Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Ivanov c. R.

2025 QCCA 301

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

SIÈGE DE

 

MONTRÉAL

 :

500-10-008125-237

(500-01-183854-196)

 

DATE :

14 mars 2025

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

GUY GAGNON, J.C.A.

STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A.

PETER KALICHMAN, J.C.A.

 

 

ANDREI IVANOV

REQUÉRANT – accusé

c.

 

SA MAJESTÉ LE ROI

INTIMÉ – poursuivant

 

 

ARRÊT

 

 

  1.                 Le requérant Andrei Ivanov demande l’autorisation de se pourvoir contre un jugement de la Cour du Québec (l’honorable Guylaine Rivest) qui rejette sa demande de l’absoudre sous conditions pour plutôt surseoir au prononcé de la peine et le libérer aux conditions prévues dans une ordonnance de probation d’une durée de 3 ans, dont 18 mois sont surveillés.
  2.                 Pour les motifs du juge Gagnon auxquels souscrivent les juges Sansfaçon et Kalichman, LA COUR :
  3.                 ACCUEILLE la requête pour permission d’appeler du jugement sur la peine prononcée le 16 novembre 2023 et AUTORISE l’appel;
  4.                 PREND ACTE de l’absence de suspension de ce jugement durant l’instance d’appel;
  5.                 ACCUEILLE l’appel;
  6.                 MODIFIE la peine infligée le 16 novembre 2023 pour y substituer une absolution sous conditions à compter de la même date;
  7.                 MAINTIENT l’ordonnance de probation aux mêmes conditions que celles prévues au paragraphe 150 du jugement sur la peine, mais cette fois en vertu du paragraphe 731(2) C.cr.;
  8.                 MAINTIENT les autres conclusions du jugement sur la peine (paragr. 151 et 152).

 

 

 

 

GUY GAGNON, J.C.A.

 

 

 

 

 

STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A.

 

 

 

 

 

PETER KALICHMAN, J.C.A.

 

Me Benoit Demchuck

CORBEIL DEMCHUCK ROY, AVOCATS

Pour le requérant

 

Me Nadine Haviernick

DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES

Pour l’intimé

 

Date d’audience :

8 novembre 2024


 

MOTIFS DU JUGE GAGNON

 

 

  1.                 Le requérant Andrei Ivanov demande l’autorisation de se pourvoir contre un jugement de la Cour du Québec (l’honorable Guylaine Rivest) qui rejette sa demande de l’absoudre sous conditions (art. 730 C.cr.) pour plutôt surseoir au prononcé de la peine (art. 731 C.cr.) et le libérer aux conditions prévues dans une ordonnance de probation d’une durée de 3 ans, dont 18 mois sont surveillés[1].
  2.            La requête pour autorisation d’appeler du jugement sur la peine allègue notamment des erreurs dans l’analyse du critère de l’intérêt public à l’origine du refus de la juge de prononcer une absolution sous conditions. Je propose d’autoriser l’appel.

LES FAITS ET UN RÉSUMÉ DU JUGEMENT SUR LA PEINE

  1.            Au moment des événements le 6 novembre 2018, l’appelant est âgé de 19 ans. Il est en couple avec la victime depuis plusieurs mois. Alors qu’il discute avec deux amis dans un stationnement, la victime, visiblement contrariée, s’avance vers lui d’une façon agressive et en parlant fort. La réaction de l’appelant est brutale et instantanée. Il lui assène un coup de poing à la figure avec comme conséquences une mâchoire fracturée et une dent cassée, d’où l’accusation révisée[2] de voies de fait causant des lésions corporelles à laquelle il a plaidé coupable le 28 novembre 2022 (al. 267b) C.cr.).
  2.            Comme le jugement sur la peine le mentionne, le dossier ne permet pas de savoir si la victime a subi d’autres conséquences liées à l’agression de l’appelant, outre le fait d’avoir engagé des frais dentaires de l’ordre de 454 $ :

[62] La victime n’a pas témoigné dans le cadre de l’audience sur la détermination de la peine. Elle n’a pas non plus rempli de déclaration de la victime sur les conséquences du crime.

[Renvois omis]

  1.            Le débat en première instance est bien circonscrit et porte essentiellement sur la question de savoir si l’absolution sous conditions constitue une mesure indiquée.
  2.            Pour y répondre, la juge résume les principes applicables à la détermination de la peine. Elle insiste sur le contexte à l’origine de l’accusation, en l’occurrence un mauvais traitement fait à une partenaire intime (al. 718.2a)(ii) C.cr.). Elle souligne l’importance de la gravité objective et subjective de l’infraction. Elle invoque aussi les conséquences sérieuses de l’agression chez la victime, lesquelles, ajoute-t-elle, sont le résultat d’une réaction violente, disproportionnée, inacceptable et injustifiée.
  3.            La juge s’adonne ensuite à l’exercice délicat et exigeant de pondérer différents facteurs dans le but d’apprécier le niveau de culpabilité morale de l’appelant. Concernant les facteurs atténuants, elle prend acte de son plaidoyer de culpabilité, mais elle accorde à ce facteur un poids mitigé en raison de la tardiveté à le déposer et de l’absence d’explication au soutien de ce retard. Elle range dans le même registre les remords de l’appelant et son empathie envers la plaignante. La juge retient aussi l’âge de l’appelant, son absence d’antécédents judiciaires et de toute prédisposition à la criminalité. Elle observe également sa participation à une thérapie.
  4.            La juge poursuit son analyse en relevant d’autres facteurs pertinents. Elle reconnaît que l’appelant est un actif pour la société, s’étant même engagé dans la communauté en se consacrant au bénévolat alors qu’il jouit toujours d’un bon soutien de sa famille et de ses amis. La juge note aussi le respect par l’appelant de ses conditions de mise en liberté provisoire et sa collaboration à la confection du rapport présentenciel. Elle constate toutefois qu’il a négligé de fournir les preuves de sa situation occupationnelle, mais estime ce manquement comme n’étant « pas déterminant »[3].
  5.            Par ailleurs, la juge considère le caractère isolé du crime, l’absence d’intoxication ou de dépendance chez l’appelant et le faible risque de récidive comme étant des circonstances neutres.
  6.            En ce qui a trait aux circonstances aggravantes, la juge revient sur le mauvais traitement fait à une partenaire intime et les conséquences physiques et monétaires qui en découlent.
  7.            La juge aborde ensuite la question de l’absolution conditionnelle et de l’intérêt véritable de l’appelant à l’obtention de cette mesure. Elle convient qu’en raison de son statut de résident permanent, l’appelant pourrait en principe faire l’objet d’une mesure de renvoi pour « grande criminalité » à défaut d’obtenir une absolution[4].
  8.            Au moment de traiter de l’intérêt public, la juge se dit toutefois d’avis qu’une absolution sous conditions risquerait d’entraîner chez les justiciables une perte de confiance dans le système de justice. Au soutien de cette position, elle ne manque pas de réitérer le contexte de violence conjugale à l’origine de l’accusation portée contre l’appelant. En dépit des circonstances atténuantes précédemment identifiées et s’autorisant de la suggestion des parties d’ordonner un suivi probatoire, la juge y voit là une admission selon laquelle l’appelant a toujours besoin d’encadrement alors que le risque de récidive à plus long terme « ne peut être complètement écarté »[5].
  9.            Au terme de son analyse, la juge entérine la suggestion du poursuivant.

LES MOYENS D’APPEL

  1.            L’appelant est un jeune contrevenant. Il reproche à la juge d’avoir erré en droit en omettant de mettre l’accent sur sa réhabilitation. Elle a aussi commis une erreur de droit à l’origine de son analyse qui a conduit à sa conclusion selon laquelle une absolution sous conditions ne s’avérait pas une mesure suffisamment exemplaire et dissuasive en l’espèce. La juge s’est également trompée dans son étude du critère de l’intérêt public au soutien de son refus d’absoudre l’appelant sous conditions.

L’ANALYSE

  1.            L’appelant est un résident permanent du Canada depuis 2012. À son arrivée en sol canadien, il est âgé de 11 ans. Selon le jugement sur la peine, au moment des événements en novembre 2018, il est toujours assujetti à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés[6]. L’alinéa 36(1)a) de cette loi, qui assimile la criminalité de l’appelant à un cas de « grande criminalité », contient cette interdiction :

Grande criminalité

 

36 (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

 

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction prévue sous le régime d’une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction prévue sous le régime d’une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

 

[…]

Serious criminality

 

36 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

 

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

 

[…]

  1.            En première instance, l’appelant demandait d’être absous sous conditions et astreint à un suivi probatoire de 18 mois durant lequel il proposait de réaliser 200 heures de travaux communautaires et de verser à la victime 1 000 $ en guise de réparation pour les dommages subis.
  2.            La juge rejette en partie cette suggestion pour plutôt surseoir au prononcé de la peine et ordonner une probation d’une durée de 3 ans, dont 18 mois avec suivi probatoire, période durant laquelle l’appelant doit accomplir 140 heures de travaux communautaires[7] et verser à la victime 1 000 $, comme il le proposait luimême.
  3.            Vu le statut de résident permanent de l’appelant, la juge reconnaît les conséquences potentiellement punitives d’une condamnation prononcée à son endroit :

[99] Dans ce contexte, peu importe la peine imposée (sauf s’il est absous), il [l’appelant] pourrait, en principe, faire l’objet d’une mesure de renvoi pour « grande criminalité ». Il conserverait toutefois son droit d’appel quant à la décision qui pourrait être prise à ce sujet.

[…]

[103] Or, ces conséquences indirectes sur le statut à l’immigration de l’accusé tendent à démontrer que celui-ci a un intérêt véritable à être absous.

[Soulignement ajouté]

  1.            En revanche, elle accorde une considération prioritaire au phénomène répréhensible et hautement condamnable de la violence conjugale :

[22] Les principes d’exemplarité, de dénonciation et de dissuasion, tant général [sic] que spécifique, doivent donc être priorisés, sans toutefois éclipser les autres facteurs à considérer.

[Soulignement ajouté; renvois omis]

  1.            Au final, la juge considère qu’une absolution sous conditions ne constitue pas une mesure suffisamment exemplaire au regard de la situation de l’espèce.

La chronologie des circonstances pertinentes

  1.            Pour mieux situer le débat en appel, il convient de refaire la chronologie des principales étapes qui ont marqué l’évolution de ce dossier :

- 6 novembre 2018 :

voies de fait sur la victime;

- 6 décembre 2018 :

arrestation;

- 29 janvier 2019 :

comparution de l’appelant devant un juge;

- 27 septembre 2019 :

modification de l’accusation pour être désormais portée sous l’alinéa 267b) C.cr.;

- année 2021 :

thérapies de l’appelant et bénévolat;

- 31 août 2021 et

production du bilan du suivi psychosocial (COPATLA)[8];

  26 novembre 2021 

 

- 28 novembre 2022 :

plaidoyer de culpabilité;

- 6 mars 2023 :

production du rapport présentenciel;

- 3 août 2023 :

audition sur la peine en première instance;

- 16 novembre 2023 :

jugement sur la peine.

  1.            Au jour du jugement sur la peine, l’appelant avait été astreint à des conditions de mise en liberté provisoire durant près de cinq ans. Selon la durée de la probation ordonnée en première instance, le contrôle judiciaire sur l’appelant devra continuer à s’exercer durant trois autres années, pour se terminer en principe le 16 novembre 2026. Au total, l’appelant aura été sous la surveillance du système de justice près de huit ans.

Les erreurs de principe

  1.            L’erreur de principe en matière de peine consiste en « une erreur de droit, l’omission de tenir compte d’un facteur pertinent ou encore la considération erronée d’un facteur aggravant ou atténuant »[9].
  2.            Avec beaucoup d’égards pour la juge de première instance, j’estime que le jugement sur la peine est vicié par trois erreurs de principe qui ont eu une incidence certaine sur la détermination de la peine. La première tient à sa conclusion selon laquelle le risque de récidive représenté par l’appelant constitue un facteur neutre. La seconde réside dans son application des objectifs de dénonciation et d’exemplarité en matière de violence conjugale qu’elle oppose à la réinsertion sociale d’un jeune contrevenant primaire.
  3.            Finalement, la juge commet une erreur révisable lors de son analyse de l’intérêt public à l’aune du critère de la confiance du public en retenant qu’une absolution sous conditions n’est pas suffisamment exemplaire, même si cette mesure est assortie des mêmes conditions que celles prévues dans l’ordonnance de probation surveillée accompagnant la décision de surseoir à la peine prononcée en première instance.

i)                    Le risque de récidive

  1.            Je considère que ce passage de l’arrêt Gagnon s’applique avec beaucoup de pertinence à la présente affaire :

[37] L’omission de la juge de considérer ces éléments pertinents ou de leur donner l’importance qu’ils revêtent constitue donc […] une erreur de principe qui, faut-il le dire, ne peut s’expliquer que par l’omission pure et simple d’analyser adéquatement le risque de récidive en soi au regard de l’ensemble de la preuve.[10]

[Soulignement ajouté]

  1.            L’analyse de la juge sur le risque de récidive comporte deux erreurs de droit qui sont venues teinter son appréciation. Tout d’abord, elle ne procède pas à une lecture fonctionnelle du rapport présentenciel, ce qui l’amène à appliquer implicitement la norme quasi inatteignable de l’absence de risque de récidive (« ne peut être complètement écarté »[11]) pour évaluer la véritable portée de ce facteur. Ensuite, elle erre en retenant que la suggestion des parties d’astreindre l’appelant à un suivi probatoire constitue une reconnaissance de son besoin d’encadrement[12], une conclusion qui participe de l’idée selon laquelle le risque de récidive présenté par l’appelant « ne peut être complètement écarté ».
  2.            Je précise au passage que, même si le critère du risque de récidive est généralement pertinent pour décider du niveau de dissuasion requis chez un contrevenant, la juge y a aussi recours pour décider si une absolution sous conditions est susceptible de nuire à l’intérêt public. Voilà pourquoi j’estime nécessaire de m’arrêter plus longuement à cette question.
Le risque de récidive ne peut être complètement écarté
  1.            Le 6 mars 2023, un rapport présentenciel[13] déposé dans le cadre des auditions sur la peine informe la juge qu’à court terme, le risque de récidive est faible (« low »). L’auteur du rapport ajoute qu’à long terme, l’importance de ce risque dépendra de la capacité de l’appelant à mettre en pratique les outils thérapeutiques mis à sa disposition lors de son passage au COPATLA.
  2.            La juge infère de cette évaluation l’existence d’un risque de récidive pour le futur. Elle écrit :

[57]  Toutefois, tenant compte notamment du bilan rédigé par M. Leal, l’agent de probation ne peut écarter complètement le risque de récidive que représente l’accusé à plus long terme. Pourquoi? Essentiellement parce que l’accusé éprouve de la difficulté à « extérioriser ses émotions négatives qu’il tend souvent à refouler »

[Soulignement ajouté; renvoi omis]

  1.            Elle réitère la même réserve au stade de son analyse de l’intérêt public :

[116]  Au surplus, le Tribunal ne peut ignorer les propos de l’agent de probation rédigés plus de quatre ans après la commission de l’infraction, soit que le risque de récidive de l’accusé, à plus long terme, ne peut être complètement écarté.

[Soulignement ajouté; renvois omis]

  1.            Cette conclusion de la juge repose sur le passage suivant du rapport présentenciel :

However, we note that Mr. Ivanov has difficulty expressing his negative emotions, which he often tends to repress.[14]

  1.            Ce passage du rapport intervient après que l’agent de probation recherche une explication à un geste qui ne correspond pas selon lui à la personnalité de l’appelant :

To date, it is difficult to explain with certainty the cause of his recourse to violence during the present events, since the subject does not appear top have been exposed to events that could have predisposed him to violent acting out. Moreover, it appears that he would never have preferred to use violence as a means of expression or conflict resolution in other areas of his life.[15]

  1.            Or, dans les paragraphes suivants du rapport, l’auteur identifie tout de même la cause du passage à l’acte, sans toutefois conclure que celle-ci subsiste à ce jour. En fait, l’agent de probation constate pour l’avenir les bienfaits des acquis thérapeutiques de l’appelant :

[…] In the circumstances, we believe that the violent acting out displayed by the defendant may have been an inappropriate attempt to regain control over a situation in which he felt powerless and hurt in his selfesteem, as he was in the presence of his friends during the altercation with Ms. Fomenco.

Since his arrest in this case in December 2018, Mr. Ivanov has successfully completed an anger management program that has provided him with effective tools to prevent violent behaviour and resolve conflicts. He now appears to be aware of the importance of not accumulating negative feelings and expressing them in an appropriate and respectful manner. As for the accused's social network, it is mainly made up of his immediate family members and noncriminalized friends, it seems they are able to provide adequate support. On the emotional level, he has been seeing a young woman of 20 years of age for about four months, he says she is aware of his current legal situation. According to him, the relationship has been positive so far.

Mr. Ivanov's delinquent actions seem to be part of a first dysfunctional love relationship marked by the immaturity of both parties, but more particularly of the subject, who was unable to adequately communicate his needs and dissatisfactions to the victim. His tendency to repress his negative emotions over a period of several months may have contributed to amplifying his resentment towards Ms. Fomenco, all of which manifested itself in a violent and disproportionate manner with the perpetration of the present offence, in the fall of 2018.

Since his arrest over four years ago, the offender appears to have come to terms with his relationship with Ms. Fomenco. Furthermore, we believe that this first contact with the judicial system will have a significant deterrent effect on the accused's future behaviour. In view of the above, we cannot completely rule out the risk of recidivism, but we consider it to be low at present, in the short term. In the longer term, the risk will depend on his ability to put into practice what he has learned during his therapeutic process at COPATLA, particularly in the context of his new love relationship.[16]

[Soulignements ajoutés]

  1.            Rien dans ce qui précède ne remet en cause la capacité de l’appelant à réagir adéquatement devant une situation agressante. De plus, le rapport n’identifie aucun facteur ni ne soulève un élément de nature à douter de la volonté de l’appelant à se mobiliser devant l’adversité ou encore ne fait voir une faille dans sa détermination à maintenir ses acquis, et ce, même si le risque zéro n’existe pas en ce domaine.
  2.            En somme, je considère que la lecture du rapport présentenciel ne soutient aucune autre idée que celle d’un risque de récidive faible.
  3.            Cela dit, il n’entre pas dans la mission de l’agent de probation de prédire l’avenir. La conclusion hautement péremptoire selon laquelle un contrevenant ne présente aucun risque de récidive ne peut autrement que reposer sur une prévisibilité périlleuse, voire insoutenable, au regard des aléas de la vie.
  4.            La juge commettait donc une erreur en fixant la barre au niveau du risque de récidive inexistant. Cette erreur l’a conduite à mettre en opposition les facteurs que sont le processus de réhabilitation de l’appelant et le véritable risque de récidive qu’il représente. Les passages suivants du jugement illustrent ce qui précède :

[47] Le processus de réhabilitation de l’accusé est donc bien amorcé, ce qui constitue certes une circonstance atténuante.

[…]

[69] Il s’est écoulé cinq ans depuis les événements et tout porte à croire que l’accusé a respecté les conditions auxquelles il est assujetti.

[…]

[71] Néanmoins, malgré le passage du temps, le risque de récidive ne peut être complètement écarté, comme nous l’avons vu précédemment.

[Soulignements ajoutés; renvois omis]

  1.            Même si la juge considère la réhabilitation de l’appelant comme étant un facteur atténuant, elle neutralise cette conclusion en estimant que le niveau d’avancement de la réhabilitation de l’appelant n’est rendu qu’au stade de l’amorce.
  2.            À mon avis, près de cinq ans de paix sociale et de bonne conduite constituent plus qu’un simple point de départ marquant la réhabilitation de l’appelant. Lorsqu’on regarde son passé sans tache, outre bien entendu le geste isolé pour lequel il a plaidé coupable, auquel s’ajoutent les outils thérapeutiques acquis durant ses thérapies et la longue période de bonne conduite depuis son geste criminel, l’appelant a depuis longtemps franchi le stade de l’amorce. Il est maintenant partie prenante d’un processus de réhabilitation bien ancré dans une réalité quotidienne en dépit de tous les écueils et défis que comporte la vie en société.
  3.            D’ailleurs, la réhabilitation de l’appelant n’avait pas à être complétée pour pleinement produire ses effets, car autrement « ce serait nier l’idée qu’une personne criminelle peut aspirer à se réhabiliter »[17].
  4.            Le dossier d’appel fait aussi voir que l’appelant n’a pas de condamnation antérieure ni de cause pendante. Il ne souffre d’aucune dépendance à l’alcool ou à des drogues et il bénéficie du soutien de sa famille et de ses amis. Voilà autant de conditions gagnantes qui expliquent pourquoi la réhabilitation de l’appelant évolue toujours positivement.
  5.            Cette stabilité de l’appelant n’est pas surprenante. Le COPATLA a inclus dans son cursus un programme de contrôle des tempéraments colériques auquel a participé l’appelant. Dans son bilan confectionné les 31 août et 26 novembre 2021, M. Sandro Leal, directeur de l’organisme et travailleur social, écrivait que l’appelant ne représentait pas un danger pour lui-même ou pour les autres. M. Leal précisait aussi ne pas être préoccupé par le risque de récidive puisque l’appelant ne manifeste aucun trait d’obsession ou désir de vengeance. Il faut bien admettre qu’à ce jour, le temps a donné raison à cet intervenant.
  6.            En somme, le processus de réhabilitation soutenu et bien en place de l’appelant combiné à un risque de récidive faible sont des éléments positifs exempts de tout bémol.
L’appelant a reconnu avoir encore besoin d’encadrement
  1.            La juge écrit :

[115] Par ailleurs, même si l’analyse met en relief plusieurs circonstances atténuantes, il n’en demeure pas moins que l’accusé nécessite encore à ce jour un encadrement, comme le plaident à bon droit les deux parties, lesquelles recommandent respectivement un suivi probatoire de 18 mois.

[Soulignement ajouté; renvois omis]

  1.            En inférant un besoin d’encadrement pour l’appelant à partir de la suggestion des parties de le soumettre à un suivi probatoire, la juge erre en droit. Cette erreur est déterminante, en ce qu’une ordonnance de probation est de toute façon obligatoire si le juge de la peine choisit de surseoir à son prononcé ou de prescrire par ordonnance une absolution sous conditions. Quant au suivi probatoire, il devient incontournable si la probation est assortie de conditions facultatives, par exemple l’accomplissement de travaux communautaires ou encore l’ordonnance de paiement d’un montant quelconque à une victime.
  2.            De plus, l’appelant conteste avoir reconnu en première instance un besoin d’encadrement. À l’évidence, cette détermination de la juge ne prend pas appui dans la preuve ni dans les observations de l’appelant.
  3.            Il est toutefois exact de dire qu’il a plaidé pour un suivi probatoire, car il proposait d’accomplir 200 heures de travaux communautaires et de verser 1 000 $ à la victime pour notamment satisfaire au volet exemplaire de la peine (paragr. 730(1) et 731(2) C.cr.).
  4.            Pour sa part, le poursuivant n’avait d’autre choix, lui aussi, de proposer un suivi probatoire vu la mesure recherchée en première instance (al. 731(1)a) C.cr.).
  5.            De plus, ce n’est pas parce qu’un contrevenant consent à l’avance à s’investir dans un programme à être identifié par le service de probation qu’il faille tirer l’inférence de son inhabilité à évoluer au sein de sa communauté sans l’aide d’un encadrement formel. Une démarche visant à rassurer le système de justice et à appuyer l’idée de s’amender ne signifie pas pour autant qu’un contrevenant a perdu confiance en sa capacité de s’intégrer harmonieusement dans la société.
  6.            Bref, la question du besoin d’encadrement résulte d’une mauvaise application du droit. En conséquence, cette conclusion de la juge ne pouvait pas participer à l’appréciation du risque de récidive.

***

  1.            Je note que la juge a reconnu l’intérêt de l’appelant à l’obtention d’une absolution sous conditions. Cette conclusion permet d’inférer que sa situation n’incite pas à une plus grande dissuasion spécifique, un objectif pénologique normalement centré sur le risque de récidive[18]. Il me semble pour le moins contradictoire de conclure, d’une part, que l’absolution est dans l’intérêt véritable de l’appelant, mais, d’autre part, que ce dernier présente tout de même un risque de récidive suffisant pour être apprécié au stade de l’analyse de l’intérêt public, une étape où le tribunal doit avant tout considérer le besoin de dissuasion générale.
  2.            En somme, je suis d’avis que le faible risque de récidive représenté par l’appelant doit être rangé parmi les facteurs atténuants et non simplement considéré comme étant un facteur neutre. Cette omission de la juge a eu une incidence certaine sur sa décision de ne pas consentir à l’appelant une absolution sous conditions.

ii)                 Le juste équilibre entre les objectifs de dénonciation et d’exemplarité en matière de violence conjugale et celui de la réinsertion sociale d’un jeune contrevenant primaire

  1.            Le contexte de cette affaire obligeait la juge à considérer les différents principes applicables lorsqu’une infraction relevant de la violence conjugale est commise par un jeune contrevenant primaire.
  2.            Notre Cour n’a cessé de réitérer que les objectifs de dénonciation et d’exemplarité prennent une importance accrue en matière de violence conjugale. Cet enseignement a été rappelé encore tout dernièrement :

[83] Il est par ailleurs opportun de réitérer qu’en matière de violence conjugale, incluant dans le cas d’exconjoints, les objectifs de dénonciation et de dissuasion revêtent une importance accrue, conformément à l’intention exprimée par le législateur.[19]

[Renvois omis]

  1.            Ces considérations notées, il y a également la situation du jeune délinquant primaire qui nécessite d’accorder un poids certain, voire important, au principe de modération[20]. La Cour suprême, dans l’arrêt R. c. Bertrand Marchand, rappelle que « [l]a réinsertion sociale et la dissuasion spécifique sont les objectifs premiers lorsque vient le temps de déterminer les peines à infliger à de jeunes délinquants qui en sont à leur première infraction »[21]. Cette règle s’applique « même en présence d’une infraction violente »[22].
  2.            Plusieurs années avant cet arrêt de la Cour suprême, la Cour d’appel de l’Ontario soulignait dans l’arrêt R. c. Beauchamp que le jeune âge d’un contrevenant primaire commandait d’apporter un poids important à sa réhabilitation :

[379] It is well-established that rehabilitation and specific deterrence are the paramount considerations on the sentencing of a youthful first offender; undue weight should not be placed on general deterrence.[23]

[Soulignement ajouté; renvois omis]

  1.            Ce n’est pas dire que les critères applicables à la détermination de la peine en matière de violence conjugale sont inconciliables avec ceux applicables à celle d’un jeune contrevenant primaire au point d’exclure les facteurs pertinents liés à la seconde situation pour ne retenir que ceux concernés par la première. En cette matière, tout est une question de pondération et non d’opposition.
  2.            Ma collègue la juge Bich exprime avec clarté l’exercice de pondération applicable à la situation du jeune contrevenant primaire visé par une accusation dont la nature oblige d’apporter une attention particulière à la dénonciation et à la dissuasion :

[51] Bref, il incombe au tribunal d’accorder une attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion, ce qui affecte donc forcément l’exercice de pondération auquel il doit se livrer aux fins de déterminer la peine, y compris dans les cas où, en raison de la jeunesse d’un délinquant primaire, il doit également donner un poids certain, c’est-à-dire important, aux facteurs de réhabilitation et de dissuasion spécifique.[24]

 [Soulignements ajoutés; renvoi omis; italique dans l’original]

  1.            Si on applique ces enseignements à la situation de l’espèce, soit celle d’un jeune contrevenant primaire accusé de mauvais traitement à l’égard d’une partenaire intime, l’exercice de pondération auquel la juge devait se livrer consistait à porter « une attention particulière » aux objectifs d’exemplarité et de dissuasion générale tout en accordant « un poids important » aux facteurs de réhabilitation et de dissuasion spécifique.
  2.            Au regard de ce qui précède, les passages suivants du jugement sur la peine s’éloignent de ces critères au point de constituer une erreur de principe :

[122]  Dans les cas de violence conjugale, l’absolution ne sera donc imposée que dans les cas exceptionnels où il serait indiqué, par exemple, de mettre de côté les principes de dénonciation et de dissuasion qui doivent prédominer dans ce genre de dossier.

[…]

[125] Le Tribunal tire cette conclusion malgré le fait que la réinsertion sociale et la dissuasion spécifique soient les premiers objectifs lorsque vient le temps de déterminer les peines à infliger à de jeunes délinquants qui en sont à leur première infraction. Car en matière de violence conjugale, notre Cour d’appel nous enseigne que l’objectif de la réinsertion sociale ne devrait pas avoir préséance sur les objectifs de dissuasion et de dénonciation.

[Soulignements ajoutés; renvois omis]

  1.            Tout d’abord, la jurisprudence de notre Cour ne soutient pas l’idée selon laquelle, en matière de violence conjugale, seuls « les cas exceptionnels » pourront bénéficier d’une absolution sous conditions. Bien que les objectifs de dénonciation et de dissuasion prennent dans ce contexte une importance particulière et que l’absolution soit octroyée avec parcimonie, chaque cas doit être évalué à son mérite[25]. En l’espèce, la restriction invoquée par la juge est susceptible de heurter les enseignements de la Cour suprême concernant la réinsertion sociale du jeune contrevenant qui en est à sa première infraction[26].
  2.            Ensuite, la juge oppose le contexte de violence conjugale à l’âge du contrevenant pour prioriser la première situation. Cette façon de faire a conduit à un déséquilibre entre le poids à accorder à un geste isolé posé en matière de violence conjugale et les chances élevées de réhabilitation de l’appelant.
  3.            En ne considérant pas à leur juste valeur les facteurs que sont la réhabilitation et la dissuasion, la juge commet une erreur similaire à celle relevée dans l’arrêt M.P. c. R. :

[16] Enfin, le juge estime que l'octroi d'une absolution, conditionnelle ou inconditionnelle, ne pourra se faire sans nuire à l'intérêt public. Il s'appuie sur les dispositions du Code criminel prévoyant que la peine imposée pour mauvais traitement à un enfant par une personne en autorité doit privilégier les objectifs de dénonciation et de dissuasion.

[17] […] L'imposition d'une peine pour une infraction de cette nature commande au juge d'accorder une « attention particulière » à ces objectifs, mais il ne peut pour autant négliger de prendre en compte les autres objectifs de détermination de la peine. En insistant déraisonnablement sur les facteurs de dénonciation et de dissuasion, et en occultant les efforts considérables consentis par l'appelant pour se réhabiliter aux yeux de la société, le juge commet une erreur de principe justifiant l'intervention de la Cour.[27]

[Soulignements ajoutés; renvois omis]

  1.            De plus, l’approche retenue par la juge a eu pour effet d’occulter la conséquence d’une condamnation sur le statut de l’appelant au Canada à titre de circonstance particulière (et non « exceptionnelle ») pouvant donner ouverture à une absolution sous conditions.
  2.            En résumé, je suis d’avis que la juge a commis une erreur de principe au moment de conclure qu’en matière de violence conjugale « l’objectif de la réinsertion sociale ne devrait pas avoir préséance sur les objectifs de dissuasion et de dénonciation »[28].

iii)               L’intérêt public et le besoin d’exemplarité

  1.            Bien que la juge liste les éléments à considérer dans l’analyse de l’intérêt public[29], il semble qu’elle les évalue à l’aune du facteur de la confiance du public envers le système judiciaire. En effet, les constats qu’elle dresse à partir des facteurs pertinents ressortent de ces passages du jugement sur la peine :

[109] Ce critère doit s’apprécier en tenant compte de ce que pourrait penser une personne raisonnable et renseignée, advenant l’imposition d’une telle mesure.

[110] Ainsi, y a-t-il un risque que le justiciable perde confiance dans le système judiciaire si tel était le cas?

[111]  Le tribunal répond par l’affirmative à cette question.

[Soulignements ajoutés; renvois omis]

  1.            Cette réponse a conduit au rejet de la demande d’absolution :

[124] Le Tribunal conclut en effet que l’absolution ne constitue pas une peine juste et proportionnée en l’espèce. Car absoudre l’accusé irait à l’encontre des objectifs selon lesquels il faut dénoncer le caractère inacceptable et criminel de la violence conjugale et accroître la confiance des victimes et du public dans l’administration de la justice.

[Soulignement ajouté; renvois omis]

  1.            Tout en étant des notions distinctes, la confiance du public dans le système de justice participe avec d’autres facteurs à évaluer l’intérêt public au sens où l’entend le paragraphe 730(1) C.cr.
  2.            L’intérêt public s’apprécie notamment au regard du besoin de dissuasion générale, de la gravité objective et subjective de l’infraction et de son incidence dans la collectivité. Il est aussi bon de préciser que l’octroi de l’absolution n’a pas à être dans l’intérêt public, même s’il ne doit pas lui nuire[30].
  3.            En ce qui a trait au maintien de la confiance du public dans le système judiciaire, ce facteur doit être apprécié au regard de l’opinion d’une personne raisonnable et bien informée sur le fonctionnement du système de justice, du contexte infractionnel et du profil du contrevenant[31].
  4.            Dans le cadre de tout ce processus d’évaluation, le juge de la peine ne doit pas perdre de vue la possibilité, si démontrée, qu’un contrevenant devienne un jour une personne utile à sa communauté[32]. Les auteurs Parent et Desrosiers écrivent « [qu’]il est dans l’intérêt public de ne pas nuire aux efforts déjà entrepris par l’accusé afin d’assurer sa réinsertion sociale »[33].

***

  1.            Le motif principal retenu par la juge pour exclure la possibilité d’une ordonnance d’absolution sous conditions repose sur l’insuffisance de la dénonciation que comporte cette mesure en matière de violence conjugale avec comme conséquence d’affecter la confiance du public dans le système de justice. Ce faisant, la juge commet une erreur similaire à celle relevée par mon collègue le juge Vauclair dans Harbour c. R. :

[97] S’il faut, à l’occasion de l’évaluation de l’intérêt public, être sensible à la réaction de la personne raisonnable et bien renseignée […], cette sensibilité ne peut amener le juge [à] refuser une peine si elle est adéquate.[34]

[Renvois omis]

  1.            Dans R. c. Umakanthan, au soutien de sa décision de confirmer une ordonnance d’absolution prononcée en première instance, la Cour écrit :

[4] […] The conditions that accompany the conditional discharge express a clear concern for denunciation and deterrence in a manner that is consistent with other objectives of sentencing.[35]

[Renvoi omis]

  1.            De plus, l’arrêt de la Cour suprême rendu dans R. c. Bertrand Marchand[36] enseigne qu’une absolution assortie de conditions strictes peut servir les objectifs de dissuasion et de dénonciation dans certaines circonstances[37].
  2.            En somme, surseoir au prononcé de la peine et l’absolution sous conditions sont deux mesures orientées sur la réinsertion sociale du contrevenant. L’imposition de certaines conditions facultatives dans l’ordonnance de probation jointe à ces mesures permet de concilier la clémence associée à ces deux modalités tout en leur conférant un certain aspect punitif.
  3.            Cela dit, je reconnais aisément qu’en matière de dissuasion spécifique, ces deux modalités de peine emportent des conséquences juridiques distinctes sur la personne du contrevenant. Toutefois, sur le plan de la dissuasion générale, une composante importante de l’intérêt public, je doute qu’une absolution assortie des mêmes conditions que celles prévues dans une ordonnance de probation (conditions facultatives) jointe à une ordonnance de surseoir à la peine suscite une grande inquiétude chez l’observateur averti en mesure de comprendre les mécanismes inhérents à chacune de ces modalités.
  4.            L’erreur de la juge aura donc été de mettre en place, au nom de la dissuasion générale, une mesure axée sur la dissuasion spécifique en exposant inutilement l’appelant aux tourments inhérents à un statut précaire alors qu’il est déjà reconnu dans le jugement sur la peine qu’une absolution sous conditions est dans son intérêt.
  5.            De plus, la mesure attaquée en appel ne comporte pas dans les faits un niveau d’exemplarité supérieur à une absolution assortie des mêmes conditions facultatives que celles ordonnées en première instance.

La mesure indiquée

  1.            Les erreurs précédemment identifiées m’autorisent à revoir la peine.
  2.            Tout d’abord, l’accusation de voies de fait causant des lésions montre déjà un important degré de gravité objective, comme le fait voir la peine maximale de 10 ans associée à cette infraction. Au niveau des circonstances extrinsèques à l’infraction, les lésions causées à la victime sont importantes : une mâchoire fracturée et une dent cassée.
  3.            Par ailleurs, outre la preuve d’une perte financière de 454 $, on ne sait à peu près rien sur les répercussions qualifiées par la juge de « sérieuses » subies par la victime, notamment sur l’ampleur de son traumatisme à la suite de cet assaut.
  4.            Je propose maintenant d’identifier les facteurs aggravants et atténuants.
  5.            Comme écrit précédemment, l’ampleur de la violence employée sur la victime et la gravité des lésions constituent un facteur aggravant à être placé dans la balance. De plus, il s’agit d’un mauvais traitement à une partenaire intime, une circonstance aggravante au sens de l’alinéa 718.2a)(ii) C.cr. et du paragraphe 718.201 C.cr. à laquelle j’apporte une attention toute particulière.
  6.            Je range parmi les facteurs atténuants le plaidoyer de culpabilité de l’appelant et sa pleine reconnaissance des faits incriminants. Il est vrai qu’il ne s’agit pas ici d’un plaidoyer de culpabilité déposé à la première occasion, mais je note que le poursuivant s’est lui-même accordé un délai de huit mois pour modifier son acte d’accusation.
  7.            Les remords de l’appelant font aussi partie des facteurs atténuants ainsi décrits par la juge :

[39] L’accusé regrette ses agissements et démontre de l’empathie pour la victime. Il est également conscient des conséquences qu’elle a subies, tant au niveau psychologique que physique.

[Renvois omis]

  1.            L’appelant était âgé de 19 ans au moment de l’infraction et il en a maintenant 25. À l’exception de son geste répréhensible, son parcours de vie est sans tache. Son jeune âge au moment des événements, son absence d’antécédents judiciaires tout comme son absence de prédisposition à la criminalité constituent d’autres facteurs atténuants auxquels j’accorde un poids important.
  2.            La dissuasion spécifique de l’appelant est acquise. Le dossier fait voir que l’expérience judiciaire vécue à ce jour lui a occasionné un important stress[38]. L’agent de probation note également que les premiers contacts de l’appelant avec le système judiciaire auront un effet dissuasif significatif sur son comportement futur[39].
  3.            Les démarches thérapeutiques de l’appelant doivent également être considérées comme étant un facteur atténuant, car elles démontrent sa volonté de s’amender. Il s’est d’abord inscrit au service d’aide thérapeutique de la ressource PROGAM. Il a participé à quatre rencontres d’évaluation, à trois rencontres thérapeutiques individuelles et à une rencontre de groupe. Il s’est ensuite inscrit au programme de gestion de la colère offert par l’organisme COPATLA et il a complété avec succès les 15 séances du programme.
  4.            De plus, en date du 26 novembre 2021, l’appelant avait complété 57 heures de bénévolat au sein de la banque alimentaire du même organisme.
  5.            Je considère aussi que le faible risque de récidive doit être rangé parmi les facteurs atténuants importants. Le rapport présentenciel suggère cette conclusion alors qu’il y est mentionné que le programme de gestion de la colère a fourni à l’appelant des outils efficaces pour prévenir les comportements violents et résoudre les conflits[40].
  6.       De plus, l’inexistence d’une dépendance quelconque chez l’appelant, le soutien familial dont il bénéficie et son engagement dans la communauté sont autant d’éléments positifs qui appuient l’idée d’un risque de récidive qualifié de faible.
  7.       Tout ce qui précède confirme aussi le haut niveau d’avancement de l’appelant dans son processus de réinsertion sociale marqué par un parcours exemplaire depuis son arrestation en 2018.
  8.       La question à laquelle je dois maintenant répondre est celle de l’admissibilité de l’appelant à une absolution sous conditions. Or, cette mesure n’est ni une sentence routinière ni une sentence d’exception[41]. Si elle doit être accordée avec modération et non de façon systématique, elle peut être ordonnée dès lors que ses conditions d’ouverture sont réunies[42], « le seul test étant l'équilibre entre les intérêts de la société et ceux de l'accusé »[43].
  9.       En appel, le poursuivant ne revient pas sur la conclusion de la juge selon laquelle l’appelant à un intérêt véritable dans la mesure recherchée. Ce dernier risque d’être interdit de territoire pour raison de « grande criminalité ». Il ne m’est pas nécessaire de jauger l’ampleur de ce risque si ce n’est de dire que toute condamnation exposera l’appelant à différentes tracasseries administratives en raison de son statut actuel au Canada avec comme conséquence de générer inutilement de l’anxiété pour lui et ses proches.
  10.       De plus, la bonne moralité de l’appelant qui n’est pas remise en cause en appel et son absence d’antécédents judiciaires sont autant de facteurs qui militent pour la clémence[44].
  11.       Cela dit, et si, comme la juge l’a décidé, une probation comportant des conditions de nature corrective et punitive s’avère suffisamment exemplaire au regard de la situation de l’appelant, je demeure convaincu que le même niveau d’exemplarité peut être atteint par l’imposition des mêmes conditions, mais cette fois jointes à une absolution. Pour conclure ainsi, je m’appuie notamment sur ce passage de l’arrêt R. c. Bertrand Marchand :

[133] En l’espèce, une absolution conditionnelle assortie de conditions strictes de probation servirait les objectifs de dissuasion et de dénonciation. En revanche, une peine de placement sous garde serait disproportionnée et ne rendrait pas compte du degré réduit de responsabilité d’un jeune délinquant qui en est à sa première infraction, lequel bénéficierait surtout d’une rééducation, et non d’une sanction excessive. Par conséquent, j’ordonnerais à l’égard de ce délinquant représentatif une absolution conditionnelle avec mise en probation de six mois[45].

[Soulignement ajouté]

  1.       De plus, et comme l’explique mon collègue le juge Vauclair dans l’arrêt Harbour c. R., l’absolution sous conditions comporte un mécanisme « par lequel le juge peut annuler l’absolution et infliger au contrevenant une peine pour l’infraction originale en plus de toute autre peine »[46]. Traitant de ce mécanisme, la doctrine souligne que « l’imposition d’une absolution conditionnelle comporte un aspect dissuasif qui est souvent sous-estimé »[47].
  2.       En ce qui a trait à l’attention particulière que je dois apporter au fait que l’infraction implique un mauvais traitement à une partenaire intime, j’estime que, si de l’avis du poursuivant et de la juge, les conditions imposées en première instance au moment de surseoir au prononcé de la peine permettent de satisfaire à ce facteur, les mêmes conditions facultatives, reprises cette fois au soutien d’une absolution sous conditions, devraient être en mesure d’atteindre cet objectif.
  3.       Finalement, il me semble que surseoir au prononcé de la peine plutôt que d’absoudre l’appelant sous conditions est susceptible de mettre à mal l’objectif important de réhabilitation rattaché à son jeune âge. Comme le souligne la Cour supérieure dans le jugement Camps c. R., « [p]lusieurs années peuvent s’écouler avant que l’appelant ne connaisse l’issue finale de son destin migratoire advenant le maintien de la peine infligée »[48]. Cette incertitude n’est certes pas favorable à la réhabilitation.
  4.       En somme, je suis d’avis que la personne raisonnable et bien informée de ce qui précède, au courant de tous les tenants et aboutissants de l’infraction en cause, consciente du profil favorable de l’appelant et de son haut niveau de réhabilitation tout en sachant que l’absolution sous conditions peut être annulée en cas de manquement de sa part, ne pourrait faire autrement que demeurer confiante dans notre système de justice.

***

  1.       Pour toutes ces raisons, je propose d’accueillir l’appel, d’infirmer la décision de surseoir au prononcé de la peine pour plutôt prescrire par ordonnance une absolution comportant les mêmes conditions et pour la même durée que celles mentionnées dans la probation ordonnée en première instance[49], le tout devant rétroagir au 16 novembre 2023, date du jugement sur la peine[50] et, finalement, de maintenir les autres conclusions du dispositif du jugement sur la peine (art. 109(1)a.1)i) et 487.051(1) C.cr.), si encore applicables.

 

 

 

 

GUY GAGNON, J.C.A.

 


[1]  R. c. Ivanov, 2023 QCCQ 9251 [Jugement sur la peine].

[2]  L’accusation initiale en était une de voies de fait graves (art. 268 C.cr.).

[3]  Jugement sur la peine, paragr. 75.

[4]  Id., paragr. 99-103.

[5]  Id., paragr. 116.

[6]  Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

[7] Le poursuivant demandait plutôt que l’appelant réalise 160 heures de travaux communautaires.

[8]  Centre d’orientation et de prévention de l’alcoolisme et de la toxicomanie latinoaméricain.

[9]  R. c. Friesen, 2020 CSC 9, paragr. 26; R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, paragr. 44 et 52.

[10]  R. c. Gagnon, 2024 QCCA 343, paragr. 37.

[11]  Jugement sur la peine, paragr. 57, 58, 71 et 116.

[12]  Id., paragr. 59 et 115.

[13]  Rapport présentenciel préparé par Danny Tétreault, criminologue, 6 mars 2023.

[14]  Id., p. 6, 1er paragraphe.

[15]  Id., p. 5, dernier paragraphe.

[16]  Id., p. 67.

[17]  R. c. Zawahra, 2016 QCCA 871, paragr. 24.

[18]  Hugues Parent et Julie Desrosiers, Traité de droit criminel, t. 3 « La peine », 4e éd., Montréal, Thémis, 2024, p. 32 et 35.

[19]  Migneault c. R., 2024 QCCA 55, paragr. 83. Voir aussi R. c. Gagnon, supra, note 10, paragr. 49.

[20]  Bérubé-Gagnon c. R., 2020 QCCA 1382, paragr. 22, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 29 avril 2021, no 39503.

[21]  R. c. Bertrand Marchand, 2023 CSC 26, paragr. 132. Voir aussi : R. c. Hills, 2023 CSC 2, paragr. 161, Marien Frenette c. R., 2024 QCCA 207, paragr. 38; Bérubé-Gagnon c. R., supra, note 20 et R. c. Brisson, 2014 QCCA 1655, paragr. 41-43.

[22]  Bérubé-Gagnon c. R., supra, note 20, paragr. 22. Voir aussi : R. v. Brown, 2015 ONCA 361, paragr. 7.

[23] R. c. Beauchamp, 2015 ONCA 260, paragr. 379.

[24]  Courchesne c. R., 2024 QCCA 960, paragr. 51; R. c. Bertrand Marchand, supra, note 21, paragr. 132.

[25]  R. c. Laurendeau, 2007 QCCA 1593, paragr.18 et 20; V.L. c. R., 2023 QCCA 449, paragr. 59-60, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 15 février 2024, no 40767; R. c. Déry Bédard, 2024 QCCA 446, paragr. 15 et 18. (Dans cette dernière décision, la Cour confirme la peine d’absolution conditionnelle octroyée pour un chef de voies de fait par étranglement commis à l’égard d’une exconjointe). Voir aussi : Harbour c. R., 2017 QCCA 204, paragr. 91 et 9496 et Hugues Parent et Julie Desrosiers, supra, note 18, p. 370371.

[26]  R. c. Bertrand Marchand, supra, note 21.

[27]  M.P. c. R., 2020 QCCA 892, paragr. 1617.

[28]  Jugement sur la peine, paragr. 125.

[29]  Id., paragr. 107 : gravité de la conduite et incidence dans la collectivité, besoin de dissuasion générale et importance de maintenir la confiance du public dans l’administration de la justice.

[30]  Corbeil-Richard c. R., 2009 QCCA 1201, paragr. 36.

[31]  Di-Paola c. R., 2023 QCCA 651, paragr. 50, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 23 mai 2024, no 40777; R. c. Houle, 2023 QCCA 99, paragr. 54; Rozon c. R., [1999] R.J.Q. 805, 1999 CanLII 11146 (QC CS), paragr. 69; R. c. Lemieux, 2011 QCCQ 4961, citée par Sadak c. R., 2021 QCCA 1938, paragr. 29. Voir aussi : Hugues Parent et Julie Desrosiers, supra, note 18, p. 373374.

[32]  Rozon c. R., supra, note 31, paragr. 42.

[33]  Hugues Parent et Julie Desrosiers, supra, note 18, p. 368.

[34]  Harbour c. R., supra, note 25, paragr. 97.

[35]  R. c. Umakanthan, 2017 QCCA 801, paragr. 4.

[36]  Supra, note 21.

[37]  Voir aussi R. v. Dennis, 2013 BCCA 153, paragr. 29-30 et R. v. Chowdhury, 2019 ABCA 205, paragr. 2122.

[38]  Jugement sur la peine, paragr. 54.

[39]  Rapport présentenciel, supra, note 13, p. 7.

[40]  Rapport présentenciel, supra, note 13, p. 6.

[41]  R. c. Houle, supra, note 31, paragr. 47; Harbour c. R., supra, note 25, paragr. 91; Hugues Parent et Julie Desrosiers, supra, note 18, p. 339 et 342.

[42]  Sadak c. R., supra, note 31, paragr. 28.

[43]  Pierre Béliveau et Martin Vauclair, Traité général de preuve et de procédure pénales, 15e éd., Montréal, Thémis, 2008, paragr. 2177, p. 849, cité par CorbeilRichard c. R., supra, note 30, paragr. 54. Voir aussi : R. c. Houle, supra, note 31, paragr. 47.

[44]  Hugues Parent et Julie Desrosiers, supra, note 18, p. 343 et 347.

[45]  R. c. Bertrand Marchand, supra, note 21, paragr. 133.

[46]  Harbour c. R., supra, note 25, paragr. 89.

[47]  Hugues Parent et Julie Desrosiers, supra, note 18, p. 382.

[48]  Camps c. R., 2018 QCCS 5453, paragr. 17.

[49]  1) ne pas troubler l’ordre public et avoir une bonne conduite; 2) répondre aux convocations du Tribunal; 3) prévenir le Tribunal (ou l’agent de probation) de ses changements d’adresse ou de nom et l’aviser rapidement de ses changements d’emploi ou d’occupation; 4) se présenter à un agent de probation dans un délai de 72 heures de la présente ordonnance et, par la suite, selon les modalités de temps et de forme fixées par l’agent, le tout pour une période de 18 mois; 5) suivre toutes les recommandations de l’agent de probation concernant tout traitement ou thérapie qu’il jugera approprié(e) relativement à une problématique de gestion de la colère et/ou de ses émotions; 6) effectuer 140 heures de travaux communautaires dans un délai de 16 mois à compter de la présente ordonnance; 7) respecter les modalités d’exécution des travaux communautaires que l’agent de probation lui imposera et lui fournir la preuve écrite de l’exécution des travaux; 8) ne pas communiquer ou tenter de communiquer directement ou indirectement, de quelque façon que ce soit, avec Iulia Fomenco; 9) ne pas se trouver en présence physique de Iulia Fomenco; 10) ne pas se trouver dans un rayon de 300 mètres de toute résidence, tout lieu de travail et tout lieu d’étude de Iulia Fomenco; 11) interdiction de posséder des armes ou imitations d’armes; 12) verser la somme de 1 000 $ à Iulia Fomenco via le greffe de la Cour du Québec, et ce, dans un délai de 12 mois à compter de la présente ordonnance rétroactive au 16 novembre 2023.

[50]  On notera que le jugement sur la peine n’a pas été suspendu en appel. Durant les procédures d’appel, l’appelant devait donc continuer à respecter chacune des conditions énumérées dans la probation ordonnée le 16 novembre 2023, y compris ses obligations d’effectuer 140 heures de travaux communautaires et de verser 1 000 $ à la victime.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.