Frangiosa et Syndicat des travailleuses et travailleurs du Marriott Château Champlain - CSN |
2016 QCTAT 6355 |
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[1] Le 25 avril 2016, Cosimo Frangiosa (le plaignant) dépose une plainte en vertu de l’article 47.2 du Code du travail[1] (le Code) contre le Syndicat des travailleuses et travailleurs du Marriott Château Champlain - CSN (le syndicat) alléguant que celui-ci a contrevenu à son devoir de représentation.
[2] Sur le formulaire de plainte, on peut lire ce qui suit :
Notre client est à l’emploi du Château Champlain depuis 20 ans sans jamais avoir reçu une plainte à son égard, soit d’un client, d’un collègue ou d’un superviseur. En fait, notre client était un employé modèle. Il appert de la situation que certain coéquipier de notre client était victime de harcèlement au travail, sans que la source ne soit identifiée.
L’employeur aurait fixé une rencontre avisant tous les employés que ce genre de geste ne serait pas toléré et que toute personne en délit serait congédiée. Ladite rencontre a été suivie d’une lettre, réitérant les propos de la rencontre. De plus, l’employeur aurait installé, à l’insu du personnel, des caméras de surveillance. Le 3 décembre 2015, l’une des caméras aurait capté notre client écrire “go home” sur une table lors de son quart de travail. Ceci, et seulement ceci, aurait mené au congédiement immédiat de notre client. Celui-ci n’a pas pu expliquer les événements du 3 décembre, vu que son congédiement était chose accomplie. L’employeur a associé, sans cause, toute les plaintes antérieures de harcèlement à notre client, et ce malgré qu’un autre employé ait été congédié pour la même raison que le nôtre et qu’il semblerait que celui-ci aurait été capté en train de harceler le collègue, directement sur la case de ce dernier. Bien que notre client ait demandé l’assistance de son syndicat dans le dépôt d’un grief vu la sanction abusive et arbitraire de l’employeur à son égard, le syndicat a catégoriquement refusé de poser quelque geste que ce soit pour porter aide à notre client.
SECTION V : SOLUTION RECHERCHÉE
De façon brève, décrivez ce que vous recherchez comme correctif :
Notre client aimerait être réintégré à son ancien poste et obtenir un dédommagement monétaire pour sa perte de salaire dans l’intérim. Subsidiairement notre client demande que le syndicat soit tenu responsable à son égard pour ses dommages pécuniaires, soit le préavis de 8 semaines qu’il n’a pas reçu, sa perte de revenus estimé à près de 720,000 $, ses frais d’avocats, dommages moraux de 10,000$ et exemplaires de 7, 500$.
(reproduit tel quel)
[3] En mars 1996, le plaignant est embauché en qualité d’équipier, pour les banquets, par Marriott Château Champlain (l’employeur). Il est affecté à la préparation des salles pour les conférences, banquets et réceptions. Il a un horaire variable sur le quart de l’après-midi et, à l’occasion, le samedi. Il travaille dans une équipe composée de 3 à 5 salariés, dont Nick Mantello (Mantello)[2]. Le plaignant indique qu’il est un ami de ce dernier, qu’ils se voient à l’extérieur du travail et que Mantello lui offre de le reconduire chez lui après le travail.
[4] Madame Aïda Gonçalves (Gonçalves) travaille chez l’employeur en qualité de préposée aux chambres et occupe la fonction de secrétaire à l’exécutif du syndicat. Elle est responsable, notamment, des problèmes de relations de travail avec l’employeur et participe aux rencontres lors de la remise de mesures disciplinaires à des salariés, ainsi qu’aux enquêtes du syndicat.
[5] Le syndicat regroupe plus ou moins 250 salariés dans 2 accréditations, pendant la période estivale, dont l’unité générale est composée des équipiers aux banquets et du personnel de l’entretien ménager.
[6] Le 16 octobre 2015, Mantello s’adresse à Gonçalves alléguant être victime de harcèlement psychologique depuis 2007. Il lui mentionne avoir constaté la présence d’inscription en anglais (« sick go home ») avec son nom, et ce, sous les tables de banquets, sur les chariots et dans les ascenseurs. Il lui demande d’intervenir auprès de l’employeur. Madame Gonçalves lui mentionne qu’elle va essayer de régler le problème avec les équipiers aux banquets.
[7] Monsieur Mantello prend des photos des écrits qu’il transmet à Gonçalves. De plus, il lui achemine plusieurs messages textes décrivant son état d’esprit et sa détresse face à la situation. Cette dernière entreprend des démarches auprès du conseiller syndical de la Confédération des syndicats nationaux (la CSN) afin de vérifier si l’organisation syndicale dispose de ressources.
[8] Le 17 octobre 2015, Gonçalves et Mantello rencontrent les responsables du Service des ressources humaines chez l’employeur, pour dénoncer la situation.
[9] Le lendemain, Gonçalves informe Mantello qu’elle publiera un article portant sur son dossier dans le prochain numéro du journal syndical. Dans les faits, le bulletin est imprimé à plus de 80 exemplaires à la fin octobre, début novembre 2015. Sous le titre « Le harcèlement ça fait pas partie d’la job! », il est écrit ce qui suit :
Il n’y a rien de plus ignoble, de plus répugnant que le harcèlement sous toutes formes qu’elles que soient et les conséquences peuvent être très graves pour les personnes visées par un harceleur. Mais quand c’est au travail que ça se passe, quand c’est nous qui sommes devenus le souffre-douleur d’un collègue, quand les insultes répétitives et anonymes écrits sur nos outils de travail deviennent un cauchemar quotidien, quand nos casiers sont souvent violés, les « blagues » sont allées trop loin! Un de nos collègues est victime depuis quelques années d’un collègue harceleur et ne pouvant plus supporter les messages écrits sur ses outils de travail ni le vandalisme constant dans son casier, il a décidé de dénoncer encore une fois ce qu’il vit presque au quotidien. Avec la collaboration de la direction, cette fois-ci nous prenons le cas très au sérieux et nous essayons fortement de trouver la personne qui se donne à ces pratiques. Avant qu’il ne soit trop tard, nous invitons cet employé à arrêter immédiatement son petit jeu, car il n’est vraiment pas drôle! Si jamais il sera identifié, les conséquences peuvent être très graves. En plus de risquer de perdre son emploi, des poursuites au civil et au criminel peuvent être entamées par sa victime.
PARCE QUE LE HARCÈLEMENT NE FAIT PAS PARTIE DE LA JOB, LE SYNDICAT NE SOUTIENT PAS LES HARCELEURS!
(reproduit tel quel, soulignement ajouté)
[10] Le journal est déposé sur les lieux du travail. Une copie est affichée sur le tableau syndical, près de l’ascenseur, ainsi que sur celui de l’employeur, près de l’horodateur.
[11] De plus, Gonçalves rencontre les collègues de travail de Mantello, incluant le plaignant, afin de leur demander de cesser le harcèlement à son endroit et elle les met en garde quant aux conséquences que cela pourrait avoir pour les auteurs des gestes.
[12] Le 21 octobre, le directeur des ressources humaines (le DRH) convoque chaque membre du personnel de l’équipe, incluant le plaignant, et ce, en présence de Gonçalves, à une rencontre individuelle, afin de les informer qu’une enquête est en cours sur le sujet. Le DRH leur demande s’ils sont au courant de l’identité des auteurs des messages concernant Mantello. Pour sa part, le plaignant répond qu’il n’est pas impliqué et qu’il croit que le harcèlement psychologique est une invention de Mantello et que c’est lui qui a écrit sur les tables. À la fin de la rencontre, on lui demande d’aviser l’employeur pour toutes informations qui pourrait être en lien avec cette situation.
[13] À une date indéterminée, Gonçalves rencontre l’employeur et demande l’installation de caméras de surveillance, ce qui sera fait.
[14] Le 27 novembre, le DRH distribue une lettre à tout le personnel de l’équipe banquet :
Objet: Rappel - Politique sur harcèlement — Mise à jour Enquête
Tous employées, peu importe leur position dans l’hôtel, a le droit de travailler dans un milieu libre de harcèlement de toutes forme. Vous devez respecter vos collègues.
Tous les salarié(e)s du Marriott Château Champlain partagent la responsabilité d’assurer le maintien d’un milieu de travail exempt de harcèlement.
Durant notre rencontre du 21 octobre nous vous avons demandé votre collaboration à une enquête pour résoudre une situation de harcèlement qui existe dans au département des équipiers banquets.
Bien que lors de cette rencontre vous avez déclaré que vous n’étiez pas impliqué dans la situation dénoncée et que vous n’aviez aucune idée de qui était l’auteur de ces actes, nous insistons sur le fait que si vous détenez des informations pertinentes et susceptibles de faire avancer cette enquête, vous avez l’obligation de nous en faire part.
Nous tenons également à vous informer que nous poursuivons notre enquête.
Une personne coupable d’un acte de harcèlement dans son milieu de travail, sera congédié — Le Marriott Château Champlain applique une politique de TOLERANCE ZERO en matière de harcèlement.
Ci-joint notre politique de harcèlement. Nous vous encourageons à prendre le temps de la lire. Si vous avez des questions ou si vous souhaitez signaler une situation, s’il vous plaît aviser votre chef ou un membre de notre équipe RH.
(reproduit tel quel)
[15] Le plaignant reconnaît avoir reçu cette correspondance, mais précise que la politique de harcèlement (la Politique) ne s’y trouvait pas. Cependant, il dit être au courant de cette dernière et de la tolérance zéro. À ce sujet, on peut lire sur la Politique au titre « NON-RESPECT DE LA POLITIQUE » :
Le ou la salarié(e) exerçant des pratiques correspondant à la définition de harcèlement mentionné précédemment sera passible de mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’à la terminaison du lien d’emploi avec le Marriott Château Champlain, selon la gravité du harcèlement commis.
(soulignement ajouté)
[16] Précisons que la convention collective contient une disposition portant spécifiquement sur le harcèlement au travail (clause 2.05).
[17] Malgré les démarches entreprises par l’employeur, le problème de harcèlement perdure.
[18] Le 7 décembre 2015, le plaignant reçoit une lettre, dans laquelle l’employeur le convoque à une rencontre pour le lendemain.
[19] Le 8 décembre, le plaignant se présente devant le local où doit se dérouler la réunion. Il fait la connaissance d’un autre salarié. Le plaignant apprendra, plus tard, qu’il s’agit d’un cuisinier qui a été congédié pour avoir harcelé Mantello. Il fait partie de la même unité de négociation. L’employé en question est appelé le premier à entrer dans la salle de la rencontre.
[20] Sont présents les représentants de l’employeur (Joseph Klein, le directeur général (le D.G.) de même que le nouveau DRH, et une autre représentante du Service des ressources humaines). Pour sa part, le syndicat est représenté par son président, Gonçalves et le conseiller syndical de la CSN.
[21] Avant de débuter, l’employeur explique aux représentants du syndicat qu’une caméra de surveillance a filmé le cuisinier insérant un morceau de broche dans le cadenas du casier de Mantello.
[22] Par la suite, l’employeur rencontre le cuisinier et lui demande des explications. Ce dernier indique que c’était la première fois qu’il agissait de la sorte et que c’était une blague. Gonçalves intervient et lui demande s’il est au courant qu’il y avait une enquête en cours et il lui répond non. Il ajoute qu’avoir su cela, il n’aurait pas posé le geste. Malgré ces explications, le DRH l’informe qu’il est congédié et lui remet une lettre à cet effet.
[23] À la fin de la rencontre, Gonçalves lui demande de la contacter. À cette occasion, il lui indique qu’il se sent mal à l’aise, qu’il ne peut dormir et qu’il désire s’excuser. Gonçalves lui mentionne qu’elle discutera de son dossier avec le conseiller syndical de la CSN.
[24] Dans les faits, l’exécutif du syndicat s’est réuni en décembre 2015, et, après avoir effectué des vérifications auprès du conseiller syndical, décide de déposer un grief pour contester le congédiement du cuisinier. Le grief a été présenté avant le congé des fêtes.
[25] Soulignons que le syndicat a réglé ce dossier avec l’employeur. Ainsi, le congédiement a été modifié en une suspension de trois mois et le cuisinier a pu réintégrer son emploi en mars 2016.
[26] Dans un premier temps, l’employeur présente aux représentants du syndicat deux photographies impliquant le plaignant.
[27] Lors de la rencontre avec le plaignant, l’employeur l’informe qu’une caméra en circuit fermé l’a filmé le 3 décembre précédent, alors qu’il inscrivait sur un chariot « go home ». Le plaignant admet avoir posé le geste, mais que c’est la première fois qu’il agissait ainsi et que cela n’a pas été fait méchamment. Il mentionne que ce n’est pas lui qui a fait les autres inscriptions concernant Mantello. De plus, il précise qu’il n’a jamais fait l’objet d’une mesure disciplinaire en 20 ans de service. Il demande qu’on lui laisse une chance. Après discussion avec le D.G., le DRH l’informe que la décision de le congédier est maintenue.
[28] Avant de quitter la salle, l’employeur lui remet la lettre de congédiement :
Le 19 octobre 2015, un de vos confrères de travail a formulé une plainte de harcèlement car plusieurs actes le visaient, c’est-à-dire des inscriptions inappropriées à son endroit visible à l’équipe de travail ainsi que des actes sur son casier situé au vestiaire des hommes.
Brièvement, ces messages répétés étaient adressés à votre confrère et visaient à l’exclure et à l’isoler du reste du groupe.
Le 21 octobre 2015, nous avons rencontré tous les équipiers banquet afin de discuter de cette situation de harcèlement envers un de vos confrères de travail afin qu’elle cesse. À ce titre, nous vous avons demandé si vous connaissiez la personne qui faisait ces inscriptions et vous avez répondu par la négative. Nous avions également énoncé clairement que cela devait cesser. Suite à cette rencontre, la situation ne s’est pas corrigée et de nouveaux messages ont continué à être inscrits sur les tables.
Le 27 novembre 2015, nous vous avons remis une lettre qui annonçait clairement notre position quant à l’accomplissement de ces actes et nous avons également annoncé la sanction qui sera prise, soit un congédiement immédiat, advenant que l’enquête identifie l’auteur de ces actions.
Le 3 décembre 2015 à 12:10:57 vous avez écrit sur une table au Plaza « go home ».
Malgré les interventions que nous avons effectuées, malgré l’avertissement émis le 27 novembre 2015, étant donné l’impact inacceptable du harcèlement, vous avez continué vos actions.
Force est de conclure que votre geste n’est pas isolé et qu’il était volontaire.
En conséquence de vos gestes et malgré nos interventions, nous mettons fin à votre emploi sans autre préavis.
(soulignement ajouté)
[29] Après le départ des représentants de l’employeur, le plaignant rencontre les porte-paroles du syndicat. Madame Gonçalves lui demande pourquoi il a fait cela et il lui répond que c’était la première fois qu’il posait un tel geste, qu’il s’agissait d’un jeu auquel il a participé. Elle lui dit : « Tu as vu dans quel état était Nick? Pourquoi as-tu continué? »
[30] Le plaignant confirme avoir écrit « go home » et qu’il n’a pas posé d’autres gestes désapprobateurs. Puis, à la fin de la rencontre, il ajoute avoir écrit seulement « Nick » et rien d’autre.
[31] Les représentants du syndicat n’ont pas passé en revue la lettre de congédiement puisque le syndicat était impliqué dans le dossier depuis plus d’un mois. Madame Gonçalves a demandé au plaignant s’il y avait d’autres personnes impliquées. Le plaignant a refusé de dévoiler quoi que ce soit. Puis, avant de quitter, le président du syndicat lui a remis le numéro de téléphone du conseiller syndical.
[32] Précisons qu’il n’y a pas eu d’autres rencontres entre le plaignant et les représentants du syndicat.
[33] Le 21 décembre 2015, n’ayant pas reçu de nouvelle de son syndicat, le plaignant laisse un message téléphonique au conseiller syndical. Le lendemain, celui-ci l’informe qu’il a discuté avec l’employeur qui ne désire pas le réintégrer au travail. Le plaignant lui demande si le syndicat déposera un grief pour contester son congédiement. Il lui répond que non, puisqu’il n’y a aucune chance de gagner sa cause. Le plaignant insiste. Le conseiller syndical lui dit : « Va voir toi-même l’employeur et demande lui s’il veut te réintégrer? »
[34] Le plaignant lui mentionne qu’il n’a pas à rencontrer l’employeur et que cela revient plutôt au syndicat de le faire. De nouveau, il insiste pour qu’un grief soit déposé. Le conseiller syndical de la CSN lui indique de communiquer avec le président du syndicat.
[35] Le 8 janvier 2016, ce dernier informe le plaignant qu’aucun grief n’a été déposé, car il n’y avait aucune chance pour qu’il soit gagné. Le plaignant lui demande si un grief a été déposé pour contester la fin d’emploi du cuisinier et il lui répond que non.
[36] Le plaignant se plaint alors de la situation. Le président du syndicat l’invite à déposer une plainte.
[37] En avril 2016, le plaignant est informé que le cuisinier a été réintégré dans son poste.
[38] Selon Gonçalves, le syndicat a pris la décision de ne pas déposer de grief, en raison notamment de la politique en matière de harcèlement, édicté par l’employeur, de la tolérance zéro et de la gravité du geste posé.
[39] De plus, elle ajoute que le plaignant a été averti à plus d’une occasion que le harcèlement devait cesser. À ce sujet, elle réfère à la rencontre individuelle du 21 octobre 2015, de même qu’à la remise de la lettre du 27 novembre, par l’employeur, à la publication du mémo dans le bulletin d’information du syndicat du mois de novembre, ainsi qu’à la rencontre qu’elle a eue avec les membres de l’équipe des banquets. Elle souligne que le syndicat a tenu compte des événements traumatisants subis par Mantello, ainsi que son désir de voir l’auteur des gestes être congédié.
[40] Par ailleurs, elle justifie le fait que le syndicat a défendu le cuisinier, car il n’était pas au courant de la politique de l’employeur ni de l’enquête menée par ce dernier.
[41] En contre-interrogatoire, Gonçalves indique que le syndicat a comparé l’écriture apparaissant sur les photos remises par Mantello, mais ne pas avoir établi s’il y avait plus d’une personne qui pouvait en être l’auteur. Elle ajoute qu’elle croit qu’il y avait plus d’une personne impliquée dans le dossier. Elle poursuit en admettant que le syndicat n’a pas comparé les photos soumises par l’employeur avec celles remises par Mantello et qu’il n’a pas rencontré le plaignant à propos de ces photos. Elle précise que la décision de ne pas déposer de grief a été prise lors de la réunion de l’exécutif syndical en décembre 2015. Elle ajoute que le syndicat a rencontré le personnel de l’équipe pour les informer que le plaignant avait été congédié. Elle termine en mentionnant que c’est la première fois qu’un congédiement ne fait pas l’objet d’un grief.
[42] Le syndicat indique s’être appuyé sur l’admission du plaignant lors de la rencontre du 8 décembre 2015, pour ne pas avoir déposé de grief. De plus, il souligne avoir eu l’ensemble des faits essentiels pour prendre une décision éclairée.
[43] Il allègue que les motifs pour lesquels il a été décidé de ne pas déposer de grief dans le dossier du plaignant, sont justifiés en raison de la différence avec le dossier du cuisinier. De plus, le Tribunal n’a pas à tenir compte de ce cas, puisque le libellé de la plainte n’y fait pas référence. Enfin, le plaignant n’a pas un droit absolu à l’arbitrage.
[44] Le Tribunal doit déterminer si le syndicat a manqué à son devoir de représentation à l’égard du plaignant, en refusant de déposer un grief, contestant sa fin d’emploi imposé le 8 décembre 2015.
[45] Le recours du plaignant s’appuie sur les articles 47.2 et suivants du Code :
47.2 Une association accréditée ne doit pas agir de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire, ni faire preuve de négligence grave à l’endroit des salariés compris dans une unité de négociation qu’elle représente, peu importe qu’ils soient ses membres ou non.
47.3 Si un salarié qui a subi un renvoi ou une mesure disciplinaire, ou qui croit avoir été victime de harcèlement psychologique, selon les articles 81.18 à 81.20 de la Loi sur les normes du travail (chapitre N-1.1) croit que l’association accréditée contrevient à cette occasion à l’article 47.2, il doit, s’il désire se prévaloir de cet article, porter plainte et demander par écrit au Tribunal d’ordonner que sa réclamation soit déférée à l’arbitrage.
[…]
47.5 Toute plainte portée en application de l’article 47.2 doit l’être dans les six mois de la connaissance de l’agissement dont le salarié se plaint.
Si le Tribunal estime que l’association a contrevenu à l’article 47.2, il peut autoriser le salarié à soumettre sa réclamation à un arbitre nommé par le ministre pour décision selon la convention collective comme s’il s’agissait d’un grief. Les articles 100 à 101.10 s’appliquent, compte tenu des adaptations nécessaires. L’association paie les frais encourus par le salarié.
Le Tribunal peut, en outre, rendre toute autre ordonnance qu’il juge nécessaire dans les circonstances.
[46] Le fardeau de prouver les conditions d’exercice dont le ou les manquements du syndicat à son devoir de représentation incombe au plaignant, sous peine de voir sa plainte rejetée.
[47] Concernant le devoir de représentation, la Cour suprême dans l’affaire Noël c. La Société d’énergie de la Baie James[3], a édicté les balises devant gouverner le syndicat en pareille matière :
[48] Cette obligation interdit quatre types de conduite : la mauvaise foi, la discrimination, le comportement arbitraire et la négligence grave. Cette obligation de comportement s’applique aussi bien au stade de la négociation collective que pendant son administration (voir Gagnon, op. cit. p. 308). L’article 47.2 sanctionne d’abord une conduite empreinte de mauvaise foi qui suppose une intention de nuire, un comportement malicieux, frauduleux, malveillant ou hostile [...]. En pratique, cet élément seul serait difficile à établir [...].
[49] La loi interdit aussi les comportements discriminatoires. Ceux-ci comprennent toutes les tentatives de défavoriser un individu ou un groupe sans que le contexte des relations de travail dans l’entreprise ne le justifie. Ainsi, une association ne saurait refuser de traiter le grief d’un salarié ou de le mener de façon différente au motif qu’il n’appartient pas à l’association, ou pour toute autre raison extérieure aux relations de travail avec l’employeur [...].
[50] Se reliant étroitement, les concepts d’arbitraire et de négligence grave définissent la qualité de la représentation syndicale. L’élément de l’arbitraire signifie que, même sans intention de nuire, le syndicat ne saurait traiter la plainte d’un salarié de façon superficielle ou inattentive. Il doit faire enquête au sujet de celle-ci, examiner les faits pertinents ou obtenir les consultations indispensables, le cas échéant, mais le salarié n’a cependant pas droit à l’enquête la plus poussée possible. On devrait aussi tenir compte des ressources de l’association, ainsi que des intérêts de l’ensemble de l’unité de négociation. L’association jouit donc d’une discrétion importante quant à la forme et à l’intensité des démarches qu’elle entreprendra dans un cas particulier.
[51] Le quatrième élément retenu dans l’art. 47.2 C.t. est la négligence grave. Une faute grossière dans le traitement d’un grief peut être assimilée à celle-ci malgré l’absence d’une intention de nuire. Cependant, la simple incompétence dans le traitement du dossier ne violera pas l’obligation de représentation, l’art. 47.2 n’imposant pas une norme de perfection dans la définition de l’obligation de diligence qu’assume le syndicat. L’évaluation du comportement syndical tiendra compte des ressources disponibles, de l’expérience et de la formation des représentants syndicaux, le plus souvent des non juristes, ainsi que des priorités reliées au fonctionnement de l’unité de négociation [...].
[52] Mauvaise foi et discrimination impliquent toutes deux un comportement vexatoire de la part du syndicat. L’analyse se concentre alors sur les motifs de l’action syndicale. Dans le cas du troisième ou du quatrième élément, on se trouve devant des actes qui, sans être animés par une intention malicieuse, dépassent les limites de la discrétion raisonnablement exercée. La mise en œuvre de chaque décision du syndicat dans le traitement des griefs et de l’application de la convention collective implique ainsi une analyse flexible, qui tiendra compte de plusieurs facteurs.
[53] L’importance du grief pour le salarié est l’un de ces facteurs. Indéniablement, l’abandon ou l’échec d’un grief de congédiement aura des effets plus sérieux pour le salarié qu’un débat sur une date de congé ou sur les modalités d’indemnisation d’une période de temps supplémentaire. On impose une intensité plus grande à l’obligation du syndicat dans pareil cas. Ainsi, dans l’affaire Haley et l’Association canadienne des employés du transport aérien (1981), 41 di 311, p. 316, le Conseil canadien des relations de travail avait souligné que les griefs de congédiement provoqueraient un examen plus serré du devoir de juste représentation, sans toutefois que les salariés possèdent un droit absolu à ce que la procédure de grief soit entamée ou portée à son terme dans ce type de dossier. (Voir sur la question Guilde de la marine marchande, précitée, p. 527, Centre hospitalier Régina Ltée c. Tribunal du travail, [1990] 1 R.C.S. 1330, p. 1352, le juge L’Heureux-Dubé).
[54] Dans ce contexte, les chances de succès du grief seront aussi pesées. L’abandon rapide après un traitement sommaire d’un grief de congédiement apparemment sérieux, sinon bien fondé, peut permettre de conclure à première vue, à une violation du devoir de représentation. Encore là, une marge de discrétion subsiste. L’abandon de certains griefs, en principe bien fondés, s’impose parfois en raison des intérêts de l’unité de négociation dans son ensemble, comme cette Cour l’a reconnu sous la plume de Madame le juge L’Heureux-Dubé dans Centre hospitalier Régina, précité, p. 1349-1350.
[55] Les intérêts concurrents des autres salariés dans l’unité de négociation constituent un facteur important dans l’évaluation de la conduite syndicale. Cet élément reflète la nature collective des relations de travail, y compris dans l’administration de la convention collective. Les intérêts de l’ensemble de l’unité pourront justifier des comportements du syndicat par ailleurs désavantageux pour certains salariés en particulier. Un syndicat peut décider de faire des concessions ou de développer une politique d’application de la convention pour ne pas nuire à d’autres salariés ou pour maintenir de bonnes relations avec l’employeur en vue de négociations futures [...].
(références omises, soulignement ajouté)
[48] Dans une autre décision, Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon[4], la Cour suprême a statué que bien que le syndicat jouissait d’une certaine latitude pour décider de porter ou non un grief devant le tribunal d’arbitrage, il se devait d’exercer celle-ci de façon sérieuse :
3. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l'importance du grief et des conséquences pour le salarié, d'une part, et des intérêts légitimes du syndicat d'autre part.
(soulignement ajouté)
[49] Par conséquent, l'exercice du devoir de représentation requiert une analyse sérieuse et objective du dossier et l'intensité de ce devoir peut varier selon l'importance de la situation pour le salarié concerné.
[50] En l’espèce, le syndicat est saisi d’un dossier de congédiement de l’un de ses membres qui cumule plus de 20 ans de service chez l’employeur. Il s’agit de l’une des situations les plus graves à laquelle peut faire face un salarié. Par conséquent, il se doit de procéder à une enquête sérieuse.
[51] Rappelons que le rôle du Tribunal n'est pas de substituer son opinion à celle du syndicat, ni de décider du bien-fondé du grief, mais bien d'analyser la conduite de ce dernier dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire et non le fond du litige qui oppose le plaignant à l'employeur.
[52] Concernant le type d’enquête que doit mener le syndicat, le Tribunal fait siens les propos tenus par la Commission des relations du travail (la Commission) dans l’affaire Vaillancourt c. Syndicat des professionnelles et professionnels en soins infirmiers et cardio-respiratoires du Centre de santé Domaine-du-Roy[5] :
[94] Cette enquête vise à faire la lumière sur des faits ou recueillir un ensemble d’informations cohérentes, afin de décider s’il est opportun ou non d’assurer une représentation du salarié visé par une mesure prise par l’employeur à l’une ou l’autre des étapes du processus d’arbitrage. Elle doit aussi porter sur les éléments invoqués par l’employeur pour justifier sa décision et, selon les règles de preuve applicables, sur la capacité de ce dernier de les établir éventuellement devant un tribunal d’arbitrage. Il ne s’agit pas de décider du bien-fondé de la réclamation du salarié.
[95] Ces informations doivent aussi être recueillies auprès des personnes au fait de la situation, et être confrontées afin de s’assurer de leur cohérence. S’il y a discordance, il faudra alors rechercher la réalité des faits afin d’avoir une appréhension à la fois fiable et précise de toute l’affaire.
[96] Cette recherche doit se faire en empruntant une démarche qui favorise des déclarations sincères de la part des personnes au fait de la situation, soit par un contact direct et personnalisé et sans contraintes. De même, la confidentialité des déclarations faites par les personnes qui ont collaboré à l’enquête de l’association relève uniquement de l’entente qui peut être intervenue entre ces parties.
[97] Elle comprend aussi l’examen de toute documentation ou preuve matérielle considérée utile.
[98] Si l’enquête est complétée par la rédaction d’un rapport, le caractère sérieux de l’enquête est intimement lié à la valeur probante du rapport qui en résulte. La valeur du rapport s’apprécie en fonction de son contenu et de toute preuve présentée en lien avec sa préparation. Le rapport doit être suffisamment circonstancié pour permettre d’évaluer la portée de l’examen des faits auquel on a procédé et l’extension des consultations, de vérifier si l’enquête a été correctement ciblée et encadrée, si elle a été préparée avec soin et conduite correctement.
[99] Le rapport doit aussi permettre d’identifier les fondements des recommandations, dont une appréciation de la probabilité raisonnable de réussir à contrer la preuve de l’employeur et les facteurs relevant de l’intérêt collectif que l’association accréditée a aussi mandat de promouvoir. Il doit aussi permettre de vérifier si les recommandations qu’il contient s’appuient sur des éléments objectifs. Il doit aussi être produit dans un délai raisonnable.
[100] L’équité procédurale commande que le salarié soit mis au courant des faits obtenus lors de l’enquête et qu’il puisse faire valoir son point de vue et fournir ses explications. Cette règle d’équité prend de l’importance en fonction des conséquences de la décision à prendre sur sa carrière professionnelle.
(soulignement ajouté)
[53] Dans le présent dossier, le syndicat est confronté au fait que deux salariés faisant partie de son unité d’accréditation soit le plaignant et Mantello ont des intérêts divergents. Ce dernier se plaint du fait qu’il a été victime de harcèlement psychologique au travail alors que le premier a été congédié pour avoir posé un geste que l’employeur a pu identifier. Dès lors, le syndicat est placé dans une situation très délicate. Or, l’article 47.2 du Code ne fait exception d’aucune situation, même lorsque le congédiement contesté concerne des gestes aussi répréhensibles que peuvent l’être des actes pouvant constituer du harcèlement psychologique.
[54] Ce n’est pas la première fois que l’auteur d’un tel geste s’adresse au Tribunal, alléguant que son syndicat a fait défaut en regard de son devoir de représentation.
[55] Dans l’affaire Yossofzai c. Syndicat des travailleuses et travailleurs du Ritz-Carlton (CSN)[6], le Tribunal du travail souligne ce qui suit :
[19] Un congédiement pour motif de harcèlement sexuel constitue l'une des plus graves sanctions à laquelle un employé peut être sujet, compte tenu des répercussions sur sa famille et son entourage. C'est pourquoi son association se doit d'être extrêmement vigilante et attentive dans la prise de décision d'en contester ou non le bien-fondé. Non seulement doit-on mener l'enquête syndicale avec rigueur et objectivité mais se montrer ouvert et réceptif à toute explication fournie par le salarié et, s'il y a le moindre doute, laisser un tiers trancher le tout, dans un débat contradictoire où la vérité risque de sortir.
(soulignement ajouté)
[56] Dans une autre cause, Lelièvre c. Syndicat national des employés de la Ville de Port-Cartier (CSN)[7], la Commission saisie d’une plainte en vertu de l’article 47.2 à la suite d’un congédiement imposé après le dépôt d’un grief pour harcèlement psychologique émet la mise en garde suivante :
[59] Le Syndicat n’avait certes pas l’obligation de représenter le plaignant à l’arbitrage. Une telle décision aurait pu être légitime si elle avait été prise après un examen attentif, sérieux et objectif de la situation.
[60] Mais ici, s’agissant d’un congédiement et bien que cette mesure oppose deux salariés, les irrégularités relevées dans la démarche du Syndicat établissent qu’il a fait preuve d’un manque de rigueur et d’objectivité à l’endroit du plaignant. Celui-ci a été ainsi privé du droit de contester sa fin d’emploi à la suite d’une décision arbitraire de son syndicat.
(soulignement ajouté)
[57] Ainsi, l’obligation du syndicat d'enquêter est une composante essentielle de son devoir de représentation. De plus, le syndicat se doit de terminer son enquête avant de prendre la décision de donner suite, ou non au grief.
[58] À ce sujet, la Commission dans Daoud c. Syndicat des employées et employés du Loews Hôtel Québec (CSN)[8] précise le devoir de représentation dans le cadre de l’évaluation d’un grief en ces termes :
[49] Ainsi, le Syndicat, même s’il jouit d’une discrétion pour porter un grief à l’arbitrage, a un devoir de représentation. Il doit donc se livrer à une analyse et une évaluation sérieuse de la situation, sans se substituer à l’arbitre à qui il appartient de décider du litige, et ce, dans le cadre des droits du salarié et de la gravité de la sanction qui lui a été imposée. Le Syndicat n’a pas à décider du grief. Il n’a pas à être convaincu qu’il sera accueilli. Il doit plutôt s’assurer, considérant ses obligations à l’égard du groupe qu’il représente, que la demande n’est pas futile ou vaine.
(soulignement ajouté)
[59] À la lumière de ce qui précède, il convient maintenant de déterminer si, le syndicat s’est comporté suivant les paramètres retenus par la jurisprudence.
[60] La preuve est claire à savoir que le syndicat n’a procédé à aucune enquête sérieuse auprès du plaignant et qu’il n’a pas tenu compte de ses explications envers l’employeur. De plus, il n’a pas considéré l’absence de mesure disciplinaire à son dossier ni son ancienneté chez l’employeur.
[61] Par ailleurs, le comportement de Gonçalves de même que celui du conseiller syndical est discutable et sème un doute concernant leur objectivité dans le traitement du dossier du plaignant.
[62] Il en est ainsi à compter du moment où le syndicat est saisi de la plainte en harcèlement par Mantello, et ce, jusqu’à l’annonce au plaignant, du refus du syndicat de déposer un grief.
[63] La preuve révèle que le syndicat a pris fait et cause pour Mantello.
[64] À ce sujet, Gonçalves assiste ce dernier dans ses démarches tant auprès de l’employeur que du syndicat. De plus, elle intervient de son propre chef auprès des membres de l’équipe des banquets, de même que le 21 octobre 2015, lors des rencontres individuelles tenues par l’employeur avec ces mêmes personnes. Enfin, c’est elle qui rédige le texte publié dans le journal du syndicat, dénonçant le harcèlement. Elle mentionne que le syndicat a tenu compte aussi, dans sa décision, de l’état de Mantello.
[65] Concernant la mesure disciplinaire, elle participe à la rencontre du 8 décembre 2015, menant au congédiement du plaignant. Elle échange avec le conseiller syndical sur la suite à donner au dossier du plaignant et participe à la décision de l’exécutif du syndicat de ne pas déposer de grief.
[66] Quant au conseiller syndical de la CSN, il a fait preuve de désintéressement en ce qui concerne le dossier du plaignant. Ainsi, d’entrée de jeu, il lui mentionne qu’il ne déposera pas de grief, puisque son dossier est voué à l’échec, alors qu’il n’y a pas eu d’enquête auprès du plaignant. De plus, il l’invite à communiquer avec l’employeur afin de discuter directement avec ce dernier. Puis, il le renvoie au président du syndicat. Tous ces éléments démontrent que le conseiller n’est pas intéressé par le dossier du plaignant.
[67] Par ailleurs, les explications fournies par le syndicat, pour expliquer le traitement préférentiel accordé au cuisinier, ne peuvent être retenues.
[68] Premièrement, la convention collective contient une disposition sur le harcèlement au travail qui s’adresse au personnel visé, incluant les cuisiniers. Or, est-il besoin de rappeler que l’ensemble des salariés a les mêmes droits et les mêmes obligations. Ainsi, le cuisinier n’a pas plus de droits que le plaignant. Il se doit de respecter la clause 2.03 portant sur l’interdiction de harcèlement au travail. Le syndicat ne peut justifier le dépôt d’un grief en son nom, du simple fait que le cuisinier n’était pas au courant de l’enquête menée par l’employeur et de la politique, qui reprend de façon plus détaillée l’interdiction formulée dans la convention collective.
[69] Deuxièmement, rappelons qu’en novembre 2015, le syndicat sensibilise l’ensemble de ses membres en publiant un article dans le journal, dénonçant le harcèlement au travail et indiquant sa position sur le sujet. Or, il ne peut tenir deux discours diamétralement opposés. Plus précisément, il ne peut prétendre que « parce que le harcèlement ne fait pas partie de la job, le syndicat ne soutient pas les harceleurs », il refuse de déposer un grief au nom du plaignant et en même temps, conteste le congédiement du cuisinier, au motif que celui-ci n’était pas au courant de la situation qui prévalait au service des banquets. Nous sommes en présence de la règle du « deux poids, deux mesures ». Or, c’est précisément ce que vise à interdire l’article 47.2 du Code.
[70] Le syndicat a apporté beaucoup d’attention à ce qui s’est produit en amont, de même qu’envers Mantello, sans pour autant prendre en considération la façon dont l’employeur a traité le cas du plaignant.
[71] L’analyse du syndicat s'est limitée à un seul aspect du dossier, soit le fait que le plaignant a posé le geste reproché par l’employeur. Or, il avait le devoir d'évaluer la rigueur de la sanction imposée eu égard à la faute. À cette fin, il devait procéder à une analyse sérieuse, objective et complète du dossier. Si l'employeur était fondé à sanctionner le plaignant, comme le croit le syndicat, rien ne démontre que les règles de proportionnalité applicables dans un tel cas ont été suivies.
[72] Soulignons également que, le syndicat a menti au plaignant en lui indiquant qu’il n’y avait pas eu de grief déposé au nom du cuisinier. D’ailleurs, le syndicat a été en mesure de transformer son congédiement en trois mois de suspension. Par conséquent, le refus de déposer un grief constitue une négligence grave. De plus, le syndicat a fait preuve d’un comportement discriminatoire à l’endroit du plaignant.
[73] En considération de tous ces facteurs, la plainte est accueillie et la réclamation est déférée à l'arbitrage, comme s'il s'agissait d'un grief, afin que la légalité du renvoi soit évaluée. Le plaignant pourra être représenté par le procureur de son choix, aux frais du syndicat, ce qui ne décharge pas ce dernier de son obligation de lui apporter le soutien nécessaire, afin de préparer son dossier d'arbitrage et, le cas échéant, de faciliter les relations avec les témoins.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :
ACCUEILLE la plainte;
AUTORISE Cosimo Frangiosa à soumettre sa réclamation à un arbitre nommé par le ministre du Travail, aux frais du Syndicat des travailleuses et travailleurs du Marriott Château Champlain - CSN pour décision selon la convention collective comme s’il s’agissait d’un grief;
AUTORISE Cosimo Frangiosa à se faire représenter à cette fin, aux frais du Syndicat des travailleuses et travailleurs du Marriott Château Champlain - CSN, par le procureur de son choix;
ORDONNE au Syndicat des travailleuses et travailleurs du Marriott Château Champlain - CSN de rembourser à Cosimo Frangiosa, sur présentation d'un état de compte et, le cas échéant, des pièces à l'appui, les honoraires et frais raisonnables engagés pour la présentation de sa réclamation devant l'arbitre;
RÉSERVE sa compétence pour déterminer le montant des honoraires et des frais engagés pour la présentation de cette réclamation.
ORDONNE au Syndicat des travailleuses et travailleurs du Marriott Château Champlain - CSN de rembourser à Cosimo Frangiosa, sur présentation d’un état de compte et, le cas échéant, des pièces à l’appui, les honoraires et frais raisonnables engagés pour l’exercice du présent recours;
RÉSERVE sa compétence pour déterminer le montant des honoraires et des frais engagés pour la présentation du présent recours.
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Yves Lemieux |
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Me Melissa Tozzi |
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MONACO, AVOCATS |
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Pour la partie demanderesse |
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M. Martin Pagé |
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Pour la partie défenderesse
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Date de l’audience : 26 septembre 2016 |
/aml
[1] RLRQ, c. C-27.
[2] Le Tribunal utilisera les noms de famille lorsqu’il désignera les personnes. Il ne faut pas y voir un manque de courtoisie, mais uniquement une manière d’alléger le texte.
[3] [2001] 2 R.C.S. 207.
[4] [1984] 1 R.C.S. 509.
[5] 2008 QCCRT 0386.
[6] Révision judiciaire rejetée, [2003] R.J.D.T. 219.
[7] 2009 QCCRT 286; requête en révision interne rejetée; 2009 QCCRT 506, requête en révision judiciaire rejetée; 2010 QCCS 1164, requête pour permission d’appeler rejetée; 2010 QCCA 1614.
[8] 2010 QCCRT 81.
AVIS :
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