteur‑géomètre d’annuler les lotissements, et ce, malgré la transmission d’une mise en demeure à cette fin.
- Par demande reconventionnelle, l’appelant fait valoir que l’intimée abuse de son pouvoir discrétionnaire et qu’elle le prive ainsi de son droit de jouir de sa propriété et de construire sa résidence.
- Ces deux dossiers sont joints en première instance, à la demande de l’intimée.
Jugement de première instance
- La juge de première instance fait droit à la demande de l’intimée, et annule les opérations cadastrales en cause. Elle rejette la demande de l’appelant en annulation des deux résolutions municipales ainsi que sa demande reconventionnelle réclamant à l’intimée le paiement de 100 000 $ à titre de dommages-intérêts.
- Plus précisément, la juge détermine que puisqu’ils contreviennent à la réglementation applicable, les permis de lotissement délivrés par l’intimée sont invalides. Elle conclut par ailleurs qu’en l’absence de preuve de mauvaise foi ou de faute de l’intimée lors de l’adoption des résolutions contestées, celles-ci ont été valablement adoptées.
L’appel
- L’appelant ne conteste pas les conclusions de la juge selon lesquelles les permis de lotissement 2015-1013, 2015-1014, 2015-1015 et 2015-1020 ont été délivrés en contravention de la réglementation municipale[3]. Il n’a d’ailleurs pas porté en appel les conclusions de la juge portant sur la nullité de ces permis et la non-conformité des opérations de lotissement au regard de la réglementation municipale.
- Partant, le pourvoi ne soulève qu’un moyen d’appel, soit l’erreur de droit qu’aurait commise la juge en ne tenant pas compte du second alinéa de l’article 228 LAU. L’appelant soutient que cet alinéa l’empêchait d’annuler les opérations cadastrales qu’autorisaient les permis[4].
- Il convient de souligner que les parties n’ont pas plaidé ce second alinéa de l’article 228 LAU en première instance, de sorte que la juge n’a pas eu le bénéfice de leurs observations sur sa raison d’être et sa portée.
- Ce nouvel argument de droit peut tout de même être invoqué en appel puisqu’il ne nécessite pas l’administration d’une preuve additionnelle[5].
- L’article 228 LAU prévoit les cas où un lotissement, une opération cadastrale ou le morcellement d’un lot fait par aliénation, est annulable :
228. Est annulable un lotissement, une opération cadastrale ou le morcellement d’un lot fait par aliénation qui est effectué à l’encontre d’un règlement de lotissement, d’un règlement prévu à l’article 145.21, d’un règlement ou d’une résolution de contrôle intérimaire, d’un plan approuvé conformément à l’article 145.19, d’une entente visée à l’article 145.21 ou d’une résolution visée au deuxième alinéa de l’article 145.7 ou 145.38, ou encore à l’encontre d’un plan de réhabilitation d’un terrain approuvé par le ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs en vertu de la section IV du chapitre IV du titre I de la Loi sur la qualité de l’environnement (chapitre Q‐2). Le procureur général ou tout intéressé, y compris la municipalité ou l’organisme compétent sur le territoire duquel le lot est situé, peut s’adresser à la Cour supérieure pour faire prononcer cette nullité. Le premier alinéa ne s’applique pas à l’égard d’un lotissement, d’une opération cadastrale ou d’un morcellement dont les effets ont été confirmés par l’immatriculation des immeubles faite dans le cadre de la rénovation ou de la révision cadastrale dont a fait l’objet le territoire concerné par l’application d’un plan de rénovation préparé en vertu du chapitre II de la Loi favorisant la réforme du cadastre québécois (chapitre R‐3.1) ou d’un plan dressé après le 30 septembre 1985 en vertu de la Loi sur les titres de propriété dans certains districts électoraux (chapitre T‐11). | 228. Any subdivision, cadastral operation or parcelling out of a lot by alienation that is carried out contrary to a subdivision by-law, a by-law under section 145.21 or an interim control by-law or resolution, a plan approved in accordance with section 145.19, an agreement made under section 145.21, a resolution referred to in the second paragraph of section 145.7 or 145.38 or a land rehabilitation plan approved by the Minister of Sustainable Development, Environment and Parks under Division IV of Chapter IV of Title I of the Environment Quality Act (chapter Q‐2) may be annulled. The Attorney General or any interested person, including the municipality or the responsible body in whose territory the lot is situated, may apply to the Superior Court for a declaration of nullity. The first paragraph does not apply to a subdivision, cadastral operation or parcelling out whose effects are confirmed by the registration of the immovables made as part of the cadastral renewal or review effected in the territory concerned by the implementation of a renewal plan prepared under Chapter II of the Act to promote the reform of the cadastre in Québec (chapter R‐3.1) or a plan drawn up after 30 September 1985 under the Act respecting land titles in certain electoral districts (chapter T‑11). |
- L’appelant soutient que le second alinéa de l’article 228 LAU empêche l’application du premier alinéa après la rénovation cadastrale des lots en cause. En l’espèce, les lots ont été cadastrés les 14 et 15 septembre 2015, ainsi que le 19 janvier 2016. L’intimée a entrepris son recours en annulation des opérations cadastrales en mai 2017, et l’immatriculation des lots a été faite dans le cadre de la rénovation cadastrale, le 18 février 2020. Dès lors, soutient l’appelant, la juge a erré en prononçant l’annulation des opérations cadastrales en question puisque le premier alinéa est devenu inapplicable à compter du 18 février 2020, date de l’immatriculation des lots.
- L’appelant prétend que le second alinéa de l’article 228 LAU contient une clause de déchéance, que le tribunal devait constater d’office, en application de l’article 2878 C.c.Q. Il avance que cette disposition a pour effet de prohiber l’annulation de l’immatriculation des lots dès le 18 février 2020. Le délai de déchéance est un délai de rigueur relevant de l’ordre public de direction. Selon l’appelant, la juge devait donc le soulever d’office et opposer une fin de non-recevoir au recours de l’intimée même si l’appelant ne l’a ni allégué ni plaidé.
- La juge aurait donc erré en appliquant le premier alinéa de l’article 228 LAU le 26 mai 2023 et en prononçant l’annulation des opérations cadastrales alors que le second alinéa le prohibait depuis la date de la rénovation cadastrale des lots en question, soit le 18 février 2020.
- L’intimée rétorque que la juge a pris connaissance de l’article 228 LAU, mais a choisi de ne pas en appliquer le second alinéa. Selon elle, les juges sont présumés connaître le droit, et ce, à plus forte raison lorsque, comme en l’espèce, la juge cite les deux alinéas de la disposition en cause dans son jugement. L’intimée soutient que, dans tous les cas, la juge n’avait pas à appliquer le second alinéa, pour les raisons suivantes :
- Il revenait à l’appelant de soulever ses prétentions quant à la déchéance du recours en annulation, celles-ci nécessitant d’être débattues;
- Les permis de lotissement furent déclarés nuls ab initio par l’effet de la réglementation;
- Le recours introduit par l’intimée avant la rénovation du cadastre a cristallisé son droit à l’annulation des opérations cadastrales viciées; l’article 228 LAU doit également être lu à la lumière des objectifs et mécanismes de celle loi.
Par ailleurs, la rénovation cadastrale n’a pas pour objectif de régulariser des situations dérogatoires. Cette interprétation s’oppose à l’article 19.2 de la Loi favorisant la réforme du cadastre québécois[6], lequel prévoit une présomption de concordance entre les actes inscrits au registre et la description du lot rénové. Il faudrait plutôt interpréter le second alinéa de l’article 228 LAU comme interdisant le recours à la procédure en annulation du premier alinéa eu égard aux opérations effectuées par la rénovation cadastrale, et non comme confirmant les lots, mêmes viciés, du cadastre précédent.
- L’interprétation littérale que fait l’appelant de la disposition en litige mène à des résultats absurdes. L’article 228 LAU doit être interprété comme un tout. Le premier alinéa permet le recours en annulation d’un lotissement, d’une opération cadastrale ou d’un morcellement qui va à l’encontre d’un plan de réhabilitation approuvé par le ministre de l’Environnement en vertu des articles 31.42 à 31.69 de la Loi sur la qualité de l’environnement[7] (« LQE »). L’interprétation de l’appelant signifie qu’un lotissement, une opération cadastrale ou un morcellement fait à l’encontre d’un plan de réhabilitation ne pourrait pas être annulé dès lors que le lot visé par le plan aurait été rénové, interprétation insoutenable dans le contexte où la LQE a été qualifiée de loi d’ordre public par la Cour d’appel.
- Le Séminaire de Québec (« Séminaire »), mis en cause, plaide que la juge ne devait pas traiter du second alinéa de l’article 228 LAU, puisque la rénovation cadastrale n’entraîne pas la légalité d’opérations cadastrales effectuées en contravention à la réglementation municipale.
- Le Séminaire est donc d’avis que les procédures en annulation des opérations cadastrales ont été intentées en temps utile, et qu’aucun délai de déchéance ne trouve application en l’espèce. Le jugement est déclaratif de droits et a forcément une portée rétroactive.
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- Rappelons que le programme de rénovation cadastrale est « [u]ne vaste opération visant à immatriculer et à décrire officiellement tous les immeubles du domaine privé du territoire québécois », dont le principal objectif était de mettre un terme au mode de désignation d'immeubles par référence à des parties de lots[8]. Cette rénovation du cadastre constitue essentiellement une démarche d'ordre technique et cartographique d'ensemble remplaçant le système précédent plutôt basé sur une multitude de plans originaires et parcellaires[9]. Le cadastre ainsi rénové n'est pas un "cadastre juridique"[10] en ce qu’il ne traduit pas une garantie étatique des limites et contenances[11], et n'a donc pas la force d'un bornage définitif des limites d'un immeuble[12]. Par conséquent, il peut être modifié, sur demande, afin d'en actualiser ou d’en corriger le contenu, par exemple lorsqu'il contient une erreur avérée[13].
- La rénovation cadastrale n’a donc pas pour effet de valider une opération cadastrale effectuée en contravention à la réglementation municipale, ni de créer des droits acquis en faveur du propriétaire de lots illégalement cadastrés. En somme, la rénovation cadastrale ne peut, à elle seule, avoir pour effet de légaliser des opérations cadastrales contraires à la réglementation municipale.
- Cela dit, force est de constater qu’il y a fort peu de jurisprudence et de doctrine sur l’interprétation de l’article 228 LAU et particulièrement de son second alinéa.
- Dans Mathieu c. Municipalité du Canton de Shefford, la seule décision citée par l’appelant, le juge Sylvain Provencher traite de ce second alinéa dans le contexte d’une question de droit acquis. Les extraits suivants de son jugement sont néanmoins d’un grand intérêt pour la question qui nous occupe[14] :
[15] D’abord, l’objectif premier du programme de réforme cadastrale est la reconstitution d’une image complète et fidèle du morcellement foncier au Québec. Aussi, cette réforme n’a pas pour but de restreindre ou de contrôler la fragmentation d’un territoire puisque des lois spécifiques sont adoptées à cette fin, notamment la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (« L.A.U. ») qui confère une partie importante de cette tâche au législateur municipal.
[16] Comme l’énonce Jean-François Delage :
30. À ce stade, la rénovation cadastrale consiste donc, compte tenu des divers titres de propriété qui sont publiés, à inventorier à l’intérieur du territoire retenu chaque lot ou chaque partie de lot, de façon à pouvoir éventuellement en arriver à former des unités cadastrales complètes en elles-mêmes et parfaitement identifiées sur un plan.
[17] La rénovation cadastrale s’opère sans égard à la législation provinciale et municipale en matière d’urbanisme. En d’autres mots, elle procède sans autrement considérer les normes applicables, notamment en matière de lotissement, comme si elles n’existaient pas.
[18] D’ailleurs, la mise en œuvre de la rénovation cadastrale – la création et l’immatriculation d’un lot – ne nécessite pas la délivrance préalable par le fonctionnaire municipal habilité d’un permis de lotissement comme normalement requis en vertu d’un règlement adopté selon l’article 115 L.A.U. Il n’y a donc aucun contrôle municipal préalable à la rénovation cadastrale.
[19] Cette intention du législateur de ne pas assujettir la rénovation cadastrale aux normes municipales apparaît de plus du deuxième alinéa de l’article 228 L.A.U. qui prohibe l’annulation de l’immatriculation de lots y résultant, non conforme au règlement de lotissement.
[Renvois omis]
- Jean-Pierre St-Amour tente également de saisir la portée du second alinéa de l’article 228 LAU. Il écrit ce qui suit : « Est également annulable l’opération cadastrale effectuée à l’encontre d’un plan d’implantation et d’intégration architecturale approuvé. Toutefois, cette annulation ne pourra être prononcée si l’opération cadastrale a été confirmée par l’immatriculation des immeubles faite dans le cadre d’une rénovation ou d’une révision cadastrale. »[15]. Il ne précise néanmoins pas la raison d’être de cette interprétation.
- Il convient de chercher la raison d’être de ce second alinéa de l’article 228 LAU en rappelant les objectifs de la rénovation cadastrale découlant de l’adoption de la Loi favorisant la réforme du cadastre québécois[16], laquelle a nécessité l’introduction de ce second alinéa dans la LAU:
L’État québécois lançait en 1985 un vaste programme de réforme de son cadastre. Cette dernière était rendue nécessaire puisque les plans cadastraux ne représentaient plus fidèlement le morcellement foncier, en raison surtout de l’absence d’une procédure obligatoire et systématique de mise à jour et de la possibilité de publier des actes sur parties de lot. Le programme de réforme visait ainsi à redonner au cadastre son caractère d’exactitude, de complétude et de fiabilité afin d’en accroître l’efficacité en matière de sécurité foncière. Après un rajustement important en 1992, le programme de réforme du cadastre était relancé selon les trois objectifs suivants : (1) reconstituer une représentation graphique complète du morcellement composé des quelque 3,8 millions de lots du domaine privé et de certains du domaine public – par exemple les rues; (2) assurer la mise à jour systématique du plan cadastral, ce qui sera éventuellement réalisé, à partir de 1994, par le biais de l’application des dispositions du Code civil du Québec relatives à la publicité foncière; (3) permettre son utilisation polyvalente au moyen de l’informatisation du plan et de la création d’une base de données cadastrales géoréférencé[17].
- L’auteur Jean Doré explique que les opérations cadastrales permettant de remplacer les anciens lots et parties de lots ne nécessitent pas l’approbation municipale[18] :
La Loi favorisant la réforme du cadastre québécois (L.R.Q., chapitre R-3.1) a été adoptée par l’Assemblée nationale en 1985 afin de refléter une image fidèle du morcellement foncier du territoire. Les opérations de rénovation ont été interrompues en 1988 et reprises sur de nouvelles bases entre 1992 et 1994, telles qu’appliquées aujourd’hui, suite aux quelques amendements apportés à cette loi depuis son adoption.
[…]
Étant donné que le programme de la rénovation cadastrale est effectué en fonction de la Loi favorisant la réforme du cadastre québécois et non pas en vertu du premier alinéa de l’article 3043 du Code civil du Québec, les opérations cadastrales permettant de remplacer les anciens lots et parties de lot ne sont pas assujetties à une approbation municipale. De plus, en vertu de l’article 230 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, une opération cadastrale ou un morcellement d’un lot dont les effets ont été confirmés par la rénovation cadastrale est non annulable : […]
[Soulignements ajoutés]
- Il y a d’ailleurs lieu de souligner que le législateur a créé deux présomptions visant à faciliter la transition vers le cadastre rénové, témoignant ainsi de son intention de faire primer la Loi favorisant la réforme du cadastre québécois sur les lois municipales[19] :
Le législateur québécois a créé deux présomptions accordant une force probante accrue aux données cadastrales issues du programme de réforme. Elles se trouvent à l’article 19.2 de la Loi favorisant la réforme du cadastre québécois et à l’article 3027 C.c.Q. Il s’agit de présomptions simples qui s’appliquent à des moments différents dans le processus de rénovation cadastrale et de création du plan du cadastre du Québec. Elles visent à faciliter la transition de l’ancien vers le nouveau cadastre. Ces présomptions sont qualifiées de simples car l’exactitude présumée du plan cadastral peut être renversée en tout temps par une preuve contraire, ce qui rend alors nécessaire sa correction.
Les deux présomptions légales rattachées au cadastre du Québec témoignent d’une même préoccupation de la part du législateur, soit d’assurer la primauté du cadastre face aux titres de propriété en ce qui concerne la description des immeubles. Ces présomptions confèrent au plan cadastral une force probante et un caractère officiel.
L’objectif de la présomption de l’article 19.2 est d’assurer le passage harmonieux du cadastre originaire et des plans cadastraux parcellaires, non rénovés, au cadastre du Québec ayant fait l’objet d’une rénovation cadastrale. En 1992, la relance de la rénovation cadastrale a été rendue possible par la création de cette présomption qui établit une concordance légale entre la description d’un lot telle qu’elle apparaît sur un plan de rénovation cadastrale et la description contenue dans un acte qui porte sur ledit lot.
- Ainsi, lorsqu’il procède à la rénovation cadastrale, l’arpenteur-géomètre doit établir le plan conformément aux lots en vigueur[20].
- L’interprétation de l’article 228 LAU doit être faite dans le contexte de la rénovation cadastrale telle qu’expliquée précédemment. Ce contexte m’amène à conclure que son second alinéa empêche l’application du premier alinéa dès lors que les lots ont été rénovés à la suite de la rénovation cadastrale. En l’espèce, la rénovation cadastrale des lots en cause date du 18 février 2020. À compter de cette date, l’opération cadastrale confirmée par la rénovation cadastrale ne pouvait plus être annulée, mais bien seulement corrigée.
- En effet, une fois le plan approuvé et immatriculé par l’Officier de la publicité foncière, l’ancien cadastre n’existe plus[21]. Il n’est alors plus possible d’annuler un lot sur un cadastre qui n’existe plus, d’où l’utilité du second alinéa de l’article 228 LAU.
- La raison d’être de ce second alinéa de l’article 228 LAU est technique et pratique. Lors de la rénovation cadastrale, l’arpenteur-géomètre représente correctement le lot tel qu’il existe. Si les représentants d’une municipalité constatent, après la rénovation et alors que le lot est désormais rénové, que ce lot a été créé avant la rénovation en dérogation à sa propre réglementation de lotissement (par exemple, il peut s’agir de la subdivision d’un lot dont la superficie est ensuite trop petite pour qu’il soit constructible au sens de la réglementation municipale), la municipalité ne peut plus en demander l’annulation puisque l’entrée en vigueur du cadastre rénové a fait disparaître l’ancien cadastre. Dans ces circonstances, l’annulation du lot ferait revivre le lot sur l’ancien cadastre, lequel n’existe plus.
- Bref, la solution n’est pas l’annulation de l’opération cadastrale effectuée en dérogation au règlement de lotissement avant la rénovation, mais sa correction en vertu de l’article 3043 C.c.Q., soit à la demande du propriétaire, laquelle doit être soumise au ministère des Ressources naturelles (al. 1), soit à l’initiative du ministère des Ressources naturelles (al. 3). Le plus souvent, la demande émanera du propriétaire, compte tenu de la présomption d’exactitude du plan cadastral rénové édictée par l’article 3027 C.c.Q.
- En l’espèce, puisque la juge de première instance s’est prononcée après la rénovation cadastrale, il n’était plus possible d’annuler ces opérations cadastrales faites sans droit. Le législateur a prévu que dans ces situations, la solution n’est pas l’annulation des lots dérogatoires, mais plutôt leur correction en vertu de l’article 3043 C.c.Q.
- Cette interprétation du second alinéa de l’article 228 LAU règle le sort de l’affaire. Dès la rénovation d’un lot – en l’espèce le 18 février 2020 – la solution est la correction des lots et non leur annulation.
- Bien que ce ne soit pas le propriétaire qui demande la correction en vertu du premier de l’article 3043 C.c.Q. et que le PGQ n’ait pas formé d’appel incident, il est opportun dans les circonstances d’ordonner au ministre de corriger les lots suivant l’article 3043 C.c.Q., en application du second alinéa de l’article 228 LAU. Il s’agit essentiellement de rétablir les limites cadastrales de la propriété d’Éric Morency de façon à exclure toute partie de l’emprise du chemin Abitibi-Price.
- Pour ces motifs, je suggère que la Cour accueille en partie l’appel à la seule fin de supprimer le paragraphe 156.
[1] Morency c. Municipalité de Saint-Ferréol-les-Neiges, 2023 QCCS 4382 [Jugement entrepris].
[2] Jugement entrepris, paragr. 15-17.
[4] Initialement, l’appelant soulevait un second moyen d’appel, à savoir que la juge aurait erré en droit en ne tenant pas compte du délai déraisonnable que la partie intimée a laissé s’écouler avant de signifier sa demande en annulation. Le 3 août 2023, saisie d’une requête en rejet d’appel de l’intimée, la Cour rejette le moyen portant sur le délai déraisonnable et accueille partiellement la requête. Par conséquent, le seul moyen faisant l’objet de l’appel est celui selon lequel la juge aurait erré en droit en ne tenant pas compte de l’article 228, alinéa 2 LAU : Morency c. Municipalité de Saint‑Ferréol‑des‑Neiges, 2023 QCCA 1442.
[5] Construction Infrabec inc. c. Paul Savard, Entrepreneur électricien inc., 2012 QCCA 2304, paragr. 42‑43, citant Pitre et Durand Inc. (Syndic de), [1990] R.J.Q. 2088 (C.A.), repris dans V.L. c. Ville de Gatineau, 2022 QCCA 1395, paragr. 43; Elixxer ltd. (Capital LGC Inc.) c. Corporation Tricho‑Med, 2019 QCCA 2092, paragr. 8 (j. unique); Préville-Ratelle c. Beaupré, 2015 QCCA 1531, paragr. 14‑16 (j. unique).
[6] Loi favorisant la réforme du cadastre québécois, RLRQ, c. R-3.1.
[7] Loi sur la qualité de l’environnement, RLRQ, c. Q-2.
[8] François Brochu, « Critique d’une réforme cosmétique en matière de publicité foncière », (2003) 105 R. du N. 735, p. 773.
[9] Francis Roy, « L’exactitude technique et juridique du plan de cadastre du Québec », (2011) 113‑3 Revue du notariat 595, p. 596, 606 et François Brochu, « Critique d’une réforme cosmétique en matière de publicité foncière », supra, note 8, p. 771.
[10] Francis Roy, « L’exactitude technique et juridique du plan de cadastre du Québec », supra, note 9, p. 618.
[12] François Brochu, « Critique d’une réforme cosmétique en matière de publicité foncière », supra, note 8, p. 774; Francis Roy, supra, note 9, p. 617.
[13] Francis Roy, « L’exactitude technique et juridique du plan de cadastre du Québec », supra, note 9, p 612.
[14] Mathieu c. Municipalité du Canton de Shefford, 2019 QCCS 1745.
[15] Jean-Pierre St-Amour, Le droit municipal de l’urbanisme discrétionnaire au Québec, Cowansville, Yvon Blais, 2006, p. 234, no 504.
[16] L.R.Q., chapitre R-3.1.
[17] Francis Roy, « L’exactitude technique et juridique du plan de cadastre du Québec », supra, note 9, p. 595-596.
[19] Francis Roy, « L’exactitude technique et juridique du plan de cadastre du Québec », supra, note 9, p. 613.
[20] Sur les pouvoirs très larges que la loi confère au ministre : Pierre Duchaine, La rénovation cadastrale, 2e éd., Montréal, Chambre des notaires du Québec, Wilson & Lafleur, 2016, p. 16, no 36-39.
[21] Jean Doré, Les opérations cadastrales et la réglementation municipale, supra, note 18, p. 337.