Décision

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Gabarit CFP

Bellavance et Québec (Ministère de la Sécurité publique)

2015 QCCFP 12

COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

DOSSIER No :

1301431

 

DATE :

23 juin 2015

___________________________________________________________

 

DEVANT LA COMMISSAIRE :

Me Sonia Wagner

___________________________________________________________

 

 

ÉRIC BELLAVANCE

 

Appelant

 

Et

 

MINISTÈRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

 

Intimé

 

___________________________________________________________

 

DÉCISION

(Article 33, Loi sur la fonction publique, RLRQ, c. F-3.1.1)

___________________________________________________________

 

L'APPEL

[1]           Monsieur Éric Bellavance fait appel auprès de la Commission de la fonction publique de la décision de son employeur, le ministère de la Sécurité publique (ci-après le « MSP »), de lui imposer une réprimande le 12 février 2015. Il demande à la Commission d’annuler cette réprimande, d’ordonner son retrait de son dossier d’employé ainsi que sa destruction.

LES FAITS

[2]           La Commission retient des témoignages entendus et des documents déposés en preuve la trame factuelle suivante.

[3]           M. Bellavance est chef d’unité, cadre, classe 7, à l’établissement de détention de Québec depuis le mois de septembre 2010. Il a précédemment occupé ce poste par intérim pendant une année.

[4]           M. Bellavance est affecté au Secteur F-1 de l’établissement de détention de Québec. Ce secteur, désigné « Prévention », se subdivise en trois sous-secteurs : la réclusion, les modes de vie particuliers et le transit. Le Secteur F-1 regroupe la clientèle carcérale la plus difficile à gérer.

[5]           M. Bellavance est membre du Comité santé et sécurité de l’établissement de détention de Québec depuis 3 ans. Il en est le coprésident depuis environ un an et demi - deux ans.

[6]           Selon ses supérieurs, M. Bellavance a un leadership opérationnel certain, un grand champ d’expertise et il est très compétent. Il jouit d’une bonne crédibilité auprès de ses collègues ainsi qu’au sein de l’établissement. Par ailleurs, il questionne souvent les orientations de la direction et il apporte des propositions. Il est en désaccord avec le rôle suprarégional dévolu à l’établissement de détention de Québec, lequel implique de recevoir les détenus en transit de l’est du Québec, incluant ceux de Trois-Rivières. Selon lui, les responsabilités découlant de ce rôle modifient la charge de travail des chefs d’unité parce qu’il s’agit souvent de cas lourds et problématiques qui occasionnent des situations de surpopulation au sein de l’établissement. Ce discours revient régulièrement chez M. Bellavance.

[7]           M. Bellavance relève de la directrice des services de prévention par intérim, Mme Pascale Lortie. Cette dernière assume ces responsabilités depuis le mois de juin 2014.

[8]           Mme Lortie relève du directeur adjoint de l’établissement de détention de Québec, M. Christian Thibeault. M. Thibeault occupe ce poste depuis le mois de mars 2012. Il est gestionnaire depuis 2005.

[9]           Les événements qui ont conduit à la réprimande ont lieu le 30 janvier 2015, lors de la rencontre journalière des chefs d’unité des secteurs Prévention et Détention, en début d’après-midi. Cette rencontre, tenue dans le bureau de la directrice par intérim, Mme Lortie, réunit cinq chefs d’unité, soit Mme Audesse ainsi que MM. Bellavance, Boucher, Cayouette et Morneau. Mme Audesse et M. Boucher sont alors chefs d’unité par intérim.

[10]        Les rencontres journalières ont pour but d’arrimer les opérations de l’établissement, d’organiser les activités de la journée au sein des secteurs et d’obtenir un consensus des chefs d’unité à la suite d’échanges sur les différentes problématiques. Ce jour-là, le sous-secteur de la réclusion, où sont isolés les détenus qui purgent une sanction disciplinaire, communément appelé le « trou », est plein « à craquer ». La semaine a connu son lot de cas problèmes et des détenus de Trois-Rivières, en transit à Québec, sont emprisonnés dans le Secteur F-1. Une seule place est disponible dans le sous-secteur de la réclusion et il s’agit d’une cellule pourvue d’une caméra de surveillance.

[11]        Au cours de la rencontre, M. Morneau expose qu’il aurait un détenu à transférer en réclusion. Il s’agit d’un individu ayant lancé un grille-pain. M. Morneau précise que ce détenu présente des risques suicidaires.

[12]        M. Bellavance indique avoir aussi un cas problème qui nécessite un séjour en réclusion : cet individu a eu une altercation avec un codétenu et une mesure disciplinaire s’impose.

[13]        Ne pouvant isoler qu’un seul des deux détenus, Mme Lortie doit déterminer lequel des détenus sera placé en réclusion. M. Bellavance argumente alors qu’il faut prioriser en fonction de la gravité du geste posé, auquel cas, le détenu sous sa responsabilité doit être celui à placer en réclusion. M. Cayouette appuie la position de M. Bellavance à ce sujet.

[14]        Toutefois, en raison du risque suicidaire que présente le détenu de M. Morneau et de la présence de la caméra dans la cellule disponible, Mme Lortie estime préférable de prioriser la réclusion du cas de M. Morneau.

[15]        En réaction à cette décision, M. Bellavance hausse le ton et déclare : « Ça n’a pas de bon sens! » M. Morneau demande alors à Mme Lortie ce qu’il doit faire. Mme Lortie indique qu’elle privilégie la réclusion du cas de M. Morneau.

[16]        M. Bellavance s’emporte et s’exclame : « On sait ben, c’est plus important quelqu’un qui lance un toaster que deux détenus qui se battent! » Mme Lortie lui répond, d’un ton ferme et directif, qu’elle doit prendre en considération le risque suicidaire que présente le cas de M. Morneau et la présence d’une caméra de surveillance dans la cellule disponible.

[17]        M. Bellavance répète la même phrase. Il crie.

[18]        De son bureau voisin de celui de Mme Lortie, M. Thibeault perçoit une agitation exceptionnelle dans le bureau de cette dernière. La même phrase est répétée puis criée : « On sait ben, c’est plus important quelqu’un qui lance un toaster que deux détenus qui se battent! » Il décide d’intervenir, fait irruption dans le bureau de Mme Lortie et somme M. Bellavance d’arrêter de crier. M. Bellavance, qui a déjà baissé le ton, lui réplique en suggérant d’intervenir également auprès de Mme Lortie pour que celle-ci cesse de crier. M. Thibeault lui répond que Mme Lortie ne crie pas.

[19]        Les témoins de la scène sont mal à l’aise : Mme Audesse et M. Boucher, debout, reculent vers le cadre de porte; le voisin immédiat de M. Bellavance, M. Cayouette, lui fait signe avec les mains d’arrêter d’argumenter; des regards sont dirigés vers le sol.

[20]        L’intervention de M. Thibeault met fin à l’incident. M. Thibeault demande à Mme Lortie de continuer la rencontre. La rencontre journalière se poursuit jusqu’à ce que tous les points à l’ordre du jour soient discutés.

[21]        Après la levée de la rencontre, Mme Lortie demande à M. Bellavance de rester. Elle s’enquiert de son état et lui indique que ses propos sont souvent intéressants, mais que sa façon de les amener n’est pas acceptable et qu’il doit modifier son comportement. Il n’est pas directement question de l’incident.

[22]        Peu de temps après, Mme Lortie et M. Thibeault reviennent sur l’incident et M. Thibeault mentionne qu’un tel comportement est complètement inacceptable. Ils conviennent de demander l’opinion de la conseillère en relations de travail pour déterminer ce qui doit être fait en suivi de cet incident. Seule Mme Lortie s’entretient avec la conseillère et, à la suite de cet échange et avec l’accord de M. Thibeault, il est décidé de réprimander M. Bellavance. Cette décision est prise en tenant compte des interventions antérieures au même sujet, des attentes signifiées à M. Bellavance ainsi que de l’absence d’admission d’une faute de sa part.

[23]        La lettre de réprimande, datée du 12 février 2015 et signée par Mme Lortie, énonce en ces termes les motifs de l’employeur :

[…] Le ou vers le 30 janvier 2015, vers 13 h, à l’Établissement de détention de Québec, vous avez adopté une attitude désobligeante à mon égard et ce, en présence de collègues de travail. Vos propos portaient atteinte à ma crédibilité et laissaient croire à une inaction de ma part alors que vous étiez pertinemment au courant des démarches effectuées. Votre ton et votre attitude étaient inadéquats.

Je ne peux tolérer une telle attitude qui constitue un manquement à l’éthique et aux valeurs de la fonction publique, dont l’obéissance hiérarchique et le respect. Je vous rappelle qu’à titre de fonctionnaire, vous êtes assujetti aux règles d’éthique en vigueur dans la fonction publique québécoise. Par conséquent, je vous demande dès à présent de prendre les dispositions nécessaires afin de respecter vos obligations.

Je vous souligne également que lors de la réunion du 10 novembre 2014, votre attitude et votre comportement étaient négatifs et que vous avez été rencontré en supervision à ce sujet. […]

[24]        Le 12 février 2015, Mme Lortie remet cette lettre de réprimande à M. Bellavance. Celui-ci réagit froidement : il signale une erreur dans la description de son poste (il est écrit « ASC » pour « agent de services correctionnels » au lieu de CU pour « chef d’unité ») et il mentionne qu’il ira en appel de cette décision. Lorsque Mme Lortie lui demande s’il a des questions, il répond « non ».

[25]        Le 16 février suivant, M. Thibeault rencontre M. Bellavance dans le but de s’enquérir de son état d’esprit. À cette occasion, M. Bellavance déplore l’absence d’équité procédurale dans l’administration de sa sanction et revient sur une phrase contenue dans la lettre de réprimande. M. Thibeault lui rappelle notamment une attente qu’il lui avait signifiée verbalement, le 10 novembre précédent, soit de faire attention au ton qu’il emploie, et le prévient que dorénavant « c’est tolérance zéro ».

[26]        M. Thibeault rencontre ensuite Mme Lortie en suivi. Il est soucieux en raison de l’absence d’équité procédurale soulevée par M. Bellavance. Ils conviennent de reprendre le processus décisionnel avec des personnes non présentes lors de l’incident. Le mandat de tenir une rencontre d’équité procédurale est confié à la conseillère en relations de travail épaulée de deux directrices au sein de l’établissement.

[27]        La rencontre d’équité procédurale est tenue le 26 février 2015. Il en ressort que M. Bellavance a porté atteinte à la crédibilité de sa supérieure immédiate ainsi qu’à celle de son supérieur hiérarchique, et ce, devant témoins. En conséquence, il est décidé de maintenir la réprimande de M. Bellavance, mais d’en modifier le libellé.

[28]        Cette nouvelle lettre de réprimande, datée du 11 mars 2015, est similaire à la précédente version. Elle reproche à M. Bellavance d’avoir adopté une attitude désobligeante envers sa supérieure immédiate, d’avoir contesté ouvertement sa décision sur un ton inapproprié et d’avoir porté atteinte à sa crédibilité, et ce, en contravention à ses obligations de respect, de courtoisie et de loyauté envers l’autorité constituée. Mme Lortie n’a ni été consultée, ni vu la seconde version de la lettre de réprimande avant sa signification à M. Bellavance.

Témoignage de Mme Lortie

[29]        Selon Mme Lortie, tout au long de la rencontre du 30 janvier 2015, la discussion est animée, mais le ton demeure neutre, jusqu’à ce que M. Bellavance crie.

[30]        Pour Mme Lortie, les propos de M. Bellavance sont déplacés, « malaisants », notamment en raison de la présence de plusieurs personnes dans la pièce au moment de l’incident. Ils font référence à une demande de transfert formulée la semaine précédente par M. Bellavance et laissent croire qu’elle n’avait effectué aucun suivi, ce qui n’est pas le cas. Ils mettent en doute sa crédibilité et sa capacité à prendre une décision. Mais elle ne peut dire exactement ce qui a été dit pour tenter de la prendre en défaut. Elle interprète toutefois certains propos tenus en ce sens. Par exemple, le fait que M. Bellavance répète « on sait ben, c’est plus important quelqu’un qui lance un toaster que deux détenus qui se battent » signifie selon elle qu’elle diminue le niveau de gravité de l’infraction.

[31]        Selon Mme Lortie, ce qui est intimidant, outre le haussement du ton de M. Bellavance, c’est la répétition du même propos, l’acharnement que créait cette répétition, jumelé à un non-verbal négatif, méprisant : des coups de doigt secs lancés dans le vide, un regard méprisant, une posture nonchalante, un hochement de tête réprobateur accompagné d’un regard en coin.

[32]        Ce n’est pas la première fois qu’une rencontre journalière donne lieu à une discussion animée, mais c’est la première fois que M. Thibeault intervient pour calmer le jeu.

[33]        Au cours des semaines précédant l’incident, elle a vu une dégradation dans l’attitude de M. Bellavance. Elle le savait en surcharge de travail; un support de la direction des ressources humaines a été demandé par Mme Lortie.

[34]        En septembre 2014, Mme Lortie a eu une discussion formelle avec M. Bellavance concernant son attitude au travail. Elle lui indique alors qu’il serait important de modifier sa façon de présenter ses propositions : bien qu’intéressantes, celles-ci sont moins bien reçues en raison de sa manière inappropriée de les exprimer. M. Bellavance lui répond qu’il n’en fera rien puisqu’il a obtenu des gains jusqu’à présent en agissant de la sorte.

Témoignage de M. Thibeault

[35]        Outre sa version de l’incident, M. Thibeault témoigne au sujet d’événements précurseurs à ce dernier.

[36]        En juin 2014, il rencontre M. Bellavance pour lui signifier une attente particulière, soit d’adopter un langage empreint de respect. Cette attente fait suite à un incident survenu le 6 juin précédent alors qu’à l’occasion d’une rencontre M. Bellavance s’est exprimé d’un ton mordant.

[37]        Au mois de novembre 2014, M. Thibeault rencontre également M. Bellavance pour discuter d’un incident survenu le 24 octobre précédent alors que M. Bellavance a de nouveau fait un commentaire sur un ton sec, incisif et arrogant. M. Thibeault lui mentionne : « tu es ton pire ennemi » en expliquant que sa façon d’amener les choses fait en sorte que les gens ne l’écoutent plus. Lors de cette rencontre, M. Thibeault signifie de nouveau des attentes à M. Bellavance : faire attention au ton utilisé, agir comme un catalyseur positif et être proactif dans la recherche de solutions. Quoique nerveux au début de cette rencontre, M. Bellavance devient progressivement plus à l’écoute. En terminant, M. Bellavance mentionne à M. Thibeault : « C’est correct. »

[38]        M. Thibeault indique que depuis 2005, il y a eu, auprès de M. Bellavance, 18 interventions impliquant sept gestionnaires et concernant des situations de langage ou de comportement inapproprié de M. Bellavance à l’occasion de réunions.

Témoignage de M. Bellavance

[39]        M. Bellavance est d’avis qu’il n’a pas eu une attitude désobligeante envers sa supérieure immédiate le 30 janvier 2015. Selon lui, cette discussion n’était pas différente des autres discussions animées qui ont déjà eu lieu. D’ailleurs, il n’a senti aucun malaise chez ses collègues présents. Il reconnaît néanmoins avoir haussé le ton, tout comme Mme Lortie d’ailleurs, mais il nie avoir crié. Toutefois, lorsque Mme Lortie lui a demandé de baisser le ton, il s’est exécuté.

[40]        M. Bellavance croit que son attitude a pu être perçue comme de l’arrogance, mais il assure qu’il n’avait pas l’intention de blesser. Selon lui, les qualités qui font de lui un bon chef d’unité, notamment sa personnalité et son ton autoritaire, ne peuvent être écartées dans d’autres circonstances. Ces qualités sont appréciées par la direction et ses interventions ont permis d’amener des améliorations au sein de l’établissement.

L’ARGUMENTATION

de M. Bellavance

[41]        Selon M. Bellavance, la rencontre journalière du 30 janvier 2015 a donné lieu à une discussion animée où chaque partie a haussé le ton, mais en aucun temps il n’y a eu un manque de respect de sa part : il n’a pas tenu de propos grossiers, insultants ou vexatoires et il a baissé le ton dès qu’on lui a demandé.

[42]        À son avis, les faits allégués dans la lettre de réprimande n’ont pas été prouvés.

[43]        M. Bellavance rappelle que Mme Lortie ne peut donner d’exemple de paroles qu’il aurait prononcées pour attaquer sa compétence ou pour l’intimider. Selon lui, il y a énormément de perception et de subjectivité dans le témoignage de Mme Lortie. Il en est de même pour le témoignage de M. Thibeault.

[44]        Il ajoute que conformément au principe de la gradation des sanctions, le MSP aurait dû lui imposer une sanction administrative avant de lui imposer une réprimande. À cet égard, il mentionne que son dossier disciplinaire est vierge, que les attentes de M. Thibeault n’étaient pas écrites à son dossier et qu’il ne les a donc jamais signées.

[45]        M. Bellavance renvoie la Commission à trois décisions[1], dont deux décisions de principe énonçant les étapes de l’analyse à effectuer par la Commission, et il demande à la Commission de substituer un avis écrit à son dossier à la réprimande du 12 février 2015.

du MSP

[46]        Selon le MSP, l’incident du 30 janvier 2015 est l’événement culminant d’une série: Mme Lortie et M. Thibeault ont rapporté plusieurs interventions auprès de M. Bellavance, dans les mois précédant l’incident, concernant son ton ou son langage inapproprié.

[47]        Pour le MSP, la faute de M. Bellavance comporte deux aspects : un manquement à son obligation de civilité et de l’insubordination. Au surplus, le contexte est important en l’espèce : l’incident s’est déroulé devant témoins, le supérieur hiérarchique a dû intervenir, un malaise a été ressenti chez les chefs d’unité par intérim et Mme Lortie a vu son leadership contesté alors qu’elle est encore à consolider sa position de gestionnaire.

[48]         Selon le MSP, la réprimande est la sanction appropriée. Il renvoie la Commission à cinq décisions[2] et à un texte de doctrine[3] pour appuyer son argumentation.

[49]        Enfin, le MSP rappelle à la Commission qu’elle n’a pas compétence pour substituer un avis écrit à une réprimande, un tel avis étant une mesure administrative.

ANALYSE ET MOTIFS

Le droit applicable

[50]        L’article 33 de la Loi sur la fonction publique[4] énonce la compétence de la Commission en matière de mesure disciplinaire à l’égard des fonctionnaires qui ne sont pas régis par une convention collective :

33. À moins qu'une convention collective de travail n'attribue en ces matières une compétence à une autre instance, un fonctionnaire peut interjeter appel devant la Commission de la fonction publique de la décision l'informant: […]

4° d'une mesure disciplinaire; […]

[51]        L’article 16 de la Loi sur la fonction publique prévoit la possibilité pour l’employeur de sanctionner une contravention aux normes d’éthique et de discipline de la fonction publique:

16. Le fonctionnaire qui contrevient aux normes d'éthique et de discipline est passible d'une mesure disciplinaire pouvant aller jusqu'au congédiement selon la nature et la gravité de la faute.

[52]        Enfin, le Règlement sur l’éthique et la discipline dans la fonction publique[5] définit notamment les mesures disciplinaires applicables à un fonctionnaire. Ainsi, l’article 18 de ce règlement prévoit qu’une « mesure disciplinaire peut consister en une réprimande, une suspension ou un congédiement selon la nature et la gravité de la faute qu’elle vise à réprimer ».

[53]        En matière disciplinaire, c’est à l’employeur que revient le fardeau de justifier sa décision. Pour y réussir, il doit démontrer, suivant l’ensemble de la preuve, qu’il est plus probable qu’improbable que les gestes reprochés se sont produits, qu’ils constituent une faute et que la mesure administrée était raisonnable dans les circonstances.

[54]        Comme l’exposent les décisions de principe citées par M. Bellavance, l’analyse de la Commission s’effectue donc en trois étapes. La première étape consiste à déterminer si les faits qui sous-tendent la mesure disciplinaire ont été prouvés par le MSP. Dans une telle éventualité, la Commission doit se demander si ces faits constituent une faute. Le cas échéant, la troisième étape consiste à vérifier si, selon la règle de la gradation des sanctions et en tenant compte de toutes les circonstances de l’affaire, la mesure retenue est proportionnelle à la faute reprochée.

[55]        Avant d'entreprendre cette analyse, la Commission souhaite disposer de l’objection à la preuve soulevée par M. Bellavance à l’égard des parties du témoignage de M. Thibeault concernant la plus récente évaluation du rendement de M. Bellavance, au motif qu’on ne peut mettre en preuve une mesure administrative dans le cadre d’une audience portant sur une mesure disciplinaire. Or, après analyse de l’argumentation de chacune des parties, la Commission est d’avis que c’est uniquement lorsque la convention collective ou les conditions de travail applicables prévoient une disposition explicite en ce sens qu’une telle limitation à la preuve peut être invoquée. Pour ce qui est de la présente affaire, la Directive concernant l’ensemble des conditions de travail des cadres œuvrant en établissement de détention à titre d’agents de la paix à l’exclusion des directeurs des établissements de détention[6] ne contient aucune disposition en ce sens. Il s’ensuit que l’admissibilité en preuve d’une évaluation de rendement dans le cadre d’une audience portant sur une mesure disciplinaire s’évalue à l’aune des principes du droit de la preuve et de sa règle cardinale, la pertinence. En l’espèce, le témoignage de M. Thibeault quant aux interventions antérieures de l’employeur, incluant celle à l’occasion d’une évaluation du rendement, apparaît pertinent. En conséquence, la Commission rejette l’objection.

[56]        La Commission retient que les faits dans leur ensemble ne sont pas contestés, à certains détails près. C’est plutôt leur interprétation par les parties qui les mène à une divergence au niveau de la seconde étape. En effet, le MSP considère les gestes reprochés comme un manque de civilité et de l’insubordination, alors que M. Bellavance estime que les mêmes gestes ne constituent pas globalement une faute qui justifie la réprimande imposée. À cet égard, la Commission précise que le remplacement de la première lettre de réprimande par la seconde n’a aucun impact sur le litige, les deux lettres s’appuyant sur les mêmes faits et imposant la même sanction.

[57]        La Commission doit donc déterminer s’il y a eu ou non une faute de la part de M. Bellavance lors de l’incident du 30 janvier 2015.

[58]        La Commission retient du témoignage de Mme Lortie que ce ne sont pas tant les paroles prononcées par M. Bellavance qui l’ont ébranlée que le haussement de ton, la répétition du même propos, à la limite de l’acharnement, et la manifestation de son opposition que laissait transparaître son non-verbal : des coups de doigt secs lancés dans le vide, un regard méprisant, une posture nonchalante, un hochement de tête réprobateur jumelé à un regard en coin. M. Bellavance a fait plus qu’argumenter : il a physiquement manifesté son désaccord, sa frustration, peut-être même sa colère, à l’égard de la décision de sa supérieure immédiate. Le témoignage de Mme Lortie à cet égard n’est pas subjectif : elle rapporte des faits.

[59]        La Commission retient également que ce n’était pas une simple discussion animée comme celles auxquelles donnent lieu certaines rencontres journalières des chefs d’unité: alerté dans son bureau par des cris provenant d’un bureau voisin, M. Thibeault intervient pour demander à M. Bellavance de cesser de crier, ce qu’il n’a jamais eu à faire auparavant lors d’une rencontre journalière. De plus, M. Thibeault voit deux témoins de la scène reculer d’un pas et regarder par terre, alors qu’un autre fait signe à M. Bellavance de se calmer. Encore une fois, la Commission ne voit rien de subjectif dans les faits rapportés par ce témoin.

[60]        À maintes occasions, le MSP a sensibilisé M. Bellavance quant à sa façon de s’exprimer. M. Thibeault a indiqué qu’il y avait eu, auprès de M. Bellavance, 18 interventions impliquant sept gestionnaires et concernant des situations de langage ou de comportement inapproprié. Cette affirmation n’a pas été remise en question par la partie appelante. Conséquemment, la Commission est d’avis que M. Bellavance devait savoir que sa façon de s’exprimer n’était pas toujours adéquate.

[61]        Toutefois, puisque le MSP n’a pas jugé opportun d’imposer une mesure disciplinaire pour l’un ou l’autre de ces 18 précédents, il est possible que M. Bellavance ait pu penser qu’il en serait toujours ainsi. Cela ne signifie pas que le langage et le ton utilisés à ces occasions étaient acceptables et qu’ils n’auraient pas pu justifier une sanction.

[62]        La Commission comprend qu’un établissement de détention est un milieu de travail exigeant qui requiert de ses employés des aptitudes particulières. La prestance de M. Bellavance, sa fermeté et son ton autoritaire font de lui un chef d’unité efficace et apprécié. Toutefois, ces mêmes traits de caractère peuvent le desservir dans certains aspects de son travail, ses relations professionnelles notamment.

[63]        Ainsi, la Commission est d’avis que la preuve démontre de manière prépondérante que M. Bellavance a commis une faute en s’adressant de manière inappropriée à sa supérieure immédiate, le 30 janvier 2015, contrevenant ainsi à son obligation de civilité et faisant montre d’insubordination. Aussi, comme elle l’a énoncé dans la décision Barnabé, la Commission est d’avis qu’un « manque de civilité constitue à lui seul, avec respect pour l’opinion contraire, une inconduite, un manquement pouvant justifier une réprimande[7] », surtout quand le manque de respect envers sa supérieure survient devant d’autres employés[8].

[64]        La présente affaire se distingue de la décision Centre jeunesse Estrie citée par M. Bellavance et dans laquelle la preuve, truffée d’impressions, de perceptions, d’interprétations et de sentiments confus n’avait pas établi que le plaignant avait été brusque, ni que son ton était inapproprié[9]. En l’espèce, le témoignage de Mme Lortie, corroboré par celui de M. Thibeault, a établi : un haussement de ton inhabituel jusqu’au cri, la répétition acharnée de la même phrase, des manifestations physiques de désaccord et la manifestation physique du malaise de témoins. Pour la Commission, ces faits, objectivement considérés, sont autant d’indices de la faute commise par M. Bellavance.

[65]        Aussi, dès lors qu’une faute est prouvée, l’opportunité de la sanctionner ou non appartient à l’employeur. La Commission peut apprécier la proportionnalité de la sanction au regard de la faute et la réduire, le cas échéant. Toutefois, la Commission ne peut l’annuler. C’est d’ailleurs également la conclusion de la Commission dans la décision Barnabé[10].

[66]        De plus, contrairement à ce qu’avance M. Bellavance, le MSP n’avait pas à imposer une mesure administrative avant la réprimande, ces deux mesures poursuivant des objets complètement distincts.

[67]        En effet, la doctrine a identifié le fondement principal de la distinction entre une mesure administrative et une mesure disciplinaire : « le caractère volontaire ou non du manquement reproché au salarié. La mesure disciplinaire ne peut s’appliquer qu’à la faute volontaire du salarié, puisqu’elle vise principalement à punir pour corriger[11] ». Les mêmes auteurs poursuivent :

La mesure non disciplinaire n’entre en jeu que lorsque le manquement du salarié est involontaire, impossible à corriger. C’est pourquoi, on les rencontre généralement en matière de capacités et de compétence du salarié à effectuer la prestation de travail.[12]

[68]        Or, dans la présente affaire, le but de la mesure étant de punir un manquement volontaire de M. Bellavance, autrement dit une faute, afin qu’il modifie son comportement, l’imposition d’une mesure administrative n’est pas appropriée.

[69]        Qui plus est, comme son nom l’indique, le principe de la gradation des sanctions ne s’évalue qu’au regard de sanctions, c’est-à-dire de mesures disciplinaires. Les mesures administratives n’étant pas des sanctions, elles ne peuvent aucunement servir de point de départ à une gradation des sanctions, ni même être considérées dans le cadre d’une telle analyse.

[70]        En l’espèce, le MSP a sanctionné M. Bellavance en recourant à la moindre des trois mesures disciplinaires à sa disposition, c'est-à-dire la réprimande, et ce, en respectant notamment le principe de la gradation des sanctions. La Commission ne peut donc pas réduire la sanction imposée.

[71]        POUR CES MOTIFS, la Commission rejette l’appel de M. Éric Bellavance.

 

 

           

 

_____________________________

Sonia Wagner, avocate

Commissaire

 

 

Me Christine Beaulieu

Procureure pour M. Éric Bellavance

Appelant

 

Me Jean-Christophe Bédard-Rubin

Procureur pour le ministère de la Sécurité publique

Intimé

 

Lieu de l’audience :

Québec

 

 

Date de l’audience :

7 mai 2015

 

 

Appel pris en délibéré :   23 mai 2015



[1]     Conseil de l’éducation de Toronto (cité) c. F.E.E.E.S.O. district 15, 1997 CanLII 378 (C.S.C.); Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, local 503 c. Gendreau et centre agricole coop de Matapédia, 1998 CanLII 13178 (C.A.); Centre jeunesse Estrie et Syndicat du personnel de soutien et de réadaptation du centre jeunesse Estrie, SOQUIJ AZ-51021949 (T.A.).

[2]     Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales (Me Donald Barnabé) et Directeur des poursuites criminelles et pénales, 2015 QCCFP 1; Association des employés d’industries C.P.S. et Les industries C.P.S. inc., SOQUIJ AZ-01141319; Syndicat des travailleurs et travailleuses d’ABB et ABB inc., AZ-50854053; Dunsmuir c. Nouveau Brunswick, [2008] CSC 9; Forest c. Varennes (Ville de), 2008 QCCA 2189.

[3]     Linda BERNIER, Guy BLANCHET, Lukasz GRANOSIK et Éric SÉGUIN, Les mesures disciplinaires et non disciplinaires dans les rapports collectifs de travail, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2011, feuilles mobiles, par. 7.041.

[4]     RLRQ, c. F-3.1.1.

[5]     RLRQ, c. F-3.1.1, r. 3.

[6]     C.T. 170451 du 11 avril 1989 et ses modifications.

[7]     Précitée, note 2, au paragraphe 248.

[8]     Association des employés d’industries C.P.S., précitée note 2, à la page 6.

[9]     Précitée, note 1, au paragraphe 55.

[10]    Précitée, note 2, au paragraphe 249.

[11]    C. D’Aoust, L. Leclerc, G. Trudeau, Les mesures disciplinaires : Étude jurisprudentielle et doctrinale, Montréal, École des relations industrielles de l’Université de Montréal, 1982, à la page 72.

[12]    Ibid.

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