Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Autorité des marchés financiers c. Giroux

2024 QCTMF 77

TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DES MARCHÉS FINANCIERS

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

MONTRÉAL

 

DOSSIER N° :

2024-017

 

DÉCISION N°  :

2024-017-001

 

DATE :

20 novembre 2024

 

 

DEVANT LA JUGE ADMINISTRATIVE :

ANTONIETTA MELCHIORRE

 

 

AVEC L’ASSISTANCE DES ASSESSEURS :

JOCELYNE CHARLAND

CLAUDE GIRARD

 

 

AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

Partie demanderesse

c.

ALEXANDRE GIROUX

et

JEAN-FRANÇOIS SOUCY

et

ÉRIC ASSELIN

et

GROUPE COURTIERS EXPERTS INC.

Parties intimées

 

 

DÉCISION

(demande d’entériner un accord conclu entre l’autorité des marchés financiers et alexandre giroux)

 

 

APERÇU

  1.                 L’Autorité des marchés financiers (« l’Autorité ») et Alexandre Giroux demandent au Tribunal d’entériner un accord conclu entre eux le 9 octobre 2024 (« Accord »)[1]. La loi prévoit que le Tribunal peut « entériner un accord, s’il est conforme à la loi »[2]. Le Tribunal doit donc déterminer si l’accord est « conforme à la loi » lui permettant de prononcer les ordonnances suggérées par les parties.
  2.                 Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que l’Accord est « conforme à la loi » en ce qu’il permet d’établir clairement l’existence de manquements à la Loi sur la distribution de produits et services financiers[3] LDPSF ») ainsi qu’au Règlement sur l’exercice des activités des représentants[4] et d’établir le caractère raisonnable des ordonnances suggérées par les parties.

ANALYSE

  1.                 Les critères permettant d’établir si un accord est « conforme à la loi » ont été plus amplement exposés dans l’affaire Autorité des marchés financiers c. Moreau[5]. Essentiellement, un accord est « conforme à la loi » s’il permet au Tribunal (i) d’établir l’existence d’un manquement aux lois qui relèvent de sa compétence ou d’un acte contraire à l’intérêt public selon les dispositions applicables[6] et (ii) de déterminer le caractère raisonnable des ordonnances suggérées par les parties[7], en ce qu’elles permettent d’atteindre les objectifs de protection du public[8].
  2.                 Lorsque le Tribunal analyse si un accord est « conforme à la loi », il exerce sa discrétion d’entériner l’accord ou non en fonction de l’intérêt public[9].
  3.                 Plus particulièrement, un accord qui serait déraisonnable, inadéquat, ou de nature à déconsidérer l’administration de la justice[10] ne serait pas un accord qui est « conforme à la loi » et le Tribunal se doit de refuser de l’entériner.
  4.                 En juillet 2024, l’Autorité dépose auprès du Tribunal un acte introductif (« Acte introductif ») à l’égard de Jean-François Soucy, Éric Asselin, Alexandre Giroux et Groupe Courtiers Experts inc. dans lequel elle demande au Tribunal de prononcer plusieurs ordonnances dont la suspension de certificats, l’interdiction d’agir comme administrateur, dirigeant et dirigeant responsable d’un cabinet et l’imposition de conditions aux certificats à la suite des suspensions. L’Autorité demande également au Tribunal d’imposer des pénalités administratives. Essentiellement, selon l’Autorité, son enquête lui permet de conclure à l’existence de plusieurs manquements à la LDPSF de la part des intimés relativement au courtage hypothécaire, qui ont mis en péril la protection du public.
  5.                 Plus particulièrement, selon l’Acte introductif, l’Autorité prétend que les intimés ont, dépendamment des circonstances, exercé illégalement dans la discipline du courtage hypothécaire, aidé et/ou encouragé l’exercice illégal dans la discipline du courtage hypothécaire, toléré qu’Éric Asselin se présente sous un nom d’emprunt, aidé et/ou toléré le non-respect d’une ordonnance du Tribunal, transmis des informations fausses ou trompeuses à certaines institutions financières dans le cadre de demandes de prêt, se sont placé en conflit d’intérêts dans le cadre de prêts privés, se sont placé en conflit d’intérêts dans le cadre de prêts hypothécaires devant notamment servir au remboursement de prêts, fait défaut, préalablement à la prestation de services, de dénoncer par écrit le mode de rétribution, de recueillir et de consigner les renseignements portant sur l’identification des besoins des clients et leur situation financière et entravé l’enquête de l’Autorité et/ou fait défaut de collaborer avec elle.
  6.                 À la suite de la notification de l’Acte introductif, l’Autorité et Alexandre Giroux manifestent leur intention de conclure un accord visant le règlement du dossier. Peu de temps après, ils informent le Tribunal qu’ils ont conclu l’Accord et souhaitent le présenter au Tribunal dans le but de le faire entériner et de le rendre exécutoire.
  7.                 Le Tribunal souligne que dans l’Accord, Alexandre Giroux admet essentiellement l’ensemble des faits énoncés dans l’Acte introductif à son égard[11]. Il admet aussi le contenu des pièces alléguées au soutien de l’Acte introductif qui le concerne, tout en consentant à la production de celles-ci sans aucune autre formalité[12].
  8.            Alexandre Giroux est titulaire d’un certificat délivré par l’Autorité dans la discipline du courtage hypothécaire depuis le 1er mai 2020. Avant cette date, il détenait un permis délivré par l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec. À la date de la conclusion de l’Accord, Alexandre Giroux est rattaché au cabinet 9207-1672 Québec inc., faisant affaires sous la dénomination sociale « Le Promoteur hypothécaire ».
  9.            En ce qui concerne le premier critère permettant au Tribunal d’entériner un accord, soit la preuve de l’existence de manquements, les admissions d’Alexandre Giroux dans l’Accord, les allégués de l’Acte introductif, le contenu des pièces produites ainsi que l’inexistence de toute preuve contraire permettent au Tribunal d’établir qu’Alexandre Giroux :
  1.     A aidé et ou encouragé l’exercice illégal des intimés Éric Asselin et Groupe Courtiers Experts inc.[13] dans la discipline du courtage hypothécaire, contrevenant ainsi aux articles 16.1, 16.2 et 16.13 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants ainsi qu’à l’article 16 de la LDPSF; 
  2.     A fait preuve d’aveuglement volontaire en laissant Jean-François Soucy[14] transmettre des informations fausses ou trompeuses à certaines institutions financières relativement à des prêts hypothécaires grevant les immeubles visés, contrevenant ainsi aux articles 16.2 et 16.4 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants;
  3.     A fait défaut, préalablement à la prestation de services, de dénoncer par écrit le mode de rétribution ainsi que de recueillir et de consigner les renseignements portant sur l’identification des besoins des clients et leur situation financière dans le cadre de 28 dossiers, contrevenant ainsi aux articles 9.3, 9.7 et 16.11 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants et à l’article 16 de la LDPSF ; et
  4.     A entravé l’enquête de l’Autorité et/ou a fait défaut de collaborer avec elle, contrevenant ainsi à l’article 16.15 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants.
  1.            En ce qui concerne la preuve de l’existence d’un manquement à la loi, le Tribunal réfère à sa décision récente dans Autorité des marchés financiers c. Grégoire[15] dans laquelle le Tribunal précise le cadre juridique applicable. Dans cette décision, le Tribunal se penche aussi sur l’opposabilité d’une décision par laquelle il entérine un accord aux parties intimées qui n’ont pas conclu cet accord. Essentiellement, la détermination par le Tribunal de l’existence d’un manquement à la loi dans une décision entérinant un accord n’est pas opposable aux parties intimées qui n’ont pas conclu cet accord. Par ailleurs, ces parties intimées ne sont pas liées par les motifs de la décision du Tribunal par laquelle il entérine l’accord[16]. En l’espèce, Jean-François Soucy, Éric Asselin et Groupe Coutiers Experts inc. auront l’occasion, dans le cadre de l’instruction sur le fond de l‘Acte introductif, d’apporter une preuve contraire, le cas échéant.
  2.            Comme mentionné ci-haut, le Tribunal doit également déterminer si les ordonnances suggérées par les parties satisfont au deuxième critère, soit d’être raisonnables eu égard aux objectifs de protection du public.
  3.            Rappelons que les ordonnances du Tribunal sont de nature réglementaire et en ce sens, elles ne sont ni réparatrices ni punitives[17]. En effet, le but d’une ordonnance n’est pas de réparer un dommage causé aux investisseurs ou aux marchés financiers ni de punir la partie qui contrevient à la loi. Le but est plutôt de prévenir d’autres conduites répréhensibles futures qui risquent de porter atteinte à l’intérêt public[18]. Ces ordonnances sont de nature protectrice et préventive[19].
  4.            En raison des manquements qu’il admet et qui sont établis par le Tribunal, Alexandre Giroux consent à ce que le Tribunal :
  • Lui impose une pénalité administrative de 10 000 $;
  • Suspende son certificat pour une durée de 30 jours;
  • Assortisse son certificat à l’issue de sa suspension et alors qu’il aura un droit d’exercice actif, d’une condition de rattachement à un cabinet dont il n’est pas le dirigeant responsable pour une durée de trois (3) ans; et
  • Lui interdise d’agir comme dirigeant responsable d’un cabinet pour une durée d’un (1) an.
  1.            D’emblée, précisons que le Tribunal a le pouvoir de prononcer les ordonnances recherchées par les parties[20].
  2.            Le Tribunal doit maintenant évaluer le caractère raisonnable des ordonnances suggérées par les parties. Pour ce faire, le Tribunal réfère aux critères développés notamment dans l’affaire Autorité des marchés financiers c. Demers[21].
  3.            Ces critères sont : le type, le nombre et la gravité des gestes posés par le contrevenant, sa conduite antérieure, la vulnérabilité des investisseurs, les pertes subies par ces derniers, les profits réalisés par le contrevenant, l’expérience du contrevenant, la position et le statut du contrevenant au moment des faits reprochés, l’importance des activités du contrevenant au sein des marchés financiers, le caractère intentionnel des gestes posés, le risque que le contrevenant fait courir aux marchés financiers si on lui permet de continuer ses activités, les dommages causés à l’intégrité des marchés financiers, la dissuasion spécifique et générale, le degré de repentir du contrevenant, le comportement suivant les manquements, les facteurs atténuants, le risque de récidive et les ordonnances imposées dans des circonstances semblables.
  4.            Comme mentionné ci-haut, le Tribunal a déterminé qu’Alexandre Giroux a commis des manquements à l’article 16 de la LDPSF et aux articles 9.3, 9.7, 16.1, 16.2, 16.4, 16.11, 16.13, et 16.15 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants.
  5.            Dans une décision récente[22] rendue en matière de courtage hypothécaire, le Tribunal rappelle que la LDPSF et ses règlements visent principalement à assurer la protection du public et que « pour maintenir la confiance du public envers l’industrie du courtage hypothécaire, il s’avère essentiel que ses participants respectent les devoirs et obligations qui découlent de la législation applicable ».
  6.            Afin d’évaluer les ordonnances suggérées par les parties, le Tribunal prend en considération le fait qu’Alexandre Giroux a admis les faits et les manquements reprochés par l’Autorité dans l’Acte introductif à la première occasion et qu’il a bien collaboré avec l’Autorité. Le Tribunal souligne par ailleurs qu’Alexandre Giroux a accepté pour l’essentiel les ordonnances recherchées par l’Autorité à son égard dans l’Acte introductif, incluant la suspension de son certificat.
  7.            Alexandre Giroux est présent lors de la présentation de l’Accord au Tribunal et selon son avocat, il regrette la situation et son degré de repentir serait élevé.
  8.            Le Tribunal considère que les ordonnances suggérées par les parties contribueront à assurer qu’Alexandre Giroux respecte la législation, la réglementation ainsi que les règles d’éthique professionnelle et de déontologie s’appliquant à l’exercice de ses activités à titre de courtier hypothécaire. Ces ordonnances auront également un effet dissuasif à l’égard de ceux qui seraient tentés de l’imiter.
  9.            Le Tribunal conclut que les ordonnances suggérées par les parties sont raisonnables dans les circonstances eu égard aux objectifs de protection du public.
  10.            L’Accord est donc « conforme à la loi » permettant ainsi au Tribunal de l’entériner.

POUR CES MOTIFS, le Tribunal administratif des marchés financiers, en vertu des articles 93, 94 et 97 al. 2 (6° et 7°) de la Loi sur l’encadrement du secteur financier[23] et des articles 115 et 115.1 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers[24] :

ENTÉRINE l’accord intervenu entre l’Autorité des marchés financiers et Alexandre Giroux, le REND exécutoire et ORDONNE aux parties de s’y conformer;

IMPOSE à Alexandre Giroux une pénalité administrative de 10 000 $;

SUSPEND le certificat d’Alexandre Giroux, portant le numéro 204335, pour une durée de 30 jours, et ce, à partir de la date de la présente décision;

ASSORTIT le certificat d’Alexandre Giroux portant le numéro 204335, à l'issue de la suspension et alors qu'il aura un droit d'exercice actif, d'une condition de rattachement à un cabinet dont il n'est pas le dirigeant responsable, pour une durée de trois (3) ans;

INTERDIT à Alexandre Giroux d'agir, directement ou indirectement, comme dirigeant responsable d'un cabinet, pour une durée d'un (1) an.

 

 

 

 

 

__________________________________

Antonietta Melchiorre

Juge administrative

 

 

 

 

 

 

Me Vanessa J. Goulet

Me Catherine Boilard

(Contentieux de l’Autorité des marchés financiers)

Pour l’Autorité des marchés financiers

 

Me Manès Webster

(Morin Webster, société d’avocats)

Procureur d’Alexandre Giroux

 

Date d’audience :

4 novembre 2024

 



1 Une copie de l’Accord conclu en date du 9 octobre 2024 est jointe à la présente décision.

[2]  RLRQ, c. E-6,1 (Loi sur l’encadrement du secteur financier), art. 97 al. 2 (6°).

[3]  RLRQ, c. D-9.2 (Loi sur la distribution de produits et services financiers).

[4]  RLRQ, c. D-9.2, r. 10 (Règlement sur l’exercice des activités des représentants).

[6]  Comité pour le traitement égal des actionnaires minoritaires de la Société Asbestos Ltée c. Ontario (Commission des valeurs mobilières), 2001 CSC 37 [Asbestos] ; Re Canadian Tire Corp., (1987) Vol. XVIII, no. 14, BCVMQ, A1, 1987 LNONOSC 47, conf. par (1987), 59 O.R. (2 d) 79.

[7]  Autorité des marchés financiers c. Demers, 2006 QCBDRVM 17 [Demers], Moreau, préc., note 5, par. 37.

[8]  Asbestos, préc., note 6 ; Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557 [Pezim] ; Cartaway Resources Corp. (Re), [2004] 1 R.C.S. 672 [Cartaway].

[9]  Loi sur l’encadrement du secteur financier, art. 93.

[10]  Moreau, préc., note 5, par. 32.

[11]  Voir le paragraphe 2 de l’Accord.

[12]  Voir le paragraphe 3 de l’Accord.

[13]  Éric Asselin et Groupe Courtiers Experts inc. auront l’occasion d’apporter une preuve contraire lors de l’audience les concernant.

[14]  Jean-François Soucy aura lui aussi l’occasion d’apporter une preuve contraire lors de l’audience le concernant.

[15]  Autorité des marchés financiers c. Grégoire, TMF no 2023-012-002, 8 novembre 2024, A. Melchiorre et C. Dubé, par. 20 à 23.

[16]  Id., par. 24.

[17]  Asbestos, préc., note 6 ; Pezim, préc., note 8 ; Cartaway, préc., note 8.

[18]  Asbestos, préc., note 6.

[19]  Ibid.

[20]  LDPSF, art. 115 et 115.1.

[21]  Demers, préc., note 7.

[22]  Autorité des marchés financiers c. Stéphanie Dupuis Chabot inc., TMF no 2023-004-002, 15 novembre 2024, J.-N. Boutin-Wilkins et C. Dubé, par. 28 citant La Souveraine, Compagnie d’assurance générale c. Autorité des marchés financiers, 2013 CSC 63, par. 32; Marston c. Autorité des marchés financiers, 2009 QCCA 2178, par. 52 et Autorité des marchés financiers c. Barchichat, 2024 QCTMF 15, par. 92 à 94.

[23]  RLRQ, c. E-6.1.

[24]  RLRQ, c. D-9.2.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.