Décision

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Bois BGM inc. c. Blais

2020 QCCS 510

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE MONTMAGNY

 

N° :

300-17-000019-172

 

DATE :

10 février 2020

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE ÉRIC HARDY, j.c.s. (JH 5512)

 

 

BOIS BGM INC.

Demanderesse

c.

ALLAIN BLAIS

et

PROMUTUEL MONTMAGNY-L’ISLET, SOCIÉTÉ MUTUELLE D’ASSURANCE GÉNÉRALE

Défendeurs

 

 

JUGEMENT

(sur une demande en dommages-intérêts)

 

L’APERÇU

[1]           Bois BGM inc. (« BGM ») est une société œuvrant dans la transformation et la vente du bois[1].

[2]           Le 2 février 2015, un incendie détruit l’immeuble dans lequel BGM et sa société affiliée, Les agences G & F inc. (« GF ») faisant affaire sous le nom de Bois GM, entreposent leurs marchandises. Cet entrepôt est situé à Daveluyville (« Entrepôt de Daveluyville »).

[3]           Avant que cet incendie ne se déclare, BGM s’était adressée à Allain Blais (« Blais »), un agent à l’emploi de Promutuel Montmagny-L’Islet, Société mutuelle d’assurance générale (« Promutuel »), pour obtenir l’émission d’une police d’assurance couvrant ses biens.

[4]           Or, au moment de l’incendie, cette police n’était toujours pas émise.

[5]           Sur la foi des dernières discussions que Blais a eues, le 29 janvier 2015, avec le président de BGM, Gaston Côté (« Côté »), Promutuel émet, le 5 février 2015, une police (« Police ») rétroactive au 29 janvier 2015 comportant une garantie pour la perte des marchandises jusqu’à concurrence de 75 000 $[2].

[6]           Or, selon BGM, la valeur de sa perte est plutôt de 182 908,73 $.

[7]           Voilà la source du litige qui oppose les parties.

[8]           BGM tient Blais responsable de la sous-assurance de ses marchandises. N’eut été de son laxisme dans le traitement de sa proposition d’assurance et de son manquement à son devoir de conseil, BGM plaide qu’elle aurait bénéficié d’une couverture adéquate pour la perte de ses marchandises. Elle réclame donc de Blais et de son commettant, Promutuel, la somme de 107 908,73 $ (182 908,73 $ - 75 000 $).

[9]           Blais et Promutuel font valoir plusieurs moyens de défense.

[10]        D’abord, ce n’est pas Blais mais bien BGM qui a fixé la limite de couverture pour ses marchandises à 75 000 $. Si celle-ci était véritablement insuffisante, ce qu’ils contestent, elle n’a qu’elle-même à blâmer.

[11]        Blais et Promutuel ne contestent pas que des marchandises valant 182 908,73 $ ont véritablement brûlé, mais ils allèguent que les seules pour lesquelles BGM avait un intérêt d’assurance sont celles pour lesquelles elle a reçu une indemnité de 75 000 $. Les autres appartenaient à GF et à Forex Wood Canada Inc. (« Forex »), une société dont le président et l’actionnaire est Martin Vigneault (« Vigneault »), un autre administrateur et actionnaire de BGM.

[12]        BGM allègue que le bois de Forex, d’une valeur de 43 252 $, lui avait été laissé en consignation et qu’elle en était donc responsable[3]. Promutuel et Blais admettent que la police couvre des marchandises laissées en consignation mais plaident qu’ici, ce n’est pas BGM qui en était le consignataire mais plutôt GF.

[13]        Le présent dossier soulève donc les questions suivantes :

a)     BGM a-t-elle réellement subi une perte qui excède l’indemnité de 75 000 $ qu’elle a reçue de Promutuel? Si la réponse à cette question est négative, la demande doit alors être rejetée.

b)     Blais s’est-il acquitté correctement de son devoir de conseil à l’endroit de BGM et a-t-il fait preuve de laxisme dans le traitement de la demande faite par Côté pour obtenir une couverture d’assurance au bénéfice de BGM?

c)     Si la réponse à la question b) est affirmative, quel est le montant des dommages subis par GM? Ceux-ci comprennent-ils les marchandises de Forex?

[14]        Pour les motifs énoncés plus bas, le Tribunal donne raison à BGM. Blais ne s’est pas acquitté adéquatement de son devoir de conseil. Sa faute a causé à BGM les dommages de 107 908,73 $ qu’elle réclame. Enfin, Promutuel doit répondre de la faute de son préposé.

1.            LE CONTEXTE

[15]        La société GF est fondée en 1975. Elle œuvre dans le domaine de la vente et de la préparation du bois.

[16]        Depuis 1983, Blais veille aux besoins d’assurance de GF, d’abord comme courtier d’assurances et, à compter de 2001, à titre d’agent de Promutuel[4].

[17]        Une relation de confiance se développe entre lui et Côté.

[18]        Aux dires de Blais, GF est une entreprise bien gérée. Ce sont, selon ses mots, « des gens à leur affaire ».

[19]        Depuis 2011, Forex entrepose ses marchandises dans l’Entrepôt de Daveluyville. L’entente avec GF est verbale[5]. GF les détient en consignation jusqu’à temps qu’elle trouve preneur pour celles-ci, en totalité ou en partie. Par la suite, Forex lui transmet une facture pour les marchandises vendues comme il est d’usage de le faire en pareille matière[6]. Forex est payée lorsque GF facture son propre client[7]. Les marchandises de Forex ne sont pas confondues avec celles de GF. Au contraire, elles sont identifiées au nom de Forex avec des étiquettes.

[20]        En 2014, Côté se dit que le temps est venu pour lui de songer à la retraite[8]. Il souhaite la prendre de façon graduelle.

[21]        Il connaît Vigneault et Benoit Marquis qui œuvrent également dans le commerce du bois. Côté convient avec eux de former BGM qui a pour mission, à compter du 1er janvier 2015, de poursuivre les activités de GF[9].

[22]        L’entente est la suivante. À compter du 1er janvier 2015, GF ne vend plus ses marchandises à des tiers mais uniquement à BGM[10]. Elle devient donc sa seule cliente[11]. Lorsque BGM obtient une commande, elle s’approvisionne si possible auprès de GF[12]. GF les lui vend alors au prix coûtant[13]. Sinon, BGM s’adresse à un autre fournisseur. BGM la paie après que sa propre cliente l’ait fait.

[23]        Selon ce que Côté envisage, le transfert des inventaires de GF à BGM doit se faire « tranquillement pas vite »[14].

[24]        Cette façon de faire doit durer jusqu’à l’écoulement des inventaires de GF. Par la suite, Côté doit mettre fin à ses opérations.

[25]        Le 21 octobre 2014, BGM est incorporée. Côté, Marquis et Vigneault en sont les actionnaires et administrateurs[15].

[26]        À compter du 1er janvier 2015, BGM débute ses opérations[16].

[27]        Aucun contrat écrit de consignation n’est signé entre Forex et BGM pas plus d’ailleurs qu’il n’y en a eu avec GF[17].

[28]        À la suite de l’incendie, GF reçoit de Promutuel une indemnité de 322 000 $ pour la perte de ses marchandises qu’elle n’avait pas encore vendues à BGM.

[29]        Il est admis en défense que les marchandises pour lesquelles BGM n’a pas été indemnisées sont distinctes de celles pour lesquelles GF a reçu 322 000 $ de Promutuel.

2.            L’ANALYSE ET LA DÉCISION

2.1         BGM a-t-elle réellement subi une perte qui excède l’indemnité de 75 000 $ qu’elle a reçue de Promutuel? Si la réponse à cette question est négative, la demande doit alors être rejetée.

[30]        Le détail de cette somme de 182 908,73 $ est fourni dans la pièce P-4. Elle correspond à la valeur des inventaires dont BGM s’attribue la propriété, soit 139 656,73 $, à laquelle s’ajoute celle des biens de Forex, soit 43 252 $.

[31]        À l’exception de celles pour lesquelles BGM reçoit une indemnité de 75 000 $, Blais et Promutuel contestent que BGM est propriétaire, au moment de l’incendie, de marchandises valant 64 656,73 $ (139 656,73 $ - 75 000 $) et consignataire de celles appartenant à Forex (43 252 $). Selon eux, c’est plutôt GF qui en était le propriétaire et consignataire, selon le cas.

[32]        Blais et Promutuel plaident que pour pallier à l’insuffisance d’assurance de GF, BGM aurait, en quelque sorte, mis en scène une fausse réclamation.

[33]        D’abord, elle aurait effectué des écritures comptables factices pour faire entrer dans son patrimoine, avant l’incendie, les marchandises de GF en sus de celles pour lesquelles cette dernière reçoit 322 000 $ de Promutuel. Par la suite, elle se serait faussement plainte que Blais l’aurait mal conseillé quant à la limite de couverture dont elle devait disposer.

[34]        À juste titre, Blais et Promutuel plaident qu’il appartient à BGM de prouver, de façon prépondérante, qu’elle a subi une perte de 107 908,73 $ en sus de celle de 75 000 $ pour laquelle Promutuel lui a versé une indemnité en vertu de la Police[18].

[35]        Côté jure qu’au-delà des marchandises pour lesquelles BGM a reçu 75 000 $, elle en détient d’autres d’une valeur de 64 656,73 $. Quant aux marchandises de Forex, Côté affirme que BGM en devient la consignataire à compter du 1er janvier 2015. Vigneault, le président de Forex, le confirme[19].

[36]        À plusieurs reprises, Côté s’offusque, durant son contre-interrogatoire, que Blais et Promutuel puissent prétendre qu’il ait effectué des manipulations comptables pour les tromper.

[37]        Le contre-interrogatoire de Côté fait ressortir certaines contradictions par rapport à celui qu’il rend lors de son interrogatoire préalable du 28 novembre 2017. Ainsi, lors de cet interrogatoire, Côté affirme qu’à partir du 31 décembre 2014, GF n’achète plus de bois[20]. Or, la preuve révèle que des achats de bois sont faits, à compter du 1er janvier 2015, sur des documents identifiés au nom de GF ou de sa raison sociale Bois GM[21]. Inversement, des transactions antérieures au 1er janvier 2015 sont effectuées à l’aide de documents à l’en-tête de BGM[22]. Les principales ont trait aux formulaires utilisés en décembre 2014 et janvier 2015 pour l’achat de marchandises. Ainsi, une partie des marchandises pour lesquelles BGM réclame des dommages de 64 656,73 $ avaient été achetées en se servant de formulaires au nom de GF ou de sa raison sociale Bois GM.

[38]        Côté se justifie en expliquant que GF et BGM ne comptent qu’une seule employée, Pierrette Aubé. Il constate aujourd’hui que BGM n’a pas fait preuve de toute la rigueur requise dans le choix des formulaires utilisés pour l’achat de marchandises[23]. Il explique que décembre 2014 et janvier 2015 étaient des mois de transition. Quels que soient les formulaires utilisés, l’intention demeurait la même, celle de constituer un inventaire pour BGM à compter du 1er janvier 2015 en sus de celui qu’elle avait prévu acquérir graduellement de GF.

[39]        BGM sollicite l’opinion de l’expert-comptable Jean-Sébastien Lemieux. Pour leur part, Blais et Promutuel font appel aux services de son collègue Richard Joly. La qualification des deux experts est admise aux fins de leurs rapports respectifs.

[40]        Ni l’un ni l’autre n’a pu vérifier l’inventaire des marchandises en question puisqu’elles ont été entièrement détruites par l’incendie. Ils s’en remettent donc aux documents comptables mis à leur disposition pour formuler leur opinion.

2.1.1     L’expert de la demande

[41]        L’analyse comptable effectuée par l’expert Lemieux lui permet d’affirmer que BGM a bel et bien subi une perte de 182 908,73 $ dont elle a été indemnisée par Promutuel jusqu’à concurrence de 75 000 $.

[42]        L’expert Lemieux ajoute que BGM aurait même sous-estimé la valeur de ses propres marchandises de 4 820,32 $. Celles-ci vaudraient en réalité 142 996,90 $.

[43]        Voici comment il effectue ses calculs.

[44]        Les registres comptables de BGM démontrent que durant le mois de janvier 2015, BGM achète des marchandises pour un total de 213 821,90 $[24]. De cette somme, BGM s’en procure auprès de GF pour un total de 69 228 $. Ce sont donc des achats nets de 144 593,90 $ que BGM effectue auprès de fournisseurs autres que GF[25].

[45]        Durant cette même période, les ventes sont de 97 020,15 $[26]. Étant donné la marge bénéficiaire brute de BGM qui est de 27 %, le prix coûtant des marchandises vendues s’établit à 70 824,71 $[27].

[46]        La différence entre 213 821,90 $ et 70 824,71 $ est de 142 997,19 $, ce qui correspond au montant de sa véritable perte qu’elle avait sous-estimée dans sa pièce P-4.

[47]        En tenant pour acquis que BGM est responsable de la perte des marchandises de Forex laissées en consignation dans l’Entrepôt de Daveluyville, l’expert Lemieux est d’avis que leur perte (43 252 $) doit s’additionner à celle des marchandises appartenant à BGM telle que calculée dans P-4 (139 656,73 $), pour former un total de 182 908,73 $. De ce montant, l’indemnité de 75 000 $ versée par Promutuel doit être soustraite, laissant un solde de 107 908,73 $.

[48]        Non seulement les registres comptables de BGM font-ils état d’achats de bois pour un total de 213 821,90 $ durant le mois de janvier 2015, mais de plus, il en retrace les preuves de paiement par BGM. Certes, tous ces paiements sont effectués après l’incendie mais cela est normal compte tenu des termes de paiement usuels dans le commerce du bois.

[49]        De plus, il effectue divers sondages dont il fournit le détail dans son rapport. Notamment, il vérifie que les marchandises transférées par GF à BGM sont bel et bien retirées des inventaires de GF. En somme, ces sondages lui permettent d’affirmer que GF et BGM ne réclament pas une indemnité d’assurance pour la perte des mêmes marchandises, même en partie.

[50]        L’expert Lemieux reconnaît qu’en décembre 2014 et janvier 2015, les représentants de BGM ont indistinctement utilisé des documents à l’en-tête de GF ou de BGM pour faire l’achat de bois alors que seuls ceux à l’en-tête de la première société auraient dû l’être jusqu’à la fin de 2014 et ceux de la seconde, à compter du 1er janvier 2015.

[51]        À ses yeux, cela n’est pas déterminant. Ce manque de rigueur s’explique par la petitesse des ressources administratives de BGM. La preuve révèle, en effet, que madame Pierrette Aubé, adjointe administrative, est la seule employée de GF et de BGM.

[52]        En conclusion, l’expert Lemieux considère qu’il est raisonnable d’estimer la valeur des marchandises qui ont péri à la somme de 182 908,73 $, montant qu’il arrondit à 182 909 $.

2.1.2     L’expert de la défense

[53]        De son côté, l’expert Joly explique que d’un point de vue comptable, le seul enjeu est de savoir si BGM est bel et bien propriétaire ou consignataire des marchandises pour lesquelles elle réclame des dommages-intérêts de 107 908,73 $.

[54]        Pour répondre à cette question, il examine les documents financiers de BGM et de GF et en vient à la conclusion qu’ils ne démontrent pas que BGM est soit propriétaire soit consignataire de ces marchandises.

[55]        Il explique que le fait que les factures d’achat de marchandises en question soient entièrement payées par BGM ne signifie pas qu’elle en est propriétaire.

[56]        Il est d’accord avec l’expert Lemieux de BGM que le journal des achats de BGM indique qu’elle achète, en janvier 2015, des marchandises pour un montant de 213 821,90 $ et qu’elle en vend, pendant cette même période, pour une somme de 97 020,15 $.

[57]        À l’annexe C de son rapport, l’expert Joly liste tous les achats d’une valeur supérieure à 1 000 $ composant la somme de 213 821,90 $. Le total de ces transactions atteint la somme de 209 961 $. Ce montant est composé, pour partie, de transactions effectuées par GF totalisant 87 428 $ en 2014 et 50 347 $ en 2015. L’autre partie correspond aux achats effectués par BGM qui totalisent 72 186 $, soit un montant inférieur à l’indemnité de 75 000 $ que Promutuel lui a versée.

[58]        Pour déterminer l’auteur d’une transaction donnée, l’expert Joly s’en remet au formulaire utilisé pour chacune d’elles. Si celui-ci est au nom de GF ou de sa raison sociale Bois GM, la transaction est alors attribuée à GF. À l’inverse, si le formulaire est au nom de BGM, c’est elle qu’il considère propriétaire de la marchandise achetée. Ainsi, tout est fonction, selon lui, des formulaires utilisés. Il ne s’attarde pas au contexte des transactions effectuées.

2.1.3    L’analyse du Tribunal

[59]        Bien que la preuve comptable ait occupé une grande partie de l’instruction, le débat n’en est pas véritablement un de chiffres. Les deux experts-comptables le reconnaissent. D’ailleurs, l’expert Joly dont le rapport est déposé en premier, ne suggère pas à ses mandants de lui donner instruction de préparer un rapport de réplique une fois qu’il prend connaissance de celui de son collègue Lemieux.

[60]        Le rôle de chacun des deux experts-comptables est plutôt de rechercher, dans les registres financiers de GF et de BGM, des indices comptables pour corroborer ou infirmer la prétention de BGM selon laquelle elle était soit propriétaire soit consignataire des marchandises pour lesquelles elle réclame aujourd’hui la somme de 107 908,73 $.

[61]        De l’ensemble de la preuve administrée, le Tribunal conclut que de cette somme de 107 908,73 $, BGM était propriétaire de marchandises d’une valeur de 64 656,73 $ et consignataire de celles appartenant à Forex dont la valeur s’établit à 43 252 $.

[62]        Voici pourquoi.

[63]        Les transactions effectuées en décembre 2014 et janvier 2015 n’avaient de logique qu’en autant qu’elles aient pour but de permettre à BGM de répondre aux besoins de ses clients à compter de la nouvelle année.

[64]        Quel intérêt GF aurait-elle eu d’acheter du bois pour son propre compte en décembre 2014 ou janvier 2015 alors que sa seule cliente allait sous peu devenir BGM?

[65]        Peut-être l’a-t-elle fait parce que BGM n’était pas encore connue de ses fournisseurs ou parce qu’aucun compte n’avait encore été ouvert à son nom auprès de ces derniers? De l’avis du Tribunal, cela ne change rien. Au mieux pour Blais et Promutuel, GF aurait agi comme prête-nom pour le compte de BGM.

[66]        Pour emprunter les mots utilisés par l’expert-comptable de la défense, Richard Joly, l’arrangement qui existe entre GF et BGM équivaut, à toute fins pratiques, à un financement gratuit de l’inventaire de la première au profit de la seconde. Le Tribunal estime que par ces mots, l’expert Joly décrit fort bien la réalité commerciale de l’entente entre GF et BGM.

[67]        L’expert Joly a raison de dire que le fait que les marchandises dont la valeur est réclamée par BGM aient été payées par elle, après l’incendie, n’en fait pas nécessairement la propriétaire.

[68]        Par contre, le contexte de l’entente intervenue entre GF et BGM, sa réalité commerciale, l’inscription du bois qui a péri dans le journal des achats de BGM et le fait que cette dernière l’ait payé démontrent, de façon prépondérante, qu’elle en était la propriétaire.

[69]        Blais et Promutuel font remarquer que le paiement de ce bois est fait après l’incendie. Cela est vrai mais ne surprend pas. La preuve démontre que les fournisseurs de bois accordent à leurs clients de tels termes de paiement.

[70]        Blais et Promutuel plaident que GF et BGM ne peuvent contredire les formulaires de commande de factures qui ont été utilisés. À ce titre, ils invoquent l’article 2831 du Code civil du Québec qui prévoit que l’écrit non signé, habituellement utilisé dans le cours des activités d’une entreprise pour constater un acte juridique, fait preuve de son contenu. Ils ajoutent qu’à son troisième alinéa, l’article 2870 du Code civil du Québec accorde même à ces formulaires une présomption de fiabilité. Partant, GF et BGM ne peuvent les contredire.

[71]        À ce sujet, les auteurs Jean-Claude Royer et Catherine Piché écrivent qu’« un plaideur peut, par tous moyens, contredire le contenu de cet écrit. Il appartient alors au tribunal d’apprécier l’ensemble de la preuve »[28].

[72]        Or, l’ensemble de la preuve milite en faveur de la conclusion que BGM était propriétaire (139 656,73 $) et consignataire (43 252 $) de marchandises dont la valeur atteignait 182 908,73 $ et dont l’indemnité reçue de 75 000 $ doit être soustraite.

[73]        Reste maintenant la question des biens en consignation appartenant à Forex.

[74]        Il est vrai qu’aucune entente écrite de consignation n’existe entre Forex et BGM au moment de l’incendie. Il n’en existait pas non plus entre Forex et GF. Côté s’exprime ainsi lors de son interrogatoire préalable : « non, on n’a pas d’ententes écrites, mais on est des associés et ça fait… ça fait dix (10) qu’on procède ensemble… »[29].

[75]        Blais et Promutuel plaident qu’il appartient à BGM de faire la preuve, de façon prépondérante, que BGM est devenue consignataire des biens de Forex à compter du 1er janvier 2015. Elle souligne à cet égard que le témoignage de Vigneault constitue, au mieux, du self-serving evidence. De plus, le Tribunal ne saurait y attribuer une très grande crédibilité puisqu’il est l’un des administrateurs et actionnaires de BGM.

[76]        Blais et Promutuel soulignent que la mise en demeure[30] de Forex à la suite de l’incendie était adressée à GF. Voilà donc la preuve que l’entente de consignation n’avait pas été transférée de GF à BGM.

[77]        À ce sujet, Vigneault témoigne que cette mise en demeure a été préparée par son adjointe. Il reconnaît cependant qu’il y a apposé sa signature.

[78]        De l’ensemble de la preuve, le Tribunal conclut que cette entente de consignation avait implicitement été transférée à BGM. C’est d’ailleurs de cette façon que Côté s’exprime longuement sur la question lors de son interrogatoire préalable[31]. Ce bois était « destiné en consignation » à BGM explique-t-il. Il ajoute : « … à partir du mois de janvier, l’opération… moi, je n’opérais plus de bois, là. Il fallait que tout ça soit » à BGM.

[79]        Comment pouvait-il en être autrement dans l’esprit de Vigneault, Côté et Marquis? Seule BGM pouvait vendre à des tiers à compter du 1er janvier 2015. Laisser les biens consignés dans le patrimoine de GF après cette date n’aurait eu aucune logique.

[80]        De plus, ils apparaissent dans l’inventaire de BGM portant la date du 31 janvier 2015, soit deux jours avant l’incendie[32].

[81]        Blais et Promutuel ne contestent pas que le consignataire des marchandises de Forex doit répondre de leur perte auprès de leur propriétaire. D’ailleurs, la définition de « marchandises » dans la Police[33] est suffisamment large pour inclure des biens en consignation, tel qu’ils le reconnaissent d’ailleurs.

[82]        Ainsi, le Tribunal conclut que s’il y a faute commise par Blais, les dommages subis par BGM s’élèveront donc à la somme qu’elle réclame soit 107 908,73 $.

[83]        BGM n’ayant pas encore remboursé Forex pour la valeur de son bois qui a brûlé, elle concède que les intérêts et l’indemnité additionnelle sur la somme de 43 252 $ ne doivent commencer à courir qu’en date du jugement.

2.2         Blais s’est-il acquitté correctement de son devoir de conseil à l’endroit de BGM et a-t-il fait preuve de laxisme dans le traitement de la demande faite par Côté pour obtenir une couverture d’assurance au bénéfice de BGM?

2.2.1.   Les principes juridiques applicables

[84]        Dans la préparation d’une proposition d’assurance, l’agent d’assurance agit comme mandataire de l’assuré.

[85]        L’article 2138 du Code civil du Québec prévoit que le mandataire est tenu d’accomplir le mandat qu’il a accepté et qu’il doit, dans l’exécution de celui-ci, agir avec prudence et diligence.

[86]        Le Code de déontologie des représentants en assurance de dommages impose de nombreuses obligations à l’agent et au courtier en assurance de dommages. Son avant-propos indique que les règles qui y sont inscrites « constituent le seuil minimal de la pratique professionnelle » des agents et des courtiers. Elles visent notamment à favoriser la protection du public.

[87]        Elles prévoient que le représentant en assurance de dommages :

·          doit faire preuve de disponibilité[34];

·          ne doit pas négliger les devoirs professionnels reliés à l’exercice de ses activités[35];

·          doit favoriser les mesures d’éducation et d’information dans le domaine où il exerce ses activités[36]; et

·          doit donner suite, dans les plus brefs délais, aux instructions qu’il reçoit de son client ou le prévenir qu’il lui est impossible de s’y conformer[37].

[88]        Dans la section intitulée Manquements à la déontologie, le Code de déontologie des représentants en assurance de dommages mentionne que le défaut d’agir en conseiller consciencieux en omettant d’éclairer ses clients sur leurs droits et obligations et en ne leur donnant pas tous les renseignements nécessaires ou utiles constitue un tel manquement. On ajoute qu’en tant que spécialiste de l’assurance de dommages, le représentant doit donner tous les conseils adaptés à la situation de son client.

[89]        L’article 27 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers[38] impose également l’obligation à un représentant en assurance de s’enquérir de la situation de son client afin d’identifier ses besoins. L’article 28 ajoute qu’il doit, avant la conclusion de contrats d’assurance, décrire le produit proposé au client en relation avec les besoins identifiés et lui préciser la nature de la garantie offerte.

[90]        Comme la Cour suprême l’écrivait dans l’affaire Fletcher c. Société d’assurance publique du Manitoba[39], il y a presque 30 ans, « les agents et courtiers d’assurances sont plus que de simples vendeurs ».

[91]        Dans l’affaire Fermes Forcier & Fils, s.e.n.c. c. Promutuel Lac Saint-Pierre-Les Forges, société mutuelle d’assurances générales[40], monsieur le juge Brian Riordan, j.c.s., écrit que le « représentant ne peut se satisfaire de jouer le rôle d’un « remplisseur de formulaires », qui n’a aucune question à poser du moment qu’il reçoit des instructions claires de son client. S’il n’a pas à essayer de prévoir tous les problèmes possibles, il a tout de même l’obligation de prévoir les plus communs, dont la sous-assurance qui brille par son importance »[41].

[92]        Le représentant en assurances n’est pas tenu à un standard de perfection. Son obligation en est une de moyens. On tiendra compte, notamment, du degré de sophistication de l’assuré en matière d’assurance pour évaluer sa conduite.

[93]        Dans une synthèse du droit applicable, intitulée « La responsabilité professionnelle du courtier d’assurances » publiée dans les Développements récents en droit des assurances de 2011, Me Céline Gervais[42] écrit que le devoir de conseil du courtier « a entre autres comme objectif de protéger l’assuré contre ses propres erreurs ».

2.2.2.   Application de ces principes au cas sous étude

[94]        La preuve est contradictoire sur le nombre et le contenu des conversations que Côté et Aubé ont eues avec Blais.

·          La version de Côté

[95]        Le 24 novembre 2014[43], Côté informe Blais qu’il allait former une nouvelle société pour prendre la relève de GF. Il lui dit vouloir prendre une retraite progressive. À cette fin, il croit judicieux de s’adjoindre deux actionnaires dans cette nouvelle entreprise.

[96]        Côté explique à Blais que la nouvelle société exercera exactement les mêmes activités que l’ancienne. Il lui dit aussi que les inventaires de GF seront « graduellement » transférés à BGM[44].

[97]        Côté affirme avoir dit à Blais que BGM devait être assurée à compter du 1er janvier 2015.

[98]        Blais n’ayant toujours pas donné suite à sa demande, Côté témoigne l’avoir relancé, sans succès, les 9 et 17 décembre 2014. Ses relevés téléphoniques attestent que des appels ont été logés par lui aux bureaux de Promutuel à ces dates[45].

[99]        Au retour du congé des fêtes, Côté demande à Aubé[46] de faire le suivi auprès de Blais. Elle lui téléphone à deux ou trois reprises dans le courant du mois de janvier mais BGM ne reçoit toujours pas de proposition d’assurance[47].

[100]     Blais nie avoir reçu des appels d’Aubé.

[101]     Aubé s’entretient avec Blais le 23 janvier 2015. Aubé admet ne pas avoir discuté avec lui de la valeur des marchandises à assurer. Cela relève de Côté, lui explique-t-elle. Il devra donc s’adresser à lui pour en convenir.

[102]     Le 29 janvier 2015, Blais s’entretient avec Côté[48].

[103]     Côté témoigne que Blais lui demande quelle est la valeur de l’inventaire de BGM. Il lui répond 75 000 à 80 000 $. Il ne veut pas dire, par-là, qu’une couverture d’assurance de cet ordre serait suffisante. D’ailleurs, dit-il, Blais ne l’interroge pas sur le montant de la couverture d’assurance dont BGM a besoin pour ses marchandises[49]. Tout au plus, Côté lui dit-il qu’il souhaite obtenir une couverture adéquate[50].

[104]     La preuve démontre que de 2010 à 2015, la couverture de GF pour les marchandises fluctue de 250 000 $ à 325 000 $[51].

[105]     Côté explique qu’à la fin janvier 2015, BGM reçoit une plus grande quantité de bois que ce qu’elle avait prévu. Il explique qu’à cette époque de l’année, les entreprises de séchage du bois étaient moins occupées qu’à l’habitude et qu’elles parvenaient ainsi à livrer à leurs clients le bois séché plus rapidement que prévu[52].

·          La version de Blais

[106]     Blais reconnaît s’être entretenu le 24 novembre 2014, soit avec Côté soit avec Aubé[53]. L’objet de sa conversation est double. D’abord, il est question d’un accident survenu quatre jours plus tôt impliquant un véhicule de GF. Par la suite, Côté l’informe avoir formé une société, BGM, le 20 octobre 2014. Il lui dit que cette dernière aura exactement les mêmes activités que GF. Des protections d’assurance identiques à celles dont GF dispose sont requises pour BGM[54]. Il lui fait part que cette dernière aura trois actionnaires, dont lui-même. Blais sait alors que Côté est l’unique actionnaire de GF. Côté met fin à la conversation en lui disant que son adjointe administrative, Aubé, le contactera plus tard pour lui indiquer quelles seront les montants d’assurance requis.

[107]     Blais nie qu’on lui ait dit que BGM devait être assurée à compter du 1er janvier 2015[55].

[108]     Blais témoigne n’avoir aucun souvenir d’avoir parlé à Aubé ou Côté le 9 ou 17 décembre 2014. À son interrogatoire préalable, il nie avoir parlé à Côté en décembre 2014[56]. Il n’a non plus aucune note à cet effet. Blais explique qu’à cette époque, il ne s’occupait que des produits d’assurances destinés aux entreprises. Peut-être Côté a-t-il appelé les bureaux de Promutuel pour des besoins en matière d’assurance résidentielle ou automobile, explique-t-il.

[109]     Ce n’est que le 23 janvier 2015 que Blais réentend parler de BGM. Il reçoit alors un appel d’Aubé. Il lui demande le nom des actionnaires de BGM. Il a besoin de cette information pour faire émettre une police. Son service de la souscription l’avait préalablement informé que puisque Côté n’est pas l’unique actionnaire de BGM, un nouveau contrat d’assurance devait être émis. Une simple transformation de la police de GF n’aurait pas suffi[57].

[110]     Blais dit qu’il savait que l’inventaire de GF allait être transféré dans BGM de la façon expliquée par Côté, et ce, au fur et à mesure des commandes reçues par BGM de ses propres clients[58].

[111]     Lorsqu’il est question des montants d’assurance requis pour les marchandises, Aubé lui dit que Côté allait le contacter pour en discuter[59].

[112]     Blais témoigne qu’il commence alors à préparer la proposition d’assurance. Pour la compléter, il ne reste qu’à indiquer le montant de couverture pour les marchandises et la date de son entrée en vigueur[60].

[113]     Plus tard dans son témoignage, Blais explique qu’il ne se souvient pas s’il a véritablement parlé à Aubé ou plutôt à Côté le 23 janvier. Ses notes manuscrites sont imprécises à ce sujet.

[114]     Le jeudi 29 janvier 2015, Blais reçoit l’appel de Côté pour discuter du montant de la couverture pour les marchandises[61]. Côté lui confie qu’il est incapable de fixer le montant de couverture requise. Blais lui répond : « 100 000 $ ferait-il affaire? ». Côté lui dit : « non, c’est beaucoup trop ». Blais lui suggère : « 25 000 $ alors? ». Côté lui répond : « non, c’est beaucoup trop bas ». Blais lui propose alors une couverture de 50 000 $ mais Côté repousse à nouveau sa proposition au motif que c’est encore insuffisant. Blais lui suggère ensuite une couverture de 75 000 $. Cette fois, Côté lui répond que ce montant convient[62].

[115]     Selon Blais, lui et Côté se seraient simplement dit : « On part avec soixante-quinze mille (75 000 $) pis on s’ajustera »[63].

[116]     Une surcharge de travail fait en sorte que Blais est incapable de compléter la proposition le jeudi et le vendredi qui suivent.

[117]     Lundi matin le 2 février 2015, Blais reçoit l’appel de Côté. L’entrepôt de Daveluyville est en flammes.

[118]     Côté complète alors la proposition d’assurance[64] en indiquant qu’elle entrera en vigueur rétroactivement au 29 janvier 2015 et que la couverture requise pour les marchandises sera de 75 000 $.

[119]     À 17h36 le 2 février, Blais transmet, par courriel, cette proposition à sa collègue Danielle Casault et à sa supérieure Anne Gendreau[65]. Dans la section intitulée Notes supplémentaires, il écrit que son intention était de la compléter dans l’avant-midi du 2 février mais que les nombreux appels et requêtes de ses clients ont fait en sorte qu’il n’a pu le faire qu’en fin d’après-midi.

[120]     Le directeur général de Promutuel est saisi de la question. Sur la foi des représentations de Blais, il autorise l’émission, le 5 février 2015, de la Police, rétroactivement au 29 janvier précédent. La limite de couverture pour les marchandises est celle requise par Côté, soit 75 000 $.

[121]     Blais affirme que lorsqu’il remet en main propre la Police à Côté, celui-ci lui demande s’il peut l’aider. Blais interprète ses paroles comme une invitation à augmenter, ex post facto, la limite de couverture des marchandises[66]. Blais lui répond que cela est hors de question.

[122]     Blais reconnaît que Côté est son seul client dans le domaine du bois[67].

[123]     Blais décrit ainsi le processus qui est normalement suivi pour l’émission d’une nouvelle police. D’abord, il rencontre le client pour connaître ses besoins et pour déterminer s’il répond aux normes de souscription de Promutuel[68]. Si tel est le cas, il le revoit à nouveau pour préparer la proposition d’assurance. L’objectif est de fournir la meilleure protection possible au client en fonction, bien sûr, des besoins qu’il exprime. C’est à l’occasion de cette seconde rencontre que les montants de couverture sont discutés. Par la suite, la proposition d’assurance est transmise au service de souscription qui procède à la tarification. Au terme de ce processus, Blais présente une soumission au client[69]. Si ce dernier estime que la prime est trop élevée, une négociation peut s’en suivre[70].

[124]     Ici, Blais admet que ce processus n’a pas été suivi.

[125]     Côté était déjà connu de Promutuel. Les activités de BGM sont les mêmes que celles de GF. Le Tribunal peut comprendre que Blais ait pris pour acquis que le risque que BGM voulait assurer répondrait aux normes de Promutuel.

[126]     Il ne restait en somme qu’à définir les besoins d’assurance de BGM. Côté avait déjà dit à Blais qu’il voulait obtenir une police identique à celle émise au bénéfice de GF. Selon Blais, les seuls sujets à être discutés avaient trait à l’entrée en vigueur de la police et au montant de la couverture requise pour les marchandises.

·          L’analyse du Tribunal

[127]     Selon Côté, Blais ne l’a même jamais consulté sur le montant de la limite de couverture qui était requise pour les marchandises. Il ne s’attendait pas pour autant qu’elle soit identique à celle contenue à la police couvrant GF soit 325 000 $[71].

[128]     À plusieurs reprises, Blais affirme, lors de son témoignage, que c’est Côté qui a lui-même décidé d’une limite de 75 000 $.

[129]     Sur cette question, le Tribunal préfère la version de Blais à celle de Côté. Le 23 janvier 2015, Aubé s’entretient avec Blais. Elle lui dit que c’est avec Côté qu’il doit discuter de la limite de couverture.

[130]     En toute probabilité, Côté sait que ce dont il est question, le 29 janvier, lorsqu’il s’entretient avec Blais, est la fixation de la limite de couverture pour les marchandises.

[131]     De l’avis de Blais et Promutuel, une telle conclusion est suffisante pour entraîner le rejet de la poursuite dirigée contre eux.

[132]     BGM est d’avis contraire.

[133]     En tant qu’agent d’assurance, Blais était tenu à un devoir de conseil. Il devait bien cerner les besoins de BGM et l’éclairer sur les couvertures requises pour la protection de ses biens.

[134]     Sur cette question, voici comment Blais s’exprime lors de son interrogatoire préalable :

       Ben, supposons, Allain, on va augmenter le montant d’assurance de cent mille (100 000 $), parce que j’ai eu des … des arrivages de bois et j’ai besoin de cent mille (100 000 $). »

Q.   O.K.

R.   Moi, je pouvais pas dire : « Monsieur Côté, c’est pas cent vingt-cinq (125 000 $) ou cent soixante-quinze (175 000 $)? »

       Je connaissais pas le bois.

       Donc, c’est lui qui connaît son … son … son - donc, c’est à lui de m’informer de ses besoins.

       Moi, je vérifiais si c’était ben ça, mais je pouvais aller plus loin.

Q.   Et vous le vérifiiez de quelle façon?

R.   En posant des questions.

Q.   O.K.

       Dites-moi ce que vous faisiez pour le vérifier.

R.   Ben, pour le vérifier, j’ai - il me demandait un montant d’assurance.

       Il deman … - pour couvrir les achats qu’il avait faits pis, moi, je me disais : bon.

       C’est … c’est … c’est sûr; c’est ça, là.

       C’était juste ça la vérification que je pouvais faire.

       Je voyais pas le bois.[72]

[135]     Cependant, un peu plus loin lors de cet interrogatoire, il admet que c’était son devoir « d’aller chercher les besoins du client concernant ses inventaires »[73].

[136]     Blais admet qu’il ne prenait pas l’initiative, en cours de police, de vérifier si la couverture pour les marchandises était toujours adéquate en raison de la fluctuation des inventaires. Si cette couverture était modifiée, c’était à l’initiative de GF[74].

[137]     Durant son témoignage à l’audience, Blais se défend en répétant, à de multiples reprises, que c’est Côté qui a fixé la limite de couverture de 75 000 $. Comment peut-il maintenant lui reprocher sa propre décision, s’interroge-t-il?

[138]     Le témoignage de Côté révèle que BGM a reçu, dans les 10 jours qui ont précédé l’incendie, des livraisons de bois beaucoup plus rapidement qu’elle ne l’avait envisagé. Ses inventaires ont grossi rapidement.

[139]     N’ayant pas été informé de cette augmentation soudaine des inventaires de BGM, Blais se demande encore une fois comment on peut lui faire grief ne pas avoir deviné que la limite de couverture de 75 000 $ était devenue insuffisante?

[140]     De l’avis du Tribunal, ce n’est pas sous cet angle que la problématique qui a mené à une indemnisation insuffisante de la perte de BGM doit être envisagée.

[141]     Le Tribunal se demande comment Côté et Blais ont pu croire qu’une limite d’assurance de 75 000 $ pour les marchandises était adéquate. Celle contenue dans la police de GF était de 325 000 $. Les opérations commerciales de GF étant transférées à BGM à compter du 1er janvier 2015, il apparaît évident qu’une limite d’assurance de 75 000 $ était inadéquate. D’ailleurs, il est en preuve que BGM est aujourd’hui assurée pour la perte de ses marchandises jusqu’à concurrence de 500 000 $.

[142]     Blais et Promutuel se défendent en soulignant que Côté leur avait dit que la migration d’inventaire de GF à BGM serait graduelle. Ainsi, Côté a pu penser, plaident-ils, que les inventaires de BGM ne dépasseraient jamais 75 000 $ jusqu’à temps du moins que les stocks de GF soient entièrement épuisés. Cette hypothèse est possible.

[143]     Une chose demeure certaine. Aucune discussion approfondie n’a lieu, à ce sujet, entre Blais et Côté le 29 janvier 2015.

[144]     Lors de l’exercice de définition des besoins d’assurance de BGM qui se tient à cette date, Blais ne s’informe pas de la fluctuation des niveaux d’inventaires au cours de l’année qui allait suivre[75]. Il aurait dû le faire. Après tout, il ne pouvait prendre pour acquis que cette limite de 75 000$ serait ajustée au gré des variations quotidiennes ou hebdomadaires des stocks. D’ailleurs, comment aurait-il pu penser que BGM aurait agi ainsi alors que GF ne le faisait pas?

[145]     Blais ne met pas en garde Côté contre l’imprudence de fixer une limite d’assurance à 75 000 $ pour BGM alors que celle de GF est à 325 000 $ à pareille date. Il ne lui demande pas, non plus, combien de mois il faudra à BGM pour se constituer un inventaire comparable à celui de GF. Il ne le renseigne pas sur la différence de prime entre une couverture de 325 000 $ et une de 75 000 $. On peut lire à la police de GF qui était alors en vigueur que la prime était de 3 610 $ plus taxes[76]. Celle payable aux termes de la Police couvrant BGM était de 1 995 $ plus taxes avec des équipements en moins à assurer. C’est donc dire que l’économie de prime pour une limite de 75 000 $ vs 325 000 $ n’était que d’environ 1 600 $. L’économie réalisée était bien petite comparativement aux risques pris d’autant plus que les inventaires de BGM étaient destinés à croître. Il ne pouvait en être autrement puisqu’elle prenait la relève des activités commerciales de GF.

[146]     La détermination de la limite d’assurance requise pour les marchandises s’est plutôt faite au terme d’un exercice superficiel de questions et réponses.

[147]     En se contentant d’accepter la réponse que Côté lui a donnée quant à la limite de couverture requise et en ne cherchant pas à comprendre les raisons pour lesquelles il a pu croire qu’une limite de 75 000 $ était suffisante, Blais ne s’est pas acquitté de son devoir de conseil correctement.

[148]     Il aurait dû mettre en garde Côté contre le risque que cette limite soit rapidement dépassée et de la quasi impossibilité de s’assurer qu’elle ne le serait jamais. Le rôle d’un conseiller d’assurance n’est pas simplement de relayer les instructions reçues d’un client au service de la souscription de son employeur.

[149]     Certes, le conseiller n’a pas l’obligation de forcer son client pour qu’il accepte une couverture supérieure à celle qu’il requiert. Cependant, il a le devoir de bien identifier ses besoins. Dans le domaine de l’assurance d’une entreprise telle que BGM, l’agent doit s’intéresser un minimum au fonctionnement de l’entreprise pour identifier de tels besoins.

[150]     Le Tribunal conclut également que bien conseillée, BGM aurait accepté de payer une prime majorée de 1 600 $ pour être couverte adéquatement.

[151]     Blais a donc engagé sa responsabilité. Avec son employeur Promutuel, il doit répondre de sa faute envers BGM.

[152]     Promutuel et Blais seront donc condamnés à payer à Blais la somme de 107 908,73 $.

3.            Remarques finales

[153]     Les intérêts et l’indemnité additionnelle sur une partie de 43 252 $ commenceront à courir à compter de la date du présent jugement. Ceux sur celle de 64 656,73 $ seront calculés à partir du 15 juillet 2016, date de la réception, par Promutuel et Blais, de la mise en demeure P-7.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[154]     CONDAMNE les défendeurs à payer solidairement, à la demanderesse, la somme 107 908,73 $ avec les intérêts au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, ceux-ci devant être calculés, sur une portion de 64 656,73 $, à compter du 15 juillet 2016, et sur l’autre de 43 252 $, à compter de la date du présent jugement;

[155]     AVEC FRAIS de justice.

 

 

 

ÉRIC HARDY, j.c.s.

 

 

Me Stéphane Audy

KSA Avocats, s.e.n.c.r.l.

Delta I

2875, boulevard Laurier, bureau 210

Québec (Québec) G1V 2M2

Pour la demanderesse

 

Me Félix-Antoine Pinard-Beaudoin

Me Frédérique Lessard

Stein Monast S.E.N.C.R.L.

70, rue Dalhousie, bureau 300

Québec (Québec) G1K 4B2

Pour les défendeurs

 

Dates d’audience :

Les 26, 27 et 28 novembre 2019

 



[1]     Pièce P-1.

[2]     Pièce P-5.

[3]     Pièce D-4.

[4]     Interrogatoire préalable d’A. Blais, p. 43 et 44.

[5]     Interrogatoire préalable de G. Côté, p. 53.

[6]     Pièce P-12.

[7]     Interrogatoire préalable de G. Côté, p. 51 et 52.

[8]     Id., p. 8.

[9]     Id., p. 7.

[10]    Id., p. 10.

[11]    Id., p. 19.

[12]    Id., p. 20.

[13]    Id., p. 11.

[14]    Id., p. 12.

[15]    Pièce P-1.

[16]    Interrogatoire préalable de G. Côté, p. 7.

[17]    Id., p. 37 et 38.

[18]    Art. 2803 du Code civil du Québec.

[19]    Pièce P-12.

[20]    Interrogatoire préalable de G. Côté, p. 12 et 13.

[21]    Par exemple, voir pièce D-9, p. 6, 7, 8, et 12.

[22]    Par exemple, voir pièce D-9, p. 11, 20 et 22.

[23]    Interrogatoire préalable de G. Côté, p. 73.

[24]    Pièce D-6.

[25]    Pièce P-14.

[26]    Pièce D-7.

[27]    Voir annexe B du rapport de l'expert Lemieux.

[28]    Jean-Claude ROYER et Catherine PICHÉ, La preuve civile, 5e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2016, par. 413, p. 300.

[29]    Interrogatoire préalable de G. Côté, p. 53.

[30]    Pièce P-4.

[31]    Interrogatoire préalable de G. Côté, p. 37, 38, 47, 48-50 et 53.

[32]    Pièce D-12, p. 5 de 5.

[33]    Pièce P-6.

[34]    Art. 8.

[35]    Art. 9.

[36]    Art. 13.

[37]    Art. 26.

[38]    RLRQ, c. D-9.2.

[39]    [1990] 3 R.C.S. 191.

[40]    2006 QCCS 5231.

[41]    Id, par. 33.

[42]    L'auteur est devenu depuis juge à la Cour du Québec.

[43]    Pièce P-11.

[44]    Interrogatoire préalable de G. Côté, p. 120.

[45]    Pièce P-10.

[46]    Interrogatoire préalable de G. Côté, p. 121.

[47]    Pièce P-11.

[48]    Lors de son interrogatoire préalable, Côté croyait plutôt que cet entretien avait eu lieu le 23 janvier 2015 (voir p. 123-125).

[49]    Interrogatoire préalable de G. Côté, p. 134.

[50]    Id., p. 136 et 137.

[51]    Pièce P-8.

[52]    Côté s'exprime sur ce sujet à l'audience ainsi qu’aux pages 126 et 127 de son interrogatoire préalable.

[53]    Interrogatoire préalable d’A. Blais, p. 63, 76 et 81.

[54]    Id., p. 97 et 98.

[55]    Id., p. 85 et 86.

[56]    Id., p. 85.

[57]    Id., p. 96 et 97.

[58]    Id., p. 91, 92 et 96.

[59]    Id., p. 78.

[60]    Id., p. 78.

[61]    Id., p. 108.

[62]    Id., p. 111-114.

[63]    Id., p. 117.

[64]    Pièce D-15.

[65]    Pièce P-9.

[66]    Interrogatoire préalable d’A. Blais, p. 120 et 121.

[67]    Id., p. 25.

[68]    Id., p. 12-14.

[69]    Id., p. 26-28.

[70]    Id., p. 30 et 31.

[71]    Pièce P-3.

[72]    Interrogatoire préalable d’A. Blais, p. 49-50.

[73]    Id., p. 104.

[74]    Id., p. 54-56.

[75]    Id., p. 116-117.

[76]    Pièce P-3.

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