Provost c. Gillespie | 2023 QCTAL 24925 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Montréal | ||||||
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No dossier : | 672990 31 20230105 G | No demande : | 3764685 | |||
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Date : | 03 août 2023 | |||||
Devant la juge administrative : | Isabelle Gauthier | |||||
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Gaétan Provost |
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Locateur - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Michael Gillespie |
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Locataire - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Le 5 janvier 2023, le locateur demande au Tribunal de l’autoriser à reprendre le logement concerné, à compter du 1er juillet 2023, pour s’y loger et, conséquemment, d’ordonner l’expulsion du locataire et de tous les occupants. Le Tribunal note que le locateur ne demande ni l’exécution provisoire de la décision malgré l’appel ni le paiement des frais.
[2] De son côté, le locataire s’oppose à cette demande de reprise de son logement par le locateur, d’où la présente demande.
[3] Avant de se prononcer sur le fond du litige, le Tribunal doit tout d’abord se prononcer sur deux questions préliminaires.
[4] La première concerne le terme du bail liant les parties.
[5] La seconde est de déterminer si le délai légal pour le dépôt de la demande de reprise a été respecté. Ce n’est qu’au moment des plaidoiries que l’avocate du locataire a allégué que la présente demande était irrecevable, au motif qu’elle avait été introduite à l’extérieur du délai imparti, à la suite de la réponse verbale du locataire à l’avis de reprise de logement.
LE TERME DU BAIL LIANT LES PARTIES
[6] Les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2016 au 30 juin 2017, au loyer mensuel de 1 100 $, concernant une maison unifamiliale comprenant trois chambres à coucher, un salon, une cuisine et une salle à manger. Ce bail a été signé par le locataire et le père du locateur. Le bail est reconduit à ce jour, au même loyer mensuel de 1 100 $.
[7] En 2019 ou 2020, le locateur a acheté l’immeuble de son père. Il est le seul propriétaire de l’immeuble[1].
[8] Selon le locateur, le bail annuel est devenu un bail mensuel à la suite de l’envoi d’un avis de modification au locataire par son père, en mars 2017[2].
[9] Le locataire admet avoir reçu cet avis de modification, mais conteste que le bail soit devenu mensuel, affirmant avoir refusé verbalement la modification proposée par le père du locateur.
[10] Il appartenait au locateur de présenter une preuve réfutant le témoignage du locataire à cet égard.
[11] Or, lors de l’audience, le père du locateur n’a pas témoigné. Le Tribunal a fait droit à l’objection de l’avocate du locataire, faite dans le cadre du témoignage de ce dernier, quant à la déclaration qu’aurait faite l’ancien locateur à son fils, relativement au terme du bail, la preuve par ouï-dire n’étant pas admissible en preuve.
[12] Il a été reconnu qu’un avis en réponse à un avis transmis par un locateur peut valablement être donné verbalement[3].
[13] En l’instance, le témoignage crédible du locataire à l’effet qu’il a refusé verbalement la modification proposée par le père du locateur dans les délais légaux n’est pas contesté.
[14] De plus, la preuve démontre que le locateur lui-même ne semble pas certain de la durée du terme qu’il affirme être d’un mois.
[15] Le locateur explique ainsi à l’audience avoir « présumé » que le bail était au mois, mais affirme avoir quand même transmis l’avis de reprise six mois avant la date de reprise, au cas où. Or, l’article
[16] Quant à l’avis de reprise, le locateur y a indiqué que le bail est à durée indéterminée.
[17] Une lettre transmise au locataire en juin 2021 et produite en preuve vient également appuyer la version du locataire. Dans cette lettre, le locateur écrit : « [s]elon ma compréhension, le nouvel acquéreur n’aura qu’à vous donner un préavis d’éviction de 3 mois avant de pouvoir reprendre, légalement, le logement. » Or, tel que mentionné précédemment, si le terme du bail était mensuel, le préavis aurait été d’un mois et non de trois mois, tel que mentionné dans la lettre.
[18] En conséquence, le Tribunal conclut que le terme du bail liant les parties est annuel et non mensuel.
LE RESPECT DU DÉLAI POUR DÉPOSER LA DEMANDE DE REPRISE
[19] L’avocate du locataire demande au Tribunal de déclarer le recours irrecevable, soumettant que le locateur n’a pas respecté le délai prévu à l’article
« 1963. Lorsque le locataire refuse de quitter le logement, le locateur peut, néanmoins, le reprendre, avec l'autorisation du tribunal.
Cette demande doit être présentée dans le mois du refus et le locateur doit alors démontrer qu'il entend réellement reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l'avis et qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins. »
[20] Selon elle, le locataire a exprimé clairement au locateur, le 1er décembre 2022, avoir l’intention de rester au logement. Quant au locateur, il savait dès le 1er décembre devoir intenter son recours en reprise de logement devant le Tribunal. À partir de cette date, le locateur avait un mois pour introduire son recours. Le 1er janvier 2023 étant un jour férié, de même que le 2 janvier, la demande aurait dû être déposée le 3 janvier 2023 au plus tard. Or, la demande a été déposée le 5 janvier.
[21] De son côté, le locateur explique tout d’abord qu’il n’est pas avocat. Le 1er décembre, le locataire a refusé de signer l’accusé de réception et non refusé la reprise, selon lui. Il dit ensuite que jamais il n’a eu de réponse du locataire et c’est en raison de cette absence de réponse qu’il a déposé sa demande le 5 janvier 2023.
[22] Dans l'affaire Sivarajah Karunathan c. Brizzi[4], la juge administrative Sophie Alain écrit :
« [11] Le droit d'un locateur à la reprise de logement constitue une exception au droit au maintien dans les lieux du locataire. Ce droit doit donc être exercé selon les exigences prescrites par la loi. D'ailleurs, les tribunaux sont sévères et interprètent les dispositions relatives à la reprise de logement de façon restrictive.
[12] Ainsi, l'autorisation de reprendre le logement d'un locataire est soumise à une procédure légale formelle qui relève d'une condition de fond, par opposition à une condition de forme. Le respect des dispositions du Code civil du Québec qui régissent la reprise du logement est impératif et d'ordre public (1) afin de garantir et d'assurer le respect du droit des locataires au maintien dans les lieux. Par conséquent, tout vice affectant l'avis de reprise ou la demande d'autorisation sera fatal à l'exercice du recours par le locateur (2).
[13] D’abord, la procédure de reprise commence par l'envoi d'un avis formel à la locataire, tel que prescrit par les articles
[14] Ensuite, selon la réponse ou l’absence de réponse de la locataire, le locateur doit produire sa demande selon les articles
« 1962. Dans le mois de la réception de l'avis de reprise, le locataire est tenu d'aviser le locateur de son intention de s'y conformer ou non; s'il omet de le faire, il est réputé avoir refusé de quitter le logement.
1963. Lorsque le locataire refuse de quitter le logement, le locateur peut, néanmoins, le reprendre, avec l'autorisation du tribunal.
Cette demande doit être présentée dans le mois du refus et le locateur doit alors démontrer qu'il entend réellement reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l'avis et qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins. » »
[23] La preuve démontre que le locateur s’est présenté au logement du locataire pour lui remettre l’avis de reprise en mains propres le 29 novembre 2022. Le locataire n’étant pas présent, il remet l’avis à la conjointe de ce dernier.
[24] Il retourne au logement le 1er décembre pour y rencontrer le locataire et obtenir de ce dernier qu’il signe l’accusé de réception de l’avis de reprise, ce que ce dernier refuse de faire. Selon le locateur, le locataire lui a dit qu’il avait une avocate et que celle-ci lui avait dit de ne rien signer.
[25] Contre-interrogé par l’avocate du locataire, le locateur explique que selon sa compréhension, le refus du locataire de signer l’accusé de réception signifiait qu’il refusait la reprise et qu’il ne pouvait donc pas attendre pour intenter son recours.
[26] De son côté, le locataire décrit ainsi sa rencontre du 1er décembre 2022 avec le locateur. Ce dernier lui explique qu’il veut reprendre le logement, car il divorce. Le locateur lui dit qu’il veut y vivre et le rénovera.
[27] Le locataire témoigne avoir alors dit au locateur qu’il a un bail, qu’il veut rester au logement et qu’il refuse.
[28] À la lumière de la preuve entendue, le Tribunal ne peut conclure qu’il y a eu preuve probante d’un refus verbal formel formulé par le locataire lors de la rencontre du 1er décembre 2022, et ce, pour les motifs suivants.
[29] Le Tribunal est face à une preuve contradictoire sur cette question.
[30] Or, même si le locateur a témoigné en contre-interrogatoire avoir cru que le refus du locataire de signer l’accusé de réception signifiait qu’il refusait la reprise et qu’il ne pouvait donc pas attendre pour intenter son recours, ceci ne peut constituer une preuve de sa connaissance d’un refus formel, puisqu’il était dans l’erreur. En effet, le refus de signer un accusé de réception ne peut constituer un refus à la reprise, tel que mentionné à l’article
[31] De plus, le refus du locataire face à un avis de reprise de son logement, d’autant plus lorsqu’il est manifesté verbalement, doit être sans équivoque, et être compris comme tel, ce que la preuve ne démontre pas en l’instance. Ce moyen préliminaire est donc rejeté.
LA DEMANDE DE REPRISE DU LOGEMENT
CONTEXTE
[32] Le Tribunal a pris note de l’ensemble des témoignages et de la preuve administrée devant lui, mais il ne sera fait mention dans la présente décision que des éléments pertinents retenus pour fonder celle-ci.
[33] Le locateur souhaite reprendre le logement pour les raisons suivantes. Il s’est séparé de sa conjointe à l’automne 2022 et celle-ci n’habite plus avec lui depuis le 28 décembre dernier. Il veut reprendre le logement pour y vivre avec son fils de 19 ans, ce qui lui permettra d’atténuer ses problèmes financiers. Ce logement leur convient, car il a trois chambres, ce qui leur fera chacun une chambre. L’autre chambre deviendra son bureau et il aura accès à une cour pour leur chien.
[34] Il explique que son ex-conjointe souhaitait vendre la résidence familiale, mais il n’a pas voulu. Elle ne l’aide pas pour les paiements. Actuellement, il est difficile de la conserver et de payer seul, donc il veut la mettre en location, car il ne connaît pas l’avenir. Les versements hypothécaires mensuels sur cette maison sont de 600 $ et le versement mensuel pour la marge de crédit est de 1 100 $. Il a pris la décision de la louer en mars ou avril 2023. Il produit en preuve un échange courriel avec une entreprise de gestion immobilière, indiquant qu’ils sont en attente pour leurs clients d’un bail dûment complété qui devra être vérifié par leur département légal, pour une location à partir du 1er juin 2023. Le locateur témoigne que le loyer mensuel serait de 3 500 $.
[35] Outre l’immeuble concerné, le locateur est seul propriétaire d’un autre immeuble situé sur la même rue, lequel abrite un logement de quatre pièces et demie, qu’il loue en deux chambres depuis quelques années. Une des deux chambres est offerte en location au jour de l’audience.
[36] Il possède également trois immeubles avec son ex-conjointe, soit la résidence familiale, une copropriété et un autre immeuble situé sur la rue de l’immeuble concerné, abritant cinq chambres et un loft au sous-sol. Seule une chambre n’est pas louée actuellement et est offerte en location.
[37] La copropriété est d’une grandeur de quatre pièces et demie. Elle est louée jusqu’au 30 août et est offerte en location à 1 900 $ par mois après cette date. Le locateur affirme ne pouvoir aller y habiter avec son fils, car une modification au règlement de la déclaration de copropriété prévoit, depuis 2017, que seuls les petits animaux domestiques que le copropriétaire peut porter dans ses bras et pesant moins de 20 livres sont acceptés dans les parties privatives. Or, le locateur possède un chien de race Bouvier Bernois pesant 100 livres.
[38] De son côté, le locataire doute de l’intention réelle du locateur de reprendre son logement, lequel est vieux et a besoin de rénovations importantes, pour s’y loger. Il s’agit, selon lui, d’un prétexte pour l’expulser de son logement, le rénover et le louer en chambres, comme il l’a fait pour ses autres immeubles.
[39] Depuis 2021, le locateur veut qu’il s’en aille et invoque divers motifs pour ce faire. En juin 2021, il a mis l’immeuble en vente. Il lui a alors offert la possibilité de quitter et que le bail soit résilié sans aucune conséquence, ce qu’il a refusé. L’immeuble n’a pas été vendu. Ensuite, le locateur lui a dit qu’il voulait reprendre le logement pour son fils. Maintenant, il veut reprendre le logement pour lui-même et son fils en invoquant sa récente séparation.
[40] Depuis 2021, ils ont des discussions sur des logements à louer dans les environs, le locateur lui transmettant des annonces à ce sujet. À chaque fois, le locataire lui dit qu’il ne veut pas déménager, car ses revenus sont peu élevés.
[41] Le locateur admet avoir eu des discussions avec le locataire pour qu’il quitte le logement. Il explique qu’il voulait faciliter sa vie et celle de sa famille, car le locataire se plaignait de problèmes de champignons et de qualité de l’air dans le logement. Il avertissait le locataire lorsqu’il voyait des logements en location dans les environs. Il a ainsi essayé de l’aider à se reloger, sans faire aucune pression.
[42] Le locateur reconnaît avoir mis l’immeuble en vente en 2021. Il s’agissait d’une décision d’affaires. Il souhaitait le vendre, car il n’était pas à son goût à l’époque. Il a offert au locataire de quitter le logement à ce moment, sans pénalité. Il n’a eu aucune offre d’achat. Il n’a pas renouvelé le contrat de courtage, mais l’immeuble est encore affiché sur le site Market Place.
[43] Il ne voyait pas d’opportunité pour lui de garder cet immeuble en 2021. Aujourd’hui, la situation est différente puisqu’il s’est séparé. Sa seule option est de reprendre le logement du locataire.
[44] Le locateur admet que des réparations importantes devront être effectuées au logement concerné. Le locataire lui a fait part de problèmes de ventilation et d’infiltration d’eau dans les fondations. Il a visité le logement avec son fils en septembre 2022 pour évaluer les travaux à faire et l’urgence de la situation. Son fils est plus vieux et pourra s’occuper des rénovations, puisqu’il travaille dans le domaine de la construction.
[45] Si le Tribunal autorise la reprise, le locataire demande une indemnité de 4 000 $. Quant au locateur, il s’en remet au Tribunal.
ANALYSE
[46] C'est pour protéger le droit au maintien dans les lieux du locataire, reconnu comme étant « la pierre angulaire des relations entre les parties en matière de bail résidentiel et un droit d’ordre public »[5], que le législateur a imposé des conditions strictes au locateur en matière de reprise de logement, et ce, pour éviter les abus.
[47] Il appartient au locateur de démontrer, par prépondérance de preuve[6], que son projet de reprise de logement respecte le cadre de la loi. La force probante d'une preuve testimoniale dépend de la crédibilité de chaque témoin et de la qualité de son témoignage, eu égard à la façon de témoigner et au contenu des réponses, éléments que le Tribunal considère en vue de rendre un jugement conforme au poids de la preuve. Il revient au Tribunal, en vertu de l'article
[48] Pour avoir droit à la reprise, « il doit démontrer qu’il entend réellement le faire pour la fin mentionnée dans l’avis et qu’il ne s’agit pas d’un prétexte pour atteindre d’autres fins. »[7] Le Tribunal doit ainsi « vérifier si ces motifs n’ont pas pour but de mettre fin au droit au maintien dans les lieux de la locataire par un moyen détourné. »[8]
[49] Tel que le souligne le juge De Michele de la Cour du Québec, dans l'affaire Goudreault c. Bassel[9] :
« [22] En matière de reprise de possession de logement, la cour doit baser sa décision sur une prépondérance de preuve. Cette prépondérance de preuve ne doit laisser aucun doute dans l'esprit du Tribunal quant aux intentions réelles du locateur/demandeur. »
(Notre soulignement)
[50] À cet égard, la Cour du Québec précise[10] :
« [37] L’emploi des expressions qui utilise le vocabulaire dérivé du verbe « douter » n’est pas nouveau. Il s’agit en effet d’une façon de dire que, si dans l’analyse de la preuve le régisseur n’a pas trouvé un ensemble d’éléments qui repousse la présomption d’une absence d’intention réelle et de la présence d’un prétexte, le locateur n’a alors pas réussi son fardeau de la preuve. »
[51] Quant à la notion de bonne foi requise pour l’exercice du droit à la reprise d’un logement, le Tribunal écrit dans l'affaire Simard-Godin c. Gibeault[11] :
« La détermination de la bonne foi, de l'intention réelle de reprendre possession et de l'absence de prétexte dolosif est une question de faits et d'intention entourant les faits. À ce chapitre la Régie est justifiée d'examiner les faits et motifs qui amènent le locateur à requérir le logement : cette appréciation implique nécessairement des éléments subjectifs et objectifs tels que la crédibilité de la locatrice et de sa fille, les raisons personnelles justifiant leur droit spécifique, la disponibilité d'un logement équivalent et même l'état des relations avec le locataire en cause. »
[52] Le locateur doit donc mettre en preuve des faits précis qui démontrent ses intentions réelles, en plus du caractère de permanence de la reprise. La Cour du Québec a d’ailleurs récemment rappelé, dans l’affaire Aly c. Gagnon[12], que « [l]a stabilité et la durabilité du projet peuvent être des éléments pertinents » à prendre en considération dans le cadre de l’analyse visant à déterminer si les motifs de reprise du logement sont vraisemblables.
[53] Tel que l’écrivait l’honorable David L. Cameron de la Cour du Québec, « [i]l est donc normal et prévisible que la preuve porte sur des éléments personnels de la vie du locateur, y compris sa situation familiale, sa vocation ou sa profession, les réalités économiques de son choix, et d’acquérir l’immeuble, et de vouloir s’y loger. »[13] Cependant, le Tribunal ne doit pas substituer ses propres choix à ceux du locateur.
[54] En l'espèce, le locateur a le fardeau de prouver le bien-fondé de sa demande, sa bonne foi et ses véritables intentions et ce dernier n'a pas convaincu le Tribunal de sa réelle intention de reprendre le logement pour s’y loger et qu’il ne s’agit pas d’un prétexte pour atteindre d’autres fins, et ce, pour les motifs suivants.
[55] Le locateur invoque vouloir reprendre le logement en raison de sa récente séparation et des difficultés financières qu’il vit actuellement.
[56] Comme le soulignait la juge administrative Francine Jodoin dans l’affaire Leroux c. David[14], « [d]ans certains cas, lorsque les difficultés financières d’un locateur justifient un déplacement de logement, la jurisprudence admettra cela comme un motif valable justifiant la reprise. »[15]
[57] Toutefois, « ce motif doit être supporté par une preuve prépondérante d'un besoin financier sérieux, concret, réel et raisonnable qui oblige à requérir le logement et ainsi obtenir l'éviction »[16] du locataire. Il faudra ainsi que le locateur ait démontré devoir utiliser son immeuble « pour stabiliser une situation économique difficile. »[17]
[58] La preuve soumise par le locateur relativement à sa situation financière difficile est demeurée vague et imprécise. Aucune preuve n’a été soumise de problèmes financiers actuels et réels. Ainsi, dans quelle mesure existe-t-il en l’instance un besoin légitime et financier du locateur à reprendre le logement du locataire?
[59] La preuve a plutôt démontré que le locateur a des revenus d’emploi de l’ordre de 100 à 110 000 $, qu’il possède plusieurs immeubles locatifs à son seul nom ou en copropriété avec son ex-conjointe et que les revenus locatifs engendrés dépassent largement les paiements hypothécaires à verser, sauf quant à l’immeuble où est situé le logement concerné.
[60] Ainsi, dans l’autre immeuble dont il est seul propriétaire, chaque chambre est louée entre 800 $ et 900 $, alors que ses paiements hypothécaires mensuels sont d’environ 900 $, pour une hypothèque de 200 000 $, sur cet immeuble d’une valeur de 446 800 $ selon le rôle d’évaluation foncière.
[61] Quant à la copropriété détenue avec son ex-conjointe, actuellement en location jusqu’au 30 août prochain, le locateur souhaite la louer à 1 900 $ par mois. Les frais mensuels de copropriété sont de 240 $ et le versement hypothécaire mensuel est de 700 $, alors que cet immeuble est d’une valeur de 219 600 $ selon le rôle d’évaluation foncière.
[62] Quant à son autre immeuble abritant des chambres et un loft, les revenus mensuels de location sont de 3 000 $ à 3 500 $, alors que le versement hypothécaire mensuel est d’environ 800 $.
[63] Finalement, pour sa résidence familiale actuelle, la preuve démontre que sa valeur est de 399 100 $ selon le rôle d’évaluation foncière, avec une hypothèque de 48 000 $ et une marge de crédit de 150 000 $.
[64] Notons à cet égard que les dates de référence au marché sont juillet 2018 et juillet 2020 pour ces rôles d’évaluation foncière. Il est raisonnable de croire que la valeur marchande actuelle de ces immeubles est nettement supérieure.
[65] Bien que le locateur affirme que son revenu net est très peu élevé et qu’il doit encourir d’autres dépenses que les versements hypothécaires, le Tribunal ne dispose d’aucune preuve à cet effet. Or, ayant invoqué ce motif pour reprendre le logement, il se devait de produire à l’audience les éléments de preuve pertinents à l’appui.
[66] De plus, outre son témoignage à l’effet que la séparation de sa conjointe fait en sorte qu’il ne peut assumer seul les frais afférents à la résidence familiale, il n’est pas clair si les problèmes financiers allégués du locateur sont en lien ou non avec sa séparation.
[67] D’ailleurs, plusieurs questionnements demeurent en lien avec sa séparation, son ex-conjointe n’ayant pas témoigné. Par exemple, des procédures légales ont-elles été déposées? Un partage des intérêts financiers a-t-il été effectué et, dans l’affirmative, de quelle manière?
[68] Par ailleurs, alors que le locateur justifie la reprise du logement par ses difficultés à payer seul pour les frais afférents à sa résidence principale, il reconnaît que d’importantes rénovations devront être effectuées dans l’immeuble après qu’il y aura élu domicile. Comment pourra-t-il assumer ces charges financières dans les circonstances? Cela n’a pas été mis en preuve, outre d’expliquer que son fils pourra se charger des rénovations.
[69] Ceci, associé au contexte relationnel entre les parties, amène le Tribunal à se questionner sur les motivations réelles du projet de reprise du logement. La preuve révèle ainsi que depuis 2021, bien avant sa séparation, le locateur a manifesté le souhait de voir le locataire quitter le logement.
[70] Tout d’abord, dans le contexte de la mise en vente de l’immeuble, en juin 2021, le locateur invoquait, dans une correspondance adressée au locataire, devoir le mettre en vente, car il n’avait aucune marge de manœuvre pour effectuer les travaux majeurs requis par l’immeuble. Le locateur lui a alors offert la possibilité de quitter et que le bail soit résilié sans aucune conséquence, ce que le locataire a refusé. L’immeuble n’a finalement pas été vendu. Le locateur soutient d’ailleurs à cet égard que le locataire a nui au processus de mise en vente en montrant les défauts de l’immeuble.
[71] Puis, la preuve révèle que le locateur transmet au locataire, depuis 2021, des offres de logements à louer. Le locateur explique avoir agi ainsi à titre de facilitateur, essayant de l’aider à se reloger, car le locataire se plaint de l’état de l’immeuble.
[72] Ainsi, même si l’intention du locateur est bien de se loger dans le logement du locataire, l’absence de démonstration d’un besoin réel et sérieux justifiant la reprise rend l’existence d’une autre motivation tout à fait probante. En l’occurrence, le Tribunal estime que la motivation du locateur d’évincer le locataire semble davantage orientée vers la rentabilité de son immeuble que par l’occupation du logement en cause.
[73] Le locateur témoigne ainsi que le loyer payé par le locataire couvre tout juste les versements hypothécaires. Les frais d’assurances sont très élevés, de l’ordre de 1 500 $ à 1 800 $, en raison selon lui du système de chauffage à l’huile et de l’entrée électrique désuète.
[74] Même si le locateur assure ne pas vouloir transformer le logement pour en faire la location de chambres, le fait qu’il ait, depuis son achat, loué en chambres les logements de deux de ses immeubles situés sur la même rue, que l’immeuble où est situé le logement était, avant 2016, loué en chambres et que le locateur affirme à l’audience qu’il y a une demande extraordinaire pour la location de chambres rend cette hypothèse plausible. L’immeuble est d’ailleurs situé tout près de deux institutions d’enseignement post secondaires.
[75] Tel que déjà mentionné, le Tribunal doit appliquer avec rigueur les dispositions du Code civil du Québec en matière de reprise de logement, car elles constituent un accroc au droit du locataire au maintien dans les lieux.
[76] À la lumière de l’ensemble des faits et circonstances mis en preuve, le Tribunal conclut que le locateur ne rencontre pas les exigences prescrites par la loi en ce qu'il n'a pas convaincu que la reprise ne constituait pas un prétexte pour atteindre une autre fin.
[77] Conséquemment, le Tribunal ne peut faire droit à la présente demande.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[78] REJETTE la demande de reprise de logement du locateur.
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Isabelle Gauthier | ||
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Présence(s) : | le locateur le locataire Me Élise Robert-Breton, avocate du locataire | ||
Date de l’audience : | 25 mai 2023 | ||
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[1] Pièce L-1.
[2] Pièce P-1.
[3] Khreis c. Croxen,
[4] 2016 CanLII 130478 (QC TAL).
[5] Gattusso c. Grenier,
[6] Art.
[7] Lissade c. El Asri, 2010 CanLII 127000 (QC TAL), par. 18. Voir également Hajjali c. Tsikis,
[8] Medeiros c. Ciccariello,
[9] Goudreault c. Bassel, 1999 CanLII 10259 (QC CQ), par. 22.
[10] Dinel c. Brousseau,
[11] J.L. 87-82 (R.L.), p. 40.
[12]
[13] Dinel c. Brousseau, préc., note 10, par. 26.
[14]
[15] Id., par. 50.
[16] Haouchene c. Martel, 2015 CanLII 141613 (QC TAL), par. 25.
[17] Id.
AVIS :
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