Ville de Laval c. Hudon Verreault | 2023 QCCM 45 | |||||
COUR MUNICIPALE (Chambre criminelle et pénale) | ||||||
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CANADA | ||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||||
DISTRICT DE | LAVAL | |||||
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No : | 18-004982 (0310854821) 18-004983 (0310854849) 18-004742 (0310854554) 18-004980 (0310854563) 18-004981 (0310854830) | |||||
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DATE : | 9 juin 2023 | |||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | CHANTAL PARÉ, j.c.m. | ||||
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VILLE DE LAVAL | ||||||
Poursuivante | ||||||
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c.
HUDON VERREAULT, Catherine MASSAGE EXOTICA (Éric Bergeron) NAULT, Cinthia RENAUD, Tiffany YOTH, Saloeube | ||||||
Parties défenderesses | ||||||
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JUGEMENT | ||||||
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[1] Il est reproché à la partie défenderesse, Massage EXOTICA (Éric Bergeron), ci‑après appelée Massage EXOTICA, en date du 25 avril 2018, à titre d’exploitant d’un salon de massage, de ne pas avoir détenu un permis délivré par le directeur du Service d’urbanisme aux conditions et formalités établies par le règlement L-8433[1], commettant ainsi l’infraction prévue à l’article 2 dudit règlement.
[2] Aux défenderesses Hudon Verreault, Nault, Renaud et Yoth, il est reproché, à titre de masseuses, de ne pas avoir exhibé sur demande leur permis délivré par le directeur du Service d’urbanisme, commettant ainsi l’infraction prévue à l’article 5.1 du règlement L‑8433[2], en date du 25 avril 2018.
[3] Constats, rapports et rapports d’infraction généraux sont déposés (P-1, P-2, P-3, P‑4 et P‑5), sous P-2a, le registre des entreprises concernant la personne morale. Monsieur Alexandre Gagnon, du Service de l’urbanisme, et l’agente Geneviève Boissonneault témoignent.
[4] Le registre des entreprises (P-2a) établit l’existence de la compagnie Massage EXOTICA en date de l’infraction alléguée. Le secteur d’activité inscrit : « Autres services personnels et domestiques, MASSAGE MASSOTHÉRAPIE ». L’adresse de l’établissement est le 912, rue Michelin, à Laval.
I- Contexte
[5] Le 25 avril 2018, monsieur Alexandre Gagnon, du Service de l’urbanisme, se rend au 912, rue Michelin, à Laval, pour y valider l’usage des lieux.
[6] Au préalable, il effectue des recherches sur Internet quant aux services offerts à ce salon. Accompagné de policiers, il arrive au commerce avec les agents. Sur place, il prend des photographies. Dans une salle, il aperçoit un homme nu et une femme. Il ne possède pas l’autorité pour délivrer des permis.
[7] La même journée, l’agente Geneviève Boissonneault se rend pour une visite en lien avec le respect de la réglementation municipale, au même commerce, Massage EXOTICA, situé au 912, rue Michelin, à Laval. Il est 20 h 20. Elle est vêtue en civil. À l’extérieur, l’enseigne lumineuse indique que l’endroit est ouvert.
[8] Comme préparation préalable à cette inspection, l’agente Boissonneault effectue des recherches sur Internet quant aux services offerts à ce salon : massages érotiques. La publicité parle uniquement de massage, annonce « ses filles » et affiche les prix. Sur un blogue, elle constate des commentaires en lien avec des massages.
[9] Obtenant un accès privilégié aux registres du Service de l’urbanisme relativement aux détenteurs de permis d’exploitant et de détenteurs de permis de massage, elle ne trouve aucun permis pour le commerce Massage EXOTICA, pour l’année 2018, et aucun permis de masseuse n’est rattaché à ce commerce. Elle effectue une vérification aux inscriptions du CRPQ, et collige toutes les informations provenant du Service de police.
[10] Sur place, c’est son collègue Aubut qui se fait ouvrir la porte, s’identifie avec sa plaque (P-1) et donne les motifs de leur présence à la réceptionniste : inspection pour vérification de la réglementation. La réceptionniste, que l’agente Boissonneault reconnaît, indique que toutes les salles sont occupées sauf la 2.
[11] Le témoin Boissonneault se dirige vers la salle 4 d’où elle entend des voix d’homme et de femme. Elle cogne et les voix se taisent. Elle s’identifie comme policière et ordonne d’ouvrir. Personne n’ouvre. Elle cogne plus fort à la porte. Personne n’ouvre. Son collègue Aubut, devant la porte 3, se trouve dans la même situation. L’agent Aubut demande à la réceptionniste les clés pour ouvrir les portes. Elle ne les possède pas.
[12] L’agente Boissonneault frappe plus fort, avec son épaule, afin d’insister pour que les personnes ouvrent, ordonne d’ouvrir et finalement, la porte s’ouvre. Dans la pièce, une femme habillée en sarrau blanc, des sous-vêtements féminins (g-string rose et soutien‑gorge fuchsia) sont déposés sur un banc, et un autre g-string pêche est accroché à une bibliothèque. Un homme se trouve couché, sur le ventre, sur la table de massage, avec une serviette qui lui recouvre les fesses. En contre-interrogatoire, questionnée sur le fait que l’homme aurait pu avoir un sous-vêtement sous la serviette, la policière est catégorique : la serviette est minuscule. S’il avait eu un sous-vêtement, elle l’aurait vu. La salle ne contient aucun autre équipement que la table de massage.
[13] L’agente Boissonneault demande à la masseuse de la salle 4 de lui remettre une pièce d’identité et son permis de masseuse. Il s’agit de Tiffany Renaud, qui mentionne que son permis aurait été incendié au salon Alexcellence.
[14] Dans la salle des employés, l’agente Boissonneault reconnaît deux masseuses, étant déjà intervenue auprès d’elles : Cinthia Nault et Saloeube Yoth (identifiées avec leur permis de conduire). La policière leur demande leur permis de masseuse. Les deux femmes la réfèrent à la réceptionniste, Annie Côté. Cette dernière vérifie dans le cartable et ne trouve pas de permis pour les masseuses Nault et Yoth pour l’année 2018.
[15] Durant l’inspection, la gérante, Hélène Trudel, se présente sur les lieux. L’agente Boissonneault l’avise du problème que représentent les portes verrouillées et l’entrave que peut constituer le fait de ne pas obtempérer aux ordres d’un agent de la paix ainsi que l’infraction réglementaire prévue à l’article 21 du règlement L-8433.
[16] L’agente Boissonneault signifie des constats à mesdames Nault, Renaud et à la gérante pour le constat concernant l’exploitant.
[17] De son côté l’agent Marcel Aubut, après avoir exigé que la porte de la salle 3 lui soit ouverte, après avoir cogné, demandé la clé, et finalement donné un coup de pied bruyant, se retrouve l’intérieur de la pièce. Une femme ouvre, essoufflée. Il voit un client sur une table de massage, qui fait un commentaire à la masseuse, qui est vêtue d’un sarrau blanc. Elle informe le policier Aubut qu’elle n’a pas son permis, et croit qu’il est dans sa voiture. Après vérification, il n’y est pas. L’agent Aubut rédige le constat et lui signifie. Il s’agit de Catherine Hudon Verreault, identifiée à l’aide de son permis de conduire.
[18] L’agent Aubut signifie aussi le constat à madame Yoth.
[19] La défense prétend :
19.1. Que la poursuite n’a pas fait la preuve, hors de tout doute raisonnable, de l’état de masseuse des défenderesses Hudon Verreault, Nault, Renaud et Yoth. La poursuite admet qu’il s’agit d’une preuve circonstancielle;
19.2. Que si le Tribunal conclut que ces dames sont effectivement masseuses, la poursuite n’a pas intenté la procédure sous le bon article. Il aurait fallu les poursuivre sous l’article 2 (ne pas détenir de permis) du règlement et non 5.1 (ne pas l’avoir exhibé).
[20] La défense ne soumet aucune autorité, jurisprudentielle ou doctrinale, au soutien de sa position.
[21] En ce qui concerne la défenderesse Massage EXOTICA, la défense concède qu’elle exploite un commerce prodiguant des services de massage.
II- Analyse
Remarque liminaire
[22] Le poursuivant a un large pouvoir discrétionnaire dans la décision de poursuivre ou non[3], ce qui inclut le choix du mode de poursuite, les chefs d’accusation portés et la présentation de la preuve[4]. S’il y a abus de ce pouvoir, le Tribunal peut le sanctionner[5].
[23] La question fut posée à la défense : plaide-t-elle l’abus, quant au choix de l’infraction pour laquelle les défenderesses sont poursuivies puisqu’elle insiste sur l’incohérence de ladite poursuite sous l’article 5.1 du règlement L-8433? La réponse fut négative. Le Tribunal considère qu’il n’est pas nécessaire d’aborder cet aspect.
Le statut de masseuse, ou non, des défenderesses Hudon Verreault, Nault, Renaud et Yoth
La preuve circonstancielle : le droit
[24] En matière de preuve circonstancielle, c’est la règle de Hodge qui trouve application[6], réévaluée dans Villaroman. Lorsqu’il s’agit d’une telle preuve, il faut que le juge des faits, pour prononcer un verdict de culpabilité, soit convaincu, hors de tout doute raisonnable : « […] que la seule conclusion rationnelle pouvant être tirée de la preuve circonstancielle est que l’accusé est coupable […] »[7].
[25] La Cour suprême précise : « […] qu’une inférence de culpabilité tirée d’éléments de preuve circonstancielle doit être la seule inférence raisonnable qui peut être tirée de ces éléments […] »[8]. Le Tribunal doit : « […] considérer l’éventail des conclusions raisonnables qui peuvent être tirées de cette preuve. S’il existe d’autres conclusions raisonnables que la culpabilité, la preuve du ministère public ne satisfait pas à la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable »[9]. (nos soulignements)
[26] La Cour d’appel, dans Pinard, réaffirmait le principe de la preuve circonstancielle de la façon suivante :
« [32] […] le juge du procès qui a affaire à une preuve entièrement circonstancielle doit être convaincu hors de tout doute raisonnable que la culpabilité de l’accusé en est la seule inférence logique ou rationnelle. »[10]
[27] Le Tribunal se doit de considérer : « “[d’] autre[s] thèse[s] plausible[s]” et d’“autres possibilités raisonnables” qui ne sont pas compatibles avec la culpabilité […] »[11].
[28] Et bien qu’il puisse être nécessaire pour la poursuite de réfuter ces autres possibilités, elle n’a pas à réfuter toutes les hypothèses qui pourraient être compatibles avec l’innocence de l’accusée[12].
[29] Selon Banayos, de la Cour d’appel du Manitoba, le test, pour le juge, est le suivant :
« [23] […] whether he or she was satisfied beyond a reasonable doubt that the guilt of the accused was the only reasonable inference that could be drawn from the evidence. This analysis requires a trial judge to consider other plausible theories that are inconsistent with guilt and to draw the line that separates reasonable doubt from speculation. In drawing the line between reasonable doubt and speculation with respect to the alternative inferences, a trial judge must review the totality of the evidence (direct and circumstantial) adduced at trial, not simply the proven facts […]. »[13] (nos soulignements)
[30] La Cour souligne qu’un accusé n’a pas à présenter de preuve afin de susciter un doute raisonnable, mais : « […] when an accused chooses not to testify or to call evidence, that decision carries the risk of not providing the trial judge with the necessary evidentiary foundation which, if accepted, could have precluded the impugned inferences from being drawn […]. »[14].
[31] Dans Villaroman, la Cour souligne :
« [36] […] Une lacune particulière dans la preuve peut fonder d’autres inférences que la culpabilité. Mais ces inférences doivent être raisonnables compte tenu d’une appréciation logique de la preuve ou de l’absence de preuve, et suivant l’expérience humaine et le bon sens. »[15]
[32] Selon Charemsky[16] des faits pris isolément peuvent ne pas avoir de portée directe sur le litige, mais considérés dans leur ensemble, conduisent l’esprit logique à une conclusion dans un sens donné, sans autre solution logique.
[33] Finalement, la notion du doute raisonnable se fonde sur la raison et le bon sens. Elle a un lien logique avec la preuve ou l’absence de preuve[17] et doit s’apprécier à la lumière de l’effet cumulatif des éléments de preuve à décharge, pris dans leur ensemble, comparés à la preuve à charge, également analysée dans son ensemble[18].
Application aux faits de la cause
[34] Madame Hudon Verreault se trouve dans la salle 3, dont la porte est verrouillée, ne répond pas à l’ordre du policier de l’ouvrir au moment où il l’ordonne, l’agent devant même donner un bruyant coup de pied dans la porte. Lorsque finalement madame Hudon Verreault ouvre ladite porte, elle est essoufflée (la preuve ne révèle pas pourquoi), revêt un vêtement réglementaire de masseur, un sarrau blanc (article 9 du règlement L‑8433) et un client est couché nu sur une table de massage.
[35] Le Tribunal tire l’inférence de la preuve que la défenderesse Hudon Verreault est une masseuse, le 25 avril 2018, lors de l’intervention des policiers. Cette inférence se base sur la preuve présentée et convainc, hors de tout doute raisonnable, de ce fait.
[36] Madame Renaud se trouve dans la salle 4. Lorsque la policière ordonne d’ouvrir la porte, elle ne le fait pas (la preuve ne révèle pas pourquoi). Après l’insistance de l’agente Boissonneault, la porte s’ouvrira. Dans la pièce, des sous-vêtements féminins (g-string rose et soutien-gorge fuchsia) sont déposés sur un banc, madame Renaud revêt un vêtement réglementaire de masseur, un sarrau blanc (article 9 du règlement L-8433) et un homme se trouve couché, sur le ventre, sur une table de massage, avec une serviette qui lui recouvre les fesses.
[37] Le Tribunal tire l’inférence de la preuve que la défenderesse Renaud est une masseuse, le 25 avril 2018, lors de l’intervention des policiers. Cette inférence se base sur la preuve présentée et convainc, hors de tout doute raisonnable, de ce fait.
[38] Quant à mesdames Nault et Yoth, la preuve n’établit pas leur habillement. Que l’agente Boissonneault ait déjà eu affaire à elles à titre de masseuses n’établit pas, hors de tout doute raisonnable, que la journée du 25 avril 2018, elles sont sur les lieux à titre de masseuses. La preuve ne révèle pas que l’agente a eu affaire à elle dans le même commerce. Être dans la salle des employés est insuffisant. D’autres dames sont dans des salles, elles sont dans la salle de repos. Le Tribunal se doit de considérer : « “[d’] autre[s] thèse[s] plausible[s]” et d’“autres possibilités raisonnables” qui ne sont pas compatibles avec la culpabilité […] »[19] (nos soulignements). Le Tribunal, tenant compte de l’ensemble de la preuve, ne peut conclure que leur seule présence, dans la salle des employés, l’amène à la seule conclusion plausible qu’elles sont des masseuses. Elles peuvent être en visite sur lieux.
L’article 2 vs 5.1 du règlement L-8433
[39] La défense soutient que selon la logique de la méthode d’interprétation, la poursuite n’a pas poursuivi mesdames Hudon Verreault et Renaud sous le bon article puisqu’il était impossible à ces dernières d’exhiber un permis, n’en possédant pas. Il faut lire le règlement dans son ensemble sinon cela produit des incohérences.
[40] Le Tribunal croit comprendre que la défense réfère, sans la désigner sous le vocable juridique approprié, à ce que l’auteur Côté nomme la méthode systématique et logique ou l’argument de cohérence[20]. Cohérence qui contribue à assurer l’équité.
Le droit
[41] Il est exact que les articles de loi ne peuvent être interprétés isolément. Il faut s’en remettre à la méthode moderne d’interprétation législative. Il est aussi exact, comme le souligne la Cour supérieure dans Vigeant, qu’il faut lire : « les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. »[21] (nos soulignements)
[42] Cette méthode d’interprétation s’applique aussi aux règlements municipaux[22].
[43] En matière pénale, les lois s’interprètent de manière restrictive, ce qui signifie que :
« [21] […] si, dans la détermination de leur sens ou de leur portée, il surgit une difficulté réelle, une difficulté que le recours aux règles ordinaires d’interprétation ne permet pas de surmonter d’une façon satisfaisante, alors on est justifié de préférer l’interprétation la plus favorable […] »[23] (nos soulignements)
[44] Notons que même si l’on ne doit pas étendre la portée d’une disposition pénale, la règle de l’interprétation restrictive s’est assouplie et n’est considérée que : « […] lorsque subsiste un doute sur le sens ou la portée de la disposition étudiée […] »[24].
[45] Le sens des mots et expressions doit être celui que le justiciable, présumé intelligent et raisonnablement informé, peut, et doit comprendre. Le professeur Hétu mentionne qu’il faut appliquer le test de la personne raisonnable : un citoyen peut-il comprendre, à la lecture du texte, quelles sont ses obligations[25]?
[46] Il existe un principe de cohérence qui postule que « […] “la loi est censée former un système : chaque élément contribue au sens de l’ensemble et l’ensemble au sens de chacun des éléments” »[26].
[47] C’est le sens grammatical, la « Golden Rule », de Lord Wensleydale, qui doit trouver application :
« J’ai toujours été profondément impressionné par la sagesse de la règle, qui est, je crois, actuellement adoptée par tout le monde, du moins par les tribunaux judiciaires de Westminster Hall, et selon laquelle, en interprétant les testaments, et bien sûr les lois et tous les actes, il faut s’en tenir au sens grammatical et ordinaire des mots, à moins que cela n’entraîne quelque absurdité, contradiction ou incompatibilité, eu égard au reste du texte; dans ce dernier cas, on peut modifier le sens grammatical et ordinaire des mots de façon à éviter cette absurdité ou incompatibilité, mais uniquement dans cette mesure. »[27]
Application aux faits de la cause
[48] La position de la défense est que les policiers, sachant que mesdames Hudon Verreault et Renaud ne possédaient pas de permis, ne pouvaient leur remettre un constat pour ne pas l’exhiber, et, conséquemment, la poursuite ne pouvait procéder en vertu de cet article.
[49] Il appert logique que le règlement, pour des raisons de compréhension, fasse précéder l’obligation de posséder un permis (article 2) à l’obligation de l’exhiber sur demande (article 5.1). Le posséder est une chose, le présenter, lorsque requis, en est une autre. Il s’agit donc de deux infractions distinctes.
[50] Cette construction grammaticale et littéraire du règlement est-elle une fin de non‑recevoir à une poursuite en vertu de l’article 5.1, si une personne ne possède pas de permis à exhiber? Le Tribunal n’a pas trouvé d’assises légales, ou doctrinales, lui permettant d’adhérer à cette position et qui permettraient de conclure que les défenderesses sont poursuivies sous le mauvais article et doivent, en conséquence, être acquittées, et ce, même si la poursuite se déchargeait de son fardeau de preuve.
[51] Les agents Aubut et Boissonneault demandent à mesdames Hudon Verreault et Renaud leur permis. Madame Hudon Verreault prétend qu’il est dans sa voiture et madame Renaud, qu’il aurait été incendié. Le Tribunal n’a pas recensé d’obligation, pour les policiers, d’effectuer des vérifications. L’eussent-ils fait, cela ne les empêche pas de décerner des constats sous l’article 5.1 du règlement. Ils demandent à voir leur permis, les masseuses ne l’exhibent pas. Les raisons de cette omission tiennent du moyen de défense et non de l’article en vertu duquel les défenderesses sont poursuivies. C’est en ce sens que la poursuite évoque l’article 66(3) du Code de procédure pénal (C.p.p.)[28]. Cela n’exempte pas la poursuite de l’obligation de faire la preuve de l’infraction reprochée hors de tout doute raisonnable. Et l’article 66(3) du C.p.p. ne constitue pas un renversement de fardeau de preuve.
[52] Quant à l’argument de la cohérence, rappelons que l’auteur Côté mentionne que les tribunaux ont recours à l’interprétation systématique et logique ou au principe de cohérence « pour préciser le sens d’expressions vagues ou élucider un terme ambigu »[29].
[53] Dans les dossiers, la disposition n’est ni vague ni ambiguë. Elle ne crée pas non plus d’iniquité : aucune preuve ne révèle de préjudice subi par les défenderesses d’être poursuivies sous l’article 5.1 du règlement L-8433 plutôt que sous l’article 2. Il n’est pas en preuve ni ne fut plaidé qu’elles furent privées d’un moyen de défense. Quant à la sanction, elle est la même pour les deux infractions : 300,00 $ d’amende.
[54] Finalement, il est important de préciser que l’article 2 du règlement requiert qu’un masseur détienne un permis de masseur et non qu’il détienne un permis de masseur pour un exploitant désigné. Un masseur peut détenir un permis et travailler chez un exploitant qui n’en possède pas. La preuve révèle, selon le témoignage de l’agente Boissonneault, qu’elle ne trouve pas de permis de masseuse en : « lien avec le commerce » faisant référence à Massage EXOTICA. Donc, qu’il n’y a pas de permis de masseuse en lien avec cet endroit. Cela ne signifie pas que les masseurs, sur place, ne peuvent être détenteurs de permis de massage en lien avec un autre commerce. Ce que le règlement semble permettre. Le policier n’a pas à vérifier tous les exploitants ou tous les permis de masseur. Lorsque les agents se présentent à un endroit, ils peuvent exiger du masseur qu’il exhibe son permis. S’il ne peut le faire, comme il s’agit d’une activité réglementée, c’est au masseur de faire la preuve de la possession d’un permis et de l’exhiber sur demande puisqu’il fait le choix de s’adonner à une activité réglementée[30].
[55] Le Tribunal ne retient pas l’argument d’interprétation de la défense, considère que la poursuite a fait la preuve, hors de tout doute raisonnable, que mesdames Hudon Verreault et Renaud sont masseuses lors de l’intervention des policiers du 25 avril 2018, et n’exhibent pas leur permis, sur demande des agents Boissonneault et Aubut.
[56] Concernant la partie défenderesse Massage EXOTICA, la preuve établit, hors de tout doute raisonnable, qu’elle exploite un salon de massage, en date du 25 avril 2018, et ne détient pas de permis pour ce faire.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[57] DÉCLARE la compagnie partie défenderesse Massage EXOTICA, dans le dossier 18-004983, coupable;
[58] IMPOSE l’amende et les frais;
[59] ACCORDE un délai de 30 jours, ayant donné l’opportunité aux parties de se faire entendre à ce sujet;
[60] DÉCLARE les défenderesses Hudon Verreault et Renaud coupables dans les dossiers 18-004982 et 18-004980;
[61] IMPOSE l’amende et les frais;
[62] ACCORDE un délai de 30 jours, ayant donné l’opportunité aux parties de se faire entendre à ce sujet;
[63] ACQUITTE les défenderesses Nault et Yoth dans les dossiers 18-004742 et 18‑004981.
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| __________________________________ chantal Paré, j.c.m. |
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Me Stéphanie Labelle
Procureure de la partie poursuivante
st.labelle@laval.ca
Me Julie Lepage
Procureure des parties défenderesses
julie.lepage@avocat.ca
Date d’audition : 8 septembre 2022 et 21 mars 2023
[1] Règlement concernant les masseurs et salons de massage et rescindant le règlement L‑163 tel qu’amendé par le règlement L‑3433, Conseil municipal de la Ville de Laval, règlement no L‑8433, adopté le 2 novembre 1992, art. 2, en ligne : <https://www.laval.ca/Documents/Pages/Fr/Citoyens/reglements/reglements-codifies/reglement-l-8433.pdf>.
[2] Id., art. 5.1.
[3] R. c. Cawthorne, 2016 CSC 32, [2016] 1 RCS 983, par. 28.
[4] R. c. Jolivet, 2000 CSC 29, [2000] 1 RCS 751, par. 15 et 16.
[5] Henry c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 2015 CSC 24, [2015] 2 RCS 214.
[6] R. v. Hodge (1838), 1838 CanLII 1 (FOREP), 2 Lewin 227, 168 E.R. 1136, 1136.
[7] R. c. Villaroman, 2016 CSC 33, [2016] 1 RCS 1000, par. 18.
[8] Id., par. 30.
[9] Id., par. 35.
[10] Pinard c. R., 2015 QCCA 1715, par. 32.
[11] R. c. Villaroman, préc., note 7, par. 37.
[12] Id.
[13] R. v. Banayos and Banayos, 2018 MBCA 86, par 23.
[14] Id., par. 24.
[15] R. c. Villaroman, préc., note 7 par. 36.
[16] R. c. Charemski, 1998 CanLII 819 (CSC), [1998] 1 RCS 679.
[17] R. c. Lifchus, 1997 CanLII 319 (CSC), [1997] 3 RCS 320.
[18] R. v. J.K., 2015 NLCA 14 (demande pour autorisation d’appeler rejetée, C.S.C, 2015-09-24, 36457, 2015 CanLII 60490 (CSC)).
[19] R. c. Villaroman, préc., note 7, par. 37.
[20] Pierre-André Côté, avec la collab. de Stéphane Beaulac et Mathieu Devinat, Interprétation des lois, 4e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2009, no 1150, p. 351.
[21] Laval (Ville de) c. Vigeant, 2010 QCCS 3730, par. 24.
[22] Terrebonne (Ville de) c. Desaulniers, 2015 QCCS 4374, par. 16.
[23] Charlebois c. Barreau du Québec, 2012 QCCA 788, par. 21.
[24] Id., par. 22.
[25] Jean Hétu et Yvon Duplessis, avec la collab. de Lise Vézina, Droit municipal : Principes généraux et contentieux, 2e éd., vol. 1, Brossard, Publications CCH, feuilles mobiles, à jour janvier 2014, no 8.130.
[26] Laval (Ville de) c. Vigeant, préc., note 21, par. 28.
[27] Grey c. Pearson, (1857, 6 H.L.C. 61, 106); 10 E.R. 1216, 1234, traduction puisée à Wellesley Hospital c. Lawson, 1977 CanLII 29 (CSC), [1978] 1 RCS 893, 902 et 903.
[28] RLRQ, c. C-25-1.
[29] Pierre-André Côté, avec la collab. de Stéphane Beaulac et Mathieu Devinat, préc., note 20, no 1165, p. 355.
[30] R. c. Fitzpatrick, 1995 CanLII 44 (CSC), [1995] 4 RCS 154, par. 40 et 41.
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