R. c. Pineault | 2024 QCCA 981 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
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N° : | |||||
(100-01-023626-209) | |||||
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DATE : | 30 juillet 2024 | ||||
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SA MAJESTÉ LE ROI | |||||
APPELANT – poursuivant | |||||
c. | |||||
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NICOLAS PINEAULT | |||||
INTIMÉ – accusé | |||||
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[1] L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 24 mai 2022 par la Cour du Québec, chambre criminelle, district de Rimouski (l’honorable Denis Paradis), lequel acquitte l’intimé du chef d’accusation d’agression sexuelle aux termes de l’alinéa 271a) du Code criminel.
[2] Pour les motifs de la juge Marcotte, auxquels souscrivent les juges Bich et Weitzman, LA COUR :
[3] ACCUEILLE l’appel;
[4] CASSE le verdict d’acquittement;
[5] SUBSTITUE un verdict de culpabilité sur la base des faits retenus par le juge de première instance, à savoir quelques attouchements sans pénétration;
[6] RENVOIE l’affaire en Cour du Québec pour la détermination de la peine.
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| MARIE-FRANCE BICH, J.C.A. | |
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| GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A. | |
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| LORI RENÉE WEITZMAN, J.C.A. | |
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Me Normand Morneau-Deschênes | ||
DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES | ||
Pour l’appelant | ||
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Me Maryse Beaulieu | ||
BÉRUBÉ LAMBERT AVOCATES | ||
Pour l’intimé | ||
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Date d’audience : | 25 avril 2024 | |
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MOTIFS DE LA JUGE MARCOTTE |
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MISE EN GARDE : Une ordonnance limitant la publication a été prononcée en vertu de l’article 486.4 C.cr. afin d’interdire la publication ou la diffusion de quelque façon que ce soit de tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité de la victime ou d’un témoin.
[7] L’appelant se pourvoit contre le jugement[1] qui acquitte l’intimé du chef d’accusation d’agression sexuelle[2]. Il soutient que le juge de première instance aurait erré en droit dans l’analyse de la défense de croyance sincère mais erronée au consentement communiqué soulevée par l’intimé, d’une part, en déclarant celle-ci recevable, et d’autre part, en occultant les aveux de ce dernier concernant l’absence de consentement de la plaignante à l’égard d’attouchements sexuels.
CONTEXTE
[8] L’intimé et la plaignante font connaissance sur les réseaux sociaux. Ils conviennent d’une première rencontre à l’appartement de l’intimé où ils projettent d’avoir une relation sexuelle.
[9] La plaignante témoignera au procès que, malgré son intention de départ d’avoir une relation sexuelle avec l’intimé, elle a toutefois changé d’idée une fois sur place puisque la soirée ne se serait pas déroulée comme elle l’avait imaginée, les choses s’étant passées trop rapidement, considérant qu’elle connaissait à peine l’intimé. Sitôt arrivée chez lui, ce dernier l’a immédiatement fait passer dans sa chambre à coucher en l’invitant à se déshabiller, ce qu’il a lui-même fait. La plaignante aurait pour sa part conservé sa culotte et ses chaussettes et, après des baisers et des caresses mutuelles, se serait toutefois montrée réticente à certains attouchements (et plus précisément à trois séquences d’attouchement à l’entrejambe, sur ou près des organes génitaux et de l’anus), auxquels elle n’aurait pas consenti. Elle soutient également que l’appelant l’aurait ultérieurement pénétrée, là encore sans son consentement. De son côté, l’appelant, qui nie formellement la pénétration, soulève quant aux autres attouchements la défense de croyance sincère au consentement communiqué.
[10] Aux termes de deux jours de procès, le juge de première instance a acquitté l’intimé du chef d’accusation d’agression sexuelle. Dans son jugement, le juge relate d’abord les faits et témoignages de chacun, puis énonce les principes de droit applicables en matière d’agression sexuelle. Il s’attarde principalement à la mens rea, après avoir brièvement évoqué les éléments permettant d’établir l’actus reus de l’infraction.
[11] Il aborde ensuite les principes énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Barton[3] en matière de défense de croyance sincère mais erronée au consentement et rappelle qu’une telle défense est irrecevable lorsqu’elle repose sur une des trois erreurs de droit suivantes : le consentement tacite, le consentement général donné à l’avance et la propension à consentir.
[12] Il ajoute que l’article 273.2 du Code criminel écarte l’utilisation de ce moyen de défense si l’accusé tire sa croyance de l’affaiblissement volontaire de ses facultés, de son insouciance, de son aveuglement volontaire, ou encore s’il ne prend pas de mesures raisonnables, dans les circonstances, pour s’assurer du consentement de la plaignante. Il cite à cet égard les propos du juge Moldaver dans Barton, selon lesquels « l’accusé doit prendre des mesures objectivement raisonnables pour s’assurer du consentement et le caractère raisonnable de ces mesures doit être apprécié eu égard aux circonstances dont il avait alors connaissance »[4]. Il souligne que la détermination des mesures raisonnables repose largement sur les faits et, s’appuyant sur la doctrine[5], précise qu’elle ne nécessite pas une preuve indépendante, bien qu’une telle preuve puisse améliorer les chances de succès de cette défense[6]. Il ajoute qu’une telle défense peut trouver appui sur le témoignage de l’accusé, de la plaignante ou sur tout autre élément de preuve qui rende possible l’affirmation de l’accusé qu’il avait une telle croyance.
[13] Appliquant ces principes aux faits de l’espèce, le juge estime que la défense de croyance sincère mais erronée au consentement communiqué est vraisemblable, en raison du comportement de la plaignante à chaque reprise des contacts sexuels. À son avis, l'insouciance et l'aveuglément volontaire ne sont pas en cause et la défense ne se base pas non plus sur un consentement tacite, un consentement général ou la propension. Il conclut que, malgré les contradictions et hésitations de l’intimé, dans le contexte de l’affaire, sa croyance sincère mais erronée au consentement communiqué soulève un doute raisonnable quant à sa culpabilité.
[14] Finalement, il conclut que l’intimé bénéficie également du doute raisonnable sur la question de la pénétration, en fonction de la version de l’intimé qu’il « ne peut mettre de côté », tout en admettant que les versions de l’intimé et de la plaignante sont contradictoires[7].
MOYENS SOULEVÉS EN APPEL
[15] En appel, même si le jugement n’en traite pas expressément, les parties ne remettent pas en question le fait que l’actus reus a été prouvé hors de tout doute raisonnable en ce qui concerne les deux éléments objectifs de l’actus reus de l’agression sexuelle, à savoir (i) les attouchements et (ii) la nature sexuelle des contacts, et le troisième élément subjectif, (iii) l’absence de consentement[8].
[16] Quant à la mens rea de l’infraction d’agression sexuelle, composée de deux éléments (à savoir : (i) l’intention de se livrer à des attouchements et (ii) la connaissance de l’absence de consentement, l’insouciance ou l’aveuglement volontaire à cet égard), l’appel ne porte que sur le second.
[17] Par ailleurs, les seuls faits qui sont réellement en litige sont les circonstances entourant les trois séquences de contacts sexuels entre l’intimé et la plaignante, et plus spécifiquement, la deuxième et la troisième séquences d’attouchements. Le juge conclut que l’existence d’une pénétration complète n’est en effet pas étayée hors de tout doute raisonnable par la preuve. L’appelant ne remet pas en question cette conclusion qui mérite déférence. Il soutient toutefois que les erreurs de droit du juge de première instance quant à la défense de croyance sincère au consentement communiqué doivent mener à une intervention de la Cour afin d’écarter le verdict d’acquittement et de prononcer une déclaration de culpabilité de l’intimé sur la base des faits retenus par le juge. Il invoque deux erreurs du juge de première instance :
1) Il aurait erré en droit dans son analyse du moyen de défense de la croyance sincère au consentement communiqué;
2) Il aurait erré en droit en refusant de reconnaître l’effet juridique de l’admission de l’intimé selon laquelle il savait que la plaignante ne consentait pas aux attouchements sexuels bien qu’elle lui ait exprimé clairement son refus à deux reprises.
[18] Je propose d’aborder ensemble ces deux erreurs qui découlent de l’analyse du moyen de la défense de la croyance sincère au consentement communiqué.
Le juge de première instance a-t-il erré en droit dans son analyse du moyen de défense de la croyance sincère au consentement communiqué?
Droit applicable
[19] L’appel d’un verdict d’acquittement commande la démonstration d’une erreur de droit susceptible d’avoir une incidence significative sur le verdict, tel que le souligne la Cour suprême dans l’arrêt R. v. Cowan [9] :
[46] Les verdicts d’acquittement ne sont pas annulés à la légère (R. c. Sutton, 2000 CSC 50, [2000] 2 R.C.S. 595, par. 2). Pour faire annuler un verdict d’acquittement en raison d’une erreur de droit, il incombe à la Couronne de convaincre la cour d’appel, avec un degré raisonnable de certitude, que l’erreur de droit en cause pourrait avoir eu une incidence significative sur le verdict d’acquittement (Graveline, par. 14). Cela ne signifie pas que la Couronne est tenue de persuader la cour que le verdict aurait nécessairement été différent n’eût été l’erreur (ibid.). La Couronne doit plutôt démontrer qu’il se peut fort bien que l’erreur ait eu une incidence sur le verdict (R. c. Morin, 1988 CanLII 8 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 345, p. 374).
[20] Cette démonstration peut néanmoins requérir un examen des conclusions de fait retenues par le juge de première instance afin de déterminer s’il a erré dans l’application des principes entourant la défense de la croyance sincère au consentement communiqué, en fonction de son appréciation de la crédibilité et de la fiabilité des témoignages à l’égard de laquelle la Cour doit faire preuve d’une grande déférence[10].
[21] Je rappelle que l’article 273.2 du Code criminel codifie les situations où la défense de croyance sincère mais erronée au consentement communiqué ne peut être invoquée :
273.2. Ne constitue pas un moyen de défense contre une accusation fondée sur les articles 271, 272 ou 273 le fait que l’accusé croyait que le plaignant avait consenti à l’activité à l’origine de l’accusation lorsque, selon le cas: | 273.2. It is not a defence to a charge under section 271, 272 or 273 that the accused believed that the complainant consented to the activity that forms the subject-matter of the charge, where |
a) cette croyance provient :
(i) soit de l’affaiblissement volontaire de ses facultés, (ii) soit de son insouciance ou d’un aveuglement volontaire, (iii) soit de l’une des circonstances visées aux paragraphes 265(3) ou 273.1(2) ou (3) dans lesquelles il n’y a pas de consentement de la part du plaignant; | (a) the accused’s belief arose from the accused’s
(i) self-induced intoxication, or (ii) recklessness or wilful blindness; or (iii) any circumstance referred to in subsection 265(3) or 273.1(2) or (3) in which no consent is obtained; |
b) il n’a pas pris les mesures raisonnables, dans les circonstances dont il avait alors connaissance, pour s’assurer du consentement. | (b) the accused did not take reasonable steps, in the circumstances known to the accused at the time, to ascertain that the complainant was consenting. |
c) il n’y a aucune preuve que l’accord volontaire du plaignant à l’activité a été manifesté de façon explicite par ses paroles ou son comportement. | c) there is no evidence that the complainant’s voluntary agreement to the activity was affirmatively expressed by words or actively expressed by conduct. |
| [Soulignements ajoutés] |
[22] Pour invoquer une défense de croyance sincère mais erronée au consentement communiqué, l’accusé doit toutefois d’abord démontrer qu’une telle défense est vraisemblable[11]. Le juge devra alors examiner la preuve et se demander si elle est susceptible de permettre à un juge des faits raisonnable agissant d’une manière judiciaire de conclure, d’une part, que l’accusé a pris des mesures raisonnables pour s’assurer du consentement de la plaignante et, d’autre part, qu’il croyait sincèrement que celle-ci avait communiqué son consentement[12].
[23] La question de savoir si l’accusé a pris des mesures raisonnables pour s’assurer du consentement de la plaignante est une question de fait[13]. Dans le cas où l’accusé réussit à faire la démonstration de la vraisemblance de sa croyance sincère mais erronée au consentement communiqué, le ministère public peut réfuter son existence en prouvant hors de tout doute raisonnable que l’accusé n’a pas pris de mesures objectivement raisonnables pour s’assurer du consentement de la plaignante[14].
[24] Tel que l’a signalé la Cour suprême dans Barton, l’analyse des mesures raisonnables prises par l’accusé « comporte à la fois une dimension objective et une dimension subjective : l’accusé doit prendre des mesures objectivement raisonnables pour s’assurer du consentement et le caractère raisonnable de ces mesures doit être apprécié eu égard aux circonstances dont il avait alors connaissance », ce qui n’implique pas qu’il doive prendre « toutes » les mesures raisonnables[15]. Cette analyse repose sur les faits et donc sur les circonstances[16], comme le souligne d’ailleurs ici le juge du procès.
[25] La jurisprudence recense toutefois des situations ne constituant manifestement pas des mesures raisonnables, dont les mesures reposant sur les mythes liés au viol et sur les présomptions stéréotypées au sujet des femmes, de même que celles qui reposent elles-mêmes sur des agressions sexuelles, par exemple par le fait de « tâter le terrain » en se livrant à des attouchements sexuels non consensuels[17]. Plus l’activité sexuelle est envahissante ou plus le risque pour la santé et la sécurité des participants est élevé, plus l’obligation relative aux mesures raisonnables sera exigeante. Il en va de même lorsque l’accusé et la plaignante se connaissent peu[18].
[26] Lorsque le ministère public ne parvient pas à faire la démonstration hors de tout doute raisonnable de l’absence de mesures raisonnables par l’accusé pour s’assurer du consentement de la plaignante, il peut néanmoins prouver hors de tout doute raisonnable que l’accusé ne pouvait avoir une croyance sincère mais erronée au consentement et ainsi établir sa culpabilité[19]. Dans tous les cas, la poursuite doit s’acquitter de ce dernier fardeau lors de la démonstration du deuxième élément de la mens rea en établissant la connaissance de l’absence de consentement ou l’insouciance ou l’aveuglement volontaire à cet égard. Cela revient à prouver que l’accusé ne pouvait avoir de croyance sincère au consentement.
[27] La Cour suprême rappelle que le consentement doit être communiqué par des paroles ou des actes[20]. Afin de déterminer la présence ou non d’une croyance sincère de la présence d’un tel consentement, le juge tient compte « (1) du comportement communicatif proprement dit de la plaignante et (2) de l’ensemble des éléments de preuve admissibles et pertinents qui expliquent comment l’accusé a perçu ce comportement comme exprimant un consentement. Tout le reste est secondaire. »[21]
[28] Dans l’arrêt Osolin, la juge McLachlin, dissidente, explique ainsi ce critère[22] :
La réponse à cet argument, me semble-t-il, est que le simple fait d’affirmer sa croyance ne constitue pas la preuve de sa sincérité. L’exigence d’une croyance sincère n’équivaut pas au critère objectif de la croyance raisonnable, mais elle exige néanmoins un certain appui dans les circonstances. Une croyance totalement non fondée n’est pas une croyance sincère. Celui qui croit sincèrement à un état de fait est celui qui a examiné les circonstances et qui en a tiré une inférence honnête. Pour être sincère, la croyance doit donc découler dans une certaine mesure des circonstances. Son fondement n’a pas à atteindre le degré nécessaire pour qu’une croyance soit qualifiée de raisonnable. Mais il doit y avoir un fondement.
[29] Dans l’arrêt Ewanchuk[23], la Cour suprême fournit par ailleurs des exemples d’erreurs de droit qui font échec à la recevabilité d’une défense de croyance sincère mais erronée au consentement communiqué, dont le consentement tacite, tel qu’il ressort de l’extrait suivant :
51 Par exemple, le fait de croire que le silence, la passivité ou le comportement ambigu de la plaignante valent consentement de sa part est une erreur de droit et ne constitue pas un moyen de défense: voir R. c. M. (M.L.), 1994 CanLII 77 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 3. De même, un accusé ne peut invoquer sa croyance que l’absence d’accord exprimée par la plaignante aux attouchements sexuels constituait dans les faits une invitation à des contacts plus insistants ou plus énergiques. L’accusé ne peut pas dire qu’il croyait que «non voulait dire oui». Comme a dit le juge en chef Fraser, à la p. 272 de ses motifs de dissidence:
[TRADUCTION] Un seul «Non» suffit pour informer l’autre partie qu’il y a un problème en ce qui a trait au «consentement». Dès qu’une femme a dit «non» pendant l’activité sexuelle, la personne qui entend poursuivre l’activité sexuelle avec elle doit alors obtenir un «Oui» clair et non équivoque avant de la toucher à nouveau de manière sexuelle. [En italique dans l’original.]
J’estime que les motifs du juge en chef Fraser signifient qu’un «oui» non équivoque peut soit être donné de vive voix, soit être exprimé par le comportement.
52 Le sens commun devrait dicter que, dès que la plaignante a indiqué qu’elle n’est pas disposée à participer à des contacts sexuels, l’accusé doit s’assurer qu’elle a réellement changé d’avis avant d’engager d’autres gestes intimes. L’accusé ne peut se fier au simple écoulement du temps ou encore au silence ou au comportement équivoque de la plaignante pour déduire que cette dernière a changé d’avis et qu’elle consent, et il ne peut pas non plus se livrer à d’autres attouchements sexuels afin de «voir ce qui va se passer». La poursuite de contacts sexuels après qu’une personne a dit «non» est, à tout le moins, une conduite insouciante qui n’est pas excusable. Dans R. c. Esau, 1997 CanLII 312 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 777, au par. 79, la Cour a déclaré ceci:
L’accusé qui, en raison d’ignorance volontaire ou d’insouciance, croit que le plaignant [. . .] a réellement consenti à l’activité sexuelle en question est dans l’impossibilité d’invoquer la défense de croyance sincère mais erronée au consentement. C’est un fait que le législateur a codifié au sous‑al. 273.2a)(ii) du Code criminel.
c) L’application aux faits
53 Dans le présent pourvoi, l’accusé ne prétend pas que les «non» clairement exprimés par la plaignante étaient ambigus ou avaient un autre sens. En fait, l’accusé insiste beaucoup sur le fait que, chaque fois que la plaignante a dit «non», il a immédiatement cessé ce qu’il faisait afin de montrer qu’il n’avait pas l’intention de la prendre de force. À quatre occasions distinctes pendant leur rencontre, il a donc été à même de constater que la plaignante n’était pas consentante.
54 Le juge du procès aurait dû se demander si, entre le moment où le non‑consentement a été exprimé et les attouchements sexuels ultérieurs, il s’était passé quelque chose que l’accusé aurait pu sincèrement considérer comme un consentement.
[Soulignements ajoutés]
[30] Ces propos ont été réitérés plus récemment dans Barton[24]. Par ailleurs, un peu plus tôt, dans R. c. J.A.[25], la Cour suprême signalait également qu’une défense de croyance erronée au consentement ne pouvait être fondée sur un consentement général donné à l’avance[26].
[31] En l’espèce, l’appelant concède que le juge a correctement énoncé ces principes mais soutient qu’il ne les a pas appliqués aux faits en l’espèce. D’abord, il a omis d’analyser la question de savoir si l’intimé avait pris des mesures raisonnables et suffisantes pour s’assurer du consentement de la plaignante; puis, il a conclu à tort que l’intimé ne s’était pas basé sur un consentement tacite ou sur un consentement général. Or, selon l’appelant, la croyance de l’intimé était clairement fondée sur un consentement tacite et s’appuyait sur des mythes et stéréotypes, en prétendant que la plaignante aurait dû lui dire clairement qu’elle ne consentait pas ou en lui reprochant d’avoir, par son comportement, envoyé des signaux contradictoires. L’intimé a notamment affirmé : « si, par exemple, elle n’aurait pas voulu que je me rapproche d’elle étant donné la situation, elle aurait pu le nommer clairement »[27], de même qu’il a déclaré : « étant donné qu’elle m’envoyait des signaux contradictoires en des mouvements de bassin et tout, j’ai, dans la foulée, glissé la main »[28].
[32] Selon l’appelant, l’omission d’analyser les mesures raisonnables prises par l’intimé pour s’assurer du consentement de la plaignante à l’activité sexuelle s’avère une omission fatale qui commande à elle seule l’intervention de la Cour dans la mesure où l’intimé a lui-même avoué n’avoir pris aucune mesure raisonnable pour s’assurer du consentement de la plaignante tout en admettant avoir posé des gestes non consensuels de nature sexuelle, et ce, pour vérifier si la plaignante consentait.
[33] L’appelant souligne que les mesures raisonnables doivent être prises avant l’activité en cause et qu’elles ne peuvent elles-mêmes constituer une agression sexuelle. Il rappelle qu’une approche d’essais et erreurs ne peut être assimilée à une mesure raisonnable et que le fardeau de l’appelant au niveau des mesures raisonnables est élevé lorsque les parties se connaissent peu.
[34] L’intimé plaide de son côté que l’appelant invite, à tort, la Cour à revoir l’ensemble de la preuve pour l’apprécier différemment alors que le droit d’appel à l’encontre d’un verdict d’acquittement n’existe que sur une question de droit susceptible d’affecter le verdict. Il estime que le juge de première instance a correctement analysé la preuve et appliqué les principes de droit découlant de la défense de croyance sincère mais erronée au consentement communiqué. Il soutient que l’appelant tente de convaincre la Cour de substituer sa propre appréciation de la preuve alors que le juge de première instance a correctement procédé à l’évaluation globale de la preuve présentée, de la crédibilité et de la fiabilité des témoignages qui l’ont amené à conclure que la défense de la croyance sincère mais erronée de l’intimé au consentement communiqué était démontrée.
[35] À mon avis, l’appelant a raison de soutenir que, bien qu’il ait correctement énoncé le droit applicable, le juge ne l’a pas appliqué aux faits de l’espèce.
[36] D’une part, ses motifs ne comportent aucune analyse des mesures raisonnables prises par l’intimé pour s’assurer du consentement de la plaignante, bien qu’il s’agisse d’une condition préalable à la défense de la croyance sincère mais erronée au consentement communiqué.
[37] Si le juge s’était attardé à l’analyse des mesures raisonnables, il aurait été forcé de conclure qu’aucune n’avait été prise en l’espèce par l’intimé. Celui-ci ne pointe vers aucun élément de preuve objectif d’une telle mesure. En conséquence, l’appelant invite la Cour à casser le verdict d’acquittement, comme l’a fait la Cour d’appel de l’Ontario dans des circonstances analogues dans l’affaire R. v. I.A.D.[29].
[38] L’appelant ajoute que le juge a commis une nouvelle erreur de droit en concluant que l’intimé ne s’était pas basé sur un consentement tacite ou sur un consentement général. Car, lorsqu’il affirme (pour reprendre des propos cités plus haut) : « si, par exemple, elle n’[avait] pas voulu que je me rapproche d’elle étant donné la situation, elle aurait pu le nommer clairement »[30] ou lorsqu’il déclare : « étant donné qu’elle m’envoyait des signaux contradictoires en des mouvements de bassin et tout, j’ai, dans la foulée, glissé la main »[31], l’intimé s’appuie précisément sur un consentement tacite de la plaignante. Les signaux contradictoires et les mouvements de bassin auxquels il réfère ne sont pas de nature à fonder une défense de croyance sincère au consentement, et certainement pas dans le contexte où la plaignante a déjà exprimé, lors d’une première tentative, son refus de ce type d’attouchement. Comme on l’a vu, la jurisprudence rappelle qu’on ne peut « tâter le terrain » en se livrant à des attouchements sexuels non consensuels[32].
[39] Les faits de l’espèce ne sont d’ailleurs pas sans rappeler ceux de l’affaire Ofter c. R.[33], dans laquelle notre Cour a confirmé le verdict de culpabilité, en raison d’une preuve révélant que l’accusé avait adopté une approche d’essai-erreur (trial-and-error approach) alors que la plaignante qui consentait à l’embrasser avait manifesté à plusieurs reprises son refus d’avoir une relation sexuelle.
[40] Comme indiqué précédemment, dans Ewanchuk[34], la Cour suprême explique que lorsque la plaignante a dit « non » pendant une activité sexuelle, l’accusé doit s’assurer qu’elle a réellement changé d’avis avant d’entreprendre d’autres attouchements. La Cour suprême affirme que (et nous reproduirons de nouveau, par commodité, ce passage précité) « l’accusé ne peut se fier au simple écoulement du temps ou encore au silence ou au comportement équivoque de la plaignante pour déduire que cette dernière a changé d’avis et qu’elle consent, et il ne peut pas non plus se livrer à d’autres attouchements sexuels afin de “voir ce qui va se passer” ».
[41] Or, l’intimé, lors de son contre-interrogatoire, explique ainsi ce qui l’a motivé à toucher la plaignante[35] :
Q. Donc c’est exact de dire lorsque vous, lorsque vous descendez votre main la deuxième fois et la troisième fois pour aller agripper ses fesses, vous savez qu’elle ne consent pas à avoir vos mains près de ses parties génitales?
R. Oui.
Q. Pourquoi vous le faites si vous savez qu’elle consent pas à ça?
R. C’est étant donné que j’avais jugé que le consentement était revenu avec les mouvements de bassin, le désir qui augmentait, les bais[er]s, les câlins. J’ai quand même été dans la foulée des choses pour voir si elle acceptait ou non. Je (inaudible) à ce moment-là et lorsque j’ai eu le refus j’ai pas insisté pis j’ai enlevé ma main. Je vérifiais le consentement à chaque fois de cette manière.
Q. Qu’est-ce qu’il aurait fallu que madame fasse pour pas que vous le fassiez?
R. J’ai - juste de peut-être avoir une communication clairement dès le départ ça aurait pu être un facteur qui aurait pu aider c’est certain.
Q. Donc pour vous, pour que vous n’alliez pas mettre vos mains à un endroit où madame ne consent pas, il faut que madame vous dise qu’elle consent pas. C’est ça?
R. C’est quelque chose qui est important de manifester le consentement. Au niveau du physique si elle le démontrait, il n’y avait pas de, de signe non verbal et direct qu’elle n’était pas d’accord. Et au niveau de - verbal, elle a rien mentionné non plus. Donc en approchant, je le validais de cette manière-là. Et lorsqu’elle me disait de stopper comme j’ai mentionné préalablement, je (inaudible) et je retirais mes mains.
[42] Les séquences des gestes décrits pour « tâter le terrain » procèdent de l’aveuglement volontaire, alors que la plaignante lui a déjà exprimé qu’elle n’était pas à l’aise qu’il mette sa main sur ses parties génitales (et qu’il est bien conscient de cela), l’intimé le fait tout de même.
[43] Ces aveux de l’intimé dans le cadre de son contre-interrogatoire rendaient impossible son acquittement, puisque son témoignage établissait tous les éléments constitutifs de la mens rea de l’infraction d’agression sexuelle.
[44] À l’instar de l’affaire Ewanchuk[36], la Cour est en bonne posture non seulement pour écarter le verdict d’acquittement, mais également pour y substituer un verdict de culpabilité sur la base des faits retenus par le juge de première instance. Questionné à ce sujet à l’audience, l’intimé a reconnu qu’en cas d’intervention de la Cour, il préférerait qu’elle substitue un verdict de culpabilité sur la base des faits retenus par le juge plutôt que d’ordonner un nouveau procès.
[45] Je propose donc d’accueillir l’appel et de substituer un verdict de culpabilité sur la base des faits retenus par le juge de première instance, à savoir quelques attouchements sans pénétration, et de renvoyer l’affaire en Cour du Québec pour la détermination de la peine.
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GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A. |
[2] En vertu de l’alinéa 271a) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46 [C.cr.].
[3] R. c. Barton, 2019 CSC 33, [2019] 2 R.C.S. 579 [Barton].
[4] Barton, supra, note 3, paragr. 104.
[5] Desrosiers, Julie et Beausoleil-Allard, Geneviève, L'agression sexuelle en droit canadien, 2e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2017, p. 139.
[6] Citant à cet égard la juge L’Heureux-Dubé dans R. c. Park, [1995] 2 R.C.S., p. 836.
[7] Jugement entrepris, paragr. 72.
[8] R. c. Ewanchuk, [1999] 1 RCS 330, paragr. 25-26 [Ewanchuk].
[9] R. v. Cowan, 2021 SCC 45, paragr. 46; article 676(1)a) du Code criminel; R. c. Morin, 1988 CanLII 8 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 345, p. 374.
[10] Francillon c. R., 2010 QCCA 2033, paragr. 35; R. c. G.F., 2021 CSC 20, paragr. 81.
[11] Ewanchuk, supra, note 8, paragr. 56.
[12] Barton, supra, note 3, paragr. 121.
[13] Ewanchuk, supra, note 8, paragr. 60.
[14] Barton, supra, note 3, paragr. 123.
[15] Barton, supra, note 3, paragr. 104.
[16] Barton, supra, note 3, paragr. 106 et 108.
[17] Barton, supra, note 3, paragr. 107.
[18] Barton, supra, note 3, paragr. 108.
[19] Barton, supra, note 3, paragr. 123.
[20] Barton, supra, note 3, paragr. 91-92.
[21] R. c. Park, [1995] 2 R.C.S. 836, paragr. 44 [soulignement dans l’original], cité dans Barton, supra, note 3, paragr. 91.
[22] R. c. Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595, p. 649 (j. McLachlin, dissidente), cité par la majorité dans R. c. Esau, [1997] 2 R.C.S. 777, paragr. 15.
[23] Ewanchuk, supra, note 8, paragr. 51-54; Barton, supra, note 3, paragr. 98.
[24] Barton, supra, note 3, paragr. 98.
[25] R. c. J.A., 2011 CSC 28, paragr. 47.
[26] Id., paragr. 34, 44-45; Ewanchuk, supra, note 8, paragr. 26; Barton, supra, note 3, paragr. 99.
[27] Témoignage de Nicolas Pineault, 30 mars 2022, M.A., vol. 2, p. 322.
[28] Id., p. 321.
[29] R. v. I.A.D., 2021 ONCA 110, paragr. 4.
[30] Témoignage de Nicolas Pineault, 30 mars 2022, M.A., vol. 2, p. 322.
[31] Id., p. 321.
[32] Barton, supra, note 3, paragr. 107; voir également McKillop c. R., 2023 QCCA 13, paragr.19-21.
[33] Ofter c. R., 2022 QCCA 439.
[34] Ewanchuk, supra, note 8, paragr. 51-52.
[35] Témoignage de Nicolas Pineault, 30 mars 2022, M.A., vol. 2, p. 374-375.
[36] Ewanchuk, supra, note 8.
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