Décision

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Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Tosques

2024 QCCDCPA 18

 

CONSEIL DE DISCIPLINE

ORDRE DES COMPTABLES PROFESSIONNELS AGRÉÉS DU QUÉBEC

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

No :

47-23-00437

 

DATE :

8 septembre 2024

______________________________________________________________________

 

LE CONSEIL :

Me MICHEL P. SYNNOTT

Président

M. ALAIN CHASSÉ, CPA auditeur

Membre

M. SIMON DERMARKAR, CPA auditeur

Membre

______________________________________________________________________

 

CLAUDE MAURER, CPA, en sa qualité de syndic adjoint de l'Ordre des comptables professionnels agréés du Québec

Plaignant

c.

ANTHONY DINO TOSQUES, CPA auditeur

Intimé

______________________________________________________________________

 

DÉCISION EN VERTU DE L’ARTICLE 149.1 DU CODE DES PROFESSIONS

______________________________________________________________________

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE CONSEIL DE DISCIPLINE PRONONCE UNE ORDONNANCE DE CONFIDENTIALITÉ POUR QUE LE NUMÉRO DE LA CARTE DE CRÉDIT APPARAISSANT À LA PIÈCE SP-1 SOIT CAVIARDÉ. IL PRONONCE AUSSI UNE ORDONNANCE INTERDISANT LA DIVULGATION, LA PUBLICATION ET LA DIFFUSION DE CETTE INFORMATION.

APERÇU

[1]               Le 15 novembre 2023, en vertu de l’article 149.1 du Code des professions[1], le plaignant, en sa qualité de syndic adjoint de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec (l’Ordre), saisit le Conseil, par voie de plainte, de deux décisions[2] rendues par un tribunal canadien déclarant, dans chacun des deux cas, l’intimé coupable d’une infraction criminelle.

[2]               Le 17 juillet 2024, séance tenante, les parties produisent de consentement et admettent en preuve les deux décisions.

[3]               Selon l’article 149.1 alinéa 3 du Code des professions, les copies de ces décisions judiciaires font ainsi preuve devant le Conseil de la perpétration de chacune des infractions et des faits qui y sont rapportés.

[4]               De plus, les parties admettent que ces deux décisions ont un lien avec l’exercice de la profession.

[5]               Les parties présentent alors une recommandation conjointe quant aux sanctions à imposer[3], à savoir : une radiation de deux mois sur chacun des chefs 1 et 2, radiations à purger de manière concurrente, et le paiement des déboursés.

[6]               Après analyse, le Conseil déclare que les deux condamnations de l’intimé ont un lien avec l’exercice de la profession de comptable professionnel agréé.

[7]               Le Conseil décide ensuite qu’il est à propos d’imposer à l’intimé des sanctions prévues à l’article 156 du Code des professions.

[8]               Le Conseil impose alors à l’intimé une radiation de deux mois sur chacun des chefs 1 et 2, à être purgée de manière concurrente, comme plus amplement énoncé au dispositif de la présente décision. Ce faisant, le Conseil entérine la recommandation commune des parties, jugeant qu’elle n’est pas contraire à l’intérêt public ni susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

PLAINTE

[9]               La plainte disciplinaire est libellée ainsi :

  1. À Laval, entre le ou vers le 10 avril 2019, l’intimé, Anthony Dino Tosques, CPA auditeur a fait l’objet d’une décision d’un tribunal canadien dans le dossier 540-01-079351-170 le déclarant coupable d’une infraction criminelle, laquelle a un lien avec l’exercice de la profession, soit,

          D’avoir conduit un véhicule moteur pendant qu’il lui était interdit de le faire, contrairement à l’article 259 (4) b) du Code criminel (C.cr.),

se rendant ainsi passible des sanctions prévues à l’article 156 du Code des professions, comme prévu à l’article 149.1 du Code des professions, RLRQ,  chapitre C-26.

  1. À Laval, entre le ou vers le 21 mai 2021, l’intimé, Anthony Dino Tosques, CPA auditeur a fait l’objet d’une décision d’un tribunal canadien dans le dossier CRI-2020-0016 le déclarant coupable d’une infraction criminelle, laquelle a un lien avec l’exercice de la profession, soit,

          D’avoir conduit un véhicule moteur pendant qu’il lui était interdit de le faire, contrairement à l’article 320.18(1) et 320.19 (5) du Code criminel (C.cr.),

se rendant ainsi passible des sanctions prévues à l’article 156 du Code des professions, comme prévu à l’article 149.1 du Code des professions, RLRQ,  chapitre C-26.

[Transcription textuelle]

[10]           La disposition de rattachement énoncée aux deux chefs de la plainte stipule :

Code des professions[4]

149.1 Un syndic peut saisir le conseil de discipline, par voie de plainte :

1 de toute décision d’un tribunal canadien déclarant un professionnel coupable d’une infraction criminelle;

[…]

La décision visée au premier alinéa doit, de l’avis du syndic, avoir un lien avec l’exercice de la profession.

Une copie dûment certifiée de la décision judiciaire fait preuve devant le conseil de discipline de la perpétration de l’infraction et, le cas échéant, des faits qui y sont rapportés. Le conseil de discipline prononce alors contre le professionnel, s’il le juge à propos, une ou plusieurs des sanctions prévues à l’article 156.

ADMISSIONS DES PARTIES

[11]           L’intimé est inscrit au tableau de l’Ordre depuis le 17 juillet 2018 jusqu’à ce jour[5].

[12]           Le Conseil reproduit un extrait des admissions judiciaires faites par écrit par les parties[6] :

[…]

3. Le 10 avril 2019, dans le dossier No 540-01-079351-170, l'intimé a été condamné pour avoir conduit un véhicule moteur, pendant qu'il était interdit de le faire, contrevenant ainsi à l'ordonnance d'interdiction de conduire rendue dans le dossier 500-01-084185-138, infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité prévue à l'article 259 (4)b) du Code criminel (pièces SP-2.1 à 2.4);

4. Le même jour, dans ce dossier, la peine suivante lui a été imposée:

 Ordonnance d'interdiction de conduire pendant une période d'un an;

 Amende de 1000$ et;

 Confiscation de son permis de conduire.

5. Dans le cadre de l'entente, l'intimé reconnaît avoir signé l'ordonnance d'interdiction de conduire le 10 avril 2019 et qu'il en connaissait l'existence et la durée (pièce SP-2.3);

6. Le 21 mai 2021, dans le dossier No CRl-2020-0016, l'intimé a été condamné pour avoir conduit un véhicule à moteur pendant qu'il lui était interdit de le faire, contrevenant ainsi à l'ordonnance d'interdiction de conduire rendue dans le dossier No 540-01-079351-170, contrairement à l'article 320.18 (1) du Code criminel (pièces SP-3.1 à P-3.4);

7. Suite à cette condamnation, la peine suivante a été imposée à l'intimé:

 Peine d'emprisonnement de 30 jours discontinue du samedi au dimanche, assortie d'une probation d'un an

 Interdiction de conduire pendant 3 ans

 Confiscation du permis de conduire

8. L'intimé a purgé 1/6 de la peine d'emprisonnement à la maison, et ce, conformément au programme de libération conditionnelle;

9. L'intimé a collaboré à l'enquête du plaignant;

10. L'intimé n'a aucun antécédent disciplinaire.

[…]

[Transcription textuelle]

RECOMMANDATION COMMUNE SUR SANCTIONS

[13]           Les parties présentent au Conseil une recommandation commune quant aux sanctions à imposer[7], à savoir :

Chef 1 :  une période de radiation de deux mois;

Chef 2 :  une période de radiation de deux mois.

[14]           Quant aux modalités des sanctions, elles recommandent que les périodes de radiation pour les chefs 1 et 2 soient purgées de manière concurrente et que l’intimé assume le paiement des déboursés.

QUESTIONS EN LITIGE

[15]           Le Conseil doit répondre aux quatre questions suivantes découlant du libellé de l’article 149.1 du Code des professions :

A)       Un tribunal canadien a-t-il rendu une décision déclarant l’intimé coupable d’une infraction criminelle?

B)       Dans l’affirmative, cette décision a-t-elle un lien avec l’exercice de la profession de comptable professionnel agréé?

C)       Dans l’affirmative, est-il à propos que le Conseil prononce contre l’intimé une ou plusieurs des sanctions prévues à l’article 156 du Code des professions?

D)       Dans l’affirmative, le Conseil doit-il entériner la recommandation commune des parties sur les sanctions à imposer?

ANALYSE

[16]           Pour répondre à ces questions, le Conseil doit d’abord se référer aux principes de droit applicables, puis examiner l’application du droit aux faits prouvés en l’espèce.

1. Les principes de droit applicables

[17]           En 2001, dans l’arrêt Salomon[8], la Cour d’appel du Québec rappelle que la mission première du Conseil est d’assurer la protection du public. Cet extrait du paragraphe 75 de cet arrêt est évocateur :

[75] De fait, la mission première des ordres professionnels – et singulièrement celle de leur comité de discipline – est d'assurer la protection du public. […] Par ailleurs, je ne suis pas certain, […], qu'on puisse tracer une cloison étanche entre la protection du public et la perception du public. La dernière n'est-elle pas une composante de la première? Le public n'est-il pas en droit de croire que les ordres professionnels prennent toutes les mesures pour éviter que certains de leurs membres, dont l'honnêteté a été mise en doute, ne puissent offrir leurs services au public?

[Soulignements ajoutés]

[18]           Par cet extrait, la Cour d’appel soumet qu’il n’y aurait probablement pas de cloison étanche entre la notion de « protection du public » et de « perception du public », puisque la seconde serait une composante de la première. En d’autres mots, la notion de « protection du public » doit être analysée en ayant à l’esprit le point de vue du public. Le public doit demeurer au cœur de nos préoccupations.

[19]           En 2007, la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Lévis (Ville)[9] et la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Sûreté du Québec[10] font toutes deux référence à la notion de « lien avec l’exercice de la profession » dans un contexte policier.

[20]           Dans un article[11] paru en 2008 sur le sujet, un auteur présente l’évolution jurisprudentielle de cette notion et l’impact de ces deux arrêts en matière policière. Il écrit alors :

[240] L’examen de la décision de la Cour d’appel, tout comme celle de la Cour suprême, nous permet de mettre en lumière les caractéristiques que doit prendre en considération un organisme lorsqu’il veut contrôler les gestes criminels commis par un de ses membres après sa condamnation par les tribunaux.

[241]  On les résume de la façon suivante :

 Il s’agit d’une activité où la confiance du public est importante ;

 La crédibilité du système judiciaire est en jeu ;

 La participation des acteurs impliqués dans le système judiciaire ;

 L’intégrité nécessaire des personnes impliquées.

[Transcription textuelle; références omises, soulignements ajoutés]

[21]           Puis, il concluait ainsi son analyse portant alors sur la profession d’avocat :

[297]  Nous sommes d’avis que la décision rendue en 2007 par la Cour suprême dans l’affaire Lévis et celle rendue par la Cour d’appel dans l’affaire Sûreté du Québec, maintenant devenue finale, apportent un éclairage nouveau sur l’interprétation de la notion de « lien avec l’exercice de la profession » et particulièrement dans les situations qui visent les avocats.

[298]  Nous sommes d’avis qu’à la lumière de ces deux décisions, toute infraction criminelle pour laquelle il y a eu condamnation d’un avocat a un lien avec l’exercice de la profession d’avocat […]

[Transcription textuelle; références omises; soulignements ajoutés]

[22]           Réitérant le principe directeur en 2018, le Tribunal des professions reprend l’analyse et élabore davantage sur le sujet dans l’affaire Thivierge[12].

[23]           Le Tribunal des professions s’exprime ainsi :

[96] Dans cette optique, il est utile de rappeler la teneur de l’article 23 C. prof. :

23. Chaque ordre a pour principale fonction d’assurer la protection du public.

 À cette fin, il doit notamment contrôler l’exercice de la profession par ses membres.

[97] L'article 149.1 C. prof. confie aux ordres professionnels le rôle de contrôler les effets déontologiques des comportements criminels de leurs membres pour leur permettre de s’acquitter de leur mission de protection du public.

[98] La détermination du lien entre les infractions criminelles pour lesquelles un professionnel a été reconnu coupable passe inévitablement par l'évaluation de la protection du public. D’ailleurs, ce concept est intrinsèquement lié à la perception du public, tel que le soulignait la Cour d’appel dans l’affaire Salomon c. Comeau.

[99] Non seulement le comportement d’un avocat en exercice doit-il refléter le respect des lois et du système juridique, mais aussi, au premier plan, le respect des droits fondamentaux de la personne. Or, la perception du public à cet égard est fondamentale.

[Transcription textuelle; références omises; soulignements ajoutés]

[24]           Puis, toujours en 2018, le Tribunal des professions précise, dans l’affaire Nareau[13], les étapes à suivre et le raisonnement qui s’impose à chacune de ces étapes.

[25]           Le Tribunal profite de cette occasion pour être encore plus explicite sur le processus intellectuel sous-jacent.

[26]           En voici, selon les différentes étapes à franchir, des extraits utiles.

[27]           Dans un premier temps, une fois saisi de la plainte, le Conseil doit lui-même statuer sur l’existence ou non d’un lien avec la profession[14] :

[24]  […] l'article 149.1 C. prof. autorise le syndic à « saisir le conseil de discipline, par voie de plainte » de toute décision d'un tribunal canadien ayant déclaré un membre coupable d'une infraction criminelle lorsque « de l'avis du syndic » il y a un lien avec l'exercice de la profession.

[25]  Une fois saisi de la plainte, le conseil de discipline doit, à son tour, statuer sur l'existence ou non d'un lien avec l'exercice de la profession.

[Transcription textuelle; références omises; soulignements ajoutés]

[28]           Dans un second temps, le Conseil doit procéder à l’analyse décrite dans l’affaire Thivierge pour déterminer s’il existe ou non un lien entre la commission de l’infraction et l’exercice de la profession. Cette analyse est reprise la même année par le Tribunal des professions dans l’affaire Nareau. En voici un extrait évocateur :

[29]  […] le Tribunal des professions […] conclut que la démarche visant à établir l'existence ou non d'un lien avec l'exercice de la profession se déroule en deux étapes qu'il décrit ainsi :

[79]  On retient aussi de cette jurisprudence que la première étape visant à déterminer l’existence d’un lien entre la commission d’infractions criminelles et l’exercice d’une profession consiste à examiner la nature des infractions dont le professionnel a été reconnu coupable, leur gravité de même que les circonstances entourant leur commission et ce, en relation avec les qualités essentielles à l’exercice de cette profession. Si le Conseil conclut à l’absence de lien, l’exercice s’arrête à cette première étape.

[80]  Si le Conseil conclut à l’existence d’un lien entre la commission des infractions criminelles et l’exercice de la profession visée, il y a alors lieu d’aborder la seconde étape de l’exercice prévu aux articles 55.1 et 149.1 C. prof. À cette deuxième étape, le décideur prend en compte la pratique spécifique du professionnel visé afin de décider s’il est opportun d’imposer des sanctions et, le cas échéant, lesquelles.

[Transcription textuelle; références omises; soulignements ajoutés]

[29]           Il est important de noter ici que le Tribunal des professions fait alors ressortir une distinction fondamentale entre deux concepts distincts : « l’exercice de la profession » et « l’activité professionnelle ».

[30]           Il écrit à cet égard :

[32]  Il en ressort une distinction fondamentale entre les deux concepts que sont l'exercice de la profession et l'activité professionnelle. L'exercice de la profession n'est pas restreint à la pratique de la profession. Une lecture attentive des dispositions législatives mentionnées plus haut montre bien que la loi différencie la notion d'exercice de la profession, d'une part, et les mesures accessoires qui y sont associées, d'autre part, telles, par exemple, l'inscription au tableau de l'ordre, la limitation ou la suspension du droit d'exercer des activités professionnelles, la radiation provisoire, la limitation ou la suspension provisoire des activités professionnelles.

[33]  Qu'en est-il en l'espèce?

[34]  Le Conseil avait devant lui un membre de l'Ordre reconnaissant d'emblée l'existence d'un lien entre les infractions criminelles qu'il avait commises et l'exercice de sa profession. Certes, il n'était pas lié par cette prise de position, erronément qualifiée de plaidoyer de culpabilité. Il lui appartenait de tirer ses propres conclusions.

[35]  Le plaignant, syndic adjoint de l'Ordre, était d'avis, aux termes de l'article 149.1 C. prof., qu'il existait un lien. C'est là l'élément déclencheur du dépôt de la plainte. La loi ne précise pas le rôle du Conseil au regard de cet « avis », mais la jurisprudence est unanime à considérer qu'il lui incombe de prendre sa propre décision.

[36]  S'il n'est pas lié par l'avis du syndic, il demeure que l'importance cruciale du rôle de celui-ci au plan institutionnel, de même que la responsabilité qui lui est spécifiquement conférée par l'article 149.1 C. prof., devrait amener un conseil de discipline à y apporter une attention respectueuse.

[37]  S'il est vrai, comme le souligne le Conseil, que l'exercice se termine lorsqu'il conclut à l'absence de lien, il est aussi vrai qu'il se termine également lorsque le syndic est d'avis qu'il n'y a pas de lien. Comme l'exprime la Cour suprême dans Pharmascience, ces deux instances jouent des rôles différents mais complémentaires.

Première étape : l'établissement du lien

[38]  À cette étape, il faut considérer la nature des infractions dont le professionnel a été reconnu coupable, leur gravité, de même que les circonstances entourant leur commission. C'est à partir d'un tableau complet de la situation que le Conseil doit se prononcer sur l'existence ou non d'un lien avec l'exercice de la profession vu dans l'optique des qualités fondamentales requises pour l'exercer. Ceci réfère à la raison d'être de la profession concernée.

[Transcription textuelle; références omises; soulignements ajoutés]

[31]           L’exercice d’une profession est une notion qui doit être analysée dans un contexte de protection du public. En ce sens, le Tribunal des professions nous invite à adopter une vision plus large et, en ce sens, à tenir compte des qualités fondamentales requises pour exercer la profession.

[32]           Le Tribunal analyse alors les qualités fondamentales d’un membre de l’Ordre des comptables professionnels agréés.

[33]           En voici un extrait significatif à cet égard :

[44]  […] l’une des fonctions importantes de la profession de comptable est d’attester la conformité ou certifier des informations financières, des politiques, procédures, processus et contrôles liés à la gouvernance, à la stratégie et à la gestion des risques. Force est de conclure que l’honnêteté, l’intégrité, la sincérité et la probité sont des qualités essentielles pour exercer la profession de comptable.

[…]

[49]  Le Conseil devait pousser plus loin son analyse. […] Outre la teneur des infractions, il lui fallait aussi examiner leur gravité, de même que les circonstances entourant leur commission, et ce, en lien avec les fondements de la profession.

[…]

[53]  Cette attitude heurte de plein fouet les qualités fondamentales d'honnêteté, d'intégrité, de sincérité et de probité attendues de l'exercice de la profession de comptable professionnel agréé. L'objectif de protection du public exige que le Conseil intervienne face à de tels comportements de la part d'un membre de la profession. […]

[…]

[56]  Dans ce contexte, l'exercice de la profession se veut un gage de confiance qui s'adresse autant à la clientèle qu'aux personnes à qui sont destinés les opinions, les niveaux d'assurance, les attestations, les certifications et vérifications professionnelles.

[57]  Le public est en droit de s'attendre à de hauts standards d'intégrité et de probité quand il traite avec des professionnels de la comptabilité pour la protection de ses intérêts patrimoniaux et la conduite légitime de ses affaires.

[58]  Le Tribunal conclut que les infractions criminelles pour lesquelles l'intimé a été reconnu coupable sont en lien avec l'exercice de sa profession. Il y a donc lieu de s'interroger sur la pertinence d'imposer une sanction disciplinaire.

[Transcription textuelle; références omises; soulignements ajoutés]

[34]           En résumé, le public est en droit de s’attendre à de hauts standards d’intégrité et de probité de la part d’un professionnel de la comptabilité et, en ce sens, l’honnêteté, l’intégrité, la sincérité et la probité sont des qualités essentielles pour exercer la profession de comptable professionnel agréé.

[35]           C’est donc à la lumière de ces enseignements que le Conseil doit procéder à son analyse pour déterminer s’il existe un lien entre les infractions pour lesquelles l’intimé a été reconnu coupable et l’exercice de la profession de comptable professionnel agréé.

[36]           Si tel est le cas, le Conseil décide ensuite s’il est à propos d’imposer une sanction compte tenu de la pratique spécifique du professionnel concerné.

[37]           En résumé, voici essentiellement ce qu’il faut retenir en l’espèce des enseignements tirés de la jurisprudence pour la mise en œuvre des dispositions prévues à l’article 149.1 du Code des professions :

1. Une décision d’un tribunal canadien doit déclarer le professionnel coupable d’une infraction criminelle.

2. Une copie certifiée de la décision judiciaire fait preuve devant le Conseil de la perpétration de l’infraction et des faits qui y sont rapportés. Nul besoin de refaire la preuve des actes déjà établis devant le tribunal judiciaire, ce qui permet de raccourcir le délai de traitement du dossier[15].

3. Si le syndic est d’avis que cette décision a un lien avec l’exercice de la profession, il peut alors saisir le Conseil par voie de plainte.

4. Le Conseil n’est pas lié par l’avis du syndic. En effet, il lui incombe de prendre sa propre décision. Toutefois, vu l’importance cruciale du rôle du syndic sur le plan institutionnel et de la responsabilité qui lui est conféré par l’article 149.1 du Code des professions, le Conseil devrait apporter une attention respectueuse à l’avis du syndic.

5. Pour déterminer si la décision judiciaire a un « lien avec l’exercice de la profession », le conseil de discipline doit appliquer un test « in abstracto », c’est-à-dire qu’il doit se référer à la raison d’être de la profession concernée. Le conseil doit ainsi considérer la nature des infractions, leur gravité, de même que les circonstances entourant leur commission, et ce, en lien avec les fondements de la profession.

6. Pour ce faire, le Conseil doit, dans la présente affaire, identifier les valeurs fondamentales de la profession de comptable professionnel agréé. En l’espèce, l’honnêteté, l’intégrité, la sincérité et la probité sont des qualités essentielles pour exercer la profession de comptable professionnel agréé puisque le public est en droit de s'attendre à de hauts standards d'intégrité et de probité quand il traite avec des professionnels de la comptabilité pour la protection de ses intérêts patrimoniaux et la conduite légitime de ses affaires.

7. Le Conseil se questionne ensuite quant à savoir si l’attitude du professionnel heurte de plein fouet ces qualités fondamentales d'honnêteté, d'intégrité, de sincérité et de probité attendues de l'exercice de la profession de comptable professionnel agréé.

8. Si tel n’est pas le cas, le processus s’arrête là.

9. Mais, si tel est le cas, le Conseil conclut alors que la décision judiciaire a un « lien avec l’exercice de la profession ».

10. Le Conseil doit alors décider s’il juge « à propos » de prononcer une ou plusieurs des sanctions prévues à l’article 156 du Code des professions. Pour ce faire, le Conseil applique un test « in concreto », c’est-à-dire qu’il doit se référer à la « pratique de la profession » par la personne concernée, à son exercice de la profession.

11. Le cas échéant, le Conseil prononce une ou plusieurs des sanctions. Il ne s’agit pas de punir à nouveau le professionnel[16]. L’exercice de la discrétion du Conseil doit se faire dans le cadre disciplinaire, c’est-à-dire que l’intervention du Conseil s’exerce dans le but d’assurer la protection du public.

[38]           Le Conseil applique maintenant ces notions de droits aux faits propres à la présente affaire.

2. Application du droit aux faits

[39]           Le Conseil doit répondre aux quatre questions en litige.

A) Un tribunal canadien a-t-il rendu une décision déclarant l’intimé coupable d’une infraction criminelle?

[40]           Comme mentionné ci-haut[17], les pièces sont produites de consentement et les parties ont produit des admissions. L’intimé admet les deux décisions[18] le déclarant chaque fois coupable d’une infraction criminelle.

[41]           Le Conseil répond donc à cette première question par l’affirmative.

B) Dans l’affirmative, cette décision a-t-elle un lien avec l’exercice de la profession de comptable professionnel agréé?

[42]           Pour répondre à cette question, le Conseil réfère aux enseignements des tribunaux supérieurs[19] qui ont déjà établi que l’honnêteté, l’intégrité, la sincérité et la probité sont des qualités essentielles pour exercer la profession de comptable professionnel agréé puisque le public est en droit de s'attendre à de hauts standards d'intégrité et de probité quand il traite avec des professionnels de la comptabilité pour la protection de ses intérêts patrimoniaux et la conduite légitime de ses affaires[20].

[43]           Ces notions furent reprises en 2023 dans l’affaire Poulin. À cette occasion, le conseil de discipline ajoute également[21] :

[35]  D’autre part, les gestes en cause doivent être examinés à la lumière des qualités fondamentales requises pour l’exercice de la profession de comptable professionnel agréé.

[36]  À ce sujet, le fait de pouvoir exercer une profession implique, en contrepartie de la part du professionnel, le respect d’un ensemble d’obligations déontologiques. Rappelons que le Code de déontologie des comptables professionnels agréés prévoit que ceux-ci doivent, en tout temps, agir avec dignité et éviter toute attitude susceptible de nuire à la bonne réputation de la profession.

[Transcription textuelle; références omises; soulignements ajoutés]

[44]           Or, en l’espèce, l’intimé a été condamné à deux reprises, en 2019 puis en 2021, pour avoir conduit un véhicule à moteur alors qu’il lui était interdit de la faire. À la suite de ces condamnations, il s’est vu imposer une amende de 1 000 $, puis une peine d’emprisonnement de 30 jours discontinue.

[45]           L’intimé admet le lien avec la profession, mais le Conseil doit aussi se positionner à cet égard. Or, le Conseil note non seulement la gravité objective des infractions, mais il note au surplus qu’il y a eu récidive.

[46]           L’attitude du professionnel heurte de plein fouet les qualités fondamentales d'honnêteté, d'intégrité, de sincérité et de probité attendues par l'exercice de la profession de comptable professionnel agréé.

[47]           Le Conseil conclut donc que les deux décisions ont un lien avec l’exercice de la profession de comptable professionnel agréé et répond ainsi à la question par l’affirmative.

C) Dans l’affirmative, est-il à propos que le Conseil prononce contre l’intimé une ou plusieurs des sanctions prévues à l’article 156 du Code des professions?

[48]           Comme mentionné en 2020 par le Tribunal des professions dans l’affaire Larouche[22], l’objectif n’est pas de punir à nouveau l’intimé. L’exercice de cette discrétion du Conseil se fait dans le cadre de son rôle de protection du public.

[49]           Les parties admettent qu’il y a lieu d’imposer une sanction et présentent même une recommandation commune en ce sens.

[50]           Cela dit, à la lumière de tout ce qui précède, le Conseil conclut que la gravité des infractions commande en l’espèce d’imposer des sanctions. Le Conseil répond donc à la question par l’affirmative.

D) Dans l’affirmative, le Conseil doit-il entériner la recommandation commune des parties sur les sanctions à imposer?

[51]           Les parties font une recommandation commune, à savoir d’imposer sur chacun des deux chefs une période de radiation de deux mois à être purgée de manière concurrente[23].

[52]           Se pose alors la question : le Conseil doit-il entériner la recommandation conjointe des parties?

[53]           Pour répondre à cette question, le Conseil doit d’abord se référer aux principes de droit applicables en la matière, puis examiner l’application du droit aux faits propres à la présente affaire.

1. Les principes de droit applicables à la recommandation

[54]           En droit disciplinaire, la sanction ne vise pas à punir le professionnel. Elle doit permettre d’atteindre les objectifs suivants : la protection du public, la dissuasion du professionnel de récidiver, l’exemplarité à l’égard des autres membres de la profession et le droit du professionnel visé d’exercer sa profession[24].

[55]           La sanction est imposée après avoir pris en compte tous les facteurs, objectifs et subjectifs, propres au dossier.

[56]           Cela dit, lorsque les parties présentent une recommandation conjointe sur sanction, le Conseil n’a pas à décider de la sévérité ou de la clémence de la sanction proposée.

[57]           En de telles circonstances, le Conseil ne peut écarter la recommandation conjointe des parties que si l’on « [] dénote une recommandation à ce point dissociée des circonstances de l’infraction et de la situation du contrevenant que son acceptation amènerait les personnes renseignées et raisonnables, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris l’importance de favoriser la certitude dans les discussions en vue d’un règlement, à croire que le système de justice avait cessé de bien fonctionner. Il s’agit indéniablement d’un seuil élevé [] »[25].

[58]           Ainsi, la recommandation conjointe des parties doit être retenue, à moins que le Conseil n’ait la ferme conviction que les sanctions proposées sont susceptibles de déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elles sont contraires à l’intérêt public[26].

2. Application du droit aux faits sur sanctions

[59]           Le Conseil constate que les parties ont pris en considération tous les faits propres à la présente affaire, dont la pratique professionnelle de l’intimé. Ce dernier pratique en entreprise et ne fait pas d’activités réservées.

[60]           Le Conseil entérine donc la recommandation commune des parties sur les sanctions et impose à l’intimé une radiation de deux mois sur chacun des chefs 1 et 2, comme plus amplement énoncé au dispositif de la présente décision.

[61]           Il est à noter que, considérant l’ensemble des circonstances propres à la présente affaire, les parties ont sciemment prévu de ne pas exiger la publication d’un avis de cette décision dans un journal[27].

[62]           Compte tenu de la preuve et du droit applicable en l’espèce, le Conseil conclut que la recommandation conjointe des parties n’est pas contraire à l’intérêt public ni susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

EN CONSÉQUENCE, LE CONSEIL, UNANIMEMENT :

[63]           CONSTATE qu’un tribunal canadien a déclaré l’intimé coupable de deux infractions criminelles, comme décrit aux chefs 1 et 2 de la plainte.

[64]       DÉCLARE que les décisions énoncées aux chefs 1 et 2 de la plainte ont un lien avec l’exercice de la profession de comptable professionnel agréé.

[65]           DÉCIDE qu’il est à propos d’imposer à l’intimé, tant sous le chef 1 que sous le chef 2, l’une des sanctions prévues à l’article 156 du Code des professions.

[66]           IMPOSE à l’intimé, sous le chef 1, une période de radiation de deux mois.

[67]           IMPOSE à l’intimé, sous le chef 2, une période de radiation de deux mois.

[68]           ORDONNE que les périodes de radiation temporaire imposées, sous les chefs 1 et 2, soient purgées de manière concurrente entre elles.

[69]           CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés conformément à l’article 151 du Code des professions.

 

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Me MICHEL P. SYNNOTT

Président

 

 

 

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M. ALAIN CHASSÉ, CPA auditeur

Membre

 

 

 

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M. SIMON DERMARKAR, CPA auditeur

Membre

 

Me Laura Geyer et

Me Sophie Gratton

Avocates du plaignant

 

Me Jocelyn Dubé

Avocat de l’intimé

 

Date d’audience :

17 juillet 2024

 


[1]  RLRQ, c. C-26.

[2]  Pièce P-2 : « Admissions faites par les parties », document signé par les parties le 15 juillet 2024, paragr. 3 et 6; Pièce SP-2 en liasse : dossier de la Cour du Québec 540-01-079351-170; Pièce SP-3 en liasse : Dossier de la Cour municipale de Laval CRI-2020-0016.

[3]  Pièce P-3 : « Recommandation commune des parties quant à la sanction », document signé par les parties le 15 juillet 2024.

[4]  RLRQ, c. C-26.

[5]  Pièce P-1 : « Attestation du droit de pratique »; et Pièce P-2 : « Admissions faites par les parties » signé par les parties le 15 juillet 2024, paragr. 1.

[6]  Pièce P-2, supra, note 5, paragr. 2 à 10.

[7]  Pièce P-3, supra, note 3.

[8]  Salomon c. Comeau, ès qualité, et al., 2001 CanLII 20328 (QCCA), paragr. 75.

[9]  Lévis (Ville) c. Fraternité des policiers de Lévis, REJB 2007, 116734, rendue le 22 mars 2007.

[10]  Association des policiers provinciaux du Québec c. Sûreté du Québec, [2007] R.J.Q. 1773.

[11]  F. Gervais, « Le lien avec l’exercice de la profession : une notion fluide », dans Service de formation continue, Barreau du Québec, vol. 290, Développements récents en déontologie, droit professionnel et disciplinaire, Montréal, Yvon Blais, 2008, p. 1. L’auteur y fait une analyse de l’évolution jurisprudentielle et commente l’impact de ces deux arrêts. Voir également : Claude G. Leduc, « La procédure disciplinaire du Barreau du Québec », dans École du Barreau du Québec, Collection de droit 2023, vol. 1, Éthique, déontologie et pratique professionnelle, p. 497 pages, p. 272. Érick Vanchestein et al., Code des professions annoté, 4e édition, Montréal, Yvon Blais, 2020, 922 pages, p. 520 à 524.

[12]  Thivierge c. Avocats (Ordre professionnel des), 2018 QCTP 22, décision rendue le 15 mars 2018, paragr. 96 à 99. Pourvoi en contrôle judiciaire rejeté, 2019 QCCS 3809. Appel rejeté, QCCA 678.

[13]  Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Nareau, 2018 QCTP 60.

[14]  Id., paragr. 24 et 25.

[15]  Landry c. Avocats (Ordre professionnel des), 2011 QCTP 208, paragr. 133 à 138.

[16]  Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Larouche, 2020, QCCDCPA 26 paragr. 31 à 33.

[17]  Voir ci-haut aux paragraphes 2 à 13.

[18]  Voir les chefs 1 et 2 de la plainte. Voir également les pièces P-2, SP-2 et SP-3.

[19]  Salomon c. Comeau, ès qualité, et al., supra, note 8; Lévis (Ville) c. Fraternité des policiers de Lévis, supra, note 9; Association des policiers provinciaux du Québec c. Sûreté du Québec, supra, note 10; F. Gervais, « Le lien avec l’exercice de la profession : une notion fluide », supra, note 11; Thivierge c. Avocats (Ordre professionnel des), supra, note 12; Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Nareau, supra, note 13.

[20]  Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Nareau, supra, note 13, paragr. 44 et 57.

[21]  Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Poulin, 2023 QCCDCPA 28, paragr. 36. Référence au Code de déontologie des comptables professionnels agréés, RLRQ, c. C-48.1, r. 6, art. 5.

[22]  Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Larouche, supra, note 16, paragr. 31 à 33.

[23]  Pièce P-3 : « Recommandation commune des parties quant à la sanction », supra, note 3.

[24]  Pigeon c. Daigneault, 2003 CanLII 32934 (QCCA), paragr. 37 à 39.

[25]  R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43, paragr. 34. Réitéré dans: R. c. Nahanee, 2022 CSC 37, paragr. 25 à 27. Voir également : Langlois c. Dentistes (Ordre professionnel des), 2012 QCTP 52, paragr. 47 à 49. Conea c. Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des), 2022 QCTP 56.

[26]  Reyes c. R., 2022 QCCA 1689, paragr. 58; Létourneau c. R., 2023 QCCA 592; Plourde c. R., 2023 QCCA 361; R. c. Binet, 2019 QCCA 669; Baptiste c. R., 2021 QCCA 1064; Obodzinski c. R., 2021 QCCA 1395; Chan c. Médecins (Ordre professionnel des), 2014 QCTP 5; Duval c. comptables professionnels agréés (Ordre des), 2022 QCTP 36; Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Emrich, 2022 QCTP 55.

[27]  Langlois c. Dentistes (Ordre professionnel des), 2012 QCTP 52, paragr. 42 à 56 : dans leur recommandation conjointe sur sanction, les parties peuvent faire part des modalités qu’elles proposent.

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