Décision

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Khov c. Merdja

2023 QCTAL 8731

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

662959 31 20221104 G

No demande :

3712939

 

 

Date :

22 mars 2023

Devant la juge administrative :

Amélie Dion

 

Hak Se Khov

 

Mo Yee Lili Wu

 

Locateurs - Partie demanderesse

c.

Slimane Merdja

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Par un recours introduit le 4 novembre 2022, les locateurs demandaient de reprendre le logement de la locataire pour y loger le père de la locatrice. Le 16 décembre 2022, les locateurs amendent leur recours afin de reprendre le logement pour eux-mêmes.

[2]         La locataire conteste le changement de bénéficiaire et demande l’irrecevabilité du recours.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[3]         L’amendement du bénéficiaire du logement à la procédure de reprise de logement rend-il la demande irrecevable?

LE CONTEXTE

[4]         La locataire loue le logement depuis le 1er juillet 2010. Il s’agit d’un 4 pièces et demie, lequel est situé au demi-sous-sol. Un autre de 4 pièces et demie se trouve à l’étage de l’immeuble et un troisième logement au deuxième étage.

[5]         Les locateurs sont devenus propriétaires de l’immeuble le 2 août 2018. Ils louent présentement une résidence depuis le 1er octobre 2021. Celle-ci est située relativement près du logement convoité.

[6]         Le 12 septembre 2022, les locateurs transmettent un avis de reprise à la locataire afin de loger le père de la locatrice.

[7]         Le 5 octobre 2022, la locataire refuse de quitter le logement. Une demande est alors introduite le 4 novembre 2022, afin d’obtenir la permission du Tribunal pour reprendre le logement.


[8]         Le 16 décembre 2022, les locateurs écrivent à la locataire pour l’informer qu’ils reprendront finalement le logement pour eux-mêmes.

[9]         Ainsi, selon la locataire, la demande de reprise amendée n’est pas conforme à l’avis de reprise, mais les locateurs soutiennent que cet amendement ne rend pas la procédure irrecevable.

L’ANALYSE

L’amendement du bénéficiaire

[10]     En principe, un amendement peut se faire à tout moment, sauf s’il est inutile, contraire à l’intérêt de la justice ou qu’il en résulte une demande entièrement nouvelle.[1]

[11]     Les locateurs demandent de substituer le père de la locatrice comme bénéficiaire de la reprise pour leur bénéfice personnel.

[12]     Ils expliquent qu’ils devaient reprendre le logement situé au premier étage pour eux-mêmes et le logement au demi-sous-sol pour le père de la locatrice. Ils précisent qu’en raison d’une erreur ayant trait aux délais, ils n’ont pas introduit de recours pour obtenir la reprise du logement dont ils étaient bénéficiaires dans les délais.

[13]     Ils désirent maintenant se loger dans le logement au demi-sous-sol, c’est pourquoi ils ont amendé la procédure le 16 décembre 2022 pour changer de bénéficiaire.

[14]     Selon leurs prétentions, la demande de reprise du logement ne devrait pas être déclarée irrecevable, n’étant pas une demande entièrement nouvelle, tel que l’a décidé la juge Vadboncoeur dans l’affaire Kobylski c. Guertin[2] rendue en 2006.

[15]     Dans cette affaire, les locateurs demandaient la reprise de logement pour loger leur fils alors que l’avis indiquait que la bénéficiaire de la reprise était leur fille. Dans les faits, le fils préférait le logement situé au troisième étage et la fille préférait le logement du deuxième étage, soit celui visé par la reprise.

[16]     En appel, la Cour du Québec, sous la plume de la juge Vadboncoeur, ne voit pas d’empêchement d’intervertir les enfants du couple, car l’amendement n’entraîne pas, selon elle, une demande entièrement nouvelle[3].

[17]     Ainsi, à la lecture de cette décision tout indique qu’un enfant bénéficiaire ou un autre enfant, avec le parent propriétaire-locateur du logement, n’a pas pour effet de modifier la demande de reprise soumise.

[18]     Qu’en est-il si le bénéficiaire est un ascendant que l’on désire substituer pour permettre aux locateurs de reprendre le logement? Revoyons les principes relatifs aux avis donnés et la jurisprudence de notre Tribunal en matière de substitution de bénéficiaire.

Les principes relatifs à l’avis

[19]     Lorsqu’un locateur désire reprendre un logement, il doit transmettre un avis de reprise au locataire et se conformer à l’article 1961 du Code civil du Québec, lequel prévoit :

1961. L’avis de reprise doit indiquer la date prévue pour l’exercer, le nom du bénéficiaire et, s’il y a lieu, le degré de parenté ou le lien du bénéficiaire avec le locateur.

L’avis d’éviction doit indiquer le motif et la date de l’éviction.

Ces avis doivent reproduire le contenu de l’article 1959.1.

La reprise ou l’éviction peut prendre effet à une date postérieure à celle qui est indiquée sur l’avis, à la demande du locataire et sur autorisation du tribunal.

[20]     L’avis de reprise doit dénoncer clairement le bénéficiaire de la reprise pour que le locataire soit en mesure de consentir à la reprise s’il y a lieu ou préparer une contestation de la demande en fonction de ce qui est dénoncé.


[21]     Dans une décision récente, la juge administrative, Suzanne Guèvremont, explique en ces termes, l’importance de l’avis transmis au locataire ainsi que du respect impératif des règles qui l’encadre :

[10] Ainsi, le nom du bénéficiaire doit apparaître dans l'avis donné, car le locataire doit être en mesure de vérifier le bien-fondé de la demande et de la contester s'il y a lieu.

[11] L'envoi d'un avis conforme à la loi est plus qu'une simple formalité procédurale. Le professeur Pierre-Gabriel Jobin a écrit ceci sur ce sujet :

« Nous sommes, rappelons-le, dans un domaine où le législateur et les tribunaux luttent contre les abus commis par certains locateurs. Les mentions obligatoires dans l'avis, en particulier celle du nom du bénéficiaire, sont un bon moyen d'assurer au locataire une défense pleine et entière. D'après nous, l'omission d'une mention obligatoire devrait être fatale, à moins que, exceptionnellement, le locataire y renonce de façon claire ou encore qu'il soit évident que le locataire pouvait identifier le bénéficiaire sans demander d'informations additionnelles, c'est-à dire si le bénéficiaire était déterminable avec certitude à l'aide des informations contenues dans l'avis. » (1)

[12] La jurisprudence rendue en semblables matières a décidé que les dispositions concernant l'exercice de ce recours sont impératives. Elles doivent être rigoureusement respectées puisqu'elles mettent en échec le droit au maintien dans les lieux établi en faveur de la locataire.

[22]     Constatant le changement de bénéficiaire ainsi que la discordance entre l’avis et la demande, la juge administrative Guèvremont rejette la reprise du logement demandée.[4]

[23]     Pour sa part, dans l’affaire Moumbe c. Tayoubi, le juge administratif Robin-Martial Guay conclut qu’il est possible de modifier, par voie d’amendement, le nom d’un bénéficiaire pour rendre conforme l’avis de reprise à la véritable intention du locateur.

[24]     Dans cette affaire, les bénéficiaires de la reprise du logement sont différents, selon qu’il s’agit de l’avis de reprise donné aux locataires, ou celle de la demande introduite devant le Tribunal. L’avis de reprise indique que c’est pour loger sa bellemère et cousin(e)s et la demande du locateur indique que la reprise est pour s’y loger personnellement.

[25]     Le juge Guay écrit :

[53]     Certes, il est possible de modifier, par voie d’amendement, le nom d’un bénéficiaire tel celui de sa fille pour celui de son fils sans que cela n’altère la bonne foi du locateur et cause un préjudice au locataire puisque l’amendement n’était pas de nature à changer substantiellement la demande originaire[7].

[54]     À fortiori, il semble possible de corriger une demande au moyen d’un amendement pour la rendre conforme à l’intention annoncée dans l’avis de reprise[8]. Si l’avis de reprise s’avère substantiellement défectueux une fois donné, on ne peut y remédier par la demande, car l’avis de reprise est générateur de droits.[5]

[26]     Il conclut qu’une reprise ne peut être accordée à la suite d’un changement de bénéficiaire lorsque cela a pour effet de modifier la finalité de la demande. Il explique ce principe de la façon suivante :

[37]     Il va sans dire que le locateur ne peut pas se substituer en tant que bénéficiaire de la reprise sur sa demande aux personnes pour qui le logement était initialement convoité dans son avis de reprise, à savoir sa belle-mère et cousin(e)s.

[38]     En changeant le bénéficiaire de la reprise en passant de sa belle-mère et cousin(e)s à lui personnellement, cela change la finalité de la demande en ce que les éléments de preuve que doit démontrer le locateur diffèrent selon qu’il s’agit d’une reprise pour s’y loger ou d’une reprise pour y loger un allié ou un autre parent dont il est le principal soutien.[6]

[27]     Tout comme son collègue le juge administratif Guay, la juge Jodoin avait aussi refusé d’accorder la reprise d’un logement à la suite d’une substitution de bénéficiaire dans l’affaire Cloutier.

[28]     Dans cette affaire, l’avis prévoyait une reprise de logement au bénéfice de la locatrice. Par la suite, la demande introduite indique que les bénéficiaires de la reprise seront la mère de la locatrice et sa nièce, ce qui a pour effet, selon la juge administrative, de modifier la nature de la demande.


[29]     Elle conclut de la manière suivante :

[19]   En l’occurrence, nous ne sommes pas devant un avis qui est incomplet ou informe. La locatrice fait une substitution de bénéficiaires. Son avis n’est pas conforme aux intentions pour les fins de la reprise au 1er juillet 2018, ce qui a pour effet de modifier totalement la nature même de la demande.[7] 

[30]     La soussignée est en accord avec les décisions rendues par Me Guay et Me Jodoin. En procédant à l’amendement de bénéficiaire afin de reprendre le logement pour eux-mêmes plutôt que pour le père, la demande introduite est devenue irrecevable à sa face même puisqu’entièrement nouvelle à la suite de l’avis transmis.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[31]     DÉCLARE irrecevable la demande.

 

 

 

 

 

 

 

 

Amélie Dion

 

Présence(s) :

les locateurs

la locataire

Date de l’audience : 

12 janvier 2023

 

 

 


 


[1] Article 18 et 21 du Règlement sur la procédure devant le Tribunal administratif du logement.

[2] Kobylski c. Guertin, 2006 QCCQ 1476.

[3] Kobylski c. Guertin, note 2 paragr. 25 et 26.

[4] Cerna c. Calisto Sousa, 2021 QCTAL 15391.

[5] Moumbe c. Tayoubi, 2022 QCTAL 31126, paragr. 53 et 53

[6] Idem, par. 37 et 38.

[7] Cloutier c. Lemay, 2017 QCRDL 36579, paragr. 19.

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