Développements Bois Franc inc. c. Ville de Montréal | 2025 QCCS 39 |
COUR SUPÉRIEURE
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CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC |
DISTRICT DE | MONTRÉAL |
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N° : | 500-17-120559-227 |
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DATE : | 10 janvier 2025 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : | L’HONORABLE | AUDREY BOCTOR, J.C.S. |
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Les Développements Bois Franc inc. |
SOTRAMONT QUARTIER BOIS FRANC INC. |
LIVEO BOIS-FRANC, SEC |
Demanderesses |
c. |
VILLE DE MONTRÉAL |
Défenderesse |
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JUGEMENT
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- Aperçu
- Le présent litige porte sur l’application de l’article 33 du Règlement visant à améliorer l’offre en matière de logement social, abordable et familial[1] de la Ville de Montréal (la « Ville »), communément désigné le Règlement pour une métropole mixte (le « RMM »). Selon le RMM, tout projet résidentiel d’une certaine envergure doit contribuer à l’offre de logement social, abordable et familial selon les modalités qui s’y retrouvent.
- L’article 33 prévoit qu’à certaines conditions, une demande de permis de construction n’est pas assujettie au RMM si le projet résidentiel fait l’objet d’« un engagement pris en faveur de la Ville avant le 17 juin 2019 ».
- Les demanderesses sont des promoteurs immobiliers qui ont piloté le développement du quartier Bois-Franc dans l’arrondissement de Saint-Laurent. Elles allèguent que les dernières étapes du quartier, soit les phases 3A3 modifiée et 4, font l’objet d’un engagement en faveur de la Ville qui répond aux exigences de l’article 33. Ainsi, les permis de construction pour ces phases ne sont pas assujettis au RMM.
- La Ville allègue que seule la phase 4 fait l’objet d’un engagement en faveur de la Ville au sens du RMM. Par conséquent, la Ville a exigé ou entend exiger des contributions pécuniaires en lien avec les permis de construction visant les lots situés au sein de la phase 3A3 modifiée comme suit :
- En mai 2021, une contribution de 302 521,43 $ en lien avec les permis de construction pour 18 lots, payée sous protêt par la demanderesse Sotramont Quartier Bois Franc inc. le 4 novembre 2021[2];
- En mai 2024, une contribution de 1 253 606,46 $ en lien avec le permis de construction pour le lot 6 449 370 (« Lot 370 »), payée sous protêt par la demanderesse Liveo Bois-Franc, SEC le 9 mai 2024;
- À l’avenir, une contribution de 1 299 502,70 $ en lien avec l’émission future du permis de construction pour le lot 6 449 371 (« Lot 371 »).
- Les demanderesses réclament une déclaration selon laquelle le RMM ne s’applique pas aux demandes de permis en question ainsi que le remboursement des montants versés sous protêt[3].
- Pour les motifs qui suivent, le Tribunal est d’avis que seule la phase 4 fait l’objet d’un engagement en matière de logement social en faveur de la Ville au sens du RMM et qu’il y a donc lieu de rejeter la demande.
- QUESTION EN LITIGE
- Les parties ont convenu de certaines admissions afin de circonscrire le débat[4].
- Notamment, les parties reconnaissent que le litige porte uniquement sur l’application du RMM aux permis de construction en cause. Les demanderesses ne contestent ni la validité du RMM, ni le calcul des frais exigés ou exigibles par la Ville, dans la mesure où le RMM s’applique aux permis de construction en cause. De plus, les parties conviennent que les critères afférents à l’engagement visé par l’article 33 du RMM sont respectés en ce qui concerne la phase 4.
- Ainsi, la seule question en litige est celle de savoir si la phase 3A3 modifiée fait l’objet d’un engagement en matière de logement social au sens du RMM.
- DISPOSITIONS APPLICABLES
- Les dispositions les plus pertinentes du RMM sont les suivantes :
4. Nul ne peut obtenir un permis de construction pour la réalisation d’un projet résidentiel de plus de 450 m² sans :
1° qu’une entente entre le propriétaire de l’emplacement et la Ville conforme au présent règlement n’ait été conclue en vue d’améliorer l’offre de logement social, abordable et familial;
2° que les garanties, incluant toute servitude, et les contributions financières prévues à cette entente n’aient été obtenues par la Ville.
33. Malgré l’article 4, une demande de permis de construction visant la réalisation d’un projet résidentiel faisant l’objet d’un engagement pris en faveur de la Ville avant le 17 juin 2019 n’est pas assujettie au présent règlement, dans la mesure où l’engagement répond minimalement aux critères suivants :
1° il vise l’une ou l’autre des obligations suivantes en matière de logement social :
a) la cession d’un immeuble;
b) le versement d’une contribution financière;
2° il a été pris sous forme écrite;
3° il est réalisé ou fait l’objet d’une garantie prenant l’une ou l’autre des formes suivantes :
a) le dépôt d’une lettre de garantie bancaire en faveur de la Ville;
b) la publication d’un acte d’hypothèque immobilière en faveur de la Ville.
Aux fins du troisième paragraphe, lorsque l’engagement vise la cession d’un immeuble sur lequel sont construits des logements sociaux, celui-ci est considéré réalisé lorsque le permis de construction pour la réalisation de tels logements est délivré.
Lorsque le projet résidentiel faisant l’objet d’un engagement décrit au premier alinéa est réalisé en plusieurs phases, seule une demande de permis de construction visant une phase faisant l’objet de cet engagement est exemptée du présent règlement, dans la mesure où cette phase est réalisée sur l’emplacement visé par un engagement. »
[Soulignements du Tribunal]
- CONTEXTE FACTUEL
4.1 Historique du quartier
- Le quartier Bois-Franc est composé d’un vaste site formé d’un ensemble de lots contigus, dont le redéveloppement a commencé dans les années 1990. Le redéveloppement a impliqué la transition d’une occupation industrielle, principalement par Bombardier, vers une occupation résidentielle. Cette transition a donné naissance à un nouveau quartier dans l’ancienne Ville de Saint-Laurent, devenue depuis l’arrondissement Saint-Laurent de la Ville de Montréal (l’ « Arrondissement »).
- Les phases 1 et 2 du quartier ont été terminées aux environs de 2005. La phase 3A1 fut développée de 2005 à 2007, la phase 3A2 de 2007 à 2009, et la phase 3A3 de 2009 à 2011.
- Durant cette période, Bombardier a également vendu les portions non développées du territoire qui constituent les phases 3A3 modifiée et 4[5].
4.2 Développement des phases 3A3 modifiée et 4
- Durant l’année 2011, les demanderesses ainsi que Développements Bois-Franc Le Quartier inc. (les « Promoteurs ») ont entamé les négociations avec l’Arrondissement afin de développer les phases 3A3 modifiée et 4 du quartier Bois-Franc.
- L’interlocuteur principal des Promoteurs au sein de l’Arrondissement était M. Éric Paquet, directeur de l’aménagement urbain[6].
- La réalisation des phases 3A3 modifiée et 4 a nécessité des modifications aux règlements de zonage et de lotissement[7]. Tel que M. Roy l’a expliqué, la modification aux règlements de zonage est souvent assujettie au respect de conditions imposées par l’arrondissement, et le projet Bois-Franc n’a pas fait exception.
- Ainsi, afin de réaliser le projet, les Promoteurs ont négocié avec l’Arrondissement diverses obligations dites non règlementaires dont notamment :
- La cession à titre gratuit par les Promoteurs à la Ville de terrains, dans les phases 3A3 modifiée et 4, destinés à constituer les liens multifonctionnels, les parcs et les places publiques[8];
- Des engagements relatifs à la construction durable de bâtiments devant atteindre une certification LEED, dans la phase 4 uniquement[9];
- Une contribution de 500,000 $ par les Promoteurs aux fins de la construction d’une école devant desservir les phases 3A3 modifiée et 4[10];
- Des engagements relatifs à l’aménagement du domaine public des phases 3A3 modifiée et 4, dont les parcs, rues, traverses, trottoirs et autres[11].
4.3 Application de la Stratégie d’inclusion de logements abordables dans les nouveaux projets résidentiels de la Ville de Montréal
- En 2005, la Ville s’est dotée d’une Stratégie d’inclusion de logements abordables dans les nouveaux projets résidentiels de la Ville de Montréal[12] (la « Stratégie »). La Stratégie était appliquée par les arrondissements de Montréal de façon discrétionnaire.
- La Stratégie visait les projets résidentiels comportant plus de 200 unités d'habitation et ciblait l’inclusion d’une proportion de 15 % de logements sociaux et 15 % de logements abordables dans de tels projets. La Stratégie était déclenchée lorsque le projet requérait l'exercice par les arrondissements d'un pouvoir de nature discrétionnaire, telle une modification au règlement de zonage, ou encore l'adoption d'un programme particulier de construction, de modification ou d'occupation d'un immeuble (PPCMOI) qui dérogeait à la réglementation en place[13].
- La Stratégie prévoyait notamment ceci:
La stratégie constitue l’une des initiatives pour atteindre l’un des objectifs du Plan d’urbanisme de Montréal : favoriser la production de 60 000 à 75 000 nouveaux logements d’ici 2014, dont 30 % seraient des logements abordables. Par cette stratégie d’inclusion, l’administration municipale vise spécifiquement deux cibles :
- que 15 % des nouvelles unités d’habitation construites sur le territoire de Montréal soient des logements sociaux ou communautaires
- que 15 % des nouvelles unités d’habitation construites soient constituées de logements abordables d’initiative privée (propriété abordable ou logements locatifs).
Dans ce contexte, les arrondissements montréalais sont appelés à établir, pour leur territoire, des objectifs en matière de logements abordables. (…)
[Soulignements du Tribunal]
- En 2013, l’Arrondissement a décidé d’appliquer la Stratégie pour la première fois. Bois-Franc était donc le premier projet assujetti à la Stratégie.
- M. Paquet explique que la décision d’appliquer la Stratégie a été le fruit de quelques années de discussion au sein du conseil de l’Arrondissement. Ainsi, bien qu’il s’agît d’une décision discrétionnaire du conseil d’appliquer la Stratégie et jusqu’à quel point, le conseil voulait l’appliquer intégralement[14].
- Les Promoteurs ont toutefois tenté de négocier afin de baisser les coûts du projet en mettant en avant d’autres éléments, dont les espaces verts généreux et la certification LEED. Selon M. Paquet, « c’est dans ce cadre-là que le conseil a accepté de dire : bien, ça va être 12 % au lieu de 15 % considérant… on tient compte de ce que vous nous dites, on sait que c’est un projet novateur impeccable, on en tient compte, on diminue un peu le pourcentage pour tenir compte de ça »[15].
4.4 Conclusion des ententes
- C’est dans ce contexte que les Promoteurs ont conclu les ententes au cœur du litige avec la Ville.
- Au début du mois de juillet 2013, l’ensemble des obligations convenues entre les Promoteurs et l’Arrondissement, incluant les obligations non règlementaires et les obligations en matière de logements sociaux et abordables, ont été consignées dans un projet intitulé Accord de Développement – Projet Bois-Franc – Phases 3A3 modifiée et 4[16] (l’ « Accord P-23 »).
- Cet Accord ne sera toutefois pas signé par les parties. L’Accord P-23 a été transmis au Service de l’habitation de la Ville de Montréal le 9 juillet 2023. Au cours des semaines suivantes, deux obligations en matière des logements sociaux et abordables incombant aux Promoteurs ont été précisées : (i) la Ville a accepté que le terme pour la réalisation de ces obligations soit étendu de 10 à 15 ans[17] et (ii) le potentiel de construction dans le secteur visé a été précisé à 1200 unités de logement (excluant le lot attribué au logement social), fixant ainsi le nombre d’unités de logement social à 144[18].
- En fin de compte, le contenu de l’Accord P-23 a été consigné dans deux ententes séparées, signées le 25 juillet 2023 :
(i) un document intitulé Engagements relatifs à la Stratégie d'inclusion de logements abordables dans les nouveaux projets résidentiels de la Ville de Montréal - projet de construction de logements sur le site Bois-Franc dans l'arrondissement de Saint-Laurent[19] (l’« Entente P-2 »); et
(ii) un document intitulé Engagements relatifs à certaines exigences non réglementaires relatives à l’aménagement du domaine public et au développement durable (Développements Bois-Franc Le Quartier inc.)[20] (l’ « Entente P-3 »);
- Positions des parties
- Les demanderesses soutiennent que le contenu de l’Entente P-2, lu isolément, ne reflète pas la véritable intention des parties. Il faut lire l’Accord P-23, l’Entente P-2 et l’Entente P-3 ensemble, en tenant compte de l’historique du redéveloppement et des négociations entre les parties. Selon les demanderesses, les parties ont toujours considéré les phases 3A3 modifiée et 4 comme un seul et même projet, et leur intention était d’assujettir l’ensemble du projet à la Stratégie.
- La Ville soutient que la réponse à la question en litige se trouve exclusivement dans l’application du texte de l’article 33 du RMM au contenu exprès des engagements contenus à l’Entente P-2. Selon la Ville, la question est essentiellement juridique et non tributaire des faits particuliers du redéveloppement en l’espèce ou des perceptions subjectives des demanderesses sur la portée de leur projet.
- ANALYSE
- Afin de trancher le présent débat, le Tribunal doit d’abord interpréter le RMM. Ensuite, le Tribunal doit interpréter les engagements souscrits par les Promoteurs. Pour ce faire, le Tribunal convient qu’il y a lieu d’examiner l’Entente P-2 dans son contexte et les circonstances de sa formation. Toutefois, cette analyse mène à la conclusion que seule la phase 4 a fait l’objet d’un engagement en matière de logement social et abordable au sens du RMM.
6.1 Principes d’interprétation des règlements
- Les principes applicables en matière d’interprétation de réglementation municipale sont bien établis. Il faut recourir à la méthode d’interprétation moderne, en lisant les termes du règlement dans le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l'esprit du règlement, son objet et l'intention du législateur[21]. Par ailleurs, il faut rechercher l'interprétation du règlement qui s’harmonise avec l'esprit et l'objet de sa loi habilitante[22].
- Au terme de cette analyse, « si une ambiguïté demeure quant au sens de l'expression visée, le Tribunal devra alors avoir recours au contexte afin de déterminer la bonne interprétation à adopter »[23].
- La Cour d’appel ajoute qu’« en matière de réglementation municipale, il convient d'adopter une interprétation large et libérale favorisant l'intérêt collectif et de permettre à la Ville la réalisation de l'objectif »[24].
6.2 Principes d’interprétation des contrats
- L’interprétation des contrats est d’abord et avant tout la recherche de l’intention commune des parties[25].
- La Cour suprême enseigne que la première étape de l'exercice d'interprétation d'un contrat consiste à déterminer si les termes sont clairs ou ambigus. Cette étape se fonde principalement sur l'étude des termes eux-mêmes[26].
- L’analyse ne s'y limite toutefois pas dans tous les cas, puisque le texte peut ne pas être fidèle à l'intention commune des parties : « replacés dans le contexte des autres stipulations de la convention ou celui des circonstances de sa conclusion, les termes apparemment limpides d'une stipulation peuvent parfois se révéler ambigus et contredire l'économie du contrat, la véritable intention des parties »[27].
6.3 Interprétation du RMM
- Il n’y a pas de réel désaccord entre les parties sur les objectifs du RMM.
- Le régime créé par le RMM vise à faire croître l’offre de logement social et abordable en proportion avec le développement immobilier privé. L’article 4 du RMM a une large portée et inclut tout projet résidentiel de plus de 450m2, sauf les exceptions prévues à l’article 2.
- Le RMM met fin à l’application discrétionnaire de la Stratégie en imposant des obligations en matière de logement social et abordable à travers tous les arrondissements.
- Quant à l’article 33, il a pour objet d’exempter les projets résidentiels qui sont visés par un engagement en matière de logement social conclu avant le 19 juin 2019, dans la mesure où l’engagement répond minimalement aux critères établis :
33. Malgré l’article 4, une demande de permis de construction visant la réalisation d’un projet résidentiel faisant l’objet d’un engagement pris en faveur de la Ville avant le 17 juin 2019 n’est pas assujettie au présent règlement, dans la mesure où l’engagement répond minimalement aux critères suivants :
1° il vise l’une ou l’autre des obligations suivantes en matière de logement social :
a) la cession d’un immeuble;
b) le versement d’une contribution financière;
[…]
- Les parties ne s’entendent pas sur le sens qu’il faut donner aux termes « projet résidentiel faisant l’objet d’un engagement ».
- Selon la position des demanderesses, le projet résidentiel faisant l’objet d’un engagement inclurait le projet résidentiel qui faisait l’objet des négociations entre les parties, dans le cadre duquel un engagement en matière de logement social fut conclu.
- Les demanderesses soutiennent que l’intention du législateur en adoptant l’article 33 était, entre autres, d’assurer « la préservation de l’équilibre économique recherché lors de la conclusion de ces ententes antérieures »[28].
- Le Tribunal est d’avis que les demanderesses ratissent trop large. Comme le fait valoir la Ville, l’article 33 s’insère dans un environnement où un régime incitatif existait déjà sous la forme de la Stratégie. Il s’agit d’une disposition transitoire ciblée qui vise à éviter que des projets résidentiels faisant déjà l’objet d’une contribution en matière de logement social selon la Stratégie soient, à nouveau, assujettis au RMM. Cela ressort tant des termes que du contexte du RMM.
- Le RMM s’intéresse à la construction ou à l’ajout de logements et vise la mixité sociale en faisant croître l’offre de logement social et abordable en proportion avec le développement de l’immobilier privé.
- Le terme « projet résidentiel » est en effet défini comme « tout projet assujetti à un permis de construction pour la construction de logements ou pour la transformation d'un bâtiment ayant pour effet l'ajout de logement sur un même emplacement » [Soulignements du Tribunal][29].
- Ensuite, il faut lire les termes « projet résidentiel faisant l’objet d’un engagement » dans le contexte de l’article 33 lui-même. Celui-ci prévoit que l’exception s’applique uniquement dans la mesure où, entre autres, l’engagement vise l’une ou l’autre des obligations en matière de logement social, soit la cession d’un immeuble ou une contribution financière[30].
- Ainsi, il est clair que le « projet résidentiel » qui « fait l’objet » de l’engagement, soit de céder un immeuble ou de verser une contribution financière, cible le plancher de construction ou d’ajout de logements sur la base de laquelle l’obligation en question a été déterminée.
- Cette interprétation s’accorde également avec l’alinéa 3 de l’article 33 du RMM qui stipule que « [l]orsque le projet résidentiel faisant l’objet d’un engagement décrit au premier alinéa est réalisé en plusieurs phases, seule une demande de permis de construction visant une phase faisant l’objet de cet engagement est exemptée du présent règlement, dans la mesure où cette phase est réalisée sur l’emplacement visé par un engagement » [Soulignements du Tribunal].
- Cette interprétation est également la plus conforme à l’esprit et l’objet du RMM, qui vise la mixité sociale, en faisant croître l’offre de logement social et abordable en proportion avec le développement de l’immobilier privé. Elle s’harmonise aussi avec l’intention du législateur d’appliquer les obligations en matière de logement social et abordable de manière uniforme à travers son territoire.
- Finalement, cette interprétation s’harmonise avec la loi habilitante du RMM, la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme[31], modifiée en 2017 afin d’accorder aux municipalités le pouvoir règlementaire d’imposer des contributions en matière de logement social, abordable et familial, en vue d’améliorer l’offre en ces matières:
145.30.1. Toute municipalité peut, par règlement et conformément à des orientations définies à cette fin dans le plan d’urbanisme, assujettir la délivrance de tout permis pour la construction d’unités résidentielles à la conclusion d’une entente entre le demandeur et la municipalité en vue d’améliorer l’offre en matière de logement abordable, social ou familial.
Cette entente peut, conformément aux règles prévues dans le règlement, prévoir la construction d’unités de logement abordable, social ou familial, le versement d’une somme d’argent ou la cession d’un immeuble en faveur de la municipalité.
Toute somme et tout immeuble ainsi obtenus doivent être utilisés, par la municipalité, à des fins de mise en œuvre d’un programme de logements abordables, sociaux ou familiaux.
[Soulignements du Tribunal]
- Interprétation des engagements souscrits par les Promoteurs
6.4.1 Les termes de l’Entente P-2
- Le préambule de l’Entente P-2 définit plusieurs termes pertinents à l’analyse. Il définit le « Projet » soumis à la Stratégie comme le projet à vocation principalement résidentielle qui sera construit dans le « Secteur visé », lequel est composé d’une partie de la « Propriété ». Le Secteur visé, tel qu’il est identifié à l’Annexe II, correspond à la phase 4 :
ATTENDU QUE 9179-5906 Québec Inc. représenté par Monsieur Pierre-Jacques Lefaivre en vertu d'une résolution de son conseil d'administration dont copie est jointe en annexe 1 aux présentes, est propriétaire des lots 2501 024, 2501 025, 2501 026 et 2501 027 du cadastre du Québec (ci-après la « Propriété »);
ATTENDU QUE Développements Bois-Franc Le Quartier lnc. représenté par Monsieur Gregory A. Galardo en vertu d'une résolution de son conseil d'administration dont copie est jointe en annexe 1 aux présentes, est partenaire d'affaires de 9179-5906 Québec Inc. dans un projet de développement des lots 2 501 024,2501 025,2501 026 et 2 501 027 du cadastre du Québec;
ATTENDU QUE 9179-5906 Québec Inc. et Développements Bois-Franc Le Quartier Inc. (ci-après nommés conjointement les « Promoteurs ») désirent mettre en valeur la Propriété en y construisant un projet à vocation principalement résidentielle (ci-après le « Projet ») sur une partie de la Propriété (ci-après le « Secteur visé ») plus précisément identifiée en bleu sur un plan de développement préparé par le Groupe IBI-DAA inc. et intitulé « Secteur visé servant pour le calcul relatif au logement social et communautaire, et au logement abordable et zone de référence pour la localisation du logement abordable» dont copie est jointe aux présentes à l'annexe Il;
ATTENDU QUE le Projet, pour se réaliser, devra être autorisé par le Conseil d'arrondissement de Saint-Laurent en vertu d'une modification aux règlements numéro RCA08-08-000 1 sur le zonage et numéro RCA08-08-0002 sur le lotissement, soit spécifiquement par les règlements d'amendement numéros RCA08-08-000 1-63 et RCA08-08-0002-3;
ATTENDU QUE le Projet est soumis à la Stratégie d'inclusion de logements abordables dans les nouveaux projets résidentiels de la Ville de Montréal et que les Promoteurs consentent à en satisfaire les objectifs en s'engageant à ce que le Projet comporte une proportion de logements sociaux et communautaires et de logements abordables;
[Soulignements du Tribunal]
- Le paragraphe 2.1 énonce l’objet général de l’engagement et ses termes de base. Il prévoit que les Promoteurs vont construire environ 1200 unités de logement dans le Secteur visé, dans un délai maximum de 15 ans. Un minimum de 12 % de la superficie de plancher résidentielle sera occupé par des logements sociaux et communautaires, et un minimum de 12 % des unités résidentielles privées sera vendu ou loué en unités de logement abordable :
2.1 Dans le Secteur visé, les Promoteurs s'engagent à réaliser ou à faire en sorte que soient réalisés dans le cadre du Projet, au plus tard à l'échéance d'un délai de quinze (15) ans à compter de la date de signature de la présente, environ mille deux cent (1200) unités de logement dont un minimum de douze (12) % de la superficie de plancher résidentielle totale est occupée par des logements sociaux et communautaires et un minimum de douze (12) % des unités résidentielles privées sont vendues ou louées en unités de logements abordables (voir définitions à l'annexe III).
[Soulignements du Tribunal]
- La clause 3 précise que la contribution en matière de logement social sera sous forme de cession d’un terrain (le « Lot social ») pour y construire un bâtiment à vocation sociale. Ce bâtiment doit comprendre environ 144 unités, soit 12 % des 1200 unités que représente le potentiel de redéveloppement de la phase 4 :
3.1.1. (…) Le Lot social doit permettre la construction d’un bâtiment ayant une superficie résidentielle de plancher représentant au moins douze (12 %) de la superficie totale de plancher résidentielle du Secteur visé soit environ cent quarante quatre (144) unités et doit être contigu à une rue publique aménagée et desservie par les infrastructures municipales (…). La localisation du Lot social sera déterminée de concert avec l’Arrondissement et la Direction de l’habitation.
3.1.2 Une convention d'acquisition irrévocable par laquelle ils doivent réaliser et vendre à l'Organisme un ou des bâtiments selon la formule clés en main ayant une superficie de plancher résidentielle minimale représentant 12 % de la superficie totale de plancher résidentielle du Secteur visé soit environ cent quarante-quatre (144) unités. Tels bâtiments, érigés sur un lot distinct, doivent respecter les paramètres architecturaux, normatifs et financiers du programme AccèsLogis de la Société d'habitation du Québec.
[Soulignements du Tribunal]
- Le paragraphe 3.4 établit une garantie d’exécution en lien avec la cession du Lot social, dont le montant est basé sur les 1200 unités annoncées dans le Secteur visé.
- La clause 4 précise quant à elle la contribution exigée pour le volet logement abordable, qui reprend les mêmes bases de calcul :
4.1 Le Promoteur s'engage à ce qu'un minimum de douze pourcent (12 %) de toutes les unités de logement construites dans le Secteur visé, soit environ 127 unités, soient des logements abordables. De ce nombre, le tiers des unités, soit environ 42 unités seront des logements d'au moins 3 chambres. Dans le calcul du nombre de logements abordables, ne sont pas considérés les logements sociaux.
[Soulignements du Tribunal]
- Il est à noter que le paragraphe 4.2 assouplit les obligations en matière de logements abordables et permet qu’ils soient répartis à l’intérieur d’immeubles situés dans la « zone de référence » :
4.2 (…) La construction des unités abordables n'a pas à être réalisée dans la même séquence que le dépôt des garanties. Les unités abordables peuvent être réparties selon la préférence des Promoteurs à l'intérieur des différents immeubles situés dans la zone de référence identifiée au plan « Secteur visé servant pour le calcul relatif au logement social et communautaire et au logement abordable et zone de référence pour la localisation du logement abordable » dont copie est jointe aux présentes à l'annexe II.
[Soulignements du Tribunal]
- L’annexe II, intitulée « Secteur visé servant pour le calcul relatif au logement social et communautaire, et au logement abordable et zone de référence pour la localisation du logement abordable » confirme, tant par son titre que son contenu, que le Secteur visé a servi de base pour le calcul des obligations en matière de logement social et abordable. L’annexe II identifie aussi la « zone de référence » au sein de laquelle les Promoteurs ont l’option de répartir des logements abordables, mais pas des logements sociaux. La zone de référence est composée des phases 3A3 modifiée et 4[32].
- En somme, les termes de l’Entente P-2 sont clairs quant au projet résidentiel qui fait l’objet de l’engagement en matière social et abordable. Il s’agit du Secteur visé, lequel correspond à la phase 4.
- Les ambiguïtés et incohérences soulevées par les demanderesses
- Les demanderesses soutiennent que la définition de « Projet » dans l’Entente P-2 ne reflète pas la véritable intention des parties, laquelle était d’assujettir l’ensemble du projet composé des phases 3A3 modifiée et 4 à la Stratégie.
- Les demanderesses avancent divers arguments. D’abord, elles soulignent qu’il y a une contradiction flagrante entre la définition de « Projet » dans l’Accord P-23 et l’Entente P-3 et celle qui se retrouve à l’Entente P-2. Selon les demanderesses, c’est l’Accord P-23 qui reflète la véritable entente avec l’Arrondissement, avant qu’il ne soit scindé en deux par la Ville.
- L’Accord P-23 définit le « Projet » au deuxième « Attendu » de façon globale comme « un complexe immobilier à usage mixte pouvant comprendre plusieurs Composantes ». Ensuite, le 15ième « Attendu » énonce que « le Projet est soumis à la Stratégie de logements abordables », confirmant, selon les demanderesses, l’intention des parties de soumettre l’entièreté du projet à la Stratégie.
- De l’avis du Tribunal, l’argument ne résiste pas à une analyse complète de l’Accord P-23.
- En effet, tout comme la Pièce P-2, l’Accord P-23 fait référence à un « Secteur visé », lequel correspond à la phase 4[33]. Le terme « Secteur visé » est défini à l’Accord P-23 comme suit :
« Secteur visé » : Partie du Projet soumise à la Stratégie d’inclusion de logements abordables et plus précisément identifiée au plan de l’Annexe IV.
[Soulignements du Tribunal]
- Ensuite, le paragraphe 2.2 décrit comme suit le projet résidentiel :
2.2 Description du projet résidentiel
Le Promoteur s’engage à réaliser, ou à faire en sorte que soient réalisés dans le cadre du Projet, au plus tard à l'échéance d'un délai de dix (10) ans à compter de la date de signature de la présente, environ 1200 unités de logements.
Pour le Secteur visé, plus précisément identifié au plan de l'Annexe IV, un minimum de 12 % de la superficie de plancher résidentielle totale sera occupé par des logements sociaux et communautaires et un minimum de 12 % des unités résidentielles privées seront des unités de logements abordables.
[Soulignements du Tribunal]
- Le paragraphe 2.3 précise davantage les « Engagements relatifs aux logements sociaux et communautaires pour le Secteur visé » [Soulignements du Tribunal].
- Tel que noté, bien que les annexes ne soient pas incluses à la pièce P-23, M. Roy a confirmé qu’il s’agit des mêmes annexes que l’on retrouve à la pièce P-5. L’Annexe IV de la pièce P-5 identifie clairement le Secteur visé comme étant la phase 4.
- L’affirmation des demanderesses selon laquelle « [i]l n’a jamais été question d’assujettir certaines parties du territoire [des phases 3A3 modifiée et 4] à certaines parties de la Stratégie »[34] est mise à mal par la définition de Secteur visé contenue à l’Accord P-23.
- La position des demanderesses est également incompatible avec la base même de l’entente entre les parties, qui était une contribution de 12 % en matière de logement social et abordable.
- Les Promoteurs prévoyaient un potentiel de redéveloppement de 1160 unités de logement pour la phase 3A3 modifiée[35]. Force est de constater que, si l’on rajoute la phase 3A3 modifiée à l’équation, la contribution des Promoteurs serait bien en deçà du 12 %.
- Les demanderesses insistent sur le fait que la contribution de 12 % était discrétionnaire. Elles ont raison. Mais ce n’est pas parce que le pourcentage était discrétionnaire qu’il est sans importance. En fait, le témoignage de M. Paquet confirme qu’il s’agissait d’une question de principe importante pour le conseil.
- M. Paquet explique que Bois-Franc est le seul projet à avoir bénéficié d’une réduction de 15 % à 12 % : « [n]otre conseil a pris la décision d’appliquer la stratégie, ça fait qu’on l’appliquait intégralement. La seule exception, ça a été de négocier de quinze (15) à douze pour cent (12 %) pour la première entente avec Bois-Franc »[36]. M. Paquet confirme que « [ç]a a été 15 % pour tous les autres projets »[37].
- Quant à l’Entente P-3, elle n’appuie pas davantage les arguments des demanderesses. L’Entente P-3 reprend en large partie les clauses du préambule de l’Accord P-23, incluant la définition de « Projet ». On retrouve également la même notion de « Secteur visé » correspondant à la phase 4, cette fois-ci en lien avec la certification LEED :
« Secteur visé » : Partie du Projet soumise visant une certification LEED prévue à l'annexe IV.
- Il n’est pas contesté que seule la phase 4 faisait l’objet d’obligations en matière de certification LEED[38].
- À la lumière de ce qui précède, les autres ambiguïtés soulevées par les demanderesses ne sont pas réelles[39]. Les demanderesses insistent sur l’inclusion de la « zone de référence » à l’Annexe II de l’Entente P-2, laquelle comprend tout le territoire des phases 3A3 modifiée et 4. Elles maintiennent que le fait que le logement abordable puisse être réparti sur tout le territoire de la zone de référence démontre qu’il s’agit d’un seul projet soumis à la Stratégie.
- Le Tribunal partage plutôt l’interprétation de la Ville selon laquelle il s’agit d’un assouplissement en faveur des Promoteurs par rapport au logement abordable uniquement. La « zone de référence » et le « Secteur visé » sont des notions distinctes, qui servent des fins différentes.
- Par ailleurs, les demanderesses soulèvent que le quatrième attendu fait référence aux modifications règlementaires et de zonage qui autorisent le Projet, lesquelles furent négociées comme un tout et visent des zones tant dans la phase 3A3 modifiée que dans la phase 4. Ce n’est pas parce que divers aspects des phases 3A3 modifiée et 4 ont été négociés ensemble que ces phases ne peuvent pas faire l’objet d’obligations distinctes.
- Personne ne remet en question la qualité du développement Bois-Franc ou l’importance des obligations dites non règlementaires souscrites par les Promoteurs dans les phases 3A3 modifiée et 4. En effet, le témoignage de M. Paquet confirme que c’était justement à la lumière de ces facteurs que le conseil de l’Arrondissement a accepté de réduire l’obligation en matière de logement social et abordable de 15 % à 12 %[40].
- Quoi qu’il en soit, ces obligations dites non règlementaires ne sont pas des obligations « en matière de logement social » au sens du RMM[41] et elles ne changent pas le fait que les parties ont convenu, tant dans l’Entente P-2 que dans l’Accord P-23, que seule la phase 4 était soumise à la Stratégie. Par conséquent, seule la phase 4 fait l’objet d’un engagement en matière de logement social au sens du RMM et bénéficie de l’exemption prévue à l’article 33.
- CONCLUSION
- En somme, pour les motifs qui précèdent, le Tribunal est d’avis que les permis de construction en cause sont assujettis au RMM et qu’il y a donc lieu de rejeter la demande.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
- rEJETTE la Demande introductive d’instance modifiée en date du 6 juin 2024;
- LE TOUT, avec frais de justice en faveur de la défenderesse.
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| __________________________________ AUDREY BOCTOR, J.C.S. |
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Me Marc Beauchemin |
Me Laurence Dandurand |
De Grandpré Chait, s.e.n.c.r.l. |
Pour les demanderesses |
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Me Alexandre-Paul Hus |
Me Julie Fortier |
Gagnier Guay Biron |
Pour la défenderesse |
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Dates d’audience : 7 et 8 octobre 2024 |
Notes et autorités supplémentaires: 11 et 15 octobre 2024 |