Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Fortier |
2016 QCCQ 12046 |
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COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
SAINT-FRANÇOIS |
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LOCALITÉ DE |
SHERBROOKE |
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« Chambre Criminelle et pénale » |
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N° : |
450-01-089238-146 450-01-089307-149 450-01-089332-147 450-01-090392-155 450-01-092302-152 450-01-092319-156 450-01-096340-166 |
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DATE : |
31 octobre 2016 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
ÉRICK VANCHESTEIN, j.c.q. |
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DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES |
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Poursuivant |
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c. |
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SIMON FORTIER |
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Accusé |
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et |
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PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC |
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Intervenante |
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JUGEMENT SUR LA PEINE ET SUR LA CONSTITUTIONNALITÉ DE L’ALINÉA 737(1) DU CODE CRIMINEL (Articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés) |
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Ce jugement fait l'objet d'une ordonnance rendue aux termes de l'article 486.4(1) du Code criminel interdisant de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit l'identité des victimes ou des renseignements qui permettraient de les identifier.
INTRODUCTION
[1] L’accusé a plaidé coupable à 113 chefs d’infraction de nature sexuelle à l’égard d’enfants de moins de 16 ans qui se déclinent ainsi :
- 64 chefs de leurre d’enfant (article 172.1 C.cr.);
- 22 chefs d’incitation à des attouchements sexuels (articles 152 et 160(3) C.cr.);
- 16 chefs d’extorsion (article 346(1)b) C.cr.);
- 9 chefs en matière de pornographie juvénile (possession (article 163.1(4)a) C.cr.) ; production (article 163.1(2)a) C.cr.) et distribution (article 163.1(3)a) C.cr.);
- 2 chefs relatifs au vol d’identité et à la fraude d’identité (articles 402.2 et 403(1) C.cr.).
[2] À la suite de dénonciations par des parents des victimes, l’enquête entreprise a conduit à la perquisition du domicile de l’accusé et à la saisie de son ordinateur le 30 octobre 2014.
[3] L’accusé est arrêté le jour même. Il est demeuré détenu depuis, puisqu’il a renoncé à la tenue de son enquête sur mise en liberté provisoire.
[4] Dès le 12 novembre 2014, l’accusé plaide coupable dans trois premiers dossiers[1]. Les représentations sur la peine sont reportées pour permettre la confection de rapports présentenciel et sexologique.
[5] Dans l’intervalle, l’analyse du contenu de l’ordinateur de l’accusé révèle un nombre important de victimes, entraînant le dépôt d’accusations supplémentaires à quelques reprises, dont les dernières le 30 mars 2016, jour prévu pour l’audience des représentations sur la peine.
[6] L’accusé présente également une requête pour faire déclarer inconstitutionnelle et inopérante l’article 737(1) du Code criminel prévoyant la suramende compensatoire. Alternativement, suivant les enseignements récents de la Cour d’appel du Québec à ce sujet[2], il demande de considérer la suramende de 19 800 $ dans la globalité de la peine.
[7] La première partie de ce jugement sera consacrée à la détermination de la peine et la deuxième à la question de la suramende pour conclure avec la peine globale.
DÉTERMINATION DE LA PEINE
Circonstances des infractions
[8] La période des infractions se déroule entre le 1er mai 2012 et le 30 octobre 2014.
[9] L’ensemble des infractions commises par l’accusé débute toujours par le leurre de ses victimes au moyen d’Internet. Il utilisait différents profils d’adolescents pour approcher presque exclusivement des jeunes filles, âgées entre 10 et 12 ans, sur le réseau social Facebook.
[10] Le mode d’approche était généralement le même. L’accusé, en utilisant un faux profil d’une adolescente, demandait à la jeune victime si elle était X ou Y. Par la suite, il s’excusait de son erreur et il commençait à la complimenter sur sa beauté. Puis, il enchaînait en lui demandant si elle voulait devenir mannequin car il était membre d’une agence qui recrutait.
[11] Si la victime répondait positivement, il l’invitait à compléter un questionnaire en communiquant par l’utilisation de Skype afin qu’il puisse la voir.
[12] Dans le cadre de ce formulaire, une des questions visait à vérifier si la victime pouvait se dévêtir en public, car prétendait-il, cela fait partie du quotidien des mannequins.
[13] Pour ces conversations via Skype, l’accusé projetait l’image d’une jeune femme âgée de 15 à 16 ans, donnant l’illusion à son interlocutrice qu’elle communiquait réellement avec une jeune adolescente. Cependant, il prétendait toujours à un mauvais fonctionnement de son microphone, faisant en sorte qu’il ne pouvait échanger qu’au moyen du clavier, empêchant ainsi les victimes d’entendre sa voix.
[14] S’il réussissait à faire dévêtir une victime, par la suite, il la poussait plus loin, en l’incitant à des touchers de nature sexuelle, sur elle-même, avec une autre enfant et dans un cas allant même jusqu’à suggérer des actes de bestialité.
[15] L’accusé avait planifié plusieurs stratégies de manipulations et le rapport sexologique du 1er mars 2015 indique ce qui suit au sujet de l’agir délictuel :
(…) il explique avoir utilisé particulièrement deux stratégies de manipulation, soit une jeune femme de 15-16 ans qui recrutait pour une agence de mannequins et un adolescent qui s’affairait à séduire la jeune fille. Une fois le contact établi, il demandait à communiquer avec elles via Skype. N’utilisant pas de webcam, lui seul voyait les victimes. Comme soulevé plus tôt, il projetait entre autres la vidéo d’une jeune femme, leur donnant l’illusion qu’elles communiquaient réellement avec elle. Par l’entremise de la communication écrite, il disait les manipuler d’abord en suscitant leur intérêt, puis en leur demandant de faire ce qu’elle (faux profil) faisait (se déshabiller, se masturber) pour lui prouver qu’elles avaient les caractéristiques recherchées pour le recrutement ou qu’elles l’aimaient assez (scénario de l’adolescent). Le discours devenait dès lors plus sexualisé. Avec certaines, cela pouvait prendre quelques jours pour réaliser son scénario dans sa totalité, alors que pour d’autres, c’était plus rapide, variant selon la personnalité des jeunes filles. Quelques mois correspondent à la plus longue période où le leurre s’est opéré auprès de l’une d’entre elles. L’arrêt des contacts a pu être initié par les victimes ou encore par lui, soit parce qu’il avait obtenu réponse à son besoin, soit parce qu’il sentait un malaise de leur part qui limitait sa satisfaction. La pratique masturbatoire accompagnait habituellement ses leurres.[3]
[16] Plusieurs des victimes rêvaient depuis plusieurs années de devenir mannequin, elles voyaient dans cette nouvelle « amie » une chance inouïe de pouvoir réaliser leur rêve. Même si les demandes pouvaient leur paraître étranges, incompréhensibles ou gênantes, la très grande manipulation déployée par l’accusé réussissait à les faire fléchir.
[17] L’accusé usait de diverses astuces pour les inciter à participer. D’abord, il y avait la possibilité de gagner divers prix si elles acceptaient de remplir le questionnaire. Par la suite, les menaces pouvaient aller du simple « tu ne seras pas acceptée par l’agence » au jeu de vérités/conséquences et aux menaces d’afficher sur Facebook ou Internet les photos des victimes et des propos mensongers à leur égard.
[18] À plusieurs occasions, l’accusé allait même jusqu’à les inciter à poser des gestes ou se dévêtir en leur laissant une minute pour se décider, en affichant un chronomètre à l’écran, pour leur dire après coup que ce n’était qu’une blague.
[19] Pour certaines victimes, le profil de l’accusé qui les contactaient était devenu leur meilleure amie, elles étaient donc prêtes à faire beaucoup pour conserver cette amitié.
[20] Entre autres moyens utilisés pour inciter les victimes à transmettre des photos ou vidéos d’elles-mêmes, nues ou incluant des gestes de nature sexuelle, l’accusé expédiait des vidéos d’actes sexuels, prétendant qu’il s’agit de gestes posés par le profil avec lequel les victimes sont en communication.
[21] Pour permettre de percevoir la nature des gestes à caractère sexuel imposés par l’accusé, les admissions des faits signés par les parties en illustrent l’ampleur :
· En ce qui concerne une victime âgée de 11 ans au moment des événements :
- Lors de ces échanges sur Skype, « Megane Desbiens » a présenté des films qui donnaient l'impression d'être produits en direct. Elle a d'abord fait passer un questionnaire à la victime, pour savoir si elle pouvait devenir mannequin. Par la suite, «Megane» se présente à l’écran, alors qu'elle est impliquée dans diverses relations sexuelles. Entre autres, alors qu'elle fait une fellation à un garçon, qu'elle se fait pénétrer par 2 garçons et qu'elle se masturbe. Elle en présente également un où elle dit être avec sa cousine d'environ 8 ans et où elles se lèchent. Finalement, la victime en décrit un autre où un garçon se masturbe jusqu'à éjaculation près de la bouche d'une jeune fille de 12 ans.
- Simultanément, elles communiquent en direct ensemble, par message texte, au bas de l'écran. Elles ne communiquent pas par micro. La victime visionne en même temps les vidéos. Ces épisodes sexuels ont été nombreux avec différents partenaires ou encore en solo.
- Par la suite, Megane Desbiens a exigé que la victime se dénude en direct via Skype. La victime a acquiescé à la demande et elle s’est alors filmée devant la caméra en utilisant Skype une dizaine de fois. La victime suivait les directives de son interlocutrice en jouant des scènes de nature sexuelle en solo (masturbation).
- Megane lui disait qu'elle serait «la meilleure du monde» si elle le faisait. La victime s'est donc exécutée. Elle dit s'être «doigté», s'être flatté les seins et le vagin et, à la demande de Megane, s'être pénétré le vagin avec un stylo et la poignée d'une brosse à cheveux. Dans sa déclaration, la victime déclare: «Je l'ai fait pour lui faire plaisir.»[4]
· Pour une autre victime âgée de 12 ans qui a expliqué aux enquêteurs avoir peur et se sentir obligée:
- Dans les échanges, la victime précise que c’est son rêve depuis l’âge de 5 ans de devenir mannequin. Elle lui dit qu’elle serait prête à tout pour devenir mannequin. Rapidement, le sujet de la masturbation est amené. La victime lui dit que c’est «weird», alors Océane lui propose de jouer à vérités/conséquences.
- Les deux filles vont rapidement en venir à faire des conséquences à caractère sexuel. On comprend d’un échange qu’Océane se filme en se masturbant.
- Océane offre à la victime d’avoir accès au site privé de l’agence. Pour se faire, elle demande le mot de passe Skype, avec un * au travers, pour ne pas qu’elle le devine.
- Plus tard, on comprend qu’Océane présente une vidéo d’elle en train de se pénétrer deux doigts dans le vagin. Elle termine en disant que «ca fais trop du bien». Ce qui amène la victime à lui dire qu’elle fera pareil ce soir dans son bain. La victime repousse le moment du bain et Océane insiste plusieurs fois pour que le bain soit pris, que la victime se touche et qu’elle se filme en le faisant.
- On comprend que la victime a envoyé quelques vidéos où Océane peut voir en partie son vagin.
- Océane demande à la victime si elle connait le truc pour les chiens? Soit de se mettre du beurre de peanuts sur le vagin et que le chien lèche pour jouir.
- La victime dit à Océane qu’elle s’est mis du beurre sur le vagin et que ses chat ont léché, que c’est le paradis. Océane insiste beaucoup pour voir ces vidéos. Elle demande à la victime de se filmer et de lui envoyer. On comprend plus tard que cette vidéo est envoyé à Océane. Elle est retrouvée dans l’ordinateur de l’accusé.
- Océane a présenté des vidéos où elle dit qu’elle fait une fellation à son frère. La victime lui dit qu’elle se considère Fuckfriend avec Océane. Les filles parlent de trip à trois, impliquant le frère d’Océane.
- Océane demande à la victime de se frotter sur un toutou. Il est question de la cousine d’Océane et de masturbation. Océane invite la victime à se rentrer un crayon dans l’anus, ce que fait la victime, selon les échanges. Elle dit que cela fait mal.[5]
(Reproduction exacte à l’exception du nom des victimes)
[22] L’accusé conservait tout ce qu’il recevait des victimes dans son ordinateur. C’est ce matériel photographique et filmique ainsi que les conversations échangées qui ont permis aux enquêteurs de retracer plusieurs victimes et de connaître la nature plus précise des actes posés.
L’impact chez les victimes
[23] L’enquête a permis d’identifier 64 victimes et 44 demeurent toujours non identifiées.
[24] Le Tribunal a entendu à huis clos 16 de ces victimes, complété par la présentation de 14 extraits de déclarations des victimes captées sur vidéos lors de leur rencontre avec les enquêteurs.
[25] Plusieurs d’entre elles ont rempli la déclaration de victime selon l’article 722 du Code criminel qui ont été produites au dossier.
[26] Outre les victimes directement identifiées, les gestes de l’accusé ont également eu un impact extrêmement important chez les parents de ces jeunes victimes. Le Tribunal a également eu l’occasion d’entendre le témoignage de certains parents.
[27] La plupart des victimes de l’accusé étaient âgées autour de 10 et 11 ans au moment des faits.
[28] Certaines des victimes fréquentaient l’école où travaillait l’accusé, de même que d’autres provenaient de son voisinage immédiat.
[29] Compte tenu de l’importance de préserver totalement la confidentialité et l’identité des victimes, le Tribunal considère qu’il est préférable d’énoncer leurs propos sans utiliser les initiales de leur nom car certains recoupements ou rapprochements pourraient être faits.
[30] Les principales conséquences des actes de l’accusé à l’égard des victimes telles que relatées par celles-ci sont les suivantes :
- Elles ont été dévastées lorsqu’elles ont appris qu’il s’agissait d’un adulte derrière les profils avec lesquels elles communiquaient. Et encore plus dans plusieurs cas, lorsqu’elles ont constaté qu’il s’agissait de leur professeur ou d’un professeur de leur école;
- Elles vivent toutes un énorme sentiment de trahison, en plus de la honte d’avoir posé certains gestes et de s’être fait prendre à ce stratagème;
- Il s’agit d’un événement marquant qui restera toujours à leur esprit;
- Plusieurs ont cru au mirage projeté par l’accusé et se voyaient devenir mannequin ou encore, sont littéralement tombées amoureuses du profil du garçon Alexandre. La chute en a été d’autant plus grande;
- Celles qui entretenaient un rêve de participer au monde de la mode, voyaient ce rêve se réaliser. Elles ont subi un choc énorme après la connaissance réelle de la situation;
- Elles ne peuvent s’expliquer pourquoi elles ont posé certains gestes. Par contre, il ressort clairement des différents témoignages que l’accusé était insistant, générant de la peur et de la crainte;
- Les vidéos ont été faites dans plusieurs cas sous la menace de la diffusion de photos sur le Web, à la suite de photos qu’elles avaient préalablement envoyées;
- Plusieurs craignent que les vidéos ou les photos qu’elles ont fait parvenir à l’accusé se trouvent toujours sur un site Internet quelque part sur le Web, et que tôt ou tard, elles pourraient ressurgir;
- Plusieurs sont incapables d’en parler même deux ans après les faits. Elles gardent leurs émotions au sujet de cette affaire à l’intérieur d’elles-mêmes, ce qui rend plus difficile l’expression de toutes autres émotions de la vie quotidienne;
- Elles sont tristes d’avoir perdu la confiance de leurs parents, ceux-ci étant devenus plus protecteurs et suscitant un plus grand questionnement sur leurs activités et déplacements;
- La plupart n’ont plus confiance à un adulte. Elles ont développé une hyper méfiance et une extrême vigilance lorsqu’elles sortent à l’extérieur de leur résidence que ce soit pour se rendre au parc, pour prendre les transports en commun ou dès qu’un adulte les aborde pour une question quelconque;
- Plusieurs vivent toujours un traumatisme qui génère une perte de sommeil, de concentration et des difficultés scolaires;
- Plusieurs d’entre elles ont commis des gestes d’automutilation, certaines des tentatives de suicide et une autre a fait un séjour en pédopsychiatrie;
- Pour toutes, l’impact est d’une importance capitale sur leur vie. Cet événement a généré une baisse de leur propre estime, du doute envers elles-mêmes, des problèmes d’humeur, détruit leur innocence et la fin de leur enfance, en plus de générer de l’angoisse et de l’anxiété;
- Plusieurs ont développé des problèmes alimentaires. Elles vivent toutes une colère qui s’exprime de différentes façons dans leurs comportements quotidiens auprès de leurs proches, soit par de l’agressivité envers autrui et une grande méfiance envers les adultes, incluant leurs parents;
- Certaines mentionnent que les blessures psychologiques font plus mal que les blessures physiques et demeureront toute la vie;
- Une victime illustre très bien la gravité de l’impact des gestes de l’accusé en mentionnant « qu’elle a été blessée dans son âme et qu’elle est morte dans son corps ».
[31] En ce qui concerne les parents des victimes, ceux-ci mettaient en garde leur enfant relativement aux dangers du Web et surveillaient leurs communications sur le réseau Facebook ou autres. Il est facile d’imaginer ce qu’ils ont vécu lorsque toute cette affaire a été mise au jour.
[32] Les parents qui se sont exprimés à la cour ou qui ont complété la déclaration de victime mentionnent ce qui suit au sujet des dommages causés par les actes de l’accusé :
- Lorsqu’ils ont appris la situation, ils ont été envahis d’un sentiment de rage, de frustration et de grande tristesse car ils ont l’impression d’avoir échoué comme parents;
- Un des parents ne peut se pardonner de ne pas avoir remarqué le faux profil de l’accusé, car elle se faisait un devoir de vérifier les contacts;
- Pour tous, il s’agit d’une intrusion dans leur domicile par une personne ayant dérobé la confiance qui régnait au sein de la famille;
- Auparavant, le message transmis aux enfants en était un d’amour envers autrui, alors que maintenant ils doivent plutôt leur enseigner d’intégrer une grande méfiance envers les autres;
- Tous ont constaté une transformation radicale et une métamorphose chez leur enfant. Auparavant ils étaient joyeux et heureux, alors que maintenant ils ont un comportement de méfiance, de tristesse, entraînant même dans certains cas une perte de complicité avec leur enfant;
- Ils confirment tous une baisse dramatique au niveau des résultats scolaires de leur enfant ainsi que des problèmes de concentration ayant un effet direct sur leurs études. Pour certains parents, ceci a également entraîné la prise d’une médication anxiolytique;
- Pour certaines victimes, les parents ont constaté la présence d’une grande anxiété incontrôlable, générant des traitements et entraînant une série de troubles divers de nature psychiatrique et psychologique;
- Tous les parents vivent avec un grand sentiment de culpabilité pour avoir manqué à leur devoir de parents;
- Certains iront jusqu’à mentionner qu’il s’agit d’un viol de leur intimité. Tous ont une incompréhension face au fait que l’on pose de tels gestes à l’égard de jeunes filles;
- Certains parents mentionnent avoir perdu leur enfant;
- Pour eux, abuser et leurrer leur enfant dans leur maison est un crime atroce qui laisse beaucoup de marques.
PROFIL DE L’ACCUSÉ
[33] Le Tribunal a demandé la confection de rapports présentenciel, sexologique et psychiatrique.
[34] Après le dépôt de nouvelles accusations et vu le nombre beaucoup plus important de victimes, des compléments de rapport ont été requis.
[35] De plus, le Tribunal a entendu monsieur Alain Desharnais, sexologue et thérapeute de l’accusé ainsi que le père de ce dernier.
[36] À la fin des représentations sur la peine, l’accusé a lu une lettre qui est produite en preuve sous SD-2.
Situation personnelle et sociale
[37] L’accusé est aujourd’hui âgé de 33 ans. Il avait entre 29 et 31 ans au moment de la commission des crimes.
[38] En apparence, la vie de l’accusé est des plus normale et conformiste.
[39] Au moment de l’arrestation, sa situation conjugale est stable et il est en relation avec sa conjointe depuis 12 ans.
[40] Il a complété ses études universitaires et il travaille comme professeur d’éducation physique à temps partiel pour deux écoles primaires de la région.
[41] Auparavant, il avait complété un DEC en informatique.
[42] Son histoire familiale ne révèle rien de particulier. Il est le deuxième d’une fratrie de trois, il a deux sœurs avec lesquelles il entretient de bonnes relations.
[43] Ses parents se sont divorcé alors qu’il avait environ 11 ans. L’accusé mentionne que sa relation avec son père est devenue plus difficile après la séparation de ses parents puisque celui-ci « aurait longtemps usé de manipulation à l’égard de tous les membres de la famille pour témoigner de sa détresse. »[6]. C’est alors que le nouveau conjoint de sa mère « serait ainsi devenu une figure importante et un modèle masculin significatif. »[7].
La commission des crimes
[44] L’accusé projetait le profil d’un individu ayant une vie des plus normale et conforme, sans problème apparent, toujours très affable, apprécié de tous, collègues et membres de la famille, d’une grande disponibilité et toujours prêt à aider.
[45] Dans ce type de situation, la question qui vient aux lèvres de tous est, comment est-ce possible? Pourquoi? Pourquoi une personne comme l’accusé en vient-il à s’en prendre aux êtres parmi les plus fragiles de notre société, auxquels il devait assurer protection de par son rôle de professeur et en tant qu’adulte responsable.
[46] Selon la preuve administrée, il semble que l’accusé lui-même n’arrive pas à fournir une explication à son comportement et cherche à se comprendre. Sa seule limite a été son arrestation qu’il a perçue comme une forme de libération car il était incapable de cesser d’agir par lui-même.
[47] Afin de pouvoir cerner les motivations profondes de l’accusé ayant conduit à la commission des crimes, la rédactrice du rapport sexologique affirme qu’il n’y a pas qu’un « facteur unique, la compréhension d’un passage à l’acte sexuel délictuel s’avère plus souvent complexe et habituellement multifactorielle. »[8].
[48] Les différents rapports révèlent que l’accusé a fait l’objet d’une période d’intimidation ayant marqué la totalité de son primaire et les premières années de son secondaire. Par la suite, il s’est lié d’amitié avec une personne plus populaire à l’école, ce qui a entraîné chez lui le respect des pairs.
[49] Par ailleurs, l’accusé fait état d’un événement survenu alors qu’il était gardé en milieu familial. L’éducatrice lui demandait de se déshabiller et de s’étendre nu par terre. Celle-ci en profitait pour crémer et masser son corps dans son intégralité, incluant ses organes génitaux. Le tout aurait été filmé par le conjoint de cette dernière. Une autre petite fille l’accompagnait et vivait le même sort que lui. Ce manège se serait produit à quelques reprises.
[50] L’accusé informe la rédactrice du rapport que « (B)ien qu’il considère ces événements comme des agressions sexuelles, il suppose avoir aimé puisqu’il aurait gardé ce secret jusqu’à tout récemment. »[9].
[51] D’autres incidents reliés à la masturbation se seraient déroulés durant son primaire et le début de son adolescence.
[52] Il développe un intérêt pour la pornographie impliquant de jeunes adolescentes vers les années 2008 ou 2009, estimant que son visionnement de pornographie est constitué au moins à 50% par de la pornographie juvénile.
[53] L’accusé affirme paradoxalement « que l’adolescente en personne ne l’attire pas, alors que le contexte inhérent à l’ordinateur semblerait y jouer un rôle majeur dans son choix : l’interdit et la facilité pourraient peut-être l’expliquer croit-il. »[10].
[54] Cette tendance au visionnement de pornographie se serait développée à la même période où il recevait des traitements pour un cancer ou suivant ceux-ci, l’accusé mentionne :
(…) avoir été particulièrement préoccupé par le fait que les vidéos impliquant ses abus vécus, réalisés par le conjoint de sa gardienne étant enfant, se retrouvent sur Internet. Dès lors, il se serait mis à leur recherche via Google, différents sites, forum de discussion, etc.. C’est de cette façon qu’il aurait été en contact avec les premières images de pornographie impliquant des personnes mineures et démontrant des vidéos similaires à son vécu. Initialement dégoûté par ce qu’il y voyait, il aurait persévéré, toujours pour se retrouver. Les images impliquant des massages lui auraient procuré néanmoins une grande incitation à ses dires, à partir desquelles il aurait choisi de se masturber. Lors de son arrestation, il estime qu’il avait en sa possession un maximum de 500 photos et vidéos (en majorité), principalement d’adolescentes en développement pouvant être âgées entre 11 et 17 ans (12-13 ans plus spécifiquement concernant les vidéos).[11]
[55] L’opinion de la rédactrice du rapport sexologique fournit certaines pistes de réflexion au sujet de la motivation sous-jacente au comportement de l’accusé qui bénéficie de plusieurs facteurs de protection (travail stable, conjointe de longue date, vie sociale significative) rendant incompréhensibles les actes posés :
À tout le moins, cela nous renseigne sur l’intensité de sa détresse interne, consciente ou non à ce moment, laquelle a surplombé l’ensemble des facteurs de protection précités. Peut-on également supposer la présence d’un détachement émotif pour parvenir à dissimuler le tout à ses proches les plus significatifs, y compris sa conjointe, et se berner lui-même par la même occasion? Ce ne serait pas la première fois qu’il userait d’une telle stratégie : rappelons-nous que personne de son entourage n’a pris conscience des agressions sexuelles qu’il vivait de la part de sa gardienne, puis de l’intimidation notable dont il a été victime sur environ huit ans par la suite. D’ailleurs, qu’a pu intérioriser l’enfant en lui comme message de tels événements, d’autant plus qu’aucune mesure n’a été prise pour neutraliser ses « agresseurs »? Qu’on peut dépasser les limites avec impunité? Ce qui, d’ailleurs, a pu être renforcé par le fait que ses professeurs n’aient jamais avisé ses parents qu’il se masturbait hebdomadairement en classe, ne récoltant que des retenues à la récréation, diminuant les opportunités pour lui d’être intimidé finalement. Dans le même ordre d’idées, ce détachement émotionnel n’a pu qu’être accompagné d’une forme de manipulation à ce moment-là pour tromper le regard de ses proches et ainsi ne pas semer le moindre doute chez eux. D’ailleurs, il nous disait qu’il pouvait trouver mille et une justifications pour masquer les traces que pouvait laisser l’intimidation qu’il subissait. N’est-il pas passé maître de l’art en ce domaine, déjà en jeune âge? Parallèlement, il semble avoir eu un modèle paternel qui s’est permis de gérer de la même façon sa propre détresse psychologique, soit par la manipulation des êtres qui étaient les plus chers pour lui. Bref, nous semblent réunies les composantes d’un terrain fertile au développement de conduites délictuelles impliquant un tel niveau d’organisation et de manipulation, alors qu’il a donné à tous l’apparence d’être un homme fonctionnellement sain.
Si l’on creuse davantage dans l’histoire de vie de monsieur Fortier, la peur du rejet revient en boucle. L’intimidation vécue et l’attitude de son père à son égard notamment semblent consister en la base d’un tel malsain. Cela nous laisse à penser qu’il a développé certains profils cognitifs, entre autres celui relié au schéma Assujettissement. Un profil cognitif consiste en une façon de penser structurée, construite par les expériences de l’enfance et de l’adolescence, qui s’exprime par des distorsions cognitives et par des interprétations inadaptées de soi-même et de l’environnement, ainsi que par des stratégies d’adaptation inadéquates. Tout comme le justiciable, « parce qu’ils craignent la colère de l’autre, les représailles ou l’abandon, les individus ayant un tel schéma opèrent la suppression de leurs propres désirs et besoins, tout comme leur propre colère. Cela se manifeste souvent par une docilité excessive et par un empressement de faire plaisir à l’autre, tout comme par l’adoption de comportement d’évitement et l’incapacité à s’affirmer. Néanmoins, ils présentent une hypersensibilité aux situations dans lesquelles ils ressentent qu’ils « se font avoir ». Il existe presque toujours une colère refoulée, qui se traduit par des comportements dysfonctionnels ».[12]
(Reproduction exacte)
[56] L’accusé « a été placé de façon précoce face à une sexualité inadaptée »[13] par les agressions qu’il a subies alors qu’il n’avait même pas sept ans. Il identifie lui-même que « la prise de pouvoir et de contrôle consistait en son besoin à la base de ses délits. »[14].
[57] En ce qui concerne le risque de récidives, il est évalué par la rédactrice du rapport sexologique à modéré élevé, c’est-à-dire un risque moindre à court terme mais plus grand à moyen terme, soit après cinq ans. Ce qui est conforme avec l’opinion de la rédactrice du rapport présentenciel affirmant que le « risque de récidive est toujours présent actuellement et la dangerosité sociale non négligeable. »[15].
[58] Néanmoins, l’accusé n’est pas demeuré inactif durant sa période d’incarcération. Il a entrepris, de sa propre initiative, un cheminement thérapeutique en privé avec monsieur Alain Desharnais, sexologue clinicien.
[59] Celui-ci a témoigné et il a produit un rapport faisant état de son opinion au sujet des motifs sous-jacents ayant entraîné l’accusé à commettre ces crimes :
(…) Si j’avais à identifier la « raison principale » du dérapage criminel de mon client, je dirais que comme beaucoup de déviants, il a mis tous ses œufs dans le même panier. L’exploitation sexuelle est devenue sa principale sinon sa seule soupape à son anxiété.[16]
[60] Monsieur Desharnais conclut que les rencontres avec l’accusé au cours des 11 derniers mois lui ont permis de fouiller ses motivations morbides et de s’interroger sur les répercussions de ses actes à l’égard des victimes. Selon lui, l’accusé s’est laissé envahir par l’empathie, bien que certains rapports lui reprochent une certaine intellectualisation des faits. Pour monsieur Desharnais, rien n’est plus éloigné de ce qu’il a vécu avec l’accusé qui souhaite comprendre, ce qui n’empêche pas de ressentir. Au cours des différentes séances, il a pu voir son client passer par toute une gamme d’émotions : le désarroi, la tristesse, l’abattement. « L’empathie pour ses victimes demeure l’émotion la plus permanente. »[17]
[61] Selon la rédactrice du rapport sexologique, ce cheminement thérapeutique, quoique bienvenu, soulève néanmoins certaines questions :
(…) Sa perméabilité à l’intervention, son introspection, de même que son désir de se mobiliser et d’opérer des changements nous apparaissent être des leviers importants à son évolution que nous observons et entendons. Nonobstant, nous n’avons pu nous empêcher de nous questionner à savoir si tout ce que nous avons évoqué dans les lignes précédentes pouvait être en fait qu’une pure manipulation de la part du justiciable, stratégie dont il a démontré la maîtrise au fil de sa vie et particulièrement dans ses délits. Force est d’admettre que si tel est le cas, l’évaluation psychiatrique pourrait nous éclairer sur le sujet, ce qui n’a du moins pas été le cas dans le cadre de l’expertise déposée en janvier 2015. Dès lors, nous nous en remettons à l’une des valeurs qui guident toute relation d’aide soit la croyance en la capacité de tout individu d’évoluer et de se développer.[18]
[62] Dre Martine Bérubé, psychiatre légiste, a également déposé deux rapports pour déterminer le profil psychiatrique de l’accusé. Ses conclusions, tant dans son premier rapport que dans le rapport complémentaire demeurent les mêmes.
[63] L’accusé a un trouble d’anxiété généralisé d’intensité légère sous médication mais qui est peu handicapant. Elle note une absence de psychopathie ou de trouble de la personnalité antisociale, ne décelant aucune maladie psychiatrique sévère ou persistante. La dynamique de l’accusé révèle le profil d’un individu soumis, cherchant excessivement à plaire. Il a un grand besoin d’être idéalisé et il a une crainte de l’abandon. Il présente certains traits de dépendance.
[64] Au sujet de la délinquance sexuelle, Dr Bérubé mentionne :
(…) les caractéristiques cliniques décrites par l’individu nous portent à croire qu’il présente une paraphilie de type hébéphilie non exclusive (intérêt pour les femmes adultes et les adolescentes). Cependant, il s’agit d’un diagnostic non confirmé.[19]
[65] L’accusé a développé une bonne résilience et il est très persévérant :
(…) Il arbore également jusqu’à un certain point une pensée magique, ayant l’impression que tout peut être transformé en quelque chose de positif. Il s’agit d’une sorte d’idéalisation primitive, de déni, pour ne pas ressentir la douleur ou la frustration. Monsieur a une dynamique où il sublime à l’excès tout ce qui est négatif pour rapidement passer à autre chose. À titre d’exemple, il a déjà des projets pour avoir une vie plus saine lorsqu’il aura terminé de purger sa sentence d’incarcération. Les affects et les émotions difficiles sont totalement refoulés au profit de projets ou d’activités compensatoires. Son doute de lui-même et son estime de soi trop faible le portent à demander exagérément l’attention de son interlocuteur.[20]
[66] Dans le rapport complémentaire, Dre Bérubé soumet l’élément suivant :
Monsieur semble avoir utilisé l’usurpation et la manipulation dans d’autres sphères de sa vie que celle directement reliée aux délits. Cela semble en lien avec notamment des difficultés d’affirmation, mais possiblement d’autres aspects qui demeurent mal cernés.[21]
(Reproduction exacte)
[67] L’ensemble des rapports soumis suggère naturellement d’entreprendre et de poursuivre une psychothérapie relativement à ses problèmes de déviance sexuelle.
[68] En complément, l’accusé a lu devant la cour une lettre où il transmet publiquement ses excuses aux victimes pour tout le mal qu’il leur a fait subir. Il se reconnaît comme étant le seul responsable et que ses gestes sont impardonnables. Il se dit redevable à ces enfants victimes jusqu’à la fin de ses jours.
POSITIONS DES PARTIES
[69] Les parties ont eu l’occasion d’exposer avec précision leur position respective relativement à la peine. Le Tribunal juge inutile de relater en détail les arguments des parties qui seront reflétés dans le cadre de l’analyse. Il n’en exposera que les grandes lignes de manière sommaire.
[70] Le procureur de l’accusé admet que les gestes posés sont irréparables et personne, y compris l’accusé, n’en minimise les impacts sur les victimes. Tous les intervenants sont bien au fait qu’aucune peine n’effacera les séquelles chez les victimes.
[71] Il rappelle cependant que l’imposition d’une peine n’équivaut pas à de la vengeance et que celle-ci doit être proportionnelle et individualisée.
[72] Après avoir fait état des facteurs aggravants et atténuants du présent dossier, de la prise de conscience sérieuse de l’accusé et de son comportement exemplaire après l’arrestation, il suggère qu’une peine d’emprisonnement totale de six ans serait appropriée.
[73] Les crimes de leurre devraient être punis par trois ans d’emprisonnement. Pour les autres infractions, il suggère une répartition combinant des peines consécutives et certaines concurrentes pour un total de trois années consécutives aux crimes de leurre.
[74] De son côté, la procureure du poursuivant soumet que le Tribunal devrait suivre la méthodologie décrite pour l’imposition des peines par la Cour d’appel du Québec dans Desjardins c. R.[22]. Dans un cas comme la présente affaire, où le Tribunal doit déterminer la peine pour une série d’infractions distinctes commises au cours d’une même période, l’approche à privilégier est celle de la peine totale, plutôt que celle de la peine globale.
[75] La procureure rappelle que le présent dossier en est un d’exception et il s’agit du seul cas au Québec impliquant un nombre si important de victimes.
[76] Elle soumet au Tribunal un sommaire de sa position où elle décrit clairement les peines suggérées en lien avec les différentes infractions.
[77] Le calcul total des peines soumis par la procureure du poursuivant est une période d’emprisonnement de 18 ans. À cette période, elle suggère de retrancher 3 ans pour tenir compte des facteurs atténuants.
ANALYSE
Principes applicables pour l’imposition d’une peine
[78] L’imposition d’une peine constitue pour un tribunal un exercice tout en finesse où plusieurs facteurs doivent être considérés et soupesés.
[79] La Cour suprême du Canada dans l’arrêt Lacasse mentionnait à ce propos :
1. La détermination de la peine demeure l'une des étapes les plus délicates du processus de justice pénale et criminelle au Canada. Même si cette tâche est régie par les art. 718 et suiv. du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46, et que les objectifs y mentionnés guident les tribunaux et sont bien définis, elle implique néanmoins, par définition, l'exercice par ceux-ci d'un large pouvoir discrétionnaire dans la mise en balance de tous les facteurs pertinents afin de pouvoir satisfaire aux objectifs visés par le prononcé des peines.[23]
[80] Plusieurs des victimes ont exprimé le souhait que la peine imposée à l’accusé soit à la hauteur de leur douleur. Il n’y a pas dans ces propos l’expression d’une vengeance mais simplement le fait d’une juste réparation afin de pouvoir débuter le long processus de guérison ainsi que d’être suffisamment dissuasive pour protéger d’éventuelles victimes.
[81] Le Tribunal est pleinement conscient qu’aucune peine n’effacera les torts causés et remettrait les victimes dans l’état où elles se trouvaient avant la commission des crimes.
[82] Aucune peine ne pourra permettre de retrouver cette innocence perdue à jamais. Le Tribunal est conscient que l’imposition de la peine n’est qu’une étape dans le processus d’apaisement pour les victimes.
[83] La peine doit viser l’atteinte des objectifs prévus aux articles 718 à 718.2 du Code criminel. Elle se doit également d’être proportionnelle et individualisée. À nouveau, la Cour suprême dans l’arrêt Lacasse mentionne ce qui suit :
12. En la matière, la proportionnalité demeure le principe cardinal qui doit guider l'examen par une cour d'appel de la justesse de la peine infligée à un délinquant. Plus le crime commis et ses conséquences sont graves, ou plus le degré de responsabilité du délinquant est élevé, plus la peine sera lourde. En d'autres mots, la sévérité de la peine ne dépend pas seulement de la gravité des conséquences du crime, mais également de la culpabilité morale du délinquant. Fixer une peine proportionnée est une tâche délicate. En effet, comme je l'ai souligné plus tôt, tant les peines trop clémentes que les peines trop sévères peuvent miner la confiance du public dans l'administration de la justice.[24]
Gravité objective des infractions
[84] À l’époque pertinente, l’infraction de leurre d’un enfant au moyen d’un ordinateur est punissable par une peine d’emprisonnement de dix ans, le minimum est d’un an.
[85] Il en est de même pour les infractions d’incitation à commettre des attouchements à caractère sexuel.
[86] Les infractions en matière de production et de distribution de pornographie juvénile sont également punissables par une peine d’emprisonnement de dix ans, le minimum est d’un an. La possession de pornographie juvénile est punissable par une peine d’emprisonnement de cinq ans, le minimum est de six mois.
[87] Les infractions en matière d’extorsion sont punissables par l’emprisonnement à perpétuité.
[88] Les infractions de vol d’identité et de fraude à l’identité sont respectivement punissables par un maximum de cinq ans et de dix ans d’emprisonnement.
Circonstances aggravantes et atténuantes
[89] Pour mesurer la responsabilité pénale d’un accusé dans le cas d’infractions d’ordre sexuel à l’égard d’enfants, la Cour d’appel du Québec dans R. c. J.L.[25] énonce les facteurs pertinents à considérer. L’analyse de ces différents critères appliqués à l’accusé permet de dégager les circonstances aggravantes et atténuantes suivantes :
La nature et la gravité intrinsèque des infractions
- L’éventail des infractions commises démontre une gradation importante dans la nature et la gravité des actes posés par l’accusé. Du leurre simple, il passe à l’incitation à poser des gestes à caractère sexuel dont les demandes devenaient de plus en plus explicites et intrusives, à l’extorsion et à la production et diffusion de matériel pornographique juvénile. Pour ce faire, l’accusé a utilisé un stratagème sophistiqué, planifié, faisant preuve d’une très grande manipulation des enfants en étant très insistant et en jouant avec leurs émotions, n’hésitant pas à recourir aux menaces d’utiliser et de diffuser les images qu’il avait reçues de la part des victimes.
La fréquence des infractions et l'espace temporel qui les contient
- La période des infractions s’est échelonnée sur deux années avec une augmentation croissante de la fréquence et de la gravité des gestes, l’accusé étant incapable de s’arrêter. Il avait, dans certains cas, donné rendez-vous à ses victimes. Les différents rapports mentionnent qu’on préfère ne pas imaginer quelle aurait pu être la prochaine étape s’il n’avait pas été arrêté.
- Le nombre de victimes répertoriées est sans conteste très important, s’élevant à 64 identifiées et à 44 non identifiées dont l’âge varie entre 8 et 14 ans.
L'abus de confiance et l'abus d'autorité caractérisant les relations du délinquant avec la victime
- L’accusé n’a pas posé les gestes dans un cadre d’abus de confiance conventionnel tel que celui que l’on peut retrouver dans une relation avec un parent, un professeur ou un entraîneur. Néanmoins, l’accusé a fait preuve d’un abus de confiance important et d’un comportement frauduleux clair à l’égard des victimes, de par le mode d’approche du leurre informatique sous divers profils d’adolescent et en utilisant plusieurs stratégies de manipulation pour atteindre ses fins.
- L’ensemble des victimes vit un fort sentiment de trahison.
- Même s’il n’a pas utilisé son rôle de professeur pour commettre les infractions, le fait qu’il soit titulaire de cette fonction apporte une confiance inhérente au rôle social dont il bénéficie et il est d’autant plus conscient et responsable de la fragilité des victimes.
- Dans ces circonstances, lorsque les victimes ont découvert que les gestes ont été posés, dans plusieurs cas par un professeur de leur école ou par un proche, ceci a généré une plus grande inquiétude et méfiance chez elles à l’égard d’adultes détenant des positions d’autorité, à l’exception de leurs parents.
Gravité des atteintes à l'intégrité physique et psychologique des victimes
- Les victimes étaient toutes des êtres vulnérables vu leur très jeune âge pour être exposées aux propos échangés par l’accusé et le type d’images pornographiques transmises dans certains cas.
- Les conséquences décrites et relatées par le Tribunal précédemment démontrent que pour plusieurs d’entre elles l’impact psychologique sera quasi permanent, sans compter les échecs scolaires, la perte de concentration et l’absence de motivation. De plus, dans plusieurs cas cela s’est traduit par des dommages corporels très importants, comme l’automutilation.
- Le fait que par l’intermédiaire de l’Internet, l’accusé se soit introduit dans l’environnement sécuritaire des victimes, soit leur résidence ou leur chambre à coucher à l’insu des parents de celles-ci, amplifie leur sentiment d’insécurité psychologique.
- Enfin, le législateur prévoit à l’article 718.2(ii.1) du Code criminel que l’infraction perpétrée par le délinquant constituant un mauvais traitement à l’égard d’une personne âgée de moins de 18 ans est considérée comme une circonstance aggravante.
Les désordres sous-jacents de l’accusé à la commission des infractions
- L’accusé n’a pas de pathologie particulière, mais il est plutôt aux prises avec un problème de déviance sexuelle résultant de plusieurs facteurs.
- Les gestes posés par l’accusé l’ont été avec conscience et détermination. Selon les différents rapports, l’accusé vivait un niveau de détresse important, dont l’ampleur et l’influence démontraient l’immensité du besoin sans cesse grandissant d’imposer son contrôle et son pouvoir envers les victimes, sans la moindre considération à leur égard.
- Le risque de récidive est évalué de moyen à élevé, l’accusé représentant toujours un danger pour la société.
Les condamnations antérieures du délinquant
- L’accusé n’a aucun antécédents judiciaires.
Le comportement du délinquant après la commission des infractions
- L’accusé a plaidé coupable à l’ensemble des infractions à la première occasion possible.
- Après l’arrestation et la commission des infractions, l’accusé a adopté un comportement exemplaire en offrant une collaboration sérieuse dans le cadre de la rédaction de tous les rapports allant même jusqu’à dénoncer des victimes non identifiées par les enquêteurs.
Le délai entre la commission des infractions et la déclaration de culpabilité comme facteur d'atténuation
- Il n’y a pas en l’espèce de délai important entre la commission des infractions et la déclaration de culpabilité. Cependant, il y a lieu de souligner que l’accusé a entrepris depuis son arrestation une prise de conscience sincère relativement aux dommages causés aux victimes grâce à l’amorce d’une thérapie avant l’imposition de la peine. Cela l’a conduit a formulé des excuses aux victimes que le Tribunal considère sérieuses.
La jurisprudence pertinente
[90] La jurisprudence soumise par les parties démontre que les objectifs recherchés pour l’imposition de la peine en matière d’infraction de leurre d’enfant visent principalement la dénonciation et la dissuasion qui se manifestent par de longues peines d’emprisonnement.
[91] Au Québec, dans R. c. Liesiewicz[26], notre Cour d’appel confirme une peine de 12 ans imposée pour 95 chefs d’accusation dont des chefs de leurre au moyen d’un ordinateur, d’extorsion, de harcèlement criminel et des chefs reliés à la distribution et production de pornographie juvénile.
[92] La juge de première instance a imposé une peine concurrente de 8 ans sur les 22 chefs d’extorsion et de 4 ans d’emprisonnement consécutifs sur les 73 autres chefs d’accusation.
[93] L’accusé avait pris contact avec environ 200 jeunes filles et le dossier fait état de 25 victimes pour les 95 chefs déposés. Les victimes avaient entre 13 et 19 ans, dont 21 étaient mineures.
[94] L’accusé fait preuve de peu d’égard envers ses victimes et le pronostic de dangerosité et les risques de récidives sont très élevés.
[95] En référant à la jurisprudence canadienne récente en ce domaine, la Cour d’appel affirme que :
25. La fourchette des peines pour des infractions similaires commises sur une période de temps importante (entre 16 et 48 mois) aux dépens de victimes multiples se situe entre 7 et 11 ans d'emprisonnement.[27]
[96] Dans R. c. Lettera[28] la Cour du Québec impose une peine de 9 ans d’emprisonnement pour 12 chefs d’accusation impliquant 5 victimes, dont 3 mineures.
[97] Dans cette affaire, le leurre informatique a conduit jusqu’à des relations sexuelles complètes impliquant de la sodomie dans certains cas. Le profil de l’accusé est très négatif, il a des antécédents judiciaires et une absence totale de considération pour les victimes. En plus de la peine, le tribunal le condamne à une période maximale de dix ans à titre de délinquant à contrôler.
[98] Dans R. c. Stone[29], la Cour du Québec impose une peine d’emprisonnement de 10 ans pour 71 chefs d’accusation impliquant 55 victimes dont des chefs de leurre, d’agression sexuelle, de production de matériel pornographique juvénile, contact sexuel avec enfant de moins de 14 ans ainsi que 4 chefs d’obtention de service sexuel d’une personne de moins de 18 ans contre rétribution. Le risque de récidive est qualifié de faible à modéré et l’accusé exprime des regrets et réalise l’impact négatif pour les victimes.
[99] Dans R. c. Bertrand[30], la Cour du Québec impose une peine d’emprisonnement de 60 mois pour des infractions en matière de pornographie juvénile et de leurre.
[100] L’accusé a des conversations avec 15 mineures mais seulement 2 peuvent être identifiées. Le mode d’approche est similaire à la présente affaire, l’accusé se présente comme étant recruteur pour une agence de « modeling » et suggère, dans le cadre de la conversation, plusieurs abus sexuels sur des mineures. De plus, ayant une cause pendante en même matière, il fait face également à une infraction de bris pour non-respect des conditions.
[101] Ailleurs au Canada, les peines sont nettement plus sévères dans les cas où il y a moins de victimes que dans la présente affaire.
[102] Dans R. v. Mackie[31], pour 39 chefs d’infraction impliquant plus de 20 victimes sur une période de 5 ans, la cour a imposé 11 ans d’emprisonnement.
[103] Il s’agit d’un dossier similaire à la présente affaire compte tenu des multiples infractions impliquées, soit le leurre, la pornographie juvénile et l’extorsion.
[104] La peine imposée pour l’infraction de leurre est 4 ans d’emprisonnement et les autres peines sont toutes consécutives pour un total de 11 ans.
[105] Cette décision a été confirmée par la Cour d’appel tant pour le quantum de la peine que la méthode de calcul qui conclut ainsi :
20. In such circumstances, the protection of children is the paramount sentencing objective. And, we hope that the certain knowledge that a lengthy prison sentence awaits them will deter others who may be thinking of exploiting children in this way. The global sentence imposed was not unfit.[32]
[106] Cette position de la Cour d’appel de l’Alberta est conforme à celle énoncée antérieurement entre autres dans R. v. Innes[33] où la cour confirme une peine d’emprisonnement de sept ans dans un cas similaire à la présente affaire, impliquant deux victimes.
[107] Il en est de même dans R. v. Miller[34] où la Cour d’appel de la Saskatchewan intervient pour modifier une peine d’emprisonnement de 14 mois et l’augmenter à 3 ans.
[108] Il s’agit d’une affaire impliquant une seule victime et un accusé âgé de 19 ans au moment où il est entré en communication avec la victime et 20 ans lorsqu’il y a eu agression sexuelle.
[109] Un des motifs d’intervention de la Cour d’appel dans cette affaire est le fait que le juge de première instance a commis une erreur de principe en ne considérant pas l’infraction de leurre comme étant distincte de celle d’agression sexuelle, ce qui commande l’imposition d’une peine consécutive. La cour mentionne à ce sujet :
23. One cannot overstate the seriousness of luring as an offence. There is sometimes a belief that anonymity merits no consequences and, therefore, any persuasive techniques are acceptable. The manipulation of vulnerable young people through the anonymity of the Internet is a serious societal problem. Such manipulation will often take place in the safety of the victim's home and in the privacy of their own room. Here, anonymity was not a factor but manipulation was. The offence of luring must be assessed as a separate crime and the offender's overall moral culpability for its commission must be reflected in the sentence.[35]
La peine appropriée dans le présent cas
[110] Le Tribunal doit imposer une peine à l’égard de 113 chefs d’infraction multiples commis sur une période de plus de deux années.
[111] Selon les enseignements de la Cour d’appel du Québec dans Desjardins c. R. :
37. (…) l'approche à privilégier en présence d'infractions multiples est de fixer les peines justes et appropriées pour chacune des infractions tel que le requiert d'ailleurs l'alinéa 725(1)a) du Code criminel, de décider si elles doivent être concurrentes ou consécutives et, enfin, dans ce dernier cas, de déterminer si le tout enfreint les règles de la proportionnalité (y compris le principe de la totalité de la peine) afin de faire, s'il y a lieu, les ajustements possibles pour obtenir une peine totale appropriée.[36]
[112] Plus loin, la Cour d’appel mentionne :
38. (…) l'approche à privilégier en présence d'infractions multiples justifiant des peines consécutives est celle de la peine totale plutôt que celle de la peine globale.[37]
[113] Par ailleurs :
30. (…) le juge qui impose des peines consécutives pour des chefs d'accusation multiples doit s'assurer que la peine cumulative totale ne dépasse pas la culpabilité globale du délinquant, c'est-à-dire que la peine cumulative totale doit demeurer juste et appropriée, à défaut de quoi elle doit être ajustée à la baisse.[38]
[114] Les peines d’emprisonnement suggérées doivent-elles être concurrentes ou consécutives?
[115] La règle au Canada est que les peines d’emprisonnement sont généralement concurrentes. Cependant, elles peuvent être consécutives « lorsque les infractions commises découlent de transactions criminelles distinctes, ou lorsqu’il existe un facteur aggravant d’importance. »[39].
[116] Dans la présente affaire, il y a au moins autant de transactions criminelles distinctes qu’il y a de victimes impliquées. C’est donc dire que si on appliquait la peine minimale d’un an par transaction criminelle, le résultat serait totalement déraisonnable et absurde.
[117] L’approche prônée par les procureurs d’analyser par catégorie d’infraction est tout à fait appropriée en l’espèce.
[118] De façon générale la séquence de la commission des infractions est la suivante :
1. L’utilisation du leurre informatique pour approcher et « piéger » une victime. Il s’agit d’une infraction de communication qui est indépendante en elle-même.
2. Une fois que l’accusé était en contact avec une victime, c’est alors qu’il l’incitait à se dévêtir et à poser des gestes à caractère sexuel devant la caméra. Dans certains cas les gestes sont allés jusqu’à l’inciter à toucher une autre victime ou à commettre un acte de bestialité.
3. Parfois, pour faire fléchir une victime hésitante à répondre à ses demandes, il expédie des vidéos de pornographie juvénile pour les inciter à commettre des attouchements sexuels. Par la suite, il captait et conservait les images obtenues des victimes d’où la production et possession de matériel pornographique juvénile.
4. Une fois en possession d’images d’une victime, dans certains cas l’accusé usait de menaces de publication et de diffusion sur le Web de ces images afin d’en obtenir d’autres, de là l’infraction d’extorsion.
[119] Pour le Tribunal, les peines pour ces quatre catégories d’infraction doivent être consécutives l’une de l’autre afin de refléter la gravité des gestes posés à la suite du leurre des victimes.
Objectifs et principes de la peine pour la présente affaire
[120] L’article 718.01 du Code criminel prévoit que :
Le tribunal qui impose une peine pour une infraction qui constitue un mauvais traitement à l’égard d’une personne âgée de moins de dix-huit ans accorde une attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion d’un tel comportement.
[121] L’ensemble des chefs d’infraction du présent dossier concerne des victimes mineures.
[122] L’accusé, manifestement affecté d’un mal profond, s’est attaqué aux êtres les plus fragiles et parmi les plus précieux de la société. Ses actes ont lourdement grevé leur avenir à plusieurs niveaux. L’âge des victimes est une période très critique, fin de l’enfance, début de l’adolescence, transformation du corps, découverte de la sexualité, premiers pas dans la société et le monde des adultes. Ces jeunes adolescentes demandent une protection au même titre que de jeunes enfants. La juge Bich de la Cour d’appel du Québec dans R. c. Bergeron, exprime avec éloquence cette valeur sociale fondamentale :
35. (…) lorsque l'infraction constitue un mauvais traitement à l'endroit d'une personne âgée de moins de 18 ans au sens de l'alinéa 718.2(a)(ii.1) (ce qui est le cas de l'infraction commise en violation de l'article 151 C.cr.), le juge doit accorder une « attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion d'un tel comportement » (« primary consideration to the objectives of denunciation and deterrence of such conduct »). Le législateur consacre ainsi un principe dont les raisons sous-jacentes, déjà reconnues par la jurisprudence antérieure, sont bien expliquées, par exemple, dans R. c. L. (J.-J.) :
Il est des crimes qui témoignent des valeurs protégées par une collectivité humaine à un moment déterminé de son histoire et qui, à la faveur de l'évolution des sociétés, deviennent finalement périmés. Il en va différemment des crimes d'ordre sexuel commis sur des enfants en bas âge. Même avant que des lois pénales répressives ne sanctionnent ces délits, la protection des enfants constituait l'une des valeurs essentielles et pérennisées par la plupart des sociétés organisées. La fragmentation de la personnalité d'un enfant à l'époque où son organisation naissante ne laisse voir qu'une structure défensive très fragile, engendrera ‑ à long terme ‑ la souffrance, la détresse et la perte d'estime de soi. S'il est une intolérance dont une société saine ne doive jamais s'émanciper, c'est bien celle qui concerne les abus sexuels commis sur de jeunes enfants.
36. Ces propos sont largement transposables aux adolescents qui, pour n'être plus des bambins, n'en sont pas moins, eux aussi, des personnes vulnérables, à une étape cruciale de leur développement personnel.[40]
(Soulignement du Tribunal)
[123] C’est là l’objectif même du législateur lorsqu’il a introduit au Code criminel l’infraction de leurre d’enfant, tel qu’interprété par la Cour suprême du Canada dans R. c. Légaré :
25. On voit tout de suite que l'al. 172.1(1)c) crée une infraction préliminaire ou "inchoative", c'est-à-dire un crime préparatoire constitué d'actes, par ailleurs légaux, qui devraient mener à la perpétration d'un crime complet. Cette disposition érige en crime des actes qui précèdent la perpétration des infractions d'ordre sexuel auxquelles elle renvoie, et même la tentative de les perpétrer. Il n'est pas nécessaire que le délinquant rencontre ou ait l'intention de rencontrer la victime en vue de perpétrer une des infractions sous-jacentes énumérées. Une telle interprétation est conforme à l'objectif du législateur de fermer la porte du cyberespace avant que le prédateur ne la franchisse pour traquer sa proie.[41]
(Soulignement du Tribunal)
[124] Dans cette perspective, le Tribunal estime que les objectifs de la peine pour la présente affaire doivent viser principalement :
- La dénonciation du comportement illégal;
- La dissuasion de l’accusé et la dissuasion générale;
- D’isoler l’accusé du reste de la société;
- Responsabiliser l’accusé pour les torts causés aux victimes et à la société.
[125] Et ce, pour les raisons suivantes :
- L’âge, le nombre important et les séquelles sérieuses et quasi permanentes chez les victimes;
- La grande sophistication et préméditation de l’accusé pour la commission des crimes;
- Le haut degré de responsabilité de l’accusé en lien avec la gravité de l’infraction;
- L’augmentation importante au Québec des infractions de leurre d’enfant. À ce sujet, le dernier rapport statistique du Ministère de la sécurité publique mentionne :
Le nombre de cas liés au leurre d’un enfant au moyen d’un ordinateur a atteint un sommet inégalé en 2014. Les policiers ont enregistré 413 cas, dont 357 victimes, soit une hausse de 83,1 % et de 66, 7% du taux comparativement à 2013 (respectivement 246 infractions et 196 victimes).
(…)
Les jeunes filles sont les principales victimes (77,5 %) de cette infraction et celles âgées de 12 à 14 ans (45,6 %) prédominent.[42]
Calcul de la peine totale
[126] La peine totale de 18 ans d’emprisonnement suggérée par la procureure du poursuivant semble, à première vue, se situer au-delà du spectre des peines généralement octroyées pour des crimes à caractère sexuel. D’aucuns pourraient prétendre que des peines bien moindre ont été imposées dans des cas où il y a eu attouchement et agression physique.
[127] Dans l’ouvrage sur la peine des professeurs Parent et Desrosiers[43], ceux-ci estiment que dans les cas d’attouchement ou d’agression sexuelle pour une victime, les peines varient entre 2 ans moins 1 jour à 6 ans, avec une concentration importante entre 3 et 4 ans. Les peines entre 7 et 13 ans sont octroyées dans des circonstances particulières de violence ou comportant une gravité objective élevée. Il arrive que des peines soient imposées au-delà de cette limite, dans des cas où l’accusé doit répondre à plusieurs chefs d’attouchement ou d’agression sexuelle à l’intérieur d’un même procès, alors le juge peut ordonner en pareil cas que les différentes peines soient purgées de manière consécutive.
[128] Dans la présente affaire, l’accusé n’a pas été directement en contact physique avec les victimes. Cependant, la manipulation dont il a fait preuve, l’insistance et la nature des gestes, le nombre de victimes et les blessures psychologiques laissées par ses agissements, font en sorte que l’intrusion chez les victimes n’est pas de moindre importance et laisse pour plusieurs d’entre elles des séquelles aussi profondes. Il est très difficile de prédire ce que seront pour chacune des victimes les effets à long terme. Cependant, il est clairement reconnu aujourd’hui par une abondante littérature sur le sujet que les abus commis chez les enfants entraînent de nombreux troubles allant des difficultés relationnelles aux abus de substances.
[129] Le Tribunal procédera à établir la peine cumulative totale pour les crimes commis et en évaluera la globalité après avoir traité la question de la suramende.
Les infractions de leurre d’enfant
[130] Ces infractions sont à la base de tous les gestes posés par l’accusé affectant 64 victimes identifiées. Comme mentionné précédemment, ce type d’infraction est en constante augmentation. De plus, ces infractions se sont raffinées avec l’avancée des moyens technologiques disponibles.
[131] La preuve démontre l’importance des conséquences, tant pour les victimes directes qu’indirectes que sont les parents.
[132] Pour leurrer les victimes, l’accusé a déployé des moyens frauduleux raffinés et une manipulation importante pour s’introduire volontairement dans leur vie par l’intermédiaire des réseaux sociaux.
[133] Pour cette catégorie, la répartition des peines suggérée par la procureure du poursuivant répond adéquatement aux objectifs sentenciels recherchés, ainsi :
- Pour les infractions qualifiées de leurre simple, sans développement subséquent, impliquant 26 victimes, la peine minimale d’un an d’emprisonnement est imposée dans les dossiers suivants :
089307-149
Chef 15;
090392-155
Chefs 5, 7, 9, 11, 13, 15, 30, 32, 37, 39, 56, 58, 60, 69, 82, 89;
092302-152
Chefs 11, 13, 20, 22, 24, 35, 54, 85;
092319-156
Chef 8.
- Pour les infractions de leurre entraînant des infractions complémentaires impliquant 33 victimes, une peine consécutive de deux ans d’emprisonnement est imposée dans les dossiers suivants :
089307-149
Chefs 4, 8, 10, 17;
089332-147
Chef 3;
090392-155
Chefs 2, 21, 34, 41, 44, 46, 71, 75, 96;
092302-152
Chefs 2, 7, 15, 26, 30, 37, 42, 47, 66, 73, 79, 87, 89, 97;
092319-156
Chef 2;
096340-166
Chefs 2, 4, 6, 13.
- Pour le leurre démontrant une très grande manipulation et sur des périodes plus longues impliquant 5 victimes une peine consécutive de trois ans d’emprisonnement est imposée dans les dossiers suivants :
090392-155
Chefs 18, 26, 52, 62;
092302-152
Chef 59.
[134] Pour cette catégorie relativement au leurre d’enfant, la peine totale est un emprisonnement de six ans.
[135] Dans cette catégorie, le Tribunal inclut également les infractions de fraude et de vol d’identité qui participe directement à l’infraction de leurre pour lesquelles l’accusé est condamné à un an de prison concurrent sur chacun des chefs, soit les chefs 16 et 47 du dossier 090392-155.
Les infractions d’incitation à des contacts sexuels et à la bestialité
[136] Ces infractions vont de la simple demande à des attouchements et caresses aux seins et aux parties génitales, ainsi que de la masturbation avec des objets et de l’incitation à la bestialité et à des attouchements entre deux personnes.
[137] Il y a donc lieu de subdiviser cette catégorie en deux sous-sections, soit :
- Pour l’incitation sans suite et celle ayant entraîné des touchers à caractère sexuel, une peine consécutive d’emprisonnement de 18 mois est imposée dans les dossiers suivants:
089332-147
Chef 4;
090392-155
Chef 28, 63, 80, 84, 90;
092302-152
Chefs 3 et 80, 90;
092319-156
Chef 6;
096340-166
Chefs 11 et 15.
- Pour l’incitation ayant entraîné des touchers plus intrusifs, soit avec des objets, un animal ou entre deux personnes, une peine consécutive d’emprisonnement de 30 mois est imposée dans les dossiers suivants :
089307-149
Chefs 5, 11, 13;
090392-155
Chef 23;
092302-152
Chefs 16, 49, 51, 60, 67, 93.
[138] La peine totale pour les infractions d’incitation à des contacts sexuels est un emprisonnement consécutif de quatre ans.
Les infractions en matière de pornographie juvénile
[139] L’accusé utilisait la transmission d’images de pornographies juvéniles dans le but d’obtenir des vidéos ou des photos de la part de ses victimes. La transmission d’images pornographiques implique 17 victimes distinctes, alors que pour la production de pornographie juvénile, confectionnée à la suite de la réception des images transmises par les victimes, implique 25 victimes distinctes. Pour le Tribunal ces deux infractions participent d’une même séquence dans plusieurs cas et il n’y a pas lieu de faire de distinctions. Une peine consécutive d’emprisonnement de deux ans est imposée pour les chefs suivants :
089307-149
Chef 6;
092302-152
Chefs 4, 9;
092340-166
Chefs 8, 9, 14.
[140] Pour les chefs de possession de pornographie juvénile, une peine concurrente d’un an est imposée dans les dossiers suivants :
089238-146
Chef 1;
092302-152
Chef 39;
096340-166
Chef 10.
[141] La peine totale pour les infractions en matière de pornographie juvénile est un emprisonnement consécutif de deux ans.
Les infractions d’extorsion
[142] Cette infraction démontre jusqu’où l’accusé pouvait aller pour satisfaire son besoin de pouvoir. La menace aujourd’hui de placer sur le réseau Internet des images compromettantes dont la victime perd totalement le contrôle est rendue trop fréquente. Dans l’histoire canadienne récente, ce type de menaces a déjà entraîné jusqu’au suicide[44]. Dans la présente affaire, la preuve ne révèle pas que l’accusé ait mis sa menace à exécution, cependant les victimes devront toujours vivre avec l’incertitude et la crainte qu’un jour ces photos ressurgissent.
[143] La suggestion d’une peine consécutive totale de deux ans d’emprisonnement par la procureure du poursuivant est adéquate dans les circonstances.
[144] Pour les chefs d’extorsion, une peine consécutive de deux ans d’emprisonnement est imposée dans les dossiers suivants :
090392-155
Chefs 35, 50, 53, 66, 78, 87, 94, 97;
092302-152
Chefs 31, 40, 61, 71, 76, 98;
092319-156
Chef 5.
096340-166
Chef 7.
[145] Ainsi, la peine cumulative totale pour l’ensemble des dossiers s’élève à 14 ans d’emprisonnement.
[146] Avant d’analyser la peine globale, le Tribunal discutera d’abord la question de la suramende soumise par l’accusé.
LA SURAMENDE (art. 737(1) C.cr.)
Introduction
[147] Pour les 113 chefs d’infraction, l’accusé fait face à un montant de 19 800 $ au titre de la suramende compensatoire (la suramende).
[148] De ce montant, 17 000 $, soit l’équivalent de 85 chefs, sont obligatoires puisqu’ils traitent d’événements survenus après le 24 octobre 2013[45].
[149] L’accusé questionne la constitutionnalité du volet obligatoire de la suramende parce que cela porte atteinte à son droit à la liberté, prévu à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) et à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités prévue par l’article 12 de la Charte.
[150] Si le Tribunal ne fait pas droit à sa demande en inconstitutionnalité, il demande en second lieu de considérer l’importance du montant de la suramende dans la globalité de la peine telle que l’a souligné notre Cour d’appel dans les arrêts Cloud[46] et Chaussé[47].
[151] Le Tribunal se trouve actuellement dans une position très particulière pour traiter de cette question puisque notre Cour d’appel a entendu un pourvoi sur la constitutionnalité de ces dispositions, le 3 juin dernier dans l’affaire Boudreault[48].
[152] De plus, la ministre de la justice du Canada a déposé, le 21 octobre 2016, le projet de loi C-28[49] qui prévoit redonner au juge une discrétion pouvant exempter un contrevenant de la suramende, lorsque celui-ci convainc le tribunal d’un préjudice injustifié.
[153] À la date du prononcé de la peine dans la présente affaire, ni l’une ni l’autre de ces situations s’appliquent à l’accusé.
Questions en litige
- L’absence de discrétion pour l’imposition de la suramende obligatoire porte-elle atteinte aux droits de l’accusé prévus aux articles 7 et 12 de la Charte?
- L’application obligatoire de la suramende contrevient-elle aux principes constitutionnels de l’indépendance judiciaire et de la séparation des pouvoirs?
La preuve administrée
[154] Monsieur Francis Marcoux est percepteur des amendes depuis 17 ans.
[155] En matière criminelle, le rôle du percepteur consiste à récupérer les amendes et les suramendes imposées.
[156] Pour la suramende, le délai de paiement prévu par décret est 45 jours.
[157] Lorsque le contrevenant est détenu, le percepteur procède à la vérification de sa situation financière ainsi que sa solvabilité. Il analyse la possibilité de récupérer des sommes, soit de la caution déposée au dossier ou de biens appartenant au contrevenant.
[158] La suramende est imprescriptible. Aucun intérêt ne sera computé, seuls des frais en conformité du tarif judiciaire seront ajoutés au montant initial dû.
[159] L’objectif premier du percepteur est de récupérer l’argent et non d’incarcérer les contrevenants.
[160] Le percepteur est très patient. Dans les cas de longue détention, le dossier sera mis en veilleuse jusqu’à la fin de la peine.
[161] Chaque cas est évalué selon les revenus et la situation financière particulière du contrevenant. Il n’y a aucune limite de temps pour rembourser le montant dû. Un contrevenant peut payer jusqu’à la fin de ses jours même à raison de 10 $ par mois.
[162] Les travaux compensatoires ne seront accordés que si le contrevenant est incapable de payer. Il est possible d’exécuter des travaux compensatoires lorsqu’un contrevenant se trouve en maison de transition.
[163] Un montant de près de 20 000 $ de suramende représente réalistement plus de 500 heures de travaux compensatoires.
[164] Même dans les cas ultimes où le dossier revient devant la cour pour la demande de mandat d’incarcération, il est toujours possible à un contrevenant de renégocier les termes de paiement.
[165] Pour le percepteur, l’incarcération est véritablement le dernier recours puisque le but premier est de recouvrer les sommes dues.
[166] L’accusé présente un bilan financier négatif puisqu’il évalue son actif à 17 874 $ et son passif à 27 417 $. Il a donc un déficit d’au moins 10 000 $.
[167] L’accusé n’a pas d’enfant ni pension alimentaire à payer, il n’a aucune dette d’études.
[168] Le fait d’avoir à payer un montant important de suramende génère chez lui un certain stress puisqu’à sa sortie de prison, sa priorité serait de rembourser l’argent avancé par ses parents.
[169] Cependant, il comprend que les sommes imposées au titre de la suramende seront versées au bénéfice du Centre d’aide aux victimes d’actes criminels.
[170] Ses projets à sa sortie de prison varient selon la longueur de la peine d’emprisonnement qui lui sera imposée. Il pourrait tenter un retour aux études dans le domaine de la nutrition ou démarrer une entreprise comme une petite ferme avec l’aide de son père.
[171] Il est très conscient que son dossier étant hautement médiatisé, il lui sera difficile de trouver un emploi rémunérateur à sa sortie.
[172] Il compare le stress de la dette de la suramende comme quelque chose de désagréable ou comme un sabot de Denver. Tant que ce n’est pas payé, il ne peut pas avancer.
[173] S’il peut rembourser par les travaux compensatoires, il s’agit pour lui de la meilleure avenue envisageable, quoique cela lui enlèvera du temps pour occuper un travail rémunérateur.
[174] La procureure générale complète la preuve par le dépôt des travaux parlementaires sous-jacents à la Loi sur la responsabilisation des contrevenants à l’égard des victimes (projet de loi C-37) ainsi que par les législations des provinces canadiennes en matière d’aide aux victimes d’actes criminels.
L’absence de discrétion pour l’imposition de la suramende obligatoire porte-elle atteinte aux droits de l’accusé prévus aux articles 7 et 12 de la Charte?
Objet de la suramende
[175] La suramende compensatoire est en vigueur depuis 1989 et elle a été créée afin de fournir un soutien financier aux services provinciaux et territoriaux d’aide aux victimes d’actes criminels. Le résumé législatif du projet de loi C-37 mentionne à ce sujet :
La somme perçue au moyen de la suramende compensatoire n’est pas remise directement à la victime - elle est placée dans un fonds spécial administré par la province ou le territoire où la suramende compensatoire est imposée. Le fonds, parfois appelé « fonds d’aide aux victimes d’actes criminels », sert à dispenser des services et de l’aide à l’ensemble des victimes d’actes criminels plutôt qu’à une victime en particulier. Même si elle n’entraîne pas le versement d’un paiement direct à la victime, la suramende compensatoire est considérée comme un mécanisme permettant d’établir un lien entre la responsabilité personnelle du contrevenant et la victime contre laquelle l’infraction a été commise.[50]
[176] Au Québec, c’est la Loi sur l’aide aux victimes d’actes criminels[51] qui prévoit le Fonds d’aide où sont versées les sommes perçues par la suramende.
[177] La modification survenue en 2013 retirant la discrétion d’imposer ou non la suramende fait suite à plusieurs rapports qui ont démontré que les revenus provenant de la suramende étaient moins élevés que ce qui avait été anticipé. Une synthèse de ce constat se retrouve dans un rapport spécial de l’Ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels :
Des études ont toutefois révélé que les juges décident régulièrement de ne pas infliger la suramende compensatoire et qu’ils ne motivent pas leurs décisions. Selon une recherche menée au Nouveau-Brunswick par le ministère de la Justice en 2005-2006, dans 99 p. 100 des dossiers examinés où l’amende n’avait pas été infligée, aucun document n’indiquait que le délinquant avait démontré « de façon satisfaisante qu’une suramende compensatoire fédérale lui causerait un préjudice injustifié ». Sans surprise, les recettes escomptées qui devaient être générées par l’infliction automatique de la suramende compensatoire fédérale ne se sont pas réalisées. Ces conclusions correspondent de manière générale à celles d’études semblables menées en Colombie-Britannique et en Ontario.[52]
[178] L’Ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels recommande de « (D)oubler le montant de la suramende compensatoire fédérale et la rendre obligatoire dans tous les cas sans exception. »[53].
[179] Il s’agit exactement de la solution retenue par le législateur et qui a conduit à la modification législative entrée en vigueur le 24 octobre 2013.
[180] Cette modification s’inscrit dans une volonté claire du législateur de placer la victime au centre du système de justice criminelle. Dans la foulée de cette modification à la suramende survient également en juillet 2015, l’entrée en vigueur de la Charte canadienne des droits des victimes[54].
[181] Il s’agit d’un véritable changement de paradigme obligeant les tribunaux, particulièrement au moment de l’imposition de la peine, à analyser la situation non pas exclusivement sous l’angle du contrevenant mais en considérant la réalité des victimes d’actes criminels.
[182] L’absence de discrétion d’imposer ou non la suramende suscite plusieurs questions au sujet de l’adéquation de cette mesure pour un juge qui voit défiler devant lui chaque jour des dizaines de contrevenants, entre autres :
- lorsque les infractions sont sans liens avec des victimes comme dans les cas de liberté illégale, de non-respect des conditions de remise en liberté ou de probation, etc.;
- lorsque le calcul fondé sur les chefs d’infraction devient, dans certains cas, disproportionné, sans que le juge puisse intervenir;
- l’absence de considération des capacités de payer du contrevenant;
- les coûts administratifs importants liés à la collecte de l’argent.
[183] Malgré ces remarques au sujet de l’application de la suramende obligatoire, est-ce que celle-ci contrevient aux articles 7 ou 12 de la Charte?
Nature de la suramende
[184] Récemment, la Cour d’appel dans l’arrêt R. c. Cloud, définit ainsi la nature de la suramende :
55. La suramende est une mesure unique, qui n'est ni une amende ni un dédommagement au sens de l'article 738 C.cr. Je suis d'accord avec la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse lorsqu'elle conclut que la suramende est unique en son genre, mais plus proche d'une mesure de dédommagement général.
56. Bref, je ne vois aucun obstacle à ce que la suramende ne soit ni une amende ni un dédommagement, mais plutôt une sanction pécuniaire, mesure autonome et originale. Bien que le législateur ait manifestement déterminé qu'elle doive être administrée à plusieurs égards comme une amende, cela ne change pas son caractère unique et sa véritable nature.
57. Cela dit, la suramende s'inscrit dans la partie du Code criminel sur la détermination de la peine et il n'y a aucune raison de croire qu'elle n'en fait pas partie. Il ne s'agit pas d'une simple conséquence indirecte de la peine comme "facteu[r] li[é] à la situation personnelle du délinquant"30, mais bien un élément à part entière de chaque peine. D'ailleurs, bien avant la réforme de la partie XXIII du Code criminel sur la détermination de la peine, en 1996, et bien avant la modification de 2013 qui rendait la suramende obligatoire, le juge devait en tenir compte.
58. Le libellé de l'article donne également une bonne indication de sa nature réelle. Je suis d'accord avec l'interprétation de l'ASLT selon laquelle l'utilisation des mots "en plus de toute autre peine qui lui est infligée / in addition to any other punishment imposed on the offender" est l'expression de la volonté du législateur que la suramende fasse partie de la totalité de la peine. Ce texte n'a guère changé depuis l'introduction de la mesure au Code criminel en 1989.[55]
(Soulignement du Tribunal)
[185] Ainsi, pour les fins du débat sur la constitutionnalité de la suramende, cette « sanction pécuniaire » participe de la peine au sens de l’article 12 de la Charte.
Principes de l’article 12 de la Charte
[186] L’accusé attaque la constitutionnalité de la suramende tant sous l’angle de l’article 7 que de l’article 12 de la Charte. La Cour suprême dans l’arrêt Lloyd, réaffirme très clairement le principe selon lequel la proportionnalité d’une peine s’analyse sous les critères de l’article 12 et non sous l’article 7 :
42. Dans l'arrêt R. c. Malmo-Levine, 2003 CSC 74, [2003] 3 R.C.S. 571, au par. 160, les juges Gonthier et Binnie statuent de nouveau que les art. 7 et 12 ne peuvent imposer des normes différentes quant à la proportionnalité de la peine :
En conséquence, existe-t-il un principe de justice fondamentale consacré à l'art. 7 qui donnerait droit à une réparation constitutionnelle lorsqu'une peine ne contrevient pas à l'art. 12? Nous ne le croyons pas. Conclure qu'une disproportion exagérée et excessive est requise pour qu'une peine porte atteinte à l'art. 12, mais qu'un degré de disproportion moindre suffit pour qu'il y ait atteinte à l'art. 7 rendrait incohérent l'ensemble des "garanties juridiques" interreliées énoncées aux art. 7 à 14 de la Charte en assignant aux art. 12 et 7 des normes contradictoires pour une même question. Un tel résultat serait selon nous inacceptable.
43. Reconnaître que la proportionnalité de la peine constitue un principe de justice fondamentale pour les besoins de l'art. 7 aurait aussi des répercussions sur les fonctions respectives du Parlement et des tribunaux. Le principe de proportionnalité offre un repère inestimable au juge soucieux d'infliger une peine juste à l'intérieur des limites que fixe le législateur. Elle ne constitue cependant pas un principe constitutionnel prépondérant qui permet au tribunal de faire abstraction des normes de sanction établies par le législateur. Ces normes ne peuvent être appréciées qu'au regard de l'art. 12.[56]
[187] L’objet de l’article 12 de la Charte est de protéger les citoyens contre les peines cruelles et inusitées.
[188] La Cour suprême du Canada a eu à se pencher à de nombreuses reprises sur l’application de l’article 12 de la Charte. La synthèse des principes applicables se retrouvent dans l’arrêt Lloyd où la cour résume ainsi l’objet et le processus d’analyse applicable :
22. (…) Une peine contrevient à l'art. 12 lorsqu'elle est "exagérément disproportionnée" à la peine qui convient, eu égard à la nature de l'infraction et à la situation du délinquant (Nur, par. 39; R. c. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045, p. 1073). Une règle de droit porte atteinte à l'art. 12 lorsqu'elle a pour effet d'infliger à l'accusé une peine exagérément disproportionnée ou que ses applications raisonnablement prévisibles infligeront à d'autres personnes des peines exagérément disproportionnées (Nur, par. 77).[57]
[189] Pour déterminer si la peine est exagérément disproportionnée, la Cour suprême requiert une analyse en deux étapes :
23. Statuer au regard de l'art. 12 de la Charte sur une disposition prévoyant une peine minimale obligatoire commande une analyse en deux étapes (Nur, par. 46). Premièrement, le tribunal doit déterminer ce qui constitue une peine proportionnée à l'infraction eu égard aux objectifs et aux principes de détermination de la peine établis par le Code criminel. Il n'a pas à attribuer à la peine ou à la fourchette de peines des valeurs précises, spécialement dans le cas d'une situation hypothétique raisonnable revêtant un degré élevé de généralité. Mais il doit considérer, ne serait-ce qu'implicitement, l'échelle générale des peines qui sont appropriées. Deuxièmement, le tribunal doit se demander si la peine minimale obligatoire le contraint à infliger une peine exagérément disproportionnée à l'infraction et aux circonstances de sa perpétration (Smith, p. 1073; R. c. Goltz, [1991] 3 R.C.S. 485, p. 498; R. c. Morrisey, 2000 CSC 39, [2000] 2 R.C.S. 90, par. 26-29; R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309, p. 337-338). Par le passé, la Cour a vu dans la proportionnalité le rapport entre la peine devant être infligée et celle qui est juste et proportionnée (voir p. ex. Nur, par. 46; Smith, p. 1072-1073). Pour simplifier, disons qu'il faut se demander si, compte tenu de la peine juste et proportionnée, la peine minimale obligatoire est exagérément disproportionnée à l'infraction et aux circonstances de sa perpétration. Dans l'affirmative, la disposition contrevient à l'art. 12.[58]
[190] Le sens d’une peine exagérément disproportionnée va plus loin qu’une peine simplement excessive. Selon la Cour suprême :
24. (…) Elle doit être "excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine", de même qu'"odieuse ou intolérable" socialement(…). Plus la variété des comportements et des circonstances qui font encourir la peine minimale obligatoire est grande, plus cette peine est susceptible d'être infligée à des délinquants pour lesquels elle est exagérément disproportionnée.[59]
[191] Ce test de la disproportion exagérée peut se refléter par le fait que la plupart des canadiens seraient consternés ou ne comprendraient pas cette peine.
[192] Est-ce que le montant de 19 800 $ de suramende que doit verser l’accusé contrevient aux principes de l’article 12 de la Charte?
[193] En ce qui concerne la première étape, « (…) le tribunal doit déterminer ce qui constitue une peine proportionnée à l’infraction eu égard aux objectifs et aux principes de détermination de la peine établis par le Code criminel (…).»[60].
[194] Le montant de la suramende dont devra s’acquitter l’accusé est sans conteste important. Ce montant étant imposé en sus d’une longue peine d’incarcération.
[195] Il est clair que l’accusé exprime le vœu qu’à sa libération de prison ou à la fin de sa peine, celui-ci puisse avoir une ardoise vide lui permettant de reconstruire sa vie, sans traîner un boulet financier supplémentaire.
[196] Dans la présente affaire, le Tribunal ne peut arriver à la conclusion que le montant de suramende imposé est exagérément disproportionné et constitue une peine cruelle et inusitée.
[197] Certes, ce montant important peut paraître excessif mais il tient compte de la nature, du nombre d’infractions et de victimes. Par ailleurs, il n’est pas automatiquement synonyme d’emprisonnement.
[198] Un citoyen ordinaire « bien informée de la philosophie des dispositions législatives, des valeurs consacrées par la Charte et des circonstances réelles de l’affaire »[61] ne considèrerait pas cette peine dans le cas de l’accusé comme incompatible avec la dignité humaine, odieuse ou intolérable.
[199] Il est facilement imaginable qu’à sa sortie de prison la situation financière de l’accusé ne sera pas reluisante et que cette dette envers la société risque de le suivre un certain temps.
[200] Cependant, la preuve démontre qu’il peut s’acquitter de la suramende sur une période de 10, 20 ou même 30 ans, sans la computation d’intérêts.
[201] De plus, il pourra effectuer des travaux dès sa libération en maison de transition et l’accusé en a la capacité.
[202] L’accusé n’est pas une personne indigente ni démunie intellectuellement, ce qui fait en sorte qu’il établit déjà des plans pour sa sortie, visant à reprendre des études universitaires ou à démarrer une entreprise agroalimentaire.
[203] Ainsi, l’incarcération à défaut de paiement, est l’ultime recours. À ce moment, un juge pourra déterminer si l’accusé fournit une excuse raisonnable pour ne pas avoir acquitté les sommes dues.
[204] Pour la première étape de l’analyse, le Tribunal conclut que la suramende ne contrevient pas aux principes de l’article 12 de la Charte pour la situation particulière de l’accusé.
[205] En ce qui concerne la deuxième étape relativement aux applications raisonnablement prévisibles, le Tribunal ne voit pas l’utilité d’en traiter puisque cela ne changera rien à la situation de l’accusé; que la Cour d’appel est saisie de la question; et qu’une Cour provinciale ne peut rendre inopérante une disposition législative.
L’application OBLIGATOIRE de la suramende contrevient-elle aux principes constitutionnels de l’indépendance judiciaire et de la séparation des pouvoirs?
[206] Dans Conférence des juges de paix magistrats du Québec c. Québec (Procureur général), la Cour suprême énonce à nouveau les principes sous-jacents à l’indépendance judiciaire, soit :
31. (…) L'indépendance judiciaire est importante à la fois pour la confiance du public dans l'administration de la justice et pour la séparation constitutionnelle des pouvoirs.
32. Le principe de l'indépendance judiciaire s'applique à tous les tribunaux judiciaires. (…).
33. L'indépendance judiciaire exige trois garanties objectives : l'inamovibilité, la sécurité financière et l'indépendance administrative. Chacune de ces garanties possède une dimension individuelle et une dimension institutionnelle. La manière de respecter ces garanties varie selon le contexte. Il s'agit en définitive de déterminer si une personne raisonnable et renseignée conclurait que le tribunal bénéficie de ces garanties objectives. Ainsi, l'indépendance judiciaire existe au profit, non pas des juges, mais du public. (…).[62]
(Références omises)
[207] Selon les critères généraux énoncés précédemment, il n’y a rien dans le fait qu’un tribunal n’ait pas discrétion pour déterminer l’imposition d’une suramende qui affecte son indépendance.
[208] Ni l’inamovibilité ni la sécurité financière d’un juge sont affectés par cette mesure. En ce qui concerne l’indépendance institutionnelle relativement aux questions administratives, il s’agit de questions qui ont directement un effet sur l’exercice des fonctions judiciaires à savoir, l’assignation des juges, les séances de cour, le rôle de la cour, etc. et non la discrétion d’un juge dans l’imposition d’une peine.
[209] De plus, notre Cour d’appel dans R. c. Perry[63] a clairement énoncé le principe selon lequel le législateur peut restreindre le pouvoir discrétionnaire des juges en matière d’application des peines.
[210] En l’absence de l’inconstitutionnalité de la mesure et même si un tribunal peut se désoler et croire que le législateur fait fausse route, il s’agit d’un choix qui appartient au législateur et qui ne peut être mis en question par les juges dans la mesure « où ce choix, comme c'est le cas en l'espèce, ne viole pas les droits constitutionnels des contrevenants. »[64].
[211] Ainsi, le Tribunal en arrive à la conclusion que dans le cas précis de l’accusé, le montant de suramende compensatoire imposé ne porte pas atteinte à ses droits constitutionnels.
CONCLUSION
[212] La peine cumulative totale d’un emprisonnement de 14 ans dépasse-t-elle la culpabilité globale de l’accusé? L’article 718.2c) du Code criminel prévoit l’obligation d’éviter l’excès de durée (unduly long) dans l’inflexion de peines consécutives.
[213] Comme mentionné précédemment, l’accusé porte une blessure profonde à la base de sa déviance sexuelle et l’ayant conduit à commettre ses crimes. Cependant, le Tribunal reconnaît les efforts entrepris par l’accusé pour tenter de régler son problème. Il en va de même pour les différents facteurs atténuants énoncés précédemment dont sa prise de conscience sérieuse et sa collaboration, entre autres en enregistrant des plaidoyers de culpabilité à la première occasion possible et en permettant d’identifier certaines victimes.
[214] La procureure du poursuivant déduit trois ans d’emprisonnement en guise de reconnaissance des circonstances atténuantes et des efforts au sujet de la réhabilitation. Le Tribunal estime que cela est adéquat et tient également compte des conséquences liées au montant de la suramende obligatoire.
[215] Par ailleurs, considérant la situation financière de l’accusé qui sera certainement peu reluisante après ce long terme d’emprisonnement, le Tribunal dispense l’accusé du paiement de la suramende pour les infractions commises avant le 24 octobre 2013.
[216] Ainsi, la peine globale est 11 ans d’emprisonnement.
[217] De cette peine, le Tribunal crédite la détention provisoire de deux années calculée à 1:5, soit trois ans.
[218] Le Tribunal impose pour l’ensemble des dossiers, une peine totale de huit ans d’emprisonnement de ce jour.
Les ordonnances connexes
[219] La procureure du poursuivant demande diverses ordonnances connexes qui ne sont pas contestées par l’accusé, sauf en ce qui a trait à la durée de l’ordonnance d’interdictions prévue à l’article 161 du Code criminel et à l’accès à Internet.
[220] L’ordonnance demandée en vertu de l’article 161 C.cr. est raisonnable dans les circonstances compte tenu des différents rapports faisant état d’un risque de récidive à plus ou moins long terme.
[221] Cependant, il appert au Tribunal que d’imposer cette ordonnance à perpétuité est indument long et ne prend pas en considération les efforts de l’accusé pour régler son problème. Une période de 20 ans à compter de sa mise en liberté est adéquate.
[222] En ce qui a trait à l’alinéa (1)d) de l’article 161 C.cr., prohibant l’utilisation d’Internet ou de tout autre réseau numérique, le procureur de l’accusé demande que cette interdiction soit modulée afin que celui-ci puisse occuper un travail légitime ou pour fins d’études.
[223] Aujourd’hui, il est presque impossible à un individu de fonctionner minimalement dans la société sans utiliser le réseau Internet pour divers besoins du quotidien. Que ce soit pour recevoir des prestations gouvernementales, s’informer des divers programmes ou trouver un emploi , la plupart de ces transactions se font maintenant en ligne. De plus, la plupart des institutions scolaires post-secondaires utilisent l’Internet pour les questions administratives et académiques.
[224] Il faut garder espoir dans la réhabilitation de l’accusé et lui permettre à l’intérieur d’un certain cadre d’avoir accès aux outils pour reprendre éventuellement une vie normale.
[225] Dans les circonstances, le Tribunal considère raisonnable de permettre l’accès à Internet pour les fins de travail et d’études.
POUR TOUS CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
CONDAMNE l’accusé à une peine globale de 8 ans de pénitencier :
450-01-089238-146 1 an sur le chef 1;
450-01-089307-149 8 ans sur tous les chefs;
450-01-089332-147 8 ans sur tous les chefs;
450-01-090392-155 8 ans sur tous les chefs sauf 1 an sur les chefs 16 et 47;
450-01-092302-152 8 ans sur tous les chefs sauf 1 an sur le chef 39;
450-01-092319-156 8 ans sur tous les chefs;
450-01-096340-166 8 ans sur tous les chefs sauf 1 an sur le chef 10.
PRONONCE une ordonnance d’interdiction de possession d’armes à feu et autres items de même nature conformément à l’article 109 du Code criminel, et ce, pour une période de dix ans.
INTERDIT à l’accusé, aux termes de l’article 161 du Code criminel, et ce, pour une période de 20 ans :
a) de se trouver dans un parc public ou une zone publique où l’on peut se baigner s’il y a des personnes âgées de moins de seize ans ou s’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il y en ait, une garderie, un terrain d’école, un terrain de jeu ou un centre communautaire;
a.1) de se trouver à moins de deux kilomètres de toute maison d’habitation où réside habituellement les victimes identifiées dans l’ordonnance ou de tout autre lieu mentionné dans l’ordonnance;
b) de chercher, d’accepter ou de garder un emploi — rémunéré ou non — ou un travail bénévole qui le placerait en relation de confiance ou d’autorité vis-à-vis de personnes âgées de moins de seize ans;
c) d’avoir des contacts — notamment communiquer par quelque moyen que ce soit — avec une personne âgée de moins de seize ans, à moins de le faire sous la supervision d’une personne que le tribunal estime convenir en l’occurrence;
d) d’utiliser Internet ou tout autre réseau numérique sauf :
- dans l’exécution d’un travail légitime et rémunéré et à la condition que l’employeur soit informé de la présente ordonnance ;
- pour les fins d’études dans un programme au sein d’une institution scolaire dûment accréditée par le Ministère de l’éducation ;
- et dans tous les cas à la condition que l’accusé permette en tout temps, à une personne autorisée expressément par l’enquêteur au dossier ou une personne désignée par la Sûreté du Québec, de procéder à l’examen du contenu de tous les ordinateurs ou autre appareil permettant l’accès à Internet qu’il possède ou utilise.
ORDONNE à l’accusé de fournir un prélèvement d'échantillons de substances corporelles aux fins d'analyse génétique, conformément à l'article 487.051 du Code criminel, sans délai;
ENJOINT à l’accusé de se conformer à la Loi sur l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, conformément aux articles 490.012(1) et 490.013(2.1) C.cr., et ce, à perpétuité;
ORDONNE la confiscation de tout le matériel informatique saisi afin qu’il en soit disposé selon la Loi, conformément à l’article 164.2(1) C.cr.
DISPENSE le paiement de la suramende dans les dossiers :
450-010-089307-149 Chefs 4, 5, 6, 8, 10, 11, 13, 15, 17;
450-01-090392-155 Chefs 41, 44, 56, 58, 60, 82, 84, 89, 90, 94;
450-01- 092302-152 Chefs 4, 9, 24, 35;
450-01-096340-166 Chefs 7, 8, 9, 10, 11.
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__________________________________ ÉRICK VANCHESTEIN, j.c.q. |
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Me Joanny Houde St-Pierre |
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Procureure du poursuivant |
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Me Jean-Guillaume Blanchette |
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Procureur de l'accusé |
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Me Marie-Ève Mayer |
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Procureure de l’intervenante |
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Dates d’audience : |
30, 31 mars, 1er avril, 26 et 27 juillet 2016
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[1] 450-01-089238-146, 450-01-089307-149, 450-01-089332-147.
[2] R. c. Cloud, 2016, QCCA 567; Chaussé c. R., 2016 QCCA 568.
[3] Évaluation spécialisée en délinquance sexuelle du 1er mars 2015, p. 8 et 9.
[4] Pièce S-2, p. 2.
[5] Id., p. 54.
[6] Précité, note 3, p. 2.
[7] Id.
[8] Id., p. 12.
[9] Id., p. 5.
[10] Id., p. 6.
[11] Id., p. 7 et 8.
[12] Id., p. 10 et 11.
[13] Id., p. 12.
[14] Complément de l’évaluation spécialisée en délinquance sexuelle du 18 décembre 2015, p. 3.
[15] Rapport présentenciel spécifique du 30 décembre 2015, p. 4.
[16] Pièce SD-1.
[17] Id.
[18] Précité, note 14, p. 5.
[19] Expertise psychiatrique du 12 janvier 2015, p. 11.
[20] Id., p. 9 et 10.
[21] Expertise psychiatrique complémentaire du 3 décembre 2015, p. 5.
[22] 2015 QCCA 1774.
[23] R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, paragr. 1.
[24] Id., paragr. 12.
[25] 1998 CanLII 12722.
[26] 2014 QCCA 1673.
[27] Id., paragr. 25.
[28] 2012 QCCQ 9173.
[29] 2010 QCCQ 7926.
[30] 2014 QCCQ 5233.
[31] 2013 ABPC 116.
[32] R. v. Mackie, 2014 ABCA 221, paragr. 20.
[33] 2008 ABCA 129.
[34] 2016 SKCA 32.
[35] Id., paragr. 23.
[36] Précité, note 22, paragr. 37.
[37] Id., paragr. 38.
[38] Id., paragr. 30.
[39] Hugues Parent et Julie Desrosiers, « La peine », Traité de droit criminel, Tome 3, Montréal, Éditions Thémis, 2012, page 350, paragr. 351.
[40] 2013 QCCA 7, paragr. 35 et 36.
[41] [2009] 3 R.C.S. 551, paragr. 25.
[42] Infractions sexuelles au Québec, Faits saillants 2014, Statistiques du Ministère de la sécurité publique, p. 26.
[43] Précité, note 39.
[44] Voir Suicide d’Amanda Tood, https://fr.wikipedia.org/wiki/Suicide_d’Amanda_Todd.
[45] Date d’entrée en vigueur de l’abrogation de la discrétion judiciaire de dispenser un contrevenant de la suramende, L.C. 2013, c. 11, art. 3.
[46] R. c. Cloud, précité, note 2.
[47] Chaussé c. R., précité, note 2.
[48] R. c. Boudreault, no° 500-10-006031-155.
[49] Loi modifiant le Code criminel (suramende compensatoire), projet de loi no° C-28 (1re lecture - 21 octobre 2016), 1re sess., 42e légis. (Can.).
[50] Résumé législatif, Loi sur la responsabilisation des contrevenants à l’égard des victimes, projet de loi no° C-37, p.2.
[51] Loi sur l’aide aux victimes d’actes criminelles, RLRQ, c. A-13.2.
[52] Rapport spécial du Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels - Réorienter la conversation - Comment recentrer le système de justice du Canada pour mieux répondre aux besoins des victimes d’actes criminels, 2012, p. 25.
[53] Id., p. 28.
[54] L.C. 2015, c.13.
[55] Précité, note 2, paragr. 55 à 58.
[56] R. c. Lloyd, 2016 CSC 13, paragr. 42 et 43.
[57] Id., paragr. 22.
[58] Id., paragr. 23.
[59] Id., paragr. 24.
[60] Id., paragr. 23.
[61] R. c. St-Cloud, 2015 CSC 27, paragr. 87.
[62] Conférence des juges de paix magistrats du Québec c. Québec (Procureure générale), 2016 CSC 39, paragr. 31 à 33.
[63] 2013 QCCA 212, permission d’appel refusé.
[64] Id., paragr. 152.
AVIS :
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