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Michaud c. Directeur général des élections du Québec |
2016 QCCS 3936 |
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JS1327 Chambre criminelle et pénale |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-36-007815-155
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DATE : |
LE 21 JUIN 2016 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE MICHAEL STOBER, J.C.S. |
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YVES MICHAUD |
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Appelant |
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c. |
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LE DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ÉLECTIONS DU QUÉBEC |
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Intimé |
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JUGEMENT RENDU ORALEMENT * |
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*Les parties ont été avisées que ce jugement écrit suivrait. |
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[1] L’appelant a été accusé de l’infraction suivante :
À Montréal, le ou vers le 25 août 2012, pendant la
période électorale précédant les élections générales provinciales du 4
septembre 2012, a fait paraître une publicité dans le quotidien Le Devoir,
dont le contenu défavorisait l’élection de candidats en lice, alors qu’il
n’était pas l’agent officiel d’un parti ou d’un candidat ou la personne
désignée par celui-ci, contrevenant ainsi à l’article
[2] Le 18 septembre 2015, l’appelant subit son procès devant le juge Pierre Fortin (J.C.Q.).
[3] Dans un jugement oral rendu séance tenante, le premier juge déclare l’appelant coupable.
[4] Le Tribunal doit décider :
(i) si l’appelant a été identifié hors de tout doute raisonnable comme étant la personne qui a fait paraître la publicité, soit en tant que l’auteur principal, soit en tant que partie à l’infraction; et
(ii) si le jugement rendu en première instance est raisonnable et appuyé par la preuve;
[5] Pour les raisons qui suivent, l’appel est accueilli.
[6] La poursuite fait entendre deux témoins : Stéphanie Ouellet, coordonnatrice en financement politique pour le Directeur général des élections, et Xavier Pigeon, responsable du crédit au journal Le Devoir.
[7] Les documents suivants sont déposés en preuve par la poursuite :
(i) Décret du gouvernement concernant la tenue d’élections générales au Québec;[1]
(ii) Liste des agents officiels;[2]
(iii) Affidavit et pièces, en liasse, émanant de la Caisse populaire d’Atwater;[3]
(iv) Publicité publiée dans le journal Le Devoir;[4]
(v) Bon de commande de la publicité;[5]
(vi) Facture du journal Le Devoir.[6]
[8] L’appelant n’offre pas de preuve en défense.
[9] Le contenu de la publicité visée par le constat d’infraction (pièce P-4) se lit comme suit :
Députés indignes d’être élus
le 4 septembre 2012.
Les députés ci-dessous ont voté une motion diffamatoire*
à l’égard d’un citoyen sans présenter des excuses.
Parti québécois (PQ)
NICOLE LÉGER
STÉPHANE BÉDARD
Coalition avenir Québec (CAQ)
FRANÇOIS LEGAULT
Parti libéral du Québec (PLQ)
JEAN CHAREST, PIERRE PARADIS, LAURENCE S. BERGMAN,
JEAN-MARC FOURNIER, HENRY-F. GAUTRIN,
FATIMA HOUDA-PÉPIN, PIERRE MARSAN, FRANÇOIS
OUIMET, GEOFFREY KELLEY, YVAN MARCOUX
*14 décembre 2000
Le coût de cette annonce a été défrayé par Yves Michaud,
ancien député de l’Assemblée nationale du Québec.
Michaud13@vidéotron.ca
[10] Cette publicité a été publiée dans le journal Le Devoir le 25 août 2012, soit pendant la période électorale précédant les élections générales provinciales du 4 septembre 2012.
[11] Au procès, l’appelant admet :
(i) que la publicité a eu lieu pendant la période électorale précédant les élections générales provinciales du 4 septembre 2012, mais n’admet pas qu’il a fait paraître cette publicité;
(ii) qu’il n’était pas, lors de cette période électorale, un agent officiel.
[12] L’affidavit et les pièces, émanant de la Caisse populaire d’Atwater contiennent la demande d’admission et d’ouverture du compte conjoint d’Yves Michaud et de Monique Michaud en date du 14 avril 1994 avec les signatures d’Yves Michaud et de Monique Michaud. Aucune adresse n’apparaît dans ces documents.
[13] L’appelant avance que :
(i) Le premier juge a erré en droit en admettant une preuve par ouï-dire quant à la procédure en place au journal Le Devoir au moment des faits reprochés à l’appelant, puisque le témoin principal de l’intimé ne travaillait pas au journal Le Devoir au moment des faits en litige;
(ii) Le premier juge a erré en droit en admettant en preuve un élément de preuve documentaire inadmissible, à savoir le bon de commande (pièce P-5);
(iii) Le premier juge a erré en fait en concluant à la culpabilité de l’appelant alors qu’aucun document produit par l’intimé ni aucun témoignage ne lie personnellement l’appelant à l’actus reus de l’infraction reprochée.[7]
[14] L’intimé maintient que le juge du procès était bien fondé en fait et en droit d’admettre en preuve les pièces P-5 et P-6 pour valoir quant à leur contenu. L’intimé plaide que l’appelant ne s’est pas opposé à leur dépôt.
[15] L’intimé plaide que la preuve présentée confirme, hors de tout doute raisonnable, l’identité de l’appelant et sa culpabilité et que le juge du procès n’a commis aucune erreur de fait ou de droit déterminante justifiant l’intervention de ce Tribunal.
[16]
Le critère qu’une cour d’appel doit appliquer pour déterminer si le
verdict d’un jury ou le jugement d’un juge du procès est déraisonnable, ou ne
peut pas s’appuyer sur la preuve, est celui de savoir « si
le verdict est l’un de ceux qu’un jury qui a reçu les directives appropriées et
qui agit d’une manière judiciaire aurait pu raisonnablement rendre »; R.
c. Yebes,
[17] Ce critère des arrêts Yebes et Corbett ne varie pas selon le fait que le procès a eu lieu avec ou sans jury; R. c. Beaudry, précité, par. 58; R. c. Biniaris, précité, par. 37.
[18]
Une cour d’appel n’est manifestement pas autorisée à intervenir pour le
simple motif qu’elle perçoit la preuve différemment. Il appartient au juge
de première instance, et non à la cour d’appel, de tirer des conclusions de
fait en matière de preuve, y compris des conclusions sur la crédibilité des
témoins; Toneguzzo-Norvell c. Burnaby Hospital,
[19] La règle de la retenue s'applique à l'égard des constatations de fait des juges de première instance, non seulement lorsque la crédibilité des témoins est en cause, quoiqu'elle puisse alors s'appliquer plus strictement, mais également à toutes les conclusions de fait tirées par les juges de première instance; Schwartz c. Canada, précité, par. 32.
[20]
Un juge de première instance est toujours dans une position
privilégiée pour apprécier la crédibilité des témoins. Il n’y a qu’une seule et
unique norme de contrôle, applicable à toutes les conclusions factuelles tirées
par un juge de première instance, soit celle de l’erreur manifeste et
dominante. Généralement, une cour d’appel ne peut réviser la décision d’un juge
de première instance dans les cas où il existait des éléments de preuve qui
pouvaient étayer cette décision; Housen c. Nikolaisen,
[21] Lorsqu'une conclusion factuelle est étayée par des éléments de preuve, modifier cette conclusion équivaut à modifier le poids accordé à ces éléments par le juge de première instance. Cependant, il n’appartient pas au Tribunal siégeant en appel de remettre en question le poids attribué aux différents éléments de preuve; Housen c. Nikolaisen, précité, par. 14, 18, 22, 23.
[22]
Une
cour d’appel modifiera les conclusions de fait du juge de première instance
seulement si elle peut relever clairement l’erreur alléguée et s’il est établi
que cette erreur a joué dans la décision; H.L. c. Canada (Procureur général),
[23] L’interprétation erronée de la preuve commande un contrôle en appel lorsqu’elle :
(i) porte sur l’essence plutôt que sur des détails;
(ii) a une incidence importante plutôt que secondaire sur le raisonnement du juge du procès;
(iii) joue un rôle capital non seulement dans les motifs
du jugement, mais encore dans le raisonnement à l’origine de la déclaration de
culpabilité; R. c. Lohrer, précité, par. 2; R. c. Sinclair,
[24] Le juge du procès qui ne se trompe pas quant à la preuve admise au procès, mais qui arrive à un verdict par un raisonnement illogique ou irrationnel, commet une erreur visée par R. c. Beaudry, précité, par. 58, 77-80, 97; R. c. Beaudry, précité, par. 58, 77-80, 97; voir aussi R. c. Sinclair, précité, par. 15-16; R. c. R.P., précité; par. 28-29.
[25]
Une cour d’appel est justifiée
d’intervenir si le juge du procès a omis
d'apprécier des éléments de preuve pertinents; Harper c. La Reine,
[26] Le juge de première instance a dit :
[…] Et la chronologie des événements ne peut pas porter à d’autres conclusions raisonnables, parce que (sic) il y a quand même plusieurs documents qui ont été déposés, là, puis il y a une chronologie, que je m’y retrouve, là. […] Alors ce qu’il faut démontrer, c’est que c’est le défendeur qui a placé cette annonce-là. Que la personne qui a reçu la commande de monsieur Pigeon ne soit pas assigné à la Cour ou que la personne qui est assignée à la Cour était pas celle qui a reçu la commande, c’est pas…ça tue pas la thèse de la poursuite et quant à moi, ça n’affaiblit pas sa preuve, parce que les documents qui ont été déposés ont été vérifiés par le témoin Pigeon dans les systèmes du Devoir, et il a confirmé que tous les documents qui émanent du Devoir, le bon de commande et la facture, sont en tout point conformes, en tout cas les documents déposés sous P-5, P-6 sont en tout point conformes à ce qui existe dans le système informatique du Devoir. […] [8]
[27]
Le juge du procès devait déterminer si l’appelant a fait paraître
l’annonce, et non pas si une telle hypothèse était plausible parce que bien des
scénarios tous aussi logiques et raisonnables peuvent être également plausibles.
La preuve aurait possiblement été suffisante pour contrer une requête pour
verdict dirigé (non-suit). Par contre, l’évaluation est différente dans un
procès où la poursuite doit faire une preuve des éléments hors de tout doute
raisonnable. En l’espèce, est-ce que le juge des faits agissant d’une manière
judiciaire pouvait raisonnablement parvenir à la conclusion que le cumul de ces
circonstances démontrait, hors de tout doute raisonnable, la culpabilité de
l'appelant à l'égard de chacun des éléments constitutifs de l’infraction dont
il était accusé? Pinard c. R.,
[28] Un examen de certains éléments de la preuve s’impose.
[29] L’annonce publicitaire en question a été payée par un chèque provenant du compte de banque en question et signé Monique Dupuis. Le montant a été retiré de ce compte. Une inscription sur le chèque indique : « annonce affaire Michaud ». Le juge de première instance a conclu que la signature de Monique Michaud sur le chèque « semble correspondre avec celle de l’autre titulaire du compte, madame Monique Michaud ».[9]
[30] Le témoin Xavier Pigeon ne travaillait pas au Devoir au moment des événements.
[31] Selon monsieur Pigeon, le nom et l'adresse d’Yves Michaud se trouvent sur le Bon de commande de la publicité. Il dit que le bon de commande « est toujours soumis au client avant la publication...est toujours signé par le client ». Il témoigne que si le bon de commande n’est pas signé, l’annonce ne « sera pas publiée ».[10] Monsieur Pigeon indique :
Ce document-là était en possession d’une représentante en deux mille douze (2012), cette représentante-là ne travaille plus au Devoir. J’ai fait beaucoup de recherches à savoir s’il y avait possibilité qu’on retrouve les demandes de publication originales, malheureusement, j’ai pas été en mesure de mettre la main sur ces documents-là.[11]
[32] Donc, Le Devoir n’a plus le bon de commande signé par la personne qui a commandé l’annonce parce que la représentante au dossier en 2012 ne travaille plus au Devoir. Une copie signée n’est pas en preuve non plus. Monsieur Pigeon témoigne que c’est cette représentante qui « aurait eu les contacts avec le client […] pour passer à travers les diverses étapes […] ».[12] Il ne connaît pas son nom et n’a « jamais eu de contact avec elle ».[13] Le Tribunal souligne, par contre, que le bon de commande en date du 25 aout 2012 indique « Représentant : Elimam, Amel ».[14]
[33] Nonobstant l’absence de la signature et en faisant référence au témoignage de monsieur Pigeon, le juge du procès a dit :
Il a quand même indiqué, de façon fiable et crédible, au Tribunal, que malgré ce fait, une annonce n’aurait pu être placée dans le journal sans que ce bon de commande là soit signé, parce que c’est le contrat avec le client. Alors le Tribunal ne peut donc que constater que quelque part, ce bon de commande là a dû être signé par le placeur d’annonce, monsieur Michaud, avant que l’annonce ne paraisse. […][15]
[34] Monsieur Pigeon ne faisait pas affaires avec l’appelant et n’a pas été impliqué dans la publication de l’annonce en question. Malgré ses recherches, monsieur Pigeon n’a pu trouver ce document signé.
[35]
Monsieur Pigeon décrit la procédure en place depuis son arrivée au Devoir
en octobre 2014. Il ne peut décrire la procédure en place en 2012 et ne peut
confirmer quelles vérifications ont été faites à ce moment-là en ce qui
concerne la personne qui demande l’annonce et le lien avec le paiement. Par
conséquent, monsieur Pigeon ne peut confirmer quelles mesures ont été prises en
2012 afin d’éviter une demande pour une annonce par une personne qui donne le
nom et l’adresse d’une autre personne. Même la poursuite admet qu’il n’y a pas
de preuve à ce sujet. De plus, ni monsieur Pigeon ni aucun autre témoin ne
peuvent confirmer que la signature sur le chèque est vraiment la signature de
Monique Michaud ou que l’appelant Yves Michaud a fait paraître l’annonce. Selon
la preuve, il se peut aussi que madame Michaud elle-même ait fait paraître
l’annonce à l’insu de l’appelant ou qu’elle ait payé les factures à la suite d’une
commande faite par une tierce personne, sans qu’elle le sache, en croyant que
la facture était correcte; voir R. c. Marc,
[36] Le Tribunal souligne qu’aucun témoin n’identifie l’appelant, Monique Michaud ou leurs signatures, et qu’aucune preuve d’expertise d’écriture n’a été présentée.
[37] La facture du journal Le Devoir datée du 25 août 2012 contient une inscription manuscrite « Facture impayé (sic)».[16] La preuve ne fournit pas d’explication. Monsieur Pigeon ne l’explique pas. L’avocate de la poursuite indique au juge du procès qu’elle sait qui a mis cette inscription, mais qu’elle ne peut présenter une preuve sur ce point.[17] Le juge reconnaît que personne n’a pu l’expliquer, mais il imagine que c’est parce que la facture est datée du 25 août 2012, et que le chèque daté du 20 octobre 2012 a été encaissé le 25 octobre 2012.
[38] L’adresse d’Yves Michaud sur le bon de commande en date du 25 août 2012 est :
[...]
Mont St-Hilaire, QC
[...] [18]
[39] L’adresse d’Yves Michaud sur la facture en date du 25 août 2012 est :
[...]
Montréal, Qc, [...] [19]
[40] Le juge du procès conclut également que la signature de l’appelant sur son plaidoyer de non-culpabilité « ressemble drôlement à celle qui apparaît à la demande d’ouverture du compte conjoint ».[20] On ne peut inférer de cette dernière conclusion que l’appelant a contracté avec Le Devoir.
[41] Bien que l’appelant ait donné suite à une sommation signifiée à la même adresse qui apparaît sur la facture, ce n’est pas nécessairement lui qui a fait paraître l’annonce.
[42] Après étude du dossier du procès, le Tribunal est d’avis que la preuve admise et acceptée par le juge de première instance n’identifie pas l’appelant, hors de tout doute raisonnable, comme la personne qui a fait paraître l’annonce.
[43] En l'espèce, le Tribunal siégeant en appel ne donne pas une opinion différente sur des conclusions de fait dans les cas où il existait des éléments de preuve qui pouvaient étayer ces conclusions. De plus, le Tribunal n’intervient pas quant aux conclusions sur la fiabilité et la crédibilité des témoins.
[44] En décidant que l’appelant est la personne qui a fait paraître l’annonce, le Tribunal conclut que le juge de première instance a tiré une inférence ou une conclusion de fait qui n’est pas appuyée par la preuve. Par conséquent, le verdict est déraisonnable.
[45] Le Tribunal conclut que, considérés dans leur ensemble, les motifs du jugement de première instance ne se prêtent pas suffisamment à l'examen en appel.
[46] Considérant les conclusions du Tribunal, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres questions en litige.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[47] ACCUEILLE l’appel;
[48] INFIRME le jugement de la Cour du Québec en première instance (no 500-61-361472-138);
[49] ACQUITTE l’appelant de l’accusation portée contre lui;
[50] LE TOUT sans frais.
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__________________________________ MICHAEL STOBER, J.C.S. |
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[1] P-1.
[2] P-2.
[3] P-3.
[4] P-4.
[5] P-5.
[6] P-6.
[7] Mémoire de l’appelant, p. 4.
[8] Id., pp. 95-96.
[9] Notes sténographiques du jugement, p. 89.
[10] Notes sténographiques du procès, pp. 43-45.
[11] Id., p. 44.
[12] Id., p. 55.
[13] Ibid.
[14] P-5.
[15] Notes sténographiques du jugement, pp. 84-85.
[16] P-6.
[17] Notes sténographiques du procès, pp. 26-27.
[18] P-5.
[19] P-6.
[20] Notes sténographiques du jugement, p. 90.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.