Ville de Waterloo c. Groupe Jaspe | 2025 QCCM 47 |
COUR MUNICIPALE DU QUÉBEC |
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CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC |
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COUR MUNICIPALE COMMUNE DE LA VILLE DE WATERLOO |
LOCALITÉ DE | WATERLOO |
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N° : | WLO240006 |
DATE : | 26 MAI 2025 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE MONIQUE PERRON, J.M.Q. |
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VILLE DE WATERLOO |
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Partie Poursuivante |
c. |
GROUPE JASPE |
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Partie Défenderesse |
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JUGEMENT
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- APERÇU
- Le litige porte sur des activités de colportage réalisées le 27 février 2024, sans l’obtention préalable d’un permis auprès de la Ville de Waterloo (« Waterloo ») conformément à son règlement municipal[1] (« Règlement »).
- Le Groupe Jaspe (« Groupe ») se présente comme une corporation sans but lucratif à vocation spirituelle judéo-chrétienne, menant des actions de prévention du suicide par l’évangélisation. Il estime que la sollicitation de porte-à-porte est le moyen le plus efficace pour atteindre les personnes en détresse confrontées à des idées suicidaires, tout en adoptant une approche évangélique. Les personnes sollicitées peuvent remettre un don en échange de livres véhiculant un message religieux.
- Le Groupe allègue que l’exigence d’un permis municipal préalable constitue une atteinte à ses droits constitutionnels en matière de liberté de religion et d’expression. Par conséquent, il demande que le Règlement exigeant l’obtention du permis de colportage soit déclaré inopérant à leur égard.
- Waterloo soutient que le colportage à domicile effectué par le représentant du Groupe avait pour seul objectif la vente de livres, et l’obtention d’un permis de colportage demeure requise, quel que soit leur contenu. Une telle exigence n’est ni discriminatoire ni attentatoire aux droits et libertés. Et même à supposer qu’une atteinte soit démontrée, celle-ci reste minimale et se justifie dans une société libre et démocratique.
- En dépit de l’attaque constitutionnelle, le Procureur général du Québec s’est abstenu d’intervenir dans le débat.
- QUESTIONS EN LITIGE
- Le présent dossier soulève plusieurs questions.
- L’activité en cause relève-t-elle du colportage ou de la sollicitation au sens du Règlement ?
La réponse est le colportage.
- La preuve démontre-t-elle que le 27 février 2024, le Groupe s’est livré à une activité religieuse?
La réponse est non, mais subsidiairement, la remise des brochures à caractère religieux soulève des enjeux liés aux droits garantis par les Chartes.
- En raison de la règle du stare decisis, le Tribunal est-il lié par les décisions de Ste-Thècle et de Blainville?
La réponse est non.
- De façon subsidiaire, le Règlement porte-t-il atteinte à la liberté de religion?
- Les croyances et pratiques du Groupe sont-elles religieuses et sincères?
La réponse est oui
- Le permis de colportage constitue-t-il une entrave ou un obstacle à la liberté de religion du Groupe?
La réponse est oui.
- L’entrave est-elle négligeable ou insignifiante?
La réponse est oui.
- Le Règlement nuit-il à la pratique religieuse?
La réponse est non.
- Le Règlement porte-t-il atteinte à la liberté d’expression?
La réponse est non.
- La décision du Tribunal a-t-elle une portée juridique à l’égard des autres municipalités du Québec ?
La réponse est non.
- CONTEXTE
- Le 27 février 2024, un couple prépare leur dîner à domicile. La plaignante voit par la fenêtre un homme qui se promène dans la rue avec un charriot et se dirige vers sa maison.
- Son conjoint lui ouvre la porte. Le « colporteur[2]» veut lui vendre plusieurs livres à 20 $ l’unité qui traitent de la prévention du suicide. L’échange dure de 5 à 10 minutes et les propos tenus ne visent que la prévention au suicide. Même si la cause est noble en soi, le plaignant refuse catégoriquement d’acheter quoi que ce soit. Il lui fait savoir qu’il n’est pas intéressé. Il explique au tribunal qu’il ne veut pas acheter des biens issus de sollicitation par porte à porte.
- Devant ce refus, le colporteur quitte en remettant 2 brochures et déclare que ces lectures lui ont sauvé la vie.
- Sans participer à la conversation, la plaignante entend les échanges entre son conjoint et le colporteur qui veut lui vendre un livre lié à la prévention du suicide, au prix de 20 $.
- Elle confirme que son conjoint a refusé tout achat et, tout comme lui, précise que la règle générale selon laquelle le couple n’achète pas de biens offerts par des vendeurs itinérants demeure toujours respectée.
- En prenant connaissance des deux brochures remises in extremis, elle découvre que la prévention au suicide ne sert que de prétexte. Elle se dit choquée d’avoir été sollicitée à domicile par un colporteur cherchant à leur vendre des livres sur la prévention du suicide alors qu’en réalité, les brochures véhiculaient un message à portée religieuse, bien que le colporteur n’en ait jamais fait mention.
- Elle s’adresse à Waterloo et dénonce cette forme de colportage qui dissimule sa véritable nature religieuse.
- Le Groupe est représenté par son fondateur Monsieur Tremblay qui est l’âme dirigeante. Il se décrit comme éditeur, écrivain et homme religieux de foi chrétienne adhérant aux dogmes de l’Église protestante.
- Les activités de porte-à-porte du Groupe reposent sur la prévention du suicide à travers les Évangiles. Ses membres offrent des livres en échange de dons. Le Groupe soutient ainsi qu’il s’agit de sollicitation, et non de colportage.
- Depuis 2015, Monsieur Tremblay est d’avis qu’à la suite de sa « victoire[3] » devant la cour municipale dans l’affaire de Ste-Thècle[4] qui l’opposait personnellement à la municipalité, il est désormais dispensé de l’obligation d’obtenir un permis préalable pour exercer des activités de porte-à-porte dans les différentes villes.
- La preuve démontre qu’il n’a jamais soumis de demande de permis à Waterloo et qu’il n’était pas présent chez les plaignants, le 27 février 2024. C’était l’un de ses bénévoles qui faisait le porte-à-porte.
- ANALYSE ET DISCUSSION
1) L’activité en cause relève-t-elle du colportage ou de la sollicitation au sens du Règlement ?
- Waterloo soutient que le Groupe se livrait à des activités de colportage en vendant des livres de porte-à-porte alors que ce dernier s’en défend en invoquant plutôt une sollicitation de dons et une participation à des échanges spirituels et religieux en lien avec la prévention du suicide.
- Les définitions prévues au Règlement distinguent deux types d’activités de porte-à-porte, qui sont certes apparentées, mais non identiques. Un colporteur transporte avec lui des objets, effets ou marchandises dans l’intention de les vendre, tandis que le solliciteur agit dans un cadre plus large, impliquant une sollicitation, qui vise la collecte d’argent ou un autre objectif. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle en vient la Cour d’appel dans l’arrêt Blainville[5].
[32] Il ne fait pas de doute que le par. 37(2) du règlement englobe les visites des Témoins et que telle était l'intention du conseil municipal lorsqu'il l'a adopté. Avec égards pour le premier juge, je ne peux interpréter l'expression « porte-à-porte », telle que définie, autrement, car le mot « sollicitation » est capable de plusieurs acceptions, incluant « demander l'attention d'une personne afin d'entreprendre un dialogue avec elle », ce que les Témoins recherchent en frappant à une porte (voir le Petit Robert).
- Examinons maintenant en détail le libellé des dispositions pertinentes du Règlement.
DÉFINITIONS
Article 6.
COLPORTEUR
Signifie toute personne qui porte elle-même ou transporte avec elle des objets, effets ou marchandises avec l’intention de les vendre dans les limites de la municipalité, sans que sa présence n’ait été sollicitée.
SOLLICITEUR
Signifie toute personne qui sollicite ou collecte de l'argent après une sollicitation téléphonique ou autre ou toute personne qui vend des annonces, de la publicité, des insignes ou des menus objets ou toute personne qui exerce quelque forme de sollicitation monétaire que ce soit dans les rues de la municipalité de porte-à-porte ou autrement.
[Nous avons souligné.]
- On comprendra qu’aux termes de ces définitions, le solliciteur peut, entre autres, vendre des insignes ou de petits objets. Le terme « menus objets » utilisé dans la définition de sollicitation, par opposition aux objets mentionnés dans la définition de colporteur, fait référence à des articles de faible valeur. Ajoutés aux insignes, on peut, à titre d’exemple, penser à des objets de peu de valeur tels que des stylos, des figurines ou des porte-clés vendus dans le cadre d’activités de porte-à-porte.
- En quoi les nuances qui distinguent le colportage de la sollicitation sont-elles importantes, si, dans les deux cas, le Règlement exige préalablement, l’obtention d’un permis[6]?
- La particularisation réside dans le coût du permis. L’article 107 du Règlement prévoit que le montant du permis de colporteur est déterminé dans un règlement de la tarification.
- C’est la Loi sur la fiscalité municipale[7] qui permet à une ville de décréter une tarification pour l’utilisation d’un bien, d’un service ou pour le bénéfice reçu d’une activité.
- Découlant de son Règlement, Waterloo a adopté une règlementation couvrant un large éventail de tarifs. Plus particulièrement, la disposition pertinente se lit comme suit :
RÈGLEMENT MODIFIANT LE RÈGLEMENT RELATIF À LA TARIFICATION POUR L’ANNÉE 2024[8].
2.5 Coût des permis requis par le règlement G-100 Exonéré de taxes
2.5.1 Permis de colportage : 200 $
- Le Tribunal n’a recensé aucun coût de permis liés aux activités de sollicitation dans ce règlement sur la tarification.
- À la lecture du Règlement, il ressort clairement l’intention de Waterloo de distinguer des activités de colportage, associées à une démarche commerciale générant un revenu, de celles relevant de la sollicitation, qui poursuivent une autre vocation. Pour s’en convaincre, il suffit de faire l’étude comparative du Règlement.
- Qu’il s’agisse des dispositions relatives au permis[9], aux activités de financement scolaires ou parascolaires[10], ou aux associations à but non lucratif[11], elles encadrent l’action de vendre, collecter ou solliciter.
- Il en est de même pour celles qui encadrent les heures pendant lesquelles le porte-à-porte est autorisé[12], ainsi que l’interdiction de se présenter sur une propriété où l’affichage indique « pas de colporteur », ou « pas de sollicitation »[13], qui s’inscrivent aux deux types d’activités de solliciter ou de colporter.
- À l’inverse, les dispositions encadrant les conditions d’obtention du permis[14], l’exigence de porter une carte d’identité[15] et l’obligation de présenter le permis à toute personne qui en fait la demande[16] ne font aucune distinction entre l’une ou l’autre des activités. Le demandeur de permis ou le détenteur doit s’y conformer.
- Le Tribunal conclut que le Règlement distingue expressément le colportage de la sollicitation et que les coûts exigés pour un permis ne visent que ceux en lien avec le colportage.
- Monsieur Tremblay affirme que les bénévoles sont formés pour solliciter les résidents dans le but de leur transmettre un message religieux en lien avec la prévention du suicide et de recueillir des dons. Des ouvrages leur sont proposés en échange de dons allant jusqu’à offrir à titre gracieux des livres ou des dépliants.
- Mais concrètement, sur le terrain, la preuve démontre une réalité bien différente.
- Cette preuve non contredite démontre que le colporteur transporte un charriot et se présente chez le couple de plaignants en tentant de leur vendre, au coût de 20 $ l’unité, des livres qu’il a en sa possession et qu’il présente comme traitant de la prévention du suicide. Offrir des livres au coût de 20 $ constitue une activité de colportage au sens du Règlement, sans plus.
- La vente de livres représente une activité commerciale dont les revenus profitent notamment à leurs écrivains en vertu des droits d’auteur, comme le démontre la preuve au dossier, ainsi qu’à la maison d’édition.
- Monsieur Tremblay est l’auteur de trois livres faisant partie de l’inventaire utilisé dans le cadre des activités de porte-à-porte. À titre indicatif, il communique quelques chiffres issus de son bilan de l’année précédente.
- Le financement du Groupe provient de dons, sans toutefois en préciser le montant global. Le Groupe a déclaré avoir reçu 29 971,68 $ en dons exclusivement issus des activités de porte-à-porte. Il a consacré 24 005 $ à l’impression des livres et 30 405 $ à l’impression des Évangiles, sans préciser les autres coûts liés aux frais d’exploitation, d’administration et les frais d’édition et déclare avoir distribué 10 738 livres, sans toutefois préciser les stocks en inventaire.
- À titre personnel, il perçoit du Groupe un revenu annuel de 24 000 $, voté par celui-ci, représentant les royautés qui lui sont allouées en raison de ses droits d’auteur sur ses livres et concède que ce revenu ne tient pas compte des dépenses remboursées auxquelles il a droit, ni des déductions fiscales dont il bénéficie.
- De plus, il reconnaît utiliser personnellement l’un des deux véhicules appartenant à la corporation, ainsi qu’un téléphone cellulaire. S’ajoutent à cela la prise en charge de ses frais de repas et les avantages fiscaux dont il bénéficie en lien avec l’utilisation d’un bureau à domicile.
- Ainsi, le Tribunal estime que le Groupe vend des livres et qu’il est assujetti à la règle applicable au colportage à des fins commerciales, laquelle entraîne l’imposition de frais de 200 $ exigés par Waterloo pour l’obtention d’un permis alors que l’activité de sollicitation est exonérée de frais. Dans le cas impliquant la vente de biens, le Règlement prévoit une exigence supplémentaire.
Article 108. CONDITIONS
Pour obtenir un permis, le demandeur doit présenter sa demande au moins 30 jours avant la période prévue pour la vente et démontrer à la municipalité qu'il détient le permis requis par la Loi sur la protection du consommateur.
[Nous avons souligné.]
- Le Règlement ne fait que confirmer le cadre législatif déjà en vigueur au Québec, lequel encadre les activités de vente de biens dans le but de protéger les consommateurs, qu’il s’agisse d’un organisme religieux ou d’un particulier. Le Groupe est donc tenu de s’y conformer lorsqu’il vend des livres, ce qui n’a pas été mis en preuve.
2) La preuve démontre-t-elle que le 27 février 2024, le Groupe s’est livré à une activité religieuse?
- Les représentations du colporteur portent uniquement sur la vente de livres en lien avec la prévention du suicide, sans toutefois aborder la religion. D’abondant, la carte d’identité avec photo que porte le bénévole ne révèle pas, à première vue, une mission religieuse.
- En effet, les inscriptions sur la carte sur fond bleu et noir, affichent l’entête, en majuscules et en caractères blancs doux bien en évidence, les mots « PRÉVENTION du SUICIDE à DOMICILE » sur deux lignes distinctes, ainsi qu’un numéro de téléphone débutant par 1-888, clairement visible au bas de la carte.
- Sous cet entête se trouvent d’autres informations avec des caractères de couleur différente plus pâle, de taille plus petite, avec la mention « NUMÉRO D’ENREGISTREMENT », suivie d’un numéro inscrit en rouge sous cette ligne qui capte moins l’attention en raison de sa couleur. Toutefois, ce numéro n’est pas celui d’un permis municipal.
- Finalement, l’inscription, plus discrète, « LE GROUPE JASPE » apparaît au centre de cet ensemble d’informations, auquel d’autres informations apparaissent en dessous en caractères rouges « Agence de revenu du Canada » et sous laquelle figure une adresse web de cette agence fédérale dans une autre couleur.
- Somme toute, cette cocarde ne donne aucun indice au résident que le bénévole représente un groupe religieux, à moins de le connaître. Encore faut-il pouvoir distinguer, en petits caractères, le nom du Groupe, discrètement inscrit.
- Le bénévole ne divulgue aucune description de son groupe pour lequel il fait du porte-à-porte. Sans vouloir offenser les membres de ce regroupement, Jaspe n’est pas aussi évocateur de religion et n’a pas la même notoriété que d’autres groupes religieux, comme les Témoins de Jéhovah, par exemple qui sont mondialement connus[17].
- Lorsque le colporteur omet d’aborder la dimension religieuse ou son appartenance au groupe qu’il représente, il passe sous silence le message essentiel qu’il devait transmettre en lien avec la prévention du suicide. Il ne propose pas un ouvrage explicitement évocateur de la religion, comme l’est la « Bible », les « Évangiles », le « Coran » ou la « Torah », dont la seule mention suffit sans qu’aucune explication supplémentaire ne soit nécessaire. Il ne fait pas non plus la lecture de texte religieux.
- Pour découvrir le message spirituel contenu dans ses livres sur la prévention du suicide, il faut d’abord les acheter au coût de 20 $. Puisque la vente escomptée échoue, la remise des deux brochures à la fin de la discussion, accompagnée de l’affirmation que cela lui avait sauvé la vie, ne suffisait pas, à cette étape, pour connaître le message religieux. En effet, on peut attribuer le fait d’avoir la vie sauve ou de ne pas s’être suicidé pour de nombreuses raisons, sans que cela implique nécessairement un contenu religieux dans les lectures proposées.
- Le thème de la prévention du suicide capte assurément l’intérêt d’un résident et sert d’introduction pour amorcer une conversation sans révéler la véritable démarche religieuse. D’ailleurs, aucune preuve n’a été présentée en établissant que les livres offerts à la porte des plaignants étaient ceux de l’auteur Monsieur Tremblay ou du Groupe. La seule preuve repose sur l’affirmation des plaignants, qui se disent choqués par le contenu des brochures après en avoir pris connaissance, sans que ce contenu n’ait été dévoilé lors des échanges avec le colporteur.
- En raison des représentations faites quant aux livres offerts sur la prévention du suicide, des échanges exclusivement centrés sur ce thème, du prix fixe exigé pour leur achat et de l’absence de toute sollicitation de dons, la preuve démontre que le colporteur exerçait une activité de vente de livres en faisant du porte-à-porte, n’ayant aucune portée religieuse. La visite revêt un caractère mercantile lorsque le colporteur se présente à la porte pour demander à l’occupant s’il acceptait de l’écouter sans toutefois faire la promotion de ses convictions religieuses en lien avec la prévention du suicide.
- Le Tribunal n’entend pas déclarer que les activités du Groupe sont, en général, assimilables à du colportage, reconnaissant que les objectifs de leur mission, aussi nobles soient-ils, peuvent se distinguer selon le contexte. Toutefois, lorsque dans les faits, le représentant de ce groupe choisit lui-même de limiter son rôle à celui d’un vendeur de livres, il occulte sa mission religieuse qui pourtant était essentielle et se réduit ainsi à un commerçant exerçant une activité de vente.
- Cependant, on ne peut ignorer que les deux brochures véhiculent un message religieux, bien qu’elles n’aient pas été déposées en preuve. L’interpellation des plaignants auprès des autorités de Waterloo est directement liée à la portée religieuse des écrits, ce qui a alerté cette dernière. Les témoignages suffisent pour démontrer que malgré les échanges entourant la vente et la prévention du suicide, le colporteur a remis des brochures à saveur religieuses. C’est uniquement pour ce motif que, de façon subsidiaire, le Tribunal reconnaît que l’analyse d’une possible violation des droits religieux protégés par les Chartes mérite d’être examinée.
- En l’espèce, la défense soutient que les conclusions rendues dans les affaires Ste-Thècle et Blainville lient le Tribunal, lequel devrait dès lors déclarer le Règlement inopérant à l’égard du Groupe. Cette prétention mérite toutefois d’être examinée de plus près.
3) En raison de la règle du stare decisis, le Tribunal est-il lié par les décisions de Ste-Thècle et de Blainville?
- Le Groupe argue qu’en 2015 dans l’affaire Ste-Thècle, une autre cour municipale a déclaré inopposable à Monsieur Tremblay, la totalité du règlement sur le colportage de la municipalité au motif qu’il portait atteinte à sa liberté de religion en rendant la gestion des demandes de permis si complexe qu’elle en rendait ses tournées pratiquement irréalisables. Le Groupe estime que la courtoisie judiciaire impose au juge de respecter le stare decisis vertical du précédent qui émane d’une même cour. Dans les faits, le Groupe demande que la décision ait l’autorité de la chose jugée pour l’ensemble de ses activités de porte-à-porte.
- De plus, le Groupe plaide qu’en raison de la hiérarchie judiciaire, un juge est tenu de respecter le stare decisis vertical émanant de la Cour d’appel du Québec issu de l’affaire Blainville qui a déclaré inopposables à l’endroit d’un regroupement religieux, certaines dispositions règlementaires imposant un permis pour la sollicitation par porte-à-porte, estimant qu’elles contrevenaient à la liberté de religion et d’expression sans justification suffisante.
- Waterloo prétend, en revanche, que les faits se distinguent tant par le Règlement en cause que par la pratique du porte-à-porte exercée par le Groupe, ainsi que par la preuve présentée par la poursuivante en 2015. Rien n’est comparable qui pourrait lier le Tribunal de l’affaire Ste-Thècle.
LES RÈGLES DU STARE DECISIS VERTICAL ET HORIZONTAL
- La Cour suprême dans l’affaire Comeau [18] rendue en 2018, insiste sur le respect des décisions judiciaires entre les différentes juridictions dont les juges en sont liés.
[26] Les tribunaux de Common Law sont liés par les précédents faisant autorité. Ce principe — celui du Stare decisis — est fondamental pour assurer la certitude du droit. Sous réserve d’exceptions extraordinaires, une juridiction inférieure doit appliquer les décisions des juridictions supérieures aux faits dont elle est saisie. C’est ce qu’on appelle le stare decisis vertical. Sans ce fondement, le droit fluctuerait continuellement, selon les caprices des juges ou les nouveaux éléments de preuve ésotériques produits par des plaideurs insatisfaits du statu quo.
- Plus récemment en 2022 dans l’affaire Sullivan[19], la Cour suprême précise qu’une décision constitutionnelle d’un tribunal liera les instances inférieures alors que celles tranchées par un tribunal de juridiction équivalente, pourra servir de précédent, si la décision fait autorité. Un juge de première instance ne peut lier les autres juges de sa juridiction en considérant aveuglément que sa décision est indiscutable et définitive, à moins qu’elle ne soit portée en appel.
- En vertu de ce principe, une décision judiciaire de même instance peut faire l’objet d’une révision ou d’une analyse différente, soit en raison d’une interprétation erronée ou en raison de l’évolution de la société ou du droit, selon la théorie de l’arbre vivant. La Cour suprême dans Sullivan reconnaît avoir eu à revisiter ses propres décisions dans le passé. Le droit n’est pas figé dans le temps et la société évolue et change alors que le droit constitutionnel demeure des balises fondamentales.
[65] Le Stare decisis horizontal s’applique aux tribunaux de juridiction équivalente dans une province, et s’applique à une décision sur la constitutionnalité d’une disposition contestée, de même qu’à toute autre question de droit tranchée par une cour, si la décision fait autorité. Bien qu’elles ne fassent pas strictement autorité de la même façon que le stare decisis vertical, les décisions du même tribunal devraient être suivies par souci de courtoisie judiciaire, de même que pour les raisons justifiant l’application de la règle du stare decisis en général (Parkes, p. 158). La décision en matière constitutionnelle d’un tribunal liera évidemment les juridictions inférieures par la voie du stare decisis vertical.
[66] La règle du stare decisis procure au règlement de questions constitutionnelles d’importants avantages qui établissent un équilibre entre la prévisibilité et la cohérence, d’une part, et l’évolution de la situation sociale et le besoin de justesse, d’autre part. Comme l’a fait remarquer Robert J. Sharpe, la décision incorrecte en matière constitutionnelle d’un tribunal est plus difficile à corriger et pourrait requérir l’intervention du législateur (Good Judgment : Making Judicial Decisions (2018)). Il serait malavisé qu’un seul juge de première instance dans une province lie tous les autres juges de première instance. Il vaut mieux réexaminer un précédent que le laisser perpétuer une injustice (Sharpe, p. 165-168). Si les déclarations prononcées en application du par. 52(1) faisaient strictement autorité pour l’avenir, aucun de ces avantages ne se concrétiserait, et notre droit constitutionnel se scléroserait. Voilà pourquoi la juge en chef McLachlin a affirmé que « le principe du stare decisis ne constitue pas un carcan qui condamne le droit à l’inertie » (Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 R.C.S. 331, par. 44). Le Stare decisis horizontal vise à concilier, d’une part, la stabilité et la prévisibilité et, d’autre part, la justesse et l’évolution ordonnée du droit.
[Nous avons souligné.]
- Dans la présente affaire, Waterloo soutient que l’adoption de la Loi sur la laïcité de l’État[20], adoptée en 2019 peut témoigner de l’évolution de la société québécoise et que celle-ci a bien changé depuis l’arrêt Blainville rendu en 2003 ou de Ste-Thècle rendu en 2015 et qu’il est temps de revisiter les principes de la règlementation sur le colportage.
- Il est indéniable que la société québécoise évolue, ses valeurs se cristallisent et parlent par la modernisation de ses lois, mais pas au point d’affecter les droits constitutionnels garantis par les Chartes.
- Le Tribunal ne peut se distancier des principes directeurs issus de l’arrêt Blainville qui s’est soumis à l’analyse rigoureuse du test de la Cour suprême de l’arrêt Oakes[21] afin de conclure que le règlement sur le colportage portait atteinte aux droits constitutionnels en matière de religion. L’arrêt Oakes est toujours d’actualité.
- Cependant, la Cour d’appel n’est jamais allée aussi loin pour déclarer inopérants tous les règlements de colportage à l’égard des groupes religieux, à travers les municipalités du Québec. Chaque cas est un cas d’espèce et doit être analysé en respect des principes émanant des tribunaux supérieurs. D’autant plus que la Cour d’appel conclut dans Blainville, que l’atteinte constitutionnelle était plus que minimale donc injustifiée dans un contexte de porte-à-porte avec limitation restrictive interdisant l’activité les fins de semaine et le règlement visait un groupe religieux bien spécifique[22], ce qui nous diffère du cas en l’espèce.
- Le Règlement ne crée aucune distinction entre les catégories de demandeurs, ne tient pas compte du caractère religieux d’un groupe, n’impose aucune interdiction journalière et ne restreint pas non plus la possibilité de renouveler un permis au cours de la même année.
- De plus, depuis 2003, la Cour d’appel n’avait pas eu l’opportunité de tenir compte des nombreux jugements rendus ultérieurement par la Cour suprême[23], lesquels établissent de nouveaux jalons quant aux tests à suivre lorsqu’une atteinte à la liberté de religion est invoquée.
- Il n’en demeure pas moins, comme le rappelle la Cour suprême dans l’affaire Ontario (Procureur général) c. Fraser[24], que la prudence est de mise lorsqu’un juge envisage de s’écarter de la règle du précédent judiciaire.
[132] La certitude et la cohérence, que favorise le respect des précédents, importent pour la bonne administration de la justice dans un régime fondé sur la primauté du droit. Les tribunaux doivent donc être prudents lorsqu’ils sont appelés à écarter une décision antérieure. […]
[133] Le tribunal appelé à décider s’il convient ou non d’écarter un précédent met en balance deux valeurs importantes : la décision correcte et la certitude. Il doit se demander s’il vaut mieux suivre une décision incorrecte dans l’intérêt de la certitude ou corriger l’erreur. Comme cette pondération suppose l’exercice du pouvoir discrétionnaire, tribunaux et auteurs ont proposé l’application d’une pléthore de critères.
- Il apparaît essentiel aux yeux du Tribunal de reprendre l’affaire Blainville et de l’analyser à la lumière des faits en l’espèce et de l’évolution jurisprudentielle. Il s’agit d’un des principes juridiques de « l’objet changeant ».
- Qu’en est-il de la décision Ste-Thècle émanant d’une cour municipale rendue en 2015?
- À cette époque, le constat visait personnellement Monsieur Tremblay et les faits retenus en preuve se distinguaient de ceux de la présente cause. La preuve reposait uniquement sur son témoignage relatif à sa pratique religieuse, excluant toute vente de livres et aucun plaignant n’avait été entendu. Le juge avait alors conclu à une atteinte à sa liberté religieuse en raison de la complexité et de la multiplicité des demandes de permis, qui limitaient sa mission.
- Retenons que la poursuite n’avait présenté aucune preuve permettant de justifier la nécessité d’un permis pour contrer la défense ni démontrer que l’objectif poursuivi était suffisamment urgent et réel pour en exiger l’obtention.
- Dans la présente affaire, c’est le Groupe qui doit répondre à l’infraction reprochée et non l’éditeur ou le dirigeant à titre personnel. Avec respect, le Tribunal ne partage aucunement les conclusions rendues dans l’affaire Ste-Thècle. La multiplicité des demandes, résultant d’une sollicitation étendue à travers plusieurs municipalités, ne saurait constituer un motif suffisant pour conclure à une violation des droits constitutionnels.
- La Cour d’appel dans l’affaire Groupe Essa[25] résume essentiellement les lignes directrices que les juges doivent suivre lorsqu'il s'agit d'épouser une décision rendue par l'un de leurs collègues de la même juridiction ou de s’en dissocier.
[57] Si les juges suivent fréquemment les jugements rendus par leurs collègues de la même juridiction, ils le font « par courtoisie ou par solidarité professionnelle, mais surtout par souci d'une meilleure administration de la justice »; ils n’y sont pas tenus aussi formellement qu’envers les arrêts des tribunaux d’appel, dont l’une des fonctions importantes dans notre système judiciaire est en effet de dire et clarifier le droit.
[58] Tout dépendra, au sein du tribunal d’instance, de la solidité et de la qualité des motifs du jugement invoqué comme « précédent » ou, en l’absence d’un arrêt d’un tribunal d’appel, de l’unanimité de la jurisprudence de ce tribunal sur une question donnée.
[…]
[59] À l’inverse, comme l’observe aussi à juste titre l’auteur Mayrand : Lier les juges aux précédents, c’est leur mettre des entraves qui les empêchent de corriger des interprétations erronées. Obliger un juge à faire sienne l’erreur d’un autre, qui a eu l’occasion de s’exprimer avant lui, ne favorise pas le progrès du droit. Comme l’écrit monsieur le juge Jean-Louis Baudouin dans un arrêt récent de la Cour d’appel, « [u]ne erreur maintes fois répétée ne suffit jamais à créer la vérité ».
[…]
[62] Premièrement, une décision d’un juge d’instance ne fait pas autorité et ne lie pas les juges du même tribunal simplement parce qu’elle est la première à être rendue sur une question ou un sujet en particulier.
[…]
[63] Deuxièmement, il m’apparaît évident qu’un juge d’instance ne saurait se sentir lié par le jugement d’un ou d’une collègue s’il estime qu’il comporte une erreur de droit, telle une erreur d’interprétation d’une disposition législative ou règlementaire. […]
[Nous avons souligné et les références sont omises.]
- Le Tribunal estime ne pas être lié par la décision de Ste-Thècle, qui n’a pas été portée en appel. De plus, la preuve en l’espèce étant distincte, la conclusion en droit repose sur l’absence, dans la preuve de la poursuite, d’un élément établissant le caractère proportionnel de l’objectif du règlement. Dans la présente affaire, la poursuite a présenté une preuve de justification. En dépit de l’interprétation qu’en fait le Groupe, la décision dans Ste-Thècle ne constitue pas un précédent judiciaire.
4) De façon subsidiaire, le Règlement porte-t-il atteinte à la liberté de religion?
- Le Groupe avance que le Règlement porte atteinte à sa liberté de conscience et de religion protégée par l’alinéa 2a) de la Charte canadienne et par l’article 3 de la Charte québécoise, alors que Waterloo prétend le contraire.
CONTEXTE LÉGISLATIF RÈGLEMENTAIRE
- Les articles pertinents du Règlement se lisent comme suit :
CHAPITRE VIII - COMMERCES
SECTION I - Les colporteurs et les solliciteurs
Article 103. PERMIS
Un colporteur ou un solliciteur, doit, pour vendre, collecter ou solliciter dans la municipalité, demander et obtenir un permis.
Article 104. ACTIVITÉS DE FINANCEMENT SCOLAIRES OU PARASCOLAIRES
Les étudiants doivent, pour vendre, collecter ou solliciter dans la municipalité, aux fins d’activités scolaires ou parascolaires, demander et obtenir un permis.
Une preuve de leur résidence et de leur statut d’étudiants peut être exigée par l’autorité compétente.
Une demande de permis peut également être déposée par un établissement scolaire, pour tous les étudiants fréquentant cet établissement, aux fins d’activités scolaires ou parascolaires.
Article 105. ASSOCIATION À BUT NON LUCRATIF
Une association à but non lucratif doit, pour vendre, collecter ou solliciter dans la municipalité, demander et obtenir un permis.
Une preuve de reconnaissance de son statut peut être exigée par l’autorité compétente.
Article 107. COÛT
Le montant du permis de colporteur est déterminé dans le Règlement de tarification.
Article 108. CONDITIONS
Pour obtenir un permis, le demandeur doit présenter sa demande au moins 30 jours avant la période prévue pour la vente et démontrer à la municipalité qu'il détient le permis requis par la Loi sur la protection du consommateur.
Article 109. VALIDITÉ DU PERMIS
Tout permis émis en vertu du présent chapitre n'est valide que pour la personne au nom de laquelle il est émis et il est valide pour la période de temps qui y est mentionnée.
La durée de validité du permis ne peut excéder 30 jours.
Article 110. HEURES DE SOLLICITATION
Il est défendu de solliciter ou colporter sur le territoire de la municipalité entre 20 h et 10 h.
Article 111. PORT DE LA CARTE D’IDENTITÉ
La personne à qui le permis est délivré doit, quand elle fait ses affaires ou exerce cette activité, porter sa carte d'identité sur elle de façon visible en tout temps.
Un étudiant qui sollicite de porte-à-porte pour un établissement scolaire doit porter sur lui un carton d’identification indiquant le nom de l’établissement, les dates de validité du permis et le numéro du permis. L’établissement scolaire doit reproduire le carton d’identification selon le nombre exact de colporteurs ou de solliciteurs.
Article 112. EXHIBITION DU PERMIS
La personne à qui le permis est délivré doit exhiber son permis à toute personne qui le demande.
Article 113. SOLLICITATION PROHIBÉE PAR AFFICHAGE
Il est interdit au détenteur d’un permis de colporteur de solliciter sur une propriété où est affichée un avis portant une expression telle « pas de colporteur » ou « pas de sollicitation » ou toute autre mention similaire.
CHAPITRE IX - SÉCURITÉ, PAIX ET ORDRE PUBLIC
SECTION I - Dispositions générales
Article 174. REFUS DE QUITTER UNE PLACE PRIVÉE OU UN ENDROIT PRIVÉ
Il est défendu à toute personne de refuser de quitter une place privée ou un endroit privé lorsqu'elle en est sommée par une personne qui y réside ou qui en a la surveillance ou la responsabilité ou par un agent de la paix dans l'exercice de ses fonctions.
Article 179. FRAPPER ET SONNER AUX PORTES
Il est défendu à toute personne de sonner ou de frapper à la porte, à la fenêtre ou à toute autre partie d'un endroit privé, sans excuse raisonnable. »
CONTEXTE LÉGISLATIF CONSTITUTIONNEL
Volet canadien
- Les dispositions pertinentes de la Charte canadienne des droits et libertés[26] (Charte canadienne) qui garantissent les libertés individuelles sont les suivantes :
1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.
2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :
a) liberté de conscience et de religion;
b) liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;
Volet québécois
- La Charte québécoise des droits et libertés de la personne[27] (Charte québécoise) contient des dispositions de garanties aux libertés similaires :
3. Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d’association.
(…)
9.1. Les libertés et droits fondamentaux s'exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de la laïcité de l’État, de l’importance accordée à la protection du français, de l'ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec.
(…)
10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.
Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.
(…)
49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnue par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.
(…)
52. Aucune disposition d'une loi, même postérieure à la Charte, ne peut déroger aux articles 1 à 38, sauf dans la mesure prévue par ces articles, à moins que cette loi n'énonce expressément que cette disposition s'applique malgré la Charte.
- Le Groupe ne conteste pas le pouvoir législatif de Waterloo d’adopter son Règlement, se fondant sur la Loi sur les compétences municipales[28].
- Il est permis à Waterloo d’adopter tout règlement pour assurer la paix, l’ordre, le bon gouvernement et le bien-être général de sa population[29]. La section 1 du Chapitre VIII du Règlement s’adresse directement aux colporteurs et solliciteurs encadrant leurs activités exercées sur son territoire.
- Cette section du Règlement impose l’exigence d’un permis pour toute activité de porte-à-porte s’y déroulant, qu’il s’agisse de vente, de collecte ou de sollicitation. Quel que soit le statut du demandeur : particulier, organisme à but non lucratif ou étudiant cherchant à financer une activité scolaire ou parascolaire, le permis est requis, sans exception. De prime abord, ce Règlement n’est en aucun cas discriminatoire et Waterloo traite tout le monde de manière équitable.
- Qu’en est-il si le demandeur se définit en tant qu’organisme religieux sans but lucratif? Un tel règlement, encadrant les activités de porte-à-porte, enfreint-il les droits religieux?
- Le porte-à-porte, sujet d’intérêt s’il en est un, a fait couler beaucoup d’encre. Dès 1953, il a fait l’objet d’une décision marquante de la Cour suprême dans l’affaire Saumur [30]. Dans ce jugement, la Cour a invalidé une règlementation municipale obligeant les Témoins de Jéhovah à obtenir un permis pour distribuer leur documentation religieuse dans les rues de la ville, estimant cette exigence contraire à la liberté de religion.
- 50 ans plus tard, la Cour d’appel dans l’affaire Blainville, se rallie à nouveau à ces préceptes, rendant inopérantes les dispositions de la règlementation sur le colportage qui obligeaient les Témoins de Jéhovah à obtenir un permis pour effectuer des visites de porte-à-porte.
« [36] En somme, comme le précise la Cour européenne des droits de l'homme en 1993 dans Kokkinakis c. Grèce, 17 E.H.R.R. 397, par. 31, la liberté de religion ne se limite pas à la pratique de sa religion, mais « comporte en principe le droit d'essayer de convaincre son prochain par exemple au moyen d'un enseignement ».
[37] Il ressort aussi de l'arrêt Big M Drug Mart que c'est la sincérité des croyances dictées à un individu par sa propre conscience qu'il importe de considérer lorsqu'un tel individu invoque la liberté de religion pour poser un geste ou refuser de le faire. En l’instance, la preuve confirme que les intimés croient sincèrement, en s'appuyant notamment sur la Bible, qu'ils doivent aller de maison en maison pour tenter de répandre leur message. Pour respecter leur liberté de religion, ils doivent pouvoir poser ces gestes aussi souvent qu'ils le souhaitent « sous réserve des restrictions qui sont nécessaires pour préserver la sécurité, l'ordre, la santé ou les mœurs publics ou les libertés et droits fondamentaux d’autrui » (Big M Drug Mart, fin du passage précité).
[38] Or, les dispositions règlementaires ajoutées en 1996 interdisent aux Témoins de solliciter le soir et surtout les fins de semaine, de même que 10 mois par année, le tout sous peine d’amende. Elles portent donc atteinte à leur liberté de religion, reconnue expressément au par. 2a) de la Charte (De même qu'à l'art. 3 de la Charte québécoise). »
- Le fondement des droits constitutionnels impose aux dispositions d’un règlement sur le colportage de ne pas entraver la possibilité pour quelqu’un de discuter de religion avec une personne qui se présente chez elle, ou de tout autre sujet, qu’il soit politique, social ou autre.
- La Cour suprême a établi les principes et la portée de la liberté de religion dans l’arrêt R. c. Big Drug Mart Ltd[31]. :
[94] […] Le concept de la liberté de religion se définit essentiellement comme le droit de croire ce que l'on veut en matière religieuse, le droit de professer ouvertement des croyances religieuses sans crainte d'empêchement ou de représailles et le droit de manifester ses croyances religieuses par leur mise en pratique et par le culte ou par leur enseignement et leur propagation. Toutefois, ce concept signifie beaucoup plus que cela.
[95] La liberté peut se caractériser essentiellement par l'absence de coercition ou de contrainte. Si une personne est astreinte par l'état ou par la volonté d'autrui à une conduite que, sans cela, elle n'aurait pas choisi d'adopter, cette personne n'agit pas de son propre gré et on ne peut pas dire qu'elle est vraiment libre. L'un des objectifs importants de la Charte est de protéger, dans des limites raisonnables, contre la coercition et la contrainte.
- Et plus tard en 2004, la Cour suprême dans l’arrêt Amselem[32] a revisité les principes essentiels à retenir de ses décisions antérieures et a posé les jalons de la définition de la liberté de religion[33] et a établi un test en deux étapes qui, dorénavant, sert de guide aux tribunaux.
[46] Pour résumer, la jurisprudence de notre Cour et les principes de base de la liberté de religion étayent la thèse selon laquelle la liberté de religion s’entend de la liberté de se livrer à des pratiques et d’entretenir des croyances ayant un lien avec une religion, pratiques et croyances que l’intéressé exerce ou manifeste sincèrement, selon le cas, dans le but de communiquer avec une entité divine ou dans le cadre de sa foi spirituelle, indépendamment de la question de savoir si la pratique ou la croyance est prescrite par un dogme religieux officiel ou conforme à la position de représentants religieux.
- Concrètement, cet arrêt phare sert de guide aux tribunaux de première instance appelés à trancher un litige lorsque l’atteinte à la liberté de religion est invoquée. Il oriente l’analyse des faits propres à chaque cas en établissant un test en deux étapes, que le Tribunal replace dans le contexte du présent litige.
- La première étape du test consiste à déterminer s’il y a une atteinte à la liberté de religion du Groupe en raison de la sincérité de ses pratiques et ses croyances. Si la réponse est affirmative, la seconde étape du test vise à établir si l’exigence du permis de colportage constitue une entrave non négligeable ou non insignifiante à cette liberté.
a) Les croyances et pratiques du Groupe sont-elles religieuses et sincères?
- Le Groupe a le fardeau de démontrer dans un premier temps, qu’il possède une pratique ou une croyance qui est liée à la religion qui requiert une conduite particulière, soit celle du porte-à-porte et dans un deuxième temps, que sa croyance est sincère[34].
- En d’autres mots, il ne suffit pas d’affirmer que le porte-à-porte est effectué par un organisme à but non lucratif religieux pour bénéficier de la protection des Chartes.
- Il faudra démontrer que l’activité de visites à domicile, non sollicitées par un résident, s’inscrit dans une démarche de foi spirituelle en lien avec les croyances et les pratiques auxquelles adhère le Groupe.
- Bien qu'à l'origine, le Groupe s’était donné une mission plutôt axée sur une démarche d’éducation spirituelle, un volet additionnel de prévention du suicide l’a conduit à modifier les objectifs de la corporation.
- En effet, les lettres patentes du Groupe datant du 17 mai 1999 attestent qu’il est reconnu auprès de l’Inspecteur général des institutions financières en tant que corporation sans but lucratif sous la Partie III de la Loi sur les compagnies[35]. Les objets pour lesquelles la corporation est constituée sont les suivantes :
« Tenir toutes activités qui contribuent à répondre aux besoins fondamentaux de l’être humain, spirituellement et physiquement par toutes œuvres de bienfaisance.
Participer à l’éducation spirituelle et morale de toutes personnes en besoin. Sous réserve de la Loi sur l’enseignement privé (L.R.Q., c. E-9) et ses règlements.
Recevoir des dons, legs et autres contributions de même nature en argent, en valeurs mobilières ou immobilières, administrer de tels dons, legs et contributions : organiser des campagnes de souscription dans le but de recueillir des fonds pour des fins charitables. Les objets ne permettent pas aux souscripteurs ou leurs ayants, le droit de recouvrer sous quelque forme que ce soit, l’argent qu’ils auront versé à la corporation. »
[Nous avons souligné.]
- Le 13 juin 2001, le Groupe modifie ses lettres patentes pour y ajouter les termes suivants :
« Faire la prévention du suicide et dans le domaine de l’abus spirituel par le biais de conférences, de cours, de séminaires, de disques compacts, de vidéo et de livres;
Enseigner les principes de la religion judéo-chrétienne par le biais d’enseignements de la Bible sur différents sujets;
Organiser des retraites religieuses dans le but d’approfondir les principes enseignés par la Bible; »
[Nous avons souligné.]
- En résumé, le fondateur du Groupe, Monsieur Tremblay démontre qu’il appuie sa démarche sur les préceptes religieux tirés des Évangiles et se défend de faire du prosélytisme.
- La preuve démontre, tant par ses lettres patentes et le témoignage de son fondateur, que le Groupe embrasse les fondements de l’Église protestante et que ses valeurs judéo-chrétiennes l’amènent à transmettre un message véhiculé par les Évangiles en visitant les gens.
- Au fil des ans, la nouvelle mission du Groupe, enrichie d’un volet sur la prévention du suicide, s’exerce toujours à travers les Évangiles. Sa croyance repose sur l’idée que la Bible contient les outils, ou plus précisément, les paroles capables de convaincre une personne en détresse que le suicide n’est pas une solution à ses souffrances. En plus de vouloir briser l’isolement ou d’identifier des personnes aux prises avec des tendances suicidaires, le Groupe dispose de la Bible, de livres, de tracts, distribués gratuitement ou en échange de dons pour étayer ses préceptes. La générosité des donateurs représente une source de financement.
- Jusqu’ici, la preuve n’est constituée que de valeurs religieuses auxquelles adhère le Groupe, qui ne donne pas ouverture à une atteinte aux droits constitutionnels. Le Règlement sur le porte-à-porte n’entrave en rien leur croyance.
- Le Tribunal estime qu’il n’est pas suffisant d’affirmer que le porte-à-porte est le moyen le plus efficace pour rejoindre une personne en se fondant sur les pratiques ancestrales. Dans notre société moderne, la sollicitation à domicile n’est qu’un moyen parmi tant d’autres pour établir un contact. Le téléphone, l’Internet, les médias et les réseaux sociaux offrent des canaux tout aussi efficaces, sinon plus.
- Aux yeux du Tribunal, quiconque revendique que ses droits à la religion sont entravés du seul fait qu’un règlement impose l’obtention préalable d’un permis, au motif qu’il effectue du porte-à-porte au nom d’une mission ou d’un organisme religieux, ne satisfait pas le premier critère et ne se décharge pas de son fardeau.
- Au surplus, la preuve démontre que le Groupe a visité un nombre considérable de villes au cours de son existence. Toutefois, le simple fait que le Groupe étende ses activités sur un vaste territoire ne constitue pas, en soi, une atteinte à ses droits constitutionnels de sa pratique religieuse. Tout au plus, il appuie une preuve fondée sur la répétition de l’activité.
- Le seul élément de preuve donnant ouverture à la discussion portant sur une atteinte aux droits constitutionnels réside dans le témoignage du dirigeant, qui pratique des tournées de porte-à-porte en s’inspirant de l’exemple de Jésus, parcourant les villages pour sensibiliser la population et répandre un message religieux, à l’instar des Témoins de Jéhovah, mondialement reconnus pour leur mission d’évangélisation à domicile.
- C’est en raison de cet élément que Waterloo reconnaît que la foi et les croyances du Groupe reposent sur des dogmes religieux qui requièrent une sollicitation par porte-à-porte et que sa démarche ainsi que ses croyances sont sincères.
- Il n’appartient pas au Tribunal de débattre du bien-fondé d’une croyance, mais plutôt de déterminer si elle est sincère et réelle. Il doit également établir si, selon les pratiques du Groupe, le porte-à-porte fait partie de son dogme, ce qui est le cas en l’espèce.
b) Le permis de colportage constitue-t-il une entrave ou un obstacle à la liberté de religion du Groupe?
- Un bref survol jurisprudentiel nous permet de réaliser que les décisions de la Cour suprême en lien avec les atteintes à la liberté de religion ont évolué au cours des années, suivant l’arrêt Amselem et que les deux étapes du test furent modulées.
- 5 ans plus tard, la Cour suprême raffine la deuxième étape du test dans la décision Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony[36] en citant ses décisions antérieures. Dans cette affaire, un nouveau règlement imposait la photo obligatoire universelle à tous les Albertains titulaires d’un permis de conduire et les membres de la communauté huttérienne s’opposaient, pour des raisons religieuses, à l’obligation de se faire photographier. L’objectif du règlement contesté visait à préserver l’intégrité du système de délivrance des permis de conduire de façon à minimiser le risque de vol d’identité. La cour a reconnu cet objectif comme urgent et réel, susceptible de justifier certaines restrictions aux droits lorsqu’elles sont proportionnelles et nécessaires à la protection du public.
- Profitant de cette affaire, la Cour suprême a précisé certaines nuances du deuxième test afin de mieux cerner les critères [37] permettant de conclure à l’existence d’une entrave ou d’un obstacle à la liberté de religion en s’exprimant en ces termes :
[32] Il est établi qu’une mesure contrevient à l’al. 2a) de la Charte lorsque : (1) le plaignant entretient une croyance ou se livre à une pratique sincère ayant un lien avec la religion; et que (2) la mesure contestée nuit d’une manière plus que négligeable ou insignifiante à la capacité du plaignant de se conformer à ses croyances religieuses : Syndicat Northcrest c. Amselem et Multani. Une atteinte « négligeable ou insignifiante » est une atteinte qui ne menace pas véritablement une croyance ou un comportement religieux. Voici ce que dit à cet égard le juge en chef Dickson dans R. c. Edwards Books and Art Ltd. :
L’alinéa 2a) a pour objet d’assurer que la société ne s’ingèrera pas dans les croyances intimes profondes qui régissent la perception qu’on a de soi, de l’humanité, de la nature et, dans certains cas, d’un être supérieur ou différent. Ces croyances, à leur tour, régissent notre comportement et nos pratiques. La Constitution ne protège les particuliers et les groupes que dans la mesure où des croyances ou un comportement d’ordre religieux pourraient être raisonnablement ou véritablement menacés. Pour qu’un fardeau ou un coût imposé par l’État soit interdit par l’al. 2a), il doit être susceptible de porter atteinte à une croyance ou pratique religieuse. Bref, l’action législative ou administrative qui accroît le coût de la pratique ou de quelque autre manifestation des croyances religieuses n’est pas interdite si le fardeau ainsi imposé est négligeable ou insignifiant.
[Nous avons souligné les références sont omises.]
- Finalement, 3 ans plus tard en 2012, dans l’arrêt S.L. c. Commission scolaire des Chênes[38], la Cour suprême affirme qu’il ne suffit pas qu’une personne déclare que ses droits sont enfreints. Elle doit se décharger d’un fardeau additionnel par prépondérance des probabilités.
[23] À l’étape de la preuve de l’atteinte, cependant, il ne suffit pas que la personne déclare que ses droits sont enfreints. Il lui incombe de prouver l’atteinte suivant la prépondérance des probabilités. Cette preuve peut certes prendre toutes les formes reconnues par la loi, mais elle doit néanmoins reposer sur des faits objectivement démontrables. […]
[24] […] Comme pour tous les autres droits et libertés protégés par la Charte canadienne et la Charte québécoise, la preuve de l’atteinte requiert une analyse objective des règles, faits ou actes qui en entravent l’exercice. Décider autrement aurait pour effet de permettre à la personne de conclure elle-même à l’existence d’une atteinte à ses droits et de se substituer ainsi au tribunal dans ce rôle.
[25] Il convient de rappeler de plus les propos de la juge Wilson dans l’arrêt R. c. Jones, [1986] 2 R.C.S. 284, p. 314, repris par le juge Iacobucci dans Amselem, par. 58 : l’al. 2a) de la Charte canadien ne « n’oblige pas le législateur à n’entraver d’aucune manière la pratique religieuse » (…) « La protection ultime accordée par un droit garanti par la Charte doit être mesurée par rapport aux autres droits et au regard du contexte sous-jacent dans lequel s’inscrit le conflit apparent » (Amselem, par. 62). Aucun droit n’est absolu.
[Nous avons souligné.]
- Les bases de l’analyse étant bien définies par la Cour suprême, le Tribunal conclut que le Règlement entrave, un tant soit peu, la liberté de religion du Groupe pour les raisons suivantes.
- Ses pratiques religieuses sont restreintes à l’obligation de se soumettre à l’obtention d’un permis avant d’effectuer du porte-à-porte. Cette exigence règlementaire leur impose une gestion administrative préalable à l’exercice de leurs visites domiciliaires, car la demande doit être faite à l’avance.
- De plus, elle oblige le Groupe à prévoir les villes qu’il souhaite visiter. Le permis limite en quelque sorte la durée de ses tournées qui doivent s’exercer à l’intérieur de la période de validité. En plus d’indiquer ses informations nominatives, le Groupe doit s’attendre à des vérifications de la part des officiers municipaux afin de confirmer son existence et son authenticité. De plus, il est tenu d’indiquer combien de personnes participeront au porte-à-porte et décrire le type d’activité.
c) L’entrave est-elle négligeable ou insignifiante?
- En 2017, dans l’affaire Ktunaxa Nation c. Colombie-Britannique[39], la Cour suprême statue qu’en plus de démontrer une atteinte à la liberté de religion, il faut démontrer que la conduite de l’État nuit d’une manière plus que négligeable ou insignifiante à la capacité de se conformer à sa pratique ou sa croyance[40].
- Pour répondre à la question, il est nécessaire de replacer le Règlement dans son contexte et d’identifier les principes qu’il vise à protéger ou encadrer. Il faut que cet encadrement ne menace pas raisonnablement ou véritablement les pratiques religieuses du Groupe.
- Autrement dit, l’analyse objective repose sur des faits visant à déterminer en quoi l’exigence d’un permis constitue une entrave significative, et non négligeable, à la capacité du Groupe de se conformer à ses croyances religieuses.
- Les dispositions du Règlement s’inscrivent sous le chapitre des permis et, contrairement aux prétentions du Groupe, il n’est pas nécessaire d’obtenir les échanges du conseil municipal ayant mené à son adoption pour conclure qu’elles encadrent les activités liées à l’expectative de vie privée et l’accès à la propriété privée d’autrui, sans que le résident l’ait sollicité.
- La lecture des articles suffit pour en saisir le sens et l’objectif recherchés d’autant plus que le témoignage éclairant du Directeur de l’urbanisme met en lumière les obligations de Waterloo qui en découlent.
- Le permis est requis dès qu’une activité de porte-à-porte est exercée. Il permet d’identifier, tant pour les personnes physiques que morales, au nom de qui et par qui cette activité sera menée sur le territoire.
- La preuve démontre que des vérifications rigoureuses sont effectuées afin de confirmer les identités et d’éviter l’usage de faux noms ou de compagnies inexistantes.
- Ces vérifications se sont imposées en raison de la recrudescence des sollicitations frauduleuses de porte-à-porte, dans le but de protéger la population générale et les plus vulnérables. Le Règlement donne des outils de vérification pour éviter d’être victime de fraude.
- Ainsi, la personne qui se présente à une résidence devra non seulement porter sa carte d’identité de manière visible permettant de l’identifier, mais aussi exhiber son permis à la demande du résident. Dans le cas où elle est incapable de le présenter sur-le-champ, cela pourra, à tout le moins, éveiller les soupçons du résident quant à une possible irrégularité. L’impossibilité d’exhiber le permis constituera certainement un indice que sa présence pourrait ne pas être autorisée par Waterloo ou qu’elle pourrait être frauduleuse.
- Des infractions pénales découlent d’une activité de porte-à-porte qui ne respecte pas le Règlement. C’est le cas d’une personne qui se présente à une résidence malgré l’écriteau « pas de colporteur » ou « pas de sollicitation »; elle commet alors une infraction prévue à l’article 113 du Règlement. La personne qui refuse de quitter l’endroit lorsqu’elle est sommée de le faire par le résident commet également une infraction en lien avec l’article 174 du Règlement, qui s’inscrit dans les dispositions visant la sécurité, la paix et l’ordre public. Il reviendra alors à la poursuivante d’établir l’identité du contrevenant, tandis que le permis ou la carte d’identité constituent des outils facilitant cette identification.
- Les objectifs rationnels du Règlement visent non seulement à permettre l’exercice d’une activité de porte-à-porte après vérification, mais aussi à répondre à des enjeux d’identification et de protection de la population. Ces objectifs sont réels et légitimes et ne résultent pas d’un caprice municipal visant à empêcher ou restreindre les activités de porte-à-porte sur son territoire en contravention aux droits constitutionnels.
- Bien que le colporteur ait porté une carte d’identité avec photo lors de sa visite, il n’était pas en mesure d’exhiber un permis sur demande, puisqu’il n’en possédait pas.
- Revenons aux distinctions des faits de l’affaire Blainville : les circonstances y étaient nettement différentes, tant sur le plan de la preuve que des effets concrets du règlement en cause. Avant les modifications apportées au règlement de Blainville en 1996, les Témoins de Jéhovah n’avaient pas besoin de permis. En réaction à l’augmentation des sollicitations religieuses les matins de fin de semaine, le conseil municipal a révisé sa législation, entraînant l’assujettissement des activités de sollicitation des groupes religieux à des contraintes importantes, notamment :
- L’obligation de remplir un long formulaire de huit pages, comportant des questions dépourvues de pertinence pour les activités religieuses, étant davantage axé sur des pratiques commerciales.
- L’obtention d’un permis, valide uniquement pour deux mois, sans possibilité de renouvèlement au cours de la même année;
- L’interdiction de se présenter chez les résidents les soirs ou les fins de semaine;
- Les coûts de 100 $;
- Il n’en fallait pas plus pour que la Cour d’appel conclue que les atteintes étaient plus que minimales et, par conséquent, injustifiées, dans un contexte où les activités de porte-à-porte étaient restreintes à certaines périodes et interdites certains jours, réduisant ainsi la portée de l’action auprès de la population. Elle souligne également que le règlement adopté visait un groupe religieux bien précis, ce qui accentuait son caractère discriminatoire.
- Dans la présente affaire, comme mentionné précédemment, le Règlement n’impose aucune restriction quant aux journées où le porte-à-porte peut être exercé, permettant l’activité sept jours sur sept. Seule une limitation des heures est prévue, interdisant le porte-à-porte entre 20h00 le soir et 10h00 le matin.
- Aucune preuve n’a été présentée par le Groupe permettant de conclure que leurs croyances exigent que cette activité doive se dérouler en dehors de la plage horaire prévue, notamment tard le soir ou durant la nuit. De même, rien dans la preuve ne démontre que le respect du délai prescrit pour l’obtention du permis empêcherait le Groupe d’exercer son activité à l’intérieur de ce cadre temporel.
- D’ailleurs, la preuve présentée par la poursuite démontre que Waterloo fait preuve de tolérance lorsque le demandeur établit qu’il ne lui reste que quelques jours pour compléter ses activités sur le territoire, auquel cas une nouvelle demande de permis n’est pas nécessaire même si le délai est expiré.
- Qu’en est-il de la demande de permis et des modalités pour l’obtenir ? En quoi cette exigence peut-elle représenter un obstacle ou une entrave ?
- En excluant l’intitulé et l’espace réservé à l’administration en haut du formulaire, ainsi que la section prévue pour les signatures et les rappels des règles à respecter au bas, le formulaire tient sur une demi-page et est simple à remplir. Il ne contient aucune question intrusive. On y demande le type d’activité, sa durée, la description des lieux visés, la nature et les services ou produits offerts ainsi que le nombre de représentants.
- Il peut être complété en ligne via le site web de Waterloo et n’exige pas la présence physique du demandeur pour être traité.
- Le Tribunal reconnaît que le demandeur devra se présenter pour obtenir le permis, mais cette exigence constitue une entrave négligeable, d’autant plus que l’activité de porte-à-porte s’effectuera en personne sur le territoire. Tôt ou tard, sa présence à Waterloo sera inévitable.
- Le délai de traitement est rapide et Waterloo fait preuve d’efficacité. Excepté dans de rares cas liés à un manque d’effectifs, il ne dépasse jamais 15 jours.
- Le Tribunal estime que la défense ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve visant à démontrer en quoi le délai d’obtention du permis constituait une entrave à sa pratique religieuse.
- Le Règlement n’a pas pour objectif d’interdire au Groupe de faire du porte-à-porte à Waterloo, contrairement à certaines jurisprudences. Le Règlement ne brime pas l’activité religieuse et ne crée aucune restriction religieuse.
- À titre d’exemple, l’interdiction règlementaire dans l’affaire Amselem, avait pour effet d’interdire à un Juif orthodoxe d’installer une soucca sur le balcon de sa résidence, une pratique conforme à ses croyances. Autre exemple dans l’affaire Multani où la règle visait à empêcher un élève de religion sikh à porter son kirpan à l’école. Le cas sous espèce se distingue de ces types d’interdictions.
- Le Règlement de Waterloo ne crée aucune interdiction et n’empêche pas le Groupe de pratiquer ses croyances sur le territoire. Sans leur adresser une invitation, la preuve démontre que Waterloo aurait accordé un permis s’il en avait reçu la demande. Le Groupe n’est pas persona non grata à Waterloo.
- D’autant plus que le Règlement prévoit la possibilité de soumettre une nouvelle demande sans limitation quant au nombre de fois où cela peut être fait.
- En conclusion, les faits en l’espèce se situent aux antipodes de ceux de l’affaire Blainville et le Tribunal estime que l’entrave découlant de l’obligation d’obtenir un permis préalable est négligeable.
d) Le Règlement nuit-il à la pratique religieuse?
- Le Groupe soutient que le Règlement nuit à sa pratique religieuse consistant à se rendre de « village en village », bien que le terme approprié pour Waterloo soit « ville », et que le Québec étant divisé en municipalités autonomes, cela entraîne une multiplication des demandes de permis. Ces demandes devant être soumises 30 jours à l’avance, leur gestion s’avère difficilement réalisable. Pourtant le Groupe n’a pas démontré que ses activités de porte-à-porte sont improvisées et ne peuvent respecter le délai préalable de 30 jours pour obtenir un permis.
- Dans les faits, ce n’est pas le Règlement qui nuit à leurs pratiques religieuses, mais plutôt la diversité des endroits visités lors des tournées. S’il y a une entrave, elle réside dans la volonté du Groupe d’étendre ses activités à la grandeur du Québec.
- Monsieur Tremblay a témoigné être responsable de l’organisation des tournées pour son Groupe et s’appuyant sur ses propres statistiques, il affirme avoir visité 911 villages, dont, plus récemment, une tournée de 23 villages en une semaine en Abitibi, menée avec une dizaine de bénévoles. Être contraint de planifier les endroits à visiter 30 jours à l’avance semble représenter une difficulté en termes de gestion.
- Toutefois, nulle part dans la preuve, le Groupe n’a démontré le caractère imprévisible des tournées en lien avec ses pratiques religieuses et que les 70 bénévoles étaient déployés sur tout le Québec en même temps. Aux yeux du Tribunal, le seul véritable obstacle réside plutôt dans la volonté de ne pas se soumettre à l’exigence imposée par les autorités municipales en raison des formalités administratives. Ce dont se plaint le Groupe relève plutôt des effets du Règlement et non de l’objet de celui-ci.
- Le Tribunal conclut que cette obligation constitue davantage une exigence incommodante plutôt qu’une véritable nuisance à la pratique religieuse. Le Règlement n’a aucun effet coercitif sur les pratiques religieuses du Groupe.
- Les frais exigés pour certaines demandes de permis ne constituent pas non plus une nuisance dans le cas où le Groupe exerce véritablement une activité de sollicitation, puisque celle-ci n’entraîne aucun coût, contrairement à une activité commerciale qui génère des profits.
- Somme toute, remplir un formulaire aussi succinct constitue une simple formalité. La Cour suprême, dans l’arrêt Jones[41], conclut que l’alinéa 2a) de la Charte canadienne n’oblige pas un législateur à n’entraver d’aucune manière la pratique religieuse.
- Dans cette affaire, Monsieur Jones refusait d’envoyer ses enfants à l’école publique, comme l’exigeait la loi, pour des motifs religieux. Parallèlement, il s’opposait également à présenter une demande d’exemption visant à obtenir une attestation écrite d’un inspecteur du ministère de l’Éducation, confirmant que l’enseignement qu’il dispensait était adéquat. Pourtant, on lui demandait simplement de faire approuver son enseignement par les autorités institutionnelles,[42] dira la Cour suprême.
- À l’instar de l’affaire Jones, le Tribunal estime que la simple formalité de présenter une demande au moyen d’un formulaire de moins d’une page, ne constitue pas une entrave aux droits constitutionnels. Le Groupe ne peut prétendre que ses droits religieux ont été lésés, alors que Waterloo ne leur a jamais rien refusé, n’ayant reçu aucune demande de permis.
- Le Tribunal conclut que le Groupe n’a pas satisfait son fardeau et qu’il n’est pas nécessaire d’invoquer l’article premier de la Charte canadienne ou son corolaire de la Charte québécoise. Le Règlement ne menace pas véritablement ses croyances et pratiques religieuses.
5) Le Règlement porte-t-il atteinte à la liberté d’expression?
- Le Groupe avance que le Règlement porte atteinte à sa liberté d’expression protégée par l’alinéa 2b) de la Charte canadienne et par l’article 3 de la Charte québécoise, alors que Waterloo prétend le contraire.
- La liberté d’expression est une valeur fondamentale dans notre société. Toutefois, la Cour suprême rappelle dans l’affaire de R. c. Keegstra[43], qu’elle n’est pas absolue et peut être restreinte lorsqu’elle entre en conflit avec d’autres valeurs importantes et elle n’est pas illimitée[44].
- L’arrêt de principe Irwin Toy Ltd.[45] de la Cour suprême établit les critères applicables lorsqu’une violation de la garantie de liberté d’expression est alléguée. La première étape de l’analyse consiste à déterminer si l’activité du demandeur entre dans le champ des activités protégées par cette garantie et le terme « expression » prévu à l'alinéa 2b) de la Charte canadienne vise tout contenu de l'expression, sans égard aux sens ou message particuliers que l'on cherche à transmettre.
- Le Tribunal retient que la forme d’expression adoptée par le Groupe, soit le porte-à-porte abordant la prévention du suicide, constitue sans contredit une forme d’expression protégée par les Chartes. Il en va de même pour les brochures distribuées, qui véhiculent un contenu à caractère religieux. L'alinéa 2b) protège tout le contenu de ces formes d’expression.[46]
- Puisque la preuve établit que l’activité exercée par le Groupe s’inscrit dans le champ d’application de la liberté d’expression, la deuxième étape de l’analyse consiste donc à déterminer si l’objet ou l’effet du Règlement a pour but ou pour conséquence d’en restreindre l’exercice. Plus précisément, l’année suivant l’arrêt Irwin Toy Ltd, la Cour suprême, saisie de l’affaire Keegstra, où les enseignements promulgués véhiculaient un contenu susceptible de favoriser la haine raciale ou religieuse qui est prohibée par la disposition du Code criminel relative à l’incitation à la haine, a précisé la seconde étape du test en y apportant des nuances visant à déterminer si l’intervention de l’État est de nature à brimer la liberté d’expression[47].
La seconde étape de l'analyse exposée dans l'arrêt Irwin Toy est de déterminer si l'action gouvernementale attaquée vise à restreindre la liberté d'expression. Une action gouvernementale ayant un tel objet violera nécessairement la garantie de liberté d'expression. Si, toutefois, l'action a pour effet, plutôt que pour objet, de limiter une activité, l'al. 2b) ne joue pas, à moins que la partie qui allègue l'atteinte puisse démontrer qu'il s'agit d'une activité qui, loin de les miner, étaye les principes et les valeurs sur lesquels repose la liberté d'expression.
[Nous avons souligné.]
- Somme toute, est-ce que le Règlement restreint la liberté d’expression? Dans les faits, les seules atteintes à la liberté d’expression soulevées par le Groupe tiennent à l’obligation de présenter une demande de permis avant d’effectuer des visites à domicile, ainsi qu’au respect des plages horaires prescrites pour l’exercice de leur activité de porte-à-porte.
- L’objet visé par Waterloo n’est pas d’interdire ni de contrôler le contenu d’un message ou d’une expression.
- En d’autres mots, le Règlement n’entrave pas la liberté d’expression soit par une interdiction directe ou une sanction comme c’était le cas par exemple, dans l’affaire Montréal (Ville de) c. 2952-1366 Québec inc.,[48] où un règlement municipal interdisait des bruits perturbateurs qui constituent une interférence avec la jouissance paisible de l’environnement urbain. Un commerçant, qui exploitait un bar avec spectacles de danseuses, avait installé dans l’entrée de son établissement un haut-parleur amplifiant la trame sonore du spectacle présenté à l’intérieur, pour que les passants l’entendent. Le commerçant revendiquait que son droit à la liberté d’expression était enfreint par le règlement municipal. La Cour conclut que l’interdiction prévue au règlement d’émettre un bruit amplifié restreignait sa liberté d’expression garantie par l’article 2b) de la Charte canadienne toutefois, cette restriction était justifiée[49].
- Le Tribunal estime que le Règlement n’est aucunement restrictif et n’oblige pas un colporteur à soumettre, à l’avance, le contenu de leur message ni présenter les produits qu’ils souhaitent offrir aux résidents. Aucune forme de censure n’est exercée par la municipalité et le message ne fait l’objet d’aucune interdiction. De plus, le Règlement n’a aucune portée dissuasive.
- En réalité, le grief soulevé par le Groupe porte essentiellement sur l’obligation de se conformer à des exigences administratives ainsi qu’à un cadre horaire régissant ses communications.
- Or, l’objectif du Règlement n’est pas de régir le contenu de la sollicitation ni la nature des produits offerts lors des activités de porte-à-porte, mais plutôt d’encadrer le moment de leur diffusion et de s’assurer que les personnes autorisées à se présenter chez les résidents aient préalablement fait l’objet de vérifications par les autorités.
- Cette exigence relève de la préservation de la paix publique et du bon ordre au sein de la ville.
- Retenons que les personnes visitées bénéficient de la même protection dans l’exercice de leurs droits que celles qui s’expriment : la liberté d’expression englobe non seulement le droit de transmettre un message, mais aussi celui de le recevoir ou d’en refuser la réception[50].
- Le Groupe est totalement libre d’offrir des livres, des brochures et de discuter de sujets variés incluant la religion ou la prévention du suicide avec les résidents.
- En dépit des allégations du Groupe quant à une atteinte à sa liberté d’expression, la preuve tend plutôt à démontrer qu’il jouit pleinement de la liberté de partager sa vision et d’offrir ses ouvrages, sans intervention ou censure de la part de Waterloo.
- Le Groupe n’a pas été en mesure de démontrer que l’objet du Règlement avait comme effet de porter atteinte à leur liberté d’expression par conséquent, l’alinéa 2b) n’est pas atteint par une violation; il n’est donc pas nécessaire de poursuivre l’analyse[51].
6) La décision du Tribunal a-t-elle une portée juridique à l’égard des autres municipalités du Québec ?
- Le Groupe cherche à obtenir un jugement déclaratoire le dispensant de l’obligation de demander un permis municipal de colportage ou de sollicitation à domicile, indépendamment de la municipalité concernée, en raison de ses pratiques et fondements religieux. C’est ainsi que son dirigeant a interprété la décision rendue dans l’affaire Ste-Thècle. Depuis près de dix ans, il s’est prévalu de cette décision rendue par la cour municipale pour justifier son exemption de l’exigence de permis dans les nombreuses municipalités où il a exercé ses activités.
- Or, le Tribunal est d’avis que seule la Cour supérieure est compétente pour rendre un jugement déclaratoire. La Cour municipale du Québec ne constitue pas l’instance appropriée à cet effet et ne peut être utilisée comme tremplin pour obtenir une décision ayant une portée normative à l’échelle du Québec.
- Les principes qui se dégagent de la présente décision sont propres au contexte factuel et juridique applicable à Waterloo. Toutefois, certains principes qui en émergent pourront alimenter la réflexion des autres cours et municipalités confrontées à des enjeux similaires.
- En conclusion, la religion ou la liberté d’expression ne constitue pas, en soi, une exception permettant à une personne ou à un groupe de se soustraire à un règlement municipal exigeant l’obtention préalable d’un permis pour exercer des activités de sollicitation ou de colportage.
- DISPOSITIF
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
REJETTE la requête en contestation constitutionnelle;
DÉCLARE COUPABLE la défenderesse de l’infraction reprochée;
CONDAMNE la défenderesse à payer une amende de 300 $ et les frais;
ACCORDE un délai de 30 jours pour payer l’amende.
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| __________________________________ MONIQUE PERRON, J.M.Q. |
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Me Jocelyn Bélisle Procureur de la poursuivante |
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Me Olivier Séguin Procureur de la défenderesse |
Date d’audience : 10 février 2025