Décision

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Compagnie de taxi Laurentides inc

Compagnie de taxi Laurentides inc. c. Commission des transports du Québec

2009 QCCA 460

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-018555-086

(500-17-035949-075)

 

DATE :

 12 MARS 2009

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

JACQUES DELISLE, J.C.A.

ANDRÉ FORGET, J.C.A.

FRANCE THIBAULT, J.C.A.

 

 

LA COMPAGNIE DE TAXI LAURENTIDES INC.,

APPELANTE (Demanderesse)

c.

 

COMMISSION DES TRANSPORTS DU QUÉBEC,

INTIMÉE (Défenderesse)

et

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU QUÉBEC,

MIS EN CAUSE (Défendeur)

 

 

ARRÊT

 

 

[1]                LA COUR; - Statuant sur l'appel d'un jugement rendu le 10 mars 2008 par la Cour supérieure, district de Montréal (l'honorable Raymond W. Pronovost), qui a rejeté une requête en révision judiciaire d'un jugement du Tribunal administratif du Québec qui avait rejeté l'appel d'une décision de la Commission des transports du Québec;

[2]                Après avoir étudié le dossier, entendu les parties et délibéré;

[3]                Pour les motifs du juge Forget, auxquels souscrivent les juges Delisle et Thibault;


[4]                REJETTE l'appel avec dépens.

 

 

 

 

JACQUES DELISLE, J.C.A.

 

 

 

 

 

ANDRÉ FORGET, J.C.A.

 

 

 

 

 

FRANCE THIBAULT, J.C.A.

 

Me Jean El Masri

Me Éric Dugal

El Masri Dugal, Avocats Inc.

Pour l'appelante

 

Me Christian Daneau

Daneau, Loiselle, Perreault, Turcotte

Pour l'intimée

 

Me Nancy Béliveau (absente)

Morel, Lemieux

Pour le mis en cause

 

Date d’audience :

4 février 2009


 

 

MOTIFS DU JUGE FORGET

 

 

[5]                La Commission des transports du Québec  (CTQ) a révoqué deux permis de taxi détenus par la Compagnie de Taxi Laurentides Inc. (Taxi Laurentides).  Cette dernière a échoué dans sa tentative de faire casser cette décision par un appel devant le Tribunal administratif du Québec (TAQ) et par une demande en révision judiciaire devant la Cour supérieure.  Taxi Laurentides se pourvoit à l'encontre du jugement de la Cour supérieure.

 

LE CONTEXTE

[6]                Taxi Laurentides est une personne morale qui œuvre dans le domaine du transport par taxi.  Elle est établie dans l'agglomération de St-Jérôme.

[7]                Les actionnaires (environ 43) de cette compagnie sont tous détenteurs d'un permis de propriétaire de taxi pour cette même agglomération.  Taxi Laurentides, elle-même, détient deux permis de propriétaire de taxi lesquels sont rattachés à des véhicules adaptés pour recevoir la clientèle handicapée ou à mobilité réduite.  Pour leur exploitation, Taxi Laurentides en confie la garde à ses actionnaires titulaires d'un permis de chauffeur de taxi selon les dispositions de la Loi concernant les services de transport par taxi (Loi sur le taxi)[1].

[8]                Taxi Laurentides agit également à titre d'intermédiaire en service de transport par taxi tel que défini dans la Loi sur le taxi[2].  Ainsi elle s'occupe notamment de la répartition des appels entre les chauffeurs-actionnaires créant une situation de «monopole de fait» dans la ville.  Il est utile de mentionner qu'aucun permis n'est nécessaire pour l'exercice de la fonction d'intermédiaire dans la ville de St-Jérôme.

 

LES PROCÉDURES ET LES DÉCISIONS ANTÉRIEURES

[9]                À la suite de diverses plaintes à l'endroit de Taxi Laurentides, Madame Évelyne Plante procède à une enquête à la demande de la CTQ.  Son rapport du 7 février 2006 fait état de plusieurs manquements aux normes relatives à la qualité du service et à la sécurité de la clientèle.  Elle conclut ainsi :

Bref, l'enquête démontre qu'un grand nombre d'éléments reliés à l'exploitation des permis de propriétaire de taxi semblent aller à l'encontre de l'intérêt public, de la sécurité des usagers et de la qualité du service à laquelle le public est en droit de s'attendre.

[10]           Le 13 mars 2006, la CTQ fait parvenir à Taxi Laurentides et à huit de ses actionnaires un Avis d'intention et de convocation.  Cet avis énumère divers reproches (paragr. 13 à 21) que l'on peut ainsi résumer :

- Une chauffeure d'un des véhicules de Taxi Laurentides se serait livrée à des activités sexuelles dans celui-ci;

- Taxi Laurentides, par une résolution de son conseil d'administration, aurait réengagé cette chauffeure à la suite de son renvoi sachant pertinemment les activités auxquelles elle se livrait;

- Taxi Laurentides appliquerait des surcharges lors du transport de la clientèle nécessitant une assistance;

- Taxi Laurentides réduirait indûment la qualité du service offert aux personnes handicapées en affectant les taxis adaptés au transport et à la livraison de colis;

- Les chauffeurs auxquels sont confiés les taxis de Taxi Laurentides n'ont pas les qualités requises pour transporter une clientèle nécessitant une assistance.

[11]           Dans sa décision du 20 septembre 2006, après avoir fait état de la preuve, la CTQ déclare ne pas retenir les reproches adressés à Taxi Laurentides en sa qualité d'intermédiaire en service de transport par taxi :

Dans la présente affaire, la Commission note que plusieurs des manquements reprochés à l'intimée le sont à l'égard de sa fonction d'intermédiaire en service de transport par taxi.  La réglementation n'exigeant pas qu'un intermédiaire en service de transport par taxi soit titulaire d'un permis pour exploiter son entreprise sur le territoire de l'Agglomération A.15 Saint-Jérôme, la Commission n'a pas ici à se prononcer sur des manquements de l'intimée à l'égard du traitement inéquitable de ses actionnaires qui sont par ailleurs des abonnés aux services de répartition.  Il s'agit là de relations commerciales qui ne relèvent pas, pour l'instant, de la compétence de la Commission.

[12]           La CTQ conclut que la preuve établit quatre manquements de la part de Taxi Laurentides, qualifiés par elle de directs, étant reliés à l'exploitation de ses permis de propriétaire de taxi :

1.                  Avoir exigé un prix de course supérieur aux tarifs pour le transport privé des clientèles nécessitant assistance, le compteur étant mis en marche avant l'embarquement et fermé après le débarquement.

2.                  Avoir insécurisé ou indigné les usagers de ses services de transport par taxi, en cautionnant le comportement inapproprié d'une chauffeure.

3.                  Avoir restreint occasionnellement la disponibilité de ses taxis adaptés en les affectant au transport de colis.

4.                  Ne plus être en mesure d'assumer pleinement et correctement ses responsabilités de titulaire de permis de propriétaire de taxi compte tenu de l'état pitoyable du climat parmi ses actionnaires chauffeurs de taxi.

[13]           La CTQ reproche également d'autres manquements à Taxi Laurentides qu'elle qualifie d'indirects puisque reliés à l'exploitation des permis de propriétaire de taxi de ses actionnaires :

1.                  Avoir conseillé ou incité ses actionnaires titulaires de permis de propriétaire de taxi à exiger plus que les tarifs.

2.                  Avoir conseillé ou incité ses actionnaires titulaires de permis de propriétaire de taxi à retenir les services d'une chauffeure dont le comportement et la réputation porte gravement atteinte à l'image de l'industrie et à la confiance des usagers.

3.                  Avoir conseillé ou incité ses actionnaires titulaires de permis de propriétaire de taxi à poser des gestes fautifs et à faire des commentaires inappropriés sur les ondes radio qui peuvent insécuriser la clientèle quant à la qualité et à la fiabilité des services de transport par taxi.

4.                  Avoir conseillé ou incité ses actionnaires titulaires de permis de propriétaire de taxi à livrer des boissons alcoolisées.

[14]           La CTQ est toutefois d'avis qu'il n'est pas nécessaire de départager les manquements directs des manquements indirects puisque les uns ou les autres suffisent pour établir les reproches adressés à Taxi Laurentides :

Les manquements et les fautes imputés directement ou indirectement à l'intimée entraînent en soi la révocation de ses deux permis de propriétaire de taxi.  La Commission n'a pas à trancher entre les deux fonctions qu'a choisi d'exercer l'intimée.  Que ce soit directement par l'exploitation de ses deux permis de propriétaire de taxi ou indirectement par ses conseils et directives à titre d'intermédiaire en services de transport par taxi, l'intimée a une conduite morale répréhensible et fait fi de ses obligations légales en matière de sécurité et de qualité de service.

[15]           La CTQ conclut à la révocation des deux permis tout en différant la prise d'effet de sa décision :

La Commission, dans l'intérêt public, estime que les deux permis de propriétaire de taxi de l'intimée doivent être révoqués.

La Commission est toutefois consciente que la clientèle nécessitant assistance a un réel besoin de services de transport par taxi adapté dans l'Agglomération A.15 Saint-Jérôme.  Aussi, la Commission différera à une date ultérieure la prise d'effet de sa décision afin de permettre la présentation de nouvelles demandes de permis de propriétaire de taxi restreints aux seuls déplacements des clientèles au moyen d'un taxi adapté.

[16]           Devant le TAQ, Taxi Laurentides n'a pas demandé de procéder de novo.  Le TAQ conclut que la CTQ avait compétence pour se prononcer sur les reproches à l'égard de Taxi Laurentides puisqu'ils sont reliés à la sécurité et à la qualité des services par transport de taxi.  Le TAQ est d'avis que la CTQ n'a pas commis d'erreur dans l'appréciation des faits vu que sa lecture de la preuve démontre, au contraire, que chacun des manquements reprochés à Taxi Laurentides a été prouvé.  Il rejette donc l'appel.

[17]           Le juge de la Cour supérieure retient la norme de la décision raisonnable simpliciter, telle qu'elle existait alors.  Il conclut que les reproches en faits et en droit à l'encontre de la décision du TAQ ne sont pas fondés et que sa décision est raisonnable.  Il rejette donc la requête en révision judiciaire.

 

MOYENS D'APPEL

[18]           Dans son mémoire, Taxi Laurentides formule ainsi ses moyens d'appel :

1er        La Commission des transports avait-elle juridiction de sanctionner l'appelante pour des violations à des conduites non interdites par la loi ou la réglementation?

De façon plus générale, la Commission des transports possède-t-elle un pouvoir général et résiduel de révoquer un permis de propriétaire de taxi indépendamment des cas où ce pouvoir est prévu par la Loi et même en l'absence de violation de la loi?

2e         La Commission des transports a-t-elle contrevenu aux règles de justice naturelle en sanctionnant des manquements non énoncés dans l'Avis d'intention et de convocation et non argumentés par les parties (incluant par l'avocate de la CTQ)?  La CTQ avait-elle une preuve convaincante sur tous les manquements?

3e         La Commission des transports a-t-elle contrevenu aux règles de justice naturelle en révoquant les permis de taxi, contrairement à la suggestion de son contentieux et sans entendre l'appelante et sans motiver sa décision sur ce point?

La Commission des transports a-t-elle rendu une décision déraisonnable en ignorant la recommandation de son service interne qui avait l'effet recherché, soit que l'appelante perde son permis.

4e         Le recours devant le Tribunal administratif a-t-il corrigé d'office certaines des erreurs juridictionnelles commises par la Commission?

 

ANALYSE

[19]           Taxi Laurentides ne reprend plus devant la Cour les reproches relatifs à l'appréciation de la preuve comme elle l'avait fait devant le TAQ et devant la Cour supérieure; il faut donc conclure que les reproches faits à l'appelante ont été prouvés.

[20]           L'appelante plaide l'absence de pouvoir habilitant de la CTQ pour révoquer les permis dans les présentes circonstances (question 1) et elle invoque des manquements aux règles de l'équité procédurale puisque, dans un premier temps, la CTQ aurait retenu des reproches non mentionnés dans l'Avis d'intention et de convocation (questions 2 et 4) et, dans un deuxième temps, elle aurait imposé une sanction plus sévère que celle suggérée par les avocats de son contentieux (question 3).

 

Absence de pouvoir habilitant

[21]           Taxi Laurentides plaide que le législateur ayant expressément prévu à l'article 18 de la Loi sur le taxi les circonstances dans lesquelles la Commission doit et peut révoquer un permis, elle ne peut se fonder sur ses pouvoirs généraux pour révoquer les permis dans le cas de fautes non mentionnées de façon spécifique à la Loi sur le taxi.  Les extraits pertinents de l'article 18 sont ainsi rédigés :

18.       La Commission doit révoquer le permis de propriétaire de taxi d'un titulaire qui a été déclaré coupable depuis moins de cinq ans d'une infraction criminelle ou d'un acte criminel commis grâce à l'exploitation d'un permis de transport par taxi.

La Commission doit aussi révoquer le permis de propriétaire de taxi d'un titulaire lorsque ce dernier :

1o         n'a pas payé à l'échéance les droits annuels exigibles pour le renouvellement ou le maintien du permis de propriétaire de taxi;

2o         a contrevenu au premier alinéa de l'article 21 ou s'est livré à une pratique contraire à l'intérêt public visée à l'article 22;

3o         a exploité ou permis l'exploitation de l'automobile attachée à son permis alors que ce permis de propriétaire de taxi était suspendu.

La Commission peut suspendre ou révoquer le permis de propriétaire de taxi d'un titulaire qui a été déclaré coupable depuis moins de cinq ans :

1o         d'une infraction criminelle ou d'un acte criminel ayant un lien avec les aptitudes requises et la conduite nécessaire pour l'exploitation d'une entreprise de transport par taxi;

2o         d'une infraction criminelle ou d'un acte criminel concernant le trafic de stupéfiants, leur importation ou leur exportation et la culture de pavot et de chanvre indien et visés selon le cas aux articles 5, 6 et 7 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (Loi révisées du Canada (1985), chapitre C-398.8).

[…]

[22]           Sur cette question, l'avocat de Taxi Laurentides plaide que la décision du TAQ aurait dû faire l'objet d'un examen par la Cour supérieure à la lumière de la norme de contrôle de la décision correcte puisque le litige porte sur une question de compétence au sens strict du terme; il invoque l'arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick[3] et renvoie, plus particulièrement, au paragraphe 59 :

[59] Un organisme administratif doit également statuer correctement sur une question touchant véritablement à la compétence ou à la constitutionnalité.  Nous mentionnons la question touchant véritablement à la constitutionnalité afin de nous distancier des définitions larges retenues avant l'arrêt SCFP.  Il importe en l'espèce de considérer la compétence avec rigueur.  Loin de nous l'idée de revenir à la théorie de la compétence ou de la condition préalable qui, dans ce domaine, a pesé sur la jurisprudence pendant de nombreuses années.  La « compétence » s'entend au sens strict de la faculté du tribunal administratif de connaître de la question.  Autrement dit, une véritable question de compétence se pose lorsque le tribunal administratif doit déterminer expressément si les pouvoirs dont le législateur l'a investi l'autorisent à trancher une question.  L'interprétation de ces pouvoirs doit être juste, sinon les actes seront tenus pour ultra vires ou assimilés à un refus injustifié d'exercer sa compétence : D.J.M. Brown et J.M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), p. 14-3 et 14-6.  L'affaire United Taxi Drivers' Fellowship of Southern Alberta c. Calgary (Ville), [2004] 1 R.C.S. 485 , 2004 CSC 19 , constitue un bon exemple.  Il s'agissait de savoir si les dispositions municipales en cause autorisaient la ville de Calgary à limiter par règlement le nombre de permis de taxi délivrés (par. 5, juge Bastarache).  Cette affaire relative aux pouvoirs décisionnels d'une municipalité offre un exemple de véritable question de compétence ou de constitutionnalité.  L'examen relatif à l'une et l'autre questions a une portée restreinte.  Il convient de rappeler la mise en garde du juge Dickson selon laquelle, en cas de doute, il faut se garder de qualifier un point de question de compétence (S.C.F.P.).

[23]           Dans cet extrait, la Cour suprême fait référence à son arrêt antérieur dans l'affaire United Taxi Drivers' Fellowship c. Calgary (Ville)[4].  L'avocat de Taxi Laurentides prétend que cette affaire est similaire à celle en cause.

[24]           Enfin, il invoque l'arrêt de notre Cour, Procureur général c. Germain Blanchard Ltée[5].

[25]           Avec égards, les affaires United Taxi Drivers' Fellowship et Germain Blanchard Ltée doivent être distinguées.

[26]           Dans l'affaire United Taxi Drivers' Fellowship, le juge Bastarache expose ainsi le contexte :

[5] En l'espèce, il faut seulement se demander si, en vertu de la Municipal Government Act, la Ville a commis un excès de pouvoir en gelant la délivrance des plaques de taxi.  Les municipalités ne possèdent pas une expertise ou compétence institutionnelle plus grande que les tribunaux pour délimiter leur compétence.  L'examen d'une telle question devra toujours se faire selon la norme de la décision correcte : Nanaimo (Ville) c. Rascal Trucking Ltd., [2000] 1 R.C.S. 342 , 2000 CSC 13 , par. 29.  […]  [je souligne]

[27]           La décision du conseil municipal - lequel n'avait aucune compétence particulière pour interpréter un texte de loi - a par la suite fait l'objet d'un recours devant les tribunaux de droit commun, la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta[6] et la Cour d'appel d'Alberta[7].

[28]           L'arrêt Germain Blanchard Ltée porte sur l'examen du pouvoir discrétionnaire d'un ministre.  Le juge Dalphond écrit :

[103] En effet, lorsqu'une décision est rendue par une personne qui n'y est aucunement autorisée par la loi, un cas d'absence de compétence dans le sens traditionnel du concept, cela ne requiert pas une analyse du fond de la décision, mais uniquement de la loi en vertu de laquelle le décideur prétend agir.  Ce serait le cas si, en l'espèce, un certificat d'autorisation avait été délivré par le ministre et non par le conseil exécutif, alors que la L.Q.E. réserve cet acte à ce dernier.  De même, si après analyse d'une loi habilitante, il appert qu'une formalité essentielle n'a pas été accomplie, le défaut d'y procéder pourra entraîner la cassation de la décision sans qu'il soit nécessaire de se demander si celle-ci, sur le fond, satisfait à la norme applicable.  […]  [je souligne]

[29]           En l'espèce, la situation est tout autre : nul ne conteste la compétence initiale de la CTQ pour faire enquête et révoquer les permis de taxi lorsque la Loi sur le taxi le permet.

[30]           Taxi Laurentides plaide que son interprétation de la Loi sur le taxi ne permettait pas à la CTQ de révoquer les permis à la suite des manquements invoqués en l'espèce.  Il ne s'agit donc pas d'une question de compétence stricto sensu, mais de déterminer dans quelles circonstances la Loi sur le taxi autorise la révocation des permis.

[31]           La prétention de l'avocat de Taxi Laurentides fait fi de la mise en garde du juge Dickson dans l'affaire SCFP[8] qui est d'ailleurs rappelée par les juges LeBel et Bastarache dans l'extrait précité de l'arrêt Dunsmuir[9].  Ainsi, dans l'affaire CCD c. Via Rail[10], la juge Abella, au nom de la juge en chef et des juges Bastarache, Lebel et Charron fait bien voir la portée de cette mise en garde :

[88] La Cour d’appel fédérale a aussi conclu que la norme de contrôle applicable à la décision de l’Office sur la question de savoir si un obstacle est abusif est celle de la décision manifestement déraisonnable.  Je suis d’accord.  Cependant, je ne partage pas l’opinion des juges majoritaires selon laquelle VIA a soulevé une question préliminaire de compétence qui ne relevait pas de l’expertise de l’Office et qui était donc assujettie à une norme de contrôle différente.  Une telle approche risque de détruire l’essence de la décision et de miner la caractéristique même de l’Office qui lui donne droit au plus haut degré de déférence de la part d’une cour de justice — son expertise.  Elle ne tient pas compte de la mise en garde formulée par le juge Dickson dans l’arrêt Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227 , selon laquelle les tribunaux judiciaires « devraient éviter de qualifier trop rapidement un point de question de compétence, et ainsi de l’assujettir à un examen judiciaire plus étendu, lorsqu’il existe un doute à cet égard » (p. 233).

[89] Si chaque disposition de la loi habitante d’un tribunal administratif devait être traitée comme si elle avait des conséquences sur le plan de la compétence qui autoriseraient une cour de justice à substituer ce qu’elle estime être la juste interprétation à donner, le rôle du tribunal administratif se limiterait en réalité à constater des faits.  Le contrôle judiciaire ou l’examen en appel sera [traduction] « mieux guidé par une appréciation des opinions du tribunal administratif qui œuvre quotidiennement dans le domaine pertinent » : D. Mullan, « Tribunals and Courts — The Contemporary Terrain :  Lessons from Human Rights Regimes » (1999), 24 Queen’s L.J. 643, p. 660.  Tout comme ils « devraient éviter de qualifier trop rapidement un point de question de compétence, et ainsi l’assujettir à un examen judiciaire plus étendu, lorsqu’il existe un doute à cet égard », les tribunaux judiciaires devraient également s’abstenir de faire abstraction de l’expertise qu’un tribunal administratif peut mettre à profit lorsqu’il s’agit d’interpréter sa loi habilitante et de définir l’étendue du pouvoir que la loi en question lui confère.

[32]           La CTQ est un organisme spécialisé qui interprète et applique une loi étroitement liée à sa mission; dès lors, il en découle un devoir de déférence lorsqu'on procède à l'examen d'une telle décision même s'il s'agit d'une question de droit ou d'une question mixte de fait et de droit.

[33]           Notre Cour a d'ailleurs retenu la norme de la décision raisonnable simpliciter, telle qu'elle existait à l'époque, alors que le pourvoi portait sur un jugement de la Cour supérieure qui avait refusé de réviser une décision du TAQ qui avait confirmé une décision de la CTQ[11].

[34]           Le juge de la Cour supérieure n'a pas commis d'erreur; la décision du TAQ qui avait confirmé celle de la CTQ devait faire l'objet d'un examen à la lumière de la norme de contrôle de la décision raisonnable.

[35]           Sur le fond de la question, je rappelle la prétention de Taxi Laurentides : les manquements à la qualité du service et à la sécurité de la clientèle ne pourraient entraîner une révocation du permis faute d'une contravention par le détenteur à des exigences précises de la Loi sur le taxi.  De plus, toujours selon elle, les fautes commises par les conducteurs ne peuvent être imputées au détenteur du permis de propriétaire de taxi.

[36]           Selon la CTQ, une telle façon de voir aurait pour effet de l'empêcher d'exercer sa mission de contrôle et de surveillance du service de transport par taxi laquelle est notamment précisée aux articles 1 et 79 de la Loi sur le taxi :

1.  La présente loi établit les règles applicables au transport rémunéré de personnes par automobile et encadre plus particulièrement les services de transport par taxi, y compris ceux de limousine et de limousine de grand luxe, afin d'accroître la sécurité des usagers, d'améliorer la qualité des services offerts et d'établir certaines règles particulières applicables aux activités des intermédiaires en services de transport par taxi.

[…]

79.  La Commission des transports du Québec peut, pour l'application de la présente loi, prendre avec diligence l'une ou plusieurs des mesures suivantes:

 1° délivrer, renouveler, transférer, restreindre, modifier, suspendre ou révoquer un permis de propriétaire de taxi;

[…]

 12° prendre toute autre mesure qu'elle juge appropriée et raisonnable.

Lorsqu'elle rend une décision, la Commission peut tenir compte de l'intérêt public.

[…]

[37]           À cette fin, toujours selon la CTQ, le législateur lui attribue de larges pouvoirs dans l'intérêt public, notamment celui de suspendre ou de révoquer le permis d'un propriétaire de taxi lorsqu'elle constate des manquements à la qualité du service et à la sécurité de la clientèle.

[38]           Je suis d'avis que cette interprétation par la CTQ de la Loi sur le taxi, confirmée par le TAQ, est raisonnable.  Je m'explique.

[39]           Au départ, il est intéressant de noter que l'ancienne Loi sur le transport par taxi[12] prévoyait spécifiquement à l'article 28[13] que la CTQ pouvait, de son propre chef ou sur demande, révoquer le permis de taxi lorsque le titulaire ou le chauffeur à qui le titulaire a confié la garde et l'exploitation du taxi «ne fournit pas un service de la qualité à laquelle le public est en droit de s'attendre eu égard aux circonstances».  En 2001, le législateur a jugé utile de procéder à une refonte et a remplacé l'ancienne loi qui comportait 81 articles par la nouvelle législation qui en compte 152.  Il serait surprenant de présumer que le législateur n'avait plus les mêmes préoccupations relatives à la qualité du service et à la sécurité de la clientèle et qu'il entendait retirer à la CTQ le pouvoir de mettre fin à un service inadéquat et non sécuritaire.

[40]           En définitive, la CTQ pouvait tenir compte, dans l'intérêt public, des manquements à la qualité du service et la sécurité de la clientèle même en l'absence d'une contravention à une exigence précise de la Loi sur le taxi.  De plus, ces manquements lui étaient imputables en qualité de propriétaire de taxi.

[41]           Le premier reproche porte sur le fait de ne pas respecter les normes prescrites en matière de tarification contrairement à l'article 64 de la Loi sur le taxi :

64.  Un chauffeur de taxi ne peut exiger d'un client, en outre du prix de la course calculé conformément aux tarifs, des frais autres que ceux prévus par règlement.

[…]

[42]           Taxi Laurentides ne peut certes plaider que cette faute ne lui est pas imputable puisqu'elle aurait été commise par ses chauffeurs à son insu; il appert du rapport de l'inspectrice, Madame Évelyne Plante, que Taxi Laurentides prévoit dans ses règlements la surfacturation :

D'autres dispositions concernant les tarifs sont décrites dans la section désignée ci-dessus.

Des clients se plaignent que les certains chauffeurs de taxi démarrent le taximètre avant même que le client ne soit monté dans le véhicule.  Par exemple, si un client a des sacs d'épicerie à mettre dans le coffre, certains chauffeurs actionnent le taximètre à l'approche du panier d'épicerie.  D'autres chauffeurs chargent aussi 0,25 $ par sac d'épicerie que le client place dans le coffre.  (sic)

Comme il a été mentionné ci-dessus, La Cie de taxi Laurentides inc. exécute des contrats de transport adapté pour la MRC Rivière-du-Nord, selon le programme SURF.  Lors de notre conversation téléphonique, Mme Nicole Richer, du CIT des Laurentides, explique que le contrat avec La Cie de taxi Laurentides inc. permet au chauffeur de taxi la mise en marche du taximètre avant de faire monter la personne handicapée à bord du véhicule, au point d'origine de la course, et l'arrêt du taximètre lorsque que la personne est à l'intérieur du lieu de destination.  (sic)

Cependant, une surcharge est automatiquement appliquée à tout transport adapté aussi pour un transport privé.  La pratique veut que dès que le taxi arrive à l'adresse du point d'origine de la course, lorsqu'il s'agit d'une personne handicapée ou à mobilité réduite, le taximètre est actionné avant même que la personne soit prise en charge.  Aussi, le taximètre est mis hors fonction seulement lorsque que la personne handicapée est descendue du véhicule.  (sic)

Un rapport d'enquête du Service de l'inspection de la CTQ, portant le numéro IV-303-0296, rédigé le 1er avril 2003, mentionne la surcharge concernant le transport adapté ainsi que la mauvaise qualité des services de transport par taxi (voir copie du rapport en annexe V).

Or, dans le règlement intérieur de La Cie de taxi Laurentides inc., il est stipulé, à la section Charges et facturation, que le taximètre peut être mis en fonction lorsque le chauffeur charge les sacs d'épicerie dans le coffre.  Par contre, il est strictement interdit de charger pour chaque sac d'épicerie, contrairement à la pratique de certains chauffeurs selon des plaintes recueillies.

[43]           Taxi Laurentides ne peut davantage plaider l'ignorance quant aux autres manquements qui lui sont reprochés.  Elle a choisi par une résolution de son conseil d'administration de réembaucher la chauffeure qui se livrait à des activités sexuelles dans un de ses véhicules (reproche numéro 2); à titre de répartitrice, elle ne pouvait ignorer que les taxis adaptés à la clientèle de personnes handicapées ou à mobilité réduite[14] étaient utilisés pour le transport de marchandises (reproche numéro 3); enfin, l'incapacité d'assumer ses responsabilités « compte tenu de l'état pitoyable du climat parmi ses actionnaires chauffeurs de taxi » lui est directement imputable (reproche numéro 4).

[44]           Bref, Taxi Laurentides a commis des contraventions à la Loi sur le taxi en autorisant expressément les conducteurs de ses véhicules à surfacturer une clientèle vulnérable; elle a sciemment réduit le service à cette clientèle; elle a autorisé de la part de ses chauffeurs des comportements déviants et inadéquats.

[45]           La CTQ a le pouvoir habilitant pour révoquer les permis en pareilles circonstances.

 

Manquements à l'équité procédurale lors de l'enquête

[46]           Par la deuxième question, Taxi Laurentides reproche à la CTQ d'avoir permis la preuve sur des manquements qui n'étaient pas mentionnés à l'Avis d'intention et de convocation et, bien plus, d'en avoir retenu certains.  Par la quatrième question, elle plaide qu'elle peut toujours invoquer ces manquements à l'équité procédurale même si elle n'en a pas fait état devant le TAQ.

[47]           Selon l'avocat de Taxi Laurentides, sa cliente était en droit de croire que l'enquête porterait uniquement sur les manquements mentionnés à l'Avis d'intention et de convocation puisque, après l'audition, les avocats du contentieux de la CTQ ont traité de ces seuls reproches dans leur plaidoirie écrite.

[48]           Je suis d'avis que cette prétention doit être rejetée pour de multiples raisons.

[49]           Premièrement, même si l'Avis d'intention et de convocation comporte une énumération de fautes commises par Taxi Laurentides, elle est rédigée en des termes généraux :

La Commission de transport du Québec vous avise de son intention d'analyser les services de transport par taxi offerts par votre entreprise, en regard du respect des obligations légales et réglementaires qui lui sont imposées dans le cadre de l'application de Loi concernant les services de transport par taxi (L.R.Q., c. S-6.01).

[50]           Deuxièmement, la CTQ avait remis à Taxi Laurentides une copie d'un rapport détaillé d'enquête, comportant 30 pages, 24 annexes, et portant sur l'ensemble des questions abordées lors de l'audition devant la CTQ.

[51]           Troisièmement, la CTQ procédait à une enquête sur la façon dont Taxi Laurentides exploitait ses permis; il n'est pas anormal que de nouveaux éléments aient été dévoilés au cours de cette enquête.

[52]           Quatrièmement, Taxi Laurentides était représentée par avocat lors de l'audition qui a duré trois jours devant la CTQ.  Le dossier n'indique d'aucune façon que l'avocat de Taxi Laurentides se soit plaint d'être pris par surprise et ait exigé un ajournement ou ait protesté lorsque la preuve portait sur des reproches non mentionnés dans l'Avis d'intention et de convocation.

[53]           Cinquièmement, Taxi Laurentides n'a pas soulevé ces prétendus manquements devant le TAQ.  À cette étape, Taxi Laurentides pouvait exiger de faire une preuve additionnelle nécessaire à ses prétentions[15], puisqu'il ne s'agissait pas de demander au TAQ de substituer son appréciation de l'intérêt public contrairement à l'article 87 de la Loi sur le taxi[16].  Taxi Laurentides plaide qu'elle aurait pu invoquer ces manquements à l'équité procédurale directement devant la Cour supérieure sans passer par le TAQ, autrement dit sans épuiser ses recours.  Même si cela était exact - ce sur quoi je ne me prononce pas - il n'en reste pas moins qu'elle s'est adressée au TAQ et que si elle prétendait avoir été victime de manquements à l'équité procédurale, elle ne pouvait garder ces moyens en réserve pour les faire valoir plus tard devant le tribunal de droit commun.

[54]           Sixièmement, les reproches qualifiés d'indirects par la CTQ sont malgré tout reliés en grande partie à ceux qualifiés de directs.  En ce qui concerne l'embauche d'une chauffeure qui se livrait à des activités sexuelles dans un taxi et quant à la surfacturation, la CTQ reproche à Taxi Laurentides d'avoir commis ces manquements et d'avoir encouragé ses actionnaires à faire de même.  Les autres reproches qualifiés d'indirects étaient mentionnés au rapport d'enquête; ainsi relativement aux commentaires inappropriés sur les ondes radio, on peut lire au rapport :

Il a été porté à l'attention du Service de l'inspection de la Commission que certains chauffeurs émettaient des commentaires désagréables ou des propos non pertinents sur les ondes de la radio de La Cie de taxi Laurentides inc.  Certains chauffeurs interviennent sur les ondes pour couper la communication entre la répartition et le chauffeur appelé.  Les ondes servent pour des règlements de compte quand ce n'est pas pour des messages à caractère personnel, comme pour aller prendre une bière à la brasserie, par exemple.

[55]           Septièmement, même s'il y avait eu des manquements aux règles de l'équité procédurale  - ce que je n'affirme pas - Taxi Laurentides n'a pas subi de préjudice puisque dans l'extrait précité de sa décision, la CTQ conclut que les motifs invoqués dans l'Avis d'intention et de convocation  - qui ont été prouvés à sa satisfaction - étaient suffisants pour justifier sa conclusion.

[56]           Taxi Laurentides n'a donc pas établi de manquements aux règles de l'équité procédurale dans la conduite de l'enquête par la CTQ et dans ses conclusions.

 

La sanction

[57]           À ce sujet, Taxi Laurentides plaide que les avocats du contentieux de la CTQ avaient recommandé de remettre les permis en vente.  La CTQ a plutôt décidé de les révoquer; l'appelante plaide que la CTQ ne pouvait imposer une sanction plus lourde que celle suggérée par les avocats de son contentieux.

[58]           Dans son exposé, la CTQ se limite à dire qu'elle avait le pouvoir de révoquer les permis et que l'Avis d'intention et de convocation en fait mention :

Dans le cadre des pouvoirs qui lui sont conférés par l'article 79, paragraphes 1 et 12, et l'article 80 de la Loi concernant les services de transport par taxi, la Commission pourrait suspendre ou révoquer vos permis de propriétaire de taxi.

[59]           Dans sa requête introductive d'instance en révision judiciaire et dans sa requête en autorisation d'appel devant la Cour, Taxi Laurentides prétend que ses permis, selon une preuve non contestée en première instance, auraient une valeur approximative de 160 000 $ chacun.

[60]           Il faut se méfier de procéder à une application des principes de droit pénal en matière de droit administratif.  Ainsi, à titre d'exemple, on sait que le juge de juridiction pénale ne peut s'éloigner d'une suggestion commune en matière de peine sans expliquer ses motifs[17].

[61]           L'appelante invoque l'arrêt de la Cour suprême dans l'affaire Cardinal[18].  À mon avis cet arrêt n'a pas d'application en l'espèce.  Dans cette affaire, les appelants étaient des détenus qui avaient participé à une prise d'otages dans un établissement pénitencier.  Ils avaient été placés en ségrégation ou isolement administratif conformément aux règlements sur les services des pénitenciers.  Le juge Le Dain s'exprime comme suit :

Le manque d'équité dans la procédure constaté par le juge en chef McEachern a consisté à maintenir la ségrégation administrative des appelants, malgré la recommandation du Conseil d'examen des cas de ségrégation de les réintégrer dans la population générale de l'établissement, sans leur communiquer les motifs du refus de suivre cette recommandation ni leur accorder d'audition comportant la possibilité de présenter leur version de la prise d'otage.  […]

[…]

Pour ces motifs, je suis d'avis qu'en omettant d'offrir aux appelants une audition équitable sur la question de savoir s'il devrait suivre la recommandation du Conseil d'examen des cas de ségrégation de lever leur ségrégation administrative et de les réintégrer dans la population générale de l'établissement, le directeur a rendu illégal le maintien de la ségrégation des appelants.  […][19]

[62]           Taxi Laurentides a eu droit à une audition complète et a été en mesure de faire valoir toutes ses prétentions.

[63]           Par la suite, l'avocat de Taxi Laurentides invoque certaines décisions[20] du Tribunal des professions qui ont appliqué le principe que le comité de discipline devait donner des motifs lorsqu'il ne retenait pas une suggestion commune.

[64]           Au départ, deux remarques préliminaires s'imposent.

[65]           Premièrement, dans tous ces cas, il s'agissait d'une suggestion commune, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

[66]           Deuxièmement, il faut faire une distinction entre le droit disciplinaire et le droit administratif.  La CTQ a un pouvoir de régulation de l'industrie du taxi dans l'intérêt public et elle doit être en mesure de jouer son rôle.  En matière disciplinaire, le comité de discipline ou le Tribunal des professions arbitre généralement entre les prétentions du syndic et celles du professionnel visé par la plainte.

[67]           La CTQ a raison d'affirmer que, si elle était liée par la suggestion de son contentieux, cela équivaudrait à déléguer ses pouvoirs qu'elle doit exercer de façon exclusive.

[68]           Dans l'affaire Moreau-Bérubé c. N.-B. (Conseil de la magistrature)[21], la Cour suprême a tranché une question quelque peu similaire.

[69]           La juge Arbour énonce la prétention de l'appelante et y répond de la façon suivante :

[76] L'intimée prétend qu'elle pouvait raisonnablement s'attendre à ce que le Conseil n'impose pas une sanction plus sévère que la réprimande, et ce, pour trois raisons principales :

1.  Le comité d’enquête avait recommandé une réprimande et avait conclu que l’intimée était apte à continuer d’exercer ses fonctions de juge de la Cour provinciale.

2.  Même s’il avait le pouvoir discrétionnaire de la suspendre en attendant l’issue de l’enquête, le Conseil avait permis à l’intimée d’exercer sa fonction judiciaire pendant plus d’un an à la suite de ses commentaires contestés.  Selon l’intimée, cette permission l’a amenée à s’attendre à ce que le Conseil tiendrait pour acquis qu’elle était apte à continuer d’exercer ses fonctions de juge.

3.  On n’avait à aucune étape de l’enquête expressément envisagé la révocation ni plaidé en sa faveur avant l’imposition de cette sanction.

[77] En vertu du par. 6.11(3), l’intimée avait le « droit de faire des représentations au Conseil [. . .] en personne ou par un avocat, par écrit ou verbalement, concernant le rapport [du comité] avant que le Conseil de la magistrature n’entreprenne une action » (je souligne).  Elle prétend essentiellement qu’en recommandant une sanction moins sévère que la révocation, le comité l’a indirectement privée de la possibilité de présenter des arguments contre la révocation et que si elle avait su qu’une recommandation de révocation était envisagée, elle aurait plaidé en conséquence devant le Conseil.

[78] Aucun de ces arguments ne me convainc.  La doctrine de l’attente raisonnable ne crée pas de droits fondamentaux et n’entrave pas le pouvoir discrétionnaire du décideur légal.  Elle fait plutôt partie des règles de l'équité procédurale et trouve application dans les cas où une partie affectée par une décision administrative peut établir qu’elle s’attend légitimement à ce qu’une certaine procédure soit suivie : Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525 , p. 557; Baker, précité, par. 26.  Elle peut donner lieu au droit de faire des observations, au droit d’être consulté et peut-être, si les circonstances l’exigent, à des droits procéduraux plus étendus.  Mais autrement elle n’entrave pas le pouvoir discrétionnaire du décideur légal de façon à entraîner un résultat particulier : voir D. Shapiro, Legitimate Expectation and its Application to Canadian Immigration Law (1992), 8 J. L. & Pol’y 282, p. 297.  [je souligne]

[79] En l’espèce, je ne peux pas convenir que le Conseil a porté atteinte au droit de la juge Moreau-Bérubé d’être entendue en ne l’informant pas expressément qu’il pourrait lui imposer une sanction que lui permet clairement la Loi.  La doctrine de l'attente légitime ne trouve pas application dans le cas où le requérant demande essentiellement le droit à une deuxième chance de se prévaloir des droits procéduraux qui ont toujours été disponibles et prévus par la loi.  Par ailleurs, le comité d’enquête n’avait pas le pouvoir de faire une recommandation au Conseil quant à la sanction appropriée.  La Loi l’indique d’une façon on ne peut plus claire, son par. 6.11(1) prévoyant que « le comité doit faire rapport au président de ses conclusions de fait et de ses conclusions concernant les allégations portées contre le juge dont la conduite est en cause concernant son inconduite, sa négligence de remplir ses devoirs ou son inaptitude à exécuter ses fonctions ».  Cela contraste avec le rôle décisionnel qu’a le Conseil une fois le rapport du comité terminé, comme le prescrit ainsi le par. 6.11(4) : « Le Conseil de la magistrature, en se fondant sur les conclusions du rapport [. . .] peut [. . .] rejeter la plainte, [. . .] adresse[r] une réprimande [. . .], ou [. . .] recommander [. . .] que le juge soit démis de ses fonctions ».  Peu importe que le comité ait fait une recommandation qu’il n’était pas autorisé à faire, le Conseil avait le pouvoir discrétionnaire clair et absolu de choisir parmi trois options.  Je ne crois pas qu’étant juge et ayant bénéficié de conseils juridiques tout au long du processus, l’intimée ait pu avoir mal compris les questions en jeu devant le Conseil de la magistrature. Elle n’a jamais affirmé avoir commis une telle erreur avant que celle-ci soit soulevée par le juge Angers en révision judiciaire.  [je souligne]

[…]

[81] Le fait qu’on n’ait pas mentionné la possibilité d’une recommandation de révocation avant d'émettre cette recommandation n’est également pas pertinent.  Le Conseil n’a pas l’obligation de rappeler à l’intimée de lire attentivement le par. 6.11(4). Même si, dans le cadre de sa procédure, le Conseil aurait pu rappeler à la juge Moreau-Bérubé qu’il n’était pas lié par les recommandations du comité d’enquête, il a décidé de ne pas le faire et il avait le pouvoir discrétionnaire de prendre cette décision.  Comme le juge L’Heureux-Dubé l’a souligné dans Baker, précité, par. 27 :  [je souligne]

… l'analyse des procédures requises par l’obligation d’équité devrait également prendre en considération et respecter les choix de procédure que l’organisme fait lui-même, particulièrement quand la loi laisse au décideur la possibilité de choisir ses propres procédures, ou quand l’organisme a une expertise dans le choix des procédures appropriées dans les circonstances : Brown et Evans, op. cit., aux pp. 7-66 à 7-70.  Bien que, de toute évidence, cela ne soit pas déterminant, il faut accorder une grande importance au choix de procédures par l’organisme lui-même et à ses contraintes institutionnelles :  IWA c. Consolidated-Bathurst Packaging Ltd., [1990] 1 R.C.S. 282 , le juge Gonthier.

[70]           Je suis conscient que des distinctions doivent être faites entre l'affaire Moreau-Bérubé et la présente : Madame Moreau-Bérubé était juge et connaissait bien les règles de droit.  Il est aussi vrai que le comité d'enquête n'avait pas le pouvoir de faire une recommandation au conseil quant à la sanction appropriée.  Il n'en reste pas moins que les principes énoncés par la juge Arbour peuvent trouver application en l'espèce.

[71]           L'Avis d'intention et de convocation précise que les fautes reprochées peuvent entraîner la révocation des permis.  L'appelante, étant représentée par avocat devant la CTQ, devait connaître les conséquences de l'enquête.

[72]           Le dossier devant la Cour ne démontre pas que Taxi Laurentides a invoqué devant le TAQ ce prétendu manquement aux règles de l'équité procédurale, ainsi qu'elle aurait pu - et aurait dû - le faire.  Le TAQ résume ainsi les prétentions devant lui :

[3] Le procureur de la requérante prétend que la Commission aurait dû se limiter à l'examen de l'exploitation des deux permis de propriétaire de taxi de la requérante et qu'elle aurait commis des erreurs juridictionnelles en retenant des manquements qu'elle lui attribue indirectement en sa qualité d'intermédiaire en service de transport par taxi ainsi que des manquements résultant de comportements attribuables à certains actionnaires dans l'exploitation de leur propre permis de propriétaire de taxi.

[4] Il soumet de plus que pour chacun des manquements reprochés, les commissaires ont commis une erreur de fait déterminante en ce que la preuve ne permettrait pas d'établir ces manquements.

[73]           Également sur ce prétendu manquement à l'équité procédurale, Taxi Laurentides ne pouvait garder ce moyen en réserve pour l'invoquer plus tard devant la Cour supérieure.

[74]           Le juge de la Cour supérieure conclut que la CTQ a donné des motifs suffisants pour justifier la révocation des permis.  Les motifs de la CTQ se retrouvent, en grande partie, dans la section où elle analyse la preuve des manquements.  Il n'est pas inutile de reproduire ces commentaires :

En application de la Loi, la Commission doit décider si les manquements reprochés dans l'avis et lors de l'audience sont fondés et, dans l'affirmative, si le comportement de intimée est excusable ou doit entraîner des mesures, une suspension ou une révocation de ses permis de propriétaire de taxi.

Le rapport de l'inspectrice, les témoignages de Jocelyne Dagenais, membre du Comité du transport adapté C.C.A., de Nicole Richer, directrice du service de transport en commun, de Stéphane Lapointe, ex-membre du conseil d'administration de l'intimée, de Daniel Laliberté, ex-titulaire de permis de propriétaire de taxi dans l'Agglomération A.15 Saint-Jérôme, de Chantal gingras, aussi ex-titulaire de permis de propriétaire de taxi dans la même agglomération, de Carole Beauchemin, ex-membre du comité de discipline de l'intimée, de Serge Beaudry, aussi ex-membre du même comité de discipline, de Francine Tremblay, ex-membre du conseil d'administration de l'intimée, de Sylvain Mailloux, aussi ex-membre du même conseil d'administration, et de Véronique Dufour, ex-chauffeur de l'intimée impliquée dans la présente affaire par ses activités sexuelles (ex-chauffeur), établissent que :

1)         des assemblées des actionnaires de l'intimée se sont tenues dans une taverne située dans l'Agglomération A.15 Saint-Jérôme;

2)         l'intimée agrée non seulement ses propres chauffeurs de taxi mais encore ceux autorisés à conduire les taxis de chacun de ses actionnaires dont elle assure les services de répartition d'appels;

3)         certains chauffeurs de taxi de l'intimée, certains de ses actionnaires ou certains de leurs chauffeurs ont conduit sous l'effet de l'alcool ou d'autres substances;

4)         certains chauffeurs de taxi de l'intimée, certains de ses actionnaires ou certains de leurs chauffeurs livrent par taxi de la bière à des clients;

5)         au moins deux actionnaires de l'intimée ont été condamnés pour facultés affaiblies, l'un d'eux ayant de plus été condamné deux fois pour avoir conduit un véhicule moteur alors qu'il lui était interdit de le faire;

6)         des divergences profondes et de longue date entre les actionnaires de l'intimée entraînent de graves situations conflictuelles qui vont des échanges verbaux agressifs et des menaces de mort jusqu'aux comportements violents et gestes brutaux;

7)         certains chauffeurs de taxi de l'intimée, certains de ses actionnaires ou certains de leurs chauffeurs émettent des commentaires désagréables ou des propos non pertinents sur les ondes radio de l'intimée alors que des clients peuvent les entendre ou encore « coupent » les messages radio de certains afin de les priver de courses;

8)         l'ex-chauffeur a eu à au moins une occasion des relations sexuelles dans son taxi alors en service, cette ex-chauffeur ayant été par la suite congédiée puis embauchée de nouveau tant un court laps de temps par l'intimée, comme répartitrice, que par des actionnaires de l'intimée comme chauffeur jusqu'au moment de sa démission;

9)         un journal local à faible diffusion, sous l'autorité éditoriale du répartiteur de l'intimée, a publié un article (article controversé) concernant cette ex-chauffeur et pouvant laisser croire que des personnes pouvaient avoir des rapports sexuels dans un des taxis adaptés de l'intimée ou dans un des taxis de ses actionnaires avec cette même personne;

10)       au moins une chaîne nationale de télévision, dans son bulletin d'information, a diffusé par la suite un reportage sur le climat, les comportements et les activités inappropriés prévalant dans l'industrie du taxi dans l'Agglomération A.15 Saint-Jérôme;

11)       des actionnaires de l'intimée, chauffeurs de taxi, ont été sollicitées pour des services sexuels par certains clients qui erronément croyaient que d'autres chauffeurs de taxi de l'intimée et de ses actionnaires offraient des services sexuels dans le cadre du transport par taxi;

12)       les taxis adaptés de l'intimée ne sont pas toujours disponibles pour le transport adapté car ils font des livraisons de colis;

13)       certains chauffeurs de taxi de l'intimée, certains de ses actionnaires ou certains de leurs chauffeurs n'offrent pas l'aide nécessaire aux clientèles nécessitant assistance et ne s'assurent pas que celles-ci soient en sécurité lorsqu'elles descendent d'un taxi alors qu'elles sont affectées d'un handicap intellectuel ou que prévalent des conditions climatiques difficiles;

14)       certains chauffeurs de taxi de l'intimée, certains de ses actionnaires ou certains de leurs chauffeurs manquent de professionnalisme, conduisent trop vite et négligent de fixer adéquatement les fauteuils roulants à bord des véhicules adaptés;

15)       l'intimée, certains de ses chauffeurs de taxi, certains de ses actionnaires ou certains de leurs chauffeurs appliquent des surcharges tarifaires lors du transport de personnes handicapées ou de personnes à mobilité réduite;

16)       certains chauffeurs de taxi de l'intimée, certains de ses actionnaires ou certains de leurs chauffeurs mettent en fonction le taximètre de leur taxi avant même que le client soit à bord et exigent de leur client un montant d'argent additionnel pour chaque sac d'épicerie transporté dans leur taxi;

17)       des frais, autres que ceux visés à l'article 52 du Règlement, sont prévus dans la réglementation interne de l'intimée afin de s'appliquer aux courses hors territoire, cette réglementation interne permettant entre autres d'ajouter 5 $ au montant totalisé par le taximètre pour toute course de cinq passagers et plus;

18)       le CIT des Laurentides, en application de son contrat avec l'intimée, accepte qu'un chauffeur de taxi mette en marche le taximètre avant de faire monter la personne handicapée à bord du véhicule, au point d'origine de la course, et l'arrête lorsque que la personne est rendue à l'intérieur du lieu de destination.

[75]           En contre-partie, le TAQ a analysé les explications et les nuances apportées par Christian Pelletier, président du conseil d'administration de Taxi Laurentides et de Éric St-Louis, répartiteur de cette dernière.

[76]           Malgré ces explications de la part des représentants de Taxi Laurentides, la CTQ conclut qu'elle « a une conduite morale répréhensible et fait fi de ses obligations légales en matière de sécurité et de qualité de service ».  Certes, il eut été préférable que la CTQ s'explique plus longuement sur sa décision de révoquer les permis.  Néanmoins, sa conclusion paraît raisonnable et ne contrevient pas aux règles d'équité procédurale.

[77]           En conséquence, je propose de rejeter le pourvoi avec dépens.

 

 

 

 

ANDRÉ FORGET, J.C.A.

 



[1]     L.R.Q., c. S-6.01, article 5 .

[2]     À l'article 2 (2), le rôle d'intermédiaire est défini comme «une personne qui fournit au propriétaire de taxi des services de publicité, de répartition d'appel ou autres services de même nature».

[3]     [2008] 1 R.C.S. 190 .

[4]     [2004] 1 R.C.S. 485 .

[5]     [2005] R.J.Q. 1881 (C.A.).

[6]     (1998) 60 Alta. L.R. (3d) 165.

[7]     [2002] 8 W.W.R. 51.

[8]     Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227 .

[9]     Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, supra, note 3.

[10]    Conseil des canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc., [2007] 1 R.C.S. 650 .

[11]    R.C.I. Environnement Inc. c. Commission des transports du Québec et Tribunal administratif du Québec, [2007] QCCA 666 , 11 mai 2007 (juges Rochon, Dalphond, Morissette).

[12]    L.R.Q., c. T-11.1.

[13]    28.  La Commission peut, de son propre chef ou sur demande du ministre des Transports, d'une autorité régionale, d'une municipalité ou d'une personne intéressée, suspendre ou révoquer le permis de taxi lorsque le titulaire ou le chauffeur à qui le titulaire a confié la garde et l'exploitation du taxi :

      […]

      4o ne fournit pas un service de la qualité à laquelle le public est en droit de s'attendre eu égard aux circonstances;

      […]

[14]    Elle avait d'ailleurs reçu une subvention gouvernementale pour pouvoir modifier ses véhicules et offrir ce service.

[15]    Loi sur la justice administrative, L.R.Q., c. G-3, art. 137 :

Toute partie peut présenter tout moyen pertinent de droit ou de fait pour la détermination de ses droits et obligations.

[16]    87.  Le tribunal ne peut, lorsqu'il apprécie les faits ou le droit, substituer son appréciation de l'intérêt public à celle que la Commission en avait faite, en vertu de la présente loi ou d'un de ses règlements, pour prendre sa décision.

[17]    R. c. Douglas, [2002] J.Q. No 418 (C.A.); Bazinet c. R., [2008] J.Q. No 411 (C.A.).

[18]    Cardinal c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643 .

[19]    Ibid., paragr. 17 et 24.

[20]    Mathieu c. Dentistes (Lafleur), 2004 QCTP 027 ; Chauvin c. Ciambrome, 2006 CanLII 53726 (QC C.D.C.H.A.D.); Rioux c. Giroux, 2007 CanLII 45214 (QC C.D.C.S.F.); Rioux c. Rosental, 2007 CanLII 39946 (QC C.D.C.S.F.); Chauvin c. Lavigne, 2008 CanLII 15565 (QC C.D.H.A.D.).

[21]    [2002] 1 R.C.S. 249 .

AVIS :
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