Décision

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Yombo c. R.

2023 QCCA 12

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

 :

500-10-007423-203

(500-01-204049-206)

 

DATE :

 10 janvier 2023

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A.

GUY COURNOYER, J.C.A.

 

 

ÉMILE YOMBO

APPELANT – accusé

c.

 

SA MAJESTÉ LE ROI

INTIMÉ – poursuivant

 

 

ARRÊT

 

 

[1]                Le 30 septembre 2020, la juge Lori Renée Weitzman, de la Cour du Québec, chambre criminelle et pénale, district de Montréal, a acquitté l’appelant de deux chefs d’accusation, soit un chef de menaces et un autre de harcèlement et elle l’a déclaré coupable d’un chef de voies de fait. Il se pourvoit. La requête pour permission d’appeler est déférée à la formation : R. c. Yombo, 2020 QCCA 1464.

[2]                Pour les motifs du juge Vauclair, auxquels souscrivent les juges Hamilton et Cournoyer, LA COUR :

[3]                ACCUEILLE la requête pour permission d’appeler;

[4]                REJETTE l’appel.

 

 

 

 

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 

 

 

 

 

STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A.

 

 

 

 

 

GUY COURNOYER, J.C.A.

 

Me Rita Magloé Francis

SURPRENANT MAGLOÉ AVOCATS

Pour l’appelant

 

Me Richard Audet

DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES

Pour l’intimé

 

Date d’audience :

15 décembre 2022


 

 

MOTIFS DU JUGE VAUCLAIR

 

 

[5]                Déclaré coupable de voies de fait commises à l’occasion d’une rencontre fortuite, les événements en cause sont particuliers puisque l’appelant est une personne qui a fait plusieurs séjours en détention et que la victime est agente correctionnelle. Il est acquis que les deux s’étaient déjà croisés en milieu carcéral et une autre fois à l’extérieur.

[6]                La plaignante témoigne. Le jour en question, elle revenait du travail, toujours vêtue de son uniforme. Elle circule sur le quai d’une station de métro lorsque l’appelant lui crie quelque chose et lui donne une poussée à l’épaule avec son poing. Cela ne lui cause aucune douleur. Elle le reconnaît et entend des paroles menaçantes. Selon elle, l’appelant sourit comme s’il se moquait d’elle. La victime lui sourit aussi, mais elle explique que c’était pour désamorcer la situation. Elle poursuit son chemin, contrariée, laisse l’appelant prendre le métro et demeure sur le quai.

[7]                L’appelant témoigne. Il admet avoir donné « une bine », en langage vernaculaire québécois, sur l’épaule de la victime, mais sans appliquer de force. Son intention n’était ni de la blesser ni de l'importuner, mais de la saluer. Il était surpris et content de la voir, le geste se voulait amical.

[8]                Les images de la scène, sans le son, sont captées par des caméras de surveillance et elles sont produites au procès. La vidéo montre clairement la victime qui circule sur le quai. Son attention semble soudainement attirée et l’appelant s’approche. Elle poursuit son chemin et l’appelant lui donne quatre coups ou « bines » à l’épaule. L’appelant semble suivre la victime des yeux, tout sourire, pour monter dans le wagon du métro qui s’est arrêté. La victime demeure sur le quai.

*

[9]                La juge du procès retient que l’appelant a effectivement crié quelque chose à l’intention de la victime, mais elle ne peut se convaincre hors de tout doute raisonnable qu’il s’agissait d’une menace. Elle analyse l’infraction de harcèlement et conclut que le ministère public n’a pas prouvé hors de tout doute raisonnable tous les éléments de l’Infraction, le simple inconfort de la victime ne rencontrant « pas le seuil requis pour établir un état de harcèlement » dans les circonstances. Elle l’acquitte également de cette infraction.

[10]           Il en va autrement pour l’infraction de voies de fait. À cet égard, la juge constate l’emploi intentionnel de la force, une conclusion qui, par ailleurs, ne peut pas être mise en doute. Elle écarte ensuite le consentement implicite de la victime, de même que la croyance de l’appelant à un consentement. Ces conclusions sont tout aussi difficiles à attaquer. Il s’agit de questions de fait dont l’appréciation relève de la juge. L'appelant ne démontre aucune erreur justifiant l'intervention de la Cour.

[11]           Plus particulièrement, et ce sera également important pour le dernier volet de sa décision, la juge rejette l’explication de l’appelant qu’il avait simplement été surpris de retrouver la victime sur le quai du métro et que son geste se voulait un geste amical sans hostilité.

[12]           La juge note que :

[38] La preuve vidéo permet de conclure, hors de tout doute raisonnable, qu'il s'agit d'un geste intentionnel et agressif, et ce, même si la force appliquée n'est pas très grande. La réaction de [la victime] est conséquente à cette attaque imprévue et hostile.

[13]           La juge avait non seulement l’avantage d'entendre les témoins, mais aussi d’analyser cette preuve à partir des images de la vidéo. Or, les images et les témoignages soutiennent les conclusions cohérentes de la juge. Elle est sensible aux imprécisions du témoignage de la victime, notamment en ce qui concerne la durée des événements que la victime estime beaucoup plus longue que la réalité. Pour la juge, cela s'explique par le stress vécu par la victime à ce moment. Compte tenu de cet état des choses, elle fait bénéficier l’appelant du doute sur la nature menaçante des paroles entendues par la victime.

[14]           Encore une fois, l’appelant ne démontre aucune erreur dans la conclusion de la juge sur l’absence de consentement de la victime ou sur la croyance de l’appelant à ce consentement. La juge pouvait conclure qu’aucun consentement n’a été exprimé de la part de la victime. Vu la rapidité de la séquence et, surtout, de l’absence de relation entre les protagonistes, sauf celle d’autorité d’un agent correctionnel à l’égard d’un détenu, la juge pouvait exclure le consentement implicite.

**

[15]           Dans le dernier volet de la décision et de l’appel, l’appelant reproche à la juge son refus d’appliquer la maxime de minimis non curat lex souvent traduite par l’expression « la loi ne se soucie pas des petites choses sans importance ». Cette maxime tente d’exprimer l’idée qu’un tribunal peut accepter une « défense » dans le cas où l’infraction, bien que juridiquement commise, est insignifiante et ne devrait pas entraîner de conséquences pour son auteur.

[16]           La juge aurait-elle dû appliquer la maxime ou la doctrine de minimis non curat lex? Je suis d’accord avec la position de l’intimé voulant que cette doctrine demeure d’application exceptionnelle, c’est-à-dire dans les cas les plus clairs et les plus manifestes.

[17]           La question de savoir si une affaire peut se qualifier pour l’application de la doctrine est une question de droit. Un tribunal d’appel peut donc réviser la décision selon la norme de la décision correcte. Toutefois, la déférence est due aux déterminations factuelles sous-jacentes. Je partage ainsi l’approche énoncée par la Cour d’appel de l’Ontario dans R. v. Kubassek (2004), 188 C.C.C. (3d) 307, par. 11-16.

[18]           Dans la jurisprudence, la maxime est très majoritairement discutée par les tribunaux de première instance. Au Québec, la Cour supérieure, qui siégeait en appel d’une décision de la Cour du Québec, R. c. Freedman, 2006 QCCQ 1855, a confirmé la possibilité d’appliquer la maxime en droit criminel dans l’affaire R. c. Freedman, 2006 QCCS 8022.

[19]           Aux fins des présents motifs, il est inutile de faire l’exégèse des débats entourant la maxime et son application. En outre, en l’instance, on ne demande pas à la Cour de trancher son existence en droit criminel ni de revoir R. c. Freedman, 2006 QCCS 8022. Il n’est pas non plus nécessaire de qualifier définitivement la maxime comme un moyen de défense ou, comme le suggère le professeur Ferh, comme une facette du pouvoir inhérent des tribunaux de cesser toute procédure abusive risquant de miner la confiance du public envers l’administration de la justice : Colton FEHR, « Reconceptualizing De Minimis Non Curat Lex », (2017) 64:1 Criminal Law Quarterly 200.

[20]           Son existence a parfois été mise en doute, mais sans qu'elle soit toutefois exclue : voir R. c. Dubourg, 2018 QCCA 1999, par. 37-41. Son application semble davantage douteuse dans un contexte de violence sexuelle ou familiale : R. c. J.A., [2011] 2 R.C.S. 440, par. 63; R. c. Gosselin, 2012 QCCA 1874, par. 40. Cela ne doit pas surprendre, ne serait-ce que, par exemple, en raison de la vulnérabilité des victimes et des impératifs d’intérêt public dans ce type de dossier.

[21]           Il demeure que la possibilité de recourir à cette maxime n’a jamais été totalement écartée par une cour d’appel ou par la Cour suprême. Au contraire, des indices laissent croire qu’elle peut jouer un rôle dans l’administration de la justice criminelle : R. c. Hinchey, [1996] 3 R.C.S. 1128, par. 69; R. c. Cuerrier, [1998] 2 R.C.S. 371, par. 21; Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 76, par. 200 et s. (j. Arbour, dissidente); R. v. Murdock (2003), 176 CCC (3d) 232 (C.A.O.).

[22]           En doctrine, les débats sont nourris et contradictoires. Sans prétendre à l’exhaustivité, plusieurs auteurs en discutent : Marc-Étienne O’BRIEN, « Unveiling the Mechanisms Behind Judicial Responses to De minimis Claims in Trial-Level Assault Cases », (2020) 68 Criminal Law Quarterly 249; Morris MANNING et Peter SANKOFF, Manning, Mewett & Sankoff – Criminal Law, 5e éd., 2015, LexisNexis Canada, Toronto, p. 652, par. 13.167; Steve COUGHLAN, « Why De Minimis Should Not Be a Defence », (2018) 44:2 Queen's Law Journal 262; Colton FERH, « Why De Minimis Is a Defense: a Reply to Professor Coughlan », 67 McGill Law Journal 1; Kent ROACH, Criminal Law, 2018, 7e éd., Irwin Law, Toronto, p. 105-106; Simon ROY et Julie VINCENT, « La place du concept de minimis non curat lex en droit pénal canadien », (2006) 66 R. du B. 213, par 49-50.

[23]           Si la Cour supérieure, dans l'affaire Freedman, a confirmé son existence, il faut insister sur son caractère exceptionnel. Dans l’arrêt Dubourg, la Cour rappelle que « les tribunaux doivent se garder de contredire le choix discrétionnaire du ministère public de porter des accusations pour un comportement donné, sauf dans les cas les plus manifestes » : R. c. Dubourg, 2018 QCCA 1999, par. 41.

[24]           Au surplus, le 1er septembre 2017, la mise en place au Québec d’un programme de déjudiciarisation pour les délinquants adultes offre une possibilité concrète de déjudiciarisation. Il assure entre autres de « ne judiciariser que les infractions suffisamment graves pour mettre en péril la sécurité publique », dirigeant ainsi les infractions les moins graves hors du système accusatoire traditionnel : voir ROSSI, C., DESROSIERS, J., BRASSARD, V., MARCEAU, L., CLOUTIER, M., BELAND OUELLETTE, A. (2020), Le Programme de mesures de rechange général pour adultes, portrait, analyse et enjeux du projet pilote 2017-2019, Rapport de recherche soumis au ministère de la Justice du Québec, Université Laval, Québec, février 2020, 54 p., à la p. 11.

[25]           Nul doute que, dans ce contexte, les dossiers qui présenteront les caractéristiques nécessaires à l’application de la maxime seront rares. La rareté de son application ne signifie toutefois pas qu’elle n’a plus d’utilité, même dans des contextes difficiles : voir par exemple Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), précité.

[26]           Plus récemment, des affaires illustrent le bien-fondé de son application : R. v. Juneja, 2009 ONCJ 572 (une personne prend le poignet d’une autre dans le cadre d’une discussion à propos d’un conflit latent); R. v. Haynes, 2022 ONCJ 30 (une voisine arrose d’eau son voisin avec un boyau lors d’une énième dispute verbale); R. v. Arsenault, 2018 ONCJ 224 (un texto d’une ligne est en violation d’une interdiction de communiquer; contra dans R. v. Feliciano, 2019 ONCJ 263).

[27]           La maxime permet de maintenir la confiance dans l’administration de la justice (R. c. Freedman, 2006 QCCQ 1855, par. 56; R. c. Jean, 2020 QCCQ 8902, par. 161; Morris MANNING et Peter SANKOFF, précité, par. 13.167-168), mais elle peut avoir l’effet inverse si elle est appliquée sans une évaluation sérieuse de toutes les circonstances (R. c. Jean, 2020 QCCQ 8902, par. 171). Il faut d’ailleurs rappeler que, dans l’affaire Freedman, précitée, le ministère public avait concédé que le seul contact révélé par la preuve entre l’accusé et la victime n’aurait généré aucune accusation : R. c. Freedman, 2006 QCCQ 1855, par. 37.

[28]           Bref, tout est question de contexte. J’arrête donc ici puisque, encore une fois, il n’est pas nécessaire de faire un tour exhaustif des cas ou de revoir l’application de la maxime dont on retrouve toujours une présence active dans la jurisprudence.

[29]           En l’espèce, la juge applique les critères et conclut que ce n’est pas un cas où la maxime peut s’appliquer. Se fondant sur la preuve vidéo et la réaction de la victime, au point d'attendre le prochain métro, elle retient que les coups sont portés lors d’une attaque imprévue, dans un contexte d’hostilité et d’agressivité. Elle insiste sur le « caractère de l’accusé », certes, mais surtout pour le comparer à la jurisprudence plaidée par l’appelant. Elle retient aussi qu’il est difficile de discerner un mobile pour les gestes de l’appelant et que la victime ne semble pas de son côté être motivée par un « motif oblique ». En définitive, une analyse contextuelle l’amène à écarter la maxime.

[30]           Je ne vois aucune erreur dans cette conclusion. Je propose donc d’accueillir la requête pour permission d’appeler et de rejeter l’appel.

 

 

 

 

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.