Décision

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144781 Canada inc. c. Directeur général des élections du Québec

2024 QCCS 4284

 

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

GATINEAU

 

 

N°: 

550-36-000091-239

550-36-000092-237

550-36-000093-235

(550-61-069814-214)

(550-61-069815-211)

(550-61-069816-219)

 

 

DATE :

11 décembre 2024

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE CATHERINE MANDEVILLE, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

144781 CANADA INC.

et

3223701 CANADA INC.

et

GILLES DESJARDINS

Appelants – défendeurs

-c.-

LE DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ÉLECTIONS DU QUÉBEC

   Intimé – poursuivant

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

Intimé – mis en cause

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT RECTIFIÉ sur les appels

______________________________________________________________________

 

CONSIDÉRANT que le Tribunal a erronément indiqué à son jugement rendu le 19 novembre 2024 que l’Appelant Desjardins avait subi son procès sous deux chefs d’infraction à la LERM;

CONSIDÉRANT que les parties s’entendent qu’il y a lieu de rectifier cette situation ainsi que sur les corrections à apporter en conséquence aux paragraphes 74-77-125 et 130 du jugement original, ce avec quoi le Tribunal est d’accord;

 

LE TRIBUNAL :

RECTIFIE les paragraphes 74-77-125 et 130 afin qu’ils reflètent correctement le fait que l’Appelant Desjardins n’a fait face qu’à un seul chef d’infraction en lien avec le paiement d’une étude à Aviséo.

 

*  *  *  *  *  *  *

  1.           Puisque les appels de chacun des défendeurs soulèvent essentiellement les mêmes questions et que les parties ont convenu de les plaider lors d’une seule et même audience, le présent jugement répondra aux appels logés par les trois Appelants dans les dossiers mentionnés en rubrique.
  2.           Dans leur Avis d’appel modifié, les Appelants soulevaient onze (11) moyens d’appel.
  3.           Par ailleurs, seuls huit (8) de ces moyens d’appel ont finalement été plaidés devant la Cour supérieure dont celui impliquant alors une Mise en cause, le Procureur Général du Québec (PGQ), puisque les Appelants contestaient initialement la décision de la première juge confirmant la constitutionnalité de la disposition créatrice de l’infraction[1].
  4.           À la suite de l’audition des appels, les Appelants se sont désistés partiellement de leurs appels[2]. Ils ont retiré les moyens soulevés aux paragraphes 5.7 et 5.11 de leurs Avis d’appel modifié, qui concernaient leurs prétentions que la première juge avait commis des erreurs en qualifiant l’infraction de responsabilité stricte et en rejetant leur moyen visant à faire déclarer inconstitutionnelle la disposition créant l’infraction, puisqu’ils alléguaient qu’elle portait atteinte de façon injustifiée à leur liberté d’expression.
  5.           En raison de ce désistement partiel, le PGQ doit dorénavant être considéré hors de cause et le Tribunal n’a plus à se prononcer sur ce moyen d’appel.
  6.           Afin d’apprécier les motifs qui suivent, il y a lieu de résumer la trame factuelle retenue par la première juge, tout en soulignant que les Appelants ne soulèvent pas réellement d’erreurs dans son appréciation des faits mais s’objectent plutôt à sa qualification de ces faits, car ils plaident qu’elle n’aurait pas dû conclure que certaines dépenses faites se qualifient à titre de « dépenses électorales » au sens de la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités (LERM)[3].

 

Le résumé des faits

 

  1.           Le Directeur général des élections (DGE ou Intimé) a fait signifier des constats d’infraction reprochant à chacun des Appelants d’avoir commis l’infraction prévue à l’article 622(1) de la LERM.
  2.           Cette disposition se lit comme suit :

Commet une infraction la personne qui :

fait ou autorise une dépense électorale sans être l’agent officiel d’un parti ou d’un candidat indépendant autorisé, son adjoint ou une agence de publicité autorisée par écrit à cette fin par l’agent officiel ou, dans le cas d’une dépense électorale prévue à l’article 452, sans être le représentant officiel d’un parti autorisé ou son délégué; […] (nos soulignés)

  1.           Par ailleurs, la notion de dépense électorale est définie à l’article 451 de la LERM :

Est une dépense électorale le coût de tout bien ou service utilisé pendant la période électorale pour:

1° favoriser ou défavoriser, directement ou indirectement, l’élection d’un candidat ou celle des candidats d’un parti;

diffuser ou combattre le programme ou la politique d’un candidat ou d’un parti;

approuver ou désapprouver des mesures préconisées ou combattues par un candidat ou un parti;

4° approuver ou désapprouver des actes accomplis ou proposés par un parti, un candidat ou leurs partisans. (nos soulignés)

  1.       Une élection générale s’est tenue dans la Ville de Gatineau (la Ville), le 5 novembre 2017. L’équipe Pedneaud Jobin – Action Gatineau était le seul parti autorisé lors de cette élection[4].
  2.       La preuve démontre que la période électorale en l’instance a débuté le 22 septembre 2017 et s’est terminée le jour du scrutin, le 5 novembre 2017.
  3.       Dans le cadre de son programme électoral, Action Gatineau adopte à la Résolution 3.16[5] une mention voulant que « la Ville de Gatineau cite le Quartier-du-Musée à titre de quartier patrimonial et développe des outils informationnels sur l’histoire du quartier ».
  4.       Depuis déjà de nombreuses années, soit dès 1990, la citation patrimoniale du secteur Quartier-du-Musée est considérée par la Ville à quelques reprises.
  5.       À compter de 2016, la citation patrimoniale fait l’objet d’une demande plus étoffée présentée par un citoyen engagé et par diverses associations citoyennes[6].
  6.       Au moment des événements reprochés, la question de la citation patrimoniale du Quartier-du-Musée de la Ville fait clairement partie des enjeux citoyens. Elle est sous étude au service d’urbanisme de la Ville, dont les employés sont des fonctionnaires municipaux qui travaillent alors à élaborer diverses options de périmètres à considérer pour cette citation.
  7.       Les élus municipaux alors en poste, dont le maire Pedneaud  Jobin du parti qui cherche à se faire réélire à l’automne 2017, sont favorables à une citation patrimoniale qui viserait tout le Quartier-du-Musée.
  8.       Les Appelantes 3223701 Canada Inc. (3223701) et 144781 Canada Inc. (144781) sont des compagnies dont l’Appelant, Gilles Desjardins est un administrateur[7]. Ces entreprises font partie du « groupe Brigil » qui œuvre dans le développement immobilier et la location d’immeubles et qui a des intérêts dans certains terrains visés par la possible citation patrimoniale du Quartier-du-Musée.
  9.       Aucun des Appelants n’est une « personne autorisée » à faire une dépense électorale au sens de l’article 622 i) LERM précité[8].
  10.       Au moment des événements en litige, et depuis déjà plusieurs années, le groupe Brigil a soumis pour considération au service d’urbanisme de la Ville un projet de construction de deux tours de condominiums, projet portant le nom de « la Place des Peuples ».
  11.       À compter de février 2017 plus particulièrement, le projet de Place des Peuples qui serait érigé dans le Quartier-du-Musée visé par la citation patrimoniale, fait l’objet de nombreux échanges entre des représentants du Groupe Brigil et les cadres du service d’urbanisme.
  12.       En septembre 2017, au moment des évènements en litige, un plan d’implantation de ce projet est sous étude par ce service[9] qui parallèlement étudie la citation patrimoniale.
  13.       Le 19 juin 2017, quelques mois avant les élections, la Ville tient une journée porte-ouverte lors de laquelle son projet de citation patrimoniale est présenté aux citoyens.
  14.       Lors de cette journée porte-ouverte, le service d’urbanisme installe des panneaux d’interprétation du secteur qui illustrent différentes options eu égard au changement de vocation de certains secteurs de la Ville qui pourraient être désignés patrimoniaux. L’une de ces options cible un périmètre plus large qui comprend le terrain prévu pour le projet Place des Peuples.
  15.       D’autres entreprises de développement immobilier ont également des intérêts dans le secteur visé par la possible citation patrimoniale. Lors de la journée porte-ouverte, plusieurs promoteurs immobiliers s’interrogent donc sur les conséquences financières qu’entraînerait la citation patrimoniale sur la totalité du Quartier-du-Musée.
  16.       Dans le cadre d’une mêlée de presse qui suit la journée porte-ouverte, le maire du parti Action Gatineau est questionné sur les conséquences économiques d’une citation patrimoniale du Quartier-du-Musée.
  17.       En réponse aux questions d’un journaliste qui lui demande s’il faut craindre que la citation patrimoniale freine le développement immobilier et fasse baisser le valeur des terrains visés, le maire répond que cette inquiétude relève de « faits alternatifs ». C’est, dira-t-il, « l’inverse qui se produit selon les consultants avec qui il travaille ».  Il ajoute que partout où on a procédé à une citation patrimoniale, le résultat a été un enrichissement de la ville concernée et une augmentation de la valeur des propriétés [10].
  18.       Lorsqu’ils apprennent que la Ville ne détient aucune étude sur l’impact économique d’une citation patrimoniale sur son territoire, et que le maire s’appuyait plutôt sur une étude faite pour la Ville de Québec par la firme de consultants Conseil Aviséo (Aviséo), un regroupement d’hommes d’affaires ayant des intérêts économiques dans le quartier visé par la citation patrimoniale forme le groupe Essor Centre-Ville (Essor).
  19.       Le groupe Essor, dont font partie les Appelantes, décide de confier au consultant d’Aviséo le mandat de faire une évaluation d’impact économique sur la Ville d’une citation patrimoniale pour le Quartier-du-Musée.
  20.       Le coût total de l’étude pour laquelle Aviséo a été mandatée par Essor est de 60 158,35$.
  21.       La preuve démontre qu’une partie de ce coût, soit 28 080, 34$, est assumée par l’Appelante 3223701 via un chèque tiré sur son compte bancaire. Ce chèque signé par l’Appelant Desjardins, « à titre d’administrateur », est daté du 21 septembre 2017, donc avant la période électorale, bien qu’il soit encaissé par Aviséo le 7 décembre 2017[11].
  22.       Selon ce consultant d’Aviséo, la question de l’élection municipale à venir ne fait pas partie de son mandat et le programme électoral n’est d’aucune pertinence pour lui.
  23.       Son mandat est de faire une étude indépendante et impartiale. Aviséo aurait mené l’étude pour Essor en se fondant uniquement sur des données factuelles liées au Quartier-du-Musée et en considération des conditions socio-économiques qui y prévalent.
  24.       L’étude d’Aviséo souligne tant les points positifs et négatifs de la citation patrimoniale. Elle conclut que la citation patrimoniale d’un large périmètre va à l’encontre des priorités de la Ville, puisqu’une densification urbaine est nécessaire afin d’amenuiser les pressions sur les infrastructures et les finances de la Ville.
  25.       Par ailleurs, elle conclut que pour certains bâtiments et à condition que le périmètre visé soit restreint, la citation patrimoniale pourrait s’avérer intéressante d’un point de vue économique.
  26.       Le 19 septembre 2017, les Appelants de même que d’autres membres du groupe Essor, sont mis au parfum des résultats préliminaires de l’étude par le consultant Lessard[12].
  27.       Essor demande alors d’accélérer la livraison finale de l’étude, puisque le groupe souhaite la déposer lors du dernier Conseil municipal de la Ville (Conseil), le 3 octobre 2017, Conseil qui a été prévu par la Ville à cette date bien qu’elle soit en période électorale.
  28.       L’étude d’Aviséo a été déposée tel que le souhaitait le groupe Essor lors du Conseil. Le dépôt de document lors d’un conseil municipal ne permet pas que ces documents puissent être discutés, ni qu’ils puissent faire l’objet d’observations ou de représentation.
  29.       Cependant, si un document est déposé lors d’un conseil, il sera acheminé au service de la Ville concerné et porté à l’attention des élus municipaux.
  30.       Tel que l’explique la première juge :

[87] André Guibord se présente à la réunion du conseil municipal le 3 octobre pour déposer l’analyse économique de Conseil Aviseo. L’importance, dans le contexte de la démarche municipale, est que le conseil municipal ait en main tous les éléments nécessaires pour prendre une décision éclairée sur la demande de citation patrimoniale dans le Quartier-du-Musée, son ampleur et le modèle optimal pour la citation patrimoniale.

[88] Le Tribunal accepte qu’il y eût urgence pour finaliser le rapport final avant le 3 octobre pour son dépôt au conseil municipal. Il n’y a rien de problématique avec ce que les défendeurs et les autres membres du regroupement Essor Centre-ville font pour obtenir une analyse économique pour la déposer au conseil le 3 octobre.

[89] Après le dépôt, sur résolution unanime, le conseil municipal demande au service de l’urbanisme de faire un rapport d’étape et se positionner sur le projet Place des Peuples pour la fin janvier 2018. Le conseil municipal n’avait jamais eu à se pencher sur le projet initial sur le site projeté[13]. (nos soulignés)

  1.       Devant l’impossibilité de discuter de cette étude lors du Conseil et considérant les résultats préliminaires qui sont favorables à la citation patrimoniale, mais seulement sur un périmètre restreint par rapport aux options présentées lors de la journée porte-ouverte, Essor décide de convoquer tous les conseillers municipaux ainsi que les candidats aux postes de conseillers municipaux ou de maire à une conférence de presse lors de laquelle le consultant d’Aviséo pourra leur présenter les résultats de l’étude.
  2.       Ce communiqué mentionne spécifiquement :

[79] […] « En absence d’une étude rendue publique par la Ville de Gatineau et à la veille de l’élection municipale du 5 novembre prochain, un groupe de propriétaires du centre-ville a commandé sa propre analyse économique à la firme Aviseo Conseil afin d’éclairer les décisions du Conseil municipal sur la pertinence d’une désignation patrimoniale de ce secteur »[14].

(nos soulignés)

  1.       La première juge considère que c’est la diffusion publique de l’étude lors de la conférence de presse tenue pendant la campagne électorale qui est problématique, car l’étude porte sur un enjeu qui touche les élections de façon significative[15].
  2.       Cette conférence de presse s’est tenue le 29 septembre 2017 dans une salle louée par Essor au Musée de l’Histoire.
  3.       La preuve révèle que la facture au montant de 1 868,34$ pour la location de cette salle a été payée par InnovaCom Marketing. Cette somme a, par la suite, été facturée par InnovaCom à l’Appelante 144781, laquelle a acquitté cette dépense via un chèque daté du 30 décembre 2018 signé par Gilles Desjardins, « à titre d’administrateur »[16].

 

 

Les moyens d’appel[17]

 

  1.       Les moyens d’appel que le Tribunal doit trancher sont décrits comme suit par les Appelants :
  1. La juge de la Cour du Québec a fait fi des principes reconnus dans l’arrêt Salomon c. Salomon, et ce, en ne faisant pas la distinction entre Gilles Desjardins à titre personnel et Gilles Desjardins à titre de président pour les compagnies 144781 Canada Inc. et 3223701 Canada Inc. et plus particulièrement pour les motifs suivants :
  1.       la juge ne traite en rien l’arrêt Salomon et des principes qui en découlent;
  2.       elle ne fait aucune mention des éléments de la preuve pour étayer sa décision de retenir la responsabilité personnelle de Gilles Desjardins;
  3.       elle ne mentionne aucune raison et aucun élément de preuve permettant de passer outre aux principes établis par l’arrêt Salomon qui indique clairement le principe suivant lequel une corporation est une personne distincte de son administrateur et/ou actionnaire;
  1. La juge a confondu les actes d’accusation par rapport à la preuve entendue en considérant la preuve globale, et non la preuve relative à chaque chef d’accusation et à chaque accusé;
  2. La juge a non seulement n’a pas relié les chefs d’accusation aux accusés, mais a confondu les éléments de preuve. Ceci entraîne un déni de justice pour les accusés;
  3. La pierre angulaire de la décision de la juge concerne la tenue d’une conférence de presse. L’interprétation de l’article 451 de la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités[18]  LERM ») qui en découle est erronée;
  4. La juge a rendu une décision manifestement déraisonnable en concluant que la diffusion du rapport lors de la conférence de presse du 27 septembre 2017 équivalait à une dépense électorale alors que la diffusion lors de l’assemblée du conseil était correcte;
  5. La juge a rendu une décision manifestement déraisonnable et sans considération à l’égard du contexte en concluant que la conférence de presse a été faite pour défavoriser le maire ou le parti Action Gatineau et que le coût de l’étude et de la location de la salle constituaient des dépenses électorales[19];

 

 ANALYSE

 

Moyen d’appel I

  1.       Les sous-paragraphes a) et c) de ce moyen d’appel doivent être traités en même temps, puisqu’ils soulèvent des erreurs de la première juge qui découleraient de son défaut d’appliquer le principe des personnalités juridiques distinctes des personnes morales et des personnes physiques qui agissent pour elles établi dans l’arrêt Salomon.
  2.       Les Appelants réfèrent aussi aux articles 309 et 311 du Code civil du Québec (C.c.Q.) qui prévoient la personnalité juridique distincte des personnes morales et de leurs membres, ainsi qu’une immunité relative pour ces membres qui agissent pour elles.
  3.       Sur ce moyen d’appel, DGE plaide que la décision de la première juge sur la motion en non-lieu dont elle avait été saisie porte spécifiquement sur cette distinction entre personne morale et personne physique, car les Appelants, citant l’arrêt Salomon, soutenaient dans cette motion que la compagnie et M. Desjardins ne pouvaient être tous deux poursuivis pour la commission d’une seule et même infraction.
  4.       Or, dans sa décision sur le non-lieu, la première juge a conclu qu’une personne morale pouvait très bien être poursuivie pour la même infraction qu’une personne physique et vice-versa, car elles ont effectivement des personnalités juridiques distinctes.
  5.       Par ailleurs, DGE réfère à la décision de Eurosport Auto Co. Ltd[20] dans laquelle la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a réitéré que la règle interdisant les condamnations multiples (connue sous Kienapple) ne s’appliquait pas lorsqu’une même infraction était commise par deux accusés distincts, faisant en sorte que tant la personne morale et un de ses dirigeants pouvaient en être déclarés coupables.
  6.       Ensuite, le DGE avance qu’il ne faut pas confondre les règles de la responsabilité civile de l’administrateur ou actionnaire d’une personne morale et sa responsabilité pénale.
  7.       Il ajoute qu’en matière pénale il existe divers modes de participation à une même infraction, dont la complicité. D’ailleurs, selon la doctrine et la jurisprudence, il est plutôt habituel que lors de la commission d’une infraction par une personne morale, on puisse aussi conclure à la participation de son administrateur à l’infraction et qu’il soit déclaré coupable parce qu’il aurait incité, aidé ou même posé les gestes essentiels à la commission de cette infraction.
  8.       Les Appelants répliquent à cela que contrairement à d’autres lois qui prévoient spécifiquement une responsabilité conjointe des personnes morales et de leurs administrateurs pour la commission d’infractions, ce n’est pas le cas pour la LERM.
  9.       Le Tribunal est d’avis que la première juge a bien appliqué le principe des personnalités juridiques distinctes des personnes morales et des personnes physiques qui agissent pour elles lorsqu’elle a rejeté le non-lieu. C’est justement parce qu’elle reconnaît des personnalités juridiques distinctes aux Appelantes par rapport à leur administrateur M. Desjardins, qu’elle a pu les trouver coupables d’une même infraction sans que la règle interdisant les condamnations multiples ne puisse trouver application.
  10.       En fait, ce que les Appelants reprochent plutôt à la première juge c’est de ne pas avoir octroyé à l’Appelant Desjardins l’immunité relative prévue au C.c.Q en matière de responsabilité civile pour les personnes physiques qui agissent de bonne foi en tant qu’administrateurs.
  11.       Or, contrairement au C.c.Q., le Code de procédure pénale (C.c.p.) n’octroie aucune immunité pour la responsabilité pénale des administrateurs, dirigeants ou employés.
  12.       En droit criminel et pénal, le voile corporatif n’offre aucune immunité aux dirigeants pour les infractions qu’une société commet et pour lesquelles ils sont des parties [21].
  13.       C’est ainsi que dans l’arrêt R. c. Kenitex Canada Ltd[22], la Cour d’appel de l’Ontario cite avec approbation le texte de Glanville Williams’ Textbook of Criminal Law, comme suit :

The device of incorporation does not protect people who commit offences. A company can act only through human beings and a human being who commits an offence on account of or for the benefit of a company will be responsible for that offence itself just as any employee committing an offence for a human employer is liable.

Where a company is liable under the identification doctrine the director or other controlling officer will almost always be a co-perpetrator of or accessory in the offence or commit a statutory offence.

  1.       Dans de nombreux cas, la question de la responsabilité personnelle d’un dirigeant en droit pénal statutaire pour des actes commis à titre d’administrateur est simple, car la loi fédérale ou provinciale contient des dispositions pénales qui prévoient la responsabilité personnelle des administrateurs et dirigeants d’une société coupable d’une infraction, s’ils ont consenti ou participé à cette infraction.
  2.       C’est ainsi que l’auteur Paul Martel, dans la Société par actions au Québec – les aspects juridiques, mentionne ce qui suit :

9 — Responsabilité pénale en vertu de lois diverses

24-187 Il ne faut pas oublier, d’autre part, que la plupart des lois, tant fédérales que provinciales, qui contiennent des dispositions pénales (c’est-à-dire qui imposent des pénalités pour des infractions ou contraventions à leurs dispositions) prévoient la responsabilité personnelle des administrateurs et dirigeants d’une société coupables d’infraction, s’ils ont consenti ou participé à cette infraction327. Pour les fins de cette responsabilité pénale, le législateur perce à toutes fins pratiques le voile corporatif, pour rendre les administrateurs et dirigeants personnellement passibles de pénalités (amende ou emprisonnement ou les deux), lorsque c’est la société qui est coupable de l’infraction[23].

  1.       Tel que l’énonce l’Appelant Desjardins, il est exact que le C.p.p. n’importe pas, à son article 60, les divers modes de participation prévus aux articles 21 et 22 du C.cr.
  2.       Comme le suggère le juge/auteur Cournoyer[24] dans ses commentaires sur cet article du C.p.p, il est donc nécessaire de vérifier ce que prévoit la loi créatrice des infractions en cause pour déterminer si la responsabilité pénale des administrateurs est engagée.
  3.       Les auteurs Chevrette et Collins Hoffman[25] prônent aussi cette approche :

[86] Les administrateurs ignorants de la réglementation pénale pertinente aux activités de la société dont ils gèrent les opérations ou ayant une mauvaise compréhension de celle-ci peuvent s’exposer à une condamnation en leur qualité personnelle. L’étendue de la responsabilité pénale de l’administrateur dépend de chaque loi particulière.  Certaines lois sont plus sévères que d’autres en ce qui concerne la sanction et imposent un fardeau d’exonération plus élevé à l’administrateur accusé. La condamnation à de telles infractions mène le plus souvent à l’imposition d’amendes proportionnées à la gravité de l’infraction, et dans certains cas, des peines d’emprisonnement (lesquelles sont, de manière générale, plus courtes qu’en matière criminelle).

[…]

[89] Les diverses lois établissant des infractions réglementaires imputent une responsabilité pénale aux administrateurs par deux mécanismes distincts, soit par i) une infraction s’appliquant en cas de perpétration directe de certains gestes ou omissions ou ii) une disposition prescrivant qu’une infraction est consommée dans le cas où l’administrateur participe ou est complice à des gestes ou des omissions de la société constituant une infraction aux termes de la loi. Il est important de noter qu’au Québec, les articles 21 et 22 du Code criminel, qui prévoient des modes de participation à des infractions criminelles, ne trouvent pas application aux infractions réglementaires provinciales et municipales, puisque le Code de procédure pénale n’y fait pas référence. Il faut donc recourir à chaque loi particulière et vérifier si cette dernière prévoit la complicité comme mode de participation pénale.

  1.       Ainsi, la responsabilité pénale d’un administrateur d’une personne morale peut être retenue à titre d’auteur principal pour avoir perpétré personnellement certains gestes ou omissions constitutifs de l’infraction. Il ne bénéficie alors d’aucune immunité judiciaire même s’il a agi en tant qu’administrateur d’une personne morale.
  2.       Sa responsabilité pénale peut découler également du texte d’une loi pénale applicable qui peut prévoir des moyens d’aller chercher la responsabilité de l’administrateur, par exemple, à titre de complice.
  3.       Il est vrai que la LERM ne contient pas de dispositions qui prévoit spécifiquement la responsabilité pénale d’un administrateur ou dirigeant.
  4.       Toutefois, l’article 637 de la LERM est une disposition générale qui énonce différents modes de participation d’une personne physique ou morale aux infractions qu’elle crée :

637. Toute personne qui, par son acte ou son omission, en aide une autre à commettre une infraction est coupable de cette infraction comme si elle l’avait commise elle-même, si elle savait ou aurait dû savoir que son acte ou son omission aurait comme conséquence probable d’aider à la perpétration de l’infraction.

Toute personne qui incite ou en amène une autre à commettre une infraction est coupable de cette infraction comme si elle l’avait commise elle-même ainsi que de toute autre infraction que l’autre commet en conséquence des encouragements, des conseils ou des ordres, si elle savait ou aurait dû savoir que ceux-ci auraient comme conséquence probable la perpétration de ces infractions.

Ne constitue pas une défense le fait qu’aucun moyen ou mode de réalisation n’ait été proposé pour la perpétration de l’infraction ou que cette dernière ait été commise d’une manière différente de celle proposée.                                                   

(nos soulignés)

  1.       Considérant cet article et celui qui prévoit l’infraction en cause, le Tribunal est d’avis que l’Appelant Desjardins pouvait être trouvé coupable de deux façons :
  1.      Soit parce qu’il a commis l’infraction à titre d’auteur principal, puisque la LERM est formulée suffisamment largement pour s’appliquer tant aux personnes morales que physiques qui auraient commis les éléments essentiels de l’infraction et qu’elle ne contient aucune disposition prévoyant l’immunité des dirigeants et administrateurs;
  2.      Soit parce qu’il a commis l’infraction à titre de complice de la personne morale, l’article 637 LERM prévoyant la responsabilité pénale de la personne qui aide, incite ou encourage une autre personne à commettre l’infraction.

 

 

 

 

Moyens d’appel I c), II et III

 

  1.       Dans la présente affaire, il semble que ni la première juge ni le poursuivant n’aient véritablement examiné la responsabilité pénale de l’Appelant Desjardins, à titre de complice, ayant aidé ou incité les Appelantes à commettre des infractions.
  2.       Néanmoins, la première juge a correctement identifié les éléments essentiels de l’infraction en cause, relevant que le législateur a prévu spécifiquement qu’elle pouvait être commise soit en faisant une dépense électorale ou en autorisant qu’une telle dépense soit faite, par une personne qui n’est ni agent officiel d’un parti ni un candidat indépendant autorisé.
  3.       Selon les Appelants, la première juge a erré en appréciant la preuve globalement et en faisant défaut de lier les éléments de preuve propres à chaque accusé, selon chaque chef d’accusation.
  4.       Étant donné qu’il y a eu une seule audition de la preuve pour l’ensemble des Accusés et que la juge se devait de considérer l’ensemble de la preuve reçue pour déterminer les faits qu’elle retenait, on ne peut certes lui reprocher d’avoir considéré globalement toute cette preuve pour déterminer si pour chaque accusé le DGE avait satisfait à son fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels de l’infraction.
  5.       Considérant qu’il s’agit d’une infraction de responsabilité stricte, la première juge n’avait pas à décortiquer les éléments de preuve pour vérifier la mens rea de chacun des Accusés. Elle devait simplement vérifier, selon les faits retenus, si le DGE avait ou non prouvé hors de tout doute raisonnable que chaque accusé avait commis l’infraction de l’une ou l’autre des façons prévues à l’article 622, soit en ayant fait ou autorisé une dépense, que la dépense était « électorale » au sens de la LERM et que l’accusé en cause n’était pas autorisé à faire cette dépense électorale.
  6.       La preuve démontre que l’Appelant Desjardins a signé deux chèques : un pour payer partie de l’étude d’Aviséo et l’autre, à titre de remboursement pour la location de la salle où s’est déroulée la conférence de presse lors de laquelle cette étude d’Aviséo a été présentée. Sur les deux chèques, l’Appelant Desjardins spécifie qu’il signe à titre d’administrateur de la compagnie. Cependant, l’Appelant Desjardins a été poursuivi pour un seul chef, soit celui en lien avec l’étude.
  7.       Par ailleurs, les chèques sont tirés sur les comptes bancaires de l’Appelante 3223701 pour le paiement de l’étude d’Aviséo et celui de 144781 pour le remboursement de location de salle pour la conférence de presse.
  8.       C’est ainsi qu’en fonction de la preuve retenue, si la dépense pour obtenir l’étude d’Aviséo se qualifie à titre de dépense électorale, ce sur quoi le Tribunal reviendra dans le cadre de son analyse des prochains moyens d’appel, la première juge pouvait conclure sans commettre d’erreur que 3223701 a commis l’infraction prévue à l’article 622 en faisant une dépense, puisqu’elle a utilisé ses actifs pour payer en partie l’étude et que l’Appelant Desjardins a autorisé cette dépense en signant ce chèque, faisant en sorte qu’il a également commis cette infraction à titre d’auteur principal.
  9.       C’est cette même participation directe à l’infraction de l’Appelante 144781 à laquelle la première juge a conclu pour le remboursement des frais de location de la salle où s’est tenue la conférence de presse ayant servie à dévoiler et à expliquer l’étude d’Aviséo.
  10.       Cette fois, c’est la compagnie 144781 qui a fait la dépense, car le chèque était tiré sur son compte de banque, alors qu’encore une fois, l’Appelant Desjardins a autorisé ladite dépense en signant le chèque.
  11.       La signature des chèques par l’Appelant Desjardins est une autorisation de dépense car c’est cet acte qui permet aux personnes morales Appelantes de faire la dépense reprochée.
  12.       En conclusion, la juge a correctement apprécié les personnes distinctes que sont Gilles Desjardins, à titre d’individu agissant comme administrateur, et les personnes morales Appelantes et sa conclusion que chacun a commis l’infraction selon un moyen prévu par l’article 622 de la LERM trouve assise dans la preuve de même que le fait que qu’aucun des Appelants ne se qualifie de « personne autorisée » à faire une dépense électorale au sens de la LERM ce qui était par ailleurs admis.
  13.       D’autre part, puisqu’il s’agit de deux personnes juridiques distinctes, les principes de l’arrêt Kienapple empêchant la condamnation multiple ne trouvent pas application.

 

Moyens d’appel IV et V

 

  1.       Tel que les Appelants l’ont fait, le Tribunal entend traiter ensemble ces deux moyens qui sont indissociables et interreliés.
  2.       Les Appelants reprochent à la première juge d’avoir rendu une décision manifestement déraisonnable en concluant que le dépôt de l’étude d’Aviséo au Conseil était justifié mais que sa diffusion lors de la conférence de presse posait problème, car les conclusions de cette étude défavoriseraient les positions électorales du maire et d’Action Gatineau.
  3.       La décision attaquée serait d’autant plus manifestement déraisonnable que même si elle a conclu que les Appelants pouvaient déposer l’étude d’Aviséo au Conseil, elle a considéré que le coût de cette étude représente une dépense électorale, ce qui l’a menée à déclarer les Appelants 322370 et M. Desjardins coupables de l’infraction reprochée.
  4.       Il est exact que la première juge a conclu, tel qu’il appert du paragraphe 112 de son jugement :

[112] Le Tribunal réitère que rien n’empêchait le regroupement de faire une étude économique sur la citation patrimoniale ni assumer les frais d’une telle étude et la diffuser après la campagne électorale. Elle pouvait être déposée au conseil municipal le 3 octobre 2017 sans diffusion. La commande de l’étude était bien fondée et valable. La ville de Gatineau n’avait pas d’étude économique sur la citation patrimoniale. Les promoteurs étaient justifiés d’être mécontents de l’absence de transparence de la ville, sur les aspects économiques de la citation patrimoniale. Mais, la décision de diffuser l’analyse n’était pas la bonne[26].

  1.       Le Tribunal note qu’en dépit de ce qu’avancent les Appelants, les chefs d’infractions sont précis puisque on reproche à 3223701 une infraction commise le 21 septembre 2017, soit la date de la signature du chèque pour le paiement en partie de l’analyse économique, et à 144781 une infraction commise en date du 30 décembre 2018, ce qui représente la date du paiement pour rembourser la location de salle où a lieu la conférence de presse.
  2.       Le Tribunal constate par ailleurs que la première juge n’explique pas en quoi la dépense faite pour réaliser l’étude d’Aviséo est une dépense électorale alors qu’elle a déterminé que cette étude avait été demandée par Essor suite à la journée porte-ouverte puis finalisée en accéléré afin qu’Essor puisse la déposer au Conseil.
  3.       En effet, la première juge retient que l’infraction se produit lorsque l’étude d’Aviséo est dévoilée lors de la conférence de presse du 29 septembre 2017, pendant la période électorale.
  4.       Le Tribunal convient que pour que l’infraction soit prouvée, la dépense n’a pas à être faite pendant la période électorale et que la notion de dépense doit être appréciée largement, à l’aune des objectifs de la loi.
  5.       La LERM précise cependant que pour que la dépense se qualifie d’électorale elle doit être 1) faite pour l’acquisition d’un bien ou d’un service 2) utilisé pendant la période électorale 3) pour favoriser ou défavoriser directement ou indirectement l’élection d’un candidat d’un parti ou pour diffuser ou combattre le programme politique d’un tel candidat au parti ou en approuver ou désapprouver des mesures préconisées ou combattues par un candidat ou un parti.
  6.       Peu importe que la dépense ait été faite avant la période électorale ou qu’elle résulte d’un remboursement après cette dernière, c’est le fait d’engager le coût d’un bien ou d’un service pour son utilisation pendant la période électorale dans l’un des quatre buts décrits à l’article 451 de la LERM qui permet de qualifier la dépense à titre de dépense électorale.
  7.       Ainsi, la juge a bien établi que :

[12] Le Poursuivant estime que les interventions des défendeurs sont faites à titre de tiers, soit un individu, personne morale, organisme regroupement qui n’est pas une entité autorisée et qui n’agit pas pour le compte d’une telle entité. Le tiers ne cherche pas à se faire élire, mais souhaite intervenir dans le débat politique.

[13] Dans ce sens, le tiers ne peut pas engager des coûts pour faire une intervention qui a un effet partisan. Lorsque l’intervention a lieu pendant la période électorale, le coût constitue une dépense électorale, même si la dépense a été engagée avant le début de cette période[27].    (nos soulignés)

  1.       Le Tribunal rappelle que son rôle d’intervention en appel n’est pas illimité. En effet, l’article 286 du C.p.p stipule qu’il ne doit intervenir que s’il est convaincu que le jugement rendu en première instance est déraisonnable eu égard à la preuve, qu’une erreur de droit est commise ou que justice n’a pas été rendue.
  2.       L’appréciation de la preuve par la juge du procès doit être considérée avec déférence en appel, puisqu’elle seule a eu le bénéfice d’entendre et de voir les témoins.
  3.       Il ressort du jugement dont appel que la première juge a adhéré à la théorie du Poursuivant[28] selon laquelle :

La problématique en cause est la diffusion publique de l’analyse payée avant le début de campagne lors d’une conférence de presse avec invitation lancée aux candidats, aux postes de conseillers municipaux et la mairie pendant la période électorale sur un enjeu qui touchait de façon significative le district Hull-Wright[29].

  1.       La juge retient que la diffusion des conclusions de l’étude d’Aviséo défavorise ou favorise effectivement un candidat puisque l’enjeu de la citation patrimoniale du Quartier-du-Musée est un enjeu électoral divisant au sein de la municipalité.
  2.       Par la suite, la juge précise que la diffusion publique de l’étude d’Aviséo ne se fait pas dans le contexte d’une démarche municipale et elle mentionne : « La décision de diffuser l’étude pendant la période électorale est un geste, certes, économique, mais il est aussi hautement politique. »[30]
  3.       Elle poursuit :

[112] Le Tribunal réitère que rien n’empêchait le regroupement de faire une étude économique sur la citation patrimoniale ni assumer les frais d’une telle étude et la diffuser après la campagne électorale. Elle pouvait être déposée au conseil municipal le 3 octobre 2017 sans diffusion. La commande de l’étude était bien fondée et valable. La Ville de Gatineau n’avait pas d’étude économique sur la citation patrimoniale. Les promoteurs étaient justifiés d’être mécontents de l’absence de transparence de la Ville, sur les aspects économiques de la situation patrimoniale. Mais, la décision de diffuser l’analyse n’était pas la bonne.                                                  (nos soulignés)

[113] Le Tribunal conclut qu’il s’agit d’une dépense électorale au sens de l’article 451 de la LERM[31].

 

  1.       La juge, ce faisant, justifie pourquoi la dépense en lien avec la diffusion de l’étude est une dépense électorale. Cependant, elle ne motive pas sa décision de qualifier également à titre de dépense électorale les coûts de réalisation de l’étude elle-même, alors qu’elle convient que le dépôt de l’étude au Conseil n’est pas une intervention partisane mais un acte posé par des citoyens dans le cours régulier des activités municipales.
  2. La volonté des Appelants de payer Aviséo pour obtenir une étude économique n’est pas tributaire de la survenance ou non d’élections municipales.
  3. D’ailleurs, le mandat donné à Aviséo ne comportait aucune référence aux élections municipales.
  4. Les Appelants sont des citoyens corporatifs qui ont payé un service de consultants pour obtenir une étude économique évaluant l’impact de la citation patrimoniale afin de la soumettre au service d’urbanisme parce que ce service ne possédait pas une telle étude alors qu’il se penchait activement à cette époque sur les différentes options pour une telle citation et sur le projet de Place des Peuples.
  5. La dépense faite pour obtenir cette étude aurait été faite par les Appelants peu importe que des élections aient lieu ou non.  Ainsi, elle ne se qualifie pas de dépense électorale car elle n’est pas faite en lien avec une intervention partisane.
  6. Même si l’étude est un bien qui peut avoir été utilisé à plusieurs reprises, y compris pendant à la période électorale lors de la conférence de presse, la dépense pour l’obtenir n’a été faite ou autorisée qu’une seule fois et c’est cette dépense qui est l’élément essentiel de l’infraction. Au surplus, la dépense pour le bien doit avoir été faite pour l’un des buts partisans mentionnés par l’article 451 LERM, ce que la première juge a valablement conclu à partir de la preuve n’était pas le cas.
  7. Le Tribunal est conscient que dans un dossier connexe[32], sa collègue a déterminé que la dépense faite pour l’obtention de l’étude économique d’Aviséo se qualifiait de dépense électorale.
  8. Cependant, la preuve administrée dans cette autre affaire n’était pas la même et la première juge ne s’était pas prêtée à l’exercice de qualifier les frais de l’étude de dépense électorale ou non, puisqu’elle avait acquitté l’accusé pour un autre motif.
  9. Dans la présente affaire, la première juge a conclu que l’étude pour laquelle la dépense a été faite par 3223701 et le chèque l’autorisant signé par Gilles Desjardins en date du mois de septembre 2017 pouvait être légitimement déposée au Conseil ce qui n’était pas une intervention partisane, même si ce Conseil se tenait en période électorale.
  10. Les Appelants ne sont pas responsables du choix des dates prévues pour les conseils municipaux et la vie citoyenne ne s’arrête pas complètement, y compris toute analyse des projets en cours, lorsque des élections municipales sont à la veille de se tenir.
  11. Ce que la loi vise à contrer c’est une atteinte au processus démocratique électoral qui pourrait résulter d’un investissement supplémentaire (la dépense), fait par une tierce partie non autorisée, qui favorise et/ou défavorise un candidat à l’élection municipale ou la position d’un parti.
  12. Qu’Essor, dont les Appelantes et M. Desjardins à titre d’administrateur font partie, ait voulu fournir aux représentants déjà élus de la municipalité et à son service d’urbanisme une étude leur permettant de prendre des décisions plus éclairées eu égard à l’impact des diverses options de citation patrimoniale qui sont sous étude n’est pas problématique parce que cela s’inscrit dans leur démarche citoyenne.
  13. Le dépôt d’un document par des citoyens ou un groupe de citoyens que ce soit une pétition ou un document informatif lors d’un conseil municipal n’est pas une infraction, même si ce conseil se tient en période électorale.
  14. Au moment du Conseil, la question de la citation patrimoniale d’un certain périmètre de la municipalité avait déjà fait l’objet de plusieurs rencontres, demandes et représentations citoyennes auprès du service d’urbanisme de la Ville.
  15. Bien qu’elle ne l’ait pas explicitement dit dans sa décision, la première juge semble avoir considéré que puisque les conclusions de l’étude ont été diffusées lors de la conférence de presse, cela fait en sorte que l’étude elle-même est « un bien qui a été utilisé pendant la période électorale » ce qui la mène à conclure que les frais déboursés pour l’obtention de cette étude se qualifient de dépense électorale.
  16. Ceci entre en contradiction avec ses conclusions de faits selon lesquelles l’obtention de l’étude pour son dépôt au Conseil n’est pas une intervention partisane.
  17. Les Appelants 3223701 et Desjardins ont fait ou autorisé le paiement requis pour obtenir l’étude d’Aviséo afin qu’elle puisse être déposée au Conseil. Ils ont d’ailleurs demandé à Aviséo d’accélérer sa livraison afin qu’elle soit prête à temps pour son dépôt à ce Conseil.  Selon la preuve, au moment où Essor s’est engagé à payer pour cette étude, lorsqu’il a donné mandat à Aviséo, il n’était pas question d’organiser une conférence de presse.
  18.  Or, l’infraction consiste à faire une dépense pour obtenir le bien utilisé pendant la période électorale à l’un des fins interdites et la première juge retient que l’étude n’était pas destinée à être utilisée pendant la période électorale pour des fins partisanes.
  19.  Qu’il y ait ou non eu des élections, la commande pour ce bien avait été faite et les frais déboursés pour son obtention ne sont pas liés à la période électorale. Bref, la dépense faite pour l’obtention de cette étude ne peut être qualifiée d’électorale au sens de l’article 451 de la LERM.
  20. Comme le plaidait le DGE et l’a décidé la première juge, c’est la diffusion des résultats de cette étude pendant la période électorale au moyen d’une conférence de presse qui pose problème. Le contenu de l’étude touchait à des enjeux électoraux et le fait de le diffuser fait partie des fins proscrites par la LERM.
  21. L’avis de convocation à la conférence de presse mentionne spécifiquement qu’elle se tient « à la veille de l’élection municipale ». Cette conférence de presse avait pour but de faire connaître à l’électorat municipal les résultats d’une analyse économique en partie défavorable à un large périmètre pour la citation patrimoniale ce qui va nettement à l’encontre du programme d’un candidat ou d’un parti, celui du maire Jobin et d’Action Gatineau lequel privilégiait la citation patrimoniale de tout le Quartier-du Musée[33]
  22. La première juge n’a pas commis d’erreur en décidant que les frais liés à la diffusion de l’étude pendant la période électorale, la location d’une salle pour la conférence de presse, répondaient à la notion de dépense électorale interdites par la LERM.
  23. On sait de la preuve retenue que M. Desjardins a assumé les coûts de transport par hélicoptère de l’expert ayant fait l’étude pour Aviséo afin qu’il soit présent lors de la conférence de presse. La preuve révèle également que cet expert s’est rendu disponible pour expliquer les tenants et aboutissants de cette étude économique sur la citation patrimoniale du Quartier-du-Musée.
  24. Aucune preuve n’a cependant été administrée eu égard au paiement de ces frais associés à la présence de cet expert d’Aviséo lors de la conférence de presse.
  25. La preuve en ce qui concerne la dépense faite pour que soit connu et diffusé auprès de l’électorat le contenu de cette étude se limite au remboursement des frais de location de la salle pour la conférence de presse. Ces frais ont été remboursés à InnovaCom par 144781 par chèque daté du 30 décembre 2018 pour un montant de 1 878,34$, signé par l’appelant Desjardins comme administrateur[34].
  26. Selon les faits que la première juge a considéré valablement prouvés, le Tribunal conclut que la première juge s’est bien dirigée en droit lorsqu’elle a déterminé que les frais de location de la salle de la conférence de presse tenue le 27 septembre pendant la période électorale, représentaient une dépense électorale puisque cette dépense a été faite pour un service qui avait pour but de favoriser ou défavoriser la position d’un candidat ou d’un parti, et ce, sans que cette dépense ait été faite par une personne dûment autorisée en vertu de la loi.
  27. Ce verdict de culpabilité en ce qui concerne l’Appelante 144781 ne souffre d’aucune erreur et est raisonnable eu égard à la preuve. Il doit être maintenu.
  28. Cependant, il en va autrement de la dépense liée à l’acquisition de l’étude économique réalisée par Aviséo.
  29.  La détermination de la première juge selon laquelle l’obtention de l’étude se justifie par une démarche citoyenne et non par une intervention partisane trouve assise dans la preuve.
  30.  Puisque la dépense faite pour cette étude n’est pas une dépense électorale, les verdicts de culpabilité prononcés à l’égard de 3223701 et de l’Appelant Desjardins en lien avec le paiement fait pour obtenir l’étude sont déraisonnables, car DGE n’a pas fait la preuve hors de tout doute raisonnable d’un élément essentiel de l’infraction, soit que la dépense pour obtention de l’étude se qualifie d’électorale au sens de 451 LERM.

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

 

  1. ACCUEILLE en partie l’appel;
  2. MAINTIENT le verdict de culpabilité à l’égard de 144781 Canada Inc. en ce qui concerne le paiement de la location d’une salle pour la conférence de presse;


  1. CASSE la décision de première instance, et SUBSTITUE au verdict de culpabilité un verdict de non-culpabilité pour 3223701 Canada Inc. ainsi que Gilles Desjardins en ce qui concerne le chèque fait à Aviséo au montant de 28 080,34$.

 

 

__________________________________

CATHERINE MANDEVILLE, J.C.S.

 

 

Me Jean-Pierre Barette

Procureur des Appelants-Accusés

 

Me Laurie Montgrain

Procureure de l’intimé-DGE

 

Date d’audience : 13 mai 2024


[1] La décision visée par tous les appels concerne le jugement d’une juge de paix magistrat de la Cour du Québec, rendu oralement le 21 décembre 2022, puis par écrit le même jour.

[2] Acte de désistement signé en date du 30 avril 2024 et déposé au dossier.

[3] LQ 2009, c 11.

[4] Jugement dont appel en date du 21 décembre 2022, par. 28.

[5] Id., par. 29.

[6] Id., par.17 et 18.

[7] Id., par. 9.

[8] Ceci a fait l’objet d’une admission, Id., par. 91.

[9] Id., par. 34.

[10] Id., par. 49-50.

[11] Id., par. 60.

[12] Id., par. 62.

[13] Id., par. 87-89.

[14] Id., par. 79.

[15] Id., par. 85.

[16] Id., pièce P-14 à P-17 et liste d’admissions, par. 13-16.

[17] Mémoire des Appelants, p. 19-20.

[18] LERM, c, E-2.2 onglet 4.

[19] Exposé des Appelants, p. 9-10.

[20] R c. Eurosport Auto Co. Ltd, 2007 BCCA 68.

[21]Tel que l’énonce l’auteur Gordon KAISER dans son ouvrage Corporate Crime and Civil Liability, Markham (Ont.), LexisNexis, 2012, p. 541; et Marc LALONDE, « La responsabilité pénale des personnes morales », (1999) 101(2) Revue du Notariat 259, p. 275-276. La Cour d’appel de l’Ontario réitérait ce principe dans R. c. Codina, 2020 ONCA 848, para. 80 (autorisation d’appel à la CSC rejetée) et mon collègue le juge Labrie retient ce principe dans la décision Paquet c. Agence de Revenu du Québec, 2021 QCCS 4734, par. 67-68.

[22] R. c. Kenitex Canada Ltd, (1981) 64 C.C.C. (2d) 456 (Ont. C.A.), par. 14.

[24] Cournoyer G., Code de procédure pénale du Québec annoté, 12e éd., Montréal Éditions Wilson & Lafleur, 2022, art. 60.

[25] Charles CHEVRETTE et Pierre-Christian COLLINS HOFFMAN, Responsabilité des administrateurs de sociétés par actions au Québec – Sources supplétives de responsabilité civile et pénale, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2016, par. 86 et 89.

[26] Jugement dont appel, préc., note 4, par. 112.

[27] Id., par. 12-13.

[28] Id., par. 78, 86 et 104 et s.

[29] Id., par. 85.

[30] Id., par. 111.

[31] Id., par. 112-113.

[32] D.G.E. c. Masson, 2024 QCCS 448.

[33] Résolution 3.16 du Programme électorale du parti Action Gatineau.

[34] Le chèque numéro 14021.

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