Autorité des marchés publics c. Valosphère Environnement inc. | 2025 QCCA 198 | |||||
COUR D’APPEL | ||||||
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CANADA | ||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||||
SIÈGE DE
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N° : | ||||||
(200-17-036981-249) | ||||||
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DATE : | 20 février 2025 | |||||
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AUTORITÉ DES MARCHÉS PUBLICS | ||||||
REQUÉRANTE – défenderesse | ||||||
c. | ||||||
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VALOSPHÈRE ENVIRONNEMENT INC. | ||||||
INTIMÉE – demanderesse | ||||||
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Contexte
« A. VALOSPHÈRE prétend que Louis-Pierre Lafortune est un consultant pour l’entreprise alors que les interventions de ce dernier démontrent qu’il est plutôt un dirigeant ou une personne ayant directement ou indirectement, le contrôle juridique ou de facto de VALOSPHÈRE;
B. Louis-Pierre Lafortune entretient des liens avec le crime organisé et des personnes gravitant avec le crime organisé;
C. VALOSPHÈRE a un comportement répréhensible à l’égard des règles encadrant son domaine d’activité plus particulièrement celles prévues en matière environnementale. ».[6]
[Italiques dans l’original]
21.27 L’Autorité refuse à une entreprise de lui accorder ou de lui renouveler une autorisation lorsqu’elle est d’avis que cette entreprise ne satisfait pas aux exigences d’intégrité. Afin de vérifier si une entreprise satisfait aux exigences d’intégrité, l’Autorité dispose des pouvoirs prévus à la section V. | 21.27 The Authority refuses to grant or to renew an enterprise’s authorization if of the opinion that the enterprise fails to meet the standards of integrity. In order to verify whether an enterprise meets the standards of integrity, the Authority has the powers set out in Division V. |
103. En raison de la fin du lien d’emploi de Lafortune annoncé par VALOSPHÈRE, l’AMP ne considère plus justifié de retenir à titre de motif le fait que Lafortune entretient ou a entretenu des relations d’affaires avec des personnes ayant des liens de près ou de loin avec une organisation criminelle, et ce, avec l’aval de VALOSPHÈRE.
104. Néanmoins, l’AMP note que le fait de ne pas déclarer le vrai rôle de Lafortune auprès de l’AMP permettait en quelque sorte à VALOSPHÈRE de soustraire Lafortune de l’examen d’intégrité de l’entreprise, d’autant plus que ce dernier entretient ou a entretenu des liens avec des personnes ayant des liens de près ou de loin avec une organisation criminelle de l’avis de l’AMP, ce qui est préoccupant. […].[8]
Quant au motif C, l’AMF ne le retient pas non plus, « considérant les contestations ayant cours et considérant que les éléments discutés dans la présente décision suffisent à démontrer un manque d’intégrité de VALOSPHÈRE »[9].
CONSIDÉRANT les articles 21.38 et 21.48.4 de la LCOP;
CONSIDÉRANT qu’aucune mesure correctrice ne saurait pallier les problématiques soulevées dans la présente décision;
CONSIDÉRANT que VALOSPHÈRE ne satisfait pas aux exigences d’intégrité requises conformément à l’article 21.27 de la LCOP;
CONSIDÉRANT l’ensemble des faits et observations présentés au dossier de VALOSPHÈRE;
POUR CES MOTIFS, l’AMP :
CONCLUT que VALOSPHÈRE ne satisfait pas aux exigences d’intégrité requises en vertu de la LCOP;
RÉVOQUE l’autorisation de contracter ou de sous-contracter avec un organisme public délivrée à VALOSPHÈRE le 31 mars 2017;
INFORME VALOSPHÈRE que, considérant cette révocation, celle-ci sera inscrite au Registre des entreprises non admissibles aux contrats publics.
[Caractères gras dans l’original]
Demande d’annulation
76. Sauf sur une question de compétence, aucun pourvoi en contrôle judiciaire prévu au Code de procédure civile (chapitre C-25.01) ne peut être exercé ni aucune injonction accordée contre l’Autorité, le président-directeur général, un vice‑président, un membre du personnel de l’Autorité ou un mandataire visé à l’article 27 dans l’exercice de ses fonctions. 77. Un juge de la Cour d’appel peut, sur demande, annuler sommairement toute procédure entreprise, toute décision rendue et toute ordonnance ou injonction prononcée à l’encontre des articles 75 et 76. | 76. Except on a question of jurisdiction, no application for judicial review under the Code of Civil Procedure (chapter C-25.01) may be presented or injunction granted against the Authority, the president and chief executive officer or a vice-president of the Authority, a member of the Authority’s staff or a mandatary referred to in section 27 in the exercise of its or his or her functions. 77. A judge of the Court of Appeal may, on an application, summarily annul any proceeding instituted, decision rendered or order or injunction made or granted contrary to sections 75 and 76. |
[14] Le pouvoir exceptionnel d’annuler sommairement une décision doit être exercé avec prudence étant donné, notamment, que le juge d’appel siège seul et non, comme à l’habitude, en formation5. Ainsi, comme l’a noté le juge Kasirer, alors à la Cour d’appel du Québec, le pouvoir d’annuler une décision ne devrait être exercé que dans les situations où il est clair que l’intervention du juge de première instance ne peut être justifiée dans le contexte de la clause privative :
[28] I recognize that I must, therefore, proceed with caution and that I should only annul the stay if this is a plain case in which the power of judicial review has been deployed contrary to legislative intent expressed in the privative clause6.
[15] Cela dit, les juges sont moins hésitants à utiliser le pouvoir d’annulation lorsque le jugement en cause n’a pas été rendu sur le fond après un examen complet de la preuve7. En effet, il existe plusieurs exemples où les juges de la Cour ont annulé des jugements ordonnant des sursis comme celui qui a été prononcé en l’espèce8.
[16] Enfin, il est important de noter que la prudence dont doit faire preuve le juge saisi d’une demande en annulation ne doit pas être confondue avec la déférence. Une déférence excessive à l’égard du jugement de première instance peut avoir pour conséquence de compromettre la protection que la clause de renfort a pour objet d’apporter9.[11]
__________________
5 Commission des transports du Québec c. Khallouki,
6 Régie de l’assurance maladie du Québec c. Pharmaprix inc.,
7 Régie de l’assurance maladie du Québec c. Pharmaprix inc., supra, note 6, paragr. 30; Commission des transports du Québec c. Khallouki, supra, note 5, paragr. 24; Fédération des producteurs de bovins du Québec c. Ferme John Houley & Fils ltée,
8 Régie de l’assurance maladie du Québec c. Pharmaprix inc., supra, note 6; Commission municipale du Québec c. Legault, supra, note 4.
9 Régie de l’assurance maladie du Québec c. Pharmaprix inc., supra, note 6, paragr. 31.
[52] Étant donné l’approche actuelle, les clauses privatives ne jouent aucun rôle dans la détermination de la norme de contrôle applicable. Elles ne font qu’éclairer l’analyse du caractère raisonnable et font partie du contexte qui viendra restreindre ce qui sera raisonnable de la part d’un décideur dans une situation donnée. La Cour [dans Vavilov] n’est pas allée plus loin en ce qui concerne l’effet des clauses privatives.[21]
[27] Considérant qu’à première vue il y a lieu de permettre à Valosphère de faire valoir ses arguments détaillés quant aux motifs qu’elle invoque pour justifier son pourvoi, et ce, sans présumer d’aucune façon de leur validité.[25]
Il faut démontrer qu’en tenant compte du dossier tel que constitué en première instance, on ne saurait à sa face même retrouver un motif apparemment sérieux et défendable d’absence de compétence et qu’en somme la demande de révision judiciaire apparaît elle-même futile. Ceci impose une appréciation du dossier et non des seuls motifs retenus par le premier juge. Cette nécessité d’une étude sommaire du dossier acquiert une importance particulière dans cette affaire.[27]
[19] Considérant que les motifs invoqués par la demanderesse sont au nombre de six, lesquels sont identifiés comme suit :
A. L’analyse de l’AMP quant à l’application des critères de l’article 21.28 de la LCOP est déraisonnable;
B. L’AMP a erré en droit dans sa définition des notions de « dirigeants » et de « contrôle »;
C. Subsidiairement, la qualification erronée du rôle de Lafortune par Valosphère n’est pas une question d’intégrité, mais une simple erreur de droit;
D. De façon subsidiaire, l’AMP a fait défaut de considérer l’imposition de mesures correctrices conformément à l’article 21.48.4 de la LCOP;
E. L’AMP n’a pas respecté ses obligations en matière d’équité procédurale;
F. L’AMP fait défaut de permettre à Valosphère de présenter de nouvelles observations quant à l’orientation préliminaire et l’absence de mesures correctrices acceptables en application de l’article 21.48.4 de la LCOP.
[Italiques dans l’original]
A. VALOSPHÈRE prétend que Louis-Pierre Lafortune est un consultant pour l’entreprise alors que les interventions de ce dernier démontrent qu’il est plutôt un dirigeant ou une personne ayant directement ou indirectement, le contrôle juridique ou de facto de VALOSPHÈRE.[29]
[Italiques dans l’original]
Demande de permission d’appeler de bene esse
[4] […] Les raisons justifiant cette parcimonie sont connues : un tel jugement est le reflet de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire à l’égard duquel la Cour doit déférence en appel; il est très souvent éphémère dans ses effets; et le juge du fond ne sera pas lié par les déterminations faites lors de ce jugement rendu en cours d’instance sur la base d’un dossier forcément incomplet : voir, généralement, PCM Sales Canada Inc. c. Botero-Rojas,
[19] Cela dit, je suis d’avis que le meilleur intérêt de la justice et le respect du principe de proportionnalité commandent plutôt que les parties consacrent leurs énergies à rapidement mettre le dossier du pourvoi en contrôle judiciaire en état et à procéder avec diligence.[43]
POUR CES MOTIFS, LA SOUSSIGNÉE :
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| SUZANNE GAGNÉ, J.C.A. | |
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Me Annie Parent Me Hubert Nunes | ||
CONTENTIEUX DE L’AUTORITÉ DES MARCHÉS PUBLICS | ||
Pour la requérante | ||
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Me Marc James Tacheji Me Maxime-Arnaud Keable | ||
FASKEN MARTINEAU | ||
Pour l’intimée | ||
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Date d’audience : | 4 février 2025 | |
[1] Loi sur l’Autorité des marchés publics, RLRQ, c. A-33.2.1 [L.A.m.p.].
[2] Valosphère Environnement inc. c. Autorité des marchés publics,
[3] Décision no 2024-DI-2665, Décision de révocation de l’autorisation de contracter ou de sous-contracter avec un organisme public délivrée à Valosphère Environnement inc., 12 décembre 2024 [Décision de l’AMP].
[4] Loi sur les contrats des organismes publics, RLRQ, c. C-65.1 [L.c.o.p.].
[5] Art.
[6] Décision de l’AMP, par. 8.
[7] L’art. 21.28 L.c.o.p. énumère 15 éléments que l’AMP peut notamment considérer dans l’examen de l’intégrité d’une entreprise.
[8] Décision de l’AMP, par. 103-104.
[9] Id., par. 60.
[10] Régie des permis d’alcool du Québec c. Hôtel motel cabaret Pont Frontenac (1980) Inc., 1985 CanLII 1911, p. 3 (LeBel, alors j.c.a.).
[11] Héma-Québec c. Syndicat des techniciens(nes) de laboratoire de Héma-Québec – CSN,
[12] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov,
[13] Id., par. 47-48.
[14] Id., par. 49.
[15] Id., par. 65.
[16] Id., par. 66, citant le juge Gascon dans l’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général),
[17] Id., par. 67.
[18] Ibid.
[19] Id., par. 89.
[20] Ibid. Sur l’effet des clauses privatives, voir notamment : Canada (Procureur général) c. Best Buy Canada Ltd.,
[21] Démocratie en surveillance c. Canada (Procureur général),
[22] Dans Yatar c. TD Assurance Meloche Monnex,
[23] RJR — MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général),
[24] Société canadienne pour la prévention de la cruauté envers les animaux c. Ville de Longueuil,
[25] Jugement de première instance, par. 27.
[26] Plan de l’intimée Valosphère Environnement inc. au soutien de la contestation de l’annulation sommaire et de la demande de bene esse pour permission d’appeler, 30 janvier 2025, par. 2.
[27] Régie des permis d’alcool du Québec c. Hôtel motel cabaret Pont Frontenac (1980) Inc., supra, note 10, p. 7. Dans ce dossier, la partie appelante a présenté sa requête en cassation après s’être déjà pourvue en appel. Le juge LeBel estime que rien n’interdit la superposition des deux recours.
[28] RJR — MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), supra, note 23, p. 337-338.
[29] Décision de l’AMP, par. 8.
[30] Ibid.
[31] Id., par. 104.
[32] Pourvoi en contrôle judiciaire et demande de sursis d’une décision rendue par un organisme public, par. 135.
[33] Art. 27.10 L.c.o.p. :
27.10. Une entreprise qui omet d’effectuer la mise à jour annuelle des documents et des renseignements prévue à l’article 21.40 ou qui omet d’aviser l’Autorité, conformément à cet article, de toute modification relative aux renseignements déjà transmis pour l’obtention d’une autorisation commet une infraction et est passible d’une amende de 2 500 $ à 13 000 $ dans le cas d’une personne physique et de 7 500 $ à 40 000 $ dans les autres cas. | 27.10. An enterprise that fails to carry out the annual update of documents and information referred to in section 21.40 or that fails to notify the Authority, in accordance with that section, of any change to any information previously provided for the purpose of obtaining an authorization is guilty of an offence and liable to a fine of $2,500 to $13,000 in the case of a natural person and $7,500 to $40,000 in any other case. |
[34] Décision de l’AMP, par. 101.
[35] Id., par. 104.
[36] MSI Spergel inc. (Neptune Security Services Inc.) c. Autorité des marchés publics,
[37] Jugement de première instance, par. 34.
[38] RJR — MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), supra, note 23, p. 348.
[39] Jugement de première instance, par. 31.
[40] Id., par. 34.
[41] Alliance internationale des employés de scène, de théâtre, techniciens de l'image, artistes et métiers connexes des États-Unis, ses territoires et du Canada, FAT-COI, FTQ, AIEST/IATSE, section locale 262 c. Cineplex Divertissement (Cinéma Ste-Foy),
[42] 9222-9863 Québec inc. c. Société immobilière Lyndalex inc.,
[43] Procureure générale du Québec c. Entreprises JRMorin inc.,
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