Décision

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R. c. Proulx

2025 QCCQ 1851

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

BEDFORD

LOCALITÉ DE

GRANBY

« Chambre criminelle et pénale »

 :

460-01-045416-249

 

 

 

DATE :

22 mai 2025

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

SERGE CHAMPOUX, J.C.Q.

 

 

 

______________________________________________________________________

 

 

SA MAJESTÉ LE ROI

Poursuivant

c.

KATHY PROULX

Accusée

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION QUANT À LA PEINE

______________________________________________________________________

 

  1.                 Kathy Proulx a plaidé coupable à l’accusation suivante :
  1. Entre le 14 juin 2017 et le 25 mars 2022, à Roxton Pond, district de Bedford, par la supercherie, le mensonge ou autre moyen dolosif, a frustré Enviro 5, d’une somme d’argent, d’une valeur dépassant 5000,00 $, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 380(1)a) du Code criminel.
  1.                 Le montant de la fraude est imposant : 707 108,07 $, et la victime était son employeur. Aujourd’hui, l’accusée se prétend sans le sou et incapable de rembourser davantage qu’un montant déjà convenu au terme d’une poursuite civile réglée en 2023.
  2.                 La poursuite demande une peine d’emprisonnement de trois ans, en plus d’une ordonnance de dédommagement, d’une amende à défaut de confiscation du produit de sa criminalité et d’une peine supplémentaire d’emprisonnement en cas de défaut de paiement de l’amende compensatoire.
  3.                 La défense, convenant de la nécessité d’une peine d’emprisonnement, demande que celle-ci puisse être purgée dans la collectivité. Elle s’oppose à toute restitution, amende ou peine d’emprisonnement supplémentaire, vu la situation familiale et personnelle de Kathy Proulx.
  4.                 LE CRIME CONCERNÉ
  5.                 Le crime auquel s’est livré Kathy Proulx s’échelonne sur une période d’un peu moins de cinq ans. Celle-ci était, à cette période, employée d’une entreprise en pleine croissance, fondée en 2000. Cette entreprise offrait des services de pompage et de vidange de fosses septiques, selon la preuve. Frédéric Côté et sa famille, selon cette preuve, sont les responsables de la croissance de l’entreprise qui était d’abord modeste, pour la rendre au cours des années beaucoup plus prospère. Elle comptait, au moment où monsieur Côté envisageait s’en départir, plus de 140 employés.
  6.                 Il explique que Kathy Proulx était une dame qui demeurait à l’origine de l’autre côté de la rue où était située son entreprise.
  7.                 En 2014, celle-ci l’approche afin de faire un stage en comptabilité auprès de la compagnie. Il accepte puis il l’engage pour lui confier une partie de la comptabilité de l’entreprise sous la responsabilité de sa conjointe.
  8.                 L’entreprise est en santé et le nombre d’employés augmente, de même que la quantité de travail. À un moment, un directeur général est engagé, qui chapeaute aussi le travail de l’accusée. Il n’en demeure pas moins que Frédéric Côté et sa conjointe conservent environ 90 % du capital action de l’entreprise, qui porte le nom d’Enviro 5 au moment de la fraude et qui exploite aussi une autre entreprise du nom de Vacuum Drummond.
  9.            La fraude est découverte par hasard. En 2022, Frédéric Côté et son épouse veulent prendre leur retraite. Ils sont en démarches de vendre l’entreprise. Ils ont trouvé un acheteur très sérieux et c’est à l’occasion de sa vérification diligente qu’est découverte la fraude.
  10.            Monsieur Côté et son épouse sont bouleversés. Ils ne se doutaient de rien.
  11.            Sont découvertes 377 factures fictives à Enviro 5 produites par Kathy Proulx sur la période entière visée par les accusations. Ces factures étaient payées à l’accusée puis les sommes concernées déposées dans un certain nombre de comptes bancaires, tant à son nom qu’à celui de son mari. En tout, c’est 707 108,07 $ qui sont détournés. À ce sujet, je signale que dans un document signé par l’accusée et produit comme pièce SD-1 au moment des observations sur la peine, Kathy Proulx reconnaît même qu’il s’agit plutôt de 726 730,31 $[1]. J’y reviendrai.
  12.            Frédéric Côté explique que la découverte de la fraude est un coup de tonnerre dans la transaction qui se préparait. Les acheteurs s’inquiètent, ne voulant plus acheter, mais aussi, pour lui et sa conjointe, commence un long parcours pour tenter de comprendre ce qui est arrivé et pour corriger ce qui est découvert.
  13.            Il parle de très lourdes conséquences sur lui et son épouse, de retard dans la transaction, de pertes à la vente, de frais multiples. Il parle aussi d’épuisement personnel et professionnel, de perte de confiance dans les autres, etc.
  14.            Il réfère à la transaction produite comme pièce SD-1, qu’il reconnaît. Il explique avoir mandaté des avocats pour entreprendre une poursuite civile contre Kathy Proulx et son conjoint. Ses procureurs lui avaient expliqué qu’ils n’avaient retrouvé aucun actif appartenant à l’accusée, mis à part sa maison, sur laquelle une équité de 155 000 $ existait. Frédéric Côté avait déjà consacré des dizaines de milliers de dollars en honoraires professionnels divers à ce moment.
  15.            Il accepte donc un règlement très insatisfaisant, soit de recevoir 155 000 $ en compensation de sa perte. Il explique que les honoraires d’avocats, les frais multiples occasionnés par la fraude, particulièrement en rapport avec les gouvernements à l’égard desquels des sommes n’auraient pas été payées, ont fait en sorte qu’il n’a reçu aucune des sommes décrites à la transaction.
  16.            Il expose que la fraude aurait été relativement constante, d’une année à l’autre, à savoir que les sommes détournées sont toujours d’environ 150 000 $ par année. Par ailleurs, la découverte de celle-ci a entraîné à la fois de grands retards dans la vente, la diminution du prix de vente et la nécessité de rectifier la situation fiscale des compagnies. Il estime son manque à gagner véritable, découlant directement de la fraude, entre 2,5 et 3 millions de dollars. Ces pertes matérielles s’ajoutent toutefois aux nuits blanches, à l’angoisse et à l’épuisement subi.
  17.            L’ACCUSÉE
  18.            Kathy Proulx est aujourd’hui âgée de 41 ans. Elle n’a pas d’antécédent judiciaire. Elle a cinq enfants dont trois sont adultes.
  19.            Selon le rapport présentenciel préparé, elle a un diplôme de cinquième secondaire et une formation en comptabilité. Elle provient d’un milieu familial conventionnel où, semble-t-il, elle aurait acquis des valeurs prosociales.
  20.            Elle tombe enceinte à 16 ans et abandonne son parcours scolaire. Elle a deux autres enfants avec le même homme puis se sépare. Elle est maintenant avec un nouveau conjoint – depuis 17 ans – et a deux autres enfants avec lui.
  21.            Le rapport ne mentionne pas de difficulté particulière dans l’une ou l’autre de ses unions. Elle demeure toujours avec son deuxième conjoint et quatre de ses enfants habitent avec eux. Il n’y a pas de mention de problème de jeu compulsif ni de consommation abusive de drogue ou d’alcool de sa part ou de son proche entourage.
  22.            En fait, elle ne se plaint d’aucune problématique particulière. Elle aurait aussi toujours été active sur le marché de l’emploi, autrement que pendant ses périodes de grossesse.
  23.            À la découverte de la fraude, elle fait une tentative de suicide. Elle est hospitalisée puis reçoit un court suivi, sans suite.
  24.            Le rapport présentenciel mentionne essentiellement, comme cause du passage à l’acte, certaines frustrations au travail, le désir, voire le besoin d’aider les autres de l’accusée et la valorisation qu’elle en tire. On évoque aussi un certain désir de vengeance, face à une insatisfaction au travail[2], mais autrement, l’autrice du rapport ne semble pas percevoir de valeurs criminelles bien ancrées.
  25.            Il est fait état de honte, de réflexion superficielle quant à la justification de son passage à l’acte et que quant au risque de récidive, ce risque serait plutôt faible, quoiqu’elle serait dans une situation financière précaire.
  26.            D’ailleurs, la preuve faite montre qu’en mars 2025 elle fait une proposition de consommateur[3]. J’y reviendrai, mais la consultation de ces documents m’inquiète.
  27.            Kathy Proulx témoigne au moment des observations sur la peine.
  28.            Son témoignage est émotif. Elle s’excuse et dit que l’entreprise Enviro 5 constituait sa deuxième famille. Quant à elle, tout allait bien au début, mais par la suite, les dirigeants engagent un gestionnaire, un monsieur Brière, dit-elle, qui la rabaissait, selon ce que j’en retiens, en lui reprochant sa formation insuffisante. Je crois comprendre qu’elle fait un lien entre cette attitude qu’elle déplore et son passage à l’acte.
  29.            Elle parle longuement de l’impact de la découverte du crime sur elle et sa famille. L’affaire aurait fait l’objet d’une certaine médiatisation. Son conjoint, qui avait aussi été accusé à l’origine, mais qui, selon elle, ne savait rien de ses activités criminelles, aurait subi de graves conséquences sur son emploi et sa possibilité de conserver cet emploi. Il ne travaillerait plus actuellement et Kathy Proulx serait le seul soutien de la famille.
  30.            Ses enfants auraient été inquiétés à l’école et elle aurait décidé de déplacer l’ensemble de la famille et s’éloigner de ce milieu, changeant de ville. Même ces changements n’auraient pas entièrement protégé les enfants de commentaires désobligeants.
  31.            Elle travaille aujourd’hui de nuit auprès de l’entreprise Hershey de Granby. Elle est opératrice dans cette usine et n’a aucun rôle la mettant en contact avec des sommes d’argent.
  32.            On sait très peu de choses et aucun détail précis quant à la destination des sommes volées à son employeur. Elle prétend avoir aidé des membres de sa famille avec l’épicerie, à payer certaines dettes, dit que certaines rénovations auraient été faites à sa résidence et que la famille aurait fait des voyages. Aujourd’hui, elle n’a plus un sou.
  33.            De telles affirmations sont surprenantes. Encore une fois je signale que la différence des montants qu’elle reconnaît, entre celui allégué à son plaidoyer de culpabilité et celui qui se trouve à la transaction SD-1, n’est pas expliquée.
  34.            LA PEINE
  35.            Le crime pour lequel l’accusée s’est reconnue coupable est passible d’un emprisonnement de 14 ans. Il s’agit d’un crime particulièrement grave.
  36.            Il est clairement reconnu et établi que dans le cas présent, un abus de confiance flagrant a eu lieu. Kathy Proulx prétend que son crime n’était pas « sophistiqué ». Je suis en désaccord. Elle-même prend prétexte des commentaires désobligeants à son égard d’un supérieur qui épiait son travail et ne lui faisait pas confiance. Manifestement, cette personne n’a jamais réussi à découvrir sa fraude, constituée de 377 événements distincts, échelonnés sur presque 5 ans et totalisant plus de 700 000 $. En fait, pour qu’une somme aussi colossale disparaisse, les manœuvres devaient nécessairement être complexes et bien dissimulées.
  37.            Je souligne plus précisément que, comme l’indique le dirigeant de la victime, cela représente une somme d’environ 150 000 $ par an que Kathy Proulx a reçus et dépensés au-delà de son revenu, des sommes sur lesquelles ni elle ni son conjoint ne payaient d’impôts.
  38.            Elle indique dans son témoignage que ses revenus annuels, à l’époque, comme aujourd’hui d’ailleurs, provenaient d’un emploi et étaient de l’ordre de 35 000 à 40 000 $. Je suis incapable de concevoir que d’y ajouter 150 000 $ net d’impôt par an ne représentait pas une énorme différence. Ces sommes, qu’elle allègue avoir entièrement dépensées à mesure qu’elle les empochait, ne peuvent qu’avoir représenté un changement radical dans son train de vie.
  39.            Que celle-ci ait « aidé » des gens de son entourage est bien possible. La preuve à cet effet me semble pourtant bien mince. Au rythme de sa fraude, il s’agit de près de 3 000 $ par semaine, libres d’impôts pendant 5 ans.
  40.            Tout ce qui précède m’apparaît important pour soupeser la crédibilité de l’accusée. On doit se rappeler que sa fraude, échelonnée sur 5 ans, a consisté à dépouiller à 377 reprises la victime, alors qu’elle donnait à tous points de vue l’impression d’être honnête, sincère et fiable.
  41.            Elle dépose aussi, à titre de pièce justificative, les documents qui attestent de sa proposition de consommateur faite en mars 2025, trois ans après la découverte de la fraude et six mois après l’enregistrement de son plaidoyer de culpabilité.
  42.            On y constate la présence de 83 000 $ de dettes presque entièrement liées à de nombreuses cartes de crédit, six en tout. Il est difficile de concevoir que ces dettes proviennent d’une période précédant la fraude. Il s’agit donc de dépenses « récentes ». Je note au même document qu’elle aurait des placements à la FTQ et une valeur de rachat sur une police d’assurance vie dont son conjoint serait bénéficiaire. Comme ces biens sont « insaisissables », on ne connaît pas leur valeur. Le document mentionne aussi que son conjoint « refuse ou néglige » de révéler ses revenus[4].
  43.            De tout ceci, il découle, à ma perception, de graves et grandes zones d’ombre particulièrement au niveau de sa crédibilité. Je signale d’ailleurs que dans son témoignage, ses principaux regrets et son plus grand inconfort semblent se trouver relativement aux conséquences de ses crimes sur elle et sa famille, bien davantage que sur la situation des victimes.
  44.            De ce qui précède, il m’apparaît que la jurisprudence soumise par le ministère public, laquelle reprend de toute manière elle-même un recensement important des décisions en la matière, milite fortement pour une peine d’emprisonnement de plus de deux ans[5]. Les facteurs de dissuasion et de dénonciation sont largement à privilégier.
  45.            En défense, on invoque un certain nombre de décisions où des peines dans la collectivité sont octroyées. Il m’apparaît facile de distinguer ces affaires, qui n’ont rien ou si peu à voir avec des fraudes à l’employeur de 700 000 $.
  46.            Plus précisément, dans Barchichat[6], la somme fraudée s’élevait à 104 000 $ et l’accusé aurait remboursé la « quasi-totalité[7] ». Dans R. c. Minina[8], la fraude concerne un groupe de personnes qui participaient à un arrangement pyramidal. L’accusée, une dame qui n’est pas celle qui a mis en place le système frauduleux, mais qui l’utilise et en bénéficie, aurait reçu 170 000 $[9]. Il m’apparaît que ce genre de stratégie, où des personnes recevaient la promesse de gagner 40 000 $ en en investissant 5 000 $ met tout de même en cause le caractère des « victimes », ce qui n’est absolument pas le cas de la fraude faite à l’encontre d’un employeur.
  47.            Quoi qu’il en soit, la Cour impose tout de même, en plus, le remboursement de ce qui n’avait pas été payé jusque-là.
  48.            Dans l’affaire Charrière c. R.[10], il y a bien sûr une fraude, mais l’accusé n’en bénéficie pas. Il administrait une entreprise déficitaire et incitait des gens, sous de faux prétextes, à financer son entreprise chancelante qui fermera ses portes ultimement de toute manière.
  49.            Il en va de même, en grande partie, dans R. c. Alain[11]. Dans cette affaire, l’accusé avait commis une fraude en incitant des individus à investir dans un hôtel, qu’il voulait véritablement construire, un projet qui n’a pas été réalisé malgré ses efforts. C’est aussi le cas dans R. c. Toman[12], une affaire où l’accusé fournit des listes de comptes recevables gonflés pour majorer le crédit de ses entreprises en grande difficulté financière, lesquelles vont fermer malgré tout.

 

 

  1.            Je considère à titre de facteurs atténuants, le plaidoyer de culpabilité de l’accusée, son absence d’antécédent judiciaire et l’expression de certains regrets.
  2.            Par contre, à titre de facteurs aggravants, je note la durée des crimes, le nombre d’événements répétitifs survenus, le fait que le crime n’est pas découvert du fait de l’accusée, les sommes colossales volées, les impacts sur la victime et les pertes réellement encourues. Je note aussi l’absence de presque tout remboursement sans la prise de procédure judiciaire et au prix de lourdes pertes et dépenses pour la victime. Je signale aussi que je suis très inquiet au point de vue de la crédibilité de l’accusée, compte tenu de ses « explications » en rapport avec la destination des sommes d’argent disparues, par rapport à son train de vie, au fait qu’elle ait pu si peu de temps après ses crimes encore obtenir 83 000 $ de crédit sur des cartes à cet effet dont elle compte se libérer, sur l’obscurité ou l’absence de renseignement concernant les revenus ou les actifs de ses proches, tel que son conjoint par exemple.
  3.            En conséquence, sur cette base, la peine d’emprisonnement de trois ans suggérée par le ministère public me paraît appropriée et c’est la peine imposée.
  4.            LES AUTRES ORDONNANCES
  1. L’ordonnance de remboursement
  1.            L’incarcération de Kathy Proulx ne règle pas entièrement les demandes du ministère public. En effet, on réclame également, d’abord, qu’une ordonnance de remboursement soit rendue pour la somme de 552 018,07 $.
  2.            Cette somme correspond précisément au montant reconnu par l’accusée comme étant le montant de sa fraude, duquel est soustrait la somme que celle-ci a payée à ce jour à la victime, à savoir 155 000 $.
  3.            C’est l’article 738 du Code criminel[13] qui prévoit cette possibilité. Cet article se lit comme suit, dans ce qui est pertinent à la situation de Kathy Proulx :

738 (1) Lorsque le délinquant est condamné ou absous sous le régime de l’article 730, le tribunal qui inflige la peine ou prononce l’absolution peut, en plus de toute autre mesure, à la demande du procureur général ou d’office, lui ordonner :

a) dans le cas où la perte ou la destruction des biens d’une personne — ou le dommage qui leur a été causé — est imputable à la perpétration de l’infraction ou à l’arrestation ou à la tentative d’arrestation du délinquant, de verser à cette personne des dommages-intérêts non supérieurs à la valeur de remplacement des biens à la date de l’ordonnance moins la valeur — à la date de la restitution — de la partie des biens qui a été restituée à celle-ci, si cette valeur peut être facilement déterminée ;

  1.            Cet article s’inscrit dans la partie XXIII du Code criminel, à savoir celle qui concerne l’imposition de la peine. La jurisprudence reconnaît que l’ordonnance de dédommagement est une partie intégrante de ce processus[14]. Les dispositions applicables à la peine sont donc, elles aussi, applicables quant à l’opportunité de prononcer ce type d’ordonnance.
  2.            On constate facilement qu’en principe l’ordonnance pourrait servir à indemniser bien davantage qu’uniquement une perte correspondant, par exemple, au montant d’un vol ou d’une fraude. On peut penser, par exemple, qu’en théorie, cette disposition – et les autres alinéas de l’article 738 C.cr. – pourrait servir à indemniser une perte de revenus, une blessure physique ou autrement.
  3.            La jurisprudence a cependant clairement indiqué que le dédommagement envisagé par cette disposition doit être facilement déterminable et ne devrait pas devoir faire l’objet de preuve complexe ou faisant l’objet d’une contestation[15]. Autrement dit, cette compensation ne prendra pas la place d’un recours civil et le Tribunal n’agira pas pour régler des questions légales complexes en matière civile quant à l’ampleur d’un dédommagement contesté.
  4.            Cette question ne pose aucune difficulté dans le cas présent. La somme proposée par le ministère public est reconnue par l’accusée. Dans SD-1, elle reconnaît même un montant supérieur.
  5.            Par contre, justement, la défense prétend que la quittance contenue dans la transaction SD-1 constitue un obstacle insurmontable pour la poursuite dans sa demande de dédommagement. On indique que cette question est nouvelle et que la Cour devrait innover en rendant une décision pour traiter de cet argument.
  6.            En vérité, la question est loin d’être nouvelle. Au contraire, la décision phare dans le domaine est l’arrêt Devgan[16] de la Cour d’appel d’Ontario rendu il y a maintenant 26 ans.
  7.            D’un côté, cette décision énonce elle-même plusieurs décisions sur lesquelles elle s’appuie[17]. D’un autre côté, celle-ci a aussi été suivie à de nombreuses reprises par la suite.
  8.            La question soulevée dans Devgan était à savoir s’il y avait « res judicata » ou « chose jugée » dans le cas où une décision civile avait été rendue sur la question du dédommagement d’une victime par un accusé. Cela empêche-t-il une ordonnance de la cour saisie de l’accusation criminelle ?
  9.            Dans Devgan, la victime avait entrepris un recours civil contre l’accusé, l’auteur d’une fraude. Une entente était survenue entre eux, laquelle avait, semble-t-il, été entérinée par un jugement. Sur la base de ce jugement, l’accusé prétendait qu’il y avait res judicata quant à la possibilité d’émettre une ordonnance de dédommagement.
  10.            Pour des raisons qui peuvent facilement être transposées au Québec, la Cour détermine qu’il n’y a pas, justement, « chose jugée » puisque notamment, les parties ne sont pas les mêmes[18]. Avec beaucoup de respect, cette décision et toutes celles qui l’entourent sont d’une clarté et d’une application inexorables : l’application de l’article 738 C.cr. n’est pas affectée par quelque règlement civil.
  11.            Reste donc à déterminer s’il y a lieu d’ordonner le dédommagement. Tel qu’exposé précédemment, dans ce cas, puisque les dispositions relatives à l’imposition des peines s’appliquent, il est pertinent de se questionner sur l’ampleur de la discrétion de la Cour à l’accorder, de même qu’il y a lieu de s’interroger sur la capacité de paiement de l’accusée.
  12.            À ce sujet, et particulièrement en ce qui concerne la capacité de payer de l’accusée, c’est la Cour suprême du Canada qui répond à la question, à plus d’une reprise[19]. Elle distingue clairement de plusieurs autres situations, le cas de la fraude et de l’abus de confiance. La Cour conclut que l’absence de moyens n’est qu’un des aspects à considérer et que d’autres éléments pertinents dans l’évaluation de la peine entrent aussi en ligne de compte. Dans Fitzgibbon, le juge Cory écrit par exemple :

« Quand il a escroqué ses clients, l'appelant était avocat. Il s'est servi de ses fonctions pour escroquer des personnes qui avaient placé leur confiance en lui. La fraude d'un avocat envers ses propres clients justifie une ordonnance de dédommagement même si les moyens financiers de l'avocat, quand la peine est prononcée, sont très restreints. Les réclamations des victimes d'actes de fraude doivent prévaloir. (…) »[20]

« La notion d'indemnisation et de restitution est considérée depuis très longtemps comme un aspect essentiel de la détermination de la peine. Dans son document de travail 5, Le dédommagement et l'indemnisation, d'octobre 1974, la Commission de réforme du droit du Canada disait (aux pp. 7 et 8, selon la citation qui en est faite dans l'arrêt Zelensky, à la p. 952):

Dans la mesure où le dédommagement encourage le délinquant à se corriger luimême et le décourage de mener une vie criminelle, la société jouit alors d'un certain degré de protection, vit en sécurité et réalise d'importantes économies. Le fait de priver le délinquant du fruit de ses crimes ou de le forcer à participer personnellement au dédommagement de la victime devrait le décourager d'entreprendre d'autres activités criminelles. »[21]

  1.            Dans le cas de Kathy Proulx, les montants en cause ne font, encore une fois, l’objet d’aucune contestation. Si celle-ci dit n’avoir aucun moyen de rembourser la victime, la preuve est tout de même extrêmement mince à cet égard. Qu’a-t-elle fait d’une somme aussi importante ? Si les montants qu’elle déclare avoir placés à la FTQ ou dans une police d’assurance sont insaisissables, d’abord, on n’en connaît aucunement l’ampleur.
  2.            Qu’ils soient ou non « saisissables », ne l’empêche pas de les retirer et de les remettre de son plein gré. Ensuite, si comme elle le dit, elle a multiplié les dons aux membres de sa famille, elle l’a fait avec de l’argent volé à son employeur. Rien dans la preuve n’indique qu’elle ait fait des démarches auprès de ces personnes ou de qui que ce soit qui ait bénéficié de ses largesses pour récupérer quelque somme que ce soit.
  3.            Je rappelle que ce dont il est question est de plusieurs centaines de milliers de dollars. Il semble complètement incroyable que toutes ces personnes, prétendument « aidées » ne se soient pas questionnées sur la provenance de cet argent.
  4.            Enfin, Kathy Proulx est toujours jeune. Il est bien possible qu’elle puisse gagner des revenus en provenance d’autres sources dans l’avenir.
  5.            La jurisprudence reconnaît fréquemment que dans une telle situation, l’ordonnance de dédommagement doit être accordée[22]. C’est la conclusion à laquelle j’en viens.
  1. L’amende à défaut de confiscation de produit de la criminalité
  1.            La législation qui entoure les produits de la criminalité, leur blocage possible, leur confiscation ou encore l’imposition d’une amende à défaut de confiscation se trouve à la partie XII.2 du Code criminel, à savoir une partie complètement distincte des dispositions qui encadrent l’imposition des peines.
  2.            C’est l’article 462.37(3) qui est ici pertinent. Cet article se lit comme suit :

462.37(3) Le tribunal qui est convaincu qu’une ordonnance de confiscation devrait être rendue à l’égard d’un bien — d’une partie d’un bien ou d’un droit sur celui-ci — d’un contrevenant peut, en remplacement de l’ordonnance, infliger au contrevenant une amende égale à la valeur du bien s’il est convaincu que le bien ne peut pas faire l’objet d’une telle ordonnance et notamment dans les cas suivants :

a) impossibilité, malgré des efforts en ce sens, de retrouver le bien ;

b) remise à un tiers ;

c) situation du bien à l’extérieur du Canada ;

d) diminution importante de valeur ;

e) fusion avec un autre bien qu’il est par ailleurs difficile de diviser.

  1.            C’est l’article 462.3(1) qui définit à la fois ce qu’est une infraction désignée – à savoir une infraction pour laquelle le mécanisme de la partie XII.2 est applicable – de même que ce qui constitue un produit de la criminalité.
  2.            Il est incontestable de conclure que la fraude est une infraction désignée et que les 707 108,07 $ volés par Kathy Proulx sont des produits de la criminalité. De plus, il est établi – et admis – qu’il n’y a actuellement rien à confisquer.
  3.            Dans sa plaidoirie, le procureur de Kathy Proulx ne conteste pas que tel soit le cas et, quoi qu’il en soit, ses conclusions sont inévitables.
  4.            Par ailleurs, lorsque la Cour suprême du Canada interprète une notion et rend jugement sur une question, les tribunaux d’instance, tels que la Cour du Québec, sont liés par ces enseignements.
  5.            À cet effet, justement, la Cour suprême du Canada a rendu en 2006 l’arrêt Lavigne[23] qui concerne précisément l’interprétation de la notion d’amende compensatoire, particulièrement lorsque les produits de la criminalité sont des sommes d’argent, que cet argent apparaît disparu, dépensé, voire gaspillé, et en conséquence ne peut faire l’objet de confiscation et que le contrevenant semble, par ailleurs, démuni de toute ressource financière[24].
  6.            Cet arrêt ne laisse place à aucune ambiguïté. Dans un tel cas, l’amende doit être imposée et l’impécuniosité de l’accusé n’est pas un facteur à considérer.
  7.            En fait, la discrétion de la Cour est alors très limitée. Ces limitations, par contre, ne trouvent aucunement application dans le cas de Kathy Proulx[25].
  8.            De plus, le montant de l’amende doit correspondre à la valeur des produits de la criminalité. La Cour le dit et le répète, le principe derrière ces dispositions est que le crime ne doit pas être payant pour les criminels. Cette amende ne correspond pas aux profits que fait le criminel de ses actions ni à ce qu’il lui reste. Il s’agit de l’ensemble des montants définissables comme produits de la criminalité.
  9.            La seule réserve concerne deux éléments. D’une part, il est possible que parmi les produits de la criminalité en cause, dans le cas de crimes commis par plus d’une personne, des montants particuliers soient attribuables à certaines personnes, plutôt qu’à d’autres. Dans ce cas, le montant total est toutefois préservé, mais les sommes imputables à chacun peuvent être divisées.
  10.            D’autre part, dans l’éventualité où une partie des produits de la criminalité aurait déjà été remise à la victime ou ses ayants droit, de telles sommes peuvent être soustraites de l’amende compensatoire. C’est expressément ce à quoi en vient la Cour suprême dans Vallières[26]. Considérant la remise partielle de 155 000 $ faite par Kathy Proulx, il y a lieu de déduire cette somme de l’amende qui aurait été autrement applicable.
  11.            Ce n’est qu’au niveau de délai de paiement de l’amende que le Tribunal conserve une discrétion plus grande.
  1. Emprisonnement à défaut de l’amende
  1.            Cette question trouve une réponse relativement simple. L’article 462.37(4) C.cr. prévoit précisément la réponse ou minimalement la fourchette applicable des peines et les modalités de son exécution :

462.37(4) Le tribunal qui inflige une amende en vertu du paragraphe (3) est tenu :

a) d’infliger, à défaut du paiement de l’amende, une peine d’emprisonnement :

(i) maximale de six mois, si l’amende est égale ou inférieure à dix mille dollars,

(ii) de six mois à un an, si l’amende est supérieure à dix mille dollars, mais égale ou inférieure à vingt mille dollars,

(iii) de un an à dix-huit mois, si l’amende est supérieure à vingt mille dollars, mais égale ou inférieure à cinquante mille dollars,

(iv) de dix-huit mois à deux ans, si l’amende est supérieure à cinquante mille dollars, mais égale ou inférieure à cent mille dollars,

(v) de deux ans à trois ans, si l’amende est supérieure à cent mille dollars, mais égale ou inférieure à deux cent cinquante mille dollars,

(vi) de trois ans à cinq ans, si l’amende est supérieure à deux cent cinquante mille dollars, mais égale ou inférieure à un million de dollars,

(vii) de cinq ans à dix ans, si l’amende est supérieure à un million de dollars ;

b) d’ordonner que la peine d’emprisonnement visée à l’alinéa a) soit purgée après toute autre peine d’emprisonnement infligée au contrevenant ou que celui-ci est en train de purger.

  1.            Dans le cas présent, c’est la période minimale d’emprisonnement consécutif que le ministère public réclame, à savoir trois ans d’incarcération. C’est la peine que je vais imposer.

 

 

  1.            Il y a une dernière question qu’il faut envisager, celle de l’interaction entre l’ordonnance de dédommagement et l’amende compensatoire.
  2.            Encore une fois, la jurisprudence et le Code criminel répondent à cette question.
  3.            D’abord, l’article 740 du Code criminel prévoit que l’ordonnance de dédommagement doit avoir préséance, c’est-à-dire que toutes les sommes récupérées de l’accusé doivent aller d’abord au dédommagement.
  4.            Ensuite, la jurisprudence[27] a bien reconnu le principe des « vases communicants », c’est-à-dire que toute somme partielle versée ou perçue à un titre ira en diminution de l’autre et que, de plus, la peine d’incarcération à envisager, consécutive à la première peine, sera diminuée de la hauteur du remboursement.
  5.            En conséquence, dans la mesure où le remboursement partiel fera en sorte que la peine minimale passera d’une catégorie de montant à une autre au sens du paragraphe 462.37(4) C.cr., la peine minimale qui y est prévue deviendra la peine applicable.
  6.            Un dernier mot : la victime alléguée à l’accusation est Enviro 5. C’est aussi l’une des personnes mentionnées sur la transaction SD-1. Le poursuivant réclame une indemnisation en faveur de Frédéric Côté personnellement. Cette demande ne peut être accordée.
  7.            Il n’en demeure pas moins que dans la structure corporative et dans la vente de l’entreprise, il y a lieu de croire qu’advenant le paiement par Kathy Proulx, la situation soit rectifiée en faveur des personnes ayant ultimement perdu des sommes.
  8.            Un délai de dix ans sera accordé pour le paiement du dédommagement et de l’amende.
  9.            EN CONSÉQUENCE ET POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
  10.            CONDAMNE l’accusée à une peine d’emprisonnement de 3 ANS ;
  11.        IMPOSE une ORDONNANCE DE DÉDOMMAGEMENT d’une valeur de 552 018,07 $ au bénéfice d’Enviro 5, en soustrayant les montants ayant potentiellement déjà été remboursés par l’accusée, à être payée dans un délai de 10 ANS en vertu de l’article 738 du Code criminel ;
  12.        ORDONNE une amende à défaut de confiscation d’un montant équivalent à l’ordonnance de dédommagement à être payée dans un délai analogue et, à défaut de paiement, IMPOSE une peine d’incarcération d’une durée de 3 ANS à être purgée consécutivement en vertu de l’article 462.37(4)vi) du Code criminel ;
  13.        ORDONNE que la période de détention consécutive potentielle à l’égard de l’accusée soit réduite du nombre de jours ayant le même rapport avec la durée de l’emprisonnement qu’entre le solde de l’amende à l’expiration du délai de paiement et le montant initial de l’amende dans le cas d’une exécution partielle en vertu de l’article 734.8(2) du Code criminel.

 

 

__________________________________

Serge Champoux, J.C.Q.

 

Me Vicky Gallant

Procureure du poursuivant

 

Me Catherine Cantin Dussault

Procureure de l’accusée

 

Date d’audience :

10 avril 2025

 


[1]  Pièce SD-1, art. 2.

[2]  Rapport présentenciel, p. 6.

[3]  Pièce SD-2.

[4]  Pièce SD-2, p. 1 et 3.

[5]  R. c. Coffin, 2006 QCCA 471; Wellman c. R., 2014 QCCA 524; R. c. Lapointe, 2014 QCCQ 14075; R. c. Mongeon, 2016 QCCQ 10378; etc.

[6]  Barchichat c. R., 2020 QCCA 282.

[7]  Id., par. 7.

[8]  R. c. Minina, 2024 QCCS 3125.

[9]  Id., par. 44.

[10]  Charrière c. R., 2021 QCCA 1338.

[11]  R. c. Alain, 2001 CanLII 12757 (QC CA).

[12]  R. c. Toman, 2005 QCCA 1171.

[14]  Voir par exemple R. c. Fitzgibbon, 1990 CanLII 102 (CSC), p. 1012 à 1014.

[15]  La Reine c. Zelensky, 1978 CanLII 8 (CSC), p. 962 à 964; R. c. Fitzgibbon, 1990 CanLII 102 (CSC), p. 1012.

[16]  R. v. Devgan, 1999 CanLII 2412 (ON CA).

[17]  London Life Insurance Co. v. Zavitz, 1992 CanLII 1503 (BC CA); R. v. Carter (1990), 9 C.C.L.S. 69 (Ont. Gen. Div.).

[18]  Précité note 16, p. 10.

[19]  La Reine c. Zelenszky, 1978 CanLII 8 (CSC) ; R. c. Fitzgibbon, 1990 CanLII 102 (CSC); etc.

[20]  R. c. Fitzgibbon, 1990 CanLII 102 (CSC), p. 1014 et 1015 ;

[21]  Id., p. 1013.

[22]  R. v. Wood, 2001 NSCA 38; R. v. Yates, 2002 BCCA 583; R. v. Griffiths, 2005 ABCA 131; R. v. Castro, 2010 ONCA 718; R. c. Lavallée, 2016 QCCA 1655; etc.

[23]  R. c. Lavigne, 2006 CSC 10.

[24]  Id., par. 18, 30 à 32.

[25]  Précité note 23, par. 34.

[26]  R. c. Vallières, 2022 CSC 10, par. 11, 18 et 56; voir aussi, par exemple, R. v, Burden, 2024 ONCA 880, par. 32 et 33.

[27]  Voir notamment R. v. Angelis, 2016 ONCA 675, par. 62 et 75; R. c. Burden, 2024 ONCA 880, par. 32 à 34.

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