Décision

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Ciantar c. Nissan Canada inc.

2020 QCCQ 2405

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

« Chambre civile »

N° :

500-32-157756-182

 

DATE :

25 juin 2020

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

DANIEL BOURGEOIS, J.C.Q.[1]

______________________________________________________________________

 

 

Louise CIANTAR

[...]

Montréal (Québec)  [...]

Demanderesse

c.

NISSAN CANADA INC.

18109, Route Transcanadienne

Kirkland (Québec)  H9J 3K1

Défenderesse

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

INTRODUCTION

[1]           La demanderesse, madame Louise Ciantar (« Ciantar »[2]), réclame la somme de 2 550 $ de la défenderesse, Nissan Canada inc. (« Nissan »), à la suite de l’acquisition en 2015 d’un véhicule de marque Nissan Rogue.

[2]           Invoquant la Loi sur la protection du consommateur[3] (« L.P.C. »), Ciantar soumet avoir été victime de publicité fausse et trompeuse puisque la consommation d’essence réelle du véhicule est de loin supérieure à ce qui était affiché dans la brochure explicative (D-6) remise au consommateur.

[3]           Dans sa contestation écrite, Nissan indique qu’elle n’a fait aucune représentation fausse ou trompeuse et que les cotes de consommation identifiées dans sa brochure explicative (D-6) ne sont que des estimés comparatifs et que la consommation réelle varie nécessairement en fonction de différents facteurs, tels que les habitudes de conduite, la température, la circulation, les conditions routières, l’utilisation ou non de différents accessoires comme l’air climatisée, etc.

CONTEXTE

[4]           Ciantar et son mari, monsieur Michel Paré (« Paré »), ont acheté en 2015 du concessionnaire Nissan Prestige (« Prestige ») le véhicule en question, soit un Nissan Rogue AWD. La brochure publicitaire (D-6) indique que la consommation de carburant estimative est de 9.5 litres aux 100 km (ville) et de 7.4 litres aux 100 km (autoroute).

[5]           Il est également mentionné en dessous de cette cote de consommation que « la consommation réelle peut varier en fonction des conditions de conduite. À utiliser à des fins de comparaison seulement. »

[6]           Or, lors de l’audience, Paré, qui était mandaté par son épouse Ciantar, témoigne qu’il a fait expertiser son véhicule chez Prestige pour un test de consommation durant la période du 29 mars au 31 mars 2017 (P-4).

[7]           Tel qu’indiqué à ce document, les préposés chez Prestige ont fait un test de consommation sur une distance de 99 km. Les calculs faits par Paré, indiqués à la main par ce dernier sur ce document, indiquent une consommation moyenne de 11.3 litres pour 99 km. Ces résultants ne sont pas contestés par la défenderesse.

[8]           Paré témoigne également qu’il a calculé sur une période de 34 mois, pour une distance de 35 734 km, une consommation d’essence de 13.6 litres aux 100 km, ce qui, dit-il, est de 42 % supérieur à ce qui est annoncé dans la brochure D-6.

[9]           Le document produit à cet égard (P-5) indique clairement les kilomètres parcourus, les dates des pleins d’essence, le nombre de litres consommés et le prix payé pour chaque plein d’essence. Ce tableau est aussi accompagné des factures pertinentes pour chacune de ces périodes.

[10]        Selon les calculs de Paré, le véhicule Nissan Rogue a consommé 2 040 litres additionnels à ce qui était annoncé, au prix moyen de 1,25 $ le litre, ce qui est à l’origine de la réclamation de 2 550 $.

QUESTION EN LITIGE

[11]        Il s’agit de déterminer si Nissan a fait une représentation fausse ou trompeuse, au sens de l’article 219 L.P.C.

ANALYSE

[12]        En ce qui concerne les pratiques de commerce interdites, la L.P.C. prévoit ce qui suit :

« 215. Constitue une pratique interdite aux fins du présent titre une pratique visée par les articles 219 à 251.2 ou, lorsqu’il s’agit de la vente, de la location ou de la construction d’un immeuble, une pratique visée aux articles 219 à 222, 224 à 230, 232, 235, 236 et 238 à 243.

216. Aux fins du présent titre, une représentation comprend une affirmation, un comportement ou une omission.

218. Pour déterminer si une représentation constitue une pratique interdite, il faut tenir compte de l’impression générale qu’elle donne et, s’il y a lieu, du sens littéral des termes qui y sont employés.

219. Aucun commerçant, fabricant ou publicitaire ne peut, par quelque moyen que ce soit, faire une représentation fausse ou trompeuse à un consommateur.

221. Aucun commerçant, fabricant ou publicitaire ne peut faussement, par quelque moyen que ce soit: […]

g)  attribuer à un bien ou à un service une certaine caractéristique de rendement. »

[13]        Tel que l’article 218 le précise, « pour déterminer si une représentation constitue une pratique interdite, il faut tenir compte de l’impression générale qu’elle donne et, s’il y a lieu, du sens littéral des termes qui y sont employés ». La Cour suprême du Canada, dans l’affaire Richard c. Time Inc.[4], a eu l’occasion d’analyser cet article afin de déterminer la notion de « consommateur moyen ». Le plus haut tribunal du pays a indiqué ce qui suit :

« [71]  Ainsi, le concept du « consommateur moyen » n’évoque pas, en droit québécois de la consommation, la notion de personne raisonnablement prudente et diligente. Il renvoie encore moins à la notion de personne avertie. Afin de réaliser les objectifs de la L.p.c., les tribunaux considèrent que le consommateur moyen n’est pas particulièrement aguerri pour déceler les faussetés ou les subtilités dans une représentation commerciale.

[74]  D’abord, l’expression « moyennement intelligent » suggère que le consommateur que le législateur a souhaité protéger au titre II de la L.p.c. est celui dont le degré de discernement correspond à celui de la moyenne des gens. Comme nous l’avons souligné précédemment, le droit de la consommation ne protège pas les consommateurs dans la seule mesure où ils se sont montrés prudents et avertis. Pour respecter l’objectif général de protection de la L.p.c., il faut éviter d’utiliser un critère correspondant à celui du consommateur prudent et diligent.

[75]  De plus, dans une perspective pratique, ce volet de la définition proposée par le juge Chamberland s’harmonise mal avec l’analyse in abstracto requise par l’art. 218 L.p.c. L’utilisation d’une norme comme le « consommateur moyennement intelligent » peut inciter les tribunaux à adopter une méthode d’analyse basée sur la détermination du degré de discernement du consommateur en cause. Une telle approche faciliterait l’exonération d’un commerçant qui aurait eu le bonheur de se faire poursuivre par un consommateur plus intelligent que la moyenne. Les tribunaux seraient alors invités à déterminer si le consommateur qui a entrepris le recours a été trompé, plutôt qu’à déterminer si la publicité en cause constituait une représentation fausse ou trompeuse. On réduirait ainsi le niveau de protection offert au consommateur par la L.p.c.

[78]  Pour l’ensemble de ces motifs, nous devons écarter la définition du consommateur moyen proposée par la Cour d’appel. Nous sommes d’avis que la notion du consommateur crédule et inexpérimenté, comme l’a employée la jurisprudence prédominante au Québec avant le jugement dont appel, respecte mieux les objectifs de protection contre la publicité fausse ou trompeuse que poursuit le législateur québécois. Ainsi, les tribunaux appelés à évaluer la véracité d’une représentation commerciale devraient procéder, selon l’art. 218 L.p.c., à une analyse en deux étapes, en tenant compte, si la nature de la représentation se prête à une telle analyse, du sens littéral des mots employés par le commerçant : (1) décrire d’abord l’impression générale que la représentation est susceptible de donner chez le consommateur crédule et inexpérimenté; (2) déterminer ensuite si cette impression générale est conforme à la réalité. Dans la mesure où la réponse à cette dernière question est négative, le commerçant aura commis une pratique interdite. »

[14]        La Cour suprême a également précisé que l’analyse en vertu de l’article 218 L.P.C. doit tenir compte non seulement du texte, mais également de tout son contexte et que l’analyse requise par cette disposition doit enfin prendre en considération l’ensemble de la publicité plutôt que de s’arrêter sur une simple bribe de son contenu[5].

[15]        À l’occasion de son témoignage, le représentant de Nissan, monsieur Mathieu Rousseau (« Rousseau »), a indiqué que tous les manufacturiers automobiles sont soumis aux mêmes tests prescrits par le gouvernement canadien.

[16]        Tel que précisé dans la brochure D-6, le gouvernement canadien indique que, depuis 2015, les tests sur la consommation d’essence tiennent compte de 5 situations. Ces dernières, exposées au document (D-3), sont les suivantes : 1- les tests « en ville », 2- les tests « sur autoroute », 3- les tests en température froide, 4- les tests avec air conditionné et 5- les tests d’accélération rapide. Tous ces tests sont effectués en laboratoire, à différentes températures contrôlées et à des vitesses contrôlées, pendant des durées de temps également contrôlées.

[17]        Tel que le précise Rousseau, et tel que stipulé au document D-6, les cotes de consommation sont à titre de comparaison seulement, et ce, afin que le consommateur puisse avoir une idée des performances entre différents véhicules provenant de différents manufacturiers, soumis aux mêmes tests dans des conditions identiques en laboratoire.

[18]        Par ailleurs, Paré admet lors de l’audience que les cotes de consommation obtenues à l’occasion des tests sont probablement rigoureusement exactes et qu’il ne conteste pas ces résultats. Tout ce qu’il prétend, c’est que ces cotes de consommation ne reflètent aucunement la consommation réelle et « ordinaire », car, dit-il, « tout le monde sait que ne n’est pas la réalité ».

[19]        À titre d’exemple, il prend appui sur le document D-3 et sur le témoignage de Rousseau qui précise que, lors du test « sur autoroute », la vitesse maximale est de 97 km par heure alors que la vitesse moyenne est de 78 km par heure. Selon Paré, c’est la preuve que ces tests ne reflètent aucunement la réalité puisque personne ne roule sur les autoroutes à un maximum de 97 km par heure ou encore à 78 km par heure en moyenne.

[20]        Selon ce dernier, puisque ces cotes de consommation ne représentent pas la réalité, Nissan se rend donc coupable de fausse représentation au sens de l’article 219 L.P.C.

[21]        Il s’agit donc, en l’instance, de déterminer si Nissan a faussement attribué au véhicule Rogue une certaine caractéristique de rendement qui est fausse ou trompeuse.

[22]        Dans le présent dossier, et bien que la Cour suprême réfère au concept du « consommateur moyen », qualifié de « crédule et inexpérimenté » (puisque ces expressions respectent mieux la volonté législative de protéger les personnes vulnérables contre les dangers de certaines méthodes publicitaires), le Tribunal constate que Paré ainsi que la demanderesse Ciantar sont des personnes plutôt bien informées, ces derniers ayant déjà été impliqués dans un litige similaire, cette fois contre la société Kia Canada inc.

[23]        En effet, dans son argumentation, Paré fait grand état d’une décision en date du 22 décembre 2014 (dossier 500-32-141486-144) dans lequel le greffier spécial, Me Vincent Michel Aubé, condamne par défaut Kia Canada inc. à payer à Ciantar la somme de 3 645 $, et ce, à la suite d’un jugement ex parte où les faits reprochés à Kia Canada inc. étaient très similaires au présent dossier.

[24]        Avec égard, cette décision n’a pas la portée que le laisse entendre Paré, puisque Kia n’avait pas produit de défense et que le tout avait procédé ex parte.

[25]        Par ailleurs, la Cour suprême indique que l’on doit tenir compte de l’ensemble de la publicité et non pas se limiter à une phrase, avant de conclure au caractère trompeur d’une publicité.

[26]        De l’avis du Tribunal, Nissan n’a pas fait une représentation fausse ou trompeuse en indiquant les cotes de consommation obtenues, selon les tests du gouvernent canadien. En fait, il est clairement indiqué en dessous des cotes de consommation que la consommation réelle peut varier en fonction des conditions de conduite et que ces cotes de consommation ne peuvent être utilisées qu’à des fins de comparaison seulement. Même un consommateur « crédule et inexpérimenté », pour paraphraser la Cour suprême, peut saisir et comprendre ce qui est écrit.

[27]        En fait, les cotes de consommation calculées selon les 5 critères utilisés par le gouvernement canadien et Transport Canada doivent être utilisées pour aider un consommateur qui voudrait comparer un véhicule particulier à autre.

[28]        En l’instance, Ciantar et Paré savaient pertinemment que les cotes de consommation identifiées dans la brochure publicitaire de Nissan n’avaient rien à voir avec la consommation réelle de ce véhicule.

[29]        Paré l’admet même sans ambages lors de l’audience lorsqu’il déclare que « tout le monde sait que ces cotes de consommation ne reflètent pas la réalité ».

[30]        Ciantar et lui-même savaient donc, lors de la formation du contrat d’acquisition du véhicule, que les cotes de consommation variaient énormément selon les conditions de conduite et que ces cotes ne pouvaient être utilisées qu’à des fins de comparaisons.

[31]        En fait, tel qu’admis par Paré, les cotes de consommation identifiées au document D-6 ne sont pas fausses, bien qu’elles ne représentent aucunement les cotes de consommation réelle. À l’intérieur des paramètres identifiés dans chacun des 5 tests, ces cotes de consommation sont rigoureusement exactes.

[32]        D’ailleurs, Ciantar et Paré le savaient très bien. Ils ne peuvent prétendre avoir été bernés par cette publicité.

[33]        PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[34]        REJETTE la demande;

[35]        CONDAMNE la demanderesse, madame Louise Ciantar, à rembourser à la défenderesse, Nissan Canada inc., les frais de justice de 151 $.

 

 

 

 

__________________________________

DANIEL BOURGEOIS, J.C.Q.

 

 

 

 

 

 

 

Date d’audience :

22 octobre 2019

 



[1]     Le juge soussigné a été assigné, le 4 juin 2020, par la juge en chef de la Cour, en vertu des articles 326 et 327 C.p.c., à rendre jugement dans ce dossier, et ce, en remplacement de l’honorable Dominique Gibbens J.C.Q. qui avait entendu l’audience le 22 octobre 2019.

[2]     Cette identification vise uniquement à alléger le texte et ne constitue en rien un manque de respect.

[3]     RLRQ c. P-40.1.

[4]     2012 CSC 8.

[5]     Id note 4, paragr. 55 et 56.

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