Décision

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Syndicat de la copropriété Roccabella c. Hazout

2023 QCTAL 9476

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

383818 31 20180228 G

No demande :

2445890

 

 

Date :

28 mars 2023

Devant le juge administratif :

Alexandre Henri

 

Syndicat de la copropriété Roccabella

 

Syndicat de copropriété - Partie demanderesse

c.

Kevin Hazout

 

Locataire - Partie défenderesse

et

 

Rima Wehbe

 

Locatrice – partie intéressée

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Par une demande introduite le 28 février 2018, le Syndicat de copropriété requiert la résiliation du bail et l’expulsion du locataire.

[2]         Au soutien de sa demande, le Syndicat de copropriété allègue que le locataire et les occupants de son logement troublent de manière importante la quiétude et la jouissance paisible des autres copropriétaires de l’immeuble, en raison de bruits excessifs, de musique forte et d’odeurs de cigarette et de marijuana.

[3]         Le 3 juillet 2018, le dossier est remis sine die à la suite d’une entente intervenue entre les parties.

[4]         Le dossier demeure suspendu pendant plus de trois ans, jusqu’à ce que le Syndicat de copropriété le réactive le 14 octobre 2021, en déposant une demande de réinscription au rôle ainsi qu’un amendement.

APERÇU

[5]         Le Roccabella est un complexe de condominiums de luxe situé en plein cœur du centre-ville de Montréal, comportant deux tours d’habitation de 40 étages ainsi qu’un stationnement intérieur. Une troisième tour est présentement en cours de construction.

[6]         La tour #1 comprend 275 unités de copropriété et la tour #2 comprend 268 unités de copropriété.

[7]         Le logement loué par le locataire est situé au 3e étage de la Tour #1. Il est composé de deux petites unités de copropriété (#305 et #306) ayant été jumelées pour en faire une spacieuse unité de 6 ½ pièces, comprenant aussi une grande terrasse d’environ 1 000 pieds carrés.

[8]         Le logement appartient à la société 9349-3930 Québec inc., dont Mme Rima Wehbe est la seule actionnaire et administratrice.


[9]         Madame Wehbe agit à titre de locatrice du logement aux termes d’un bail conclu avec le locataire pour la période du 1er juin 2017 au 30 mai 2019.

[10]     Ce bail a par la suite été reconduit, d’année en année, et ce, jusqu’au 30 mai 2023. Le loyer mensuel est actuellement de 4 350 $.

[11]     Le locataire n’habite plus le logement depuis le mois de janvier 2022, celui-ci étant désormais occupé par ses deux frères, Yorel et Rubens. Le locataire a tenté de leur céder le bail à l’automne 2022, mais la locatrice a refusé d’y consentir.

[12]     Conséquemment, M. Kevin Hazout demeure donc, pour l’instant, locataire en titre du logement, même s’il n’y habite plus.

[13]     Depuis le mois de mai 2017, le Syndicat de copropriété a reçu plus d’une trentaine de plaintes de la part d’autres copropriétaires de l’immeuble concernant les bruits et nuisances découlant de soirées festives dans le logement du locataire, principalement sur la terrasse, souvent à des heures avancées de la nuit.

[14]     Le Syndicat de copropriété reproche aussi au locataire plusieurs infractions liées à l’utilisation inappropriée des espaces de stationnement de l’immeuble, en contravention du règlement de copropriété.

[15]     Le Syndicat de copropriété soutient être justifié de demander la résiliation du bail en raison du préjudice sérieux causé aux autres copropriétaires de l’immeuble dont la jouissance paisible est troublée par les bruits excessifs et les nuisances provenant du logement du locataire. Il invoque aussi un alourdissement de la gestion de l’immeuble occasionné par les multiples plaintes reçues.

[16]     La résiliation du bail est la seule avenue possible, avance le Syndicat de copropriété, afin de pouvoir retrouver la quiétude dans l’immeuble.

[17]     Pour sa part, la locatrice souscrit entièrement aux prétentions du Syndicat de copropriété et acquiesce aux conclusions recherchées à l’encontre de son locataire.

[18]     En défense, le locataire conteste vigoureusement les troubles de jouissance qui lui sont reprochés, affirmant ne causer aucun bruit excessif. Il fait valoir qu’il a le droit de recevoir des amis chez lui, tout en étant soucieux de ne pas déranger ses voisins.

[19]     Il prétend être victime de représailles de la part d’un autre copropriétaire qui habite deux étages plus haut, en l’occurrence M. Jordan Cohen. Il reproche à ce dernier d’être intolérant et harcelant envers lui et ses invités.

[20]     Il souligne que plus de 90% des plaintes proviennent de ce copropriétaire, alors qu’il n’a jamais eu aucun problème avec ses autres voisins.

QUESTIONS EN LITIGE

[21]     Le locataire trouble-t-il la jouissance normale des autres copropriétaires ou occupants de l’immeuble?

[22]     Dans l’affirmative, ces troubles de jouissance causent-ils un préjudice sérieux justifiant la résiliation du bail?

PREUVE EN DEMANDE

[23]     Le Syndicat de copropriété fait état d’un total de 31 incidents impliquant le locataire depuis le mois de mai 2017. Il dépose en preuve 17 rapports d’incident ayant été rédigés par ses agents de sécurité entre le 12 novembre 2017 et le 13 avril 2022 concernant des plaintes pour bruits excessifs, musique forte et odeurs de cigarette et de marijuana.

[24]     Le Syndicat de copropriété a transmis plusieurs lettres de mise en demeure au locataire, le sommant de cesser d’importuner les autres copropriétaires de l’immeuble en plus de lui imposer des pénalités en lien avec des infractions au règlement de l’immeuble. Une copie de ces lettres a également été transmise à la locatrice. À ce jour, plusieurs milliers de dollars de pénalité demeurent impayés.


[25]     Au soutien de ses prétentions, le Syndicat de copropriété fait entendre quatre témoins. Leurs témoignages se résument, pour l’essentiel, comme suit :

Témoignage de Jordan Cohen

[26]     Monsieur Cohen est propriétaire de l’unité de copropriété #505 au 5e étage de la tour #1 de l’immeuble. Son unité est située deux étages au-dessus du logement du locataire.

[27]     Le balcon de l’unité de M. Cohen surplombe la terrasse du locataire, lui donnant une vue « panoramique » sur celle-ci.

[28]     Il habite l’unité #505 depuis le mois de mai 2016 avec sa conjointe et son beau-fils. Il a cependant quitté les lieux en septembre 2022[1], n’en pouvant plus d’endurer les troubles et les bruits excessifs causés par les multiples soirées festives sur la terrasse du logement.

[29]     Les premiers troubles de jouissance ont débuté en mai 2017, relate M. Cohen. Depuis ce temps, les fêtes se sont multipliées dans le logement de manière continue, et ce, pendant plus de cinq années, avec un léger répit en 2020 en raison du confinement relié à la pandémie de la Covid-19. Les fêtes pouvaient parfois durer jusqu’à trois jours d’affilée, ajoute-t-il.

[30]     Il raconte que le locataire et ses invités se rassemblent sur la terrasse du logement dans le courant de l’après-midi, puis ils quittent pour aller festoyer dans les bars du centre-ville, pour ensuite revenir en plus grand nombre en fin de soirée et poursuivre la fête jusque tard dans la nuit.

[31]     Il se plaint essentiellement de bruits excessifs causés par la musique forte et les gens qui parlent à voix haute, principalement sur la terrasse du logement.

[32]     Il entendait les bruits non seulement à partir de son balcon mais également à l’intérieur de son unité de condo, comme s’il était dans une boîte de nuit, dit-il.

[33]     Monsieur Cohen et sa conjointe se sont plaints de la situation à 30 ou 40 reprises auprès du Syndicat de copropriété, mais en vain. Lorsque les agents de sécurité se présentaient au logement, le locataire baissait la musique et cessait de faire du bruit. Les bruits recommençaient à nouveau quelques minutes plus tard, soit,  dès que les agents de sécurité quittaient, explique-t-il.

[34]     Il mentionne avoir aussi porté plainte à quelques reprises auprès des services policiers.

[35]     Le locataire n’a aucune considération ni respect pour les autres occupants de l’immeuble, avance M. Cohen.

[36]     Il témoigne que les bruits excessifs ont gravement affecté sa qualité de vie ainsi que celle de sa conjointe, en plus de nuire aux études de son beau-fils. Son manque de sommeil a aussi eu des répercussions négatives sur son travail.

[37]     Il précise avoir démissionné, il y a quelques années, de son poste de vice-président du conseil d’administration du Syndicat de copropriété, afin d’éviter toute perception négative en lien avec le présent litige.

Témoignage de Benoit Lamoureux

[38]     Monsieur Lamoureux a travaillé comme agent de sécurité au Roccabella de juillet 2018 à juillet 2021.

[39]     Il témoigne relativement aux rapports d’incident du 9 juin 2019, 24 juillet 2020, 28 novembre 2020 et 20 mars 2021.

[40]     Il précise qu’il s’agissait pour la plupart de plaintes concernant de la musique forte, des bruits excessifs et/ou des odeurs de tabac et de marijuana provenant du logement et de la terrasse du locataire.

[41]     Il mentionne que le locataire et les occupants du logement collaboraient bien lorsqu’il se présentait à la porte du logement à la suite d’une plainte. Il était bien accueilli et la situation se réglait rapidement, relate-t-il. Malgré le fait que le locataire était souvent à l’extérieur du pays, il arrivait tout de même à régler la situation en le joignant par téléphone.


Témoignage d’Annie Delcourt

[42]     Madame Delcourt a été superviseure de la sécurité au Roccabella de 2019 à 2021.

[43]     Elle relate que le Syndicat de copropriété a reçu des plaintes concernant le locataire pratiquement à toutes les semaines. Aucune autre unité de l’immeuble n’a reçu autant de plaintes, ajoute-t-elle.

[44]     Elle ne s’est jamais personnellement déplacée au logement du locataire, les plaintes étant généralement logées durant la nuit, alors qu’elle travaillait principalement le jour.

[45]     Elle témoigne que le locataire et ses frères se stationnaient souvent dans le débarcadère de l’immeuble pendant plus de 15 minutes, ce qui contrevient au règlement de l’immeuble. Elle a dû communiquer avec eux à ce sujet au moins une fois par semaine.

Témoignage de Carmine Mangiante

[46]     Monsieur Mangiante est directeur des opérations pour le Syndicat de copropriété depuis le mois d’octobre 2017.

[47]     Dans le cadre de ses fonctions, il est notamment appelé à gérer le personnel et s’occuper des plaintes. Il lit tous les rapports d’incident, assure-t-il.

[48]     Il explique en détail le processus de gestion des plaintes et il passe en revue certaines clauses du règlement de l’immeuble concernant le bruit (clause 1.2), l’interdiction de consommer du cannabis (clause 1.5) et l’utilisation des espaces de stationnement (clause 8.6).

[49]     Il passe également en revue les rapports d’incident déposés en preuve ainsi que les lettres d’avis d’infraction qui ont été transmises au locataire et à la locatrice.

[50]     Bien que le Syndicat de copropriété ait reçu 31 plaintes concernant les nuisances provenant du logement du locataire, il précise s’être limité à produire seulement 17 rapports d’incident, en sélectionnant un « best of » de ceux-ci.

[51]     Il indique que la dernière plainte remonte au 13 avril 2022, soit il y a plus de dix mois.

[52]     Il témoigne quant aux répercussions négatives de ces nombreuses plaintes pour le Syndicat de copropriété.

[53]     D’une part, il souligne le surcroît de travail pour les agents de sécurité qui doivent se déplacer au logement et rédiger des rapports d’incident, sans compter le travail de son adjointe qui prépare les avis d’infraction. D’autre part, il fait état de l’insatisfaction des copropriétaires face aux actions du Syndicat de copropriété qui n’arrive pas à faire cesser les problèmes de bruit depuis plus de quatre ans.

[54]     Lors de son contre-interrogatoire, M. Mangiante confirme que la très grande majorité des plaintes provient de M. Cohen, ce qui représente plus de 90% des plaintes. Il y a, dit-il, un ou deux autres résidents de l’immeuble qui se sont aussi plaints.

[55]     Questionné quant au processus de gestion des plaintes, il mentionne que les agents de sécurité interviennent seulement lorsqu’il y a une plainte, mais ils ne font pas d’enquête auprès des autres copropriétaires voisins pour vérifier s’ils entendent du bruit.

PREUVE EN DÉFENSE

[56]     Le locataire témoigne pour sa défense, en plus de faire entendre comme témoin deux autres personnes habitant l’immeuble. Leurs témoignages se résument, pour l’essentiel, comme suit :

Témoignage du locataire Kevin Hazout

[57]     Monsieur Hazout prétend faire l’objet d’une vendetta personnelle de la part de M. Cohen. Il soutient que ce dernier fait preuve d’intolérance en portant plainte au moindre de bruit.


[58]     Il soutient que M. Cohen fait pression sur les agents de sécurité en tirant avantage de son statut de vice-président du conseil d’administration.

[59]     Il est normal d’inviter des amis chez soi, fait-il valoir. Il affirme être respectueux des autres occupants de l’immeuble et il souligne n’avoir eu aucun problème avec ses voisins, sauf avec M. Cohen qui est harcelant et intimidant envers lui et ses invités.

[60]     Il reproche à M. Cohen de crier après ses invités lorsqu’ils se trouvent sur la terrasse. Ce dernier les traite de prostitués et les menace de leur lancer de l’eau. Il lui arrive aussi de hurler à voix haute dans le corridor.

[61]     De plus, il raconte que M. Cohen lui crie des injures lorsqu’il s’entraîne sur la terrasse avec son entraîneur personnel.

[62]     Il allègue que M. Cohen trouble sa propre jouissance paisible. Il témoigne avoir quitté son logement car il n’en pouvait plus d’endurer toute cette pression de la part de M. Cohen. Le logement est présentement occupé par ses deux frères, précise-t-il, mais il est demeuré locataire des lieux.

[63]     Il reproche au Syndicat de copropriété de ne pas avoir fait d’enquête pour vérifier la source des bruits, alors que la grande majorité des plaintes provenaient de M. Cohen.

[64]     Il affirme qu’il ne fume jamais, mais il reconnaît qu’il est possible que l’un de ses invités ait pu fumer à l’occasion sur la terrasse.

Témoignage d’Alexandre Khoury

[65]     Monsieur Khoury habite l’unité de condo #304 dans la Tour #1 de l’immeuble, laquelle est située immédiatement à côté du logement du locataire.

[66]     Il témoigne n’avoir eu aucun problème avec le locataire depuis qu’il a emménagé dans son unité en 2020. Il n’a jamais entendu de bruits forts provenant du logement voisin, dit-il.

[67]     Il mentionne sentir à l’occasion des odeurs de cigarette, mais celles-ci proviennent des balcons au-dessus du sien.

[68]     Il précise lors de son contre-interrogatoire que le locataire n’est pas son ami et qu’il s’agit seulement d’un voisin.

Témoignage de Zidane Abdellaoui

[69]     Monsieur Abdellaoui est propriétaire de l’unité de condo #606, laquelle est située au 6e étage de la tour #1 de l’immeuble. Son balcon donne sur le même côté que la terrasse du logement du locataire.

[70]     Il a habité à cet endroit entre les mois d’août 2020 et septembre 2021. Depuis ce temps, il loue son unité.

[71]     Il témoigne n’avoir jamais entendu de bruit ou de nuisance provenant de la terrasse du logement du locataire. Il a également pris soin de s’enquérir de la situation auprès de sa locataire, et celle-ci n’avait rien à dire contre le locataire, ajoute-t-il.

[72]     Il souligne être le premier à se plaindre lorsqu’il y a des nuisances. Il s’est d’ailleurs déjà plaint du bruit provenant de l’unité au-dessus de la sienne, mais jamais à l’égard du logement du locataire.

DROIT APPLICABLE

Recours du Syndicat de copropriété

[73]     Le recours en résiliation de bail du Syndicat de copropriété trouve son fondement au premier alinéa de l’article 1079 du Code civil du Québec (C.c.Q.) :

1079. Le syndicat peut, après avoir avisé le locateur et le locataire, demander la résiliation du bail d’une partie privative lorsque l’inexécution d’une obligation par le locataire cause un préjudice sérieux à un copropriétaire ou à un autre occupant de l’immeuble.


[74]     Par le biais de cet article, le législateur permet au Syndicat de copropriété de se substituer aux droits de la locatrice, alors même qu’il n’est pas partie au bail.

[75]     Le présent Tribunal a compétence pour entendre un tel litige en vertu de l’article 28 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[2]. À ce sujet, le soussigné fait sienne l’analyse de la juge administrative Anne Laverdure qui s’est penchée sur cette question dans l’affaire Chavoin c. Romain[3],

« Le Tribunal est-il compétent pour entendre cette demande?

[14] Le syndicat est substitué aux droits de la locatrice par le biais de l'article 1079 du Code civil du Québec qui édicte : […]

[15] La question se pose à qui le syndicat peut-il demander la résiliation du bail. D'entrée de jeu, il apparaît que les articles du Code civil du Québec qui seront appliqués par le décideur sont les articles sur le louage résidentiel.

[16] Or, l'article 28 de la Loi sur la Régie du logement donne cette juridiction à la Régie du logement : […]¸

 [17] En suivant ce raisonnement, notre collègue, Me Gilles Joly' a décidé dans l'affaire Syndicat des copropriétaires c. Thierry Delourme que la Régie du logement avait compétence. Son jugement a fait l'objet d'une permission d'en appeler notamment sur la question de la compétence. Madame la juge Micheline Sasseville a rejeté la requête pour permission d'en appeler de la décision de Me Gilles Joly.

[18] Le Tribunal estime qu'il a compétence et se penche donc sur la demande du syndicat. »

[Nos soulignements] [Références omises]

Obligations du locataire

[76]     Le législateur impose diverses obligations au locataire, dont celle d’user des lieux loués avec prudence et diligence en vertu de l’article 1855 C.c.Q. :

1855. Le locataire est tenu, pendant la durée du bail, de payer le loyer convenu et d'user du bien avec prudence et diligence.

[77]     L’article 1860 C.c.Q. prévoit aussi l’obligation pour le locataire de ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires :

1860. Le locataire est tenu de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires.

Il est tenu, envers le locateur et les autres locataires, de réparer le préjudice qui peut résulter de la violation de cette obligation, que cette violation soit due à son fait ou au fait des personnes auxquelles il permet l'usage du bien ou l'accès à celui-ci.

Le locateur peut, au cas de violation de cette obligation, demander la résiliation du bail.

[78]     Cet article trouve application au présent cas même si les troubles de jouissance allégués visent un copropriétaire et non pas un autre locataire de l’immeuble, tel que l’énonce avec justesse le juge administratif Luk Dufort dans l’affaire Syndicat 365 Saint-André c. Chaouche[4] :

« [19] L'article 1860 du Code civil du Québec prévoit que le locataire ne doit pas nuire à la jouissance des autres locataires. […]

 [20] Cette disposition doit se lire conjointement avec l'article 1079 C.c.Q. qui prévoit le droit du syndicat de copropriété de demander la résiliation du bail d'une partie privative. Pour le Tribunal, bien que l'article 1860 C.c.Q fait référence à la jouissance normale des autres locataires, les autres occupants de l'immeuble qu'ils soient propriétaires occupants ou encore locataires ont le droit à l'usage paisible de leur propriété. Cette obligation du locataire se retrouve également au règlement de l'immeuble. »

[Notre soulignement]

[79]     Le droit à la jouissance paisible des occupants d’un immeuble est subordonné à l’obligation de tolérance envers ses voisins, tel que prévu à l’article 976 C.c.Q. :

976. Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n'excèdent pas les limites de la tolérance qu'ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leurs fonds, ou suivant les usages locaux.

[80]     Afin d’obtenir la résiliation du bail, le Syndicat de copropriété doit démontrer que le locataire trouble la jouissance normale des autres copropriétaires ou occupants de l’immeuble et qu’il s’ensuit un préjudice sérieux pour ces derniers.

Fardeau de preuve

[81]     Il convient ici de faire un bref rappel des règles de preuve applicables en matière civile.

[82]     En vertu des articles 2803 et 2804 C.c.Q., il incombe à la partie qui veut faire valoir un droit de prouver les faits au soutien de ses prétentions, et ce, de façon prépondérante. Celle-ci doit démontrer que le fait litigieux est non seulement possible, mais probable[5].

[83]     Si la preuve offerte n'est pas suffisamment convaincante, ou encore si la preuve est contradictoire et que le Tribunal est dans l'impossibilité de déterminer où se situe la vérité, celui sur qui reposait l'obligation de convaincre perdra[6].

ANALYSE ET DÉCISION

Remarques préliminaires quant à l’objet du litige

[84]     Considérant que les deux principaux protagonistes, à savoir M. Cohen et M. Hazout, n’habitent plus l’immeuble depuis plusieurs mois, le Tribunal s’est questionné à savoir si l’objet du litige était devenu purement théorique et si la résiliation du bail était toujours pertinente, d’autant plus que les nuisances ont cessé depuis le mois d’avril 2022.

[85]     Malgré cela, l’avocate du Syndicat de copropriété insiste pour que le bail soit résilié, faisant valoir qu’il serait absurde de récompenser le locataire alors que celui-ci a eu raison de la patience de M. Cohen en le forçant à quitter son unité de condo en raison des troubles de jouissance dont il est lui-même la cause.

[86]     De plus, elle soutient que le fait que M. Hazout n’habite plus le logement ne devrait pas être considéré, puisque celui-ci est toujours le locataire du logement et qu’il est susceptible d’y revenir à n’importe quel moment.

[87]     Même s’il n’y a pas eu d’incident rapporté depuis le mois d’avril 2022, le Syndicat de copropriété est persuadé que le locataire s’est tout simplement calmé de manière stratégique en prévision de l’audition du recours en sachant qu’il risquait de perdre son logement. En cas de rejet du recours, il craint que les bruits et nuisances recommencent à nouveau.

[88]     Dans un tel contexte, l’avocate du Syndicat de copropriété plaide que le principe selon lequel il n'existe pas de droit acquis à la résiliation du bail ne trouve pas application en l’espèce.

[89]     Pour sa part, l’avocate du locataire est d’avis que le Tribunal doit se placer au moment de l’audience pour analyser le recours. En l’instance, elle fait valoir qu’il n’existe plus aucun préjudice au jour de l’audience donnant ouverture à la résiliation du bail.

[90]     Après analyse de la situation, le Tribunal souscrit aux arguments du Syndicat de copropriété et estime que le présent litige demeure d’actualité et qu’il est toujours pertinent qu’il soit tranché.

[91]     Cette question étant réglée, passons maintenant à l’examen du bien-fondé du recours intenté par le Syndicat de copropriété.

Le locataire trouble-t-il la jouissance normale des autres copropriétaires ou occupants de l’immeuble?

[92]     Le Tribunal retient de la preuve que le locataire reçoit des invités chez lui et organise des fêtes sur la terrasse de son logement, et ce, à répétition depuis 2017.

[93]     Bien entendu, personne ne remet en question le fait que le locataire a le droit de recevoir des gens chez lui. Cependant, il ne faut pas que les fêtes occasionnent des nuisances ou des bruits excessifs qui dépassent les inconvénients normaux du voisinage.

[94]     Le locataire doit s’assurer d’user de son logement de manière prudente et diligente, tout en respectant la quiétude à laquelle ses voisins ont droit.

[95]     En matière de troubles de voisinage, le caractère excessif du bruit est bien souvent une question de perception et dépend du degré de tolérance de chacun. Ce qui est acceptable pour certaines personnes peut ne pas l’être pour d’autres. 

[96]     La doctrine et la jurisprudence ont établi un certain nombre de critères servant à nous guider pour déterminer si un bruit excède les limites de la tolérance.

[97]     En matière de troubles de voisinage, le professeur Pierre-Gabriel Jobin indique dans son traité sur le louage que le comportement fautif du locataire doit s'avérer excessif, anormal, déraisonnable et suffisamment répété, constant, continu ou persistant[7].

[98]     Faisant écho aux propos du professeur Jobin, la juge administrative Francine Jodoin mentionne les principes suivants dans l’affaire Morin c. Abraham[8] :

« La preuve doit révéler une série de faits établissant des inconvénients anormaux ou excessifs qui présentent un caractère de persistance ou de répétition; le locataire auteur du trouble doit avoir agi de façon illégitime ou fautive; il faut aussi prouver la dénonciation du trouble au locateur et sa persistance par la suite.

En cette matière, le tribunal ne peut fonder son appréciation sur des considérations subjectives et doit chercher à déterminer si la locataire plaignante a vécu une situation qui, par sa répétition, insistance et ampleur constitue une atteinte grave, excessive ou déraisonnable justifiant la sanction réclamée. Cette analyse doit se fonder sur des critères objectifs et probants. Ce qui est incommodant pour certains peut ne pas l'être pour d'autres et ainsi, le tribunal est appelé à se prononcer uniquement sur une situation extraordinaire et inhabituelle.

[…]

Toutefois, il n'est, certes, pas raisonnable d'exiger dans un immeuble à logements multiples, une quiétude comparable à celle que l'on retrouverait dans un immeuble non locatif. De la même façon que la présence d'une famille nombreuse risque plus de perturber un locataire qui vit au-dessous qu'une personne vivant seule. Après analyse, le tribunal doit constater que la locataire se plaint, essentiellement, de bruits provoqués par les activités des enfants. Or, il n'a pas été démontré que ces derniers étaient anormalement turbulents ou agités sauf un ou deux évènements relatés ni que les bruits étaient, de façon persistante, excessifs et abusifs. »

[Nos soulignements]

[99]     Plus récemment, la juge administrative Sophie Alain rappelle ces mêmes principes dans l’affaire Harvey c. Potvin[9] :

« [36] Si un locataire (incluant les occupants et les invités) ne respecte pas son obligation de bien se conduire, le locateur peut demander la résiliation du bail. Le Tribunal doit fonder son appréciation sur des considérations objectives et probantes. Ceci implique que le Tribunal ne tient pas compte de la sensibilité particulière d’un plaignant (due, par exemple, à son âge ou à son état de santé).

[37] Le Tribunal doit enfin déterminer si une situation, par sa répétition, insistance et ampleur, constitue une atteinte grave, excessive ou déraisonnable à la jouissance des autres. En bref, il doit s’agir d’une situation extraordinaire et inhabituelle. »

[Nos soulignements] [Référence omise]

[100]  Dans l'affaire 9185-4000 Québec inc. c. Centre commercial Innovation inc.[10], la Cour d’appel rappelle les critères qui se dégagent de l’article 976 C.c.Q. :

« [22] Pour apprécier le comportement fautif, il est possible, par analogie, de référer aux critères qui se dégagent de l'article 976 C.c.Q. Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n'excèdent pas les limites de la tolérance qu'ils se doivent. Comme l'explique le professeur Deslauriers, « chacun doit supporter les bruits et les inconvénients raisonnables, sans cependant être obligé de subir les excès... ».

[23] Ainsi, la jouissance normale des lieux s'apprécie selon les circonstances de l'affaire et la perception d'une personne raisonnable. De même, les inconvénients normaux du voisinage s'évaluent selon la nature, la situation ou les usages. Il faut en déduire que les colocataires doivent supporter le bruit et les inconvénients normaux du voisinage, sans cependant être obligés d'en subir les excès. Ce ne sont que les inconvénients qui présentent un caractère anormal et persistant qui doivent être sanctionnés. »

[Références omises] [Notre soulignement]

[101]  Ces principes étant établis, qu’en est-il en l’instance?

[102]  Dans notre analyse du degré de tolérance, il faut tenir compte du fait que le logement est situé dans un complexe de condominiums comportant plus de 500 unités d’habitation avec des balcons, des terrasses et plusieurs espaces communs.

[103]  En choisissant d’aller habiter dans une tour à condominiums en plein cœur du centre-ville de Montréal, les copropriétaires ne peuvent certes s’attendre à la même quiétude que celle qu’on peut habituellement retrouver dans une maison unifamiliale en banlieue. Ceci dit, cela ne veut pas dire qu’ils doivent supporter des bruits excessifs qui dépassent les limites du bon voisinage.

[104]  Dans le cas sous étude, la preuve démontre que plus de 90% des plaintes proviennent du même copropriétaire ou de sa conjointe, dont l’unité de condo est située deux étages au-dessus du logement du locataire.

[105]  Il est pour le moins surprenant de constater qu’il n’y a eu aucune plainte de la part des occupants des unités situées sur le même étage que le locataire ou l’étage au-dessus, et ce, sur une période de plus de cinq ans.

[106]  Cet élément fait pencher la balance en faveur de la version du locataire. Sinon, comment expliquer que pratiquement personne d’autre que M. Cohen ne se soit plaint parmi les nombreux copropriétaires ou occupants de l’immeuble, alors que M.Cohen habite deux étages au-dessus du logement?

[107]  Le Syndicat de copropriété ne semble avoir fait aucune véritable enquête ni vérification auprès des autres voisins pour tenter d’y voir plus clair et déterminer si les plaintes de M. Cohen étaient justifiées ou non.

[108]  L’agent de sécurité Lamoureux a témoigné avoir entendu des bruits dans le corridor lorsqu’il s’est déplacé au logement du locataire, mais il indique que ce dernier était courtois et collaborait bien en baissant le son de la musique.

[109]  Quant à Mme Delcourt et M. Mangiante, ces derniers ne sont jamais allés constater l’état de la situation sur place, leur témoignage se limitant à faire état de ce qui était relaté dans des rapports d’incident préparés par des agents de sécurité à l’emploi du Syndicat de copropriété.

[110]  En défense, le locataire a rendu un témoignage qui apparaît crédible. De plus, il a fait témoigner deux autres occupants de l’immeuble qui affirment ne pas avoir été importunés par des nuisances provenant du logement du locataire.

[111]  Monsieur Khoury, qui occupe depuis 2020 l’unité mitoyenne située directement à côté du locataire, témoigne n’avoir jamais entendu de bruits forts provenant de chez son voisin ni senti d’odeurs de cigarette ou de marijuana. Il s’agit en l’espèce d’un témoin indépendant, sincère et crédible, venant supporter les prétentions du locataire.

[112]  En tenant compte de l’ensemble de la preuve soumise de part et d’autre, la version du locataire apparaît plus plausible que celle de M. Cohen.

[113]   Le Tribunal ne doute pas que M. Cohen ait pu être incommodé par des bruits provenant de la terrasse du logement du locataire, mais son témoignage n’a pas convaincu le Tribunal que ces bruits étaient, objectivement, excessifs, anormaux ou déraisonnables dans les circonstances.

[114]  Ce dernier apparaît plutôt sensible et intolérant au bruit, en exagérant l’importance des bruits dont il se plaint.

[115]  À l’évidence, il semble exister un important conflit de personnalité entre Messieurs Hazout et Cohen. Ces deux individus ne peuvent tout simplement pas s’endurer. Chacun accuse l’autre de troubler sa jouissance paisible, au point de mener au départ de chacun d’eux.

[116]  Le Tribunal conclut que le Syndicat de copropriété ne s’est pas déchargé de son fardeau de prouver, de manière prépondérante, l’existence de bruits excessifs, anormaux ou déraisonnables provenant du logement du locataire, justifiant la résiliation du bail. Le Tribunal juge que les bruits allégués ne dépassent pas les limites de la tolérance.


[117]  En ce qui concerne les odeurs de cigarette ou de marijuana, la preuve soumise à cet égard est bien mince pour conclure à une quelconque faute de la part du locataire ou de ses invités.

[118]  Il en est de même à l’égard de la preuve concernant les infractions liées au stationnement, laquelle est insuffisante pour conclure à des troubles excessifs justifiant la résiliation du bail.

[119]  À la lumière de tout ce qui précède, la demande de résiliation de bail s’avère injustifiée en vertu de l’article 1079 C.c.Q.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[120] REJETTE la demande.

 

 

 

 

 

 

 

 

Alexandre Henri

 

Présence(s) :

Me Lana Rackovic, avocate du Syndicat de copropriété

le locataire

Me Elisabeth Ouaknine, avocate du locataire

Me Kelsey-Ann Tardif Alleyne, avocate de la locatrice

Date de l’audience : 

19 septembre 2022

Présence(s) :

Me Lana Rackovic, avocate du Syndicat de copropriété

le locataire

Me Elisabeth Ouaknine, avocate du locataire

la locatrice

Me Kelsey-Ann Tardif Alleyne, avocate de la locatrice

Date de l’audience : 

28 novembre 2022

Présence(s) :

Me Lana Rackovic, avocate du Syndicat de copropriété

le locataire

Me Elisabeth Ouaknine, avocate du locataire

la locatrice

Me Kelsey-Ann Tardif Alleyne, avocate de la locatrice

Date de l’audience : 

29 novembre 2022

Présence(s) :

Me Lana Rackovic, avocate du Syndicat de copropriété

Me Elisabeth Ouaknine, avocate du locataire

la locatrice

Me Kelsey-Ann Tardif Alleyne, avocate de la locatrice

Date de l’audience : 

24 février 2023

 

 

 


 


[1] Malgré son départ, M. Cohen demeure propriétaire de son unité de copropriété, laquelle est présentement louée.

[2] RLRQ, c. T-15.01.

[3] 2018 QCRDL 21024.

[4] 2021 QCTAL 10041.

[5] Catherine Piché, La preuve civile, 6e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2020, p. 112.

[6] Léo Ducharme, Précis de la preuve, 6e éd., Montréal, Wilson et Lafleur Ltée, 2005, p. 62.

[7] P.-G. Jobin, Le louage, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1996, p. 252-255.

[8] R.L. de Montréal, no 31-080111-109G, le 10 juillet 2009.

[9] 2021 QCTAL 54.

[10] 2016 QCCA 538.

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