Décision

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Construction Dompat inc. c. Société des vétérans polonais de guerre du Maréchal J. Pilsudski inc.

2019 QCCA 926

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

Nos :

500-09-026269-167, 500-09-026244-160

(500-17-043712-085, 500-17-050308-090)

 

DATE :

 28 mai 2019

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A.

MANON SAVARD, J.C.A.

GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A.

 

Nº : 500-09-026269-167

 

CONSTRUCTION DOMPAT INC.

APPELANTE - INTIMÉE INCIDENTE

demanderesse - défenderesse reconventionnelle

c.

LA SOCIÉTÉ DES VÉTÉRANS POLONAIS DE GUERRE DU MARÉCHALD J. PILSUDSKI INC.

INTIMÉE - APPELANTE INCIDENTE

défenderesse - demanderesse reconventionnelle - demanderesse

et

ADALBERT W. GORACZKO

APROSOL LTD.

MIS EN CAUSE - défendeurs

 

Nº : 500-09-026244-160

 

ADALBERT W. GORACZKO

APROSOL LTD.

APPELANTS - INTIMÉS INCIDENTS - défendeurs

c.

LA SOCIÉTÉ DES VÉTÉRANS POLONAIS DE GUERRE DU MARÉCHALD J. PILSUDSKI INC.

INTIMÉE - APPELANTE INCIDENTE

défenderesse - demanderesse reconventionnelle - demanderesse

et

CONSTRUCTION DOMPAT INC.

MISE EN CAUSE - APPELANTE INCIDENTE

demanderesse - défenderesse reconventionnelle

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           La Cour est saisie d’une série d’appels formés à la suite d’un jugement[1] de la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Pierre-C. Gagnon), rendu le 11 juillet 2016, condamnant solidairement Construction Dompat inc. (« Dompat »), Adalbert W. Goraczko (« Goraczko ») et Aprosol Ltd. (« Aprosol ») à payer 343 940,30 $ à la Société des vétérans polonais de guerre du maréchal J. Pilsudski inc. (« la Société des vétérans »), et Goraczko et Aprosol à payer 4 150,26 $ à la Société des vétérans, plus les intérêts et l’indemnité additionnelle sur ces deux condamnations depuis le 4 juin 2008, de même que les frais de justice, incluant les frais d’expertise liquidés à 34 459,20 $.

*  *  *

1.    LES FAITS

[2]           La Société des vétérans, une association sans but lucratif, est propriétaire d’un vieil édifice de quatre étages sur la rue Prince-Arthur, coin Saint-Dominique, à Montréal.

[3]           En 2006, la Société des vétérans entreprend d’en refaire l’enveloppe, en débutant par le mur ouest, celui de la rue Saint-Dominique. Il ne s’agit pas de reconstruire le mur au complet, mais uniquement d’en refaire le parement de briques, soit la rangée de briques constituant la face extérieure du mur.

[4]           La Société des vétérans fait appel aux services de Goraczko, un ingénieur en structure, et à sa compagnie, Aprosol. Il s’agit notamment de concevoir les travaux de réfection du mur, de préparer les plans et devis, d’obtenir les permis de construction pertinents, d’étudier les soumissions et de surveiller les travaux.

[5]           Pour réaliser ce mandat, Goraczko s’adjoint les services d’un architecte, Adam Chmielewski, de la firme Brault Chmielewski Ilati.

[6]           Le 6 octobre 2006, Goraczko transmet un devis sommaire à quelques entrepreneurs. Le mur y est décrit comme étant monolithique, c’est-à-dire construit tout d’un bloc, sans cavité interne.

[7]           Le permis de la Ville de Montréal est délivré le 21 mars 2007, conformément au plan préparé par Goraczko et scellé par les architectes. Il s’agit de préserver l’apparence du mur ouest en réutilisant la brique existante ou en installant de la brique neuve similaire, sans réparer le mur de briques derrière le mur de parement. Le permis en est un de transformation pour refaire le parement de briques.

[8]           Goraczko recommande à sa cliente de confier les travaux à Dompat, une entreprise de construction spécialisée dans les travaux de maçonnerie. Domenico Bachetti en est le président. Il a plus de 50 ans d’expérience dans le domaine de la maçonnerie.

[9]           Le contrat est signé le 5 avril 2007 par M. Bachetti pour Dompat et par Leon Nowacki, président de la Société des vétérans. Il ne fait qu’une page, stipulant un prix forfaitaire de 88 000 $ (plus taxes) pour la réfection du mur, mais prévoyant également que certains autres travaux et services seront facturés « at $60 per man hour, plus the cost of equipment and machinery » (par exemple, l’achat et l’installation d’ancrages, les réparations au mur derrière le parement de briques, les permis requis, la location de conteneurs, etc.).

[10]        Les travaux débutent le même mois, mais contre toute attente, ils ne seront terminés qu’au mois d’août 2007. En effet, après avoir retiré la brique du mur de parement, on constate que le mur arrière est incliné vers la rue Saint-Dominique, le sommet étant avancé de quelque 5 à 6 pouces par rapport à la base.

[11]        Dompat et Goraczko concluent, avec l’assentiment de leur cliente, que la meilleure solution dans les circonstances consiste à ériger le nouveau mur de parement à la verticale du mur existant et de le soutenir par une structure d’acier, créant ainsi, derrière le mur de parement, une cavité qui va en s’effilant du bas vers le haut du mur. Goraczko ne modifie pas les plans pour refléter ce changement.

[12]        La structure d’acier est érigée par Industrie Ville-Émard inc. et le coût en est acquitté directement par la Société des vétérans.

[13]        Dompat érige ensuite le mur de briques et les travaux se terminent au mois d’août.

[14]        La Société des vétérans demandera également à Dompat d’effectuer quelques petits travaux sur un autre mur du même édifice, le mur sud (revêtement en stuc). Les deux parties concluront à cet égard une entente verbale distincte du contrat relatif à la réfection du mur ouest, le but avoué étant d’éviter d’avoir à payer d’autres honoraires à Goraczko.

[15]        À la fin des travaux, tous semblent heureux du résultat. Les applaudissements spontanés des membres de la Société des vétérans, sortis voir le nouveau mur, en témoignent.

[16]        Les choses se gâtent lorsque, le 28 août 2007, Dompat transmet deux factures à sa cliente : l’une de 9 680,00 $, pour les travaux sur le mur sud, et l’autre de 259 460,71 $ (taxes incluses), pour les travaux de réfection du mur ouest[2].

[17]        Le 17 septembre 2007, la Société des vétérans demande à Dompat de fournir les documents permettant de comprendre pourquoi la facture est passée du prix convenu le 5 avril 2017 à 259 460,71 $ (taxes incluses).

[18]        Le 28 septembre 2007, la Société des vétérans transmet deux chèques à Dompat : un premier de 5 000 $, pour régler la facture relative aux travaux faits sur le mur sud; et le second de 43 300 $, sur lequel il est inscrit « Final Payment », pour régler la facture finale relative aux travaux de réfection du mur ouest. À cette date, la Société des vétérans aura versé 100 276 $ pour les travaux sur le mur ouest.

[19]        Les deux chèques sont encaissés par Dompat.

[20]        La Société des vétérans confie à Jacques Benmussa, architecte, et Thomas Egli, ingénieur, le mandat de vérifier la qualité des travaux faits par Dompat. Le 9 avril 2008, ces derniers procèdent à des percées exploratoires du mur ouest à cinq endroits. Dans leurs rapports datés des 25 avril 2008 et 26 mai 2008 respectivement, ils concluent que le mur est affecté de déficiences telles qu’il doit être démoli et reconstruit.

[21]        Par le biais d’une mise en demeure datée du 4 juin 2008, l’avocat de la Société des vétérans tient Dompat, Goraczko et Aprosol solidairement responsables des coûts liés à la démolition et à la reconstruction du mur ouest.

*  *  *

2.    LES PROCÉDURES

[22]        Le 18 juin 2008, Dompat poursuit la Société des vétérans (500-17-043712-085). Le montant réclamé : 233 880,60 $, avec les intérêts au taux de 24 % l’an à compter du 21 juin 2008, soit 189 351,90 $ représentant le solde dû (incluant les intérêts) relativement à la réfection du mur ouest, 5 548,60 $ représentant le solde dû relativement aux travaux effectués sur le mur sud, plus 38 980,10 $ à titre de frais de perception (20 % des montants dus) prévus dans le contrat du 5 avril 2007.

[23]        Le 22 octobre 2008, la Société des vétérans répond à cette poursuite par une demande reconventionnelle de 214 495,27 $ dirigée contre Dompat[3].

[24]        Le 12 mai 2009, la Société des vétérans introduit un recours distinct contre Goraczko, Aprosol et Chmielewski qu’elle poursuit solidairement (500-17-050308-090) sur la base des faits déjà reprochés à Dompat.

[25]        Le 20 août 2009, la Cour supérieure accueille une requête en rejet de l’action à l’égard de M. Chmielewski[4], mais le 7 décembre 2009, la Cour infirme cette décision[5]. Les 23 décembre 2015 et 6 janvier 2016, la Société des vétérans et Chmielewski règlent à l’amiable et se donnent quittance mutuelle et réciproque. Cette transaction amènera Dompat et Goraczko à soutenir que la règle énoncée à l’article 1690 C.c.Q. les libère totalement, ou en partie, de leur responsabilité en ce qui a trait au mur ouest.

[26]        Le 17 mars 2011, à la demande des avocats de la Société des vétérans, les deux instances sont réunies pour être instruites en même temps et jugées sur la même preuve.

[27]        Le procès débute le 11 janvier 2016.

[28]        Le 28 janvier 2016, alors que le procès tire à sa fin, la Société des vétérans modifie sa demande, la faisant passer à 416 221,80 $. À la lecture du jugement dont appel, on constate que le juge analyse la réclamation en fonction des éléments suivants :

·          démolition et reconstruction du mur ouest                                         373 842,00 $

       (Maçonnerie A.S.P. (2006) inc.)

·          honoraires / Atelier In Situ (architecte Annie Lebel)                           15 746,06 $

·          honoraires / Calculatec inc. (ingénieur Alain Mousseau)                     2 065,61 $

                                                                                                                                         391 653,67 $

[29]        Quant aux montants réclamés pour les honoraires versés à l’architecte Jacques Benmussa (6 969 $) et à l’ingénieur Thomas Egli (2 400 $), le juge en traite au chapitre des frais de justice et frais d’experts.

[30]        Un dernier point avant de clore ce chapitre. Le 10 mai 2016, alors que l’affaire est en délibéré depuis la fin janvier, le juge de première instance suspend son délibéré pour écrire aux parties et porter à leur attention la décision Garderie Loulou de Marieville inc. c. Lapierre[6], qui conclut qu’il ne peut y avoir de condamnation solidaire contre des défendeurs poursuivis dans des dossiers distincts.

[31]        Le juge s’interroge sur ce qu’il doit faire en ce qui a trait à la solidarité s’il donnait gain de cause à la Société des vétérans alors que celle-ci poursuit Dompat dans un dossier (demande reconventionnelle) et Goraczko/Aprosol dans un autre. « Y a-t-il lieu de procéder à des modifications procédurales? », écrit-il.

[32]        Les parties lui répondent par courriel.

[33]        Les avocats de M. Chmielewski affirment que leur client n’a « aucun commentaire » à formuler (le 27 mai 2016).

[34]        Les avocats de la Société des vétérans répondent qu’une « formalité procédurale » ne peut pas faire échec à la solidarité entre l’entrepreneur et l’ingénieur prévue par la loi et, à titre subsidiaire, ils demandent la permission de modifier les procédures de façon à ajouter Dompat comme défenderesse dans le dossier où elle poursuit déjà Goraczko et Aprosol et d’ajouter une conclusion ouvrant la voie à une condamnation solidaire des trois défendeurs (le 27 mai 2016 et, en réplique, le 10 juin 2016).

[35]        Les avocats de Dompat, tout en se disant d’accord avec la lecture que le juge fait du jugement rendu dans Garderie Loulou de Marieville, s’opposent à toute modification tardive visant à ajouter leur cliente comme défenderesse dans le dossier opposant la Société des vétérans et Goraczko/Aprosol (le 2 juin 2016).

[36]        Finalement, les avocats de Goraczko et Aprosol écrivent à leur tour au juge de première instance. Leur position va dans le même sens que celle de leurs collègues représentant Dompat (le 3 juin 2016).

[37]        Le délibéré reprend le 10 juin 2016.

*  *  *

3.    LE JUGEMENT ENTREPRIS

[38]        Le jugement est rendu le 11 juillet 2016.

[39]        Après avoir décrit à grands traits les procédures, présenté les principaux protagonistes et résumé le litige, le juge de première instance analyse les arguments soumis selon deux grands axes : les réclamations de Dompat, puis celles de la Société des vétérans.

·        Les réclamations de Dompat

[40]        Quant à la réclamation visant les travaux effectués sur le mur sud, le juge conclut à l’absence de preuve établissant que ces travaux devaient être faits pour un montant forfaitaire de 5 000 $ (soit le montant du chèque que la Société des vétérans transmettait à Dompat le 28 septembre 2007). Il estime que les parties s’étaient entendues pour que les travaux soient facturés au taux horaire de 60 $, le même que pour les travaux sur le mur ouest. Quant au nombre d’heures facturées par Dompat (120), il correspond à celui apparaissant sur une feuille de temps « for front stucco », ce qui, selon le juge, en justifie le paiement. Il estime toutefois injustifié que Dompat facture, en sus des heures travaillées par ses employés, 10 heures de supervision. Compte tenu du paiement de 5 000 $ fait en septembre 2007, il reste donc un solde de 3 996,30 $ à payer, auquel s’ajoutent les intérêts depuis le 28 août 2007, au taux légal de 5 %, vu l’absence d’entente entre les parties à ce sujet, soit 153,96 $ au 4 juin 2008, date où Dompat lançait sa procédure.

[41]        Quant à la réclamation visant les travaux effectués sur le mur ouest, le juge s’attarde tout d’abord au chèque de 43 300 $ portant la mention « Final Payment » que la Société des vétérans remettait à Dompat le 28 septembre 2007, et que celle-ci encaissait. Au terme de la preuve faite des circonstances entourant la remise de ce chèque, le juge conclut que celui-ci n’est pas libératoire et qu’il lui faut donc analyser la réclamation de Dompat.

[42]        Le juge reproduit la portion essentielle de la facture du 28 août 2007[7] :


For work performed at 63 Prince Arthur East, Montreal, Quebec

Base price as per contract

                  $ 88,000.00

Work performed on an hourly basis

880 hours at $60.00 per hours [sic]

                  $ 52,800.00

Forklift for the entire period

                  $ 14,000.00

Extra for the size of the building - was 55 ft by 55 ft instead of 50 ft by 50 ft

                  $ 22,000.00

Materials and permits

                  $ 37,696.98

Truck expense

                  $   2,000.00

For supervision and travel

                  $   8,000.00

Parking for the entire period

                  $   3,200.00

 

Please note that we lost over $80,000.00 on this job and would appreciate any additional support you could give us

                                    

 

 

                                    

Sub-Total

                 $227,696.98

GST No: 100693592               6.0%

                 $  13,661.82

TVQ No: 1142781096             7.5%

                 $  18,101.91

Subtotal

                 $259,460.71

Received on account

               ( $  56,976.00 )

Balance due upon receipt of invoice

                 $202,484.71

[43]        Le juge fait ensuite état des trois paiements faits par la Société des vétérans totalisant, selon ses calculs, 101 276 $[8].

[44]        Dans sa procédure, Dompat réclamait des intérêts au taux annuel de 24 %, de même que des frais de perception de 20 %, aussi prévus dans le contrat. Au procès, elle concédera que le taux combiné de 44 % constitue « vraisemblablement » une clause pénale excessive au sens de l’article 1623 C.c.Q. et se limitera à réclamer le paiement d’un taux global combiné de 25 %. Le juge en prend acte, tout en notant qu’il faut prendre garde de ne pas confondre un taux d’intérêt annuel et un montant payable une seule fois à titre de frais de perception[9].

[45]        Le juge ne retient pas l’argument de la Société des vétérans voulant que le contrat la liant à Dompat soit lésionnaire[10]. Il estime par ailleurs qu’il s’agit d’un contrat d’adhésion au sens de l’article 1432 C.c.Q. Il reproche à Dompat d’avoir « profité de la situation »[11] et à Goraczko d’avoir fait preuve de « nonchalance caractérisée »[12]. Le contrat est, à son avis, « outrageusement avantageux » pour Dompat, mais il n’est pas « ambigu, ou si peu »[13].

[46]        Le juge rejette la réclamation pour le chariot élévateur, faute de preuve quant au coût de la location d’un tel équipement (14 000 $). Il refuse la demande relative à la dimension du mur à remplacer par rapport à ce qui était prévu dans le contrat (55’ x 55’ plutôt que 50’ x 50’) (22 000 $), au motif que Dompat aurait pu prendre les mesures avant de s’engager par contrat. Il rejette la réclamation pour les heures facturées au taux horaire de 60 $ (880 heures), faute de preuve quant à la nature précise des travaux correspondant à ces heures[14] (52 800 $). Quant aux matériaux et permis, le juge accorde 18 187,14 $ pour les « matériaux » et 2 244,82 $ pour les permis, faute de preuve suffisante pour en accorder plus (par rapport au montant de 37 696,98 $ réclamé). Il refuse les coûts reliés à l’utilisation d’un camion qui, selon lui, représentent des frais généraux déguisés en frais supplémentaires (2 000 $). Même conclusion pour les coûts de supervision et de déplacement liés à la présence de M. Bachetti sur les lieux (8 000 $). Il rejette enfin la demande relative aux frais de stationnement, vu l’absence de pièces justificatives (3 200 $).

[47]        Le juge établit ainsi le solde dû à Dompat par la Société des vétérans à 108 431,96 $ par rapport au montant de 227 696,98 $ apparaissant sur la facture du 28 août 2007, montant auquel il faut ajouter les taxes (15 126,26 $) avant de soustraire les paiements faits par la cliente, ce qui laisse un solde de 22 282,22 $, lequel porte intérêt au taux de 15 %[15] depuis le 28 août 2007 jusqu’au 4 juin 2008 (date de la mise en demeure de la Société des vétérans), soit 2 575,24 $, pour un total de 24 857,46 $ que la Société des vétérans doit à Dompat en date du 4 juin 2008[16].

·        La réclamation de la Société des vétérans

[48]        Le juge décide tout d’abord que Goraczko peut être poursuivi personnellement en sa qualité d’ingénieur, en même temps que sa firme Aprosol. Il conclut également que Dompat est un entrepreneur au sens du Code civil du Québec et non, comme celle-ci le prétendait, un simple maçon. Le juge rejette du même souffle l’argument voulant que la Société des vétérans et M. Nowacki, omniprésent pendant les travaux, se soient comportés comme un entrepreneur général.

[49]        Le juge de première instance conclut que l’« erreur fondamentale »[17] de Dompat et de Goraczko est d’avoir conçu, puis bâti, un mur comme s’il devait rester monolithique (d’un seul bloc) plutôt que comportant une cavité entre le parement de briques et le restant du mur, allant en s’effilant du bas vers le haut. Le juge prononce ensuite ce qu’il dit être deux évidences : le parement de briques doit être solidement arrimé au bâtiment et il faut gérer l’eau et l’humidité à l’intérieur de la cavité.

[50]        Les normes de construction, rappelle le juge, visent à ce que les murs résistent aux séismes et aux grands vents[18]. Et même si le mur est toujours intact aujourd’hui, cela ne présente aucune garantie pour le futur, alors que des séismes plus intenses et de grands vents peuvent se produire.

[51]        Le mur est censé rester monolithique après les travaux, tout comme il l’était avant[19].

[52]        L’inclinaison du mur ouest constitue une anomalie qui, selon le juge, aurait pu être décelée avant d’enlever la brique de parement. Le fait qu’elle est passée inaperçue constitue, selon lui, « un indice additionnel de désinvolture de la part de l’ingénieur et de l’entrepreneur »[20].

[53]        Le juge décrit le mur comme étant un « mur à cavité sui generis »[21]. Il discute ensuite des normes applicables à la construction de ce mur, un sujet sur lequel les parties et leurs experts ne s’entendent pas. Il écarte d’emblée l’application de la partie 9 du Code national du bâtiment, puisque visant de plus petits édifices. Il rejette également les normes mentionnées par Aprosol dans ses documents présoumissions, parce que s’appliquant au remplacement du parement de briques d’un mur monolithique, ce que le mur n’est plus. Il retient finalement les normes de maçonnerie, de mortier et d’armature métallique applicables à l’érection d’un mur à cavité.

[54]        Le juge conclut que les relevés des experts Benmussa et Egli, effectués le 9 avril 2008, révèlent six lacunes qualifiées de majeures[22] :

1.    les feuillards membranés utilisés pour relier le parement au mur arrière à travers la cavité le sont pour des écarts plus grands que la norme prescrite, soit au plus 25 mm (0,984 pouce) — norme CSA A370-94, art. 9.5.1.2;

2.    pour les écarts de 25 mm à 150 mm, il aurait fallu utiliser non pas des feuillards ondulés, mais des tiges en « Z » plus rigides — norme CSA A370-94, art. 9.5.2.4 et Appendice B, figure B2;

3.    les feuillards membranés sont répartis selon un espacement qui excède l’espacement maximum prévu par la norme, soit 400 mm dans un sens (horizontal ou vertical) et 600 mm dans l’autre — norme CSA A370-94, art. 9.5.1.4;

4.    les feuillards et les tiges utilisés dans la cavité auraient dû être galvanisés — norme S304.1-94, art. 6.5.3.5 (renvoi à la norme CSA A370-94) et Tableaux 2 et 3;

5.    il aurait fallu galvaniser la face nouvellement dénudée des colonnes d’acier à l’intérieur du mur — norme S304.1-94, art. 6.5.3.5 (renvoi à la norme CSA A370-94) et Tableaux 2 et 3; ou injecter un produit imperméabilisant pour empêcher l’exposition des colonnes à l’eau et à l’humidité — norme S304.1-94, art. 6.5.3.5, sous-section 4.2.3 (renvoi à la norme CSA A370-94);

6.    les feuillards et les tiges métalliques dans la cavité auraient dû être protégés de la corrosion par un solin de façon à en éloigner l’eau et l’humidité — norme CSA A371-94, art. 5.13.5.

[55]        Le juge ajoute ensuite :

[203]    Il va de soi qu’une paroi de briques haute de 55 pieds doit être solidement rattachée à la structure du bâtiment, et que des précautions additionnelles s’imposent si on choisit de créer une nouvelle cavité entre cette paroi et le reste du mur extérieur.

[204]    Aussi, il va de soi que même en protégeant la cavité de la pluie et de l’égouttement du toit, il faut tenir compte que de l’eau et de l’humidité peuvent se retrouver dans cette cavité, en raison de la porosité de la brique et du mortier, d’éventuelles fissures ou par condensation de l’air humide au gré des variations de température. Dès que de l’acier se retrouve dans la cavité, il faut le protéger contre la corrosion.

[56]        Il conclut que « le mur à cavité sui generis » conçu par Aprosol et construit par Dompat n’est pas conforme aux règles de l’art et aux normes applicables. Il enchaîne avec l’analyse de l’article 2118 C.c.Q. qui l’amène à conclure qu’il y a perte de l’ouvrage au sens de cet article, vu la gravité des lacunes, l’importance des travaux requis pour corriger la situation et le risque d’affaissement subit du parement de briques[23].

[57]        Le juge détermine que la perte résulte à la fois d’un vice de conception par l’ingénieur et d’un vice de construction par l’entrepreneur et qu’aucun des moyens d’exonération prévus aux articles 2117 et 2119 C.c.Q. ne s’applique ici. Malgré les présences fréquentes de M. Nowacki sur le chantier, il n’y a pas eu, selon le juge, immixtion de sa part. Il n’a pas imposé ses décisions quant au mode de construction ou quant au choix des matériaux. Dompat ne peut pas non plus se plaindre d’une erreur dans les plans de Goraczko, puisqu’il n’en a pas fourni pour le mur qui a finalement été érigé. Quant à Goraczko, les défauts qui ont mené à la perte de l’ouvrage au sens de l’article 2118 C.c.Q. découlent nécessairement, selon le juge, d’un manquement de sa part dans la direction ou la surveillance des travaux.

[58]        Le juge conclut enfin que la situation est également visée par l’article 2120 C.c.Q., les défauts dans la construction du mur de parement de briques constituant également des malfaçons découvertes dans l’année suivant la réception des travaux.

[59]        Quant à l’impact de la quittance donnée à l’architecte Chmielewski, le juge conclut que l’article 1690 C.c.Q. ne saurait, dans les circonstances, procurer remise, totale ou partielle, de leurs obligations à Dompat ou Goraczko. La solidarité prévue à l’article 2118 C.c.Q. ne saurait s’appliquer à l’architecte, puisqu’il n’a pas dirigé ni surveillé les travaux, son rôle se limitant à sceller les plans préparés par l’ingénieur, et ce, aux seules fins de satisfaire aux exigences de la Ville de Montréal pour la délivrance du permis.

[60]        Quant à l’indemnité à laquelle la Société des vétérans a droit pour refaire le mur ouest, le juge l’établit à 348 090,56 $, avec les intérêts au taux légal depuis le 4 juin 2008.

[61]        À la base de son calcul, le juge retient la soumission de Maçonnerie A.S.P. (2006) inc.[24], datée du 9 avril 2009, au montant de 373 842 $ (taxes incluses), auquel il ajoute la note d’honoraires de l’architecte (15 746,06 $) et celle de l’ingénieur (2 065,61 $), pour un total de 391 653,67 $. Il procède ensuite à certains ajustements (le montant encore dû à Dompat sur la facture du 28 août 2007, 24 857,46 $; les honoraires encore dus à Aprosol, en fonction de la valeur des travaux effectués par Dompat en 2007, 9 266,87 $ (soit 7,5 % de la valeur des travaux); et enfin, un montant de 9 438,78 $ pour la dépréciation de l’ouvrage couvrant la période entre la fin des travaux de Dompat (août 2007) et la date de la soumission relative à la construction d’un nouveau mur de parement (avril 2009), soit 19 mois)[25].

[62]        Le juge précise enfin qu’il y aura compensation judiciaire (calculée en date du 4 juin 2008) entre ce qui est dû à la Société des vétérans et ce que celle-ci doit à Dompat (3 996,30 $, plus 153,96 $ en intérêts) pour les travaux sur le mur sud[26].

[63]        Le juge revient ensuite sur la question qu’il avait soumise aux parties alors que l’affaire était en délibéré, soit la difficulté de conclure à la responsabilité solidaire de l’entrepreneur et de l’ingénieur dans un contexte où chacun d’eux fait l’objet d’un recours distinct. Il conclut à une condamnation solidaire de Dompat et de Goraczko/Aprosol et, pour que cela soit possible, il permet à la Société des vétérans de modifier ses procédures en conséquence.

[64]        Finalement, le juge établit à 34 459,20 $ les frais d’expertise auxquels la Société des vétérans a droit.

*  *  *

4.    Les appels

[65]        Le jugement a donné lieu à deux appels, l’un par Dompat (500-09-026269-167), l’autre par Goraczko et Aprosol (500-09-026244-160), ainsi qu’à des appels incidents par la Société des vétérans dans chacun des deux appels et par Dompat dans le second dossier.

[66]        Les appelants ont présenté un mémoire conjoint.

[67]        Les appels, tant principaux qu’incidents, soulèvent une vaste gamme de questions qu’il convient de regrouper sous différents thèmes : la responsabilité, les montants réclamés de part et d’autre, l’impact de la transaction entre la Société des vétérans et l’architecte Chmielewski, les frais d’expertise et la solidarité.

[68]        À ces questions s’en ajoute une dernière, soulevée par les appelants dans leur mémoire, et que la Cour traitera en tout premier lieu : le juge de première instance a-t-il apprécié la preuve à travers un « prisme déformant »?

[69]        Les appelants plaident que le jugement, en dépit de sa longueur, n’est pas suffisamment motivé, puisqu’il ne comporte aucune analyse des expertises, alors que six rapports ont été produits et plusieurs experts entendus au procès. Le juge n’expliquerait pas pourquoi il préfère certaines thèses des experts plutôt que d’autres. Bien que les conclusions de fait en cause soient pour la plupart admises par la Société des vétérans, le juge ne semblerait pas en tenir compte. De plus, il aurait inopportunément « invité » celle-ci à modifier ses procédures pour que la condamnation soit solidaire et constamment utilisé des termes très durs pour qualifier la conduite des appelants alors que la preuve, appréciée objectivement, ne le justifierait pas. Bref, selon eux, le juge a analysé la preuve à travers un prisme déformant, ce qui, dans les circonstances, justifierait la Cour de faire preuve de moins de déférence à son endroit.

[70]        Selon la Société des vétérans, le travail du juge de première instance ne justifie pas les critiques que les appelants dirigent contre lui. Son jugement comporte 366 paragraphes et de multiples références aux pièces versées au dossier, de même que des commentaires sur plusieurs des témoignages. On ne peut pas, dans ce contexte, reprocher au juge de ne pas avoir traité de chaque élément de preuve qu’il écarte ou ignore, ou, pire encore, d’avoir abordé l’analyse de la preuve avec une idée préconçue quant au résultat.

[71]        La théorie du prisme déformant n’est pas un moyen d’appel en soi[27]. Il s’agit plutôt d’une exhortation à analyser le dossier en appliquant une norme d’intervention en appel moins élevée lorsque « l'évaluation du juge de première instance s'est faite à travers un prisme qui doit être écarté et qui a clairement eu un effet déformant »[28]. Pour justifier l’intervention de la Cour, encore faut-il cependant que « l’effet de l’erreur du premier juge [soit] déterminant sur le sort de l’affaire »[29]. Il doit s’agir d’une « erreur de perception [qui] peut fausser de manière fondamentale toute l’appréciation de la preuve et obliger la Cour à se demander si le juge a ‘‘jugé à partir des bons faits” »[30].

[72]        Il faut être prudent avant de conclure à l’application d’une telle théorie, vu le principe selon lequel une cour d’appel n’a pas comme rôle de refaire le procès[31]. Ce principe est d’autant plus important en l’espèce, puisqu’il s’agit d’un dossier volumineux ayant nécessité 11 jours d’audition[32].

[73]        La preuve du prisme déformant exige la démonstration d’une erreur de perception du juge qui fausse l’appréciation générale de la preuve[33], ce que les appelants n’ont pas réussi à faire en l’espèce.

[74]        Il est vrai que le juge n’hésite pas à critiquer les appelants et à employer des qualificatifs particulièrement sévères qui peuvent sembler excessifs dans le contexte du dossier : il qualifie le contrat conclu entre Dompat et la Société des vétérans de « contrat […] outrancièrement avantageux pour Dompat »[34] et réfère à la « désinvolture » de l’ingénieur Goraczko[35] ou à sa « nonchalance caractérisée »[36]. Il va jusqu’à qualifier de « stratagème global » l’approche contractuelle de Dompat qui consiste à prévoir « un prix de base relativement bas, attrayant et trompeur », « profiter ensuite de chaque formulation généreuse du contrat pour facturer un extra » puis « gonfler la facture finale et se placer ainsi en position de force pour négocier un prix de compromis »[37]. Ceci l’amène d’ailleurs à rejeter dans son entièreté la réclamation pour les heures additionnelles de travail de Dompat à qui il attribue de la « mauvaise foi ».

[75]        Il semble assez clair que le juge de première instance n’a pas été impressionné favorablement par Dompat ou Goraczko, au point de remettre sérieusement en question leur compétence et leur intégrité. Des commentaires de cette nature s’inscrivent toutefois dans l’évaluation de la crédibilité des parties par le juge du procès et ils ne commandent généralement pas l’application d’une norme exceptionnelle, au-delà des normes d’intervention habituelle fondées sur la démonstration d’une erreur de droit ou d’une erreur manifeste et déterminante[38].

[76]        Quant aux procédures que le juge a permis à la Société des vétérans de modifier tardivement, on peut ne pas être d’accord avec la décision qu’il a prise. Cela fait d’ailleurs l’objet d’un moyen d’appel dont la Cour traitera plus loin. Mais cela ne permet pas de conclure que le juge a évalué le dossier à travers un prisme déformant.

*  *  *

5.    L’analyse

A.   La responsabilité

[77]        Sous ce titre, la Cour traitera des questions suivantes :

Ø  Le juge de première instance a-t-il erré en appliquant des normes de calcul et de construction propres à un ouvrage de maçonnerie porteuse alors que la preuve révèle que l’ouvrage de briques était ici supporté par de l’acier?

Ø  L’ouvrage étant supporté par une structure en acier, les normes applicables à ce type de structure ont-elles été respectées?

Ø  La preuve, dont la Société des vétérans avait le fardeau, permet-elle de conclure à une « perte de l’ouvrage » au sens de l’article 2118 C.c.Q.?

Ø  À défaut, y a-t-il lieu d’appliquer l’article 2120 C.c.Q.?

·        Les normes de calcul et de construction

[78]        Le juge note sommairement les divergences fondamentales qui opposent les parties quant aux normes applicables à l’érection du mur de parement. Les uns soutiennent qu’il s’agit de toutes les normes régissant à la fois les structures d’acier, les briques et les ouvrages de maçonnerie (la Société des vétérans et ses experts, l’architecte Jacques Benmussa et l’ingénieur Thomas Egli). Les autres soutiennent plutôt que seules les normes prescrites pour les structures d’acier étaient obligatoires (Goraczko et son expert, l’ingénieur Michel Provencher). La position de Dompat et de son expert l’architecte Morris Charney serait, quant à elle, ambiguë sur ce point, de l’avis du juge.

[79]        Le juge retient finalement les normes suivantes au seul motif, semble-t-il, qu’il s’agit d’un mur à cavité :

[200]    Or, en réalité, un mur à cavité doit être construit en observant les normes applicables concernant la maçonnerie, le mortier et l’armature métallique, à savoir :

·          la norme CSA S304.1-94 : Masonry Design for Buildings (Limit States Design);

·          la norme CSA [A]370-94 : Connectors for Masonry;

·          la norme CSA A371-94 : Masonry Construction for Buildings;

·          la norme CSA S16-01 : Limit States Design for Steel Structures.

[80]        Après avoir énoncé les normes qu’il retient, le juge réfère aux relevés des experts Benmussa et Egli effectués le 9 avril 2008 après cinq percées exploratoires qui, à son avis, établissent de façon convaincante les six lacunes majeures énoncées précédemment.

[81]        Les appelants plaident que le juge applique à tort des normes qui visent une construction de maçonnerie porteuse et qui sont des subdivisions de la norme de maçonnerie CSA S304.1-94, alors que tous les experts reconnaissent que l’ouvrage est un parement de briques soutenu par une structure d’acier et qu’il faut plutôt s’en tenir à la norme CAN/CSA S16.01 Limit States Design for Steel Structures, en vertu de l’article 4.3.4 du Code national du bâtiment, la seule applicable en l’espèce.

[82]        Les appelants soutiennent également que plusieurs des normes citées par le juge n’existent pas ou ne s’appliquent pas à l’ouvrage. Ils reprennent chacune d’elles et expliquent pourquoi elles ne s’appliquent pas et, à titre subsidiaire, pourquoi elles ont été respectées. Par exemple, tel que l’a admis à l’audience l’expert Benmussa, l’utilisation de tiges en « Z » n’était pas obligatoire[39]. Au surplus, les feuillards utilisés seraient galvanisés et de taille suffisante, les espacements seraient conformes et la membrane imperméabilisante en métal adéquate pour contrer la présence d’eau dans la cavité et les risques de corrosion appréhendés.

[83]        La Société des vétérans prétend pour sa part que le juge n’a pas erré en retenant l’avis des experts Benmussa et Egli, qui proposaient une application combinée des normes propres aux structures d’acier et aux ouvrages de maçonnerie. Plusieurs de ces normes n’ont pas été respectées et le mur ouest souffre ainsi de nombreuses lacunes affectant sa solidité et sa pérennité.

[84]        En l’espèce, le juge énonce très sommairement les différentes thèses des parties et de leurs experts à l’égard des normes applicables[40]. Il signale que les plans d’origine, préparés par Aprosol pour le remplacement du parement du mur de briques, alors que l’on croyait que le mur serait monolithique, prévoyaient l’application de certaines normes. Toutefois, il s’agit ici selon lui d’un mur à cavité qui obéit tant aux normes des structures d’acier qu’à une série de normes de maçonnerie qui excèdent celles initialement envisagées pour le remplacement du mur. Puisque le mur ouest comprend une cavité, il choisit de se référer aux normes relatives aux murs à cavité pour déterminer s’il est conforme. Il conclut que les appelants ont contrevenu à ces normes.

[85]        Il écarte à cet égard, sans en discuter, les prétentions de l’expert Charney qui soutient que le mur qui comporte une cavité de 6 pouces à sa base s’effilant vers le haut est unique et n’est pas un mur à cavité traditionnel qui obéit, à strictement parler, aux normes des murs de maçonnerie[41].

[86]        Par sa conclusion et bien qu’il ne le dise pas expressément, le juge écarte du même souffle le témoignage de l’expert ingénieur Provencher. Il passe par ailleurs sous silence l’admission de l’expert Benmussa qui, se ralliant à l’avis de l’expert Egli en cours d’audience, a pourtant reconnu que le mur ouest n’est pas un mur de maçonnerie porteuse. Le juge ne discute pas de cette méprise, malgré l’impact qu’elle est susceptible d’avoir sur la détermination des normes applicables, dont certaines paraissent se rapporter spécifiquement à une structure porteuse en bois[42].

[87]        Cela dit, malgré ces faiblesses, au vu de la preuve contradictoire administrée concernant les normes applicables, les appelants ne parviennent pas à démontrer que l’inférence que tire le juge à cet égard est entachée d’une erreur manifeste et déterminante qui justifie une intervention en appel. Il importe de rappeler à cet égard que l’interprétation des normes de construction applicables « relève du tribunal et non d'un expert appelé à témoigner devant celui-ci »[43] et que la détermination des normes applicables qui font partie des règles de l’art ne devrait pas être tributaire de la crédibilité des experts.

[88]        Néanmoins, la seule contravention à l’une ou l’autre des normes applicables ne constitue pas nécessairement une malfaçon de nature à mettre en œuvre les règles du Code civil du Québec en matière de responsabilité des professionnels de la construction. Il appartient alors « […] au juge de jauger l’importance d’un tel manquement à la lumière de toutes les circonstances »[44] et ainsi de décider de l’application des règles pertinentes à la responsabilité présumée des entrepreneurs et autres professionnels de la construction.

[89]        C’est plutôt ici que les choses se compliquent, plus particulièrement relativement à la conclusion du juge au regard de l’article 2118 C.c.Q.[45].

•     L’article 2118 C.c.Q. et la perte de l’ouvrage

[90]        Après avoir déterminé que le mur conçu par Goraczko/Aprosol et construit par Dompat, sous leur surveillance, n’est pas conforme aux règles de l’art et aux normes de construction applicables, le juge conclut qu’il y a eu « perte de l’ouvrage », au sens de l’article 2118 C.c.Q. entraînant la responsabilité solidaire des appelants. Il rejette du même souffle tous les moyens d’exonération soulevés tant par l’ingénieur Goraczko/ Aprosol que par l’entrepreneur Dompat.

[91]        En appel, au-delà de la première erreur soulevée à l’égard de la détermination des normes de construction applicables, les appelants plaident que la non-conformité de l’ouvrage avec certaines de ces normes ne permettait pas au juge de conclure à la perte de l’ouvrage. La jurisprudence et la doctrine exigent la démonstration d’une ruine réelle et non hypothétique ou, à tout le moins, d’une défectuosité majeure menaçant de façon concrète la solidité de l’ouvrage. Or, le juge aurait ici présumé qu’il y avait ruine de l’ouvrage, alors que le fardeau d’en faire la preuve reposait sur la Société des vétérans qui n’a pas fait cette démonstration.

[92]        La règle posée par l’article 2118 C.c.Q. exige que la perte de l’ouvrage « [survienne] dans les cinq ans qui suivent la fin des travaux ». Or, plaident les appelants, à l’été 2012, il n’y avait aucun déficit d’usage du nouveau mur de parement. D’ailleurs, même après dix ans, à l’époque du procès, il n’y avait toujours pas de problème : ni fissure ni trace de corrosion ou d’effritement.

[93]        Bref, selon les appelants, la prétendue perte de l’ouvrage ne s’articulerait sur aucun fait tangible et prouvé. Elle serait le résultat d’une démarche entreprise par les experts Benmussa et Egli pour soutenir leur cliente dans sa contestation de la réclamation du solde du contrat.

[94]        Selon la Société des vétérans, le juge s’est bien dirigé en droit et sa conclusion est fidèle à la preuve. Pour qu’il y ait « perte de l’ouvrage » au sens de l’article 2118 C.c.Q., il suffit de démontrer la présence d’un danger sérieux qui peut mener à la perte de l’ouvrage. Il n’est pas nécessaire qu’il y ait eu écroulement de l’ouvrage. Il y a perte de l’ouvrage, toujours selon elle, lorsque celui-ci doit être entièrement repris, comme en l’espèce. Il n’est pas nécessaire de faire la preuve d’un danger imminent pour le public. Les malfaçons identifiées par le juge sont soutenues par la preuve.

[95]        Qu’en est-il?

[96]        Bien que l’article 2118 C.c.Q. puisse faire naître une présomption, il revient néanmoins au propriétaire de « prouver, par prépondérance des probabilités, la perte de l'ouvrage et que celle-ci résultait d'un vice de construction »[46]. Bien sûr, « la multitude des dispositions règlementaires et législatives touchant la construction immobilière sert souvent de point de repère aux tribunaux dans l’appréciation de la faute résultant du non-respect des usages ou des règles de l’art applicables à chaque cas d’espèce[47] ». Toutefois, il ne s’agit que d’une présomption. Le respect des normes de la construction n’est pas gage d’exonération, tout comme son non-respect n’est pas gage d’une condamnation[48]. L’ensemble des circonstances devra être considéré pour déterminer s’il y a ou non démonstration d’un vice engageant la responsabilité des professionnels (entrepreneurs, architectes et ingénieurs) qui ont participé à la construction de l’ouvrage.

[97]        En ce qui concerne la preuve de perte de l’ouvrage, elle est généralement définie par la jurisprudence comme une défectuosité grave entraînant des inconvénients sérieux et rendant l’ouvrage impropre à son usage[49]. Il n’est pas nécessaire que la perte se soit concrétisée et que « le pire se soit produit avant d'agir »[50]. La menace de destruction éventuelle peut suffire à la démonstration d’une perte dans la mesure où elle aura pour conséquence de rendre l’immeuble impropre à l’usage auquel on le destine et à entraîner une diminution importante de sa valeur marchande[51]. Cela étant, il faut tout de même « démontrer que l’état de l’ouvrage permet de croire que celle-ci se produira dans l’avenir, si aucun remède n’est apporté »[52].

[98]        Or, en l’espèce, une telle démonstration par prépondérance n’a pas été faite et la Cour estime que le juge a commis une erreur révisable en concluant à la perte de l’ouvrage survenue dans les cinq ans de la fin des travaux au sens de l’article 2118 C.c.Q.

[99]        Son analyse est fort succincte. Le juge de première instance s’en tient essentiellement aux explications suivantes :

[216]    C’est le cas en l’espèce, car la correction des déficiences oblige à démolir le parement de briques et à refaire les travaux de A à Z, en se conformant, cette fois-ci, aux règles de l’art et normes applicables. Pour le dire autrement, il est impossible notamment de protéger adéquatement les éléments d’acier contre la corrosion sans enlever le parement.

[217]    Le parement de briques appartient à l’enveloppe du bâtiment. Le gros œuvre est constitué des fondations, des murs et de la toiture d’un bâtiment.

[218]    On est en présence de bien plus qu’un défaut mineur quand on se retrouve avec un parement de briques mal rattaché aux autres éléments de bâtiment, longeant immédiatement un trottoir utilisé par le public, et susceptible de s’affaisser subitement.

[219]    Ici, la perte résulte à la fois d’un vice de conception par l’ingénieur et d’un vice de construction par l’entrepreneur.

[100]     Il n’aborde pas les thèses des deux experts ingénieurs Rhéaume et Provencher, non plus que celle de l’expert architecte Charney, sur l’état du mur, avant de conclure comme il le fait.

[101]     Il ne précise d’ailleurs pas sur quelle preuve il se fonde pour conclure de la sorte. Soit, il a discuté plus tôt dans ses motifs des normes applicables et des lacunes relevées par les experts Benmussa et Egli. On se souviendra par contre à cet égard que certaines des lacunes qu’il énonce vont au-delà de celles qui ont été reconnues à l’issue des témoignages des experts (notamment quant aux tiges en « Z » et quant à la qualité des ancrages utilisés).

[102]     Ainsi, au final, à l’issue des témoignages des experts de la Société des vétérans, les reproches formulés par ces derniers se rapportent essentiellement au nombre et à l’espacement des feuillards installés dans le parement de briques et au risque de corrosion des feuillards découlant du risque de la présence d’eau et d’humidité dans la cavité du mur et de ses effets possibles sur la stabilité latérale du mur.

[103]     Il n’y a eu cependant aucune démonstration de la présence de corrosion ou de mouvement quelconque du mur depuis sa reconstruction en 2007. Les appelants ont de plus mis en preuve certaines précautions qu’ils ont prises, dont l’emploi de feuillards plus épais et de fers angles d’une épaisseur deux fois plus grande qu’exigée dans les normes, de même que l’installation de chantepleures et d’une membrane imperméabilisante métallique au toit justement pour contrer tout risque d’infiltration d’eau ou de corrosion, si infiltration d’eau il y avait [53].

[104]     Les experts de la Société des vétérans ont par ailleurs concédé en cours d’audience que le mur de briques repose sur un support d’acier et qu’il ne s’agit pas d’un mur à maçonnerie porteuse comme le déclarait à l’origine l’expert Benmussa.

[105]     De surcroît, l’expert Egli a admis que le mur d’origine, derrière le parement, pouvait résister au vent dans son état actuel et il a également affirmé qu’il ne remettait pas en question sa stabilité à l’égard des tremblements de terre[54]. Dans le cadre de son témoignage, il évoque certaines craintes à long terme relativement à un risque de corrosion et du mouvement latéral du mur ouest[55], mais reconnaît du même souffle qu’il n’y a pas en l’espèce de danger imminent le justifiant d’aviser la Ville de Montréal en conséquence[56]. D’ailleurs, aucun tel avis n’a été jugé nécessaire jusqu’au jour de l’audience en appel, alors que plus de 11 années se sont écoulées depuis la reconstruction du mur et plus de 10 ans depuis les percées exploratoires qui, à elles seules, étaient susceptibles d’affaiblir le mur. Face à son assureur, la Société des vétérans a d’ailleurs toujours représenté l’absence de quelque danger ou risque imminent que ce soit.

[106]     La preuve révèle que la dimension des feuillards installés est supérieure à la norme prescrite pour un mur de maçonnerie porteuse et que cela a pour conséquence de diminuer substantiellement le risque de corrosion[57]. La percée exploratoire effectuée dans la partie basse du mur a d’ailleurs révélé que les feuillards étaient toujours intacts. Or, la crainte d’une instabilité latérale du mur, évoquée par l’expert Egli, ne vise justement que la partie basse du mur, où l’espace de la cavité est mesuré à 5 ou 6 pouces, puisque l’espace de la cavité rétrécit du bas vers le haut, pour ne mesurer que 1,5 pouce ou 2 pouces dans la partie supérieure du mur. Le problème d’espacement des feuillards qui est reproché ne se pose qu’à la partie basse du mur.

[107]     Le juge ne fait pas cette nuance. Il ne discute pas dans son jugement des normes applicables à une structure d’acier ni des bénéfices découlant de l’ajout de la structure d’acier et des linteaux structuraux sur la solidité et la stabilité du mur construit, bien que ces avantages aient été soulignés dans le rapport des ingénieurs en structure Rhéaume et Provencher[58]. Il ne fait d’ailleurs aucune référence au contenu du rapport de l’ingénieur Rhéaume, bien qu’il évoque son rôle à titre d’expert d’Aprosol en début de jugement[59]. Il est vrai que l’ingénieur Rhéaume n’a pas témoigné et qu’il a été remplacé peu avant le procès par l’ingénieur Provencher, qui a confirmé les calculs de son collègue et fait siennes ses conclusions après une visite des lieux et une révision de l’ensemble des documents qu’il avait analysés[60]. Le rapport de l’ingénieur Rhéaume a néanmoins été déposé en preuve[61] et son contenu a été repris par l’expert Provencher qui, lui, a témoigné. Or, pas un mot dans le jugement sur ce témoignage non plus que sur l’avis des deux ingénieurs en structure qui confirment la solidité, la stabilité et la sécurité du mur ouest, alors que le juge conclut au contraire au risque d’affaissement ou à la menace d’écroulement du mur.

[108]     Le jugement évacue également l’entièreté des propos de l’expert architecte Charney, non seulement à l’égard des normes applicables, mais également à l’égard de l’absence d’un risque réel d’infiltration d’eau dans le mur à cavité, bien que l’architecte souligne la qualité du mortier utilisé et l’installation de chantepleures qui permettent la ventilation et, au besoin, l’écoulement de l’eau du mur interne et contribuent à réduire ainsi les risques de corrosion, alors que l’inclinaison du mur vers l’avant rend la migration de l’eau vers le mur interne pratiquement impossible.

[109]     Le juge ne relate pas non plus les critiques soulevées par l’expert Charney quant au caractère alarmiste et hypothétique du risque ou danger potentiel pour le public soulevé par les experts Benmussa et Egli. Non plus le fait que les non-conformités soulevées à l’égard des feuillards n’ont été relevées que dans une seule percée exploratoire dans la partie basse du mur et que les experts Benmussa et Egli ont été forcés d’admettre que leurs prétentions de non-conformités à l’échelle du mur complet étaient fondées sur une extrapolation, sans qu’ils aient pu confirmer le positionnement réel des ancrages dans le mur.

[110]     Tel que souligné par l’expert Charney, l’expert Benmussa relate que la durée de vie utile du mur pourrait s’avérer réduite de 60 ans à 20 ans en raison des lacunes soulevées[62], une affirmation que M. Charney qualifie de pure conjecture[63]. Il dénonce d’ailleurs le propos alarmiste des experts qui concluent que l’immeuble présente un danger pour le public sans avoir fait une évaluation sérieuse et complète, alors que ces mêmes experts font appel à des normes qui cadrent mal avec le caractère unique du mur en cause, qui n’est pas un mur à cavité traditionnel. L’expert Charney juge que les commentaires de l’expert Egli sur le risque de corrosion ne sont pas alarmants et ne justifient pas de conclure à quelque danger potentiel pour le public[64]. Il ajoute que si la Société des vétérans est véritablement préoccupée par le risque de corrosion de la structure d’acier, il existe des méthodes beaucoup moins coûteuses de contrer tout risque par la vaporisation de polyuréthane dans la cavité à l’aide d’ouvertures dans le mur, plutôt que de démolir et refaire le mur à neuf.

[111]     Ainsi, à la lumière de l’ensemble de la preuve, l’évocation d’un danger pour le public en raison d’un risque de corrosion entraînant un possible écroulement repose sur une preuve très fragile, voire hypothétique et surtout vivement contestée par plusieurs experts (Rhéaume, Provencher, Charney), dont le jugement ne traite pas du tout. Ceci est d’autant plus préoccupant que la preuve ne révèle aucun signe objectif et apparent de détérioration ou de corrosion du mur depuis la construction en 2007 et de toute menace tangible d’écroulement, 11 ans plus tard.

[112]     Les appelants martèlent que la thèse des experts de la Société des vétérans sur laquelle s’appuie le juge de première instance est le résultat d’une démarche exploratoire initiée en réponse au mécontentement de leur cliente face à la réclamation monétaire de l’entrepreneur. On procède par percées exploratoires en l’absence de signes objectifs de détérioration et on conclut qu’il y a çà et là des manquements aux normes de maçonnerie qui mènent à la proposition d’une réfection complète à un coût trois fois plus élevé que celui du contrat de construction initial, avec une prémisse de départ erronée voulant que le mur ouest soit un mur de maçonnerie porteuse!

[113]     Une lecture attentive du procès-verbal de la réunion spéciale tenue à la Société des vétérans, en date du 9 décembre 2007[65], semble appuyer les prétentions des appelants. Rappelons que cette réunion a lieu après la réception de la facture finale de Dompat et la consultation de son avocat de l’époque, mais avant l’embauche des experts et l’ouverture des percées exploratoires dans le mur ouest. Or, la Société des vétérans concluait déjà que le mur souffrait de déficiences importantes (affaiblissement du mur par l’enlèvement de la moitié de l’épaisseur de l’ancien mur de briques, par la présence d’espace derrière le nouveau mur créant des risques de condensation, de gel et de fissures de la paroi extérieure en cas de tremblements de terre et autres désastres). Elle soutenait alors qu’il était impératif d’embaucher des experts qui « are going to state whether the wall should be replaced »[66].

[114]     Il semble ainsi que les experts Benmussa et Egli aient été retenus avec une mission bien définie, appuyant d’autant l’argument des appelants qui accusent la partie adverse d’avoir monté son dossier de toutes pièces en soulevant des lacunes pour contrer la réclamation pour coûts additionnels de Dompat.

[115]     Les appelants ajoutent que la Société des vétérans n’a aucune intention de refaire le mur ouest et que sa réclamation vise essentiellement à financer les autres travaux urgents requis sur d’autres murs de son immeuble qui date de près de 100 ans.

[116]     Dans pareil contexte, l’idée de défaire et refaire en son entier le seul mur d’apparence saine sur la base d’une preuve aussi contradictoire n’est pas sans amener son lot de questionnements.

[117]     Aussi, sans pouvoir dire que le mur est parfait, au regard des normes que le juge a choisi d’appliquer et à l’égard desquelles la Cour n’entend pas intervenir, il n’est pas possible pour autant d’avaliser la conclusion du juge de première instance quant à la perte de l’ouvrage au sens de l’article 2118 C.c.Q. et à la nécessité d’un démantèlement complet et d’une reconstruction à neuf de ce mur[67].

[118]     La Société des vétérans n’ayant pas démontré par preuve prépondérante que les lacunes soulevées entraînaient une perte de l’ouvrage et que celles-ci ne pouvaient être corrigées ponctuellement sans procéder au démantèlement du mur et à sa reconstruction à neuf, le juge a commis une erreur manifeste et déterminante.

[119]     Qu’en est-il du reste de son analyse?

·        L’article 2120 C.c.Q. et les malfaçons

[120]     Après avoir examiné l’application de l’article 2118 C.c.Q., le juge aborde l’article 2120 C.c.Q. et conclut que les lacunes du mur ouest constituaient également des malfaçons découvertes dans l’année suivant la réception de l’ouvrage, en ce qu’elles constitueraient au minimum des défauts qui diminuent l’usage ou l’agrément de l’ouvrage sans en affecter la solidité.

[121]     L’article 2120 C.c.Q. prévoit en effet un régime de garantie légale qui s’applique sans que le client soit requis de démontrer une faute par l’un ou l’autre des intervenants en construction, son fardeau se limitant à faire la preuve de malfaçons et de leur découverte ou manifestation durant la première année suivant la réception de l’ouvrage. Or, à la lumière des normes que le juge a choisi d’appliquer, les manquements relatifs à l’insuffisance du nombre d’attaches ou à leur espacement pouvaient être qualifiés de malfaçons au sens de l’article 2120 C.c.Q.[68] et donner lieu à l’octroi de dommages.

B.   Les montants réclamés de part et d’autre

·        Le montant dû à Dompat

[122]     Pour mémoire, la Cour rappelle que, le 18 juin 2008, Dompat réclamait à la Société des vétérans 5 548,60 $ pour les travaux sur le mur sud (le solde dû sur la facture du 28 août 2007, 9 680,00 $) et 189 351,90 $ pour la réfection du mur ouest (le solde dû sur la facture du 28 août 2007, 259 460,71 $).

[123]     Le juge de première instance a alloué 3 996,30 $ (taxes incluses) pour le contrat visant le mur sud et 123 558,22 $ (taxes incluses) ou 108 431,96 $ (avant taxes) pour celui visant le mur ouest.

[124]     Seule la somme allouée relativement au mur ouest est visée par l’appel. De façon générale, Dompat plaide que le juge n’avait aucun motif valable pour s’immiscer dans le contrat et réduire à 20 431,96 $ le montant réclamé pour les travaux faits et services rendus relativement à la réfection du mur ouest, et non compris dans le prix forfaitaire mentionné dans le contrat du 5 avril 2007.

[125]     Le juge se devait, selon Dompat, d’appliquer les termes d’un contrat clair, dont les détails avaient été expliqués de long en large, en anglais et en polonais. Il ne s’agissait pas d’un contrat à prix forfaitaire à proprement dit, mais bien d’un contrat à deux volets, un premier pour un prix forfaitaire et un second, à l’heure et pour les coûts encourus pour tout ce qui ne pouvait être chiffré sous le premier volet lors de la signature du contrat.

[126]     La Société des vétérans était assistée d’un avocat d’expérience et elle avait en main des soumissions d’autres entreprises en maçonnerie, toutes plus élevées que le prix forfaitaire mentionné dans le contrat avec Dompat. Elle devait donc s’attendre à ce que la reconstruction du mur de parement coûte plus de 88 000 $, plus taxes.

[127]     Les feuilles de temps signées par le représentant de la Société des vétérans attestent des travaux exécutés. Le même processus a été suivi pour le contrat verbal relatif au mur sud et le contrat pour la structure d’acier, sans que cela pose de difficultés. La facture d’Industrie Ville-Émard a été payée au complet.

[128]     Plusieurs des heures de travail facturées par Dompat faisaient même l’objet d’admission de la part de sa cliente. Par exemple, l’enlèvement/remplacement des sorties de secours, l’installation d’une membrane de protection pour le public, l’érection et la location d’une chute à déchets. Le juge n’en tient pas compte, réduisant la réclamation de Dompat à néant plutôt que d’en arbitrer le montant.

[129]     Dompat plaide aussi que le juge, en toute équité, aurait dû à tout le moins lui octroyer un certain montant sur une base de quantum meruit, pour la valeur des services rendus en fonction des soumissions faites par d’autres entreprises pour les mêmes travaux. Tout comme il l’a fait pour la Société des vétérans quand est venu le temps d’évaluer ce qu’il en coûterait pour refaire le mur.

[130]     Quant à la facturation du chariot élévateur, son usage était spécifiquement prévu au contrat du 5 avril 2007. Il a même servi pour l’installation des linteaux par Industrie Ville-Émard, avec l’aval de la Société des vétérans. Pourtant, le juge n’alloue absolument rien à cet égard.

[131]     Quant aux frais de stationnement, le juge n’accorde rien, alors que selon Dompat, la dépense était admise par la Société des vétérans.

[132]     Finalement, en ce qui a trait à la dimension du parement de briques (55’ x 55’ plutôt que 50’ x 50’, tel que prévu dans le contrat), Dompat plaide qu’il serait injuste que la Société des vétérans tire profit d’une erreur de calcul pour refuser de payer la juste valeur des services rendus.

[133]     Les appelants ont en partie raison.

[134]     Le juge reprend dans son jugement le contenu du contrat qu’il déclare non ambigu :

[88]      Or, le contrat PD-1 est outrancièrement avantageux pour Dompat, mais il n’est [pas] ambigu, ou si peu.

[89]      En particulier, les parties y conviennent clairement qu’outre le prix de base de 88 000 $ pour enlever le parement de briques et poser des briques neuves, Dompat pourra facturer en extras :

·         toutes les taxes;

·         le coût et l’installation des ancrages (« anchors »);

·         les réparations à l’intérieur du mur (derrière le parement, donc);

·         tous les permis;

·         l’enlèvement et la remise en place de l’escalier de secours métallique permanent et de l’escalier de secours installé temporairement durant les travaux;

·         le stationnement pour les employés et pour les véhicules de Dompat;

·         l’écran protecteur (pour les passants durant les travaux);

·         la chute des déchets (vers les conteneurs);

·         la location de conteneurs (à déchets).

[90]      Tout extra peut être facturé au taux de 60 $ de l’heure par ouvrier, « plus the cost of equipment and machinery ».

[91]      Toutefois, il appert que Dompat a exagéré considérablement au moment de facturer. Pour le vérifier, il y a lieu d’examiner un à un les principaux éléments de la facture DSV-6.

[135]     Le juge a conclu que Dompat réclamait toutes les heures travaillées sur le chantier, sans distinguer celles qui tombaient sous la partie forfaitaire du contrat. Il en a visiblement été choqué. Il y a vu mauvaise foi et stratagème, ce qui l’a amené à rejeter l’entièreté de la réclamation pour les heures additionnelles travaillées, jugeant que Dompat n’avait pas soumis la preuve lui permettant de départager les heures qui tombaient sous le contrat à forfait de celles qui correspondaient aux extras.

[136]     Il est vrai que Dompat s’est contentée à cet égard de soumettre une liste des 800 heures additionnelles travaillées sans préciser à quels travaux elles avaient été consacrées. Son représentant a cependant témoigné qu’entre 2 500 et 3 000 heures avaient été consacrées au projet dans son entièreté.

[137]     L’approche plutôt approximative et peu documentée de l’entrepreneur en l’espèce n’est certainement pas souhaitable. Il demeure toutefois que la détermination du juge est sévère et qu’elle ne tient pas compte de l’ensemble de la preuve, dont le témoignage de l’appelant Goraczko et les admissions de la Société des vétérans, qui auraient dû être considérés.

[138]     À l’audience, l’ingénieur Goraczko a témoigné qu’il avait approuvé une partie des feuilles de temps des employés[69] et il a affirmé que 200 heures (d’une valeur de 12 000 $) avaient été consacrées au montage et démontage des cages d’escaliers pour la période du 3 au 13 juillet ainsi que les 31 juillet, 1er et 2 août 2007[70].

[139]     De plus, la Société des vétérans a reconnu que certaines heures étaient justifiées, à savoir les heures facturées pour l’enlèvement et le remplacement des sorties de secours, l’installation d’une membrane de protection pour le public, l’installation et la location d’une chute à déchets[71].

[140]     Or, plutôt que de considérer la preuve des heures consacrées aux travaux additionnels (ne serait-ce que pour le montage et le démontage des cages d’escalier) ainsi que les admissions de la Société des vétérans, le juge a choisi d’écarter la réclamation pour les heures additionnelles travaillées en son entier, au motif que Dompat avait agi de mauvaise foi.

[141]     Une telle conclusion a nécessairement pour effet d’enrichir la Société des vétérans de manière injustifiée, alors que celle-ci ne nie pas que des heures additionnelles ont été consacrées au projet.

[142]     On peut d’ailleurs s’étonner de la sévérité des propos du juge à l’endroit de Dompat, alors qu’il n’a pas hésité à retenir la validité d’une soumission d’un tiers pour le remplacement du mur[72], sans se formaliser des coûts importants reliés aux échafaudages, aux conteneurs à déchets et autres exigences générales pour la réfection du mur. Dans le cas de la soumission de Maçonnerie A.S.P. (2006) inc. qui est celle retenue par le juge pour calculer l’indemnité de la Société des vétérans, ces frais totalisent 60 000 $, en sus des frais d’administration de 30 000 $. Par comparaison, les coûts facturés par Dompat paraissent raisonnables, étant en deçà de ceux chargés par des tiers.

[143]     Le raisonnement du juge, lorsqu’il écarte la réclamation de Dompat pour le chariot élévateur (14 000 $), se fonde d’ailleurs sur la prémisse qu’il n’y a pas lieu d’inclure le coût d’équipements qui lui appartiennent et qui constituent des frais généraux. Ceci contredit cependant ce qui est expressément prévu dans le contrat et occulte le fait que le contrat ne prévoit pas de frais généraux ni de charge administrative (administration et profit). Ceci, dans un contexte où le coût du chariot élévateur, tout comme les coûts de stationnement d’ailleurs, n’étaient pas contestés par la cliente, et que la preuve révèle que le chariot élévateur a bel et bien servi à l’installation des linteaux par Industrie Ville-Émard, avec l’aval de la Société des vétérans. En n’allouant aucun montant à cet égard, le juge commet une erreur manifeste et déterminante.

[144]     De la même façon, le juge refuse le coût du stationnement de 3 200 $, alors que ce coût n’a pas été contesté par la Société des vétérans. La facture de Dompat, telle qu’annotée par la Société des vétérans en date du 28 août 2007[73], montre que ce coût du stationnement de 3 200 $ est l’un des deux éléments (avec le prix de base du contrat de 88 000 $) qui n’ont pas été rayés de la facture par son représentant. Malgré cela, le juge n’en tient pas compte et refuse de l’inclure dans le calcul du solde impayé du contrat au motif qu’il n’était pas soutenu par une pièce justificative.

[145]     Quant au refus d’accorder des extras liés à la pose de la brique, alors que le mur s’est révélé mesurer 55 pieds par 55 pieds, il semble à nouveau indéniable que le volet forfaitaire du contrat ne portait que sur la dimension stipulée au contrat (50 pieds par 50 pieds). Le juge qualifie de négligence de Dompat le fait d’avoir omis de mesurer elle-même la dimension du mur ou de s’être fiée à Goraczko et il la prive ainsi du droit de réclamer la différence de coûts conformément à son contrat[74].

[146]     Il ne semble pas contesté que cette différence dans les dimensions du mur ait résulté en un coût additionnel de 22 000 $ que Dompat avait le droit de réclamer à titre d’extras selon les termes de son contrat. Il y a donc lieu d’intervenir pour rétablir ce montant à même le calcul du solde contractuel impayé de Dompat.

[147]     D’ailleurs, suivant les annotations de la Société des vétérans sur la facture de Dompat[75], elle avait elle-même estimé à 50 191,45 $, le coût combiné des extras pour la pose du mur et pour les matériaux et permis (réclamés séparément au prix de 22 000 $ et 37 696,98 $ chacun). Si on tient compte d’une valeur de 22 000 $ pour le mur, ceci laisserait un solde de 28 191,45 $ correspondant au volet des matériaux et permis, alors que le juge n’a reconnu qu’un montant de 18 187,14 $ pour les matériaux et 2 244,82 $ pour les permis sur un montant total réclamé de 37 696,98 $.

[148]     Le juge reproche à cet égard à Dompat d’avoir produit un assemblage disparate de factures en y insérant des dépenses non prévues dans le contrat. Il ne reconnaît de ces factures que celles qui s’apparentent au coût des ancrages. Les appelants le déplorent tandis que la Société des vétérans, se portant appelante incidente, plaide que le juge a erré en accordant cette somme en présence d’un contrat à prix forfaitaire, de même qu’en y ajoutant les taxes de 2 244,82 $ pour les permis, alors que les taxes étaient déjà comprises dans le montant réclamé.

[149]     Le juge devait inclure, comme il l’a fait, le coût des ancrages qui était soutenu par des pièces justificatives et qui était identifié dans le contrat à titre d’extra. Toutefois, quant au coût des permis, le juge se trompe en y ajoutant les taxes d’une somme de 313,16 $, alors que le coût facturé les incluait déjà.

[150]     Cela dit, compte tenu de l’admission de la Société des vétérans, telle qu’elle apparaît à la facture annotée, le juge aurait dû reconnaître à tout le moins le montant de 50 191,45 $ correspondant à la valeur admise pour les deux postes liés à la pose de briques additionnelles et aux matériaux et permis. La Cour estime qu’il y a lieu de retrancher du calcul le montant de 18 187,14 $ et de lui substituer la somme de 50 191,45 $ couvrant les deux postes.

[151]     En ce qui concerne le traitement des autres volets de la réclamation en lien avec des frais de supervision et de voyagement ou le coût d’un camion, le juge les a refusés, à bon droit, en l’absence de toute stipulation au contrat.

[152]     Finalement, quant au calcul des intérêts dont le juge de première instance établit le taux à 15 % à compter de la date de facturation du 28 août 2007, sa détermination n’est pas entachée de quelque erreur révisable.

[153]     En somme, la Cour établit le solde contractuel impayé de Dompat relativement au mur ouest à 65 391,45 $ (avant taxes), ou 74 513,07 $ (après taxes), comprenant :

·        Le coût de main-d’œuvre additionnelle non comprise dans le contrat de base (12 000 $ avant taxes);

·        Le coût additionnel pour la pose de la brique pour la portion du mur non comprise dans le prix de base et coût pour matériaux et permis (50 191,45 $ avant taxes) ;

·        Le coût du stationnement (3 200 $ avant taxes).

[154]     Quant aux intérêts qui sont dus sur ce solde, il y a lieu de les calculer au taux annuel de 15 % établi par le juge de première instance, calculé à compter du 28 août 2007, soit la date de la facture.

[155]     En ce qui concerne le mur sud, le solde impayé demeure celui établi par le juge de première instance au montant de 3 996,30 $ (après taxes), avec les intérêts calculés en fonction du taux annuel de 5 % depuis la facturation du 28 août 2007.

[156]     À la lumière de ce qui précède, lorsqu’on additionne le solde contractuel impayé de 65 391,45 $ (avant taxes) au prix de base de 88 000 $, on obtient un coût total de construction du mur ouest de 153 391,45 $ (avant taxes) ou 174 789,56 $ (après taxes).

·        Le montant dû à la Société des vétérans

[157]     Après avoir conclu à la nécessité de démanteler et de refaire le mur ouest, le juge a établi l’indemnité due à la Société des vétérans comme suit :

·        réfection du mur (soumission)                                                    373 842,00 $

·        architecte                                                                                        15 746,06 $

·        ingénieur                                                                                           2 065,61 $

                                                                                                             391 653,67 $

Moins :

·        montant dû à Dompat (mur ouest)                                              (24 857,46 $)

·        montant dû à Aprosol                                                                      (9 266,87 $)

·        dépréciation                                                                                     (9 438,78 $)

                                                                                                             348 090,56 $

Moins :

·        montant dû à Dompat (mur sud), et                                               (3 996,30 $)

·        intérêts en date du 4 juin 2008                                                          (153,96 $)

                                                                                                            343 940,30 $

[158]     La conclusion à laquelle en vient la Cour sur l’absence de démonstration par preuve prépondérante de la perte de l’ouvrage l’oblige à revoir l’approche du premier juge à l’égard du calcul de l’indemnité.

[159]     Quelle est donc la valeur des dommages découlant des malfaçons que la Société des vétérans est susceptible de réclamer en vertu de l’article 2120 C.c.Q. et qu’en est-il de la preuve administrée à cet égard?

[160]     L’expert Egli mentionne dans son rapport un coût de 40 000 $ pour fixer les ancrages[76]. Il n’a fourni aucun détail à cet égard. Il n’a pas non plus évalué le coût qu’engendrerait le traitement anticorrosif des éléments d’acier qu’il propose de jumeler à l’ajout d’ancrages[77].

[161]     L’expert Charney a, pour sa part, évoqué la vaporisation possible de polyuréthane dans la cavité en réponse à la préoccupation de l’expert Egli quant à une possible corrosion des éléments d’acier, si tant est qu’une telle vaporisation soit nécessaire, ce qu’il ne confirme pas. Il n’a fourni aucune évaluation du coût qu’elle entraînerait.

[162]     L’expert ingénieur, Joe Di Cesare, retenu par l’architecte Chmielweski et dont le rapport a été déposé en preuve[78], indiquait pour sa part que l’élément de risque soulevé par l’expert Benmussa pouvait être réglé par l’ajout d’ancrages, plutôt que par le démantèlement du mur. Il n’a toutefois fourni aucune évaluation des coûts susceptibles d’être engagés à cet égard.

[163]     Il est étonnant que la Société des vétérans n’ait pas cru nécessaire de présenter une ventilation des correctifs en question, si ce n’est que pour convaincre le juge qu’il en coûterait plus cher de réparer ponctuellement que de tout refaire, advenant que la thèse de la perte de l’ouvrage ne soit pas retenue.

[164]     De leur côté, les appelants n’ont pas non plus jugé utile de présenter une preuve qui permette au tribunal de déterminer un montant qui correspond aux correctifs ciblés par la Société des vétérans. Cette lacune n’est peut-être cependant pas étrangère à la décision du juge d’ordonner la réfection à neuf du mur, faute d’une démonstration plus précise de la valeur des correctifs ciblés. Elle mène les appelants à invoquer en appel l’enrichissement injustifié en nous exhortant de corriger l’injustice, soit en rendant l’ordonnance appropriée ou en retournant l’affaire en Cour supérieure.

[165]     Dans la mesure où la Cour conclut que la perte de l’ouvrage n’a pas été démontrée, elle ne peut pas avaliser l’approche qui consisterait à maintenir une condamnation à des dommages qui excèdent largement la valeur des correctifs nécessaires, au motif qu’elle ne dispose pas d’une ventilation appropriée de ces correctifs. Par ailleurs, rejeter l’entièreté de la réclamation de la Société des vétérans au motif qu’elle ne dispose pas de la valeur précise des correctifs ciblés n’est pas une option non plus.

[166]     Quant à la possibilité d’obliger les parties à retourner en Cour supérieure pour compléter la preuve qu’elles auraient dû présenter en temps opportun, dans une affaire qui remonte à 2007 et qui a déjà mobilisé 11 journées d’audience, elle semble également contraire au respect des principes de la proportionnalité et d’une saine administration de la justice.

[167]     Reste alors l’autre possibilité, celle pour cette Cour de tenter d’arbitrer tant bien que mal le montant des dommages en tirant de la preuve les indices de la valeur des travaux requis, en se fondant notamment sur l’évaluation sommaire de l’expert Egli au montant de 40 000 $ (avant taxes) pour l’ajout des ancrages, tout en sachant que celle-ci ne tient pas compte du coût de vaporisation du polyuréthane ou d’une autre forme de protection anticorrosion et qu’elle s’avère ainsi incomplète. En revanche, la Cour dispose de l’évaluation de la réduction de vie utile du mur, telle que soumise par l’expert Benmussa qui prétend dans son rapport que les problèmes soulevés entraîneront une réduction des deux tiers (2/3) de la vie utile du mur ouest, de 60 ans à 20 ans. Cette évaluation, ancrée sur une vision fataliste qualifiée par l’expert Charney de « pure conjecture » et « hypothétique », s’avère vraisemblablement le pire scénario envisageable. Accepter cette proposition telle quelle risquerait d’avantager nettement la Société des vétérans. D’aucuns pourraient prétendre que cela équivaut à conclure à la perte de l’ouvrage, ce que la Cour refuse de faire.

[168]     Cela dit, même en prenant ce pire scénario, en calculant la perte en fonction des 2/3 du coût de construction du mur en 2007, force est d’admettre qu’on demeure bien loin du calcul de l’indemnité du jugement de première instance, qui représente un coût trois fois supérieur audit coût de construction.

[169]     De l’avis de la Cour, une évaluation juste des dommages devrait se situer à mi-chemin entre le coût d’installation des ancrages additionnels (soit 40 000 $ avant taxes, ou 45 400 $ avec taxes, tel qu’estimé par l’expert Egli) et la perte de valeur du mur ouest, celle-ci correspondant à 2/3 de son coût total, selon l’expert Benmussa (soit 174 789,55 $ x 2/3 = 116 526,36 $.

[170]     La valeur totale des dommages causés à la Société des vétérans s’élève donc à 80 963,18 $.

[171]     Ce chiffre, même s’il n’a pas la précision du mathématicien, permet de pallier les lacunes de preuve de part et d’autre et d’offrir une voie intermédiaire entre une évaluation qui pourrait sembler trop basse (puisque limitée aux seuls ajouts d’ancrages) et une évaluation trop élevée quant à la perte de valeur du mur ouest. De plus, elle est susceptible de correspondre à la valeur des correctifs ciblés en y incluant des mesures anticorrosives.

[172]     Cette détermination s’inscrit en outre dans le sens des propos de cette Cour dans les affaires Hôpital Maisonneuve-Rosemont c. Buesco Construction inc.[79], Harpin c. Lessard[80] et St-Germain c. Brodeur[81]

·        Le montant dû à Aprosol

[173]     Après avoir établi l’indemnité à laquelle la Société des vétérans a droit pour refaire le mur ouest, le juge procède à certains ajustements, à la baisse, afin de tenir compte des honoraires qui seraient encore dus à Aprosol selon le contrat du 5 avril 2007. Il détermine qu’il s’agit d’un montant de 9 266,87 $ calculé ainsi à raison de 7,5 % de 123 358,22 $, soit la valeur des travaux établie par le juge.

[174]     La Société des vétérans soutient que le juge a erré en procédant ainsi puisque cette somme n’était pas réclamée par Aprosol. Elle ajoute qu’Aprosol a été payée pour ses services, mais qu’il n’y a aucune preuve à ce sujet au dossier, puisque la question ne faisait pas l’objet d’un débat en première instance.

[175]     Goraczko et Aprosol reconnaissent avoir été payés à raison d’un pourcentage de 7,5 % sur le contrat de base de 88 000 $ pour les services rendus à la Société des vétérans (soit 7 491 $ avec les taxes) que le juge n’aurait pas dû retrancher.

[176]     Toutefois, considérant que Dompat demande compensation pour un montant en capital de 163 234,40 $ et que, si la Cour faisait droit à cette demande, Goraczko et Aprosol auraient droit, toujours aux termes du contrat du 5 avril 2007, à des honoraires correspondant à 7,5 % de cette somme. Ils demandent à la Cour de réserver leurs droits à cet égard.

[177]     Tel qu’expliqué plus haut, la Cour juge nécessaire d’infirmer le jugement de première instance en ce qui concerne l’établissement du solde contractuel impayé de Dompat à l’égard du mur ouest qui, plutôt que de se chiffrer à 22 282,22 $ (avant taxes)[82], aurait plutôt dû se chiffrer à 65 391,45 $ (avant taxes) ou 74 513,07 $ (après taxes)[83].

[178]     En ce qui concerne le montant dû à Aprosol, il y a lieu d’accorder des honoraires additionnels de 4 904,35 $ (hors taxes) ou 5 588,50 $ (après taxes), calculés en fonction du coût additionnel des travaux du mur ouest de 65 391,45 $ (hors taxes) multiplié par 7,5 %.

[179]     Comme l’ingénieur Goraczko n’a pas été impliqué dans la réfection du mur sud, il n’y a pas lieu d’y ajouter des honoraires en sa faveur, en ce qui concerne ce mur.

C.   La transaction avec l’architecte

[180]     Le juge de première instance a refusé de tenir compte de la transaction intervenue entre la Société des vétérans et l’architecte Chmielewski dans le cadre de l’octroi des dommages, en indiquant que l’architecte avait payé « un montant d’argent, sans admission de responsabilité » et « seulement pour éviter les erreurs et les frais du litige dont l’audition prévue est d’une durée de 20 jours »[84]. Il conclut que, dans les circonstances, l’article 1690 C.c.Q. ne peut pas procurer remise, totale ou partielle, en faveur de l’entrepreneur ou de l’ingénieur[85].

[181]     Les appelants plaident que l’absence de responsabilité de l’architecte quant à la « perte de l’ouvrage » ne change rien au fait que les autres parties poursuivies au sujet du même projet devraient pouvoir bénéficier du paiement fait par un codébiteur. Il s’agirait en somme d’éviter la double indemnisation du créancier.

[182]     La Société des vétérans répond que l’architecte n’est pas ici un débiteur solidaire au sens de l’article 2118 C.c.Q., puisqu’il n’a pas dirigé ni surveillé les travaux. De toute façon, même s’il était codébiteur solidaire, le paiement qu’il fait en règlement du dossier ne saurait bénéficier aux autres parties poursuivies, puisque cela supposerait l’existence d’une dette entre l’architecte et sa cliente, alors qu’aucune preuve ne permet de lui imputer quelque responsabilité que ce soit.

[183]     Selon les auteurs Baudouin, Jobin et Vézina, « le tribunal peut également en venir à la conclusion que le règlement n’a pas d’impact sur le litige parce que le défendeur qui a conclu l’entente n’avait aucune part de responsabilité[86] ». C’est en partie ce que fait le juge de première instance : il détermine que l’architecte ne peut avoir une responsabilité solidaire sous 2118 C.c.Q. non plus que sous 2121 C.c.Q. et, par le fait même, qu’il ne peut y avoir application de l’article 1690 C.c.Q., lequel prévoit l’effet de la remise sur les codébiteurs solidaires. Le montant versé pour obtenir remise n’importe pas. S’il y avait solidarité avec l’architecte, conclusion à laquelle le juge n’est pas arrivé, la remise ne vaudrait que pour sa part[87]. Or, le juge conclut qu’il n’a aucune part de responsabilité, puisque « Dompat n’a pas utilisé les plans scellés par l’architecte Chmielewski, qui n’ont servi que pour fins d’obtention du permis municipal et qui décrivent un ouvrage bien différent de celui que Dompat a réalisé en accord avec l’ingénieur Goraczko[88] ».

[184]     Bref, puisqu’aucune responsabilité ne peut être imputée à l’architecte, les appelants ne peuvent bénéficier d’une remise ou d’une réévaluation de leur part de responsabilité puisqu’au final, ils sont les seuls responsables du préjudice.

[185]     Cette conclusion n’est entachée d’aucune erreur révisable.

D.   LES FRAIS D’EXPERTISE

[186]     Le juge de première instance établit les frais d’expertise dont la Société des vétérans a droit au remboursement à 34 459,20 $.

[187]     Les appelants soutiennent que le montant établi par le juge n’est pas raisonnable ni justifié tandis que, dans le cadre de son appel incident, la Société des vétérans reproche au juge d’avoir omis d’inclure certaines notes d’honoraires de l’expert Benmussa à titre de frais d’expertise et demande de condamner solidairement les appelants au remboursement des frais d’experts.

[188]     Les frais de l’expert Benmussa ne seraient pas justifiés (17 501,85 $). Le problème en étant un de solidité du mur de parement construit par Dompat, il serait du ressort exclusif de l’ingénieur et non d’un architecte. De plus, son rapport relèverait de l’opinion juridique plutôt que de l’expertise et reposerait sur des données incomplètes ou inexactes. Au surplus, les frais encourus pour faire percer le mur de parement, puis le refermer, seraient inutiles (5 530,88 $), et ils auraient été engagés en raison de la négligence des experts dans la préparation de leur dossier. Finalement, plusieurs des montants alloués par le juge ne seraient pas admissibles à titre de frais de justice (un rapport supplémentaire de M. Benmussa, deux factures d'EGP Group, total : 2 976,37 $).

[189]     La Société des vétérans conteste ces prétentions et plaide que les frais d’expertise alloués par le juge de première instance sont raisonnables, compte tenu de la valeur du litige et des honoraires réclamés par les experts des appelants et ils sont même inférieurs à ce qu’ils auraient dû être, en ce qui a trait aux honoraires de l’architecte Benmussa[89]. Par son appel incident, elle réclame une somme additionnelle de 13 022,55 $, représentant autant de factures de M. Benmussa que le juge aurait, à tort, rejetées.

[190]     En matière de frais de justice, la Cour supérieure possède un large pouvoir discrétionnaire et la Cour n’interviendra pas si cette discrétion est exercée judiciairement. La norme d’intervention est élevée[90]. En fait, la Cour ne s’immiscera que de façon exceptionnelle à l’égard des frais lorsqu’il sera démontré une injustice réelle ou que le juge de première instance se fonde sur des considérations erronées en ce qui concerne le droit applicable ou qu’il a commis une erreur manifeste dans son appréciation des faits[91].

[191]     La Société des vétérans a inclus, à titre de frais d’experts, des montants n’ayant pas de lien avec le présent dossier ou des frais pour des conseils à ses procureurs. Le juge, sans mitiger les frais, a considéré que certains frais relatifs à des rapports dont il n’avait pu apprécier la teneur ne pouvaient être inclus dans les frais de justice, puisqu’ils ne pouvaient être qualifiés ainsi[92]. Même s’il a offert peu d’explications à cet égard, il n’y a pas ici d’injustice[93] et pour les raisons évoquées précédemment, il n’y a pas lieu pour la Cour d’intervenir à cet égard.

E.   LA SOLIDARITÉ

[192]     Sous ce chapitre, les appelants soumettent les questions suivantes :

Ø  Le juge a-t-il erré en permettant à la Société des vétérans, alors que l’affaire en était au stade du délibéré, de modifier ses procédures de façon à ajouter Dompat comme défenderesse dans le dossier où seuls Goraczko et Aprosol étaient poursuivis et à demander une conclusion de solidarité contre les trois défendeurs?

Ø  Si responsabilité il y a de Dompat et de Goraczko/Aprosol, et que l’article 2118 C.c.Q. ne s’applique pas, y a-t-il solidarité sous l’article 2120 C.c.Q.?

[193]     L’affaire était en délibéré lorsque le juge a saisi les parties d’une question relative à la possibilité, ou l’impossibilité, de prononcer la solidarité entre défendeurs poursuivis dans des dossiers distincts. Dans son jugement, il conclut à une condamnation solidaire de l’entrepreneur Dompat et de l’ingénieur Goraczko/Aprosol et, pour que cela soit possible, permet à la Société des vétérans de modifier ses procédures en conséquence.

[194]     Le juge fait droit à la modification essentiellement pour les raisons suivantes[94] : le procès tourne autour de l’article 2118 C.c.Q. qui édicte la solidarité de l’entrepreneur et l’ingénieur, tous les appelants ont commis des fautes contributives aux dommages, la difficulté est essentiellement procédurale et rien ne démontre que les appelants subissent un préjudice découlant de la modification, les appelants plaident la solidarité pour tenter de bénéficier de la quittance de l’architecte et, finalement, il pourrait y avoir deux condamnations pour le plein montant sans cette modification.

[195]     Les appelants plaident que le juge a erré en permettant à la Société des vétérans de modifier ses procédures pour en faire des codéfendeurs dans la même instance, alors que le procès était terminé. Ils rappellent que les deux causes ont été réunies pour être entendues sur la même preuve en vertu de l’article 271 a.C.p.c., mais qu’aucune jonction n’a été demandée en vertu de l’article 67 a.C.p.c.

[196]     Les appelants soutiennent que l’initiative du juge de première instance, à ce stade avancé des procédures, était inappropriée. Il lui était possible, selon eux, de rendre jugement sans suggérer à la Société des vétérans de modifier ses procédures. Le juge aurait vu un « obstacle procédural » où il n’y en avait pas, le régime de la solidarité n’étant que plus favorable à la Société des vétérans, et ce, selon les appelants, à leur détriment. Ils plaident que la décision du juge a porté atteinte à l’équité du procès. Ils soutiennent avoir été privés de leur droit à une défense complète[95], l’ingénieur et l’entrepreneur devenant des défendeurs solidaires dans un dossier où le premier n’a jamais pu se défendre sur la solidarité avec l’entrepreneur[96] et où le second n’a jamais même comparu. Ils invoquent une violation de la règle audi alteram partem, maintenant codifiée à l’article 17 C.p.c.

[197]     Ils plaident enfin que la décision du juge est d’autant plus injustifiée et injustifiable, que le comportement de la Société des vétérans durant les procédures a été caractérisé par un « laxisme et un manque de sérieux ».

[198]     Toutefois, le débat ne devient-il pas sans objet dans la mesure où la Cour conclut à l’application de l’article 2120 C.c.Q. plutôt qu’à celle de l’article 2118 C.c.Q.?

[199]     Dans la mesure où la Cour conclut que le juge a erré en retenant l’application de l’article 2118 C.c.Q. et qu’il y a plutôt lieu de conclure à la responsabilité des appelants en vertu du régime légal de l’article 2120 C.c.Q., il est possible de tenir les appelants responsables à parts égales dans deux recours distincts sans que la modification des procédures soit requise.

[200]     En effet, la règle énoncée à l’article 2120 C.c.Q. prévoit que l’entrepreneur et l’ingénieur, pour les travaux qu’ils ont exécutés, dirigés ou surveillés, sont tenus conjointement pendant un an de garantir l’ouvrage contre les malfaçons. Cette responsabilité est donc conjointe et n’est pas solidaire. À moins d’une preuve contraire, elles seront tenues responsables à parts égales envers le client.

[201]     En l’espèce, le juge conclut que les malfaçons reprochées sont attribuables à un défaut d’exécution de Dompat que Goraczko et Aprosol ont fait défaut de relever dans le cadre de leur surveillance des travaux. Leur responsabilité est engagée à parts égales. Partant, les appelants peuvent être condamnés séparément chacun, pour leur part, pour la valeur des correctifs ou la perte de valeur reliée aux malfaçons sans qu’une modification de la procédure soit même requise pour les réunir sous une même poursuite.

[202]     De la même façon, la condamnation solidaire au paiement des frais d’expertise recherchée par la Société des vétérans dans le cadre de son appel incident n’est plus justifiée, vu l’application de l’article 2120 C.c.Q.

[203]     Les appelants seront donc tenus chacun à parts égales au montant de l’indemnité établie par la Cour au chapitre des malfaçons et au remboursement des frais d’expert. Au surplus, chacun assumera les frais de justice afférents au recours qui le concerne.

[204]     Ainsi, dans la mesure où la Cour a établi la valeur totale des dommages causés à la Société des vétérans en raison des malfaçons au montant de 80 963,18 $, la part attribuable à chacun se chiffre désormais à 40 481,59 $ avant de procéder aux ajustements qui s’imposent. En ce qui concerne les appelants Goraczko et Aprosol, ce montant devra être réduit du montant des honoraires impayés de l’ingénieur sur le coût additionnel du contrat, soit un montant de 5 588,50 $, pour un solde de 34 893,09 $.

[205]     Dans le cas de Dompat, il y aura lieu de prévoir des conclusions distinctes pour tenir compte des montants dus pour la construction du mur ouest et du mur sud (74 513,07 $ (mur ouest) et 3 996 $ (mur sud)) et du calcul de l’indemnité due à la Société des vétérans de 40 481,59 $, qui représente la part de Dompat dans les dommages accordés sous l’article 2120 C.c.Q.

[206]     Pour ce qui concerne les frais d’experts qui totalisent 34 459,20 $, les appelants assumeront chacun leur moitié, soit la somme de 17 229,60 $.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[207]     ACCUEILLE en partie les appels principaux, avec les frais de justice;

[208]     REJETTE les appels incidents formés par la Société des vétérans dans chacun des deux appels et par Dompat dans l’appel fait par Goraczko et Aprosol, sans les frais de justice vu que le sort de ces appels est intimement lié à celui des appels principaux;

[209]     INFIRME en partie le jugement de première instance aux fins de rayer les paragraphes 356 à 363 et de les remplacer par les paragraphes suivants :

Dans le dossier nº 500-17-050308-090 :

[356]   DÉCLARE sans objet la demande de modification de la Société des vétérans polonais de guerre du Maréchal J. Pilsudski inc.;

[357] ACCUEILLE en partie la requête introductive d’instance précisée et amendée;

[358]    CONDAMNE solidairement Adalbert W. Goraczko et Aprosol Ltd. à payer à la Société des vétérans polonais de guerre du Maréchal J. Pilsudski inc. la somme de 34 893,09 $, plus l’intérêt et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q., calculés depuis l’assignation;

[359] CONDAMNE solidairement Adalbert W. Goraczko et Aprosol Ltd. à payer à titre de frais d’experts à la Société des vétérans polonais de guerre du Maréchal J. Pilsudski inc. la somme de 17 229,60 $, plus l’intérêt et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q., calculés depuis la date du jugement;

[360] Avec les frais de justice.

Dans le dossier nº 500-17-043712-085 :

[361] ACCUEILLE en partie la requête introductive d’instance avec les frais de justice;

[362] CONDAMNE la Société des vétérans polonais de guerre du Maréchal J. Pilsudski inc. à verser à Construction Dompat inc. la somme de 74 513,07 $, représentant le solde impayé de son contrat relatif au mur ouest, additionnée d’un intérêt de 15 %, calculé depuis le 28 août 2007;

[362A] CONDAMNE la Société des vétérans polonais de guerre du Maréchal J. Pilsudski inc. à verser à Construction Dompat inc. la somme de 3 996,30 $, représentant le solde impayé de son contrat relatif au mur sud, plus l’intérêt et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q., calculés depuis le 28 août 2007;

[363] ACCUEILLE en partie la demande reconventionnelle, avec les frais de justice;

[363A] CONDAMNE Construction Dompat inc. à verser à la Société des vétérans polonais de guerre du Maréchal J. Pilsudski inc., à titre de dommages, la somme de 40 481,59 $, plus l’intérêt et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q., calculés depuis l’assignation;

[363B] CONDAMNE Construction Dompat inc. à verser à la Société des vétérans polonais de guerre du Maréchal J. Pilsudski inc., à titre de frais d’experts, la somme de 17 229,60 $, plus l’intérêt et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q., calculés depuis la date du jugement;

[363C] ORDONNE aux parties d’opérer compensation à l’égard des sommes dues;

[210]     MAINTIENT les conclusions [364] à [366] du jugement de première instance.

 

 

 

 

JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A.

 

 

 

 

 

MANON SAVARD, J.C.A.

 

 

 

 

 

GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A.

 

Me Dominic Bianco

MERCADANTE DI PACE AVOCATS

Pour Construction Dompat inc.

 

Me Jeremy Wisniewski

LEGAULT, JOLY, THIFFAULT

Pour Société des vétérans polonais de guerre du Maréchal J. Pilsudski inc.

 

Me Roland-Yves Gagné

GAGNÉ TOBOLEWSKI

Pour Adalbert W. Goraczko et Aprosol Ltd.

 

Date d’audience :

23 octobre 2018

 



[1]     Construction Dompat inc. c. Société des vétérans polonais de guerre du maréchal J. Pilsudski inc., 2016 QCCS 3318 [Jugement entrepris].

[2]     À cette date, la Société des vétérans a déjà remis deux chèques à Dompat en paiement des travaux sur le mur ouest totalisant 56 976 $ à titre d’acompte (28 488 $ le 13 mai 2007 et 28 488 le 13 juillet 2007). Il reste donc alors 202 484,71 $ à payer.

[3]     Modifiée le 5 mars 2012, la somme réclamée grimpera à 358 895,27 $ : démolition et reconstruction du mur ouest (320 000 $), honoraires / Jacques Benmussa (6 964,39 $), honoraires / Thomas Egli (2 400 $), Maçonnerie A.S.P. (2006) inc. (5 530,88 $), honoraires / architecte Annie Lebel (18 000 $), honoraires / ingénieur Alain Mousseau (6 000 $).

[4]     Société des vétérans polonais de guerre du maréchal J. Pilsudski inc. c. Goraczko et al., C.S. Montréal, nº 500-17-050308-090, 20 août 2009, Casgrain, j.c.s.

[5]     2009 QCCA 2364.

[6]     2016 QCCS 1498 [Garderie Loulou de Marieville].

[7]     Pièce DSV-6.

[8]     Jugement entrepris, paragr. 52; il s’agit toutefois d’une erreur, les paiements de mai, juillet et septembre 2007 totalisant plutôt 100 276 $.

[9]     Id., paragr. 74.

[10]    Id., paragr. 79-80.

[11]    Id., paragr. 82; il écrira plus loin que Dompat « a exagéré considérablement au moment de facturer », paragr. 91.

[12]    Id., paragr. 83.

[13]    Id., paragr. 88.

[14]    Le juge voit dans cette façon de faire une autre manifestation du « stratagème » de Dompat (paragr. 111).

[15]    C’est le taux que le juge retient en lieu et place des frais de perception (20 %) et des intérêts (24 % l’an) que Dompat réclamait sur la base du contrat du 5 avril 2007. Le juge s’appuie ainsi sur la solution retenue par la Cour, lorsque confrontée au même problème dans Diamantopoulos c. Construction Dompat inc., 2013 QCCA 929.

[16]    Tous ces calculs sont sujets à l’erreur du juge dans son addition des paiements faits par la Société des vétérans en mai, juillet et septembre 2007, supra, note 8, le solde s’élevait donc à 23 282,22 $ plutôt que 22 282,22 $.

[17]    Jugement entrepris, paragr. 170.

[18]    Id., paragr. 172.

[19]    Id., paragr. 182.

[20]    Id., paragr. 183.

[21]    Id., paragr. 186.

[22]    Pour les fins de l’arrêt, la Cour a modifié l’ordre de présentation et précisé l’identification des normes auxquelles le juge réfère au paragr. 202 du jugement entrepris.

[23]    Un peu plus loin dans son jugement, le juge parle de « la menace d’écroulement » du mur (paragr. 246).

[24]    Il y a erreur. La soumission de Maçonnerie A.S.P. (2006) inc. s’élève à 350 928,38 $, taxes incluses. Contrairement à ce qu’il écrit, le juge semble plutôt avoir retenu le prix de la soumission plus élevée du Groupe Atwill-Morin.

[25]    Dépréciation sur une base linéaire calculée sur la base d’une durée de vie utile du mur de parement de 60 ans.

[26]    Comme la compensation judiciaire ne saurait bénéficier à Goraczko et Aprosol, le juge condamnera Dompat, Goraczko et Aprosol à payer 343 940,30 $, plus les intérêts et l’indemnité additionnelle à compter du 4 juin 2008, et Goraczko et Aprosol à payer un montant additionnel de 4 150,26 $, plus les intérêts et l’indemnité additionnelle à compter du 4 juin 2008 (paragr. 315-316 et 358-359).

[27]    Hydro-Québec c. Construction Kiewit cie, 2014 QCCA 947, paragr. 5-6 : « La Cour devra donc déterminer s'il s'agit ici d'un de ces rares cas où elle devra abandonner sa retenue habituelle à cet égard ». Par exemple : Francoeur c. 4417186 Canada inc., 2013 QCCA 191, paragr. 64-65.

[28]    Ford du Canada ltée c. Automobiles Duclos inc., 2007 QCCA 1541, paragr. 128.

[29]    Droit de la famille — 132381, 2013 QCCA 1505, paragr. 104.

[30]    Softmedical Inc. c. Daabous, 2017 QCCA 1270, paragr. 47.

[31]    Birdair Inc. c. Danny's Construction Company Inc., 2013 QCCA 580, paragr. 49 [Birdair Inc.]; Desrochers c. 2533-0838 Québec inc., 2016 QCCA 825, paragr. 49.

[32]    Birdair Inc., supra, note 31, paragr. 49-51, citant P.L. c. Benchetrit, 2010 QCCA 1505, paragr. 24.

[33]    Gutin c. Cenfood International Inc., 2018 QCCA 317, paragr. 24-27.

[34]    Jugement entrepris, paragr. 88.

[35]    Id., paragr. 183.

[36]    Id., paragr. 83.

[37]    Id., paragr. 104.

[38]    Hydro-Québec c. Construction Kiewit cie, supra, note 27, paragr. 102.

[39]    Contre-interrogatoire de M. Benmussa, 21 janvier 2016.

[40]    Jugement entrepris, paragr. 189-191.

[41]    Interrogatoire de Morris Charney.

[42]    C’est le cas notamment des articles 9.5.1.1 à 9.5.1.4 de la norme CSA A370-94 citée au soutien de l’énoncé des lacunes du premier sous-paragraphe du paragraphe 202 du jugement dont appel.

[43]    Antoine Bigenwald, « Les garanties légales de la construction pour vices graves et malfaçons : tendances de la jurisprudence depuis l’an 2000 », dans La Collection Blais, vol. 10, « Construction  ̶ Aspects juridiques », Cowansville, Yvon Blais, 2011, 65, p. 75. Voir aussi : Compagnie d'assurances St-Paul/St-Paul Marine & Fire Insurance Company c. SNC-Lavalin inc., 2011 QCCA 1551, paragr. 34 à 36. Sur les normes découlant du CNB, voir : Spera c. Mancini Construction inc., 2016 QCCS 657, paragr. 19. Aussi, la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a appliqué le même raisonnement quant au CNB : G & S Haulage Ltd. v. Park Place Centre Ltd., 2011 NSCA 29, paragr. 62.

[44]    Jean-Louis Baudouin, Patrice Deslauriers et Benoît Moore, La responsabilité civile, 8e éd., vol. 2, Cowansville, Yvon Blais, 2014, n° 2-252, p. 291-293.

[45]    L’article 2118 C.c.Q. édicte ceci :

2118. À moins qu'ils ne puissent se dégager de leur responsabilité, l'entrepreneur, l'architecte et l'ingénieur qui ont, selon le cas, dirigé ou surveillé les travaux, et le sous-entrepreneur pour les travaux qu'il a exécutés, sont solidairement tenus de la perte de l'ouvrage qui survient dans les cinq ans qui suivent la fin des travaux, que la perte résulte d'un vice de conception, de construction ou de réalisation de l'ouvrage, ou, encore, d'un vice du sol.

2118. Unless they can be relieved from liability, the contractor, the architect and the engineer who, as the case may be, directed or supervised the work, and the subcontractor with respect to work performed by him, are solidarily liable for the loss of the work occurring within five years after the work was completed, whether the loss results from faulty design, construction or production of the work, or defects in the ground.

 

      [Soulignements ajoutés]

[46]    Silo Supérieur (1993) Inc. c. Ferme Kaech & Fils Inc., 2004 CanLII 13319 (QC CA), paragr. 29-30. Les autres conditions de l’article 2118 C.c.Q. doivent également être remplies, mais elles ne sont pas au cœur du présent litige.

[47]    J.-L. Baudouin, P. Deslauriers et B. Moore, La responsabilité civile, supra, note 44, p. 290-291. D’ailleurs, en vertu de leur relation contractuelle, les appelants sont aussi tenus de respecter les règles de l’art en vertu de l’article 2100 C.c.Q.

[48]    Id., p. 294.

[49]    Construction GMR inc. c. Syndicat des copropriétaires du 521 de Cannes à Gatineau, 2018 QCCA 129, paragr. 6 [Construction GMR inc.].

[50]    Gestion G.M. inc. c. Construction Daniel Dumont & Fils inc., 1997 CanLII 10573, EYB 1997-00644. Repris dans Entrepôt International Québec, s.e.c. c. Protection incendie de la Capitale inc., 2014 QCCA 617, paragr. 3.

[51]    Construction GMR inc., supra, note 49, paragr. 10, citant : Vincent Karim, Contrats d’entreprise, contrat de prestation de services et l’hypothèque légale, 3e éd., Wilson & Lafleur, 2015, p. 533.

[52]    Ibid.

[53]    Voir la facture du couvreur, pièce PD-5. Tel que requis par la clause 5.13.5 de la norme A371-94.

[54]    Contre-interrogatoire de Thomas Egli. Il parle de l’état du Mur Ouest au moment de la rédaction du rapport et il faut distinguer le mur porteur et le parement : Copie du rapport de l’expert ingénieur en structure Thomas Egli ing. pour Groupe EGP daté du 26 mai 2008, pièce PSV-8.

[55]    Id., p. 3174.

[56]    Id., p. 3096.

[57]    Rapport Charney, pièce PD-12.

[58]    Pièces DAP-16 et DAP-25.

[59]    Jugement entrepris, paragr. 33, et note de bas de page 16, pièce DAP-16.

[60]    Pièce DAP-25.

[61]    Le juge mentionne en note de bas de page 16 qu’il s’agit de la pièce DAP-16.

[62]    Rapport Benmussa, pièce PSV-7, p. 18.

[63]    Rapport Charney, pièce PD-12.

[64]    Pièce PD-12, p. 10.

[65]    Pièce DAP-20.

[66]    Ibid.

[67]    Soulignons que le mur ouest est le seul qui ne fait pas l’objet d’une déclaration de dangerosité. En effet, les trois autres murs de l’immeuble vieux de près de 100 ans sont en mauvais état et sont visés par une déclaration de dangerosité auprès de la Régie du bâtiment, voir la pièce PSV-26.

[68]    L’article 2120 C.c.Q. prévoit à cet égard :

      2120.  L'entrepreneur, l'architecte et l'ingénieur pour les travaux qu'ils ont dirigés ou surveillés et, le cas échéant, le sous-entrepreneur pour les travaux qu'il a exécutés, sont tenus conjointement pendant un an de garantir l'ouvrage contre les malfaçons existantes au moment de la réception, ou découvertes dans l'année qui suit la réception.

      2120.  The contractor, the architect and the engineer, for the work they directed or supervised, and, where applicable, the subcontractor, for the work he performed, are jointly bound to warrant the work for one year against poor workmanship existing at the time of acceptance or discovered within one year after acceptance.

 

[69]    Voir la pièce PD-4, p. 392.

[70]    Contre-interrogatoire de M. Goraczko.

[71]    Voir les pièces PD-4 à PD-6.

[72]    Jugement entrepris, paragr. 269. Tel que mentionné précédemment à la note 21, le juge réfère à la soumission de Maçonnerie A.S.P. (2006) inc., d’un montant de 373 842 $ après taxes, mais se méprend à cet égard avec la soumission de Atwill-Morin, puisque la soumission de Maçonnerie A.S.P. (2006) inc. s’élève à 350 928,38 $, taxes incluses.

[73]    Pièce DAP-24, telle que déposée au soutien du procès-verbal DAP-23.

[74]    Pièce PD-1.

[75]    Id.

[76]    Pièce PSV-8, p. 2.

[77]    Id.

[78]    Rapport de l’expert Joe Di Cesare daté du 29 novembre 2011, vol. 5, p. 1586.

[79]    2016 QCCA 739, paragr. 195, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 22 décembre 2016, nº 37093.

[80]    2002 CanLII 63646, paragr. 2-3, AZ-02019103 (C.A.).

[81]    1988 CanLII 434, AZ-88011370 (C.A.).

[82]    Jugement entrepris, paragr. 145; sans corriger l’erreur du juge dans le calcul des paiements faits par la Société des vétérans, supra, note 16.

[83]    Id., paragr. 169.

[84]    Jugement entrepris, paragr. 251.

[85]    Id., paragr. 255 et 263. Note : le juge ne me semble pas traiter la question sous l’angle de la double indemnisation.

[86]    Jean-Louis Baudouin, Pierre-Gabriel Jobin et Nathalie Vézina, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2013, paragr. 630, note 139, s’appuyant sur la décision Dulude c. Carloni, [1970] C.S. 257.

[87]    Id., paragr. 626.

[88]    Jugement entrepris, paragr. 240; les appelants l’admettent au paragraphe 135 de leur argumentation.

[89]    La Société des vétérans soulève d’ailleurs cette question dans son appel incident. La Cour en traitera au point suivant.

[90]    Simard c. Larouche, 2011 QCCA 911, paragr. 108-109, repris dans Gutin c. Cenfood International Inc., 2018 QCCA 317 où la Cour d’appel précise au paragr. 52 que « these comments are applicable mutatis mutandis to art. 339 and 340 C.C.P. ». Voir aussi : 2414-9098 Québec inc. c. Pasagard Development Corporation, 2017 QCCA 1515, paragr. 97.

[91]    Ly c. Construction Sainte Gabrielle inc., 2018 QCCA 1438, paragr. 59.

[92]    Du moins, on ne pouvait départager ce qui se trouvait sur ces factures.

[93]    Ly c. Construction Sainte Gabrielle inc., supra, note 91, paragr. 58-60.

[94]    Jugement entrepris, paragr. 288-316.

[95]    Dans leur mémoire, les appelants plaident même que ce droit a été « anéanti ».

[96]    À l’origine, et jusqu’à ce qu’un règlement intervienne entre la Société des vétérans et l’architecte, son codéfendeur était l’architecte et non l’entrepreneur.

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