Décision

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9178-5022 Québec inc. c. Syndicat des copropriétaires de la première tour des Terrasses du golf

2018 QCCS 2435

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

SAINT-FRANÇOIS

 

 

 

N° :

450-17-005832-150

 

 

 

DATE :

5 juin 2018

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

CHARLES OUELLET, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

9178-5022 QUÉBEC INC.

et

VILLE DE SHERBROOKE

Demanderesses conjointes

c.

SYNDICAT DES COPROPRIÉTAIRES DE LA

PREMIÈRE TOUR DES TERRASSES DU GOLF

et

LE SYNDICAT DES COPROPRIÉTAIRES DE

LA TOUR 2 DES TERRASSES DU GOLF

Mis en cause

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

L’APERÇU

[1]          Ce jugement porte sur une Requête introductive d’instance conjointe pour décision sur des points de droit[1].

[2]          Les mises en cause (Syndicats des copropriétaires) sont les syndicats des copropriétaires de deux bâtisses de 11 étages construites sur les lots 1 139 106 et 1 137 851. Ces deux immeubles correspondent aux Phases I et II d’un projet d’opération d’ensemble[2] approuvé en 1987 par Ville de Sherbrooke.

[3]          Le projet ainsi approuvé prévoyait également des Phases III et IV, comprenant elles aussi chacune un bâtiment de 11 étages.

[4]          Postérieurement à la faillite du promoteur initial du projet et à l’implication subséquente d’un second promoteur, la demanderesse conjointe 9178-5022 Québec inc. (9178) a acquis la propriété des lots 1 137 849 et 1 137 850 (lesquels correspondent aux Phases III et IV d’un projet), qui demeurent vacants à ce jour. Pour des raisons économiques, 9178 souhaite bâtir deux immeubles résidentiels locatifs de six étages sur ces lots, plutôt que les bâtiments de 11 étages prévus au projet tel qu’approuvé par la Ville en 1987. Les propriétaires des condos construits sur les lots des phases I et II s’opposent à ces changements. Leurs représentants ont fait plusieurs représentations en ce sens au conseil de la Ville et au conseil d’arrondissement, lesquelles furent rapportées dans les médias.

[5]          L’obtention des permis de construction pour les deux bâtiments locatifs projetés par 9178 à titre de projets isolés, c’est-à-dire à l’extérieur du cadre préautorisé du projet résidentiel intégré, nécessite selon la réglementation municipale que les terrains sur lesquels ils seront construits soient adjacents à la voie publique. Or, les terrains des phases III et IV sont reliés à une voie publique par un chemin d’accès qui appartenait au promoteur d’origine au moment de sa faillite, et dont son syndic ne s’est jamais départi.

[6]          La Ville de Sherbrooke n’exige cependant pas l’adjacence[3] à la voie publique des deux lots si les bâtiments à être construits sont conformes au projet résidentiel intégré qu’elle a approuvé en 1987, ou à une modification dûment approuvée de ce projet. La Ville estime cependant qu’une demande de modification du projet, pour être légalement recevable, doit être approuvée par la majorité des copropriétaires divis des immeubles des Phases I et II du projet. Ces derniers sont représentés par les deux Syndicats des copropriétaires mis en cause. Ils s’opposent à toute modification du projet résidentiel intégré initial[4].

[7]          Les parties formulent donc comme suit les questions qu’elles soumettent au Tribunal :

«     -  (1) Les diverses transactions immobilières ont-elles eu pour effet de créer deux projets résidentiels intégrés distincts et autonomes, ce qui permettrait à la Ville d’autoriser le projet de 9178, ce projet étant conforme au Règlement de zonage numéro 3501 en ce qui a trait aux usages autorisés en zone HK32 ?

    -    (2) Subsidiairement, si le projet de 9178 est indissociable du projet résidentiel intégré approuvé en mai 1987, l’approbation de la majorité des propriétaires faisant partie dudit projet résidentiel intégré est-elle nécessaire pour rendre la demande de modification recevable ?

    -    (3) Subsidiairement, si l’approbation de la majorité des propriétaires faisant partie dudit projet résidentiel intégré est nécessaire à la recevabilité de la demande de modification, les voix des propriétaires devraient-elles être pondérées par la superficie détenue par chacune des parties ?

    -    (4) Subsidiairement, si la réalisation du projet de 9178, sous la forme d’un projet résidentiel intégré, est assujettie à l’approbation de la majorité des propriétaires faisant partie du projet résidentiel intégré approuvé en mai 1987 :

•       Les lots 1 137 849 et 1 137 850 doivent-ils être considérés comme étant adjacents à une rue publique au sens de l’article 10 du Règlement n° 313 sur les conditions d’émission des permis de construction et, en conséquence, le projet de 9178 peut-il ainsi être autorisé, autrement qu’à titre de projet résidentiel intégré, en vertu des règlements d’urbanisme de la Ville de Sherbrooke applicables si le projet est isolé ? [5]»

[8]          Les réponses recherchées respectivement par chacune des demanderesses conjointes sont exposées aux paragraphes 72 et 73 de leur procédure :

«   IV.    CONCLUSIONS RESPECTIVES DES PARTIES

   Selon 9178

          72.           Les conclusions aux questions litigieuses soumises au tribunal devraient être, selon 9178, les suivantes :

    -   (1) La Ville a reconnu, en acceptant les diverses opérations cadastrales et transactions immobilières scindant le projet résidentiel intégré, l’existence de deux projets résidentiels intégrés distincts et autonomes et celle-ci ne peut, en conséquence, refuser de délivrer les permis nécessaires à la réalisation dudit projet, celui-ci étant conforme au Règlement de zonage numéro 3501 ;

    -   (2) Subsidiairement, si le projet de 9178 est indissociable du projet résidentiel intégré approuvé en mai 1987, la Ville doit, en raison des diverses opérations cadastrales et transactions immobilières, qu’elle a d’ailleurs acceptées, procéder à sa modification et ce, malgré l’opposition de la majorité des propriétaires faisant partie dudit projet résidentiel intégré, ceux-ci ne détenant aucun droit réel sur les lots appartenant à 9178;

    -   (3) Subsidiairement, si l’approbation de la majorité des propriétaires faisant partie dudit projet résidentiel intégré est nécessaire à sa modification, les voix des propriétaires devraient être pondérées en fonction de la superficie de terrain possédée par chacune des parties, ce qui implique que 9178 est majoritaire;

    -   (4) Subsidiairement, la Ville a reconnu de diverses manières que le lot 1 139 504 constitue une rue publique au sens de l’article 10 du Règlement n° 313 sur les conditions d’émission des permis de construction et que les lots 1 137 849 et 1 137 850 sont donc adjacents à une rue publique, si bien que le projet de 9178, qui est conforme au Règlement de zonage numéro 3501, doit être autorisé et ce, à titre de projet isolé;

 

Selon la Ville de Sherbrooke

73.     Les conclusions aux questions litigieuses soumises au tribunal devraient être, selon la Ville, les suivantes :

    -   (1) La Ville ne peut reconnaître que le projet résidentiel intégré           présenté par 2427[6] et approuvé le 28 mai 1987 par elle a été scindé en deux projets distincts : ce projet est toujours en vigueur dans sa forme approuvée puisque le contraire aurait pour effet de rendre les immeubles déjà érigés dans le cadre des Phases I et II dérogatoires à la réglementation municipale;

    -   (2) Le projet de 9178 étant indissociable du projet résidentiel intégré approuvé en mai 1987, la Ville ne peut permettre sa modification sans l’approbation des copropriétaires des Phases I et II;

    -   (3) L’approbation de la majorité des propriétaires faisant partie dudit projet résidentiel intégré est nécessaire à sa modification : il doit y avoir majorité simple des voix des copropriétaires des Phases I et II pour autoriser une modification au projet résidentiel intégré approuvé en mai 1987 par la Ville;

    -   (4) Subsidiairement, si le projet résidentiel intégré approuvé en mai 1987 par la Ville n’existe plus, les lots 1 137 849 et 1 137 850 ne peuvent être considérés comme étant adjacents à une rue publique au sens de l’article 10 du Règlement n° 313 sur les conditions d’émission des permis de construction, la seule voie d’accès à ceux-ci étant le lot 1 139 504 du cadastre du Québec, circonscription foncière de Sherbrooke, une allée d’accès privée;

PAR CES MOTIFS, PLAISE À LA COUR DE:

RÉPONDRE aux questions énoncées au paragraphe [3] des présentes en fonction, en tout ou en partie, des conclusions recherchées, soit par 9178-5022 Québec inc., au paragraphe [72], soit par la Ville de Sherbrooke, au paragraphe [73], comme si ces paragraphes étaient ici au long récités;

LE TOUT sans frais. »

[9]          Les mises en cause appuient les conclusions proposées par la Ville de Sherbrooke. Dans son « plaidoyer des mis en cause » daté du 27 octobre 2015, elle indique :

            « POUR CES MOTIFS, PLAISE À LA COUR :

RÉPONDRE aux questions énoncées au paragraphe 3 de la Requête introductive d’instance en fonction des conclusions principales recherchées par la Ville de Sherbrooke aux termes du paragraphe 73 de cette requête.

LE TOUT SANS FRAIS. »

LE CONTEXTE

[10]       Le 28 mai 1987, le promoteur initial 2427-1553 Québec inc. (2427) obtient l’approbation de la Ville de Sherbrooke de son projet d’opération d’ensemble sur des parties des lots 35 et 36 du cadastre officiel du canton d’Orford, circonscription foncière de Sherbrooke. Il effectue peu après une opération cadastrale de manière à créer différents lots destinés à accueillir chacune des quatre Phases du projet, ainsi qu’un chemin d’accès pour relier ces dernières à la voie publique (rue Prospect), tel qu’illustré ci-après :


 

[11]       Le projet approuvé prévoit la construction de quatre bâtisses de 11 étages sur autant de lots (les Phases I à IV). Au moment de l’approbation du projet, la règlementation municipale n’exige pas, contrairement à aujourd’hui, qu’un projet d’ensemble – aujourd’hui appelé projet intégré – soit composé d’un seul lot.

[12]       Également, et bien que 2427 était alors de toute façon propriétaire du lot 1240 qui relie chacune des quatre Phases à la rue publique, la règlementation en vigueur en 1987 n’exigeait pas que les lots composant le projet d’ensemble soient adjacents à la rue publique. À compter du 6 juin 2006 et par la suite, la règlementation exige que le terrain sur lequel doit être érigée chaque construction soit adjacent à une rue publique[7] .

[13]       En 1988, le prometteur d’origine 2427 va mettre en place une servitude de passage sur le lot 1240 en faveur des lots correspondant à chacune des quatre Phases. Cette servitude assure aux fonds dominants un accès à la rue Prospect.

[14]       En 1988 également, 2427 construit un premier bâtiment de 11 étages sur le lot correspondant à la Phase I. Ce lot et le bâtiment font l’objet d’une déclaration de copropriété divise.

[15]       En 1989, après avoir obtenu un permis de construction de la Ville de Sherbrooke, 2427 érige un bâtiment servant de centre communautaire sur une partie du lot originalement réservé à la Phase III. Un lot distinct (#1298) est formé pour le centre communautaire. Au point de vue cadastral, la situation des lieux est alors la suivante :

image1

[16]       2427 fait cession de ses biens en 1990, après avoir débuté la construction du bâtiment de la phase II. Seuls le sous-sol et le rez-de-chaussée de la Phase II sont bâtis au moment de la faillite.

[17]       Un créancier qui détient une hypothèque sur les lots des Phases II, III (incluant le centre communautaire) et IV se porte adjudicataire de ces mêmes lots pour les revendre ensuite à un second promoteur (9064). Ce dernier complète la construction du bâtiment de la Phase II (11 étages également) en 2002. La Phase II fait elle aussi l’objet d’une déclaration de copropriété divise.

[18]       En janvier 2006, les représentants des deux Syndicats mis en cause sont informés que 9064 veut se départir des terrains correspondant aux Phases III et IV. Ils obtiennent une évaluation des terrains et, au cours de l’été 2006, les représentants des mis en cause vont rencontrer les vendeurs à Montréal. Les représentants des mis en cause apprennent, lors de cette rencontre, que 9178 a déjà obtenu une promesse de vente pour les deux lots concernés.

[19]       Au mois de mars 2007, 9064 vend au promoteur actuel, la demanderesse conjointe 9178, les lots correspondant aux Phases III (moins la partie distraite pour le centre communautaire) et IV. Le centre communautaire est quant à lui cédé en copropriété indivise aux copropriétaires des Phases I et II.


[20]       À ce jour, compte tenu de la rénovation cadastrale, la situation peut être représentée comme suit :

image2

[21]       Notons que :

-      Le lot 1 137 848, sur lequel est bâti le centre communautaire, fait l’objet d’une convention d’indivision conclue entre le syndicat de la tour I et 9064, auteur commun de tous les copropriétaires de la tour II. La convention d’indivision (P-21) contient des dispositions en faveur des futurs propriétaires et occupants des Phases III et IV. Elle prévoit la possibilité que les bâtiments des Phases III et IV soient occupés par des locataires.

-      Les lots 1 137 849 et 1 137 850 appartiennent à la demanderesse conjointe 9178.

-      Le lot 1 139 504, selon la preuve, n’est jamais sorti du patrimoine du promoteur failli 2427, dont le syndic a eu la saisine suite à la faillite. Pendant le délibéré, le Tribunal a dû émettre une ordonnance de sauvegarde interdisant aux parties, jusqu’à ce qu’un jugement intervienne, de faire des démarches pour faire l’acquisition de ce lot (infra).

____________________


[22]       Comme déjà dit, pour des raisons économiques, 9178 ne souhaite pas construire les deux tours de 11 étages prévues au projet approuvé en 1987. Elle souhaite construire plutôt deux bâtisses locatives de six étages. Les difficultés auxquelles elle est confrontée sont les suivantes :

a)   La Ville de Sherbrooke estime que l’accord de la majorité des copropriétaires des Phases I et II est nécessaire pour que soit légalement recevable une demande de modifier le projet initial, et ainsi pouvoir autoriser la construction d’édifices de six étages.

b)   La construction de bâtiments sur les lots correspondant aux Phases III et IV, si elle est faite hors du cadre du projet initial ou d’une modification de celui-ci approuvée par la Ville, nécessite l’adjacence à la voie publique des terrains à être construits.

[23]       Le projet actuel de 9178 est le dernier d’une série de projets de modification du projet initial qui ont tous été rejetés par les copropriétaires des Phases I et II.

[24]       À l’automne 2006, alors que 9178 détient une promesse de vente sur les lots concernés, les Syndicats mis en cause apprennent qu’un projet vient d’être soumis au service d’urbanisme de la Ville de Sherbrooke pour la construction de quatre édifices de quatre étages chacun, comprenant 200 places de stationnement extérieur. Dans les jours qui suivent, les présidents des deux Syndicats mis en cause transmettent une lettre aux autorités municipales dans laquelle ils soulignent que le nouveau projet amène une modification majeure au plan d’ensemble original et que les deux Syndicats sont « profondément et totalement en désaccord avec le projet déposé ». Ce projet ne va pas plus loin.

[25]       En novembre 2006, 9064 présente aux propriétaires des Phases I et II un autre projet de construction sur les lots des Phases III et IV, en la présence de Michel Dutil, représentant de 9178. Ce projet est refusé par les copropriétaires des Phases I et II. Dans une lettre du 8 décembre 2006 adressée à 9064, les représentants des copropriétaires des Phases I et II écrivent :

       «   Monsieur,

Suite à la rencontre avec le promoteur « Le Groupe Dutil » et vous-même, les conseils des Phases I et II se sont réunis pour étudier le projet.

Ils en sont venus à la conclusion que le projet soumis contrevient au « plan d’ensemble » de 1987 sous plusieurs rapports lequel est devenu un « projet intégré » sous la nouvelle règlementation. Ils s’opposent donc catégoriquement à toute modification en dehors des quatre (4) tours prévues, le centre communautaire et les aménagements du plan d’ensemble.

Veuillez accepter nos salutations les meilleures,

[…] »

(Les emphases et les soulignements sont dans le texte.)

[26]        Le 14 mars 2007, le service des affaires juridiques de la Ville fait état d’une opinion juridique dans un courriel adressé au président du comité consultatif d’urbanisme de la Ville :

«   [...] la situation doit être analysée de la même façon que si nous nous adressions à un seul et même propriétaire de l’ensemble du terrain [...].

[...]

L’ensemble des copropriétaires sont liés par le projet faisant en sorte que la majorité des copropriétaires doivent donner leur accord pour que la demande de modification du projet fasse l’objet d’une recommandation au conseil. Il faut garder à l'esprit qu'il s’agit d’une demande de modification d’un projet d’ensemble et que les personnes intéressées par ce projet d’ensemble sont dorénavant tous les copropriétaires faisant partie de ce projet indépendamment qu’ils soient propriétaires ou non de tous les lots inclus au projet. De plus, comme les lots vacants ne sont pas adjacents à une rue publique, il ne reste aucune autre alternative que de poursuivre l’analyse de ce dossier comme un projet d’ensemble soumis à l’approbation de tous les propriétaires en faisant partie. »

(Les emphases sont ajoutées)

[27]        Le 16 octobre 2007, 9178 présente aux représentants des Syndicats des Phases I et II un nouveau projet de développement des Phases III et IV. Les représentants des Syndicats des Phases I et II s’opposent à ce projet également.

[28]        Au cours des années suivantes, 9178 fait différentes démarches auprès de la Ville et des Syndicats mis en cause. Aucune de ces démarches ne permet un déblocage.

[29]        Le 16 août 2012, dans une lettre adressée à 9178, la directrice de la planification et du développement urbain de la Ville écrit :

       «   (…)

            En conséquence, nous avons le regret de vous informer que les changements que vous proposez au projet résidentiel intégré Les Tours du golf ne peuvent être analysés par nos services tant et aussi longtemps que nous n’aurons pas le consentement de l’ensemble des copropriétaires ayant acquiescé au projet initial puisque vos lots 1 137 849 et 1 137 850 en font partie intégrante.[8] »

[30]        À compter du mois d’août 2013, des rencontres et des échanges ont lieu entre des représentants de 9178 et de la Ville, de même que leurs procureurs, afin de convenir d’un projet constituant une proposition intéressante sur le plan urbanistique et architectural.

[31]        Le 29 avril 2014, l’urbaniste coordonnateur, Benoît Lapointe, de la Section réglementation du Service de la planification et du développement urbain de la Ville confirme, par courriel, son accord avec la proposition architecturale de 9178;

[32]        La Ville, dans sa résolution C.M. 2014-0396-00, adoptée le 2 septembre 2014, énonce ce qui suit (voir l’extrait du procès-verbal, pièce P-32) :

« Considérant que la Division de l’urbanisme a approuvé en 1987 un projet d’ensemble résidentiel connu sous le nom des Terrasses du Golf;

Considérant que le projet prévoyait la construction de quatre bâtiments de 11 étages comprenant chacun 45 logements.

Considérant que 27 ans plus tard, seulement deux des quatre bâtiments ont été construits;

Considérant qu’il est peu probable que le projet d’ensemble soit finalisé dans sa forme initiale qui ne répond plus aux standards d’aujourd'hui;

Considérant que la non-finalisation du projet d’ensemble empêche de rentabiliser deux lots situés au cœur du périmètre urbain et des infrastructures municipales;

Considérant qu’un promoteur souhaite finaliser le projet d’ensemble résidentiel, mais selon un traitement architectural différent de celui approuvé en 1987;

Considérant que les modifications proposées au projet d’ensemble sont toutes conformes aux dispositions du Règlement n°3501 de zonage de l’ancienne Ville de Sherbrooke, à l’exception des dispositions relatives à l’architecture;

Considérant que les principales caractéristiques du projet initial (nombre de bâtiments, stationnements souterrains, etc.) sont conservées;

 

Considérant que le projet constitue une proposition intéressante sur le plan urbanistique;

À la suite d’une recommandation du comité consultatif d’urbanisme,

PROPOSÉ PAR LA CONSEILLÈRE CHRISTINE OUELLET APPUYÉ PAR LA CONSEILLÈRE NICOLE BERGERON

Que la procédure de modifications au projet d’ensemble résidentiel approuvé en 1987 soit entreprise afin de permettre pour les phases III et IV :

- la construction de bâtiments de 6 étages;

- un traitement architectural différent.

Le conseiller Robert Y. Pouliot et le conseiller Julien Lachance enregistrent leur dissidence.

ADOPTÉ À LA MAJORITÉ »

[33]        Le 9 septembre 2014, la Ville et 9178 présentent le projet P-1 pour les Phases III et IV aux syndicats mis en cause. Plusieurs résidents et les représentants des syndicats des Phases I et II présents lors de cette présentation s’opposent au projet.

[34]        Les représentants des syndicats des Phases I et II s’opposent également à ce dernier projet lors des séances du conseil de la ville des 15 septembre 2014, 6 octobre 2014 et 17 novembre 2014 et du conseil d’arrondissement du 22 septembre 2014 et du 24 novembre 2014 (P-33 et P-34).

[35]        La Ville estime alors qu’en raison de l’opposition de la majorité des propriétaires « faisant partie du projet résidentiel intégré », le projet de modification est irrecevable. Le 15 décembre 2014, elle adopte une nouvelle résolution qui abroge celle du 2 septembre 2014 précitée (P-35) (emphases ajoutées) :

« CONSIDÉRANT que la Division de l'urbanisme a approuvé en 1987 un projet d'ensemble résidentiel connu sous le nom des Terrasses du golf;

CONSIDÉRANT que le projet prévoit la construction de quatre bâtiments de 11 étages comprenant chacun 45 logements;

CONSIDÉRANT qu'à ce jour, seulement deux bâtiments ont été construits;

CONSIDÉRANT que le projet d'ensemble résidentiel est divisé en 6 lots distincts et que le propriétaire des lots 1 137 849 et 1 137 850 du cadastre du Québec souhaite poursuivre la construction des phases III et IV en apportant aux bâtiments des modifications quant au nombre d'étages et au traitement architectural;

CONSIDÉRANT que le conseil municipal a adopté le 2 septembre 2014 la résolution numéro C.M. 2014-0395-00 autorisant d'entreprendre la procédure de modifications du projet d'ensemble résidentiel afin de permettre la construction de 2 bâtiments de 6 étages possédant un traitement architectural différent des bâtiments existants;

CONSIDÉRANT que l'intention du conseil municipal visait seulement à permettre au propriétaire-requérant de présenter son projet de modification des phases III et IV aux autres propriétaires;

CONSIDÉRANT que les propriétaires des phases I et II s’opposent toujours à la demande de modification du projet résidentiel intégré tel que propos;

CONSIDÉRANT l’opposition de la majorité des propriétaires faisant partie du projet résidentiel intégré, le Service de la planification et du développement urbain considère que la demande de modification dudit projet est irrecevable;

PROPOSÉ PAR LA CONSEILLÈRE NICOLE BERGERON

APPUYÉ PAR LA CONSEILLÈRE CHRISTINE OUELLET


D’abroger la résolution numéro C.M. 2014-0395-00 adoptée par le conseil municipal le 2 septembre 2014.

ADOPTÉ À L’UNANIMITÉ »

[36]        Le 6 août 2015, les demanderesses conjointes intentent la requête dont est saisi le Tribunal. Au paragraphe 71 de celle-ci, elles reconnaissent que le projet proposé par 9178 le 9 septembre 2014 (P-1) est « outre la question de l’appartenance ou non au projet résidentiel », conforme au règlement de zonage numéro 3501 de la Ville.

[37]        Le règlement de zonage no 3501 tel qu’il existait au moment du dépôt du projet P-1, en septembre 2014, et tel qu’il existait encore au moment du dépôt de la requête conjointe le 6 août 2015, est ensuite remplacé par le règlement numéro 1200 de zonage et de lotissement de la Ville de Sherbrooke qui est adopté par le conseil municipal le 20 février 2017 et qui entre en vigueur le 9 mai 2017.

[38]        Le nouveau règlement no 1200 comprend au moins une disposition qui semble directement liée au litige. Nous reproduisons ci-après, dans la colonne de gauche, l’article 1077 du règlement de zonage 3501, portant sur les projets résidentiels intégrés non complétés, tel qu’il existait au moment de la demande de modification P-1 et, dans la colonne de droite, l’article qui le remplace dans le nouveau règlement.

Règlement de zonage 3501

(ancien)

Règlement de zonage et lotissement

no 1200

(nouveau)

1077 Projet résidentiel intégré non complété

Un projet résidentiel intégré non complété, approuvé sous une réglementation antérieure à la présente, peut être réalisé tel qu’approuvé par le conseil municipal.

Toute modification à un projet résidentiel intégré, qu’il soit complété ou non, doit être conforme aux dispositions relatives aux projets résidentiels intégrés présentement en vigueur.

11.1.3 Modification à un projet intégré déjà approuvé

Toute modification à un projet intégré accepté par le conseil municipal, qu’il soit débuté ou non, doit être conforme aux dispositions du présent chapitre et nécessite d’entreprendre une nouvelle procédure d’approbation. Pour être recevable, la demande de modification doit être appuyée par la majorité des propriétaires faisant partie du projet intégré au moment du dépôt de cette demande.

(Les emphases sont ajoutées)

[39]        L’avocat du contentieux de la Ville en charge de la présente affaire, Me Éric Martel, a pris connaissance du processus d’adoption du nouveau règlement de zonage le 4 mai 2017 et qu’il en a informé le même jour les avocats de 9178.


[40]        Lors de l’instruction, le procureur de la Ville reconnaît, à juste titre, que les dispositions susmentionnées du nouveau règlement de zonage no 1260 ne s’appliquent pas au projet P-1 présenté par 9178 en septembre 2014, lequel a reçu une recommandation favorable du Comité consultatif d’urbanisme avant l’adoption du nouveau règlement.

____________________

[41]        Les mis en cause ont fait entendre le témoin Patrick Bouthot. Celui-ci a acheté en février 2002 un condo dans la Tour 2, avant même que sa construction soit complétée. Il y a emménagé en avril 2003. Il a été vice-président du Syndicat des copropriétaires de la Tour 2 de 2003 à 2007 et ensuite de 2010 à 2013. Depuis 2013, il en est le président.

[42]        Il a acheté son condo du promoteur 9064, par l’entremise du courtier en immeuble Odette Dutil, épouse de l’actuel représentant de la demanderesse conjointe 9178 (cette société fut constituée en 2007).

[43]        Il a rencontré madame Dutil à quelques reprises dans un bureau de vente situé dans le bâtiment communautaire sur les lieux du projet. La Tour 2 n’était pas construite. Seuls le premier étage et le sous-sol étaient existants. Il y avait sur les lieux une maquette qui montrait le projet entièrement réalisé comportant quatre tours identiques.

[44]        Un dépliant qu’on lui a remis alors vante les qualités de la Phase II du projet[9]. Monsieur Bouthot, lors de son témoignage, met de l’emphase sur une phrase qui apparaît dans ce dépliant : « le style de cette seconde Phase s’harmonise parfaitement à celui de la première, tout en s’inspirant des plus récentes tendances architecturales et en profitant des dernières innovations en matière de construction ». Il souligne aussi qu’un petit schéma que l’on retrouve dans le dépliant permet de voir l’empreinte au sol des bâtiments des futures Phases III et IV. Elles semblent être identiques aux empreintes au sol de ceux des Phases I et II.

[45]        Monsieur Bouthot témoigne ainsi :

« Quand on s’est fait vendre notre condo, on s’attendait à ça, que toutes les tours soient identiques ou très similaires… On n’aurait pas investi autant d’argent si on savait qu’est-ce qui est arrivé par la suite, qu’on nous présenterait des projets locatifs et vraiment différents du projet intégré, parce que c’est pas ça qu’il nous disait, dans le fond, quand il nous vendait les condos. »


[46]        Plus tard il dira (11 :18/11 :19 le 11-01-2018 dans la salle 6) :

« C’est sûr que, il faut comprendre qu’on n’est pas juste contre ses idées ou ses projets [de M. Dutil], mais, il faut absolument comprendre qu’on n’est pas contre ses projets, c’est vrai qu’on a déjà dit présenter nous un projet vraiment similaire, c’est-à-dire quatre tours de 11 ou 12 étages… 10 ou 11 étages excusez-moi… et on va accepter… c’est bien évident…, c’est ça qu’on s’était faite vendre au départ c’est un projet intégré de quatre tours, donc on n’est vraiment pas fermé à avoir des nouveaux voisins c’est pas là la question, on n’est vraiment pour, pis ça va nous aider à payer toute le reste également, on n’est pas contre de baisser nos factures non plus, mais, il faut que le projet respecte le projet intégré, et c’est pour ça qu’à chaque fois malheureusement on doit lui dire non, parce que ça ne respecte pas le projet intégré du départ qui nous avait lui-même, ou elle-même principalement, dit lors de l’achat de nos condos. »

[47]        Mises à part les pièces P-33 et P-34 déposées de consentement par les demanderesses conjointes, le témoignage de monsieur Bouthot est la seule preuve présentée quant aux motifs de l’opposition des mis en cause au projet de construction de 9178. Or :

a)    Bien qu’il insiste sur le fait que la courtier inscriptrice du promoteur 9064 lui ait fait comprendre, lorsqu’il a acheté son condo, que les bâtiments des phases III et IV seraient très semblables aux Tours I et II, monsieur Bouthot n’a aucun lien contractuel avec la demanderesse conjointe 9178. Personne n’a demandé la levée du voile corporatif.

b)    Rien n’indique que les autres copropriétaires des Phases I et II aient reçu les mêmes représentations que monsieur Bouthot de la part de madame Dutil. Les propriétaires originaux de la Phase I ont acheté leurs condos 15 ans plus tôt que lui. Les circonstances de ces achats ne sont pas en preuve. Plusieurs des copropriétaires actuels des Phases I et II ont acheté leurs condos à l’occasion de revente de ceux-ci par un propriétaire antérieur, plutôt que de la part du promoteur, c’est-à-dire 2427 pour la Phase I et 9064 pour la Phase II.

c)    Les mis en cause ont tenté eux-mêmes d’acquérir les terrains des Phases III et IV. Ils ont le sentiment de s’être fait damer le pion par 9178. Cela ressort du témoignage de M. Bouthot.

d)    Il est assez inusité que des propriétaires insistent pour avoir, pour voisines, deux bâtisses de 11 étages plutôt que de six étages qui leur permettraient de conserver une meilleure vue et plus d’ensoleillement.

e)    La preuve prépondérante est que le motif principal de plusieurs des copropriétaires pour s’opposer au projet de modification est que celui-ci prévoit la construction de logements locatifs, plutôt que de condos (voir les pièces P-33 et P-34). Or il est acquis que la Ville ne régit pas la tenure des bâtiments.

[48]        Par ailleurs, le 16 avril 2018, alors que la présente affaire était en délibéré, le Syndicat des copropriétaires de la Tour II, dont monsieur Bouthot est le président, a émis un avis de convocation à ses membres pour une assemblée extraordinaire des copropriétaires devant être tenue le jeudi 3 mai 2018. Une note explicative jointe à l’avis de convocation mentionne ce qui suit (transcription littérale, les emphases et soulignements sont dans le texte) :

« Suite aux journées d’audience dans le dossier Dutil, nous avons réalisé que les lots 1 139 504 et 1 137 854 du cadastre du Québec, soit le chemin privé des Terrasses du golf ne nous appartenait pas mais faisait toujours partis de la faillite chez Raymond Chabot inc. Nous avons alors mandaté notre avocat d’en faire l’acquisition. Il est impératif que nous soyons propriétaires de ces lots pour éviter la perte de contrôle de notre projet intégré.

Il est aussi impératif de garder le silence sur ce projet d’achat pour éviter que toute autre partie s’en porte acquéreur.

Par conséquent, le conseil d’administration vous encourage à voter pour cette proposition.

Proposition du conseil d’administration :

(Vous recevrez le bulletin de vote à la porte)

Achat des lots du chemin privé

Suite à l’audition dans le dossier Dutil, il est apparu que les lots 1 139 504 et 1137 854 du cadastre du Québec, soit le chemin privé des Terrasses du Golf, font toujours partis de la faillite chez le Syndic Raymond Chabot inc.

Par conséquent, le Conseil d’administration demande l’autorisation de faire l’acquisition des lots 1 139 504 et 1 137 854 du cadastre du Québec conjointement avec le Syndicat des copropriétaires de la première Tour pour un montant maximum de 20 000 $ par Tour. »

[49]        Cette convocation fut dénoncée au soussigné par les procureurs de 9178 le jeudi 19 avril 2018 et le Tribunal convoqua les parties en salle d’audience le lundi 23 avril 2018.

[50]        À cette date, le Tribunal émit une ordonnance de sauvegarde enjoignant à toutes les parties en cause de ne faire directement ou indirectement aucune démarche et de n’entreprendre aucune procédure dans le but de faire l’acquisition de l’immeuble qui sert d’accès aux quatre phases du projet initial. Par l’entremise de leurs procureurs, toutes les parties ont consenti à ce que cette ordonnance de sauvegarde demeure en vigueur jusqu’à jugement final passé en force de chose jugée. Elles ont aussi consenti à ce que, le cas échéant, l’ordonnance de sauvegarde demeure en vigueur au-delà de la limite des six mois prévus au Code de procédure civile.

L’ANALYSE

[51]        Le Tribunal examine les questions soulevées l’une après l’autre. Les questions 2 et 3 seront regroupées pour être analysées ensemble.

[52]        (1) Les diverses transactions immobilières ont-elles eu pour effet de créer deux projets résidentiels intégrés distincts et autonomes, ce qui permettrait à la Ville d’autoriser le projet de 9178, ce projet étant conforme au Règlement de zonage numéro 3501 en ce qui a trait aux usages autorisés en zone HK32 ?

[53]        Le 28 mai 1987, date de l’approbation du projet d’ensemble initial par le Directeur du service d’urbanisme de la Ville (pièce P-5), la partie XXII du Règlement d’urbanisme de zonage et de lotissement de la Ville (règlement no 1071) était en vigueur (pièce P-50, onglet 1).

[54]        La particularité de ces dispositions est de permettre qu’un projet immobilier approuvé à titre d’opération d’ensemble déroge à différentes normes du règlement de zonage qui, autrement, s’appliqueraient (article 22.1.1 et article 22.1.4).

[55]        Le règlement prévoit la possibilité pour la Ville d’approuver un projet qui s’échelonne sur plusieurs phases (article 22.1.3). Il n’exige pas que le projet soit constitué d’un seul lot.

[56]        Le règlement no 3300 de zonage et de lotissement de la Ville, entré en vigueur le 29 juillet 1988, abroge le règlement no 1071 susmentionné. Il n’exige pas, lui non plus, que le projet d’ensemble soit constitué d’un seul lot (l’article 814 parle du « terrain faisant l’objet de la demande »). La réalisation d’un projet s’échelonnant sur plusieurs phases est également prévue (article 813).

[57]        Le règlement de zonage no 3402 entré en vigueur le 19 juillet 1991, qui abroge le règlement précédant, prévoit encore la réalisation d’un projet par phases (article 1054) et n’exige pas que le projet soit constitué d’un seul lot (article 1053).

[58]        Le règlement de zonage numéro 3501 entré en vigueur le 13 juillet 1993, qui abroge le règlement précédant, n’exige pas qu’il s’agisse d’un seul lot (article 1076). Il contient des dispositions spécifiques relativement aux projets comprenant plusieurs phases :


« Article 1077 – Projet d’ensemble à plusieurs phases

Lorsque la réalisation d’un projet d’ensemble résidentiel comprend plusieurs phases, chacune de ses phases doit être conforme à l’article 1070.

Article 1078 – Projet d’ensemble non complété

Pour tout terrain où une phase d’un projet d’ensemble n’a pas été complété, les dispositions et les normes relatives aux opérations d’ensemble s’appliquent à la partie non développée.

De plus, toute modification au projet initialement accepté doit être conforme aux dispositions et aux normes relatives aux opérations d’ensemble et ne doit rendre une construction ou usage déjà réalisé non conforme à ces mêmes dispositions et normes. »

[59]        Des modifications apportées au règlement 3501 entrent en vigueur le 16 février 1996. L’article 1077, tel que modifié, se lit comme suit :

« Article 1077 Opération d’ensemble résidentiel non complété

Pour tout terrain sur lequel une opération d’ensemble résidentiel n’a pas été complétée, les dispositions et les normes relatives aux opérations d’ensemble s’appliquent à l’ensemble du terrain.

De plus, toute modification à l’opération d’ensemble initialement acceptée doit être conforme aux dispositions et aux normes relatives aux opérations d’ensemble et ne doit pas rendre une construction ou usage déjà réalisé non conforme à ces mêmes dispositions et normes. »

[60]        De nouvelles modifications au règlement 3501, entrées en vigueur le 25 janvier 2011[10], changent l’appellation « projet d’ensemble » qui devient « projet résidentiel intégré » et introduisent l’exigence que le projet soit situé sur un seul lot. Les articles 1077 et 1082, tel que modifié alors se lisent ainsi :

« 1077 Projet résidentiel intégré non complété

Un projet résidentiel intégré non complété, approuvé sous une réglementation antérieure à la présente, peut être réalisé tel qu’approuvé par le conseil municipal.

Toute modification à un projet résidentiel intégré, qu’il soit complété ou non, doit être conforme aux dispositions relatives aux projets intégrés présentement en vigueur.


1082. Dispositions relatives à l’architecture

Les bâtiments principaux, accessoires et communautaires doivent être identiques en ce qui concerne le type d’architecture, la couleur et le type des matériaux utilisés ainsi que les pentes de toit. »

[61]        L’on constate que jamais la réglementation n’a interdit que des lots compris dans le projet changent de main avant que le projet ne soit entièrement complété. Une telle interdiction serait étonnante. Elle rendrait impossible la réalisation d’un projet au moyen de différentes phases qui comportent la vente d’unités en copropriété ou autrement.

[62]        Par ailleurs, la Ville n’a jamais autorisé un nouveau projet résidentiel intégré qui comprendrait les lots en cause ici.

[63]        Il est par contre exact que le 16 novembre 1988, la Ville a de facto autorisé une modification du projet en émettant un permis de construction pour le centre communautaire qui n’avait pas été initialement prévu[11]. Ce bâtiment fut construit par le promoteur initial et il est était destiné à l’usage des occupants de chacune des quatre phases.

[64]        Rien ne permet de conclure que l’ajout d’un centre communautaire ait donné naissance à un nouveau projet résidentiel intégré, distinct et autonome du premier, et encore moins un projet distinct et autonome qui ne regrouperait que les Phases III et IV du projet initial.

[65]        À cet effet, rappelons que la Phase II du projet fut complétée subséquemment par un second promoteur, en conformité avec le projet initial.

[66]        Finalement, 9178 a elle-même présenté à différentes reprises des projets de modifications de la version initiale du projet résidentiel intégré[12].

[67]        En conséquence de ce qui précède, le Tribunal répond par la négative à la première question posée. Le Tribunal estime que les différentes transactions immobilières survenues depuis l’approbation du projet initial n’ont pas eu pour effet de créer un second projet, distinct et autonome du premier.

[68]        (2) Subsidiairement, si le projet de 9178 est indissociable du projet résidentiel intégré approuvé en mai 1987, l’approbation de la majorité des propriétaires faisant partie dudit projet résidentiel intégré est-elle nécessaire pour rendre la demande de modification recevable ?

[69]        (3) Subsidiairement, si l’approbation de la majorité des propriétaires faisant partie dudit projet résidentiel intégré est nécessaire à la recevabilité de la demande de modification, les voix des propriétaires devraient-elles être pondérées par la superficie détenue par chacune des parties ?

[70]        La Ville soutient que la demande de modification du projet résidentiel intégré approuvé en mai 1987 n’est pas recevable en l’absence de son approbation par les copropriétaires des Phases I et II. Elle invoque l’extrait suivant de la décision de la Cour supérieure dans Gagnon c. Péribonka (Municipalité de)[13] :

« [80]        Le projet à la base du permis obtenu par les demandeurs provoque des modifications majeures et des transformations importantes à l'immeuble détenu en copropriété. L'ajout d'un duplex sur un terrain a certainement plus d'impacts qu'une demande de permis pour rénover une galerie par exemple. Ainsi, compte tenu de l'importance du projet convoité ayant pour effet de changer la configuration des lieux et avoir une influence sur l'ensemble des copropriétaires, il va de soi que le représentant du groupe signataire, lors de la demande de permis, en l'occurrence Reina, est la porte-parole du groupe et parle pour ce groupe. Pour Péribonka, il est tout à fait légitime de conclure que les copropriétaires sont unanimes à présenter cette demande.

[81]        Le dépôt d'une demande de permis par un représentant d'indivisaires doit faire état de la volonté exprimée de ce groupe. Péribonka ne peut fermer les yeux en délivrant un permis ou en laissant des travaux se poursuivre, alors qu'une situation préjudiciable peut être créée à l'un ou l'autre des indivisaires. (…) »

[71]        Cette affaire est très différente de la nôtre. La municipalité de Péribonka avait décerné un permis de construction sur un lot appartenant à quatre copropriétaires indivis. Au moment où elle émit le permis de construction, Péribonka croyait erronément que la demande de permis était présentée par les quatre copropriétaires alors qu’en réalité l’un d’entre eux s’opposait à ce projet de construction. L’officier municipal chargé de délivrer le permis, voulant faire preuve de souplesse, avait également passé outre à certaines exigences du règlement de lotissement auxquelles le projet ne satisfaisait pas[14]. Une ordonnance d’arrêt des travaux de construction fût émise subséquemment lorsque la municipalité fût interpellée par celui des quatre copropriétaires indivis qui était en désaccord avec le projet de construction[15]. De plus, le permis de construction fut émis en vertu d’un règlement qui n’avait pas fait l’objet de l’examen de conformité par la municipalité régionale de comté exigé par la loi. Ce règlement fut subséquemment remplacé par un autre, celui-là dûment entré en vigueur[16].

[72]        La juge tient la municipalité de Péribonka en partie responsable des dommages subis par les trois copropriétaires indivis qui avaient débuté la construction d’un bâtiment sur la base d’un permis invalide, et qui furent contraints d’arrêter les travaux par la suite. C’est dans ce contexte qu’elle écrit les passages que cite la Ville. Pour bien comprendre leur sens, il est important de les citer à nouveau, mais avec de plus larges extraits :

« [78]      Les demandeurs ont été, bien malgré eux, plongés dans un important litige qui les a empêchés de jouir pleinement de leur emplacement de villégiature et leur a causé d'innombrables soucis.

[79]        Les défendeurs [la municipalité et l’inspecteur municipal poursuivi] étaient-ils fondés de craindre les conséquences du défaut d'unanimité des demandeurs dans la demande de permis?

[80]        Le projet à la base du permis obtenu par les demandeurs provoque des modifications majeures et des transformations importantes à l'immeuble détenu en copropriété. L'ajout d'un duplex sur un terrain a certainement plus d'impacts qu'une demande de permis pour rénover une galerie par exemple. Ainsi, compte tenu de l'importance du projet convoité ayant pour effet de changer la configuration des lieux et avoir une influence sur l'ensemble des copropriétaires, il va de soi que le représentant du groupe signataire, lors de la demande de permis, en l'occurrence Reina, est la porte-parole du groupe et parle pour ce groupe. Pour Péribonka, il est tout à fait légitime de conclure que les copropriétaires sont unanimes à présenter cette demande.

[81]        Le dépôt d'une demande de permis par un représentant d'indivisaires doit faire état de la volonté exprimée de ce groupe. Péribonka ne peut fermer les yeux en délivrant un permis ou en laissant des travaux se poursuivre, alors qu'une situation préjudiciable peut être créée à l'un ou l'autre des indivisaires. Les défendeurs avaient donc des craintes fondées lorsqu'ils ont constaté ce défaut d'unanimité. Toutefois, les moyens utilisés pour rétablir ou corriger la situation n'étaient pas appropriés et les défendeurs ont fait preuve de manque de jugement et de maladresse qui sont en partie responsables des dommages subis par les demandeurs.

[82]        Les défendeurs n'ont pas permis aux demandeurs de s'exprimer suite à la visite de Lawrence [le quatrième copropriétaire indivis, celui qui est en désaccord avec la construction] et ils n'ont jamais divulgué le véritable motif de l'arrêt des travaux dans leur lettre. »

[73]        La question qui nous occupe est entièrement différente de celle traitée par la juge dans cette affaire. Les mis en cause ne sont pas les copropriétaires indivis des lots sur lesquels 9178 veut construire des bâtiments. Les mis en cause n’ont aucun droit réel sur ces lots et ils n’ont aucun lien contractuel avec 9178.

[74]        D’autre part, les mis en cause plaident que l’approbation du projet d’ensemble en 1987 a un effet normatif plus large que celui d’une simple résolution. Cependant, ni la Ville ni les mis en cause n’identifient, dans la réglementation applicable ou dans une loi, quelque passage qui puisse être interprété comme voulant dire que les personnes ayant acquis des unités, dans les phases déjà complétées du projet résidentiel intégré, doivent donner leur accord pour qu’une demande de modification des phases subséquentes, qui visent des lots distincts, soit recevable.

[75]        Cette exigence n’étant stipulée nulle part, on ne retrouve évidemment pas dans la réglementation d’indication du nombre de propriétaires de condos qui devraient donner leur accord pour que le projet de modification des phases subséquentes soit recevable. Serait-ce l’unanimité qui est requise? La majorité simple? Les voies dont dispose le promoteur peuvent-elles être pondérées par les superficies détenues? La réglementation de la Ville ne vigueur en 2014 n’offre aucune réponse.

[76]        Soulignons que les mise en cause n’ont pas invoqué que les modifications projetées par 9178 porteraient atteinte aux services et équipements que le projet initial avait pour vocation de mettre en commun.

[77]        En ce qui concerne la modification d’un projet intégré, l’article 1077 du règlement 3501 de zonage de la ville en vigueur en septembre 2014 prévoyait :

« 1077. Projet résidentiel intégré non complété

Un projet résidentiel intégré non complété, approuvé sous une réglementation antérieure à la présente, peut être réalisé tel qu’approuvé par le conseil municipal.

Toute modification à un projet résidentiel intégré, qu’il soit complété ou non, doit être conforme aux dispositions relatives aux projets résidentiels intégrés présentement en vigueur. »

[78]        Le tribunal a demandé au procureur de la Ville par qui, suivant la réglementation, doit être présentée la demande de modification d’un projet résidentiel intégré approuvé à laquelle réfère l’article 1077 (2) précité. Le procureur de la Ville a répondu que la règlementation de la Ville est muette à ce sujet. Il ajoute cependant que la modification du projet intégré nécessitera la délivrance d’un certificat d’autorisation, suivant l’article 34 (19) de son règlement 312 sur les permis et certificat[17]. Cet article prévoit que  « quiconque désire réaliser un ou plusieurs des projets suivants doit au préalable obtenir un certificat d’autorisation (…) 19) Le plan projet d’implantation d’un projet résidentiel intégré » [18]. Le même règlement prévoit également :

« 36.1 Cheminement particulier d’un certificat d’autorisation pour un plan-projet d’implantation d’un projet résidentiel intégré.

Lorsque le plan-projet d’implantation d’un projet résidentiel intégré respecte les normes établies par les Règlements d’urbanisme, il doit être présenté au comité consultatif d’urbanisme et au conseil municipal pour fins d’information, de commentaires et d’approbation. »[19]

[79]        Le tribunal estime que les mots « quiconque désire réaliser… », utilisés à l’article 34 (19) susmentionné ne peuvent viser ici que 9178, seule propriétaire des lots 1 137 849 et 1 137 850.

[80]        Ajoutons que l’article 9 (81.0.1) du règlement de zonage 3501, tel qu’il existait en septembre 2014, semble exclure la possibilité que les propriétaires des condos déjà réalisés soient considérés, par la Ville, comme parties prenante, avec le promoteur, aux phases subséquentes du projet :

Règlement de zonage 3501

(ancien)

9. (81.0.1o) « projet résidentiel intégré »

L’expression « projet résidentiel intégré » désigne un regroupement de plusieurs bâtiments principaux, d’usages résidentiels, localisés sur un seul lot suivant une planification d’ensemble et formant une homogénéité architecturale. La planification, la gestion et la promotion sont d’initiative unique. Un projet résidentiel intégré est conçu dans le but de favoriser la mise en commun de certains espaces, services ou équipements tels que des aires de stationnement, des allées de circulation, des services d’utilité publique et des aires d’agréments.

(Les emphases sont ajoutées)

[81]        Le règlement de zonage et de lotissement 1200, entré en vigueur le 20 février 2017, stipule comme nous l’avons dit (supra) que «  pour être recevable, la demande de modification [d’un projet résidentiel intégré] doit être appuyée par la majorité des propriétaires faisant partie du projet intégré au moment du dépôt de cette demande ». C’est la première fois qu’une disposition de cette nature apparaît dans la réglementation. Le Tribunal voit là une indication que le législateur, en l’occurrence la Ville, a voulu modifier la norme que le texte énonce[20].

[82]        L’article 974 du Code civil du Québec prévoit :

 « La propriété est le droit d’user, de jouir et de disposer librement et complètement d’un bien, sous réserve des limites et des conditions d’exercice fixées par la loi.

Elle est susceptible de modalités et de démembrements. »

[83]        Le Tribunal estime qu’à titre de seul propriétaire des lots 1 137 849 et 1 137 850, 9178 pouvait, suivant la réglementation en vigueur en septembre 2014, présenter une demande de modification des Phases III et IV du projet d’ensemble résidentiel approuvé par la Ville en 2007. L’approbation de la modification projetée, par la totalité, ou une majorité en nombre, en valeur ou en superficie, des copropriétaires divis des immeubles correspondants aux Phases I et II du projet initial, n’était pas un prérequis à la recevabilité de la demande de modification formulée par 9178.

[84]        (4) Subsidiairement, si la réalisation du projet de 9178, sous la forme d’un projet résidentiel intégré, est assujettie à l’approbation de la majorité des propriétaires faisant partie du projet résidentiel intégré approuvé en mai 1987 :

•  Les lots 1 137 849 et 1 137 850 doivent-ils être considérés comme étant adjacents à une rue publique au sens de l’article 10 du Règlement n° 313 sur les conditions d’émission des permis de construction et, en conséquence, le projet de 9178 peut-il ainsi être autorisé, autrement qu’à titre de projet résidentiel intégré, en vertu des règlements d’urbanisme de la Ville de Sherbrooke applicables si le projet est isolé ?

[85]        Compte tenu des réponses apportées aux questions précédentes, le Tribunal n’a pas à répondre à cette question.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[86]        ACCUEILLE en partie la demande conjointe;

[87]        DÉCLARE que le projet d’opération d’ensemble les TOURS DU GOLF approuvé par la Ville de Sherbrooke au mois de mai 1987 n’a pas, depuis cette date, été scindé en différents projets résidentiels intégrés distincts.

[88]        DÉCLARE que l’approbation de la majorité des copropriétaires divis des immeubles faisant partie des Phases I et II du projet initial n’est pas nécessaire pour rendre recevable la demande de modification déposée par 9178-5022 Québec inc.,relativement aux Phases III et IV du projet, lesquelles correspondent aux lots 1 137 849 et 1 137 850 du cadastre du Québec;

[89]        LE TOUT SANS FRAIS.

 

 

 

__________________________________CHARLES OUELLET, j.c.s.

 

Me André Lemay et Me Gabriel Chassé

Pour 9178-5002 Québec inc.

 

Me Éric Martel

Pour Ville de Sherbrooke

 

Me Marc Lalonde

Pour Syndicat des Copropriétaires de la

première Tour des Terrasses du Golf

et Le Syndicat des Copropriétaires de la

Tour 2 des Terrasses du Golf

 

Dates d’audience :

11 et 12 janvier 2018

 



[1] Cette Requête fut intentée le 6 août 2015 sur la base de l’article 448 de l’ancien Code de procédure civile, aujourd’hui 143 al. 2 in fine du nouveau C.p.c.,

« LE GRAND COLLECTIF, Code de procédure civile, commentaires et annotations, les Éditions Yvon Blais 2016, vol. 1, aux pages 705 et ss. ».

[2] Dans la réglementation actuelle, opération d’ensemble se nomme maintenant projet résidentiel intégré. Sauf lorsque le contexte exigera de faire autrement, le tribunal va généralement utiliser l’expression projet résidentiel intégré quelle que soit l’époque en cause.

[3]     Comme les parties elles-mêmes, le Tribunal va utiliser ce mot forgé afin de simplifier le texte.

[4]     Élément qui mérite d’être souligné : plusieurs de ceux qui s’opposent le font au motif que la modification prévoit des bâtiments locatifs plutôt que des condos. Or il est acquis que la Ville ne peut règlementer la tenure des bâtiments.

[5]     Par. 3 de la requête introductive d’instance conjointe.

[6]     Il s’agit du promoteur initial, lequel a fait faillite après avoir construit la Phase I ainsi qu’un centre communautaire destiné à éventuellement desservir les occupants des quatre Phases.

[7]     Règlement no 313, pièce P-54, onglet 9, entré en vigueur le 6 juin 2006.

[8]     P-29.

[9]     MC-6.

[10] Règlement numéro 642, pièce P-50, onglet 6.

[11] Pièce P-18.

[12] P-1 : projet actuel, P-47 : projet de 2006, P-48 : projet de 2007.

[13] 2013 QCCS 3987.

[14] Paragraphe 69 du jugement.

[15] Paragraphes 68, 69 et 70 du jugement.

[16] Paragraphes 42 à 46 du jugement.

[17] Lettre de Me Éric Martel, 20 avril 2018.

[18] Article 34(19) du règlement numéro 312 sur les permis et certificat de la ville de Sherbrooke, pièce P-51.

[19] Pièce P-51.

[20] Interprétation des droits, Pierre-André CÔTÉ, 4e Éd., Montréal, Éditions Thémis, 2009, pages 496 à 501.

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