Décision

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Dubois c. 9148-9849 Québec inc. (Pro-Toile 2000)

2023 QCCQ 10128

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

TERREBONNE

LOCALITÉ DE

ST-JÉRÔME

 

 

 :

700-32-704699-212

 

DATE :

4 décembre 2023

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU

JUGE PATRICK

CHOQUETTE, J.C.Q.

 

______________________________________________________________________

 

ROBERT DUBOIS

Demandeur

c.

9148-9849 QUÉBEC INC. f.a.s.n. PRO-TOILE 2000

Défenderesse

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

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[1]                Robert Dubois confie à 9148-9849 Québec inc. (Pro-Toile) la confection d’une toile sur mesure tenant lieu de toit souple pour un véhicule récréatif de type Dune Buggy.

[2]                Il soutient que Pro-Toile lui livre un toit non étanche, mal ajusté et amputant dangereusement la visibilité du véhicule, bref un ouvrage inutilisable.

[3]                Robert Dubois réclame le remboursement intégral du prix de l’ouvrage, des dommages moraux et punitifs et le remboursement des frais d’avocats pour un total de 3 758,25 $[1].

[4]                Pro-Toile conteste la demande au motif que la toile ne requérait que quelques ajustements qu’elle s’était engagée à effectuer sans frais.

LES QUESTIONS EN LITIGE

a)     L’ouvrage peut-il servir à l’usage auquel il est normalement destiné?

b)     L’offre de Pro-Toile est-elle suffisante et libératoire?

c)     Quels sont les dommages?

LE CONTEXTE

[5]                Vers le 9 septembre 2020, Robert Dubois tracte son Dune Buggy à la place d’affaires de Pro-Toile afin d’obtenir une estimation pour la confection d’une toile sur mesure tenant lieu de toit souple pour son véhicule récréatif. Il a en main l’estimation d’un concurrent.

[6]                Il discute avec Martin Hébert, le dirigeant de Pro-Toile. L’entreprise se spécialise dans la confection de toiles et d’auvents depuis l’an 2000.

[7]                Les spécifications requises par Robert Dubois ne comportent aucune difficulté particulière. Le toit est destiné à être utilisé lorsque le véhicule est en circulation. L’aménagement de portes et fenêtres latérales ainsi qu’une lunette arrière en mica teinté sont prévus. Aucune structure additionnelle n’est fournie. Même si le prix soumis par Pro-Toile est supérieur à celui du concurrent, Robert Dubois lui confie l’ouvrage au montant forfaitaire de 2 299,50 $.

[8]                Le toit est prêt dès le lendemain. Robert Dubois retourne chez Pro-Toile. Le tout semble conforme. On lui montre comment mettre et enlever le toit. Il paye la facture[2] et tracte le Dune Buggy à son domicile.

[9]                Dans les jours suivants, Robert Dubois fait une balade avec le véhicule. En arrêtant pour le dîner, il installe le toit vu le ciel menaçant. À son retour, il constate la présence d’eau sur les sièges. Il s’installe au volant du Dune Buggy. Il n’y voit à peu près rien. Les fenêtres latérales sont beaucoup trop basses tout comme la lunette arrière. Il n’a aucune visibilité et la conduite dans ces conditions est dangereuse.

[10]           Il retourne chez Pro-Toile dans les jours suivants pour démontrer les déficiences de l’ouvrage.

[11]           Martin Hébert reconnaît que les fenêtres sont trop basses et lui offre de faire des ajustements.

[12]           Mais les ajustements proposés ne sont pas suffisants. La toile est mal ajustée à l’avant et sur les côtés, elle n’est pas étanche et la lunette arrière est également trop basse.

[13]           Martin Hébert considère que Robert Dubois exagère et qu’il veut lui soutirer des ajustements qui entraînent des frais additionnels. Le ton monte et les parties se quittent sur ce désaccord.

[14]           Pro-Toile ne répond pas à la mise en demeure de Robert Dubois du 30 décembre 2020 qui réclame le remboursement de l’ouvrage[3].

[15]           Robert Dubois n’aura utilisé cette toile qu’une seule fois. Il a depuis fait confectionner un autre toit souple par Beau Toit Mobile au coût de 2 000 $. Cette toile est étanche pour avoir traversé des dizaines de kilomètres sous la pluie et assure une bonne visibilité.

[16]           Dans une déclaration pour valoir témoignage, Jocelyn Cadieux, le représentant de Beau Toit Mobile écrit que le toit de Pro-Toile 2000 n’est pas adéquat. La grandeur des fenêtres nuit à la visibilité, la lunette arrière est trop petite. La toile n’est pas étanche et certains joints laissent entrer l’eau[4].

[17]           Lors de l’instruction, Martin Hébert affirme que Robert Dubois avait accepté l’ouvrage bien qu’il n’est pas présent lors de la livraison. Il affirme que les sièges ne sont pas dans le Dune Buggy lorsque Robert Dubois l’a amené à l’atelier.

[18]           Il ajoute que Robert Dubois n’aimait plus la couleur et qu’il ne pouvait pas s’attendre à ce que la toile soit totalement imperméable alors qu’il refuse l’ajout de renforcement pour assurer qu’elle soit tendue.

[19]           Robert Dubois affirme que les sièges étaient installés, tout le personnel de Pro-Toile sauf une personne s’y étant assis. Il nie avoir critiqué la couleur; il s’agit tout à fait de la couleur qu’il désirait.

Analyse

[20]           Les parties sont liées par un contrat d’entreprise au sens des articles 2098 et suivants du Code civil du Québec.

[21]           Les articles 2098, 2099 et 2100 C.c.Q. énoncent :

2098. Le contrat d'entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.

2099. L'entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d'exécution du contrat et il n'existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

2100. L'entrepreneur et le prestataire de services sont tenus d'agir au mieux des intérêts de leur client, avec prudence et diligence. Ils sont aussi tenus, suivant la nature de l'ouvrage à réaliser ou du service à fournir, d'agir conformément aux usages et règles de leur art, et de s'assurer, le cas échéant, que l'ouvrage réalisé ou le service fourni est conforme au contrat.

Lorsqu'ils sont tenus du résultat, ils ne peuvent se dégager de leur responsabilité qu'en prouvant la force majeure.

[22]           Le contrat est un contrat de consommation au sens de l’article 2 de la Loi sur la protection du consommateur[5] (la LPC).

[23]           En vertu de la LPC, le commerçant garantit au consommateur que le bien faisant l’objet du contrat doit être tel qu’il puisse servir à l’usage auquel il est normalement destiné et qu’il puisse servir à un usage normal pendant une durée raisonnable eu égard à son prix, aux dispositions du contrat et aux conditions d’utilisation du bien[6].

a)            L’ouvrage peut-il servir à l’usage auquel il est normalement destiné?

[24]           Les photographies[7] déposées par Robert Dubois sont éloquentes. Il ne fait aucun doute pour le Tribunal que les fenêtres latérales sont trop basses et que la lunette arrière n’assure pas une visibilité convenable.

[25]           La théorie voulant que le Dune Buggy ne soit pas muni de ses sièges lors de la livraison n’est pas conforme à la preuve retenue et ne résiste pas à l’analyse. Le Tribunal n’a aucune raison de douter du témoignage de Robert Dubois.

[26]           Rappelons qu’il ne s’agit pas d’une toile de remisage, mais d’un toit souple destiné à être utilisé en circulation et par intempéries.

[27]           D’ailleurs, dans la contestation écrite de Pro-Toile 2000 signée par Martin Hébert, il est écrit « J’ai accepté de modifier les fenêtres de côtés sans frais ».

[28]           L’absence des sièges n’est pas alléguée à la contestation et est incompatible avec une telle admission.

[29]           Et si tant est qu’il faille tenir pour avéré que les sièges n’y étaient pas, il apparaît surprenant qu’un commerçant spécialisé dans ce type d’ouvrage n’ait pas considéré que le véhicule est normalement équipé de sièges ce qui affecte les hauteurs et dégagements du toit et qu’il confectionne le tout sans en tenir compte.

[30]           Les photos 5, 6 et 7 montrent également que les joints de cet ouvrage sur mesure ne sont pas adéquats ni dans une marge de tolérance acceptable.

[31]           Le prestataire de services est tenu à une obligation de résultat qu’il n’a pas rencontré. Son ouvrage ne peut et n’a pas servi à l’usage auquel il est normalement destiné.

b)            L’offre de Pro-Toile est-elle suffisante et libératoire?

[32]           En septembre, les parties ne se sont pas entendues sur l’étendue des travaux correctifs.

[33]           Selon la preuve retenue par le Tribunal, il est vraisemblable que des réparations localisées de la toile existante puissent être plus onéreuse que de recommencer à zéro, ce qui a probablement motivé la position de Martin Hébert que de n’accepter rien d’autre que les ajustements de fenêtres.

[34]           Robert Dubois était fondé à refuser un simple ajustement alors que d’autres caractéristiques du toit souple sont affectées de déficiences.

[35]           Pro-Toile 2000 n’a pas répondu à la mise en demeure. Robert Dubois pouvait donc se retourner vers un autre prestataire de service qui lui a confectionné un toit souple dont il est entièrement satisfait, à un prix moindre de surcroît[8].

c)            Quels sont les dommages?

  • Le remboursement de la facture de Pro-Toile 2000

[36]           La toile ne peut servir à l’usage auquel elle est normalement destinée. Elle est inutilisable. Robert Dubois a droit au remboursement de la facture P-1 au montant de 2 299,50 $.

  • Les troubles et inconvénients

[37]           Robert Dubois réclame 500 $ pour les troubles et inconvénients, dont la perte d’usage du véhicule et l’aller-retour à la place d’affaires de Pro-Toile pour demander, sans succès, les modifications à la toile.

[38]           La preuve est plutôt sommaire et la perte de jouissance du véhicule tout terrain, peu convaincante. Usant de sa discrétion, le Tribunal accorde 100 $ pour l’aller-retour infructueux visant à dénoncer la non-conformité de la toile.

  • Les dommages punitifs

[39]           Robert Dubois réclame 500 $ en dommages punitifs.

[40]           Bien que l’article 272 de la Loi sur la protection du consommateur[9] permette l’attribution de dommages punitifs, cette demande doit être analysée selon les enseignements de la Cour suprême toujours dans l’arrêt Richard c. Times inc.[10] :

[178] Cependant, le simple fait d’une violation d’une disposition de la L.p.c. ne suffirait pas à justifier une condamnation à des dommages-intérêts punitifs. Par exemple, on devrait prendre en compte l’attitude du commerçant qui, constatant une erreur, aurait tenté avec diligence de régler les problèmes causés au consommateur. Ni la L.p.c., ni l’art. 1621 C.c.Q. n’exigent une attitude rigoriste et aveugle devant les efforts d’un commerçant ou d’un fabricant pour corriger le problème survenu. Ainsi, le tribunal appelé à décider s’il y a lieu d’octroyer des dommages-intérêts punitifs devrait apprécier non seulement le comportement du commerçant avant la violation, mais également le changement (s’il en est) de son attitude envers le consommateur, et les consommateurs en général, après cette violation. Seule cette analyse globale du comportement du commerçant permettra au tribunal de déterminer si les impératifs de prévention justifient une condamnation à des dommages-intérêts punitifs dans une affaire donnée.

[41]           Le Tribunal ne trouve aucune conduite blâmable chez le commerçant qui justifie l’octroi de dommages exemplaires.

  • Les frais d’avocat

[42]           Richard Dubois réclame 458,75 $ en remboursement des frais d’avocat[11] pour la préparation de son dossier devant la cour.

[43]           Les honoraires d’avocat et le temps consacré aux procédures judiciaires ne constituent pas des dommages indemnisables sauf circonstances exceptionnelles qui ne se retrouvent pas en l’espèce[12].

[44]           Toutefois, les frais postaux ou d’huissier en lien avec l’envoi de la mise en demeure sont indemnisables à titre de frais de justice, mais il n’y a aucune preuve documentaire déposée à ce sujet.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[45]           ACCUEILLE la demande en partie;

[46]           CONDAMNE 9148-9849 Québec inc. à payer à Robert Dubois 2 399,50 $ avec intérêt au taux légal et l’indemnité additionnelle de l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la demeure du 6 janvier 2021;

[47]           CONDAMNE 9148-9849 Québec inc. au paiement de frais de justice limités à 106 $ représentant le droit de greffe quant au dépôt de la demande.

 

 

__________________________________

PATRICK CHOQUETTE, J.C.Q.

 

 

 

Date d’audience :

16 novembre 2023

 


[1] Montant modifié lors de l’instruction pour corriger une erreur cléricale.

[2] P-1.

[3] P-4.1, 4.2 et 4.3.

[4] P-3.

[5] RLRQ c. P-40.1.

[6] Articles 37 et 38 LPC; Paquette c. Pisitrium Trévi, 2015 QCCQ 7962.

[7] P-2.

[8] Article 1590 du Code civil du Québec.

[9] RLRQ, c. P-40.1.

[10] Richard c. Time Inc., 2012 CSC 8, [2012] 1 R.C.S. 265.

[11] P-7.

[12] Viel c. Entreprises immobilières du terroir Ltée., 2002 CanLII 41120 (QC CA).

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