Ville de Saguenay c. Domaine de la rivière inc. |
2019 QCCS 5501 |
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COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
CHICOUTIMI |
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N° : |
150-17-003989-198 |
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DATE : |
11 décembre 2019 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
NICOLE TREMBLAY, J.C.S. |
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VILLE DE SAGUENAY
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Demanderesse |
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c. |
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DOMAINE DE LA RIVIÈRE INC. |
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HÉLÈNE DEMERS |
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RÉAL MORIN |
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JACQUES LAJOIE |
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RACHELLE BEAULIEU |
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SIMON PEDNEAULT |
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MONIQUE GAGNÉ |
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ALEXANDRE LÉVESQUE |
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DANIEL GOSSELIN |
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ÉMILIE ÉMOND |
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THÉRÈSE MARTIN |
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KARINE FILLION |
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CLAUDIA BOIVIN |
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FRANCINE COUDÉ |
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GILBERT BILODEAU |
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AMÉLIE COUTURE
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Défendeurs |
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JUGEMENT |
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[1] Le Tribunal entend une demande introductive d’instance en jugement déclaratoire.[1]
[2] La demanderesse Ville de Saguenay (ci-après «Saguenay») est une personne morale de droit public régie par la Loi sur les cités et villes[2] ainsi que par la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme[3].
[3] La défenderesse Domaine de la rivière inc. (ci-après «le Domaine») est une personne morale légalement constituée en vertu de la Partie I de la Loi sur les compagnies[4] et est maintenant régie par la Loi sur les sociétés par actions[5].
[4] Le Domaine est propriétaire du lot 4 230 136 du Cadastre du Québec, circonscription foncière de Chicoutimi.[6]
[5] Le lot 4 230 136 du Cadastre du Québec est localisé sur le territoire de la demanderesse et est situé dans la zone H-85-35650.[7]
[6] L’ensemble des défendeurs s’avèrent des personnes habiles à voter, domiciliées dans la zone contigüe H-85-35654, à savoir la rue des Cygnes dans l’arrondissement de Chicoutimi.
[7] La zone décrite comme étant H-85-35654 est contigüe à la zone principale concernée à savoir H-85-35650, propriété du Domaine.
[8] Le 9 décembre 2018, le Domaine transmet à Saguenay une demande de modification de règlement de zonage ayant pour objectif de réaliser un projet résidentiel pour des personnes retraitées non-autonomes.[8]
[9] Le 11 décembre 2018, Saguenay donne un avis de motion visant à modifier ledit règlement et adopte également le premier projet de règlement numéro ARS-1165 par le biais d’une résolution.[9]
[10] Ce premier projet de règlement vise à ajouter la classe d’usage 8 du groupe H, c’est-à-dire Habitations collectives (H8) dans la zone en question et d’ajouter à la grille des usages, l’usage spécifique autorisé soit «Maison pour personnes retraitées non-autonomes (1541)» incluant les CHSLD (P2c) et permettre la construction d’un immeuble de dix étages ou plus dans ladite zone.
[11] Le 22 janvier 2019, Saguenay adopte le deuxième projet de règlement par le biais d’une résolution et tient une consultation publique le 24 janvier 2019.[10]
[12] Le premier et le deuxième projet de règlement n’ont pas été modifiés.
[13] Le 1er février 2019, Saguenay reçoit une demande d’approbation référendaire sous forme de pétition dans laquelle les personnes habiles à voter de la zone contigüe H-85-35654 (rue des Cygnes à Chicoutimi) s’opposent à la modification du règlement de zonage dans la zone H-85-35650 permettant la construction d’une résidence pour personnes âgées de dix étages et plus dans cette zone, et demandent la tenue d’un scrutin référendaire.[11]
[14] Cette pétition contient la signature de tous les codéfendeurs qui sont des personnes habiles à voter dans la zone contigüe H-85-35654 (rue des Cygnes à Chicoutimi) de sorte que cette demande contient suffisamment de signatures pour déclencher un référendum.[12]
[15] Cependant, Saguenay n’a pas reçu de demande d’approbation référendaire de la zone principale concernée portant le numéro H-85-35650 qui ne contient qu’une seule personne habile à voter, en l’occurrence le Domaine.
[16] Il s’avère improbable que le Domaine signe un tel registre puisqu’elle a elle-même entamé des procédures pour modifier le règlement de zonage auprès de Saguenay afin d’être habilitée à construire et à opérer une résidence pour personnes âgées non-autonomes de dix étages et plus dans la zone concernée.
[17] Spécifiquement, l’article 130, alinéa 4 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme[13] mentionne :
La demande relative à une disposition qui modifie la classification des constructions ou des usages de telle façon que ceux autorisés dans une zone ne sont plus les mêmes peut provenir de cette zone et de toute zone contiguë à celle-ci, et vise à ce que le règlement soit soumis à l’approbation des personnes habiles à voter de la zone où les constructions ou les usages autorisés ne sont plus les mêmes et d’où provient une demande, ainsi que de celles de toute zone contiguë d’où provient une demande, à la condition qu’une demande provienne de la zone à laquelle elle est contiguë.
[Notre soulignement]
[18] Selon l’interprétation de Saguenay, une demande d’approbation référendaire relativement à une disposition modifiant la classification des usages doit provenir impérativement de la zone principale concernée et de toute zone contigüe à celle-ci, et ce dans la mesure expresse où une demande a été formulée par la zone principale.
[19] En conséquence, Saguenay interprète l’article 130 alinéa 4 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme[14] de façon stricte et constate que les défendeurs ne peuvent exiger la tenue d’un scrutin référendaire sans l’aval de la zone principale qui est constituée d’une seule personne habile à voter, soit le Domaine.
[20] En pareil contexte, Saguenay constate que cette interprétation restrictive s’avère contraire à l’esprit général de l’article 130 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme[15] décrétant le principe de consultation publique visant à concerter les personnes habiles à voter dont la zone est visée ou touchée par une modification à l’un des règlements d’urbanisme d’une municipalité locale.[16]
[21] Saguenay se voit prise dans un dilemme à savoir si elle doit respecter le principe de la consultation publique en tenant un scrutin référendaire malgré le fait qu’elle ne reçoit pas une demande à cet effet par le Domaine, ou si elle doit rejeter cette demande sous prétexte que la zone principale ne demande pas la tenue d’un tel scrutin.
[22] Les points en litige sont les suivants :
1. De quelle façon Saguenay doit procéder dans le cas où la zone principale concernée ne contient qu’une seule personne habile à voter lorsque cette personne est l’instigatrice d’une demande de modification d’un règlement d’urbanisme pouvant avoir un impact sur les zones contigües sachant que ces dernières ne peuvent demander la tenue d’un scrutin référendaire?
2. Comment doit-on interpréter l’alinéa 4 de l’article
1. De quelle façon Saguenay doit procéder dans le cas où la zone principale concernée ne contient qu’une seule personne habile à voter lorsque cette personne est l’instigatrice d’une demande de modification d’un règlement d’urbanisme pouvant avoir un impact sur les zones contigües sachant que ces dernières ne peuvent demander la tenue d’un scrutin référendaire?
et
2. Comment
doit-on interpréter l’alinéa 4 de l’article
[23]
D’emblée, l’article
[24] Cette modification s’avère possible. Comme on le sait, l’opinion et l’intervention des citoyens pouvant subir des impacts par des modifications de zonage doivent être écoutées et respectées par une municipalité. Saguenay agit en conformité avec les règlements lors des étapes d’adoption.
[25] Puisque le scrutin référendaire ne peut être réclamé que par le Domaine, il s’avère inutile de le tenir puisque la seule personne habilitée à voter s’avère l’instigatrice de la demande de modification du règlement de zonage.
[26]
L’étape d’approbation référendaire est suggérée par l’article
[27] Les auteurs de doctrine se montrent exaspérés dans leurs ouvrages quant à la mise en application de l’article en question. L’auteur Lorne Giroux maintenant juge surnuméraire à la Cour d’appel du Québec s’exprimait comme suit dans un Colloque publié par la Revue de droit de l’Université de Sherbrooke :
C’est ainsi que, de clarification en précision cette disposition fondamentale déterminant qui a le droit de demander qu’une modification soit assujettie à l’approbation référendaire est devenue un salmigondis indigeste qui défie toute compréhension. En 1996, présentant à l’Assemblée nationale la nouvelle procédure d’approbation référendaire, le ministre des Affaires municipales expliquait qu’un des principes ayant présidé à l’élaboration de ces règles était de consacrer «le droit des citoyens et des citoyennes à être informés, à être entendus et à approuver ou à rejeter certaines mesures des règlements d’urbanisme lorsque celles-ci sont modifiées[19]». À la lecture de la Loi, ces citoyens sont en droit de se demander ce qui est advenu du principe et de leur droit d’être informés quand les règles devant consacrer ce droit sont elles-mêmes incompréhensibles.[20]
[28] Seize ans plus tard, l’auteur Marc-André Lechasseur commentait :
Les différentes étapes menant à l’adoption ou au retrait d’un règlement modifiant un règlement d’urbanisme contenant des dispositions susceptibles d’approbation référendaire démontrent l’importance accordée par le législateur à l’équité procédurale. Cette équité est fortement intégrée à l’étude du projet de règlement et à la participation populaire.[21]
[29] On peut constater, même en 2019-2020, en lisant la Collection de droit du Barreau du Québec que la compréhension des conditions d’application s’avèrent nébuleuses :
La détermination des personnes intéressées qui ont le droit de faire cette demande doit être faite en suivant les indications, pas toujours claires, de l’article 130 L.a.u.[22]
[30] Saguenay a respecté toutes les étapes obligatoires prévues par la loi. Malgré sa volonté d’être respectueuse de l’action citoyenne et du pouvoir de revendication des résidents des zones contigües ou dans la zone principale où des changements de règlement de zonage peuvent modifier l’évolution des projets à être engendrés, elle n’a pas à tenir de référendum en vertu de la Loi sur l’aménagement et de l’urbanisme.
[31]
Malgré les commentaires d’auteurs prolifiques quant à l’inapplicabilité
ou aux difficultés d’application de l’article
[32] Le législateur aurait intérêt à modifier le libellé de l’article 130 en question afin de permettre le processus de consultation légitime pour les citoyens affectés lors d’une demande de modification.
[33] L’alinéa 4 de l’article 130 de cette Loi permet uniquement au Domaine de demander la tenue d’un référendum.
[34] Dans le présent contexte, malgré toute la bonne volonté de Saguenay, elle n’a pas à tenir de référendum pour les motifs ci-haut exprimés.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[35] DÉCLARE que la zone contigüe H-85-35654 et la zone principale H-85-35650 s’avèrent les zones visées;
[36] DÉCLARE que les seules personnes habiles à voter qui sont habilitées à exiger la tenue d’un scrutin référendaire concernant le règlement ARSB1165 s’avèrent celles domiciliées dans la zone principale H-85-35650;
[37] LE TOUT sans frais de justice.
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__________________________________ NICOLE TREMBLAY, J.C.S. |
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Me Caroline Hamel |
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Boivin Hamel |
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Avocats de la demanderesse |
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Date d’audience : |
2 décembre 2019 |
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[1]
Art.
[2] L.R.Q. c. C-19.
[3] L.R.Q. c. A-19.1.
[4] L.R.Q. c. C-38.
[5] L.R.Q. c. S-31.1 et Pièce P-1 - État de renseignements d’une personne morale.
[6] Pièce P-2 - Acte de déclaration de saisine intervenu le 22 septembre 1972 devant Me Hugues Gagnon, notaire, et publié au Registre foncier le 29 septembre 1972 et informations provenant du rôle d’évaluation dudit immeuble portant le numéro matricule 6362-20-404-000-0000-7.
[7] Pièce P-1.
[8] Pièce P-3 - Demande de modification du règlement de zonage numéro VS-R-2012-3 à la demanderesse pour la zone H-85-35650.
[9] Pièce P-4 - Résolution no. VS-AC-2018-609 et copie du projet de règlement no. ARS-1165.
[10] Résolution no. VS-AC-2019-21, extrait du procès-verbal no. 7.2.
[11] Pièce P-6 - Copie certifiée conforme de la pétition ainsi qu’un plan des zones visées.
[12]
Art.
[13] Id. note 2.
[14] Id. note 2.
[15] Id. note 2.
[16] L.R.Q. c. A-19.1.
[17] Blanchette c. Bécancour (Ville de), C.A. Québec, no. 9745, 30 mai 1978, extrait de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme annoté, vol. 1, éd. Yvon Blais, septembre 2019.
[18] Loi modifiant diverses dispositions législatives en matière municipale, L.Q. 1999 C90, en vigueur depuis le 20 décembre 1999.
[19] Discours du ministre des Affaires municipales lors du débat sur l’adoption du principe, Journal des débats, Québec, Assemblée nationale, 5 juin 1996, p. 1724.
[20] Colloque La Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, les premiers vingt ans, un bilan du droit positif, Le Règlement de zonage selon la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme par l’auteur Lorne Giroux, Revue de droit de l’Université de Sherbrooke, vol. 31, no. 1-2, 2000-2001.
[21] Zonage et urbanisme en droit canadien, Marc-André Lechasseur, 2016, 3e éd., Wilson & Lafleur, p. 156.
[22] Collection de droit 2019-2020, Barreau du Québec, vol. 8, Droit public et administratif, titre IV - Les Pouvoirs municipaux en matière d’urbanisme.
AVIS :
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