Laroche c. SHDM |
2018 QCRDL 36472 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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No dossier : |
402637 31 20180606 G |
No demande : |
2519383 |
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Date : |
05 novembre 2018 |
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Régisseur : |
Serge Adam, juge administratif |
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Jean Laroche |
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Locataire - Partie demanderesse |
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c. |
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S.H.D.M
S.O.D.H.A.C. |
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Locateurs - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] Le 6 juin 2018, le locataire produit une demande en diminution de loyer de 30 % à partir du 1er novembre 2017 et des dommages au montant de 2 500 $, avec intérêts et les frais, des ordonnances au locateur d’exterminer les coquerelles et d’effectuer les travaux requis, notamment remplacer une moustiquaire, le plancher usé de la cuisine et du salon, en plus de corriger la non étanchéité des fenêtres du logement concerné.
[2] Les parties sont liées par un bail du 1er novembre 2017 au 31 octobre 2018, au loyer mensuel de 241 $ payable le 1er jour de chaque mois.
[3] Les parties confirment à l’audience le remplacement du plancher du salon, du corridor de même que la réparation de la moustiquaire. Puisque les travaux eurent lieu en septembre dernier pour le calfeutrage des fenêtres, le locataire se réserve le droit de constater l’efficacité de celles-ci surtout par temps froid.
[4] Seul le plancher de la cuisine n’a pas été remplacé et le locataire maintient sa demande à cet égard.
Allégations du locataire
[5] Le locataire allègue que le locateur a fait défaut de lui
procurer la jouissance pleine et entière de son logement et des espaces
communs. Selon le locataire, le locateur aurait ainsi contrevenu aux articles
« 1854. Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.
Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l'usage pour lequel il est loué, et de l'entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail. »
« 1864. Le locateur est tenu, au cours du bail, de faire toutes les réparations nécessaires au bien loué, à l'exception des menues réparations d'entretien; celles-ci sont à la charge du locataire, à moins qu'elles ne résultent de la vétusté du bien ou d'une force majeure. »
« 1910. Le locateur est tenu de délivrer un logement en bon état d'habitabilité; il est aussi tenu de le maintenir ainsi pendant toute la durée du bail.
La stipulation par laquelle le locataire reconnaît que le logement est en bon état d'habitabilité est sans effet. »
[6] Plus amplement le locataire précise que depuis son emménagement dans le logement, il vit en présence de coquerelles et le problème persiste encore lors de la journée d’audience, le locateur n’ayant pas réglé complètement le problème. Il produit une série de photos prises démontrant la présence de coquerelles sur les planchers, la cuisinière et même dans le four micro-ondes et le réfrigérateur.
[7] Le locataire allègue de plus avoir avisé le locateur dès le mois de novembre 2017 de la présence de coquerelles dans son logement et avoir requis verbalement de bien procéder à une éradication complète sans délai par un exterminateur.
[8] Les nombreux rapports démontrent l’absence de résultats de ces traitements pour différents motifs, dont le manque de collaboration de la part des autres locataires de l’immeuble, alors que le locataire s’est toujours préparé adéquatement, tel que souligné par l’exterminateur dans lesdits rapports.
Allégations du locateur
[9] Le représentant du locateur, quant à lui, admet la présence de coquerelles dans son édifice, notamment le logement concerné et il estime être en mesure de régler définitivement ce problème à court terme.
[10] Il précise procéder régulièrement de façon systématique à des traitements d’extermination tant dans le logement concerné que dans son édifice, mais admet ne pas avoir obtenu une très bonne collaboration des autres occupants de son immeuble, ce qui a contribué dans une large mesure à une absence d’éradication totale de ce fléau.
[11] Il plaide donc avoir fait tous les efforts nécessaires afin de régler ce problème et ne pouvoir être tenu responsable du manque de collaboration des autres locataires dans l’éradication de ce fléau.
[12] Quant à l’état du plancher de la cuisine, le représentant du locateur soutient que son absence d’entretien par le locataire est la cause directe de cet état.
Décision
[13] La preuve révèle que le locateur a requis à répétition les services des exterminateurs pour éradiquer l’infestation de coquerelles, et ce, depuis le mois de décembre 2017, mais sans succès. Il reste que depuis tout ce temps, le locataire n’a pas eu en tout temps un logement en bon état d’habitabilité. Les efforts ou la diligence déployés par le locateur dans le but de corriger la situation ne peuvent l'exonérer de sa responsabilité à l'endroit de ce dernier.
[14] Il s'agit là d'obligations de résultat et même de garantie, non uniquement de moyen, de sorte que la défense de diligence qu'il soumet ne peut être retenue.
[15] Les obligations du locateur mentionnées aux articles 1854 al.1 et 1864 sont dites de résultat, il ne pourra se soustraire à son obligation qu'en invoquant la force majeure. À ce sujet, les auteurs Beaudoin et Jobin s'expriment ainsi:
« ...Dans le cas d'une obligation de résultat, la simple constatation de l'absence du résultat ou du préjudice subi suffit à faire présumer la faute du débiteur, une fois le fait même de l'inexécution ou la survenance du dommage démontré par le créancier. Dès lors, le débiteur, pour dégager sa responsabilité, doit aller au-delà d'une preuve de simple absence de faute, c'est-à-dire démontrer que l'inexécution ou le préjudice subi provient d'une force majeure. Il ne saurait être admis à dégager sa responsabilité en rapportant seulement une preuve d'absence de faute, c'est-à-dire démontrer que l'inexécution ou le préjudice subi provient d'une force majeure. Il ne saurait être admis à dégager sa responsabilité en rapportant seulement une absence de faute. »[1]
[16] Aussi l'obligation du locateur à l'article 1854 al. 2 est encore plus sévère puisqu'il s'agit d'une obligation de garantie :
« En présence enfin d'une obligation de garantie, le débiteur est présumé responsable. La seule façon pour lui d'échapper à sa responsabilité est de démontrer que c'est par le fait même du créancier qu'il a été empêché d'exécuter son obligation ou encore que l'inexécution alléguée se situe complètement en dehors du champ de l'obligation assumée. »[2]
[17] Après analyse de toute la preuve, le Tribunal estime que le locateur a fait défaut d'entretenir le logement en état de servir à l'usage pour lequel il a été loué. Malgré des dénonciations répétées, il n’a pas procédé rapidement à éradiquer l’infestation de coquerelles dans le logement concerné.
[18] Devant son témoignage non contredit, lequel a paru des plus sincères et crédible au Tribunal, le soussigné estime que la situation établie était certes source de préjudices sérieux pour le locataire et son épouse. Il est certes hautement préjudiciable de vivre avec une infestation de coquerelles sur une période aussi longue.
[19] Le Tribunal n'a donc aucune hésitation à conclure que c'est à bon droit qu’il réclame une diminution de loyer, et ce, rétroactivement à la date de sa dénonciation indiquant à ce dernier la nature de leurs problèmes, soit durant le mois de décembre, étant la date du premier traitement ayant eu lieu dans ce logement.
[20] À ce sujet, le Tribunal souscrit à l'opinion de Me Gilles Joly dans l'affaire Gagné c. Larocque[3] :
« Le recours en diminution de loyer a pour but de rétablir l'équilibre dans la prestation de chacune des parties au bail; lorsque le montant du loyer ne représente plus la valeur de la prestation des obligations rencontrées par le locateur parce que certains des services ne sont plus dispensés ou que le locataire n'a plus la pleine et entière jouissance des lieux loués, le loyer doit être réduit en proportion de la diminution subie.
Il s'agit en somme de rétablir le loyer au niveau de la valeur des obligations rencontrées par le locateur par rapport à ce qui est prévu au bail; la diminution ainsi accordée correspond à la perte de la valeur des services ou des obligations que le locateur ne dispense plus. Il ne s'agit donc pas d'une compensation pour des dommages ou des inconvénients que la situation peut causer. »
Le recours en diminution de loyer vise à rétablir l'équilibre entre le loyer payé par le locateur et la prestation de service du locateur. Nous souscrivons à l'opinion de Me Gilles Joly, dans la décision de Girard c. placements Bédard et Gauthier Enrg.[4], lorsqu'il définit ainsi ce recours :
« Le recours en diminution de loyer est de nature « quantis minoris », c'est-à-dire qu'il cherche à rétablir un équilibre entre la prestation du locateur et celle de la locataire; en vertu du bail, le locateur doit procurer à la locataire la jouissance du logement qui y est décrit; en contrepartie, la locataire doit payer le loyer dont le montant doit équivaloir aux droits que le contrat lui procure. Or, dès que la locataire n'a plus la jouissance des lieux comme elle devrait l'avoir, elle peut exercer le recours en diminution de loyer afin que son obligation soit réduite en proportion du trouble qu'elle endure. »
[21] Pour déterminer la diminution de loyer, le Tribunal doit faire une évaluation objective de la valeur de la perte de jouissance en tenant compte notamment du loyer payé.
[22] En l’espèce le Tribunal accorde au locataire la diminution réclamée de 30 % de son loyer mensuel, soit la somme de 72 $ à partir du mois de décembre 2017 jusqu’au mois d’octobre 2018 inclusivement représentant la somme totale de 792 $.
[23] De plus, tant et aussi longtemps qu’un rapport d’un exterminateur reconnu indiquant que le problème est maintenant sous contrôle ne sera pas expédié par le locateur au locataire, le Tribunal diminue de 72 $ par mois le loyer du locataire pour les mois à venir.
[24] Quant à l’ordonnance demandée concernant le remplacement du plancher de la cuisine, le locataire étant présumé avoir reçu le logement en bon état d’habitabilité, le soussigné ne pourra accorder une telle ordonnance jugeant les bris au plancher relevant d’un manque d’entretien du locataire, notamment quant à la rouille provenant de l’emplacement du réfrigérateur.
[25]
En ce qui concerne sa demande en dommages moraux relativement au
problème d’une présence constante de coquerelles, le Tribunal applique les
principes énoncés par la juge administrative Jocelyne Gravel[5]
et abondamment suivis par la jurisprudence
voulant que lorsque l'apparition d’insectes indésirables dans un logement n'est
attribuable à aucune négligence du locateur, la situation sera présumée être le
trouble du fait d'un tiers selon les termes de l'article
[26] Cependant, pour paraphraser ma collègue Gravel, un comportement fautif ou négligent après l'apparition du fléau dénoncé pourra cependant entraîner la responsabilité du locateur notamment son inaction ou son défaut à prendre les mesures juridiques nécessaires afin de faire respecter les directives par tous les autres locataires de l’immeuble concernant la préparation de leur logement, dans le but de maximiser les effets d’un traitement de l’exterminateur pour tout l’immeuble.
[27] En effet, le soussigné ne peut retenir les prétentions du locateur voulant qu’il lui était impossible légalement de forcer les autres locataires de son immeuble à une bonne collaboration et respecter les directives de l’exterminateur pour une maximisation des traitements de ce dernier, notamment une demande de résiliation si un préjudice sérieux s’en suit comme ce fut le cas en l’espèce.
[28] Si les autres locataires ne respectent pas leurs propres obligations de maintenir leur logement en bon état ou nuisent à la jouissance paisible des lieux de leurs voisins, le locateur peut et doit exercer ses recours à leur égard, ce qu’il n’a pas fait en l’instance.
[29] Le Tribunal accordera donc les dommages moraux réclamés au montant de 2 500 $.
[30] En effet, le soussigné est convaincu de tous les troubles et des inconvénients inhérents vécus par le locataire dus à la présence d’une infestation majeure de coquerelles dans le logement, notamment par de très nombreuses préparations de celui-ci afin de recevoir les traitements de l’exterminateur, requérant patience et des heures de travail, sans compter les tracas apportés dans la vie quotidienne de voir tous nos objets personnels et effets mobiliers entassés un peu partout afin de faciliter le travail des exterminateurs.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[31] CONDAMNE le
locateur à payer au locataire la somme de $3 292 $ avec intérêts au
taux légal, plus l'intérêt additionnel suivant l'article
[32] DIMINUE le loyer de 72 $ pour les loyers à venir, tant et aussi longtemps que le locateur n’aura pas expédié au locataire, un rapport d’un exterminateur reconnu indiquant que le problème est sous contrôle;
[33] REJETTE la demande du locataire quant aux autres conclusions;
[34] RÉSERVE les autres recours du locataire.
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Serge Adam |
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Présence(s) : |
le locataire Me Suzanne Guévremont, avocate du locataire le mandataire des locateurs |
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Date de l’audience : |
2 octobre 2018 |
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[1] Jean-Louis Beaudoin et Pierre-Gabriel Jobin. Les obligations, 5ième édition Cowansville : Y. Blais, 1998, p.36-37.
[2] Ibid, page 37.
[3] Me Gilles Joly, Gagné c. Larocque, RL Village Olympique 31-970501-054G, le 1er décembre 1997.
[4] 36-831208-001G, Me Gilles Joly.
[5]
Marcotte c. Garita enterprises inc.
AVIS :
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