Sanimax Lom inc. c. Ville de Montréal | 2022 QCCS 3312 |
COUR SUPÉRIEURE | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
DISTRICT DE | MONTRÉAL | ||||
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No : | 500-17-094335-166 | ||||
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DATE : | 6 septembre 2022 | ||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | FRÉDÉRIC PÉRODEAU, J.C.S. | |||
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SANIMAX LOM INC. | |||||
Demanderesse | |||||
c. | |||||
VILLE DE MONTRÉAL et ROGER LACHANCE, en sa qualité de directeur du Service de l’environnement de la Ville de Montréal | |||||
Défendeurs | |||||
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JUGEMENT (Demande de pourvoi en contrôle judiciaire et demande reconventionnelle en injonction) | |||||
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[1] La demanderesse Sanimax Lom inc. se spécialise dans la récupération et la revalorisation de sous-produits agroalimentaires. Elle exploite plusieurs usines, dont une située sur le territoire de la Ville de Montréal. Cette usine œuvre principalement dans l’équarrissage des sous-produits de l’industrie de la transformation du porc et du poulet qu’elle transforme en graisses et farines.
[2] Une des contraintes inhérentes à l’activité de cette usine de Sanimax est la production d’eaux usées qui contiennent de l’azote ammoniacal. L’azote ammoniacal est un contaminant toxique pour la vie aquatique.
[3] Les concentrations d’azote ammoniacal contenues dans les eaux usées déversées par Sanimax dans l’ouvrage d’assainissement de la Ville sont significativement supérieures à la norme maximale prévue par le règlement sur l’assainissement des eaux. Il en est ainsi malgré les efforts déployés par Sanimax au cours des dernières années afin de respecter le règlement. Ce règlement prévoit qu’il est permis dans certaines circonstances d’y déverser des eaux usées qui dépassent les normes maximales dans la mesure spécifiée dans une entente écrite conclue avec l’exploitant de l’ouvrage d’assainissement.
[4] C’est dans ce contexte que Sanimax demande à la Ville en août 2015 de conclure avec elle une telle entente afin qu’il lui soit permis de déverser dans l’ouvrage d’assainissement des eaux usées qui dépassent la norme maximale pour l’azote ammoniacal. La Ville refuse cette demande en mai 2016 au seul motif qu’elle « a adopté comme position de ne consentir aucune entente de dérogation à la norme d’azote ammoniacal ».
[5] Sanimax adresse au Tribunal une demande de pourvoi en contrôle judiciaire de cette décision de la Ville de ne pas accepter sa demande de dérogation.
[6] Elle plaide dans un premier temps que la décision viole les règles de l’équité procédurale, que ses motifs sont insuffisants et qu’elle doit être annulée.
[7] Elle ajoute que la Ville n’a pas analysé sa demande, qu’elle l’a rejetée sur la base d’une position administrative générale sans considérer les particularités de sa situation, qu’il s’agit là d’un refus d’appliquer le règlement et que sa décision est illégale et doit être annulée.
[8] Enfin, Sanimax plaide que la décision de la Ville de refuser sa demande de dérogation conduit à un résultat illogique, incohérent et absurde puisque l’azote ammoniacal est compris dans la mesure de l’azote total et que la Ville lui a accordé une dérogation pour l’azote total. Elle précise que les dépassements à la norme applicable à l’azote total résultent des dépassements à la norme applicable à l’azote ammoniacal et que la Ville ne peut donc pas conclure une entente de dérogation à l’égard de l’azote total et ne pas en conclure une pour l’azote ammoniacal.
[9] Elle demande au Tribunal d’annuler la décision rendue par la Ville et d’ordonner à cette dernière de conclure avec elle une entente de dérogation afin qu’il lui soit permis de déverser dans l’ouvrage d’assainissement des eaux usées qui dépassent les valeurs admissibles prévues au règlement pour l’azote ammoniacal. Subsidiairement, elle lui demande d’ordonner à la Ville de se saisir de sa demande de conclure une entente de dérogation et de l’étudier.
[10] La Ville et son directeur du Service de l’environnement contestent cette demande. Ils plaident principalement que le pouvoir exercé est un pouvoir lié et non un pouvoir discrétionnaire puisque le règlement permet de conclure des ententes de dérogations « en fonction de la capacité de traitement de l’ouvrage d’assainissement » alors que l’ouvrage d’assainissement en question n’a pas la capacité de traiter l’azote ammoniacal. Comme l’équité procédurale ne s’applique pas selon eux à l’exercice d’un pouvoir lié, la décision ne saurait être annulée puisqu’elle ne serait pas suffisamment motivée ou qu’elle contreviendrait à l’équité procédurale.
[11] En ce qui concerne le rejet de la demande de Sanimax sur la base d’une position administrative générale, les défendeurs plaident qu’aucune telle politique n’existe et que la situation particulière de Sanimax n’est pas pertinente compte tenu du fait que seule la capacité de traitement de l’ouvrage d’assainissement doit être considérée.
[12] Enfin, ils soutiennent que le Tribunal devrait éviter de s’immiscer dans un processus décisionnel de cette nature puisqu’il s’agit essentiellement d’une question relative à l’opportunité de la décision rendue et non à sa légalité. Dans la mesure où la Ville a agi dans le respect du cadre réglementaire en vigueur, l’opportunité de la décision la concerne et ne relève pas du pouvoir de surveillance du Tribunal.
[13] Pour leur part, ils demandent au Tribunal de prononcer une injonction permanente afin que cesse le déversement ou le rejet dans ses ouvrages d’assainissement d’eaux usées qui dépassent la norme applicable à l’azote ammoniacal.
[14] Ils plaident que Sanimax déverse des eaux usées qui comportent de l’azote ammoniacal en concentrations et quantités supérieures à ce qui est admissible en vertu du règlement, qu’elle ne prend pas de mesures particulières pour en limiter le déversement et qu’elle exerce ses activités en contravention du règlement depuis plusieurs années maintenant.
[15] Sanimax rétorque à ce sujet que le recours à l’injonction n’est pas le remède approprié puisqu’il lui est impossible de respecter de telles conclusions à l’intérieur d’un délai raisonnable. Une telle ordonnance l’exposerait à un outrage au tribunal « automatique » et lui causerait un préjudice important ainsi qu’à la société en général.
[16] Dans ce contexte, le Tribunal doit répondre aux questions suivantes :
16.1. La décision rendue par la Ville est-elle raisonnable ?
16.2. La Ville a-t-elle manqué à l’obligation d’équité procédurale ?
16.3. Quelle est la réparation appropriée ?
16.4. Le Tribunal doit-il prononcer l’injonction recherchée par la Ville ?
[17] Le Tribunal annulera la décision rendue par la Ville puisqu’elle n’est pas raisonnable en ce que ses motifs ne la justifient pas de manière transparente et intelligible. La Ville présente bien de brefs motifs à Sanimax mais ceux-ci sont insuffisants à une époque où tous s’entendent sur la nécessité de développer et de renforcer une culture de la justification.
[18] L’affaire ne sera toutefois pas renvoyée au décideur pour réexamen puisqu’un résultat donné est inévitable. La position de la Ville et l’interprétation du règlement mènent inexorablement à un seul résultat : le refus de la demande de dérogation de Sanimax. Il s’agit par conséquent d’un de ces rares cas où le renvoi au décideur ferait échec au souci de résolution rapide et efficace des affaires.
[19] Finalement, le Tribunal accueillera la demande d’injonction des défendeurs et ordonnera à Sanimax, à ses dirigeants et à ses représentants, de ne pas déverser, de ne pas permettre le déversement ou de ne pas tolérer le déversement dans un ouvrage d’assainissement de la Ville d’azote ammoniacal ou d’eaux usées qui contiennent de l’azote ammoniacal dans des concentrations ou des quantités supérieures à la norme maximale prévue par le règlement.
L’analyse globale de la situation amène le Tribunal à conclure que des correctifs doivent être mis en place à la source. Il n’est ni opportun ni souhaitable de remettre la mise en place d’une solution qui assure le respect de la norme applicable non plus qu’il soit opportun ou souhaitable de permettre que se perpétue la contravention à cette norme qui perdure depuis plus d’une décennie.
[20] Cette ordonnance ne prendra cependant effet qu’à compter du 1er mai 2024 puisqu’une injonction qui prendrait effet à la date du présent jugement mènerait à la cessation immédiate des activités de l’usine de Sanimax et aurait des effets perturbateurs néfastes sur l’ensemble de la filière alimentaire québécoise, et ce, de l’éleveur à l’assiette.
[21] Une table des matières se trouve à la fin du présent jugement.
[22] L’azote est un élément chimique très commun et un composé de base de la matière organique.
[23] L’azote organique est la principale forme d’azote qui se retrouve dans les cellules vivantes. L’azote organique se transforme en azote ammoniacal par un processus microbien de décomposition de la matière organique qu’on appelle l’ammonification. L’ammonification de l’azote organique en azote ammoniacal survient lorsque les conditions y sont favorables. Les principales conditions qui favorisent l’ammonification sont une concentration élevée en azote organique et en microorganismes ainsi qu’une température relativement élevée.
[24] L’azote ammoniacal est composé d’ammoniac ionisé et d’ammoniac non ionisé. L’ammoniac non ionisé produit par ammonification est nocif pour les organismes vivants.
[25] Contrairement à l’azote organique et à l’azote ammoniacal, l’azote total Kjeldahl (ou azote total) n’est pas une forme d’azote. Il s’agit plutôt de la somme de l’azote organique et de l’azote ammoniacal dans un échantillon. Il s’agit donc d’une méthode de mesure de la concentration de l’azote organique et de l’azote ammoniacal et non d’une forme d’azote.
[26] Sanimax fait partie d’un groupe d’entreprises qui exploite des usines d’équarrissage[1] et des établissements de transbordement de sous-produits d’origine animale.
[27] Elle récupère des matières organiques, des huiles de cuisson usées, des animaux morts et des sous-produits d’origine animale dans les restaurants, abattoirs et commerces d’alimentation ainsi que chez les transformateurs. Elle les recycle ensuite pour en faire des produits à valeur ajoutée, à savoir des graisses, des farines, des suifs, des cuirs, des protéines et des biocarburants. Elle parvient ainsi à revaloriser plus de 50 % des produits d’origine animale qui ne sont pas consommés. Ces produits à valeur ajoutée sont ensuite retournés sur le marché national et international pour y être transformés à nouveau en produits d’usage courant, dont des teintures, des lubrifiants, des détergents, des pneus de voiture, des cosmétiques, des solvants, des médicaments et des produits qui servent à l’alimentation animale.
[28] L’établissement de Sanimax dont il est question dans cette affaire est situé sur le territoire de la Ville. Il abrite le siège social de l’entreprise et son usine la plus importante au Québec. Cette usine œuvre principalement dans l’équarrissage des sous-produits de l’industrie de la transformation du porc et du poulet. Elle est la seule au Québec à procéder à l’équarrissage de ces sous-produits.
[29] Une contrainte inhérente à l’activité de cette usine de Sanimax est la production d’eaux usées chargées en azote. La décomposition naturelle des protéines présentes dans la matière organique des sous-produits animaux récupérés par Sanimax génère de l’azote ammoniacal par ammonification.
[30] Depuis plus de dix ans, cette usine déverse dans la Station d’épuration Jean-R.-Marcotte de la Ville des eaux usées qui contiennent de l’azote ammoniacal dans des concentrations ou des quantités significativement supérieures à la norme maximale prévue par le Règlement numéro 2008-47 sur l’assainissement des eaux de la Communauté métropolitaine de Montréal (la « CMM »).
[31] C’est en décembre 2008 que la CMM adopte le Règlement 2008-47 sur l’assainissement des eaux (le « Règlement »). Il reçoit l’approbation de la ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs en mars 2009 et entre en vigueur le 1er avril 2009[2]. Certains articles du Règlement n’ont toutefois effet qu’à compter du 1er janvier 2012, dont les articles qui concernent le déversement de contaminants (notamment l’azote total Kjeldahl et l’azote ammoniacal) et la conclusion d’ententes de dérogation[3].
[32] Le Règlement harmonise les dizaines de règlements sur l’assainissement des eaux qui étaient jusqu’alors en vigueur dans les quatre-vingt-deux municipalités qui composent la CMM.
[33] Son objectif primordial est d’assurer la protection et la pérennité de l’environnement[4] et des investissements en infrastructures d’assainissement. À cette fin, il met de l’avant une actualisation de plusieurs normes environnementales qui reflète l’état des connaissances relatives aux impacts des contaminants sur la population, le milieu récepteur ou les infrastructures. Le Règlement prévoit ainsi des seuils plus sévères pour certains contaminants et ajoute de nouveaux contaminants qui nécessitent un suivi ou qui sont désormais interdits. Il cherche ainsi à conserver ou bonifier les acquis environnementaux et de santé publique du territoire[5]. Le Règlement vise aussi à mieux protéger et mettre en valeur le patrimoine naturel collectif et à améliorer la qualité de vie de la population de l’ensemble du territoire de la CMM en favorisant la récupération de l’usage des cours d’eau à des fins récréatives et touristiques et en diminuant les risques de contamination des sources d’eau potable. La CMM recherche pour l’ensemble de son territoire un développement harmonieux et équitable, dans un environnement de qualité[6].
[34] Ses dispositions pertinentes sont les suivantes :
Article 6 - Déversement de contaminants
a) Il est interdit, en tout temps, de déverser, de permettre ou de tolérer le déversement, dans un ouvrage d’assainissement, d’un ou plusieurs des contaminants suivants :
(…)
b) Il est interdit, en tout temps, de déverser, de permettre ou de tolérer le déversement, dans un ouvrage d’assainissement, d’un ou plusieurs contaminants identifiés au Tableau de l’Annexe 1 dans des concentrations ou des quantités supérieures aux normes maximales prévues à ce tableau pour chacun de ces contaminants.
c) Il est interdit, en tout temps, de déverser, de permettre ou de tolérer le déversement, dans un ouvrage d’assainissement, d’eaux usées contenant un ou plusieurs des contaminants identifiés au paragraphe a) de l’article 6 ou au Tableau de l’Annexe 1 dans des concentrations ou des quantités supérieures aux normes maximales prévues à ce tableau pour chacun de ces contaminants.
(…)
Article 8 - Dérogation par entente
a) Il est permis à une personne de déverser dans un ouvrage d’assainissement des eaux usées dépassant les valeurs admissibles indiquées aux colonnes A ou B du Tableau de l’Annexe 1 dans la mesure spécifiée dans une entente écrite conclue entre cette personne et l’exploitant de l’ouvrage d’assainissement disposant des pouvoirs nécessaires à la conclusion d’une telle entente. Cette dérogation ne peut être permise, en fonction de la capacité de traitement de l’ouvrage d’assainissement, que pour les contaminants suivants :
1° Azote total Kjeldahl;
2° Azote ammoniacal;
3° DCO;
4° MES;
5° Phosphore total.
b) Il est permis à une personne d’effectuer un déversement dans un ouvrage d’assainissement par un raccordement temporaire dans la mesure spécifiée dans une entente écrite conclue entre cette personne et l’exploitant de l’ouvrage d’assainissement disposant des pouvoirs nécessaires à la conclusion d’une telle entente.
c) Une entente mentionnée aux paragraphes a) et b) de l’article 8 doit être conservée par l’exploitant de l’ouvrage d’assainissement et rendue disponible pour consultation par la Communauté.
[35] Le « Tableau de l’Annexe 1 » s’intitule « Tableau des contaminants à déversement limité selon des concentrations et des quantités maximales ». On y retrouve notamment l’azote total avec une norme maximale de 70 mg/L et l’azote ammoniacal avec une norme maximale de 45 mg/L.
[36] La CMM délègue l’application du Règlement aux municipalités dont le nom apparaît en annexe, dont la Ville, et chaque municipalité délégataire met en œuvre le règlement sur son territoire[7].
[37] Il est utile de faire un survol chronologique des faits pertinents survenus depuis l’entrée en vigueur du Règlement, incluant des échanges entre la Ville et Sanimax.
[38] Le 30 juin 2010, Sanimax transmet à la Ville les résultats de la caractérisation de ses eaux usées réalisée en avril 2010. La concentration en azote total Kjeldahl des échantillons prélevés est de 300 mg/L et 320 mg/L alors que leur concentration en azote ammoniacal est de 250 mg/L et 290 mg/L[8].
[39] Le 22 octobre 2010, la Ville écrit à Sanimax pour lui indiquer qu’un plan des mesures qui seront mises en place pour assurer la correction de la situation et un échéancier de réalisation de ces mesures devaient accompagner le rapport de caractérisation des eaux transmis. La Ville demande alors à Sanimax de les lui faire parvenir avant le 14 janvier 2011. Elle mentionne aussi qu’une approbation préalable de sa part est requise dans l’éventualité où un nouveau système de traitement est nécessaire pour respecter les normes[9].
[40] Le 23 décembre 2010, Sanimax demande que le délai fixé au 14 janvier 2011 soit reporté au 25 février 2011. Elle explique avoir fait appel à quelques firmes d’ingénierie afin de produire un rapport d’ingénierie préliminaire du système de traitement des eaux usées qui serait requis afin d’être conforme aux normes et souligne être en attente de réponses afin de pouvoir choisir le design approprié[10].
[41] Le 23 décembre 2010, Sanimax transmet son programme environnemental 2010-2015 à la Ville. En ce qui concerne son système de traitement des eaux usées, ce programme fait état de sa modernisation de 2011 à 2014 pour un coût approximatif de douze millions de dollars. L’objectif est de limiter les odeurs issues des eaux usées et de se conformer au Règlement[11].
[42] Le 11 mars 2011, la Ville informe Sanimax de son accord de principe pour la réalisation de son programme environnemental 2010-2015 et lui demande de lui fournir, tous les six mois, un rapport de l’évolution des dossiers qui en font l’objet, et ce, à compter du 31 décembre 2011. Elle précise que le premier rapport devra inclure les plans et devis de la modernisation du système de traitement des eaux usées[12].
[43] Le 23 décembre 2011, Sanimax transmet à la Ville un rapport d’étape. Elle y mentionne avoir reçu cinq propositions de différentes firmes d’ingénierie et souligne que, compte tenu de l’ampleur des travaux ainsi que de la complexité et de la variété des propositions reçues, elle a mandaté une firme d’ingénierie indépendante pour l’accompagner afin de faire le choix qui correspond le mieux à ses besoins et qui permet de se conformer aux exigences du Règlement[13].
[44] Le 25 avril 2012, Sanimax communique à la Ville l’avis technique rédigé par la firme d’ingénierie qui l’accompagne. Cet avis comporte un document explicatif, une grille comparative des propositions reçues, des tableaux de débits et charges, un plan d’aménagement préliminaire ainsi qu’un échéancier de réalisation[14]. Puisqu’il est difficile de comparer les propositions des fournisseurs, cette firme d’ingénierie suggère à la suite de sa propre analyse de retenir comme approche un traitement biologique avec procédé aérobie[15].
[45] Le projet comporte deux phases :
45.1. La Phase 1 consiste à moderniser le système de traitement des eaux usées de Sanimax par la construction d’une nouvelle unité de prétraitement et de traitement primaire de ses effluents. Cette nouvelle unité doit remplacer l’unité existante construite en 1976 et qui a atteint sa durée de vie utile.
45.2. La Phase 2 consiste à construire un traitement secondaire des eaux usées afin d’assurer le respect des normes pour l’azote total, l’azote ammoniacal et les composés phénoliques totaux.
[46] Le 1er octobre 2012, Sanimax et la Ville tiennent une rencontre afin de discuter d’un éventuel contournement temporaire du système de traitement primaire des eaux usées durant la phase de construction du nouveau prétraitement et traitement primaire. Le contournement proposé permet de réduire les risques techniques associés au projet, de réduire la durée des travaux et de mettre en opération quelques mois plus tôt la nouvelle unité plus performante. Sanimax formule une demande de contournement officielle quelques jours plus tard[16].
[47] Le 8 novembre 2012, la Ville accepte la proposition de Sanimax, compte tenu de la nécessité d’avoir une unité de prétraitement et traitement primaire des eaux usées plus performante[17].
[48] En novembre 2012, Sanimax publie un appel d’intérêt pour un projet de recherche et développement qui concerne la valorisation de l’azote ammoniacal et du soufre de l’effluent de son usine[18]. L’objectif de cette démarche est d’obtenir des suggestions et des propositions de programme de recherche afin de valoriser l’azote ammoniacal et le soufre présents dans ses sources d’eaux usées. Elle y spécifie que les eaux usées à la sortie du traitement proposé devront rencontrer les seuils admissibles prévus au Règlement pour l’azote total, l’azote ammoniacal et les sulfures.
[49] Le 15 janvier 2013, Sanimax transmet à la Ville les plans de construction de sa nouvelle unité de prétraitement et de traitement primaire de ses effluents afin d’obtenir son accord[19].
[50] Le 25 avril 2013, la Ville accorde les permis et approbation requis à certaines conditions, dont l’installation et la mise en service avant le 30 juin 2013 des équipements de traitement des effluents de traitement des eaux qui font l’objet de la demande[20].
[51] Sanimax mandate en parallèle la firme Golder afin de réaliser son projet de recherche et développement pour la valorisation de l’azote ammoniacal et du soufre des effluents de son usine (paragraphe [48]). Ce projet vise notamment à identifier des solutions de valorisation des eaux usées afin de lui permettre de se conformer aux valeurs admissibles prévues au Règlement pour l’azote total, l’azote ammoniacal et les sulfures[21].
[52] Ce projet de recherche et développement se divise en trois étapes :
52.1. Caractérisation des eaux de l’effluent final de l’usine.
52.2. Recherche et étude de faisabilité (réalisation d’une revue de littérature pour la recherche de solutions potentielles, étude comparative de ces solutions et essais en laboratoire).
52.3. Validation de la solution proposée par un essai en unité pilote.
[53] Il comprend aussi la préparation d’un design préliminaire, d’un diagramme d’écoulement et d’une estimation des coûts.
[54] Le mandat confié à Golder concerne la réalisation des deux premières étapes, c’est-à-dire la caractérisation des eaux des effluents et la recherche et étude de faisabilité[22].
[55] Le 23 décembre 2013, Sanimax informe la Ville qu’elle a réalisé la Phase 1 de son projet de modernisation de son système de traitement des eaux usées qui consistait à construire une nouvelle unité de prétraitement et de traitement primaire de ses effluents afin de remplacer l’unité existante. Sanimax a réalisé cette phase de son projet de modernisation au coût de six millions de dollars. Elle lui permet de réduire considérablement les concentrations en huiles et graisses totales et en matières en suspension et elle lui permet aussi de contrôler le pH de ses eaux usées. Ce système de traitement permet de respecter les normes prévues au Règlement pour ces trois paramètres.
[56] Sanimax souligne que, bien qu’elle eût prévu compléter l’ensemble du projet en 2014, elle a substantiellement modifié l’approche initialement préconisée afin d’explorer des avenues plus innovatrices qui lui permettraient de valoriser l’azote ammoniacal (paragraphes [48] et [51] à [54]). Elle ajoute avoir procédé à un appel d’intérêt afin de solliciter des partenaires externes dans le contexte d’un projet de recherche et développement des meilleures solutions de traitement. Sanimax précise avoir reçu des soumissions de cinq firmes et avoir retenu les services de la firme Golder. Elle sollicite alors une rencontre avec la Ville afin de lui présenter l’approche proposée par Golder[23].
[57] Les parties tiennent effectivement une rencontre le 31 janvier 2014 afin de discuter de l’historique du dossier, de présenter ce projet et de discuter d’un échéancier global[24]. La firme Golder souligne qu’elle procédera à une campagne d’échantillonnage au cours des quatre semaines qui suivent en vue de la première étape de son projet, à savoir la caractérisation des effluents de Sanimax.
[58] Le 7 février 2014, le responsable du dossier de Sanimax au sein de la Division du contrôle des rejets industriels du Service de l’environnement de la Ville prend sa retraite et un nouveau responsable est nommé[25]. Sanimax constate un changement dans l’attitude et l’approche de la Ville à son égard à compter de ce moment. Ses représentants décrivent une approche qui est moins axée sur la collaboration et qui est plus axée sur la mise en application de la réglementation.
[59] Le 12 février 2014, la Ville écrit à Sanimax afin de l’informer des concentrations de certains paramètres dans des échantillons prélevés par son équipe de 2009 à 2013. Les résultats communiqués démontrent un dépassement des normes maximales prévues au Règlement pour l’azote total (dont les concentrations varient entre 174 mg/L et 551 mg/L) et pour l’azote ammoniacal (dont les concentrations varient entre 246 mg/L et 592 mg/L[26]). La Ville demande alors à Sanimax de lui transmettre le rapport de la caractérisation de ses effluents à laquelle procède Golder, et ce, au plus tard le 9 mai 2014. Puisque les concentrations de composés phénoliques totaux et de sulfures sont aussi en excès des valeurs admissibles, la Ville demande à Sanimax d’inclure au rapport de caractérisation un plan de mesures correctives et un échéancier détaillé qui permettent le respect à court terme des normes pour ces deux contaminants[27].
[60] Le 10 mars 2014, Sanimax avise la Ville que la campagne d’échantillonnage prévue est repoussée de deux semaines afin de procéder à des validations critiques au succès du projet. Elle l’informe que les résultats de cette caractérisation lui seront par conséquent présentés vers le 23 mai 2014. Elle confirme aussi qu’elle présentera des solutions de traitement des composés phénoliques totaux et des sulfures s’ils sont effectivement en excès des valeurs admissibles[28].
[61] Le 16 mai 2014, Golder produit un rapport sommaire de caractérisation de l’effluent final de l’usine de Sanimax. Ce rapport donne suite à l’étude de caractérisation réalisée en mars 2014. Golder observe un dépassement des valeurs maximales prévues au Règlement pour l’azote total, l’azote ammoniacal, les sulfures et la demande chimique en oxygène[29]. En période de production normale, Golder note une concentration en azote total qui varie entre 300 mg/L et 460 mg/L avec une moyenne de 365 mg/L pour l’ensemble de la caractérisation et une concentration en azote ammoniacal qui varie entre 220 mg/L et 370 mg/L avec une moyenne de 293 mg/L.
[62] Le 16 mai 2014, Sanimax fait parvenir à la Ville un échéancier global de réalisation de son projet de valorisation de l’azote ammoniacal et du soufre des effluents de son usine. Cet échéancier fait notamment état de la réalisation d’un essai en unité pilote de mars à septembre 2015, de travaux d’ingénierie et d’approbations de septembre à la fin de 2015, de la construction du nouveau concept d’avril à décembre 2016 et de la mise en route de l’unité de traitement des eaux au premier trimestre de 2017[30].
[63] Le 12 juin 2014, la Ville fait part à Sanimax de son désaccord quant à l’échéancier proposé. Après avoir procédé à un historique du dossier, la Ville demande à Sanimax de respecter son plan quinquennal 2011-2015 tel qu’approuvé par la Ville et qui prévoit la modernisation du système de traitement des eaux afin de se conformer au Règlement en 2014[31].
[64] Le 12 juin 2014, la Ville de Montréal informe Sanimax que les résultats d’analyses effectuées dans le cadre de son programme d’échantillonnage indiquent des concentrations en azote ammoniacal de 205 mg/L[32].
[65] Le 20 juin 2014, Sanimax transmet à la Ville, en prévision d’une rencontre prévue pour le 25 juin 2014, un échéancier global révisé qui fait état de la mise en route et de l’optimisation de l’unité de traitement des eaux en décembre 2015[33].
[66] Le 25 juin 2014, Sanimax rencontre la Ville afin notamment de lui présenter un résumé du rapport de caractérisation réalisé par Golder et de lui présenter le nouvel échéancier de réalisation de son projet de recherche et développement[34]. Sanimax et la Ville y discutent notamment de la question des dérogations. En ce qui concerne spécifiquement l’azote ammoniacal, le compte-rendu de la rencontre indique que la Ville mentionne à Sanimax qu’il n’y a pas de dérogation possible pour l’azote ammoniacal.
[67] Le 10 septembre 2014, Sanimax fait rapport à la Ville quant à l’état d’avancement du projet. Elle lui présente les étapes réalisées (dont la revue de littérature et l’évaluation des technologies), l’essai en unité pilote à venir, les essais en laboratoire qui seront réalisés et leur échéancier[35]. La rédaction d’un rapport est prévue de 14 à 16 semaines après le démarrage de l’unité pilote et des essais[36].
[68] En septembre 2014, Sanimax confie à Veolia Water Solutions & Technologies le mandat de réaliser l’essai en unité pilote[37].
[69] Le 10 septembre 2014, Sanimax dépose une demande de permis et d’approbation, pour l’installation et l’utilisation d’une unité pilote de traitement des eaux usées qui sera en service jusqu’au 1er février 2015 approximativement.
[70] Le 24 septembre 2014, la Ville accorde les permis et approbation requis à certaines conditions, dont la transmission au plus tard le 2 avril 2015 d’un rapport qui résume l’ensemble des données recueillies pendant la période d’opération de l’unité pilote[38].
[71] Les essais débutent en octobre 2014 pour une période de trois mois.
[72] Le 15 janvier 2015, Sanimax dépose un mémoire dans le cadre d’une consultation publique menée par la Commission de l’environnement de la CMM qui concerne le suivi de l’application de la réglementation sur l’assainissement des eaux. L’objectif de cette consultation est de recueillir le point de vue des municipalités, des représentants du secteur industriel et des groupes environnementaux quant aux forces et faiblesses du mode de suivi actuel ainsi qu’aux mesures susceptibles de favoriser un meilleur encadrement du suivi de la réglementation pour assurer une plus grande équité de l’application du Règlement sur le territoire de la CMM[39].
[73] Sanimax demande que le Règlement soit amendé pour abroger les normes relatives à l’azote total, à l’azote ammoniacal et aux composés phénoliques totaux ou, subsidiairement, pour en exclure les déversements d’eaux usées qui proviennent de toute entreprise d’équarrissage qui constitue un service public essentiel. À défaut, elle demande à la Ville de conclure avec elle une entente de dérogation relative à ces trois contaminants[40]. Elle ajoute qu’il serait préférable que la Station Jean-R.-Marcotte prenne en charge le traitement de l’azote total, de l’azote ammoniacal et des composés phénoliques totaux par la mise en place d’un traitement secondaire des eaux usées. Au soutien de sa demande, Sanimax fait notamment valoir les difficultés rencontrées, les défis techniques et technologiques importants, les investissements et coûts d’exploitation annuels considérables requis afin de réduire la concentration de ces contaminants sous les seuls admissibles et les conséquences négatives de ceux-ci sur sa position concurrentielle.
[74] Le 24 février 2015, Sanimax présente à la Ville un suivi de l’avancement du projet ainsi que les données colligées du début des essais jusqu’au 13 février 2015. Les représentants de la Ville et de Sanimax visitent alors l’unité pilote.
[75] Le 13 mars 2015, comme suite de la rencontre du 24 février 2015, Sanimax transmet à la Ville un suivi d’avancement sur l’essai en unité pilote du traitement biologique de ses eaux usées pour cette période[41]. On y indique que les résultats obtenus après cinq mois ne permettent pas de conclure que ces traitements biologiques seront efficaces afin d’assurer le respect, en tout temps, des seuils admissibles prévus au Règlement pour l’azote total et l’azote ammoniacal. Sanimax précise que le traitement biologique présente des défis techniques et technologiques de taille et qu’elle est en processus d’amélioration continue avec Golder et Veolia afin de mieux comprendre les problématiques à l’origine de ces défis et de poursuivre son étude du traitement biologique de ses eaux usées. Elle conclut que la prolongation des essais est requise et souligne que la remise du rapport final est reportée afin d’en tenir compte.
[76] En avril 2015, la Commission de l’environnement de la CMM publie un rapport de la consultation publique concernant le suivi de l’application de la réglementation métropolitaine sur l’assainissement des eaux (paragraphe [72])[42]. En ce qui concerne les remarques des représentants du secteur industriel quant aux difficultés rencontrées, la Commission recommande à la CMM de revoir l’état des connaissances quant aux risques associés au déversement des contaminants dont la conformité s’avère problématique (dont l’azote total et l’azote ammoniacal) et de réévaluer au besoin la pertinence d’une modification réglementaire.
[77] En juin 2015, Sanimax transmet à la Ville son rapport final. Ce rapport indique notamment que le traitement biologique évalué ne permet pas l’enlèvement de l’azote ammoniacal et de l’azote total à des niveaux suffisants pour assurer le respect des normes, et ce, en raison de la nature de la matière première traitée et de la chimie caractéristique des eaux usées qui en résultent[43]. Elle précise que les caractéristiques physicochimiques et la variabilité de la qualité des eaux usées générées (qui résultent du fait que ses procédés ne sont pas en fonction en tout temps et des variations de qualité de la matière première) font en sorte qu’une telle approche n’est pas adaptée à sa situation.
[78] Le 14 juillet 2015, la Ville écrit à Sanimax[44] et lui indique que :
78.1. Aucun plan n’accompagne le rapport de juin 2015 afin de détailler les actions que Sanimax entend prendre à la suite de ces résultats.
78.2. La Ville n’a connaissance d’aucune démarche en cours de réalisation par Sanimax pour assurer le respect des valeurs admissibles prévues au Règlement.
78.3. La modernisation du système de traitement des eaux afin de se conformer au Règlement est un des engagements de son programme environnemental quinquennal 2011-2015.
[79] La Ville demande à Sanimax de lui soumettre au plus tard le 14 août 2015 un plan d’action pour le respect de la norme d’azote ammoniacal conforme aux échéanciers soumis.
[80] Le 11 août 2015, Sanimax soumet à la Ville une demande de dérogation par entente en application du Règlement[45].
[81] Le 9 mai 2016, la Ville répond à la lettre de Sanimax du 11 août 2015 et refuse sa demande de conclure une entente de dérogation :
À ce jour, la Ville de Montréal a adopté comme position de ne consentir aucune entente de dérogation à la norme d’azote ammoniacal et nous vous informons que conséquemment, nous ne pouvons accepter la demande de Sanimax Lom inc. en ce sens[46].
[82] La Ville demande alors à Sanimax de lui soumettre un plan d’action détaillé qui permet le respect de la norme d’azote ammoniacal ainsi qu’un échéancier au plus tard le 8 juillet 2016.
[83] Le 19 mai 2016, le comité exécutif de la CMM adopte le plan de mise en œuvre des recommandations de la Commission de l’environnement sur l’application de la réglementation sur l’assainissement des eaux et lui confie le suivi du plan de mise en œuvre des recommandations de la commission énoncées à son rapport (paragraphe [76])[47].
[84] Le 17 juin 2016, Sanimax dépose sa demande de pourvoi en contrôle judiciaire.
[85] Sanimax plaide que la décision de la Ville constitue l’exercice abusif d’un pouvoir discrétionnaire et que le Tribunal doit intervenir afin de rendre la décision qu’elle aurait plutôt dû rendre, à savoir de conclure une entente de dérogation.
[86] Elle plaide essentiellement que :
86.1. La décision est fondée sur une position administrative générale qui ne peut avoir pour effet de déterminer à l’avance le sort réservé à sa demande.
86.2. Le défaut par la Ville de motiver sa décision et d’expliquer les raisons pour lesquelles elle a exercé son pouvoir comme elle l’a fait permet de conclure qu’elle a agi de manière injuste, arbitraire et déraisonnable.
86.3. La Ville a conclu avec Sanimax une entente de dérogation pour l’azote total alors que le dépassement des valeurs admissibles indiquées au Règlement pour l’azote total résulte en fait du dépassement des valeurs admissibles pour l’azote ammoniacal.
[87] Sanimax demande donc au Tribunal d’annuler la décision rendue par la Ville et de lui ordonner de conclure avec elle une entente de dérogation afin qu’il lui soit permis de déverser dans un ouvrage d’assainissement des eaux usées qui dépassent les valeurs admissibles indiquées au Règlement pour l’azote ammoniacal.
[88] Subsidiairement, elle lui demande d’ordonner à la Ville d’étudier sa demande du 11 août 2015 dans les quatre-vingt-dix jours du jugement.
[89] Pour sa part, la Ville plaide essentiellement qu’il s’agit de l’exercice d’un pouvoir lié, qu’elle n’avait aucune discrétion à exercer, que les garanties procédurales ne s’appliquent pas et que les motifs rendus étaient suffisants dans les circonstances. Il en est ainsi puisque la possibilité de prendre des ententes de dérogation dépend de la capacité de traitement de l’ouvrage d’assainissement et que la Station d’épuration Jean-R.-Marcotte n’a pas la capacité de traiter l’azote ammoniacal. Ainsi, il n’est pas possible pour la Ville de Montréal de prendre des ententes de dérogation et il s’agit donc de l’exercice d’un pouvoir lié.
[90] Elle plaide aussi que, si le Tribunal conclut qu’il s’agit plutôt d’un pouvoir discrétionnaire, Sanimax n’a pas rencontré son fardeau de démontrer que la décision rendue est déraisonnable. Elle rappelle à cet égard les circonstances dans lesquelles il peut infirmer une telle décision et souligne que, à tout événement, il ne devrait pas intervenir dans l’exercice par le décideur de sa discrétion.
[91] La Ville indique finalement qu’il n’appartient pas au Tribunal de lui ordonner de conclure une entente de dérogation et que la réparation appropriée serait plutôt, le cas échéant, l’annulation de sa décision et son renvoi au décideur afin de lui permettre de se repencher sur la question.
[92] L’analyse de la norme de contrôle repose sur la présomption que la norme de la décision raisonnable est celle qui s’applique dans tous les cas. Il s’agit donc du point de départ de tout examen d’une décision administrative.
[93] Deux types de situations permettent de réfuter cette présomption : 1) celles où le législateur a indiqué qu’il souhaite l’application d’une norme différente et 2) celles où la primauté du droit commande l’application de la norme de la décision correcte.
[94] Les parties ne plaident pas que cette présomption est écartée. Elles sont d’avis que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique. Le Tribunal est du même avis et note que le législateur n’a pas expressément prescrit la norme de contrôle applicable et qu’il n’y a aucun mécanisme d’appel de la décision rendue par la Ville. Aussi, les questions soulevées par la demande de Sanimax ne mettent pas en jeu le respect de la primauté du droit et ne soulèvent pas de questions constitutionnelles, de questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble ou de questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs. Le débat doit donc être résolu à la lumière de la norme de la décision raisonnable compte tenu des enseignements de l’arrêt Vavilov[48].
[95] L’examen que commande cette norme vise à assurer que la décision administrative ne comporte pas de « lacune fondamentale » ou « faille décisive »[49], c’est-à-dire qu’elle est intrinsèquement cohérente et qu’elle est raisonnable au regard des contraintes juridiques et factuelles dont elle doit tenir compte (dont le régime législatif applicable et la preuve pertinente). Quoique l’analyse s’intéresse à la fois à la raisonnabilité du résultat et à celle du raisonnement qui y mène, elle porte avant tout sur les motifs de la décision. Ceux-ci doivent être lus dans leur ensemble et de manière contextuelle[50].
[96] Une décision doit, pour être raisonnable, être fondée sur un raisonnement à la fois rationnel et logique. Le Tribunal doit être en mesure de suivre le raisonnement du décideur sans buter sur une faille décisive dans la logique globale. Un manquement à cet égard peut ainsi l’amener à l’infirmer[51]. Une décision sera déraisonnable lorsque les motifs ne font pas état d’une analyse rationnelle ou lorsqu’ils montrent que la décision est fondée sur une analyse irrationnelle. Elle le sera aussi lorsque la conclusion tirée ne peut prendre sa source dans l’analyse effectuée ou lorsqu’il est impossible de comprendre le raisonnement du décideur sur un point central[52].
[97] Les motifs qui ne font que reprendre le libellé de la loi, résumer les arguments avancés et formuler ensuite une conclusion péremptoire permettent rarement au Tribunal de comprendre le raisonnement qui justifie une décision et ne sauraient tenir lieu d’exposé de faits, d’analyse, d’inférences ou de jugement[53].
[98] Le 11 août 2015, Sanimax soumet à la Ville une demande de dérogation par entente en application du Règlement qui, on l’a vu, permet à une personne, dans la mesure spécifiée dans une entente écrite conclue avec l’exploitant d’un ouvrage d’assainissement, d’y déverser des eaux usées qui dépassent les valeurs admissibles qui y sont prévues[54].
[99] Au soutien de sa demande, Sanimax insiste sur certains éléments, dont :
99.1. Les démarches réalisées avant le déploiement de l’essai en unité pilote (études qui incluent une revue des technologies disponibles et essais en laboratoire), les investissements importants qu’elle a réalisés afin de moderniser son système de traitement primaire des eaux usées (dont la construction d’une unité de prétraitement et de traitement primaire en 2013) et le projet d’étude pour la valorisation de l’azote ammoniacal en 2014.
99.2. Le résultat de l’essai en unité pilote qui ne permet pas de conclure que la technologie biologique évaluée assurerait le respect des valeurs admissibles. Elle n’est pas en mesure de conclure que la mise en place d’une des technologies actuellement disponibles assurerait le respect de ces valeurs.
99.3. La présence de l’azote total Kjeldahl et de l’azote ammoniacal est inhérente à la décomposition des protéines de la matière première qu’elle traite et non à son procédé industriel.
99.4. La contribution de ses eaux usées représente une infime partie du volume total des eaux traitées par la Station d’épuration Jean-R.-Marcotte.
99.5. Ses activités permettent de réduire l’empreinte écologique et environnementale de la société québécoise. Elle constitue un service public essentiel et l’application des normes prévues au Règlement a un impact économique important pour elle et pour toute l’industrie agroalimentaire québécoise.
99.6. Elle n’a d’autre choix que de demander qu’une entente de dérogation soit conclue pour lui permettre de déverser de l’azote ammoniacal dans des concentrations supérieures à ce que le Règlement autorise.
[100] Elle exprime ensuite à la Ville son souhait de participer à une rencontre avec elle afin de plus amplement lui exposer les éléments contenus à sa lettre et de négocier une entente.
[101] Le 9 mai 2016, c’est-à-dire dix mois plus tard, la Ville répond à la lettre de Sanimax du 11 août 2015 et refuse sa demande de conclure une entente de dérogation. Elle indique qu’elle ne peut l’accepter puisqu’elle « a adopté comme position de ne consentir aucune entente de dérogation à la norme d’azote ammoniacal »[55].
[102] Le directeur du Service de l’environnement de la Ville, monsieur Roger Lachance, explique dans une déclaration sous serment qu’il était devenu nécessaire pour la Ville en 2015 de convenir d’une position arrêtée concernant les ententes de dérogation relatives à l’azote total et à l’azote ammoniacal compte tenu de l’échéance des ententes relatives à l’azote total en décembre 2016 et de la demande de Sanimax concernant l’azote ammoniacal[56].
[103] À la suite de travaux et rencontres, les représentants de la Ville concluent que la réduction à la source de l’azote ammoniacal est l’approche à préconiser et conviennent qu’il n’y aurait pas d’entente de dérogation de conclue pour l’azote ammoniacal. Il en est ainsi puisque :
103.1. L’azote ammoniacal est un composé toxique qui contribue à la toxicité de l’effluent de la station d’épuration.
103.2. La station d’épuration n’a pas la possibilité de traiter l’azote ammoniacal.
103.3. Les charges annuelles d’azote ammoniacal à l’entrée de la station ne cessent d’augmenter depuis le début des années 2000.
103.4. Il peut y avoir un dégazage de ce contaminant dans les égouts.
103.5. Un souci de prévenir à la source l’émission de ce composé toxique afin d’assurer le respect par la station d’épuration des normes de toxicité qui lui sont imposées bien que l’effluent de la station respecte ces normes.
[104] Ils décident en revanche que la Ville peut toujours conclure des ententes de dérogation pour l’azote total puisqu’elle ne considère pas l’azote organique comme toxique pour l’effluent de la Station d’épuration Jean-R.-Marcotte.
[105] Le Service de l’eau et le Service de l’environnement de la Ville produisent à l’hiver 2016 une fiche de breffage qui résume notamment les différents enjeux relatifs au Règlement. Ils la mettent à jour en mai 2016.
[106] C’est le directeur du Service de l’environnement de la Ville qui signe la lettre transmise à Sanimax le 9 mai 2016 en compagnie de l’ingénieur responsable du dossier de cette dernière à la Division du contrôle des rejets industriels du Service de l’environnement de la Ville.
[107] En ce qui concerne plus particulièrement la demande de Sanimax de conclure une entente de dérogation pour l’azote ammoniacal, monsieur Lachance témoigne essentiellement qu’il s’agit de la seule demande reçue par la Ville concernant l’azote ammoniacal, que personne n’a fait d’étude particularisée de cette demande compte tenu de la réflexion menée par la Ville relativement à l’azote ammoniacal, que la Ville ne s’est jamais intéressée à la situation particulière de Sanimax telle qu’elle l’a décrite dans sa demande du 11 août 2015[57] et que la Ville n’a jamais étudié sa demande de manière individuelle[58]. Il précise essentiellement que le traitement est le même pour tous et que la Ville a comme position de ne pas conclure d’entente de dérogation concernant l’azote ammoniacal :
Q. En fait, monsieur Lachance, est-ce que la demande de dérogation d’azote ammoniacal de Sanimax, est-ce que vous en avez fait l’étude ou votre département ou le service de l’environnement a fait une étude particularisée de cette demande-là de Sanimax, puisque c’était la seule qui vous était soumise ?
R. Non. Bien, non. En fait, si on réfère à la fiche de breffage, vous avez des éléments plus généraux où on rapporte la réflexion du service de l’environnement et du service de l’eau inclus, vis-à-vis l’azote ammoniacal.
Q. Donc est-ce que je résume bien votre position, monsieur Lachance — quand je parle de votre position, je parle de celle de la Ville.
R. Hum, hum.
Q. On s’entend que vous liez. C’est que la dérogation pour l’azote ammoniacal, tout le monde l’a ou tout le monde l’a pas, c’est ça votre position ?
R. Sur... oui.
Q. Oui ?
R. Sur la base avancée, sur la toxicité et l’approche de réduction à la source et tout ça, oui.
Q. Donc vous n’avez jamais considéré, dans le cadre de votre processus, entre le mois d’août 2015 et le mois de mai 2016, la situation particulière de Sanimax, tel qu’elle est décrite et on va le voir plus tard, tel qu’elle est décrite dans sa demande de dérogation ?
R. Non.
[108] Le responsable du dossier de Sanimax à la Division du contrôle des rejets industriels du Service de l’environnement de la Ville témoigne pour sa part qu’il ne contribue pas à l’analyse qui mène à la position arrêtée par la Ville, n’assiste à aucune rencontre à ce sujet et ne participe pas au processus qui mène à la décision transmise à Sanimax (qu’il rédige et signe avec monsieur Lachance). Son rôle se limite à transmettre verbalement à sa supérieure des informations et données qui concernent Sanimax, et ce, dans les semaines qui suivent la demande du 11 août 2015[59].
[109] La décision de la Ville est déraisonnable et doit être annulée puisque ses motifs ne la justifient pas de manière transparente et intelligible.
[110] Il est utile de reproduire en entier la décision de la Ville :
À ce jour, la Ville de Montréal a adopté comme position de ne consentir aucune entente de dérogation à la norme d’azote ammoniacal et nous vous informons que conséquemment, nous ne pouvons accepter la demande de Sanimax Lom inc. en ce sens[60].
[111] La Ville présente bien de brefs motifs à Sanimax mais ceux-ci sont insuffisants à une époque où tous s’entendent sur la nécessité de développer et de renforcer une culture de la justification.
[112] Premièrement, le décideur ne s’est jamais intéressé à la situation particulière de Sanimax et personne n’a fait d’étude particularisée de sa demande (voir les paragraphes [107] à [108]).
[113] Deuxièmement, le décideur n’explique pas comment sa décision se justifie. Il n’expose pas le cadre juridique et les faits pertinents qui lui permettent de parvenir à une conclusion intelligible.
[114] Troisièmement, le décideur ne traite pas non plus des principaux arguments soulevés par Sanimax dans sa demande et n’en dispose pas, ne serait-ce que par de brèves explications.
[115] Quatrièmement, le décideur ne démontre pas qu’il a appliqué son expertise en expliquant comment par exemple ses connaissances spécialisées du domaine le conduisent vers la conclusion de sa décision.
[116] Cinquièmement, le décideur n’indique que se fonder sur une position de la Ville de ne consentir aucune entente de dérogation à la norme d’azote ammoniacal.
[117] Cette décision souffre de lacunes graves et ne possède pas les caractéristiques d’une décision raisonnable, à savoir la justification, la transparence et l’intelligibilité. Le fait que la Ville ait mentionné à Sanimax lors d’une rencontre tenue deux ans plus tôt (et avant même que cette dernière dépose sa demande de dérogation par entente) qu’il n’y a pas de dérogation possible pour l’azote ammoniacal n’y change rien.
[118] Les motifs de la décision de la Ville sont d’autant plus insuffisants lorsqu’on considère un certain nombre d’éléments contextuels pertinents. Au moment où la Ville rend sa décision :
118.1. La Ville fait preuve d’une certaine forme de tolérance des dépassements par Sanimax de la norme maximale applicable à l’azote ammoniacal depuis l’entrée en vigueur du Règlement.
118.2. La Ville a conclu une entente de dérogation avec Sanimax en 2013 relativement à l’azote total (dans la mesure duquel l’azote ammoniacal est compris).
118.3. Sanimax et la Ville interagissent au sujet de l’azote ammoniacal depuis de nombreuses années afin de tenter de trouver une solution à cet état de fait.
118.4. Sanimax a toujours fait suite aux demandes de la Ville.
118.5. Sanimax est la seule entreprise à avoir demandé une dérogation par entente à la Ville en ce qui concerne l’azote ammoniacal.
118.6. Les conséquences de la décision pour Sanimax sont importantes puisque la seule façon de respecter la norme applicable en tout temps est de cesser les activités de son usine.
118.7. La Commission de l’environnement de la CMM recommande de revoir l’état des connaissances quant aux risques associés au déversement des contaminants dont la conformité s’avère problématique (dont l’azote ammoniacal) et de réévaluer au besoin la pertinence d’une modification réglementaire.
118.8. Aucun échange à ce sujet ne survient entre la Ville et Sanimax entre la demande de cette dernière et la décision rendue presque dix mois plus tard bien que Sanimax fasse part à la Ville dans cette demande de son souhait de participer à une rencontre avec elle.
[119] Dans ces circonstances, les motifs de la Ville ne pouvaient se limiter à « la Ville de Montréal a adopté comme position de ne consentir aucune entente de dérogation à la norme d’azote ammoniacal ». La norme de la décision raisonnable n’exige pas du Tribunal qu’il fasse preuve de déférence envers une telle décision.
[120] Qu’en est-il de l’argument de la Ville selon lequel le pouvoir exercé par le décideur est un pouvoir lié, que les décisions prises dans le cadre de l’exercice d’un pouvoir lié ne sont pas soumises à l’obligation d’équité procédurale et que le décideur n’avait pas par conséquent à motiver plus amplement sa décision ?
[121] Le Tribunal ne retient pas cet argument.
[122] D’une part, la communication de motifs à l’appui d’une décision administrative est susceptible d’avoir des répercussions sur sa légitimité, à la fois au regard de l’équité procédurale, mais aussi du caractère raisonnable de ceux-ci sur le fond[61]. C’est sous l’angle du caractère raisonnable des motifs à l’appui de la décision et non sous celui de l’équité procédurale que se situe l’analyse ci-dessus.
[123] D’autre part, le décideur lui-même n’a jamais soulevé ce motif. Il s’agit d’un argument juridique concocté après le fait afin de tenter de justifier une décision dont les motifs sont lacunaires et insuffisants. Le Tribunal doit se garder d’étayer les décisions administratives problématiques sur la base, par exemple, d’un raisonnement ex post facto proposé par le décideur dans une déclaration sous serment ou un interrogatoire, par une avocate habile ou par le Tribunal lui-même.
[124] Enfin, et sans qu’il soit nécessaire d’en décider compte tenu de ce qui précède, il ne s’agit pas d’un pouvoir lié. Il s’agit plutôt d’un pouvoir discrétionnaire qui ne peut cependant être exercé que si certaines conditions sont satisfaites.
[125] Le pouvoir délégué par la CMM à ses membres est celui de conclure des ententes de dérogation. Il s’agit d’un pouvoir qui accorde une discrétion au décideur et non d’un pouvoir lié. Le fait que son exercice par un membre ou un autre de la CMM puisse toutefois être assujetti à certaines conditions, dont celles relatives à la nature du contaminant en question ou à sa capacité de traitement par l’ouvrage d’assainissement, ne change pas la nature du pouvoir que délègue la CMM à ses membres.
[126] Il est hasardeux de considérer une dichotomie stricte entre les décisions « discrétionnaires » d’une part et les décisions « non discrétionnaires » d’autre part. Le degré de discrétion dans l’attribution d’un pouvoir peut aller d’un pouvoir dans l’exercice duquel seuls les objectifs de la loi contraignent le décideur jusqu’à un pouvoir défini à un point tel que n’intervient pratiquement aucune discrétion. Il existe entre les deux extrémités de ce spectre plusieurs limites à la liberté de choix du décideur, parfois appelé discrétion « structurée ». C’est quelque part dans ce large spectre que se trouve le pouvoir délégué par la CMM à ses membres[62] et non à l’extrémité que contemple la Ville.
[127] Il n’est pas nécessaire de disposer de ce moyen compte tenu de la réponse à la question précédente.
[128] Sanimax demande au Tribunal d’ordonner à la Ville de conclure avec elle une entente de dérogation afin qu’il lui soit permis de déverser des eaux usées qui dépassent les valeurs admissibles indiquées au Règlement pour l’azote ammoniacal. Elle plaide que la décision de la Ville constitue l’exercice abusif d’un pouvoir discrétionnaire et que le Tribunal doit donc intervenir afin de rendre la décision qu’elle aurait plutôt dû rendre, à savoir la conclusion d’une entente de dérogation. Subsidiairement, elle lui demande d’ordonner à la Ville d’étudier sa demande du 11 août 2015 dans les quatre-vingt-dix jours du jugement.
[129] C’est la raison d’être de l’application de la norme de la décision raisonnable (dont la reconnaissance du fait que le législateur a confié à un décideur administratif le règlement d’une affaire) qui guide le choix de la réparation à accorder par le Tribunal qui n’est pas en mesure de confirmer une décision administrative contrôlée en application de cette norme.
[130] Il convient donc en général de respecter la volonté du législateur d’ainsi confier l’affaire à un décideur administratif et de lui renvoyer l’affaire pour réexamen à la lumière des motifs donnés par le Tribunal. Le décideur peut alors arriver au même résultat ou à un résultat différent[63].
[131] Les préoccupations liées à la bonne administration du système de justice, à la nécessité d’assurer l’accès à la justice et à la volonté de mettre sur pied un processus décisionnel à la fois rapide et économique doivent cependant aussi guider le choix de la réparation à accorder. Il existe en effet un nombre limité de situations dans lesquelles le renvoi de l’affaire au décideur administratif pour réexamen fait échec au souci de résolution rapide et efficace d’une manière telle qu’aucune législature n’aurait pu souhaiter. La volonté de faire en sorte que le décideur administratif tranche l’affaire ne doit pas mener à un va-et-vient interminable de contrôles judiciaires et de nouveaux examens. Le refus de renvoyer l’affaire au décideur administratif peut par exemple être indiqué lorsqu’il est évident pour le Tribunal qu’un résultat donné est inévitable et que le renvoi de l’affaire ne sert à rien[64].
[132] Les préoccupations concernant les délais, l’équité envers les parties, le besoin urgent de régler le différend, la nature du régime de réglementation donné, la possibilité réelle ou non pour le décideur administratif de se pencher sur la question en litige, les coûts pour les parties et l’utilisation efficace des ressources publiques peuvent aussi influer sur l’exercice par le Tribunal de son pouvoir discrétionnaire de renvoyer l’affaire[65].
[133] Il s’agit d’un de ces rares cas où le renvoi de l’affaire au décideur administratif pour réexamen fait échec au souci de résolution rapide et efficace d’une manière telle qu’aucune législature n’aurait pu souhaiter.
[134] Il en est ainsi puisqu’un résultat donné est inévitable, à savoir le refus par la Ville de la demande de dérogation par entente, et que le renvoi de l’affaire ne sert à rien.
[135] D’une part, la Ville prend lors de l’audience la position qu’il n’est pas possible pour un membre de la CMM de conclure une entente de dérogation et de permettre à une personne de déverser dans un ouvrage d’assainissement des eaux usées qui dépassent les valeurs admissibles lorsque cet ouvrage n’a pas la capacité de traiter le contaminant en question.
[136] En ce qui la concerne, il est impossible de conclure une telle entente de dérogation afin de permettre à Sanimax de déverser dans la Station d’épuration Jean-R.-Marcotte de l’azote ammoniacal ou des eaux usées qui contiennent de l’azote ammoniacal dans des concentrations ou des quantités supérieures à la norme maximale prévue par le Règlement puisqu’elle n’a pas la capacité de traiter l’azote ammoniacal.
[137] Le renvoi de l’affaire à la Ville mènerait donc à un résultat inévitable : le refus par la Ville de la demande de Sanimax.
[138] D’autre part, et sans égard à cette position de la Ville, il est effectivement impossible pour la Ville de conclure une telle entente en vertu du Règlement.
[139] En effet, le texte même de l’article 8 a) du Règlement permet de conclure qu’une dérogation ne peut pas être permise lorsque l’ouvrage de traitement n’a pas la capacité de traiter le contaminant pour lequel on la demande.
[140] Enfin, c’est aussi le résultat auquel mène l’interprétation de cet article du Règlement selon la méthode d’interprétation moderne qui cherche à déterminer l’intention du législateur à partir des termes qu’il a utilisés et de l’esprit et l’objet de cet article[66].
[141] Les indices intrinsèques et extrinsèques suivants mènent à cette conclusion :
141.1. L’objectif primordial du Règlement est d’assurer la protection et la pérennité de l’environnement[67] et des investissements en infrastructures d’assainissements[68]. Il actualise à cette fin les normes afin de tenir compte de l’état des connaissances quant aux impacts des contaminants sur la population et le milieu récepteur. Cette actualisation des normes se traduit par l’établissement de seuils plus sévères pour certains contaminants.
141.2. Le rapport de la consultation publique réalisée avant l’adoption du Règlement souligne au chapitre des représentations et considérations relatives à son article 8 (« Dérogation par entente ») que les contaminants de base font souvent l’objet d’ententes entre les gestionnaires des stations d’épuration et les entreprises qui en émettent, leur permettant d’en émettre à forte concentration « lorsque la capacité de la station d’épuration le permet ». On y précise qu’il est donc d’usage pour plusieurs municipalités de permettre le rejet d’effluents qui contiennent des concentrations élevées de ces contaminants « lorsqu’elles jugent qu’elles ont la capacité de les traiter »[69].
141.3. La consultation publique réalisée avant l’adoption du Règlement révèle que la possibilité de conclure une dérogation par entente s’explique par le besoin d’offrir aux autorités locales un outil qui leur permet de gérer les seuls contaminants de base qui peuvent « déjà être traités par la station d’épuration ». On y précise qu’« [i] l ne serait pas souhaitable d’étendre la possibilité de dérogation à d’autres contaminants qui sont toxiques ou qui ne seraient pas traitables par la station d’épuration »[70].
141.4. Le Document de justification sur le modèle de règlement relatif aux rejets dans les réseaux d’égout des municipalités du Québec réfère au Règlement en soulignant qu’il est possible de conclure une dérogation par entente lorsque les rejets de certains contaminants de base dépassent les normes prescrites « dans la mesure où la station d’épuration a la capacité suffisante pour les traiter »[71].
141.5. Le Guide explicatif du modèle de règlement relatif aux rejets dans les réseaux d’égout des municipalités du Québec réfère au mécanisme de dérogation qui y est prévu et qui permet aussi la conclusion d’entente « en fonction de la capacité de traitement de traitement de la station d’épuration et ne peut viser que les contaminants (…) » qui y sont énumérés, dont l’azote total. Le guide explique que ce mécanisme permet la conclusion d’ententes qui autorisent le rejet de contaminants au-delà des normes prescrites, mais seulement pour certains contaminants (dont l’azote total) et en fonction de la capacité de traitement de la station d’épuration. On y précise que les contaminants qui y sont énumérés sont ceux généralement utilisés pour la conception des stations d’épuration « et pour lesquels une efficacité d’enlèvement peut être déterminée ». On ajoute que ce mécanisme de dérogation est prévu pour qu’un usager puisse conclure « une entente avec une municipalité qui être prête à recevoir et à traiter les concentrations excédentaires »[72].
141.6. En ce qui concerne certains contaminants que le Règlement énumère, dont l’azote total et l’azote ammoniacal, le principe est d’en interdire, en tout temps, le déversement dans un ouvrage d’assainissement dans des concentrations ou des quantités supérieures aux normes maximales prévues.
141.7. Le texte de l’article 8 b) permet pour sa part la conclusion d’une telle dérogation par entente pour un déversement par raccordement temporaire, sans énumérer les contaminants pour lesquels la dérogation peut être permise et sans aucune référence à la capacité de traitement de l’ouvrage d’assainissement. La CMM accorde alors aux autorités locales une marge de manœuvre discrétionnaire quant à la possibilité de conclure une dérogation par entente pour un raccordement temporaire sans égard à la capacité de traitement de l’ouvrage d’assainissement.
[142] La Station d’épuration Jean-R.-Marcotte n’a pas la capacité de traiter l’azote ammoniacal et, de ce fait, la Ville ne peut pas conclure une entente de dérogation relative à ce contaminant en application de l’article 8 du Règlement. Autrement dit, la Ville ne peut pas permettre à une personne, par dérogation, de déverser des eaux usées qui dépassent les valeurs admissibles prévues au Règlement. Comme le mentionne le Règlement : « Cette dérogation ne peut être permise (…) ».
[143] Interpréter autrement cette disposition aurait pour effet d’accorder à la Ville dont l’ouvrage d’assainissement ne permet pas de traiter ce contaminant la possibilité de tout de même en permettre le déversement alors que le principe est à l’effet que son déversement dans des concentrations ou des quantités supérieures à la norme maximale prévue est interdit en tout temps.
[144] On comprend bien par ailleurs qu’une autorité locale dont l’ouvrage d’assainissement a la capacité de traiter le contaminant pour lequel on recherche une dérogation puisse effectivement conclure une entente et permettre, dans la mesure qui y est prévue, d’y déverser des eaux usées qui dépassent les valeurs admissibles. On comprendrait mal à l’inverse que la Ville dont l’ouvrage d’assainissement n’a pas la capacité de traiter ce contaminant puisse conclure une entente et malgré tout permettre le déversement dans cet ouvrage d’assainissement (et ultimement dans le milieu récepteur) d’eaux usées qui dépassent la norme maximale alors que ce déversement est en principe « interdit en tout temps » par l’article 6 du Règlement.
[145] À tout événement et si un doute subsistait, il y a lieu de privilégier cette interprétation puisqu’elle favorise le plein épanouissement du droit à la qualité de l’environnement, à sa protection et à sa sauvegarde[73].
[146] Sanimax propose une interprétation selon laquelle cet article n’empêche pas la Ville de conclure une entente de dérogation. Il signifie tout simplement selon elle que la Ville doit considérer la capacité de traitement de l’ouvrage d’assainissement lorsqu’elle fixe les modalités et conditions de l’entente de dérogation. Cet argument est mal fondé.
[147] Cette interprétation fait dire au Règlement autre chose que ce qu’il dit vraiment. Rien ne permet de penser que la capacité de traitement de l’ouvrage d’assainissement à laquelle réfère l’article 8 du Règlement s’intéresse à la capacité de traiter des contaminants autres que ceux qu’il énumère et qu’elle ne doit par conséquent être considérée que lorsque le déversement des contaminants énumérés a un impact négatif sur la capacité de traiter ces autres contaminants qui n’y sont pas énumérés.
[148] Sanimax propose aussi une interprétation selon laquelle il s’agit d’un régime « permissif » qui donne le droit de déverser de tels contaminants dans des concentrations supérieures aux valeurs admissibles. Le pouvoir de la Ville ne serait pas celui de décider si une entente de dérogation peut ou non être conclue, mais serait plutôt celui de négocier et d’établir les modalités et les conditions en vertu desquelles une personne a le droit d’ainsi déverser. Cet argument surprend.
[149] Il ne s’agit pas d’un régime « permissif ». Le déversement est interdit en vertu de l’article 6 (« Déversement de contaminants ») du Règlement. Il est possible de déroger à cette règle générale dans certaines circonstances prévues par son article 8 (« Dérogation par entente »). Il est essentiel de lire ces articles ensemble. Les articles 6 b) et 6 c) interdisent en tout temps de déverser, de permettre ou de tolérer le déversement dans un ouvrage d’assainissement d’un ou plusieurs contaminants identifiés au Tableau de l’Annexe 1 ou d’eaux usées qui contiennent ces contaminants dans des concentrations ou des quantités supérieures aux normes maximales prévues à ce tableau pour chacun de ces contaminants. L’azote total et l’azote ammoniacal sont des contaminants identifiés au Tableau de l’Annexe 1.
[150] Il n’est donc pas opportun dans les circonstances particulières de cette affaire de la renvoyer au décideur administratif pour réexamen. Ceci est d’autant plus vrai que :
150.1. La décision contrôlée a été rendue par la Ville 5 ½ ans avant l’audition de la demande de pourvoi en contrôle judiciaire.
150.2. L’historique des relations judiciaires entre les parties laisse croire selon toute vraisemblance qu’un nouvel examen de la demande de Sanimax mènera, en cas de refus, à une nouvelle demande de pourvoi en contrôle judiciaire.
[151] Difficile de penser qu’un tel réexamen pourrait favoriser dans ce contexte la résolution rapide et efficace de cette affaire.
[152] Si le Tribunal en était arrivé à la conclusion 1) que la décision contrôlée devait être annulée et 2) que la Ville pouvait effectivement conclure une entente de dérogation, il n’aurait pas ordonné à la Ville de conclure une telle entente de dérogation. Il aurait plutôt renvoyé l’affaire à la Ville pour réexamen de la demande de Sanimax du 11 août 2015.
[153] Il en est ainsi puisque, de manière générale, il convient le plus souvent de renvoyer l’affaire au décideur pour qu’il revoie la décision à la lumière des motifs donnés par le Tribunal. Cette approche reconnaît que le règlement de la question a été confié à un décideur administratif, et non au Tribunal[74].
[154] Il en est aussi ainsi puisque, de manière spécifique, la résolution de cette affaire requiert des connaissances spécialisées et une expertise technique. Elle doit aussi s’inscrire dans une analyse d’opportunité qui nécessite qu’on tienne compte d’un contexte plus général composé d’un grand nombre de variables et facteurs qui ne sont pas à la connaissance du Tribunal ou qui dépassent son expertise.
[155] La Ville demande au Tribunal de prononcer une injonction contre Sanimax pour que cessent les déversements d’azote ammoniacal dans ses ouvrages d’assainissement au-delà des normes maximales fixées par le Règlement. Elle rappelle que ces dépassements surviennent au moins depuis l’entrée en vigueur du Règlement, en 2012.
[156] Consciente des particularités de cette affaire et de la nature des travaux à réaliser afin de trouver une solution technique qui permet d’assurer le respect de la norme réglementaire pour l’azote ammoniacal, la Ville propose que l’injonction recherchée ne s’applique qu’à l’expiration d’un délai qui permet à Sanimax de déployer une telle solution.
[157] Sanimax s’oppose à la demande d’injonction de la Ville. Elle plaide qu’il lui est impossible de respecter une ordonnance de cette nature dans un délai raisonnable, ce qui l’expose à une condamnation « automatique » à un outrage au tribunal et rend excessive de ce fait toute telle ordonnance.
[158] Elle ajoute avoir fait preuve de diligence raisonnable et entrepris de nombreuses démarches pour trouver une solution au dépassement de la norme et précise que la Ville n’a pas fait la preuve qu’il lui était possible de trouver une solution dans un délai raisonnable pour respecter la norme réglementaire.
[159] Elle plaide finalement que l’émission d’une injonction relève d’un pouvoir exceptionnel et discrétionnaire qui ne devrait pas trouver application dans les circonstances particulières de cette affaire.
[160] L’injonction est une ordonnance qui enjoint à une personne ou, dans le cas d’une personne morale, à ses dirigeants ou représentants, de ne pas faire quelque chose, de cesser de faire quelque chose ou d’accomplir un acte déterminé[75].
[161] Il s’agit d’une mesure qui relève de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et qui demeure exceptionnelle[76]. Sa particularité est de faire intervenir la force de l’État pour imposer le respect d’une obligation de nature privée sous peine de sanctions à caractère pénal[77].
[162] Le Tribunal doit donc se demander si les conditions légales qui donnent ouverture à l’injonction sont réunies pour ensuite examiner l’opportunité d’accorder cette réparation en fonction des circonstances particulières de l’affaire[78]. Il ne prononcera donc pas une injonction simplement parce que la partie qui la demande y a droit en principe. Cette dernière doit aussi démontrer que les circonstances justifient l’octroi d’une telle réparation potentiellement contraignante et qu’elle mérite pareille réparation[79].
[163] Il devra tenir compte de l’ensemble des circonstances de l’affaire dont l’existence d’un autre recours approprié, les délais, l’attitude des parties, l’exécution possible de l’injonction, le fait que cette dernière donne ouverture à d’autres litiges, etc.[80]
[164] Il devra éviter les conclusions qui ordonnent essentiellement à la partie visée de se conformer aux lois ou aux règlements (ou de ne pas les enfreindre) et identifier le détail des comportements prohibés afin que l’ordonnance rendue soit précise et, partant, exécutoire[81].
[165] Il est nécessaire de considérer dans leur ensemble un certain nombre d’éléments pertinents afin de répondre à la question de savoir si le Tribunal doit prononcer l’injonction recherchée par la Ville, dont l’ampleur, la durée et les conséquences des déversements pour le milieu récepteur, l’attitude de Sanimax ainsi que les conséquences d’une injonction pour Sanimax et pour la société en général.
[166] Personne ne conteste le fait que Sanimax déverse dans la Station d’épuration Jean-R.-Marcotte de l’azote ammoniacal dans des concentrations ou des quantités supérieures à la norme maximale prévue par le Règlement pour ce contaminant. C’est le cas depuis l’entrée en vigueur des dispositions pertinentes du Règlement en 2012 et c’était déjà le cas auparavant.
[167] Les résultats des caractérisations des eaux usées de Sanimax réalisées à travers le temps démontrent qu’elle déverse de l’azote ammoniacal dans une proportion significativement plus grande que la norme maximale fixée par le Règlement, à savoir 45 mg/L[82]. La Ville a transmis huit avis de défaut à Sanimax à ce sujet entre juin 2014 et octobre 2015 et la situation perdure malgré tout.
[168] L’azote ammoniacal déversé par Sanimax dans la Station d’épuration Jean-R.-Marcotte se retrouve directement dans le milieu récepteur, à savoir le fleuve Saint-Laurent, puisque cet ouvrage d’assainissement n’a pas la capacité de le traiter. L’expert Comeau évalue que cette usine de Sanimax génère à elle seule un apport en azote ammoniacal qui équivaut à celui d’une ville de 120 000 habitants. Les déversements de Sanimax ont nécessairement des répercussions sur le milieu récepteur et l’environnement.
[169] Il est cependant à noter que l’effluent de la Station d’épuration Jean-R.-Marcotte n’est actuellement pas toxique et respecte le critère de toxicité aiguë qui lui est applicable. Son affluent non plus n’est pas toxique[83].
[170] La Ville reproche à Sanimax son comportement des dernières années. Elle lui reproche de ne pas être animée du désir profond de protéger l’environnement, mais d’être plutôt animée par des préoccupations économiques, et ce, au mépris des règles applicables.
[171] Elle insiste aussi sur l’attitude de Sanimax à l’égard du respect de ses obligations réglementaires, sur le fait qu’elle conteste devant les tribunaux toutes les mesures qui lui sont imposées et sur le fait qu’elle multiplie les procédures. Elle réfère à certaines décisions rendues par la Cour municipale de Montréal[84].
[172] Elle lui reproche aussi de manquer de transparence et réfère aux témoignages de certains témoins lors de l’audience et au fait que Sanimax n’a pas porté à son attention plusieurs des démarches qu’elle témoigne avoir entreprises. La Ville souligne notamment le fait que le résumé que lui a fait Sanimax en juin 2015[85] des conclusions d’un rapport de Veolia[86] n’était pas fidèle à la réalité. Sanimax soutient que les résultats obtenus lors de l’essai en unité pilote démontrent que le traitement biologique évalué n’est pas assez robuste pour permettre le respect des normes alors que la Ville en fait une autre lecture.
[173] La preuve indique que Sanimax a entrepris de nombreuses démarches et investi des sommes considérables afin de trouver une solution qui lui permet d’assurer le respect des normes réglementaires applicables. On note par exemple :
173.1. Appel à des firmes d’ingénierie afin de produire un rapport d’ingénierie préliminaire du système de traitement des eaux usées requis afin d’être conforme aux normes (2011).
173.2. Mandat à une firme d’ingénierie indépendante pour l’accompagner afin de faire le choix qui correspond le mieux à ses besoins et qui permet de satisfaire les critères de rejet du Règlement (2011).
173.3. Appel d’intérêt pour un projet de recherche et développement qui concerne la valorisation de l’azote ammoniacal et du soufre de l’effluent de son usine (2012).
173.4. Transmission à la Ville des plans de construction de sa nouvelle unité de prétraitement et de traitement primaire de ses effluents afin d’obtenir son accord (2013).
173.5. Mandat à Golder afin de réaliser son projet de recherche et développement pour la valorisation de l’azote ammoniacal et du soufre des effluents de son usine (2013).
173.6. Plan d’action qui prévoit la recherche de solutions potentielles, les études comparatives GoIdSET, des essais en laboratoire, le design conceptuel de la solution retenue et la validation de la technologie par essai en unité pilote.
173.7. Rapport à la Ville quant à l’état d’avancement du projet (2014).
173.8. Essais en unité pilote (2014-2015) et prolongation des essais (2015).
173.9. Rapport à la Ville sur les résultats de l’essai en unité pilote (2015).
[174] Il s’agit là des démarches entreprises par Sanimax avant la demande de dérogation. Il est à noter qu’elle a tenu la Ville au courant de l’ensemble de ces démarches en temps opportun et que cette dernière ne s’y est pas opposée, bien au contraire.
[175] Les démarches se sont poursuivies après la demande de dérogation. C’est ainsi qu’un deuxième essai en unité pilote était en cours d’exécution lors de l’audience. La preuve révèle que ses résultats, bien qu’ils n’étaient pas définitifs, étaient prometteurs.
[176] Sanimax a-t-elle été parfaite dans ses démarches ? Les délais qui résultent de sa volonté d’explorer des avenues plus innovatrices qui lui permettrait de valoriser l’azote ammoniacal doivent-ils lui être reprochés ? Aurait-elle pu faire plus rapidement ? Il n’est pas nécessaire de répondre à toutes ces questions afin de décider de celle qui nous occupe. Il est vraisemblable de penser que Sanimax aurait effectivement pu faire plus rapidement. Il est toutefois injuste compte tenu des démarches et investissements ci-dessus de l’accuser de faire preuve « d’un laxisme patent » à ce sujet, surtout dans le contexte où la Ville a été tenue au courant de ses démarches et les a en quelque sorte avalisées.
[177] Trois éléments factuels sont plus particulièrement pertinents à ce sujet.
[178] Premièrement, une entreprise qui détient un permis d’équarrissage doit obligatoirement récupérer les sous-produits organiques non comestibles des abattoirs du Québec.
[179] Deuxièmement, l’usine de Sanimax située sur le territoire de la Ville est la seule au Québec à procéder à l’équarrissage des sous-produits de l’industrie de la transformation du porc et du poulet.
[180] Troisièmement, l’injonction recherchée par la Ville mènerait dans l’état actuel des choses à une interruption immédiate des activités de cette usine de Sanimax.
[181] Le Tribunal accueillera la demande reconventionnelle de la Ville et ordonnera à Sanimax, à ses dirigeants et à ses représentants de ne pas déverser, de ne pas permettre le déversement ou de ne pas tolérer le déversement dans un ouvrage d’assainissement de la Ville d’azote ammoniacal ou d’eaux usées qui contiennent de l’azote ammoniacal dans des concentrations ou des quantités supérieures à la norme maximale prévue par le Règlement, à savoir 45 mg/L. Compte tenu des circonstances de cette affaire, cette ordonnance ne prendra toutefois effet qu’à compter du 1er mai 2024.
[182] D’une part, il ne fait aucun doute que Sanimax déverse dans la Station d’épuration Jean-R.-Marcotte de l’azote ammoniacal dans des concentrations ou des quantités supérieures à la norme maximale prévue par le Règlement, et ce, depuis plus de dix ans. Les conditions légales qui donnent ouverture à l’injonction sont réunies. Non seulement Sanimax déverse-t-elle dans des concentrations ou quantités supérieures, mais elle le fait dans des concentrations ou quantités significativement supérieures.
[183] D’autre part, il s’agit d’un de ces cas où les circonstances particulières de l’affaire font en sorte qu’il est opportun d’accorder une réparation de cette nature.
[184] En effet, l’analyse globale de la situation mène à la conclusion que des correctifs doivent être mis en place à la source. Il n’est ni opportun ni souhaitable de remettre à plus tard la mise en place d’une solution qui assure le respect de la norme applicable, non plus qu’il soit opportun ou souhaitable de permettre que se perpétue la contravention à cette norme qui perdure depuis plus d’une décennie.
[185] Il en est ainsi même si l’effluent et l’affluent de la Station d’épuration Jean-R.-Marcotte ne sont pas toxiques. L’azote ammoniacal est un contaminant toxique pour la vie aquatique et celui déversé par Sanimax dans la Station d’épuration Jean-R.-Marcotte se retrouve directement dans le fleuve Saint-Laurent et a nécessairement des répercussions sur le milieu récepteur et l’environnement. Il serait incongru de retenir l’absence de toxicité aiguë afin de rejeter la demande de la Ville qui vise essentiellement à assurer le respect d’un règlement dont l’objectif primordial est la protection et la pérennité de l’environnement, d’un règlement qui cherche à conserver ou bonifier les acquis environnementaux et de santé publique du territoire[87].
[186] Il en est aussi ainsi malgré l’absence de certitude quant à l’efficacité technique de la solution actuellement envisagée par Sanimax. La preuve administrée lors de l’audience, dont le rapport de Veolia[88], les résultats des essais en cours et les rapports et témoignages des experts Comeau et Bergeron, convainc de la possibilité de mettre en place une solution technique qui, bien qu’inédite, permettra à Sanimax de respecter la norme maximale prévue par le Règlement.
[187] Il est vrai que le résultat n’est pas garanti (il ne le sera jamais) et que la mise en place d’une solution technique s’avère coûteuse (il s’agit de coûts inhérents à l’opération d’une activité commerciale dont les eaux usées contiennent des contaminants dans des concentrations ou quantités supérieures aux normes maximales prévues). Cela n’a certainement pas pour effet de faire en sorte qu’il est impossible pour Sanimax de respecter l’ordonnance recherchée par la Ville ou de la rendre excessive.
[188] Compte tenu des circonstances de cette affaire, le Tribunal s’inspirera de la proposition de la Ville voulant que l’injonction recherchée ne s’applique qu’à l’expiration d’un délai raisonnable qui permet à Sanimax de déployer une solution qui lui permet de respecter la norme maximale prévue par le Règlement.
[189] Il est indéniable que les conséquences d’une injonction qui mène à l’interruption immédiate des activités de cette usine de Sanimax sont extrêmement dommageables pour cette dernière.
[190] Ce n’est toutefois pas cet élément qui motive principalement la décision de reporter la prise d’effet de l’ordonnance prononcée. C’est plutôt le fait que les conséquences d’une injonction qui mène à l’interruption immédiate des activités de cette usine de Sanimax sont très importantes pour la société en général. On l’a vu, c’est une entreprise qui détient un permis d’équarrissage qui doit obligatoirement récupérer les sous-produits organiques non comestibles auprès des abattoirs du Québec et cette usine de Sanimax est la seule au Québec à procéder à l’équarrissage des sous-produits de l’industrie de la transformation du porc et du poulet. Une injonction qui prendrait effet à la date du présent jugement mènerait dans l’état actuel des choses à une interruption immédiate des activités de cette usine et aurait des effets perturbateurs néfastes sur l’ensemble de la filière alimentaire québécoise, et ce, de l’éleveur à l’assiette.
[191] Le Tribunal fixe au 1er mai 2024 la prise d’effet de l’ordonnance en considérant la preuve administrée, dont la planification proposée par Veolia pour un projet de traitement biologique de type « MBBR »[89], la planification proposée par Valbio Canada pour un projet d’épuration des effluents[90], le témoignage de madame Annie Vézina et le témoignage de monsieur Éric Bergeron. En novembre 2021, ce dernier estimait à deux ans et demi ou trois ans le délai requis pour la mise en place d’une solution qui assure le respect des normes applicables.
[192] Ce délai tient compte des circonstances particulières de cette affaire, est raisonnable et permet à Sanimax de se conformer à l’injonction.
[193] Les frais de justice sont dus à la partie qui a gain de cause[91]. Ils sont payés par la partie qui a failli dans sa contestation des prétentions de la partie adverse[92]. Le Tribunal peut toutefois en décider autrement.
[194] Compte tenu du sort mitigé de cette affaire, chaque partie supportera ses frais de justice, incluant les frais d’expertise.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[195] ACCUEILLE en partie la demande de pourvoi en contrôle judiciaire de la demanderesse.
[196] ANNULE la décision rendue par la Ville de Montréal le 9 mai 2016.
[197] REJETTE la demande de dérogation formulée par Sanimax Lom inc. le 11 août 2015 afin d’être exemptée de l’application de certaines normes prévues au Règlement 2008-47 sur l’assainissement des eaux de la Communauté métropolitaine de Montréal.
[198] ACCUEILLE la demande reconventionnelle en injonction des défendeurs / demandeurs reconventionnels.
[199] ORDONNE à Sanimax LOM inc., à ses dirigeants et à ses représentants, à compter du 1er mai 2024, de ne pas déverser, de ne pas permettre le déversement ou de ne pas tolérer le déversement dans un ouvrage d’assainissement de la Ville de Montréal d’azote ammoniacal ou d’eaux usées contenant de l’azote ammoniacal dans des concentrations ou des quantités supérieures à la norme maximale prévue par le Règlement 2008-47 sur l’assainissement des eaux de la Communauté métropolitaine de Montréal, à savoir 45 mg/L.
[200] LE TOUT, chaque partie payant ses frais de justice, incluant les frais d’expertise.
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| __________________________________FRÉDÉRIC PÉRODEAU, j.c.s. | |
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Me Serge Amar Me Nicolas Dubé | ||
Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r. l. | ||
Avocats de la demanderesse | ||
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Me Anne-Marie McSween Me Mélissandre Asselin-Blain | ||
Gagnier Guay Biron | ||
Avocates des défendeurs | ||
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Dates d’audience : | 8, 9, 10, 11, 12, 15, 16 et 17 novembre 2021
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Table des matières
1. Aperçu..............................................................1
2. Le contexte..........................................................4
2.1 L’azote organique, l’azote ammoniacal et l’azote total Kjeldahl............4
2.2 Les activités de Sanimax.............................................5
2.3 Le Règlement numéro 2008-47 sur l’assainissement des eaux............6
2.4 Les faits pertinents..................................................8
3. La décision rendue par la Ville est-elle raisonnable ?..................16
3.1 La position des parties..............................................16
3.2 La détermination de la norme de contrôle applicable....................17
3.3 Le droit applicable..................................................18
3.4 Les faits complémentaires pertinents.................................18
3.5 L’analyse.........................................................22
4. La Ville a-t-elle manqué à l’obligation d’équité procédurale ?...........24
5. Quelle est la réparation appropriée ?.................................25
5.1 La position de Sanimax.............................................25
5.2 Le droit applicable..................................................25
5.3 L’analyse.........................................................26
6. Le Tribunal doit-il prononcer l’injonction recherchée par la Ville ?......30
6.1 La position des parties..............................................30
6.2 Le droit applicable..................................................31
6.3 Les faits complémentaires pertinents.................................32
6.4 L’analyse.........................................................35
7. Les frais de justice..................................................37
[1] L’équarrissage est le traitement de viandes non comestibles qui vise à en retirer tout ce qui peut être utilisé dans diverses industries.
[2] Pièces P-2, D-4, D-5 et D-46.
[3] Art. 20 du Règlement numéro 2008-47 sur l’assainissement des eaux (Pièce P-2).
[4] Sanimax Lom inc. c. Communauté métropolitaine de Montréal,
[5] Pièce D-47B.
[6] Ibid.
[7] Art. 17 du Règlement numéro 2008-47 sur l’assainissement des eaux (Pièce P-2).
[8] Pièce D-11.
[9] Pièce D-12.
[10] Pièce D-13.
[11] Pièce D-14.
[12] Pièce D-15.
[13] Pièce D-16.
[14] Pièce D-17.
[15] Ibid.
[16] Pièce P-16.
[17] Pièce P-17.
[18] Pièce D-41.
[19] Pièce D-18.
[20] Pièce D-19.
[21] Pièce D-7.
[22] Pièce D-42.
[23] Pièce D-20.
[24] Pièce P-19.
[25] Déclaration sous serment de monsieur Gabriel Chèvrefils (6 octobre 2017).
[26] Pièce D-21.
[27] Ces éléments ne sont pas demandés par la Ville pour l’azote total Kjeldahl et l’azote ammoniacal.
[28] Pièce D-22.
[29] Pièces D-7 et D-23.
[30] Pièce D-23.
[31] Pièce D-24.
[32] Pièce D-6.
[33] Pièces P-20, D-25 et D-44.
[34] Pièce D-44.
[35] Pièces P-22 et D-26.
[36] Pièce D-26.
[37] Pièce D-43.
[38] Pièce D-27.
[39] Pièce P-3.
[40] Pièce P-14.
[41] Pièce D-28.
[42] Pièce P-3.
[43] Pièces P-13 et D-29.
[44] Pièces P-5 et D-30.
[45] Pièces P-6 et D-31.
[46] Pièces P-7 et D-33.
[47] Pièce P-4.
[48] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov,
[49] Id., paragr. 96 et 102.
[50] Tiger-Vac International inc. c. Mambro,
[51] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, préc., note 48, paragr. 102-103.
[52] Ibid.
[53] Ibid.
[54] Pièces P-6 et D-31.
[55] Pièces P-7 et D-33.
[56] Déclaration sous serment de monsieur Roger Lachance (18 octobre 2017).
[57] Interrogatoire préalable de monsieur Roger Lachance (30 janvier 2018), pp. 56-57.
[58] Id., p. 78.
[59] Interrogatoire préalable de monsieur Gabriel Chèvrefils (30 janvier 2018), pp. 17-21 et 97-99.
[60] Pièces P-7 et D-33.
[61] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, préc., note 48, paragr. 102-103, paragr. 81.
[62] Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration),
[63] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, préc., note 48, paragr. 140-141.
[64] Id., paragr. 142; Robert c. PF Résolu Canada inc.,
[65] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, préc., note 48, paragr. 140-142.
[66] R. c. Jarvis,
[67] Sanimax Lom inc. c. Communauté métropolitaine de Montréal, préc., note 4, paragr. 15.
[68] Pièces D-46 et D-47B.
[69] Pièce D-47B.
[70] Pièce D-47.
[71] Pièce P-10.
[72] Pièce D-49.
[73] Fer et métaux américains c. Communauté métropolitaine de Montréal,
[74] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, préc., note 48, paragr. 140-141.
[75] Art.
[76] Vandal c. Municipalité de Boileau,
[77] Service Bérubé ltée c. General Motors du Canada ltée, préc., note 76, paragr. 93.
[78] A.I.E.S.T., local de scène no 56 c. Société de la Place des Arts de Montréal,
[79] Id., paragr. 13.
[80] FLS Transportation Services Limited c. Fuze Logistics Services Inc.,
[81] 9218-2435 Québec inc. c. Ville de Laval,
[82] Pièces P-15, D-5, D-6, D-11, D-21 et D-44.
[83] Avis technique – Dossier azote ammoniacal, 18 janvier 2018.
[84] Communauté métropolitaine de Montréal c. Sanimax Lom inc.,
[85] Pièce P-13.
[86] Pièce D-2.
[87] Pièce D-47B.
[88] Pièce D-2.
[89] Pièce D-50, p. 21.
[90] Pièce D-40.
[91] Art.
[92] Neptune Security Services Inc. c. Ville de Montréal,
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