Décision

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Gabarit EDJ

Ville de Pointe-Claire c. Commission municipale du Québec

2017 QCCS 2442

JG 2551

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-17-095443-167

 

 

 

DATE :

8 juin 2017

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L'HONORABLE LUKASZ GRANOSIK, j.c.s.

 

 

______________________________________________________________________

 

VILLE DE POINTE-CLAIRE

Demanderesse

c.

 

COMMISSION MUNICIPALE DU QUÉBEC

Défenderesse

-et-

 

POINTE-CLAIRE YACHT CLUB

Mis en cause

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

(contrôle judicaire)

______________________________________________________________________

 

[1]         Le 10 août 2016, la Commission municipale du Québec (CMQ)[1] accorde une reconnaissance aux fins d’exemption des taxes foncières au mis en cause, Pointe-Claire Yacht Club (le Yacht Club), à l’égard de l’immeuble situé au 1, avenue Cartier, sur le territoire de la Ville de Pointe-Claire (Pointe-Claire), pour l’utilisation qu’elle en fait[2].

[2]         Pointe-Claire présente alors un pourvoi en contrôle judiciaire afin d’annuler cette reconnaissance et demande au Tribunal de prononcer la décision qui aurait dû être rendue, soit d’accorder une reconnaissance partielle seulement au Yacht Club en excluant les parties de l’immeuble qui ne sont pas utilisées pour des activités admissibles.

[3]           Subsidiairement, Pointe-Claire demande l’annulation de la décision et le renvoi du dossier devant la CMQ, afin que ce tribunal administratif délimite les portions de l’immeuble qui sont utilisées pour des activités admissibles.

CONTEXTE ET DÉCISION ATTAQUÉE

[4]                Le Yacht Club a acquis l’immeuble en litige en 1924 et l’a vendu à Pointe-Claire la même année. En 1988, le Yacht Club et Pointe Claire ont conclu un bail emphytéotique d’une durée de 99 ans à compter du 1er janvier 1987. Comme son nom l’indique, le Yacht Club y exerce des activités nautiques et de voile. Il s’agit d’une compagnie constituée en vertu de la Partie III de la Loi sur les compagnies[3].

[5]         L’immeuble est constitué d’une parcelle de terrain d’environ 8 100 m2 sur le bord du Lac Saint-Louis, avec un hangar de réparations, qui comprend le bureau du contremaître à l’entretien, un ajout qui sert au rangement et une grande salle de travail, ainsi que le bâtiment principal composé de trois parties distinctes décrites comme suit :

1)   la bâtisse 2A, constituée d’un seul étage et d’une mezzanine. Le rez-de-chaussée se compose du hangar de voiles, d’un bureau réservé à l’Association québécoise de voile adaptée (AQVA) et de cabinets d’aisances attenants, dont l’usage est partagé, ainsi que d’une salle de classe. La mezzanine se compose d’un bureau pour les instructeurs et d’un espace de rangement;

2)   la bâtisse 2B, constituée de deux étages se compose au rez-de-chaussée, de deux vestiaires, l’un réservé aux hommes et l’autre aux femmes, de cabinets d’aisances pour les hommes et pour les femmes et d’un vestibule, et à l’étage, d’un bureau pour l’administration, du bureau du gérant du club, d’une salle de réunions, d’un vestibule, d’un salon et d’un espace de rangement;

3)   la bâtisse 2C, constituée d’un seul étage se compose d’une cuisine, d’une salle à manger et d’un bar.

 

[6]         La répartition des activités et des espaces du Yacht Club indique que 86 % des aires sont vouées aux activités de formation et 14 % sont réservées exclusivement aux membres, l’utilisation du terrain est évaluée à 57 % pour les parties affectées à la formation, à 13 % pour les parties affectées au soutien de la formation et à 30 % les aires réservées exclusivement aux membres.

[7]         Enfin, la répartition des heures consacrées pendant la saison 2015 aux activités de formation de l’école de voile et aux activités participatives récréatives des membres du club démontre que 62 % des heures sont consacrées aux activités admissibles de formation et 38 % aux autres activités participatives et récréatives des membres.

[8]         Lorsque la CMQ est saisie d’une demande de reconnaissance visant la totalité de l’immeuble, elle donne raison au Yacht Club en procédant à l’analyse de l’utilisation principale de l’ensemble, et non pas en examinant l’utilisation principale de chacune des parties de l’immeuble[4].

[9]         La CMQ fonde sa décision sur le raisonnement suivant :

[61]        La demande adressée à la Commission a pour objet une reconnaissance visant la totalité de l'immeuble. Ce faisant, étant donné que la Commission constate qu'il n'y a qu'un seul utilisateur et qu'elle reconnait que les activités de formation constituent l'utilisation principale de l'ensemble de l'immeuble, elle ne peut limiter sa reconnaissance à un pourcentage ou à un ratio d'heures ou de superficies d'utilisation ni exclure certaines parties de l’immeuble.

[62]        La Commission est d’avis que, dans les circonstances, la reconnaissance doit se fonder sur son appréciation de l’utilisation principale de l’ensemble de l’immeuble et non simplement sur un ratio quelconque de 70/30 d’utilisation du terrain ou des espaces intérieurs des bâtisses ou de 62/38 en fonction du nombre d’heures. Ces ratios sont toutefois pertinents dans l’appréciation de l’utilisation principale de l’immeuble.

[63]        Si la formation constitue l’utilisation principale de l’immeuble, les autres activités sont nécessairement secondaires et non déterminantes. Ces ratios demeurent néanmoins révélateurs et même probants.

(…)

[65]        Les activités de formation sont admissibles et elles constituent l’utilisation principale de l’immeuble que la demanderesse occupe. Elles remplissent donc les conditions du premier alinéa de l’article 243.8 de la Loi et du paragraphe 2° du deuxième alinéa du même article.

[66]        Les conditions prévues aux articles 243.5 et suivants de la Loi sont remplies. La reconnaissance est accordée pour la partie de l’immeuble qu’occupe la demanderesse.

[10]        Selon Pointe-Claire, cette méthode d’analyse globale rend la décision sous étude déraisonnable parce que la CMQ:

-       écarte sans justification l’article 2 LFM, qui prescrit qu’une disposition applicable à un immeuble s’applique aussi à une partie d’immeuble;

-       distingue entre les demandes de reconnaissance totale ou partielle, distinction qui ne trouve aucun fondement dans la LFM;

-       accepte que la reconnaissance porte sur des parties de l’immeuble dont l’utilisation principale n’est pas une activité admissible, allant à l’encontre de la règle prévue au premier alinéa de l’article 243.7 LFM;

-       analyse l’utilisation principale d’une unité d’évaluation, et non celle de l’immeuble au sens de la LFM.

ANALYSE

La norme de contrôle

[11]        Les parties sont toutes deux d’avis que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique. Néanmoins, il s’agit d’une question de droit qui doit être tranchée par le Tribunal, peu importe la position des parties[5].

[12]        Il existe une présomption établissant la déférence à l’égard de la décision d’un tribunal spécialisé portant sur l’interprétation de sa loi constitutive mais aussi, d’une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie[6]. La CMQ est un tribunal spécialisé, ayant analysé et appliqué ici la Loi sur la fiscalité municipale (LFM)[7], qui est sa loi constitutive.  La présomption ne peut donc être réfutée car la question en litige ne relève d’aucune des quatre exceptions auxquelles s’applique la norme de la décision correcte[8]:

-       les questions constitutionnelles;

-       les questions de droit qui revêtent une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui ne relèvent pas du champ d’expertise du décideur;

-       les questions portant sur la délimitation des compétences respectives des tribunaux concurrents;

-       les questions touchant véritablement la compétence.

La législation applicable

[13]        Les parties et la CMQ dans la décision sous étude citent les articles suivants de la LFM :

2. À moins que le contexte n’indique le contraire, une disposition de la présente loi qui vise un immeuble, un meuble, un établissement d’entreprise ou une unité d’évaluation est réputée viser une partie d’un tel immeuble, meuble, établissement d’entreprise ou unité d’évaluation, si cette partie seulement entre dans le champ d’application de la disposition.

243.2. La reconnaissance mentionne la personne qui en fait l’objet, l’immeuble visé et l’utilisateur de celui-ci.

On entend par « utilisateur » le propriétaire, le locataire ou l’occupant dont l’utilisation de l’immeuble visé remplit les conditions prévues à l’article 243.8.

Lorsque, en application de l’article 2, l’immeuble visé n’est qu’une partie d’une unité d’évaluation ou d’un immeuble compris dans celle-ci, la reconnaissance délimite cette partie.

243.3. La personne qui peut faire l’objet d’une reconnaissance dont découle une exemption aux fins des taxes foncières est celle au nom de laquelle est inscrite, avant l’application du troisième alinéa de l’article 208 le cas échéant, l’unité d’évaluation comprenant l’immeuble visé.

Toutefois, dans le cas visé au premier ou au deuxième alinéa de l’article 208, cette personne est le locataire ou l’occupant de l’immeuble visé qui devrait autrement payer les taxes foncières.

243.4. La personne qui peut faire l’objet d’une reconnaissance dont découle une exemption aux fins de la taxe d’affaires est celle qui devrait autrement payer cette taxe en raison de l’activité qu’elle exerce dans l’immeuble visé.

La reconnaissance dont découle une exemption aux fins des taxes foncières est réputée, pour l’utilisateur mentionné et à l’égard de l’activité qu’il exerce dans l’immeuble visé, constituer une reconnaissance dont découle une exemption aux fins de la taxe d’affaires.

243.7. Seul un immeuble dont l’utilisation remplit les conditions prévues à l’article 243.8 peut être visé par une reconnaissance.

Toutefois, il ne peut l’être si cette utilisation consiste dans l’hébergement autre que transitoire ou l’entreposage autre qu’inhérent à la conservation d’objets visée au paragraphe 2.1° du deuxième alinéa de l’article 243.8.

243.8. L’utilisateur doit, dans un but non lucratif, exercer une ou plusieurs des activités admissibles de façon que cet exercice constitue l’utilisation principale de l’immeuble.

Sont admissibles:

(…)

2°  toute activité d’ordre informatif ou pédagogique destinée à des personnes qui, à titre de loisir, veulent améliorer leurs connaissances ou habiletés dans l’un ou l’autre des domaines de l’art, de l’histoire, de la science et du sport ou dans tout autre domaine propre aux loisirs, pourvu que la possibilité de profiter de l’activité soit offerte, sans conditions préférentielles, au public;

Thèses des parties

[14]        Pointe-Claire est d’accord avec la narration de la preuve effectuée par la CMQ[9] et accepte également ses conclusions factuelles voulant que certaines parties des bâtiments, soit les vestiaires, le bar, ainsi qu’un espace de rangement, ne soient pas utilisées pour des activités de formation. Aussi, Pointe-Claire admet que les activités de formation sont admissibles, par opposition aux activités purement récréatives des membres du Yacht Club.

[15]        Toutefois, Pointe-Claire s’insurge contre l’adoption de l’approche « globaliste » par la CMQ et indique que seule l’approche « partitioniste » est raisonnable en l’instance. Elle s’appuie notamment sur les motifs suivants de la décision Club de yacht Royal Saint-Laurent c. Commission municipale du Québec[10], alors que la juge Jacob a cassé une décision de la CMQ qui avait refusé d’accorder une exemption partielle pour certaines zones (un stationnement, un terrain gazonné et un complexe de piscines) en fonction du pourcentage d’utilisation de l’ensemble de l’unité d’évaluation :

[80]        Il semble évident qu’un organisme à but non lucratif (« OBNL »), dont les activités admissibles constituent l’utilisation principale de l’ensemble de son unité d’évaluation, n’aurait aucun intérêt à présenter une demande d’exemption partielle si la totalité de son lot foncier était admissible à une telle reconnaissance d’exemption de taxes.

[81]        La lecture intégrale de la LFM, et particulièrement de l’article 2 ainsi que du  3e alinéa de l’article 243.2, confirme l’intention du législateur de permettre à un OBNL de présenter une demande partielle lorsqu’une partie seulement de son bâtiment, de son immeuble ou de son unité d’évaluation remplit les conditions d’admissibilité à une reconnaissance d’exemption.

[82]        Il serait alors illogique d’exiger que les activités admissibles de cet OBNL constituent l’utilisation principale de l’ensemble de son unité d’évaluation. Si tel était le cas, la demande présentée ne viserait pas une partie du lot, mais bien l’intégralité du lot.

[83]        Par conséquent, le Tribunal est d’avis que l’interprétation du juge administratif Serafini ne respecte pas l’esprit ou la finalité même de la LFM.

[16]        Pointe-Claire plaide ainsi que les mots « utilisation principale » de l’article 243.8 LFM visent plutôt la répartition dans le temps de l’utilisation d’un immeuble ou d’une partie d’immeuble et ne réfèrent pas à une analyse globale quant à l’espace utilisé. Elle ajoute que l’interprétation qu’elle défend est la seule qui soit raisonnable car elle permet de concilier les mots « utilisation principale » avec l’article 2 LFM et le troisième alinéa de l’article 243.2 LFM.

[17]        Le Yacht Club soutient la décision de la CMQ et rappelle plutôt le jugement rendu par le juge Lalonde dans l’affaire Fondation B'Nai B'Rith Hillel de Montréal c. Québec (Commission municipale)[11], alors que le contrôle judiciaire est accueilli pour les motifs suivants :

[62]            Dans chacune des affaires précitées, la demande de reconnaissance d’exemption a été accordée par le Commissaire Hamelin pour l’ensemble de l’immeuble.  L’utilisation principale de chacun des immeubles fut jugée conforme aux activités admissibles prévues à l’article 243.8 LFM.  Ces deux décisions vont d’ailleurs dans le même sens que la jurisprudence majoritaire de la CMQ en cette matière.

[63]            Dans l'instance qui nous occupe, le Commissaire Hamelin, plutôt que de rechercher la vocation globale de l'immeuble pour en déterminer l'utilisation principale, a choisi de procéder à une analyse compartimentée de l'immeuble en évaluant, à la pièce, l'utilisation de chacune de ses composantes.  Il s'agit essentiellement de la méthode prévalant pour identifier les unités d'évaluation portées au rôle d'évaluation.  Cette méthode, bien que tout a fait acceptée en matière d'évaluation, comporte le risque d'oublier la finalité des articles de la LFM applicables à une reconnaissance d'exemption de taxes foncières.

[64]            En clair, à trop examiner chacun des arbres, on risque de perdre de vue la forêt!

[65]            Le Tribunal est d'avis que le Commissaire Hamelin s'est laissé distraire par une analyse partitionniste et qu'il a mis de côté le sens propre des termes « l'utilisation principale » de l'immeuble.  Il aurait mieux valu qu’il s’en tienne aux critères de la jurisprudence de la CMQ sur le sujet, dont ses propres décisions dans les affaires précitées. (…)

[81]            Il ne fait aucun doute que l'immeuble, dans son ensemble, est utilisé principalement à promouvoir et défendre les intérêts des étudiants d'origine juive et de répondre à leurs besoins sociaux, culturels et à leur intégration dans la communauté montréalaise.

[82]            En résumé, l'immeuble est utilisé principalement pour des activités admissibles et doit donc se qualifier à la reconnaissance d'exemption prévue à l'article 243.8 LFM.

                                                                                                  (Références omises)

Discussion

[18]        Il s’agit ainsi de vérifier si la décision attaquée constitue une issue possible acceptable pouvant se justifier au regard des faits et du droit[12] selon la définition de ce concept rappelée par la Cour suprême du Canada[13] :

[18]      Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable s’intéresse au caractère raisonnable du résultat concret de la décision ainsi qu’au raisonnement qui l’a produit. Le raisonnement doit démontrer « la justification de la décision, [. . .] la transparence et [. . .] l’intelligibilité du processus décisionnel » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 47). Le résultat concret et les motifs, examinés ensemble, doivent servir à démontrer que le résultat appartient aux issues possibles (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, par. 14). Si l’insuffisance des motifs d’un tribunal administratif ne justifie pas à elle seule le contrôle judiciaire, il faut néanmoins que les motifs « expliquent de façon adéquate le fondement de sa décision » (Newfoundland Nurses, par. 18, citant Société canadienne des postes c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CAF 56, [2011] 2 R.C.F. 221, par. 163 (le juge Evans, dissident), inf. par 2011 CSC 57, [2011] 3 R.C.S. 572).

[19]        Le rôle d’un tribunal de révision appliquant la norme de la décision raisonnable est limité, tel que le juge Stratas le résume dans un article récent[14] :

When conducting reasonableness review, reviewing courts are to pay “respectful attention” to the administrative decision-maker’s reasons and “be cautious about substituting their own view of the proper outcome by designating certain omissions in the reasons to be fateful.” In other words, reviewing courts should not embark on a “line-by-line treasure hunt for error.”

(Références omises)

[20]        Ici, le Tribunal note que la CMQ est parfaitement au courant des deux jugements de la Cour supérieure invoqués par les parties et les cite même dans une note de bas de page :

6. (…) Toutefois, la Cour supérieure a aussi décidé dans l’affaire B’Nai B’Rith Hillel (La Fondation B’Nai B’Rith Hillel de Montréal inc. c. Commission municipale du Québec et Michel Hamelin et Ville de Montréal, 2005 CanLII 15641) qu’il faille considérer l’immeuble dans son ensemble aux fins de la reconnaissance pour exemption des taxes foncières si la Commission considère que l’immeuble est principalement utilisé pour des activités admissibles. Même l’Honorable Jacob (au paragraphe 120 de la décision précitée) a reconnu la justesse de ce principe.

[21]        Tel que ses motifs, rapportés au paragraphe 9 de ce jugement, l’indiquent, la CMQ choisit de ne pas appliquer ici l’article 2 LFM puisque le Yacht Club est le seul utilisateur de l’immeuble. En effet, elle considère que l’article 243.8 LFM exige l’analyse de l’utilisation de la totalité de l’immeuble visé par la demande pour déterminer si une ou plusieurs activités admissibles constituent l’utilisation principale de l’immeuble.

 

[22]        Le Tribunal souligne tout d’abord qu’il s’agit d’une interprétation tout à fait défendable de sa loi constitutive par la CMQ. Qu’un article de la LFM s’applique ou non en fonction des circonstances de l’espèce est le propre de l’exercice de sa compétence par ce tribunal administratif. Le Tribunal ne voit pas pourquoi il ne serait pas possible ou acceptable, toujours dans la perspective de vérifier la raisonnabilité de la décision attaquée, que la CMQ en cas d’une demande d’exemption totale, présentée par un utilisateur unique d’un immeuble, analyse l’utilisation principale de ce dernier.

[23]        Ensuite, il s’avère que cette approche, adoptée dans la décision sous étude, est aussi celle préconisée par quelques autres décisions rendues par la CMQ[15]. Pointe-Claire le reconnait mais prétend que ce courant est non seulement minoritaire mais de surcroit, déraisonnable.

[24]        À ce sujet, le Tribunal rappelle qu’il ne lui revient pas de trancher les débats jurisprudentiels occupant les tribunaux administratifs[16], sauf en cas d’une décision « excentrique » ou « hors champ » par rapport à l’état du droit, laquelle, par le fait même, devient ainsi déraisonnable[17]. Ici, constatant qu’il existe un courant jurisprudentiel, soit-il minoritaire, dont la décision de la CMQ sous étude fait partie, il n’est plus approprié dès lors de la qualifier d’une décision « hors champ », autorisant alors l’exercice du pouvoir de contrôle par le Tribunal, pour cette unique raison.

[25]        Enfin, le Tribunal note que les décisions de la Cour supérieure dans les deux affaires, citées avec beaucoup d’à-propos par les parties, sont parfaitement conciliables. Dans l’affaire du Club de yacht Royal Saint-Laurent, la juge Jacob fonde son raisonnement sur le constat que la CMQ devait décider d’une demande de reconnaissance partielle pour trois zones délimitées[18], présentée par un utilisateur parmi trois[19], d’une unité d’évaluation. Dans l’affaire Fondation B'Nai B'Rith Hillel de Montréal, le juge Lalonde en revanche, détermine qu’en cas d’un utilisateur unique d’un immeuble visé par une demande de reconnaissance, la CMQ doit vérifier l’utilisation principale de l’ensemble de l’immeuble.

[26]        Ces deux décisions non seulement sont parfaitement logiques mais, au surplus, il est permis d’affirmer qu’elles vont dans le même sens. La mesure d’évaluation doit être fonction de la demande formulée. Suivant l’analyse de la juge Jacob, si des zones distinctes d’une unité d’évaluation sont visées par une demande partielle, la CMQ devra faire l’étude de l’utilisation principale de chacune d’elles. Pour le juge Lalonde, si un immeuble est visé par une demande d’exemption totale qui cible l’intégralité de ce dernier, la CMQ devra faire l’étude de son utilisation principale.

[27]        Ainsi, selon les juges Jacob et Lalonde respectivement, l’approche « globale » serait déraisonnable en cas de demande partielle d’un des utilisateurs d’un immeuble et l’approche « partitionniste » serait déraisonnable[20] en cas de demande totale d’un utilisateur unique d’un immeuble dont l’utilisation principale est admissible. En l’instance, il s’agit plutôt du deuxième cas de figure et la CMQ préconise ici une interprétation au diapason avec la conclusion de l’affaire Fondation B'Nai B'Rith Hillel de Montréal. Le Tribunal ne peut conclure qu’il s’agit d’un raisonnement ou d’une conclusion ne faisant pas partie des issues possibles acceptables.

[28]        En application de ces principes, il n’est pas nécessaire de se prononcer (et d’autant plus que la CMQ ne l’a pas fait), quant aux autres arguments, soit la différence entre les notions d’immeuble et d’unité d’évaluation ou encore si la distinction entre les demandes d’exemption partielles ou totales est fondée ou non, en fonction de la LFM, de la jurisprudence ou de ces deux sources à la fois. De surcroit, ces aspects apparaissent secondaires et ne possèdent pas le potentiel de rendre la décision de la CMQ déraisonnable.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[29]        REJETTE le pourvoi en contrôle judiciaire,

[30]        Avec frais de justice en faveur du mis en cause.

 

 

__________________________________

LUKASZ GRANOSIK, j.c.s.

 

Me Fanny Pineault

BÉLANGER, SAUVÉ sencrl

Procureure de la demanderesse

 

Me Joseph-André Roy et Me Éric Ouimet

BCF sencrl

Procureurs du mis en cause

 

 

Date d’audition:                                                                                               le 25 mai 2017

 

 



[1] Dossier CMQ-65584  (29412-16).

[2] À l’exclusion de l’espace de rangement à l’étage de la « bâtisse 2B ».

[3] RLRQ, c. C-38.

[4] Les autres aspects nécessaires à la reconnaissance, soit la qualité de personne morale à but non lucratif, le caractère admissible des activités et l’objectif d’exercice dans un but non lucratif ne sont pas en litige.

[5]  Monsanto Canada inc. c. Ontario (Surintendant des services financiers), 2004 CSC 54, par 6.

[6] Alberta (Information and Privacy Commissionner) c. Alberta’s Teachers Association, 2011 CSC 61; McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Procureur général), 2014 CSC 40; Front des artistes canadiens c. Musée des beaux-arts du Canada, 2014 CSC 42; Commission scolaire de Laval c. Syndicat de l’enseignement de la région de Laval, 2016 CSC 8

[7] RLRQ, c. F-2.1.

[8] Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Procureur général), précité, note 6, par. 55.

[9] À l’exception du paragraphe 27 de la décision alors que l’admission de Pointe-Claire visait un ratio de 70/30 quant aux aires utilisées pour des activités admissibles.

[10] 2016 QCCS 1773.

[11] 2005 CanLII 15641 (QC CS).

[12] Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, par. 47.

[13] Canada (Procureur général) c. Igloo Vikski Inc., 2016 CSC 38.

[14] David Stratas, The Canadian Law of Judicial Review: A Plea for Doctrinal Coherence and Consistency (February 17, 2016). SSRN: https://ssrn.com/abstract=2733751 ou http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.2733751

[15] Fondation Radio Galilée et Ville de Québec, CMQ-61938 (29447-16), 13 septembre 2016 et Corporation Augustin-Chénier Inc., CMQ-60607 (28909-15), 7 juillet 2015.

[16] Domtar Inc. c. Québec (Commission d'appel en matière de lésions professionnelles), [1993] 2 R.C.S. 756 et jurisprudence constante depuis.

[17] Gatineau (Ville de) c. Syndicat des cols blancs de Gatineau inc, 2016 QCCA 1696, Procureure générale du Québec c. Ville de Montréal, 2016 QCCA 2108.

[18] Précité, note 10, para. 76-78.

[19] Idem, para. 75, alors que la juge Jacob souligne que McGill Sailing School et la Fédération de la voile du Québec occupent aussi les mêmes lieux et pourraient s’adonner à des activités admissibles.

[20] Et même manifestement déraisonnable, car ce jugement a été prononcé dans l’ère pré-Dunsmuir.

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