P.O. c. Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu | 2023 QCCQ 1513 | |||||||
COUR DU QUÉBEC | ||||||||
« Division des petites créances » | ||||||||
CANADA | ||||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||||||
DISTRICT DE | IBERVILLE | |||||||
LOCALITÉ DE | SAINT-JEAN-SUR-RICHELIEU | |||||||
« Chambre civile » | ||||||||
N° : | 755-32-701287-213 | |||||||
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DATE : | 6 avril 2023 | |||||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | LUC POIRIER, J.C.Q. | ||||||
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P... O...
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Partie demanderesse | ||||||||
c. | ||||||||
VILLE DE SAINT-JEAN-SUR-RICHELIEU
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Partie défenderesse | ||||||||
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JUGEMENT | ||||||||
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[1] Monsieur P... O... réclame le remboursement de droits de mutations payés à la ville de Saint-Jean-sur-Richelieu, suite au transfert d’immeubles fait lors de son divorce avec madame L. Selon lui, il a droit d’être exonéré en vertu des dispositions à cet effet contenues à la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières (Loi sur les droits de mutation immobilière).
[2] Monsieur O... a payé un total de 20 568,36 $ en droit de mutation (pièce P-6), montant qu’il consent à réduire à 15 000 $ pour donner juridiction à la division des petites créances de la Cour du Québec.
[3] La ville de Saint-Jean-sur-Richelieu (Ville) conteste que monsieur O... puisse bénéficier d’une exonération prévue à la Loi puisqu’au moment du transfert, il n’était plus conjoint avec la cédante, madame L. et que les délais écoulés après le prononcé du jugement de divorce dépassaient le délai requis.
QUESTION EN LITIGE
[4] Le demandeur a-t-il démontré qu’il se trouvait dans une situation d’exonération en vertu de la Loi sur les droits de mutation ?
CONTEXTE
[5] Jusqu’au 19 août 2020, monsieur O... était marié à madame L. À cette date un jugement de divorce est prononcé par l’honorable juge Gaudet qui entérine une convention signée par les époux les 20 et 23 juillet 2020. (Pièce D-2).
[6] La convention entérinée prévoie, entre autres, le partage de biens immobiliers entre les époux. D’une façon plus spécifique, monsieur O... devait recevoir certains immeubles dont il sera question dans le présent jugement.
[7] Le 1er septembre 2020, monsieur O... reçoit copie de son jugement de divorce de ses procureurs.
[8] Le 23 septembre 2020, le certificat de divorce est émis par la Cour (pièce P-3).
[9] Le 28 octobre 2020, le transfert des immeubles de madame L à monsieur O... a lieu (actes, pièces D-4 et D-5).
[10] Suite à ces transferts immobiliers, la ville émet le 22 décembre 2020, quatre avis de droits de mutation qu’elle transmet au demandeur (pièce D-6).
[11] Monsieur O... considère qu’il bénéficie d’une exemption et en fait part à la ville qui nie ce droit puisque le transfert est tardif.
[12] Bien qu’en désaccord, les droits de mutation sont payés et monsieur O... en demande le remboursement.
[13] C’est dans ce contexte que le Tribunal doit décider du bien-fondé de la réclamation. ANALYSE
[14] D’entrée de jeu, le Tribunal désire souligner qu’il a pris en considération toutes les pièces qui ont été produites lors de l’audition ainsi que tous les témoignages qui ont été rendus, et ce, même s’il n’y sera pas nécessairement fait référence dans la décision.
[15] La partie qui fait valoir un droit doit démontrer par prépondérance de preuve le bien-fondé de ses prétentions, comme le prévoient les articles
«2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention. 2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.»
[16] Il est important de souligner que dans le cas qui nous occupe spécifiquement, le fardeau de preuve repose sur les épaules de la personne qui dit bénéficier d’une exonération.
[17] La Cour d’appel du Québec dans la cause de 9197-6837 Québec inc. c. ville de Terrebonne[1] s’exprime d’ailleurs de la façon suivante quant à ce fardeau:
«[16] Qui plus est, il revient à la personne qui réclame une exonération du paiement du droit de mutation de démontrer que les conditions requises sont satisfaites. C’est là son fardeau.»
[18] Bien que cette spécification puisse sembler redondante en regard avec l’article
[19] De plus, comme le souligne l’honorable juge Patsy Bouthillette dans la décision de Morin et Spencer c. ville de Gatineau[2] les demandes d’exonérations sont d’interprétations restrictives puisqu’elles constituent des exceptions à la Loi :
«[10] L’article 2 de la Loi consacre l’obligation pour toute municipalité de percevoir un droit de mutation et détermine la façon de le calculer en fonction de la base d’imposition. L’objet de la Loi est de permettre aux municipalités de percevoir un droit sur le transfert des immeubles situés sur leur territoire, sous réserve des exonérations applicables. [11] En ce qui a trait aux cas d’exonération prévus par la Loi, puisqu’ils constituent une exception au principe général, ils doivent s’interpréter restrictivement.»
[20] En effet, la Loi sur les droits de mutation oblige les municipalités à percevoir ces droits en vertu de l’article 2.
[21] L’honorable juge Breault dans la cause de Doucet c. ville de Mirabel[3] s’exprime de la façon suivante quant à l’interprétation restrictive à avoir lorsqu’il s’agit de décider de l’existence ou non d’exonération :
«[12] Selon que les conjoints aient été mariés, unis civilement ou en union de fait, la date de perte du statut de conjoints n’est pas déterminée de la même façon, ce qui peut avoir des impacts sur le calcul du délai de 90 jours prévu à l’article [13] L’objectif recherché par l’article [14] Le législateur a ainsi choisi de ne pas donner une portée tous azimuts à cette exemption, et ce, contrairement à ce qui est prévu dans d’autres lois fiscales, où le transfert d’un immeuble n’entraîne aucun impact fiscal lorsqu’effectué en règlement d’un droit découlant de la rupture des ex-conjoints[4]. [15] Le législateur étant présumé ne pas parler pour ne rien dire, la soussignée estime qu’il faut accorder effet aux exigences et limites de l’article (Soulignement du Tribunal)
[22] Les parties dans la présente cause semblent d’accord sur un point, les transactions sur lesquelles les droits de mutation ont été exigés par la ville l’ont été dans un délai ne respectant pas la Loi.
[23] Dans une correspondance du 15 mars 2021, la procureure de monsieur O... expose ses prétentions à la ville en admettant que les délais sont dépassés (pièce P-5), s’exprimant ainsi :
«Nous comprenons que techniquement le délai est passé ….»
[24] L’honorable juge Quach dans la décision de M…S… c. MA…M…[4] rappelle que les droits de mutation peuvent faire l’objet d’exonération lorsqu’il y a un transfert dans les 30 jours suivant le jugement définitif l’ordonnant :
«158. Par ailleurs, rappelons qu’en vertu de l’article 20d) de la Loi concernant les droits de mutation immobilières, il y a exonération des droits de mutation immobilière (la taxe de bienvenue) si le transfert de la propriété entre conjoints s’effectue dans les 30 jours suivant le jugement définitif l’ordonnant.»
[25] Le Tribunal comprend également de la demande même de monsieur O... qu’il admet que ce délai de 30 jours n’est pas respecté puisqu’il mentionne au paragraphe 5 :
«aux faits mentionnés ci-dessus, la partie demanderesse apporte les précisions suivantes : exonération du délai de 30 jours.»
[26] Ce que monsieur O... et son avocate dans la lettre déjà produite sous la cote P-5 soutiennent que c’est la situation pandémique de 2020 qui empêchait la transmission de documents et que ce n’est que le 29 septembre 2020 que monsieur O... a reçu son certificat de divorce, cette date devant servir de point de départ au calcul du fameux délai de 30 jours.
[27] En d’autres termes, ce que la procureure souligne est que la situation est l’équivalent d’un cas fortuit ou de force majeure :
«à l’impossible nul n’est tenu et considérant les directives de non respect des délais qui nous parvenaient, tant du ministre de la justice que du Bâtonnier du Québec et considérant que la direction du palais de justice nous a retiré l’accès à nos casiers (et ainsi à nos documents), nous voyons mal comment nous pouvons exiger des contribuables d’agir dans des délais encore plus limité dû au fait que le système judiciaire ne respecte plus ses propres délais. (pièce P-5)»
[28] Dans un premier temps, le Tribunal ne peut considérer avoir preuve d’impossibilité d’agir comme semble le prétendre monsieur O... tant personnellement que par l’entremise de son procureur.
[29] D’ailleurs, dès le 1er septembre 2020, les délais légaux qui avaient été suspendus par le gouvernement du Québec et la juge en chef du Québec recommençaient à courir. C’est donc le gouvernement ainsi que la juge en chef du Québec considéraient que les activités judiciaires pouvaient reprendre normalement.
[30] Dans un deuxième temps, le Tribunal n’a eu aucune explication sur la nécessité d’obtenir le certificat de divorce afin d’entreprendre des démarches, notamment pour les transferts immobiliers.
[31] La situation aurait pu être différente s’il s’agissait d’un jugement rendu après contestation et que les parties envisagent un appel.
[32] Depuis le 20-23 juillet 2020, les parties connaissaient la teneur du jugement qui allait être prononcé le 19 août 2020 puisqu’elles en avaient négocié chacune des clauses.
[33] Par ailleurs, les parties, non seulement connaissaient les clauses, elles étaient informées de l’importance d’agir promptement pour bénéficier des exemptions prévues par la Loi sur les droits de mutation. Le Tribunal reproduit le paragraphe 19 de la Convention qui est jointe au jugement de divorce (pièce P-1) :
«Les parties conviennent que les transactions notariées visant à officialiser les transferts de leurs immeubles seront faites le ou avant le 31 août 2020, et ce, de façon à éviter les droits de mutation que la Ville pourrait exiger;»
[34] Le Tribunal considère que dès la signature de la convention, les démarches pouvaient débuter même si le transfert lui-même ne devait avoir lieu qu’après le prononcé du jugement.
[35] L’article 9 de la Loi sur les droits de mutation prévoit que le notaire instrumentant doit inscrire sur la réquisition d’inscription de transfert plusieurs informations, dont les cas où une exonération du paiement du droit de mutation doit s’appliquer.
«9. La réquisition d’inscription d’un transfert doit contenir les mentions suivantes: a) le nom du cédant et du cessionnaire; b) l’adresse de la résidence principale du cédant; c) l’adresse de la résidence principale du cessionnaire; d) le nom de la municipalité sur le territoire de laquelle est situé l’immeuble, lorsque celui-ci n’est pas immatriculé; e) le montant de la contrepartie pour le transfert de l’immeuble, selon le cédant et le cessionnaire; e.1) le montant constituant la base d’imposition du droit de mutation, selon le cédant et le cessionnaire, et, le cas échéant, la portion de cette base qui est visée au troisième alinéa de l’article 4; f) le montant du droit de mutation; g) le cas échéant, la disposition de l’un ou l’autre des articles 17 à 20 en vertu de laquelle, selon le cessionnaire, celui-ci est exonéré du paiement du droit de mutation; h) toute autre mention prescrite par règlement. La réquisition doit, en outre, indiquer s’il y a ou non transfert à la fois d’un immeuble corporel et de meubles visés à l’article 1.0.1. Le cas échéant, elle contient également les mentions prévues aux paragraphes e) à h) du premier alinéa à l’égard de l’ensemble des meubles visés à l’article 1.0.1 qui sont transférés avec l’immeuble. En outre, doivent être inscrits sur le formulaire de présentation de la réquisition d’inscription au registre foncier, prévu au troisième alinéa de l’article (Soulignement du Tribunal)
[36] Malgré cette obligation, le Tribunal après avoir lu les actes (pièces D-4 et D-5), constate qu’aucune inscription concernant les exemptions des droits de mutation n’est mentionnée. Ce sont pourtant les immeubles dont le transfert a amené l’imposition de droits de mutation dont l’exonération est demandée aujourd’hui.
[37] Cette situation est d’autant plus intéressante que huit jours auparavant, soit le 20 octobre 2020, monsieur O... avait procédé à un transfert d’immeubles de sa compagnie vers lui soulevant les exemptions prévues à la Loi quant aux droits de mutation (pièce P-11). Il est curieux de constater que monsieur O... a été capable d’agir avant le 28 octobre, soit le 20 octobre pour transférer des immeubles de sa compagnie à lui-même alors qu’il était incapable de mandater le même notaire pour procéder au transfert dans le cas des immeubles reçus de madame L.
[38] Le Tribunal souligne également que les fiscalistes embauchés par le demandeur soulignaient qu’il y aurait lieu de vérifier si l’exemption des droits de mutation peut toujours s’appliquer pour les conjoints divorcés dans un mémo fiscal remis à monsieur O... et madame L. (pièce P-10).
[39] Considérant la preuve qui a été offerte par le demandeur, le Tribunal ne peut conclure que ce dernier pouvait bénéficier des exonérations prévues à l’article 20 de la Loi sur les droits de mutation dont le fardeau de preuve lui incombait.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[40] REJETTE la réclamation de la partie demanderesse, monsieur P... O...;
[41] AVEC frais de justice contre ce dernier.
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| __________________________________ LUC POIRIER, J.C.Q. | |||||||
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Date d’audition : 8 mars 2023
[1] 9197-6837 Québec inc. c. Terrebonne (ville de),
[2] Morin et Spencer c. ville de Gatineau,
[3] Doucet c. Mirabel (ville de),
[4] M…S…c. MA…M…,
AVIS :
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appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.