Décision

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Section des affaires immobilières

En matière de fiscalité municipale

 

 

Date : 2 août 2023

Référence neutre : 2023 QCTAQ 0835

Dossier  : SAI-M-319428-2211

Devant les juges administratifs :

MARIE CHAREST

DANIEL CÔTÉ

 

COSTCO WHOLESALE CANADA LTD

Partie requérante

c.

VILLE DE LAVAL

Partie intimée

 

 


DÉCISION INCIDENTE

Requête de l'intimée en communication de documents et informations


 


 


[1]                    Le Tribunal doit décider si la requérante, Costco Wholesale Canada Ltd (Costco) doit communiquer à l’intimée, Ville de Laval (Laval) les rapports ou documents faisant état des ventes réalisées sur l’unité d’évaluation pour les années 2018 à 2021, inclusivement, à l’exclusion des ventes générées par la station-service.

[2]                    En effet, à la suite d’une demande de révision, puis d’un recours devant le Tribunal concernant la valeur inscrite au dépôt du rôle triennal 2022-2024, l’intimée a transmis diverses demandes d’informations et de documents à la requérante entre le 12 mai 2022 et le 23 avril 2023[1]. C’est dans ce contexte et en raison des délais de réponse de la requérante que, le 28 avril 2023, l’intimée soumet au Tribunal une requête en communication de documents et informations par laquelle elle demande les documents suivants en lien avec l’unité d’évaluation en litige :

a) États financiers pour les années 2018 à 2021, inclusivement;

b) Rapport ou documents faisant état des ventes réalisées sur l’unité d’évaluation pour les années 2018 à 2021, inclusivement;

c) Baux ou ententes de location ou d’occupation;

d) Tout rapport et document en lien avec les efforts de location;

e) Liste des modifications, rénovations ou réparations effectuées au bâtiment, de plus de 100 000 $, depuis 2018, inclusivement, qui n’ont pas fait l’objet d’un permis et les coûts détaillés de celles-ci;

[3]                    À la suite de discussions entre les procureurs des parties, ceux-ci soumettent un tableau au Tribunal, lequel détaille les ententes intervenues et les documents qui font toujours l’objet d’un litige.

[4]                    L’intimée demande donc au Tribunal de prendre acte des engagements pris par la requérante en lien avec les documents qu’elle accepte de fournir, lesquels se détaillent comme suit :

a) États financiers pour les années 2018 à 2021, inclusivement : la requérante s’engage à fournir les dépenses liées à l’immeuble et les revenus de location, et ce, dans les 15 jours de l’audience;

c) Baux ou ententes de location ou d’occupation : la requérante s’engage à fournir la réponse à la demande, et ce, dans les 15 jours de l’audience;

d) Tout rapport et document en lien avec les efforts de location : la réponse fournie le 4 mai 2023 par l’évaluateur Kevin Lovasi, É.A., de Altus constitue la réponse de la requérante, laquelle est complète (pièce R-6);

e) Liste des modifications, rénovations ou réparations effectuées au bâtiment, de plus de 100 000 $, depuis 2018, inclusivement, qui n’ont pas fait l’objet d’un permis et les coûts détaillés de celles-ci : la requérante s’engage à fournir la réponse à la demande, et ce, dans les 15 jours de l’audience.

[5]                    Pour ce qui est du point b), les parties s’entendent pour le reformuler ainsi :

b) Rapports ou documents faisant état des ventes réalisées sur l’unité d’évaluation pour les années 2018 à 2021, inclusivement, à l’exclusion des ventes générées par la station-service.

[6]                    Le procureur de Costco soutient que ces documents ne sont pas pertinents au litige, puisqu’il ne s’agit pas d’un dossier d’évaluation d’entreprise. Selon l’évaluateur de Laval, ils sont pertinents, puisque, pour un commerce de détail, ces données peuvent indiquer quel serait le loyer paritaire dans un cas de propriétaire occupant. Il indique aussi que, selon la méthode du coût, cette information peut aider à établir une désuétude économique, le cas échéant.

[7]                    Pour les motifs qui suivent, le Tribunal rejette la requête de l’intimée à l’égard des rapports ou documents faisant état des ventes réalisées sur l’unité d’évaluation pour les années 2018 à 2021, inclusivement. Cependant, si jamais l’évaluateur de la requérante conclut à l’existence d’une désuétude économique, la requérante devra fournir ces documents, comme décrits au point b) reformulé de la requête, dans les 15 jours de la décision de cet évaluateur d’émettre cette opinion.

CONTEXTE

[8]                    L’expert de Laval explique que les chiffres des ventes demandés correspondent à des éléments accessoires au débat, en vue d’établir un loyer basé sur un pourcentage des ventes. Ce sont des informations utiles pour valider son analyse plutôt qu’à des fins de comparaison.

[9]                    Il précise qu’elles pourraient aussi l’aider à établir la désuétude économique lors du calcul selon la méthode du coût, le cas échéant. Il n’a pas utilisé cette méthode au dépôt du rôle, mais il effectuera cette analyse pour son rapport particularisé. À ce stade il n’a pas d’indice de désuétude économique, mais obtenir ces revenus l’aiderait à vérifier cet aspect.

[10]               Quant à l’expert de Costco, il confirme que la vitalité économique de l’entreprise n’est aucunement remise en cause. Il considère donc qu’il serait mal venu de prétendre à une désuétude économique dans ce contexte et qu’il n’y a pas matière à débat sur cette question.

[11]               L’évaluateur de Laval mentionne que dans le cas de propriétaires occupants, pour des immeubles de type big box comme ceux des magasins Costco, ces données peuvent aider à établir un loyer paritaire : en effet, lorsque de tels immeubles sont loués, il est souvent confronté, lors de sa recherche de loyers comparables, à de vieux baux établis à l’époque de leur construction.

[12]               Préalablement à la Réponse de l’évaluateur, il a reçu une copie de l’analyse préliminaire de l’évaluateur alors au dossier pour Costco, laquelle s’appuyait sur la méthode du revenu; ce document lui fournissait les paramètres retenus dans cette méthode, ainsi que certaines informations sur l’utilisation des bureaux du 2e étage.

[13]               Laval n’a jamais obtenu d’état des revenus pour l’unité d’évaluation en cause et dans les cas de propriétaire occupant elle n’a pas d’informations sur le chiffre des ventes.

[14]               Malgré les informations obtenues et promises, il maintient cette demande puisqu’il considère le chiffre des ventes nécessaire pour corroborer le loyer paritaire; c’est un exercice fréquent pour ce genre d’immeuble et le manque de nouvelles constructions rend cet exercice d’autant plus nécessaire.

[15]               Il évalue les immeubles détenus par des propriétaires occupants à l’aide d’un revenu paritaire. La situation du magasin Costco en litige est cependant particulière en raison du 2e étage, conçu pour des bureaux, qui doit se voir attribuer un loyer potentiel puisqu’il n’est pas loué.

[16]               L’expert de Costco explique les retards à répondre par le fait qu’il a dû reprendre ce dossier ainsi que d’autres, et se l’approprier, dans le contexte du départ à la retraite de l’évaluateur précédemment au dossier.

[17]               Il mentionne que les magasins Costco de la province sont tous des propriétaires occupants avec un concept unique de vente en gros à ses membres. Les activités de cette chaîne sont en expansion.

[18]               L’immeuble de Laval est particulier puisqu’il dispose d’espaces locatifs situés au 2e étage, lesquels sont maintenant vacants. La requérante fournira les informations historiques sur ces baux à l’intimée.

[19]               L’évaluateur de Costco admet qu’il n’existe pas d’entreprise similaire et qu’il est donc difficile de trouver des comparables ayant le même concept de vente. Dans ce contexte, il soutient que la méthode du revenu ne peut qu’être une méthode secondaire puisqu’il est difficile d’établir un revenu paritaire.

[20]               Il souligne qu’un Costco de 1989 est assez âgé et que des conversions et rénovations sont en cours dans certains cas pour ces immeubles occupés par Costco depuis de nombreuses années.

[21]               Il affirme qu’il est difficile d’établir un lien entre les ventes de l’entreprise et un loyer paritaire, puisque ces chiffres ne permettent pas d’en extraire la part qui correspond à la valeur de la notoriété (goodwill) de Costco. Le loyer à pourcentage s’applique aux marchés d’alimentation, lesquels ne vendent pas d’essence et n’ont pas de membres.

[22]               Pour établir un loyer à pourcentage, il faut qu’il soit marchand; puisqu’un supermarché n’est pas comparable à un Costco, son loyer marchand ne peut être considéré comparable à un Costco.

[23]               Il admet que les supermarchés démontrent aussi un goodwill, mais qu’il serait moins important que celui de Costco; il y aurait moins de différences entre les divers supermarchés à cet égard, qu’entre Costco et les supermarchés.

[24]               L’évaluateur de Laval indique qu’il n’a pas encore de conclusion sur un possible loyer à pourcentage, mais que de tels loyers varient entre 1 et 6 % et principalement entre 1,5 et 2 ou 3 % des ventes et que le résidu correspond normalement au goodwill.

[25]               Sur le territoire de Laval, les loyers à pourcentage se retrouvent dans les centres commerciaux et correspondent à du loyer additionnel qui s’ajoute au loyer de base.

[26]               Les deux experts s’entendent sur le fait que les Canadian Tire et les Walmart n’ont pas de loyers à pourcentage et, abstraction faite des ventes réservées aux membres de Costco, ces commerces présentent un certain degré de comparabilité avec les magasins Costco. Cependant, l’expert de Laval souligne que lorsque ces entreprises sont locataires, les baux sont souvent âgés et les ventes de Costco lui apparaissent utiles pour valider son analyse.

POSITIONS DES PARTIES

[27]               Laval soutient que le test de pertinence est moins restrictif à l’étape de la communication des pièces qu’à celle de leur production.

[28]               Rien dans la preuve ne permet de conclure à une demande excessive ou déraisonnable.

[29]               La pertinence des allégations se mesure à leur connexité avec l’objet du litige et il faut faire confiance à la partie qui désire administrer une preuve, en cas de doute. Comme ici cette information pourrait aider l’évaluateur de l’intimée à progresser dans son analyse, on ne devrait pas limiter cette progression.

[30]               Ce n’est que dans des cas exceptionnels, lorsque les éléments demandés n’apparaissent d’aucune utilité qu’ils peuvent être rejetés à un stade aussi préliminaire. Or, la spécificité de Costco correspond à une question de fond.

[31]               Et ici il ne s’agit pas de corroborer des données déjà possédées, mais plutôt des données du marché.

[32]               La question d’extraire le goodwill ou d’établir une possible désuétude économique relève du fond, mais la préparation de ces études implique d’obtenir les données à ce stade.

[33]               Quant à la désuétude économique, elle fait partie des motifs soulevés par Costco à son recours.

[34]               Laval a été diligente dans ses demandes qu’elle réitère depuis la demande de révision. Il ne s’agit pas de corroborer des données qu’elle posséderait déjà, mais des données du marché.

[35]               Costco plaide plutôt que, même si la jurisprudence favorise la communication de données à un stade préliminaire, ce n’est pas un automatisme. Le Tribunal doit chercher à établir un juste équilibre et établir des limites.

[36]               Cette requête s’avère à tout le moins prématurée, puisque l’évaluateur de Laval ne s’est pas donné le temps d’analyser les documents que Costco lui a transmis ni d’effectuer sa méthode du coût. S’il conclut à une absence de désuétude économique ou qu’aucun de ses baux comparables n’est à pourcentage, la demande s’avère parfaitement inutile, d’autant plus que le seul objectif recherché en est un de validation.

[37]               La pertinence n’implique pas de donner toutes les informations qui pourraient peut-être s’avérer éventuellement utiles; il faut que l’évaluateur en ait assez pour effectuer son travail et que ce qui est demandé soit pertinent : valider dépasse ce qui est pertinent.

[38]               En effet, la preuve pertinente a pour but d’établir une valeur, et non de valider ou corroborer des données, comme ce que recherche ici l’évaluateur de Laval. Avec ce que Costco s’est engagé à lui transmettre, il possédera suffisamment d’informations pour déterminer la valeur de l’immeuble.

[39]               Les revenus d’entreprise ne sont pertinents que s’il est possible d’isoler ce qui correspond au goodwill, un exercice qui n’est pas simple et qui devient inutile en présence de loyers paritaires qui ne sont pas à pourcentages, comme en l’instance. De plus, puisque l’ensemble des Costco sont des propriétaires occupants, les ventes de celui en cause peuvent difficilement aider à établir une comparaison aux fins de la méthode du revenu, puisqu’il n’est pas possible d’en isoler les revenus immobiliers.

[40]               Il est vrai que l’information demandée pourrait aider à calculer une désuétude économique, mais les deux experts s’entendent sur l’absence d’une telle désuétude en l’instance.

ANALYSE

[41]               C’est en s’appuyant sur les principes établis par la jurisprudence que le Tribunal analyse les demandes soumises en l’instance.

[42]               Ces principes sont bien résumés dans l’affaire Corporation Bais Halevy[2] :

[11]   En temps normal, les demandes en communication de documents avant l’audience s’inscrivent dans une phase exploratoire ou la transparence, la collaboration, et la divulgation mutuelle de tous les éléments pertinents au débat, susceptibles de permettre aux parties d’établir la véracité des faits qu’elles allèguent, doivent être favorisées10.

[12]   Ce principe représente la volonté du législateur11 et est amplement rapporté dans la doctrine12 et la jurisprudence13. Les tribunaux doivent favoriser la divulgation complète de tous les faits substantiels d’une affaire à l’étape préliminaire, de façon à donner aux parties la possibilité de se préparer adéquatement et à permettre éventuellement au juge de première instance de découvrir la vérité et de rendre justice conformément à la loi14.

[13]   Les documents demandés doivent toutefois demeurer pertinents, c’est-à-dire se rapporter au litige, être utiles et susceptibles de faire progresser le débat15. Une demande de communication de documents peut être refusée si elle est déraisonnable ou excessive, notamment en raison de l’importance des coûts ou du temps de recherche nécessaire pour y donner suite16.

[14]   Si le Tribunal se convainc qu’une partie se livre à une recherche à l’aveuglette ou que la demande implique des ressources disproportionnées par rapport au but recherché, ou encore que le document n’est pas susceptible de faire progresser le débat, la demande doit être refusée17. La restriction à cette divulgation doit être traitée comme une exception18.

[…]

[25]   La règle de la proportionnalité implique d’évaluer à chaque étape du dossier si les résultats anticipés par une procédure méritent tout le temps et les ressources qu’on y consacre. Il faut, en résumé, que le jeu en vaille la chandelle, et ce, en fonction du moment précis où le jeu se déroule.

                        

10 Pétrolière Impériale c. Jacques, 2014 CSC 66 (CanLII). Voir également Hydro-Québec c. Énergie éolienne Le Plateau, 2020 QCCS 2271 et L’Aréna du Rocket inc. c. Ville de Laval et Cité de la Culture et des Sports de Laval, 2021 QCTAQ 03434, par. 10 à 19.

11 Articles 1, 9, 11, 12, 108, 119.1, 137, 138 et 139 de la Loi sur la justice administrative, RLR.Q, chapitre J-3 (LJA); Voir aussi les articles 2, 20, 169, 221, 228 du Code de procédure civile.

12 Denis FERLAND et Benoît ÉMERY, Précis de procédure civile du Québec, 5e éd., vol. 1, Cowansville, Yvon Blais, 2015, p. 500-504; Luc CHAMBERLAND (dir.), Le grand collectif : Code de procédure civile : commentaires et annotations, vol. 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2015, p. 813.

13 Zorg Inc. c. Ville de Laval, 2020 CanLII 108736 (QC TAQ); Envac Systèmes Canada inc. c. Ville de Montréal, 2016 QCCS 1931 (juge Lukasz Granosik); Voir aussi 4337042 Canada inc. c. Gestion ECI inc., 2018 QCCS 4494 (CanLII), par. 26 à 33 (juge Michel Pinseonneau).

14 Propos du lord juge Denning, dans l’arrêt Jones c. National Coal Board, [1957] 2 Q.B. 55 (C.A.), à la p. 63, citation rapportée dans le Précis de procédure civile du Québec, 5e éd, supra note 12.

15 A. c. Frères du Sacré-Coeur, 2019 QCCS 258, par. 27; Glegg c. Smith & Nephew inc., 2005 1 RCS 725, par. 21 et 22

16 A. c. Frères du Sacré-Coeur, supra note 15, par. 28.

17 Groupe Somavrac inc. c. Irving Oil Limited, 2021 QCCS 319.

18 CMC Électronique inc. c. Procureure générale du Québec, 2020 QCCS 124, par. 27.

[Transcription conforme et accentuation du Tribunal]

[43]               Dans Laval c. Autobus Galland Ltée[3] le Tribunal rappelle l’importance d’une gestion hâtive d’instance :

[32]   Pour le Tribunal, cet argument ne résiste pas aux enseignements récents des tribunaux en matière de gestion hâtive d'instance. Tout n'est pas orienté vers le procès et l'échange d'information prime sur tout, dans la mesure où l'objectif est d'éviter d'inutiles et coûteux ajournements d'audience au motif que des renseignements supplémentaires doivent être obtenus afin de donner à toutes les parties le droit à une défense pleine et entière.

[44]               On y rappelle aussi qu'une preuve est pertinente lorsqu'elle vise à prouver ou à réfuter un fait litigieux ou lorsqu'elle contribue à l'appréciation de la valeur probante d'une preuve ou d'un témoignage[4]. On y ajoute cependant que :

[20]   Les documents demandés doivent toutefois demeurer pertinents, c’est-à-dire se rapporter au litige, être utiles et susceptibles de faire progresser le débat19. Une demande de communication de documents peut être refusée si elle est déraisonnable ou excessive, notamment en raison de l’importance des coûts ou du temps de recherche nécessaire pour y donner suite20.

                        

19 A. c. Frères du Sacré-Coeur, 2019 QCCS 258, par. 27; Glegg c. Smith & Nephew inc., 2005 1 RCS 725, par. 21 et 22.

20 A. c. Frères du Sacré-Coeur, Supra note 19, par. 28.

[Soulignements du Tribunal]

[45]               Relativement à l’objection de la requérante à transmettre certaines informations, parce qu’elles ne seraient pas pertinentes au présent débat, le Tribunal écrivait ce qui suit dans le dossier Domtar[5] :

[35]   La LJA permet certes au Tribunal de refuser de recevoir toute preuve qui n’est pas pertinente ou qui n’est pas de nature à servir les intérêts de la justice7. Toutefois, ce dernier se doit d’appliquer à son analyse de la pertinence d’une preuve une attitude large et libérale. La LJA lui dicte en effet d’agir de façon impartiale en permettant aux parties de participer à un débat loyal8. Le législateur indique également aux juges administratifs, maîtres de la conduite de l’audience, de mener les débats avec souplesse de façon à faire apparaître le droit et en assurer la sanction9. En ce sens, il leur est permis de décider de la recevabilité des éléments de preuve et ils peuvent (ou non) suivre les règles ordinaires de la preuve en matière civile, ce dernier élément étant entièrement laissé à leur discrétion10, sauf en ce qui concerne tout élément de preuve obtenu dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux et dont l’utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice qui doit être rejeté d’office. À l’évidence, l’objection du procureur de la partie intimée ne porte pas sur ce dernier point et n’est pas de cette nature.

[36]   Ainsi, compte tenu de ce qui précède, il appert que face à une demande d’exclusion de la preuve au motif de sa non-pertinence, c’est la prudence qui doit en tout premier lieu guider le Tribunal dans l’appréciation de la pertinence de cette preuve. Ce concept de la pertinence de la preuve est souvent confondu avec celui de la force probante de celle-ci. L’appréciation de la force probante de la preuve et sa relation par rapport au respect des exigences imposées par la loi constituent le fondement même de la décision du Tribunal et doivent à l’évidence faire l’objet d’une étude approfondie. Ce n’est donc que dans le cas exceptionnel où des éléments de preuve apparaissent à leur face même d’absolument aucune utilité, qu’ils seront rejetés prima facie pour absence de pertinence tel qu’on a pu d’ailleurs l’observer dans une décision relativement récente du Tribunal11.

                   

7 Article 139 LJA.

8 Article 9 LJA.

9 Article 11 LJA, 1er alinéa

10 Article 11 LJA, 2e alinéa.

11 Canadien Pacifique c. Ville de Montréal, TAQ, SAI-M-105304-0505, 30 mars 2007.

[Soulignements du Tribunal]

[46]               Le Tribunal[6] s’appuie aussi sur la suffisance des informations fournies et l’ampleur du travail requis par une demande pour en refuser certaines, sans pour autant déroger aux principes d’accessibilité, de souplesse, d’impartialité et de débat loyal de la Loi sur la justice administrative (LJA) tout en favorisant les rapprochements entre les parties[7] :

[7]   Favoriser le dialogue et la collaboration entre les parties est de mise devant les tribunaux. Cette démarche s'inscrit dans une logique voulant que le procès soit considéré seulement comme un moyen de dernier recours. 1

[…]

[9]   Il n’est donc pas surprenant d’avoir assisté, depuis quelques années, au développement d’une jurisprudence axée sur l’échange d’information entre les experts et la divulgation de la preuve des parties avant l’audience.

[…]

[12]   C’est donc sur la base de ces enseignements, axés sur cette recherche d'équilibre entre le droit de l’un à une défense pleine et entière et celui de l’autre de ne pas en payer le prix, que le Tribunal va statuer. Car ce type de demande n’est pas sans implication.

                   

1Windsor c. Canadian Pacific Railway, 2014 ABCA 108, par. 15.

[Soulignement du Tribunal]

[47]               Dans cette perspective, le Tribunal doit déterminer si les rapports ou documents faisant état des ventes réalisées sur l’unité d’évaluation pour les années 2018 à 2021, inclusivement, à l’exclusion des ventes générées par la station-service, répondent aux critères établis par la jurisprudence pour ordonner leur communication.

[48]               Pour ce qui est de l’utilité des ventes de Costco réalisées dans l’immeuble en cause pour aider à établir une désuétude économique, le Tribunal n’en voit pas la pertinence pour l’intimée. En effet, son expert admet ne voir aucun indice d’une telle désuétude et celui de Costco affirme qu’il n’y a pas matière à débat sur cette question. Ainsi, contrairement à ce qui prévalait dans l’affaire Costco[8] citée par Laval, les experts s’entendent ici sur l’absence de désuétude économique applicable à l’immeuble en litige. Dans ce contexte, le Tribunal ne voit aucune pertinence à ces ventes pour la technique du coût de l’expert de Laval.

[49]               Ces ventes ne sont encore d’aucune utilité pour évaluer le loyer potentiel des locaux au deuxième étage, puisqu’elles proviennent des activités du rez-de-chaussée.

[50]               Dans le cas du loyer paritaire du magasin Costco, ces documents auraient peut-être pu s’avérer utiles si la preuve avait révélé que certains des meilleurs baux comparables impliquaient des baux à pourcentage. Ce n’est pas le cas ici : le témoignage de l’évaluateur de l’intimée et la question que lui a posée le Tribunal à ce sujet n’apportent pas d’indication à l’effet que ce genre d’immeuble fait l’objet de baux à pourcentage. De plus, il s’agit ici d’informations secondaires susceptibles de possiblement valider des données du marché.

[51]               Il est vrai qu’en cas de doute sur la question de savoir si une allégation ou une preuve est pertinente, il y a lieu de faire confiance à la partie qui fait l’allégation et qui désire administrer la preuve[9].

[52]               Cependant, comme cité plus tôt, si une documentation s’avère inutile, il n’y a pas lieu d’en ordonner la communication.

[53]               Or, en l’instance, l’évaluateur de Laval et celui de Costco s’entendent sur le fait que les commerces les plus comparables aux Costco correspondent à des magasins comme les Walmart et les Canadian Tire, pour lesquels on ne retrouve pas de baux à pourcentage.

[54]               La preuve soumise en l’instance convainc le Tribunal que les documents demandés sont inutiles aux fins du présent litige et qu’il n’y a donc pas lieu d’en ordonner la communication.

POUR CES MOTIFS, le Tribunal :

PREND ACTE de l’engagement de la requérante de fournir à l’intimée, au plus tard le 25 mai 2023, les documents suivants :

a) Les dépenses liées à l’immeuble et les revenus de location;

c) Les baux ou ententes de location ou d’occupation;

e) La liste des modifications, rénovations ou réparations effectuées au bâtiment, de plus de 100 000 $, depuis 2018, inclusivement, qui n’ont pas fait l’objet d’un permis et les coûts détaillés de celles-ci.

PREND ACTE du fait que la réponse à la demande de fournir tout rapport et document en lien avec les efforts de location fournie le 4 mai 2023 par l’évaluateur Kevin Lovasi de Altus constitue la réponse de la requérante, laquelle est complète (pièce R-6);

REJETTE partiellement la requête de l’intimée et plus particulièrement la demande de communiquer les rapports ou documents faisant état des ventes réalisées sur l’unité d’évaluation pour les années 2018 à 2021, inclusivement, à l’exclusion des ventes générées par la station-service, sous la réserve suivante : si jamais l’évaluateur de la requérante conclut à l’existence d’une désuétude économique, le Tribunal ORDONNE à la requérante de fournir ces documents à l’intimée dans les 15 jours de la décision de cet évaluateur d’émettre cette opinion;

LE TOUT FRAIS À SUIVRE.

 


 

MARIE CHAREST, j.a.t.a.q.

 

 

DANIEL CÔTÉ, j.a.t.a.q.


 

McCarthy, Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Me Nicolas X. Cloutier

Avocat de la partie requérante

 

Services des affaires juridiques Ville de Laval (SAJVL)

Me Vincent Blais-Fortin

Avocat de la partie intimée

 

Services des affaires juridiques Ville de Laval (SAJVL)

Me Alexandre MacBeth

Avocat de la partie intimée


 


[1] Pièces R-1, R-2, R-3, R-4, R-5 et dossier administratif.

[2]  Corporation Bais Halevy et al c. Ville de Boisbriand et al, 2021 QCTAQ 12590, par. 11 à 14 et 25.

[3]  2022 QCTAQ 02110, par 32.

[4]  Laval c. Autobus Galland Ltée, 2022 QCTAQ 02110, par 38.

[5]  Domtar inc. c. Ville Windsor et al, 2008 QCTAQ 12630, par. 35 et 36.

[6]  Bell Canada c. Ville de Gatineau, 2020 QCTAQ 01484.

[7]  RLRQ, c. J-3, art. 1, 11 et 12.

[8]  Costco c. Ville de Trois-Rivières, 2005 CanLII 69897.

[9]  St-Onge Lebrun c. Hôtel-Dieu de St-Jérôme, 1990 RDJ 56, par. 10; Groupe Ledor inc. c. Bourret, 2014 QCCA 1331, par. 2.

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