Roy c. Mout |
2015 QCCA 692 |
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COUR D’APPEL |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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GREFFE DE
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N° : |
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(455-05-000610-019) |
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DATE : |
23 avril 2015 |
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LINDA ROY, tant personnellement qu’en sa qualité de tutrice à ses enfants Tristan et Frédérick Castonguay |
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-et- |
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HUGUES CASTONGUAY |
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APPELANTS - Demandeurs |
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c. |
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JULIE MARGARETHE MOUT |
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MARIE-JOSÉE DUPUIS |
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NANCY MCGEE |
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MARIE-JOSÉE DURAND |
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CENTRE HOSPITALIER DE L’UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL - HÔPITAL ST-LUC |
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HÔPITAL BROME-MISSISQUOI-PERKINS |
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INTIMÉS - Défendeurs |
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[1] Les appelants se pourvoient contre un jugement rendu le 16 décembre 2013 par la Cour supérieure du Québec, district de Bedford (l’honorable Line Samoisette)[1], qui a rejeté leur requête introductive d’instance, qui réclamait des dommages-intérêts totalisant 1 500 000 $ aux intimés.
[2] Pour les motifs du juge Levesque, auxquels souscrivent les juges Bouchard et Vauclair, LA COUR :
[3] ACCUEILLE l’appel pour partie;
[4] CONDAMNE les intimées Julie Margarethe Mout, Marie-Josée Dupuis, Nancy McGee et Marie-Josée Durand solidairement et les intimés Centre hospitalier de l’Université de Montréal - Hôpital St-Luc et l’Hôpital Brome-Missisquoi-Perkins « in solidum » à payer à l’appelante Mme Linda Roy, personnellement, 150 000 $ et 50 000 $ à l’appelant M. Hugues Castonguay, avec intérêts et indemnité additionnelle, à compter du 21 décembre 2001, et les dépens des deux cours.
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MOTIFS DU JUGE LEVESQUE |
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[5] Les appelants, Linda Roy, tant personnellement qu’en sa qualité de tutrice à ses fils Tristan et Frédérick, et Hugues Castonguay, se pourvoient contre la décision de la Cour supérieure du Québec[2], qui a rejeté leur requête introductive d’instance en dommages-intérêts pour un montant totalisant 1 500 000 $.
I. les faits
[6] Il me semble approprié de reproduire les paragraphes introductifs de la décision attaquée; ils exposent bien le contexte général de l’affaire :
[1] L’infiltration d’une bactérie dans le sang de la demanderesse a changé sa vie à tout jamais. Noël 1998 qui devait être annonciateur de bonheur en raison de l’arrivée du deuxième enfant du couple s’avérera un cauchemar pour la demanderesse et sa famille.
[2] La bactérie staphylococcus aureus aussi appelée staphylocoque doré, s’est logée dans l’os sacro-iliaque de la demanderesse et y a laissé des séquelles qui la limitent dans ses activités quotidiennes. La demanderesse a souffert énormément et elle ressent encore aujourd'hui de la douleur.
[3] La demanderesse Linda Roy, son conjoint Hugues Castonguay et leurs deux fils mineurs Frédérick et Tristan ont entrepris un recours en responsabilité médicale et hospitalière contre dix médecins et deux hôpitaux.
[4] Est-ce que l'un, plusieurs ou tous les défendeurs ont commis une faute ayant un lien causal avec les dommages subis par la demanderesse ? Le diagnostic de sacro-iliite postcésarienne aurait-il dû être posé plus rapidement et l’antibiotique aurait-il dû être donné plus vite et cela aurait-il permis d'éviter les séquelles? C'est là sommairement l'essentiel du litige.
[5] Durant l’audience, les parties ont déposé une admission quant à la quotité des dommages réclamés par les demandeurs si le tribunal accueillait la poursuite. Les parties se sont entendues pour un montant de 1 500 000,00 $. Toutefois, les parties ne se sont pas entendues sur le point de départ du calcul des intérêts et de l’indemnité additionnelle.
[7] L’appelante a été hospitalisée au CHUM St-Luc du 22 au 25 décembre 1998 ainsi que du 29 décembre 1998 au 23 janvier 1999. À la première hospitalisation, l’appelante a donné naissance, par voie de césarienne, à son deuxième enfant, Frédérick. C’est à cette occasion qu’une bactérie tout aussi virulente que rare, le « staphylocoque doré » (Staph aureus), s’est logée dans son organisme pour s’attaquer, dans les jours qui ont suivi, aux tissus entourant l’os sacro-iliaque et, semble-t-il, à l’os lui-même. Elle a pu quitter l’hôpital en après-midi le 25 décembre 1998, même si son état de santé, tel qu’il apparaît à son dossier médical[3], pouvait laisser entrevoir certaines inquiétudes.
[8] Compte tenu des complications qui se sont manifestées par la suite, elle a été admise à l’hôpital Brome-Missisquoi-Perkins (hôpital BMP) le 27 décembre, vers 21 h 10. Son état s’était dégradé, elle se plaignait de fortes douleurs, de frissons et d’une augmentation de sa température corporelle. L’appelante décrit cette douleur :
[83] […] comme étant interne dans le dos, elle avait une lourdeur aux jambes comme si elle avait des sabots de ciment. Le conjoint de la demanderesse aurait aimé qu'elle soit transportée à St-Luc mais les ambulanciers lui ont dit devoir plutôt la conduire à l’hôpital BMP.[4]
[9] En faisant référence à l’interrogatoire avant défense de l’appelante, le 18 juillet 2003, la juge retient le passage suivant :
[84] […]
R. Bien, c’est ça, le vingt-sept (27) au courant de la journée ça s’est détérioré jusqu’à, - je me détériorais de plus en plus puis là, c’est ça, à un moment donné la douleur était plus au niveau du dos, au niveau de la jambe puis c’est là qu’on a appelé l’ambulance puis que j’ai fait mon transfert, puis je faisais de la température. Là, j’avais commencé vraiment à faire de la température, malgré les Empracet, malgré le Tylenol, là.[5]
[10] C’est le Dr Marineau qui a reçu l’appelante à l’urgence et une dose de Demerol intramusculaire lui a été administrée pour calmer sa douleur intense. Elle a été transférée vers 23 h à l’étage d’obstétrique où elle a été sous la responsabilité de la Dre Mout. Sa température se situe alors à 37,4 oC. Le dossier médical indique que la souffrance de l’appelante pendant la nuit est intense, la note inscrite à 5 h 30 indique :
05h30 :
Douleur lombaire sacrée s’irradiant à la jambe droite. Sédation i.m. à nouveau dans le deltoïde droit. Peu soulagée par sédation. N’est pas complètement soulagée et n’est surtout pas soulagée x 3 heures.[6]
[11] À 8 h 40, la Dre Mout requiert une consultation avec le Dr De Saint-Victor, gynécologue, de même qu’avec le Dr Giroux, omnipraticien qui bénéficie alors de privilèges en anesthésie.
[12] Le Dr De Saint-Victor, qui rencontre l’appelante avant le Dr Giroux, est d’avis que celle-ci ne présente aucun problème gynécologique en lien avec la césarienne. Il ne soupçonne pas la présence d’une arthrite septique puisqu’il n’en connaît pas les symptômes.
[13] Le Dr Giroux rencontre l’appelante à 11 h ainsi que vers 18 h. À ce sujet, la juge de la Cour supérieure note ce qui suit :
[101] Le Dr Giroux a conclu qu'il n’y avait pas d’évidence que la douleur était en lien avec l’anesthésie. Le Dr Giroux voulait éliminer la présence d'un abcès péridural qui, si cela s'avérait, devrait être enlevé d'urgence pour éviter des conséquences irréversibles. Il a lui-même appelé le radiologiste à l’hôpital de Granby afin que la demanderesse subisse rapidement un scan lombaire. Le Dr Giroux n'a pas noté l’ordonnance du scan dans le dossier sauf que la demanderesse a effectivement été transférée en ambulance l'après-midi même à l’hôpital de Granby vers 14 h et sur la feuille d’impression diagnostic de l’hôpital de Granby, il y est fait mention que le scan a été fait à la demande du Dr Giroux.[7]
[14] Il convient de noter ici que, vers 13 h - 13 h 30, l’appelante voit une infirmière qui prend des échantillons pour les hémocultures requises la veille par le Dr Marineau. Les notes de l’infirmière, inscrites au dossier médical, indiquent :
11:30 Ne bouge plus jambe et orteils et pied droit. Dr Giroux avisé. Ne pas mobiliser pour l’instant donc pas radiologie. Allaite son bébé, bon allaitement.
12:00 sédation intramusculaire cuisse gauche, stable tachy 120/min. comme cela hier soir. Demande pour un scan fait par Dr Giroux. 14:00 rendez-vous.[8]
[15] L’appelante est donc transférée à l’hôpital de Granby vers 14 h le 28 décembre 1998, pour y subir un scan lombaire. À son retour, vers 16 h 30, elle est très souffrante[9].
[16] Les notes inscrites au dossier de l’appelante sont ainsi rédigées :
16h30 : retour du scan, installée au lit, souffrante, etc., visite de Dre Mout, examinée par celle-ci.
17h05 : température : 38,7ºC, Tylenol donné. Sonde urinaire en drainage libre installée. Urine fait, s’alimente à la suite, allaite son bébé. Visite du Dr Giroux.
18h15 : reçoit sédation pour douleur généralisée. Passe gaz en soirée, pas de selles… allaitement maternel se déroule bien.
23h40 : reçoit sédation pour douleur généralisée.[10]
[17] La suite des événements est bien décrite par la juge aux paragraphes [109] à [136] de sa décision[11] :
[109] Pour sa part, le Dr Giroux a pris connaissance du rapport préliminaire qui accompagnait la demanderesse à son retour de Granby. Dans ce rapport préliminaire, il était clair qu’il n’y avait pas d’hernie discale, pas de sténose du canal spinal, pas de lésion intracanalaire mise en évidence et pas d’altération des tissus mous paravertébraux. Il est à remarquer que le Dr Giroux n’a rien écrit de tout cela dans sa note de consultation, alors que cette note était pour transmettre les informations à la Dre Mout. Le Dr Giroux suggère une consultation en neurologie.
[110] Le 28 décembre, la Dre Mout a demandé une consultation en neurologie au Dr Frenette, elle écrit :
« Demande de consultation en neurologie
Consultant : Frenette
Requérant : Mout
Renseignements cliniques :
C-section 22 December 1998
Onset of severe lombalgia and right pain 26 December 1998
Worse +++ with weight bearing
CT scan 28 December 1998
On Demerol 75 q. 2 hours
Evaluation S.V.P.
? MRI »
[111] La demanderesse se plaint que dans la nuit du 28 au 29 décembre, elle n’a pas vraiment vu d’infirmière alors qu'elle a demandé de l'aide. Les notes d'infirmières se lisent comme suit à compter de minuit le 29 décembre jusqu'à son départ:
- 00 :30: sommeil léger, s’éveille,
- 3 :00 : bébé au sein avec aide;
- 3 :30 : souffrante au niveau du dos mais visage non crispé
- 3 :45 : reçoit sédatif no.7 à sa demande, allaitement non terminé, en retard positionnel
- 7 :00 :… se dit souffrante attend de savoir quand viendra Dr Frenette, converse avec conjoint, allaitement va très bien.
- 8 :15 : à ma tournée, accuse douleur encore lombaire, état idem, dit que cette nuit chaque 2 fois dans son cas, bouge bien les orteils. Bébé amené dans la chambre, présence du conjoint, température 38,9ºC. Deux Tylenol 325 g donnés, s’installe pour déjeuner. Dr Frenette paggé. Attendons avant soulager douleur.
- 9 :35 : appel du Dr Frenette viendra plutôt à la fin de l’après-midi, patiente se bouge plus la jambe gauche que droite mais la bouge un peu…
- 10 :00 : sédation intramusculaire pour douleur lombaire, donné cuisse gauche
- 10 :30 : allaitement maternel. Visite de Dre Mout.
- Midi : état idem
- 13 :00 : transférée en ambulance à l’hôpital St-Luc
(nos caractères gras)
[112] Le matin du 29 décembre, la demanderesse souffrait beaucoup. Vers 10 h, se sentant faible, elle a cru qu'elle allait mourir.
[113] La Dre Mout a regardé les signes vitaux, les notes de l’infirmière, ainsi que les « lab works » qui étaient disponibles: l’analyse d’urine, la formule sanguine, les globules blancs et l’hémoglobine. Sa conclusion était qu’il n’y avait pas d’infection urinaire, qu'il n’y avait pas d’augmentation de globules blancs et que l’hémoglobine était basse, mais stable. Le CT scan était normal.
[114] La Dre Mout dit que c'est dans ce contexte qu'elle a appelé le matin un résident au CHUM St-Luc pour obtenir des informations d'un centre tertiaire. Elle a discuté des tests qui avaient déjà été faits et l'obstétricien-gynécologue lui a alors suggéré un scan pelvien. Il devenait nécessaire que la demanderesse se rende à Granby ou à St-Luc pour ce test. Si elle retournait à St-Luc, il y aurait possiblement une résonnance magnétique.
[115] Lorsqu’elle a visité la patiente vers 10 h 30, la Dre Mout dit avoir expliqué à la demanderesse les résultats de laboratoire et l'avoir informée qu’elle avait appelé au CHUM St-Luc et qu’elle aurait probablement besoin d’un scan « abdomen and pelvis ». Elle lui aurait donc donné le choix : aller à St-Luc et revenir ou rester à St-Luc.
« R. : (…) I explained to them that the obstretrical resident from St-Luc had suggested a further CT scan of the abdomen and pelvis. I explained that this would involve from the Cowansville Hospital another transfer to Granby by ambulance involving a transfer of at least 3½ hours including the transfer time. I also explained to her that there was also the possibility of returning her to St-Luc for the same investigation and for future investigations necessary including possibly an MRI which would be available there, a nuclear medecine test which would be available there and it was in this context that the patient agreed to be transfered to St-Luc.
Q. : Now, Dre Mout, Mr Castonguay has testified to the effect that you wanted her to be transfered to St-Luc for an MRI but insisted that she return to the Brome-Missisquoi-Perkins Hospital, what are your comments in this regard?
R. : No, that is incorrect. Once the patient is, would, had been transfered to St-Luc, we, there would be no indication to have her retransfered back to Cowansville. »
[116] Le neurologue, le Dr Frenette quant à lui, allait à l'hôpital BMP en consultation une à deux fois par semaine et était disponible pour des urgences. Il avait avisé qu'il irait voir la demanderesse en fin d'après-midi.
[117] Pour la demanderesse, il était clair que si elle se rendait à St-Luc, elle y resterait et qu’elle ne reviendrait pas parce qu'elle ne se sentait pas prise au sérieux à l'hôpital BMP.
[118] La Dre Mout affirme tout d’abord que le transfert au CHUM St-Luc a été son idée après avoir discuté avec le médecin de l'endroit et que c'est elle qui a fait les démarches pour le transfert à St-Luc. Par la suite, son témoignage à cet égard devient un peu plus flou.
[119] Les demandeurs soutiennent au contraire que c'est le conjoint de la demanderesse qui a communiqué directement avec le Dr Beauregard au CHUM St-Luc parce qu'il le connaissait du temps où il y avait travaillé. Le demandeur affirme que devant la situation critique, le Dr Beauregard a accepté le transfert.
[120] Quoi qu’il en soit, la demanderesse a effectivement été transférée en début d’après-midi au CHUM St-Luc. La demanderesse a quitté l’hôpital BMP vers 13 h pour être transférée au CHUM St-Luc.
3.4 Du 29 décembre 1998 au 23 janvier 1999 : 2e hospitalisation au CHUM St-Luc :
[121] La demanderesse a été admise au CHUM St-Luc le 29 décembre 1998 à 14 h 10 et l’admission a été acceptée par le Dr Beauregard. Sur la feuille « évaluation initiale soins infirmiers », il est écrit pour raison de l'admission :
« transfert Cowansville accepté par Dr Beauregard mais doit être vue par omni, scan lombaire L1 S1 négatif. Douleur spasme dorsal +++. Bouge jambe droite faiblement et gauche ok ».
[122] Plus loin, on peut lire les signes vitaux suivants: Tº 37,5º, pression artérielle 133/76. Quant à la douleur au site dorsale, l'intensité est de 10/10.
[123] C’est la Dre Vézina qui l’a reçue à l'urgence. À ce moment-là, les résultats d’hémocultures prises le 28 décembre à l’hôpital BMP étaient disponibles et le résultat positif mettait en évidence une infection. La Dre Vézina a demandé une consultation en gynécologie et en anesthésie ainsi qu’un RNN de la colonne lombaire.
[124] À 15 h 15, la demanderesse a été vue par un gynécologue, le motif de la consultation était : « lombosciatalgie postépidural ».
[125] En après-midi, l’échographie pariétale et pelvienne a été effectuée :
« Opinion : l’ensemble du tableau pourrait être compatible avec une hépatite. À corroborer avec les signes biochimiques. Échographie pariétale : j’ai regardé tout au long de la plaie. Il n’y a pas de zone franche d’abcès. Un peu de liquide y est encore présent mais d’allure réactionnelle. Échographie pelvienne : examen fait malgré la vessie vide. Cet examen montre un utérus latéro-dévié à gauche discrètement. Augmente de volume, donc non complètement involué dont les dimensions approximatives sont de l’ordre de 10 x 10 x 17 cm (…)» Aucune anomalie donc significative compte tenu du contexte clinique n’a été trouvée. »
[126] L'antibiothérapie a été administrée à la demanderesse vers 19 h le 29 décembre, soit avant que le diagnostic spécifique soit précisé.
[127] À 20 h, un anesthésiste a rencontré la demanderesse. Son opinion :
« hernie discale probable L1 L2 sans aucun rapport avec l’anesthésie rachidienne. Pourrait bénéficier en phase aiguë d’analgésie épidurale avec anti-inflammatoire si la patiente accepte. Revoir au besoin. »
[128] À 21 h, une résonnance magnétique de la colonne lombosacrée a été faite. Renseignements cliniques à ce moment : « abcès de la colonne lombaire ». L’opinion du médecin : « discopathie L5-S1 avec petite hernie discale postérieure paramédiane droite. »
[129] Le lendemain 30 décembre, il y a eu une consultation en chirurgie biliaire à 8 h 20 à la demande du gynécologue, et ce, en raison de cholelithiases démontrées par l’échographie de l’abdomen. Le médecin a conclu qu’il n’y avait pas d’évidence que la patiente soit symptomatique de ces cholelithiases et qu’il n’y avait aucune évidence clinique de cholecystite.
[130] Le 30 décembre à 10 h, le neurologue, le Dr Ledoux a rencontré la demanderesse. Dans son anamnèse, il écrit :
« (…) la patiente raconte que le 26 en soirée, début soudain d’une douleur lombaire paravertébrale droite… »
[131] Il se questionne à savoir si cela peut être une sacro-iliite. Il demande alors une radiographie des articulations sacro-iliaques et une cartographie osseuse. C'est la première fois que la possibilité de sacro-iliite est évoquée. Le Dr Ledoux demandera une consultation en microbiologie. Les renseignements cliniques et motifs de la demande : « ? sacro-iliite infectieuse post-partum ».
[132] La radiographie des articulations sacro-iliaques faite le 30 décembre à 10 h 55 révèle :
« Ostéosclérose affectant essentiellement le versant iliaque des 2 articulations sacro-iliaques sans évidence d’altération de la lumière articulaire proprement dite. L’aspect est fortement suggestif d’une ostéite iliaque condensante. Pas d’anomalie décelable par ailleurs. »
[133] Une scintigraphie osseuse a été effectuée vers 11 h 10. L’impression du médecin est :
« L’ensemble du tableau est compatible avec une sacro-iliite. De par la présence d’un processus infectieux adjacent à cette région, le diagnostic est compatible avec une sacro-iliite infectieuse. Une scintigraphie au gallium n’a pu être réalisée vu que la patiente voulait allaiter son enfant. »
[134] À 15 h 30, dans les notes d’évolution en gynécologie, il y est écrit :
« a été vue par la neuro, suggère une origine sacro-iliaque probable (…) Rx articulation sacro-iliaque démontre ostéite à droite (…) Sera vue par microbio ce jour rhumato demain. »
[135] Le 30 décembre en après-midi, la Dre Gaudreau microbiologiste-infectiologue a rencontré la demanderesse. Après avoir noté plusieurs informations, son impression diagnostic est :
« arthrite sacro-iliaque droite à staph aureus avec septicémie à staph aureus. Origine x : cathéter, épidurale, césarienne, autres. »
[136] Une fois le diagnostic confirmé, la demanderesse a reçu les soins requis. Les antibiotiques débutés le 29 décembre ont dû être ajustés par la suite. Un « picc line » a été installé pour recevoir ses antibiotiques le 18 janvier 1999. La demanderesse a reçu son congé final le 23 janvier 1999, soit plus d'un mois après son accouchement.[12]
[soulignements dans l’original] [accentué dans l’original] [références omises]
II. la procédure introductive d’instance
[18] Les appelants ont produit au dossier, le 25 janvier 2013, une déclaration précisée ré-réamendée. Pour une meilleure compréhension de la décision rendue en Cour supérieure ainsi que de mon analyse, je crois utile de reproduire certaines allégations :
1. En décembre 1998, la demanderesse Linda Roy a subi à l’Hôpital St-Luc une césarienne qui s’est compliquée d’une grave infection au staphylococcus aureus non diagnostiquée à temps, ni à St-Luc du 22 au 25 décembre 1998, ni à l’Hôpital Brôme-Missisquoi-Perkins du 27 au 29 ;
2. Cette infection a causé des dommages permanents à l’articulation sacro-iliaque droite laissant madame Roy grandement handicapée ;
[…]
4. Les défendeurs solidaires exercent à l’intérieur du réseau de la Santé du Québec une activité économique organisée consistant dans la prestation de services médicaux et hospitaliers ;
[…]
6. Le 25 décembre 1998, (…) Nancy McGee, un externe de première année, signe une note mentionnant que madame Roy « va bien .. bonne évolution …congé ce jour à signer », tel qu’il appert de la page 245 du dossier médical de madame Roy auprès de l’Hôpital St-Luc, pièce P-1 (…) ;
[…]
8. Cependant, contrairement à ce que l’Externe McGee écrit, les 24 et 25 décembre la condition de Mme Roy s’est dégradée et est médicalement alarmante ;
[…]
9. Ainsi, la réalité est que madame Roy est anormalement souffrance les 24 et 25 décembre 1998 de même que tachycarde et dyspnéique si bien que sa condition médicalement inquiétante commandait le maintien de son hospitalisation et un suivi serré ;
[…]
13. La condition de madame Roy est rendue telle, le 27 décembre 1998, qu’elle doit être admise d’urgence à l’Hôpital Brôme-Missisquoi-Perkins ;
[…]
16. Malgré l’état de souffrance très important de la patiente, malgré une tachycardie à 120 et malgré une ordonnance du médecin de l’urgence de surveiller de très près la température, aucune prise de température n’est effectuée de toute la nuit ;
[…]
21. Le Dr Mout consulte un autre médecin, le Dr Giroux, anesthésiste, qui suggère une consultation en neurologie ;
22. Celle-ci n’est pas faite ;
23. Ce médecin effectue un examen, mais n’ordonne aucun traitement et en particulier aucune antibiothérapie n’est prescrite ;
24. Le Dr Mout consulte aussi en obstétrique où le Dr De St-Victor, lui aussi, suggère de consulter en neurologie ;
25. Cela n’est pas fait et aucun traitement, et en particulier aucune antibiothérapie, n’est prescrite ;
26. Il n’y aura pas non plus de prise de température à 22H00 malgré prescription au dossier ;
27. Autrement dit, pour les demandeurs, il est clair qu’il ne se passe rien malgré l’état dramatique de Mme Roy, que médecins et personnel ont abandonné Mme Roy à son sort et c’est la perception de la demanderesse et de son mari que rien de concret n’était fait pour elle malgré qu’elle se détériorait et se sentait mourir ;
28. C’est alors que le 29 décembre, devant l’inaction des services médicaux et infirmiers chargés de prendre soin de son épouse à l’Hôpital Brôme-Missisquoi-Perkins, devant la souffrance de Mme Roy, devant la dégradation de son état et la perception que la mort était imminente, devant les adieux qu’elle lui fait, devant la perte de confiance dans la compétence et la volonté du personnel à traiter Mme Roy, le demandeur se résolut d’agir pour sauver la vie de son épouse et la mère de ses enfants et de faire tout en son pouvoir pour sortir son épouse de là au plus vite et l’emmener dans un autre hôpital ;
29. Il parvient à obtenir le transfert de son épouse à l’Hôpital St-Luc le jour même ;
30. Il y a bien eu une hémoculture de faite à la dernière minute à l’Hôpital Brôme-Missisquoi-Perkins le 29 décembre dans l’après-midi mais, c’est la conviction des demandeurs que c’est le transfert imminent de Mme Roy qui a provoqué les choses à cet égard ;
31. Aucune antibiothérapie n’est prescrite ;
32. À tout événement, le transfert fut autorisé par l’Hôpital Saint-Luc et madame Roy quitta l’Hôpital Brôme-Missisquoi-Perkins dans l’après-midi du 29 décembre, littéralement à l’agonie ;
33. Mme Roy est donc admise à l’Hôpital Saint-Luc le 29 décembre 1998 et cette fois est mise sous antibiothérapie dans les heures suivantes ;
34. Elle ne recevra son congé que près d’un mois plus tard, le 23 janvier 1999, avec un programme d’antibiothérapie par voie intraveineuse (cathéter picc-line) pour 3 semaines supplémentaires ;
35. De façon fort vulgarisée, faute d’antibiothérapie, la hanche de Mme Roy a été rongée par une bactérie virulente, un staphylococcus aureus et les dommages subis par cette jeune femme qu’est la demanderesse sont énormes et difficilement identifiables dans leur intégralité tant ils sont importants ;
[….]
III. LES FAUTES :
37. La période post-opératoire de la césarienne du 22 décembre à l’Hôpital St-Luc, puis du 27 au 29 décembre à l’Hôpital Brôme-Missisquoi-Perkins, fut une suite d’erreurs médicales et infirmières, chacune susceptible d’avoir causé ou contribué aux dommages subis par madame Roy ;
38. Les défendeurs solidaires ont tous commis des fautes qui sont chacune susceptible d’avoir causé les dommages, il s’opère une solidarité de par l’article 1480 du Code civil du Québec et un renversement du fardeau de preuve ;
39. De plus, tous les défendeurs solidaires ont participé à un fait collectif fautif, soit le traitement déficient de madame Roy entre le 24 et le 29 décembre 1998 car tous savaient ou auraient dû savoir que pour l’arthrite septique, un diagnostic rapide permettant un traitement précoce est un élément majeur pour éviter les séquelles articulaires définitives ;
[…]
49. Les Drs Mout, De St-Victor et Giroux à l’hôpital Brôme-Missisquoi-Perkins qui, sachant que Mme Roy venait d’avoir une césarienne, ont choisi de ne pas l’envoyer à l’Hôpital St-Luc où elle était connue et qui n’ont pas fait venir le dossier de l’Hôpital St-Luc, qui ont choisi de garder Mme Roy à l’Hôpital Brôme-Missisquoi-Perkins mais ont peu fait pour elle, qui n’ont jamais obtenu son consentement encore moins éclairé à la pauvre qualité des soins qui lui étaient prodigués, qui auraient dû constater et refuser de tolérer les omissions du personnel infirmier, qui auraient dû savoir que la patiente présentait fièvre en pics, tachycardie, grande souffrance, même paralysie de la jambe, du pied et des orteils droits, qui parlent de consultation en neurologie mais n’y donnent pas suite et qui surtout auraient dû soupçonner une infection et initier une antibiothérapie précoce ;
[Reproduction textuelle]
[19] Les parties se sont entendues, le 13 mars 2013, relativement à l’évaluation des dommages subis par l’appelante. L’admission déposée au dossier de la Cour indique particulièrement que :
- Les parties admettent que la valeur du préjudice des demandeurs est de 1 500 000,00 $ en capital (excluant l’intérêt, l’indemnité additionnelle et les dépens) de sorte que si la Cour en vient à la conclusion que les demandeurs se sont déchargés de leur fardeau de preuve sur la faute et la causalité, l’action sera accueillie pour ce montant ventilé comme suit :
o Mme Linda Roy personnellement :
[…]
§ DNP (dommages non pécuniaires) : 150 000,00 $ (Les parties feront de la preuve actuarielle et des représentations quant au moment à compter duquel ce montant est actualisé, le cas échéant.)
§ […]
o Mme Linda Roy, ès qualités de tutrice à ses enfants, Frédérick et Tristan Castonguay : dommages moraux : 40 000,00 $
o M. Hugues Castonguay : dommages moraux : 50 000,00 $
- Aucune preuve additionnelle ne sera administrée à l’exception de la preuve actuarielle portant sur les points demeurant en litige soit la computation des intérêts et de l’indemnité additionnelle de même que le concept d’actualisation des pertes pécuniaires et non pécuniaires, le cas échéant ;
- À l’exception des rapports des experts actuaires, les rapports d’expertise en lien avec les dommages ne font pas partie du dossier de la Cour ;
[…]
III. le jugement de la cour supérieure
[20] Après avoir longuement, minutieusement et précisément décrit les éléments de la preuve qui lui a été présentée, la juge rappelle la position avancée devant elle par les appelants :
[180] Les demandeurs reprochent au CHUM St-Luc ainsi qu’aux défendeurs qui y pratiquaient au moment des faits, d’avoir donné le congé à la demanderesse le 25 décembre 1998 malgré sa condition inquiétante et sans précautions ou instructions particulières.
[181] Les demandeurs soutiennent que le congé n’aurait pas dû être donné à la demanderesse puisque les signes et les symptômes de l’arthrite infectieuse étaient présents à ce moment. Plus particulièrement, les demandeurs reprochent au personnel infirmier de l’hôpital CHUM St-Luc d’avoir omis de signaler l’augmentation de la douleur à l’équipe médicale ainsi que l’inefficacité de l’analgésie.
[182] Les demandeurs allèguent que la tenue du dossier médical de la demanderesse était déficiente et qu’il y a eu omission de prendre les signes vitaux, dont plus particulièrement ceux qui n’ont pas été repris après 14 h le 24 décembre 1998, et en ce qui concerne la prise de température après 22 h le même jour.
[183] Concernant l’hôpital BMP, les demandeurs reprochent aux défendeurs qui y pratiquaient de ne pas avoir diagnostiqué la septicémie à staphylocoque doré lors de l’hospitalisation de la demanderesse du 27 au 29 décembre 1998. Le retard qui a été ainsi causé dans le diagnostic et le traitement de la condition dont souffrait la demanderesse ont entraîné la détérioration de son état de sorte qu’elle a finalement souffert d’une arthrite septique de l’articulation sacro-iliaque droite avec pyomyosite.
[184] Le personnel infirmier aurait dû mesurer de façon sériée la température de la demanderesse. Les prélèvements d’hémocultures auraient été faits plus rapidement et la demanderesse aurait commencé à être traitée plus rapidement par antibiothérapie.
[185] Plus particulièrement, les demandeurs reprochent au personnel infirmier d’avoir omis de respecter certaines prescriptions, d’avoir omis de contacter la Dre Mout alors qu’elle était en charge de la demanderesse et enfin, d’avoir été négligent au niveau de la tenue de dossier.
[186] Les demandeurs ajoutent qu’en ce qui concerne les médecins de l’hôpital BMP, chacun des médecins défendeurs a commis une faute en ne diagnostiquant pas la pathologie de la demanderesse.
[187] En somme, si la condition de la demanderesse avait été diagnostiquée et traitée en temps utile, que ce soit à l’une ou l’autre de ses hospitalisations, son infection ne se serait pas amplifiée, elle n’aurait pas eu besoin d’une si longue convalescence et ne souffrirait pas de limitations permanentes, selon les demandeurs.
[188] En ce qui concerne le montant total des dommages, il y a une admission des parties sur une somme de 1,5 million de dollars. […][13]
[21] Elle retient que les intimés soutiennent les prétentions qui suivent :
[191] Les défendeurs soutiennent que le retour de la demanderesse à la maison le 25 décembre 1998 s’est déroulé sans particularité jusqu’à la survenance, durant la soirée du 26 décembre 1998, d’une douleur subite au bas du dos.
[192] À l’arrivée de la demanderesse à l’urgence de l’hôpital BMP, 24 heures plus tard, les médecins défendeurs allèguent avoir effectué les investigations appropriées afin d’écarter les pathologies les plus probables en lien avec la condition de la demanderesse.
[193] Les défenderesses CHUM St-Luc et Hôpital BMP allèguent que leurs préposés ont agi, en tout temps, de façon prudente et diligente dans le respect des règles de l’art.
[194] Les défendeurs plaident que les dommages subis par la demanderesse ne sont pas la conséquence d’une faute commise par un médecin ou l’un des préposés du CHUM St-Luc ou de l’Hôpital BMP.
[195] Subsidiairement, si le tribunal concluait qu’il y a une faute causale, les défendeurs allèguent que l’intérêt et l’indemnité additionnelle relativement aux pertes passées doivent être calculés à partir du moment où la perte a été subie et pour les pertes futures, à compter de la date d’actualisation.[14]
[22] Ce qui l’amène à préciser comme suit les questions en litige :
[196] Les médecins défendeurs ont-ils agi en tant que médecins prudents et diligents dans le respect des règles de l’art et de leur spécialité médicale respective?
[197] Les établissements hospitaliers et leurs préposés ont-ils agi de façon prudente et diligente dans le respect des règles de l’art?
[198] S’il y a faute, existe-t-il un lien de causalité entre la(les) faute(s) commise(s) par l’un ou l’autre des défendeurs et les dommages subis par les demandeurs?
[199] En ce qui concerne les dommages, quel est le point de départ des intérêts et indemnité additionnelle, le cas échéant?
[200] Enfin, y a-t-il lieu de réserver à la demanderesse ses droits pour réclamer des dommages pour les trois prochaines années, suivant l’article 1615 C.c.Q.?[15]
[23] Lorsqu’elle se livre à l’analyse des fautes invoquées par les appelants, la juge note d’abord qu’aucune faute n’est ciblée à l’égard des soins prodigués par le CHUM St-Luc du 29 décembre 1998 au 24 janvier 1999. Il lui suffit d’évaluer la preuve afin de déterminer s’il y a une ou des fautes des intimés.
[24] La juge se livre alors à une analyse de la preuve relative à l’hospitalisation de l’appelante au CHUM St-Luc du 22 au 25 décembre 1998 et des traitements qui lui ont été donnés, pour conclure que :
[226] Quoique la césarienne se soit bien et correctement déroulée selon la preuve, le tribunal estime que la Dre Dupuis n'a pas agi en médecin prudente et diligente dans le respect des règles de l'art en signant la feuille sommaire le 23 décembre 1998, soit deux jours avant le départ de la demanderesse.
[…]
[243] Le tribunal conclut que les infirmières n’ont pas agi de façon prudente et diligente dans le respect des règles de l’art en ne prenant pas les signes vitaux de façon régulière, tel que le prévoyait l’ordonnance médicale, à compter du 24 décembre 1998 en soirée. Enfin, l'inscription de la note « apyrétique » dans la note tardive de l'infirmière Pinard ne saurait remplacer la valeur objective de la température ou l'information de la feuille graphique.
[…]
[263] Le tribunal est d'avis que l'infirmière Pinard n'a pas agi de façon prudente et diligente dans le respect des règles de l'art en omettant d'indiquer dans ses notes la raison de l'administration de l'analgésie de façon plus rapprochée, en omettant d'indiquer la raison pour laquelle elle a remis deux comprimés d'Empracet à la demanderesse et enfin, en ne décrivant pas la douleur de la demanderesse lors du changement de son état le 25 décembre à compter de 11 h 15.
[…]
[287] Le tribunal estime que l'infirmière Pinard n'a pas agi de façon prudente et diligente dans le respect des règles de l'art en omettant de signaler à l'équipe médicale le changement important dans la condition de la demanderesse ainsi que l'inefficacité de l'analgésie.
[…]
[298] Le tribunal est d'avis qu’à compter du moment où l'externe McGee a choisi de prendre elle-même la température, la tension artérielle et la respiration, elle aurait dû écrire une note complète, c’est-à-dire la valeur objective de la température ainsi que des notes sur la tension artérielle et la respiration. Conséquemment, elle n'a pas agi de façon prudente et diligente dans le respect des règles de l'art.
[…]
[321] Le tribunal est d'avis que la Dre Durand n'a pas agi de façon prudente et diligente et dans le respect des règles de l'art. Elle a signé le congé de la demanderesse la veille du départ, elle n'a pas fait d'examen le matin du 25 décembre, elle n'a pas requis la prise des signes vitaux manquants et elle n'a pas écrit l'ordonnance d'enlèvement des agrafes dans le dossier.[16]
[25] Procédant au même exercice en ce qui a trait à l’hospitalisation de l’appelante à l’hôpital BMP du 27 au 29 décembre 1998, la juge retient de la preuve :
[327] L'infirmière aurait dû faire le prélèvement d'urine prescrit par le Dr Marineau. Elle aurait également dû inscrire une note à l'effet qu'elle a donné le médicament à la demanderesse ou la raison de son refus de le prendre, le cas échéant. L'infirmière n'a donc pas agi de façon prudente et diligente dans le respect des règles de l'art.
[…]
[339] Les demandeurs allèguent également que le 28 décembre vers 14 h, l'infirmière n'a pas pris la température avant que la demanderesse quitte pour le scan à Granby, car il n'y a pas de notes à ce sujet. Elle n'a pas non plus noté l'heure de la prise des hémocultures, mais la preuve démontre que cela a été fait puisque le même jour le premier prélèvement a été reçu au laboratoire à 13 h 33 et le deuxième à 13 h 50. Les experts conviennent que suivant les normes de tenue de dossier, les informations relatives à l'heure et la prise d'hémocultures auraient dû être notées dans le dossier. Il s'agit donc d'une dérogation aux règles de tenue de dossier. À l'audience, monsieur Vaillant a tout de même soutenu que jusqu'au départ de la demanderesse pour le scan à Granby à 14 h, la conduite du personnel infirmier était adéquate.
[340] Le Tribunal estime que l'infirmière n'a pas accompli son travail de façon prudente et diligente dans le respect des règles de l'art. Elle aurait dû noter l'heure et le résultat de la prise de la température ainsi que noter l'heure des prélèvements des hémocultures.
[…]
[344] Le tribunal est d'avis que le personnel infirmier n'a pas agi de façon prudente et diligente dans le respect des règles de l'art en ne prenant pas de façon sériée les signes vitaux.[17]
[26] Elle analyse les reproches formulés à l’endroit de la Dre Mout pour en retenir que :
[353] La preuve démontre qu'un médecin prudent et diligent dans le respect des règles de l'art se serait rendu au chevet de la demanderesse après l'appel de l'infirmière. Le fait que le 28 décembre 1998 était un jour férié à l'hôpital, tel que souligné par la Dre Mout, n'a aucune incidence sur l'obligation d'un médecin de se présenter au chevet de sa patiente lorsque celle-ci est sous sa responsabilité.
[…]
[389] La preuve d'experts invite le tribunal à conclure que même si la Dre Mout s'était rendue au chevet de sa patiente après avoir été appelée le matin -ce qu'elle aurait dû faire- elle n'aurait pas pu, lors d'un examen clinique, diagnostiquer la sacro-iliite pas plus que l'arthrite septique de la hanche.
[…]
[394] Le tribunal ne retient donc pas la faute de la Dre Mout en raison du fait qu’elle n'a pas exigé la visite immédiate du neurologue.[18]
[27] La juge se consacre enfin à l’appréciation du dernier grief des appelants à l’endroit de la Dre Mout. Elle aurait commis une faute en n’administrant pas « d’antibiotique empirique par voie intraveineuse » le 28 décembre en attendant les résultats des prélèvements d’hémocultures, ce qui aurait évité des dommages à l’appelante[19].
[28] Après avoir considéré les opinions[20] émises à ce sujet par les experts Montminy[21], Beauchesne[22], Gourdeau[23] et Weiss[24] et constaté les mentions inscrites au dossier médial de l’appelante, la juge se dit d’avis :
[416] […] qu'au retour du scan de Granby après avoir effectué la deuxième partie de l'examen, la Dre Mout aurait dû, en raison de la douleur intense, de la température, du niveau élevé des polynucléaires segmentés dans les résultats de laboratoire et le jugement clinique général, être mise sur la piste d'une infection et ainsi, sans délai, administrer une antibiothérapie. Il est certain que l'allergie à la pénicilline pouvait présenter un enjeu supplémentaire, mais il existait des antibiotiques appropriés.
[417] Le tribunal est d'avis que la Dre Mout n'a pas agi en médecin prudente et diligente dans le respect des règles de l'art en n'administrant pas l'antibiothérapie après le retour de la demanderesse en fin d'après-midi le 28 décembre 1998.[25]
[29] La juge s’attaque ensuite à l’étude de la preuve en regard des fautes reprochées au Dr Giroux[26] et au Dr De Saint-Victor[27] pour conclure qu’il n’y a pas lieu de retenir quelque reproche.
[30] La juge se devait donc d’analyser ensuite la preuve pour déterminer s’il y avait un lien de causalité entre les fautes retenues et les dommages admis par les parties.
[31] Elle s’y engage en ayant à l’esprit qu’« il faut obligatoirement démontrer que la faute est la cause probable du dommage » ainsi que les enseignements de la Cour suprême. Elle écrit en effet :
[444] Récemment, la Cour suprême dans l'arrêt Ediger c. Johnston a traité du critère juridique d'appréciation du lien de causalité de la façon suivante:
« [28] La Cour a résumé récemment le critère d’appréciation du lien de causalité dans Clements c. Clements, 2012 CSC 32, [2012] 2 R.C.S. 181. Le lien de causalité est apprécié selon le critère du « facteur déterminant » (parfois désigné au moyen de l’expression « n’eût été ») : Clements, par. 8 et 13; Resurfice Corp. c. Hanke, 2007 CSC 7, [2007] 1 R.C.S. 333, par. 21-22. Le demandeur doit démontrer suivant la prépondérance des probabilités que, « n’eût été » la négligence du défendeur, le préjudice ne serait pas survenu : Clements, par. 8. « Par définition, le terme “n’eût été” suppose que la négligence du défendeur était nécessaire pour que survienne le préjudice — en d’autres mots, le préjudice ne serait pas survenu sans la négligence du défendeur » (ibid. (italiques omis)).
[29] Le lien de causalité est une question de fait (Clements, par. 8 et 13). (…) »[28]
(nos soulignements)
[référence omise] [soulignements dans l'original]
[32] En considérant d’abord les événements survenus au CHUM St-Luc, du 22 au 25 décembre 1998, la juge conclut que :
[474] La preuve prépondérante démontre que la demanderesse aurait probablement reçu son congé le même jour si l'intervention de l'équipe médicale avait été réclamée et au surplus, la preuve prépondérante établit que l'infection n'aurait fort probablement pas été découverte.
[475] Les demandeurs n’ont donc pas démontré que, suivant la prépondérance des probabilités, le préjudice subi ne serait pas survenu sans les négligences de l'infirmière Pinard.
[476] Malgré les fautes commises par la Dre Dupuis, la Dre Durand, la Dre McGee et le personnel infirmier, les demandeurs n’ont pas démontré que suivant la prépondérance des probabilités, le préjudice subi ne serait pas survenu sans ces négligences.[29]
[33] Il importe de noter que les appelants ne contestent pas cette conclusion de la juge, si ce n’est que de façon subsidiaire en regard des dommages moraux seulement.
[34] La juge s’affaire ensuite à l’étude du lien de causalité relatif aux fautes retenues à l’occasion de l’hospitalisation de l’appelante à l’hôpital BMP du 27 au 29 décembre 1998.
[35] Après avoir considéré que la preuve ne permet pas d’établir que, n’eût été les fautes du personnel infirmier de cet hôpital, le préjudice ne serait pas survenu, la juge ne retient pas leur responsabilité.
[36] Elle se pose alors la question déterminante à l’endroit de la Dre Mout :
[483] Qu’en est-il de la faute de la Dre Mout de ne pas avoir administré l'antibiothérapie le 28 décembre 1998?[30]
[37] Je crois nécessaire, compte tenu des arguments soutenus par les appelants, et pour une meilleure compréhension de la décision attaquée, de reproduire ici l’exposé des motifs de la juge en regard de la réponse à cette question qui, faut-il le rappeler, est une question de fait et non de droit :
[484] Il est admis par les experts que le staphylocoque doré est une bactérie virulente.
[485] La Dre Gourdeau affirme que plus le médecin attend pour administrer l'antibiothérapie plus il y a de risque de conséquences irréversibles.
[486] Dans son rapport la Dre Gourdeau a répondu à la question suivante:
« Si des hémocultures avaient été prélevées dans la nuit du 27 au 28 décembre 1998, quel en aurait été le résultat probable? »
[487] Elle répond dans son rapport:
« En présence d'un pic fébrile, elles auraient probablement été positives. »
[488] Or, la preuve démontre que dans la nuit du 27 au 28 décembre, il n'y a pas eu de pic fébrile. À l'audience, la Dre Gourdeau rectifie sa réponse en avançant qu'elle aurait probablement conclu à des séquelles moins importantes. Elle souligne qu'elle n'a pas pris connaissance des rapports d'experts concernant les dommages subis par la demanderesse et de toute façon, elle ne peut confirmer dans quelle mesure les dommages auraient été moins importants.
[489] Pour appuyer sa position à l'effet que l'antibiothérapie doit être administrée le plus rapidement possible, la Dre Gourdeau a référé à une étude menée sur des lapins puisque pour des raisons que l'on peut comprendre, il n'y a aucune étude semblable sur des humains. L'étude s'intitule : « The Effect of Antibiotics on the Destruction of Cartilage in Experimental Infectious Arthritis ». Il en ressort que lorsque l’antibiothérapie est administrée avant l’inoculation de la bactérie, il n’y a pas d’infection, donc pas de dommages.
[490] Cependant, lorsque les antibiotiques sont administrés au jour 1, au jour 2 et au jour 7 après l'inoculation, le résultat n'est pas le même, le chercheur allant jusqu'à conclure que les résultats sont plutôt décourageants:
« The patterns of loss of glycosaminoglycan and collagen, as shown three weeks after the onset of infection, were similar to those previously reported by two of us in that the loss of glycosaminoglycan always exceeded that of collagen. The discouraging finding was that antibiotic therapy, even if it was started one or two days after infection, had hardly any effect on limiting the losses.
Similar findings have been reported by Daniel et al., whose experiments differed from ours in that they used penicillin and arthrotomy with lavage of the joint. Their data also showed, as did ours, great decreases in levels of hexosamine and losses of lesser amounts of collagen. All of the infected animals in their study had severe destruction of cartilage when they were killed, but they were killed later (three months after the onset of infection) than our animals. »
(notre soulignement)
[491] Dans son rapport, le Dr Weiss ne traite pas des conséquences de l'administration tardive de l'antibiothérapie. À l'audience, sur le sujet de l’antibiothérapie empirique, il élabore, entre autres :
« Ben, écoutez, on peut pas présumer que d’avoir donné des antibiotiques à quelqu’un dont on avait pas encore l’étiologie précise en date du 28 décembre 98 aurait changé de façon dramatique le cours des choses et aurait diminué de beaucoup la probabilité que les complications auraient été plus grandes ou plus petites, etc. Donc, je pense que le décours des choses, la preuve c’est que l’élément le plus probant est que en date du 31 décembre 1998, le scan réalisé à St-Luc montrait une articulation sacro-iliaque en radiologie qui était normale, l’aspect de la pyomyosite montrait un infiltrat mais ne montrait pas d’abcès et ne montrait pas de collection organisée qui aurait pu dire que le processus infectieux était là depuis longtemps. Par ailleurs, madame n’a pas développé d’autres complications à distance de l’infection du staph aureus, entre autres, par exemple elle n’a pas fait d’endocardite (infection des valves du cœur), elle n’a pas eu d’autres sites d’articulation qui ont été atteints et ensemencés, elle n’a pas fait d’infection au niveau du cerveau parce que des fois ça peut donner des abcès cérébraux, donc, y’a aucune évidence que dans le décours ultérieur de l’évolution de la patiente, il y a eu une complication subséquente qui se soit rajoutée du fait qu’il y a eu un délai possible dans l’introduction de l’antibiothérapie. Donc, y’a aucune évidence d’autres articulations ont été atteintes, aucune évidence que d’autres cibles ont été atteintes, aucune évidence non plus que la sacro-iliaque a été atteinte de façon importante en date du 31 octobre avec le seul examen objectif disponible sur lequel on s’entend tous qui est le scan, et aucune évidence de collection ou d’abcès à ce moment-là au niveau du scan. Donc, je pense que ça aurait rien modifié.»
(notre soulignement)
[492] Dans sa longue réponse, le Dr Weiss ne convainc pas le tribunal qu'une antibiothérapie empirique ne saurait avoir un avantage positif en particulier lorsqu'il dit: « on peut pas présumer que d’avoir donné des antibiotiques à quelqu’un dont on avait pas encore l’étiologie précise en date du 28 décembre 98 aurait changé de façon dramatique le cours des choses et aurait diminué de beaucoup la probabilité que les complications auraient été plus grandes ou plus petites, etc. »
[493] Ici, nous sommes loin d'une négation complète de tout effet positif d'une antibiothérapie. Même si le changement n’est pas dramatique ou que les conséquences ne sont pas diminuées de beaucoup, il y a quand même quelque chose.
[494] Toutefois, de son côté, la Dre Gourdeau affirme que le bénéfice de telle antibiothérapie aurait entraîné des conséquences positives, mais elle ne peut en préciser l'ampleur, car ses propres recherches concluent à des résultats peu encourageants.
[495] La seule conclusion à laquelle le tribunal peut en arriver c'est que l'administration d'une antibiothérapie le 28 décembre aurait possiblement entraîné des dommages moindres, mais on ne le saura jamais, car les seuls tests auxquels on peut référer sont ceux sur des animaux et les résultats sont décourageants, car l'antibiothérapie débutée après l'inoculation de la bactérie « had hardly any effect on limiting the losses » donc sans effet mesurable.
[496] Le tribunal ne peut retenir une relation causale puisque la preuve est insuffisante d'une part quant à la probabilité d'un préjudice moindre, et d'autre part, la preuve est inexistante quant à l'ampleur de ce préjudice moindre, le cas échéant.[31]
[référence omise] [soulignements dans l'original]
[38] La juge a donc rejeté la requête introductive d’instance ré-réamendée des appelants.
IV. les questions en litige
[39] Les appelants estiment que la Cour doit intervenir en raison des erreurs de la juge de la Cour supérieure. Ils formulent les questions à l’étude de la façon suivante :
A) La juge de première instance a commis une erreur de droit importante en concluant à l’inexistence d’un lien causal entre l’omission de l’INTIMÉE-défenderesse Dre Julie Margarethe Mout d’administrer plus promptement une antibiothérapie et le préjudice corporel de madame Roy.
B) Subsidiairement, la juge de première instance a commis une erreur de droit importante en concluant à l’absence du lien causal entre les fautes reprochées par la juge aux INTIMÉS-défendeurs et les dommages moraux des APPELANTS-demandeurs.
L’analyse
A) La juge de première instance a commis une erreur de droit importante en concluant à l’inexistence d’un lien causal entre l’omission de l’INTIMÉE-défenderesse Dre Julie Margarethe Mout d’administrer plus promptement une antibiothérapie et le préjudice corporel de madame Roy.
[40] L’argumentation des appelants prend essentiellement assise dans les paragraphes [492] à [496] du jugement. Ils proposent l’idée que la juge retient un élément au paragraphe [493], soit en retenant le témoignage de la Dre Gourdeau qu’« il y a quand même quelque chose », et son contraire, au paragraphe [496], en décidant que la preuve n’a pas été faite du lien de causalité.
[41] Les appelants sont d’avis que la juge a commis une erreur déterminante en rejetant la conclusion de la Dre Gourdeau après avoir reconnu que celle-ci était d’avis que :
[485] La Dre Gourdeau affirme que plus le médecin attend pour administrer l'antibiothérapie plus il y a de risque de conséquences irréversibles.[32]
[42] Les intimés, d’une voix unanime, plaident qu’il appartenait aux appelants d’établir, par prépondérance de preuve, que l’administration d’une antibiothérapie, dès le 28 décembre, aurait permis d’éviter les dommages subis, ou encore de les diminuer de façon substantielle.
[43] Ils soutiennent aussi que les appelants n’ont jamais invoqué l’argument que l’introduction de la bactérie dans le sang de l’appelante, ou le fait que celle-ci se soit attaquée à l’articulation sacro-iliaque, soit un événement fautif.
[44] Ils sont d’avis que le témoignage de la Dre Gourdeau n’a pas la portée que lui consacrent les appelants, précisant que ses affirmations imprécises et non soutenues par la preuve ne peuvent, tout au mieux, que soulever des hypothèses incompatibles avec le fardeau de preuve des appelants.
[45] Les intimés ont raison de considérer que le témoignage de la Dre Gourdeau ne peut établir, selon la prépondérance des probabilités, que le préjudice subi par l’appelante aurait été moindre si l’antibiothérapie avait été administrée par la Dre Mout dès le 28 décembre en après-midi, au lieu du 29 décembre en début de soirée.
[46] D’abord, comme l’écrit la juge, la Dre Gourdeau n’avait aucune connaissance des séquelles qui ont affecté l’appelante. Ensuite, parce que le témoignage de la Dre Gourdeau, dans son ensemble, ne présente que des hypothèses qui ne peuvent rendre probables les conclusions limitées qu’elle propose. Elle en témoigne bien lorsqu’elle affirme :
R. Et dans les textes où on parle que c’est un facteur de risque de plus de sept (7) jours, on dit aussi dans le texte qu’il faut commencer le plus vite possible. Bon, le plus vite possible, vous allez me dire je ne peux donner de précision, je me base sur les données animales, mais chaque vingt-quatre heures (24) compte. Je ne peux pas en dire plus que ça effectivement.[33]
[47] Enfin, parce que le témoignage de l’expert des intimées, le Dr Weiss, ouvre une brèche importante à l’opinion de la Dre Gourdeau. Voici l’opinion qu’il émet, en répondant à une question précise de la juge :
|
INTERROGÉ PAR LA COUR : |
Q. |
Dans le scénario où les antibiotiques commencent à être administrés le vingt-huit (28) décembre plutôt que le vingt-neuf (29) décembre, est-ce que le portrait serait différent? Qu’est-ce qu’il y aurait de différent, qu’est-ce que ça aurait fait de… |
R. |
Bien, Madame la juge, je pense que ça n’aurait rien changé de façon pratico pratique. Ce qu’on sait c’est que le staph aureus, on l’a dit puis on s’entend avec docteure Gourdeau là-dessus, c’est qu’une articulation qui est attaquée par le staph aureus peut détruire l’articulation et donner des séquelles de toute façon. Donc, ça fait partie, malheureusement, des conséquences d’une arthrite septique. Mais comme j’ai dit hier, le fait d’avoir eu des examens objectifs en date du trente et un (31) qui montraient qu’on n’avait pas d’évidence majeure de destruction articulaire à ce niveau-là, et le fait qu’il n’y a pas eu d’autres articulations qui ont été ensemencées - - parce que supposons, là, qu’on était au dix-neuvième (19e) siècle et qu’on n’avait pas d’antibiotiques, qu’est-ce qui aurait pu arriver par la suite dans le décours normal des choses? Bien, ce qui serait arrivé, c’est que la bactérie aurait continué à rester dans le sang, elle aurait ensemencé d’autres articulations, elle serait probablement allée dans le coude, le genou, la colonne, elle aurait pu donner une endocardite, elle se serait, comme moi puis ma collègue on vous a déjà dit, elle se serait accrochée à des valves cardiaques, elle aurait donné une endocardite, elle aurait pu donner un abcès cérébral, et cetera. Donc, aucun de ces événements-là n’est survenu, n’est arrivé, donc il n’y a pas eu de complications subséquentes par la non-maîtrise ou le retard d’avoir administré des antibiotiques dans ce cas-ci. Puis par ailleurs, l’articulation quand elle est visualisée en date du trente et un (31), c’est une articulation qui est normale. Puis au niveau du scan qui va évaluer la pyomyosite, il n’y a pas d’évidence d’abcès, il n’y a pas d’évidence de collection, il n’y a pas eu de geste chirurgical nécessaire qui a dû être fait à l’Hôpital Saint-Luc par la suite. On n’a pas dû dire on a dû ouvrir madame pour aller drainer un abcès au niveau de l’os ou au niveau de l’articulation ou au niveau du muscle, tout s’est fait par la suite avec des antibiotiques, on a réussi à guérir le processus. Donc, ça veut dire que le processus ne devait pas être si longtemps en place que ça et le processus a été relativement maîtrisé relativement rapidement. Alors, je ne pense pas que le fait de ne…je pense que le fait de ne pas avoir administré des antibiotiques, on va dire, vingt-quatre (24) heures plus tôt, ait changé le décours de la maladie et les conséquences de l’infection chez cette patiente.[34] |
[48] Les appelants ne nous convainquent pas qu’il y a, en l’espèce, une erreur déterminante dans l’appréciation par la juge du lien de causalité[35].
[49] Ce moyen des appelants est rejeté.
* * *
B) Subsidiairement, la juge de première instance a commis une erreur de droit importante en concluant à l’absence du lien causal entre les fautes reprochées par la juge aux INTIMÉS-défendeurs et les dommages moraux des APPELANTS-demandeurs.
[50] Les appelants reprochent essentiellement à la juge de ne pas avoir distingué la nature des différents dommages lorsqu’elle a considéré le lien de causalité pour conclure, de façon univoque, qu’il n’y a pas de lien de causalité probable entre la faute et les dommages.
[51] Les appelants avancent l’idée que les dommages moraux qu’ils ont subis ont une existence qui ne dépend pas du préjudice corporel à propos duquel la juge de première instance a rejeté leur demande. Ils plaident plus particulièrement ce qui suit :
[93] En l’espèce, même s’il devait être statué que les fautes commises par les INTIMÉS-défendeurs n’ont pas causé le préjudice corporel de madame Roy, il n’en demeure pas moins que la conduite négligente de ceux-ci a causé les souffrances morales qu’ont endurées madame Roy, monsieur Castonguay et leurs deux enfants.
[94] La preuve administrée est à l’effet que les APPELANTS-demandeurs ont vécu des souffrances psychologiques considérables pendant les quatorze (14) ans qu’a duré l’instance, et ce, en raison de leur croyance justifiée que ce sont les fautes des INTIMÉS-défendeurs qui ont causé leurs dommages. Ce sont les DÉFENDEURS qui ont vécu dans le déni de leurs fautes.
[95] La juge elle-même reconnaît que les APPELANTS-demandeurs « étaient justifiés de se questionner quant à la responsabilité en raison des fautes commises lors des deux hospitalisations » (paragraphe 500 du jugement). Et il s’avère qu’ils avaient raison. Au minimum, leurs dépens devront leur être remboursés.[36]
[référence omise]
[52] Les intimés sont tous d’avis que rien dans la preuve, non plus que dans la requête introductive d’instance ré-réamendée, n’indique que Mme Roy, ses enfants ou M. Castonguay ont souffert du fait que l’antibiothérapie n’a pas été administrée le 28 décembre en après-midi. Ils précisent leur pensée en soutenant l’idée « qu’aucune preuve n’a été administrée par les appelants lors du procès » :
9. À ce titre, les INTIMÉS entendent démontrer qu’aucune preuve n’a été administrée par les appelants lors du procès sur la question des dommages moraux découlant d’une conviction que le délai de diagnostic ou de traitement aurait eu un impact sur le pronostic de Linda Roy.[37]
[53] Ils avancent aussi l’argument suivant :
11. De plus, en ce qui concerne l’admission convenue entre les parties relativement à la quotité des dommages subis, elle ne peut constituer une admission relativement à l’existence de dommages moraux, en l’absence de lien de causalité entre les fautes et le préjudice corporel de Linda Roy.[38]
L’analyse
[54] Toutes les parties intimées s’en remettent à l’appréciation des faits « relatés par la juge de première instance, aux paragraphes 6 à 136 de son jugement »[39].
[55] Les intimés réduisent toutefois la nature des dommages moraux invoqués et allégués par les appelants en les mettant uniquement en lien avec le délai couru entre le 28 et le 29 décembre en regard de l’administration de l’antibiothérapie.
[56] Cette approche m’apparaît indûment réductrice et incompatible avec la preuve administrée et retenue par la juge de première instance. Elle a conclu, à juste titre, que la preuve n’établissait pas de lien de causalité entre le préjudice physique subi par l’appelante et la faute de la Dre Mout de ne pas avoir administré l’antibiothérapie dès le 28 décembre 1998. Elle ne s’est toutefois pas prononcée spécifiquement en regard des dommages moraux réclamés par l’appelante, son conjoint et ses deux enfants.
[57] La déclaration précisée ré-réamendée, datée du 25 janvier 2013, allègue notamment que :
37. La période post-opératoire de la césarienne du 22 décembre à l’Hôpital St-Luc, puis du 27 au 29 décembre à l’Hôpital Brôme-Missisquoi-Perkins, fut une suite d’erreurs médicales et infirmières, chacune susceptible d’avoir causé ou contribué aux dommages subis par madame Roy ;
[…]
39. De plus, tous les défendeurs solidaires ont participé à un fait collectif fautif, soit le traitement déficient de madame Roy entre le 24 et le 29 décembre 1998 car tous savaient ou auraient dû savoir que pour l’arthrite septique, un diagnostic rapide permettant un traitement précoce est un élément majeur pour éviter les séquelles articulaires définitives ;
[…]
65. La famille a subi des périodes importantes d’angoisse et de stress qui ont grandement nui à leur qualité de vie ;
[…]
67. Les dommages subis par monsieur Castonguay sont importants et directement reliés aux fautes et omissions des défendeurs ;
68. Chaque période des fêtes apporte maintenant à monsieur Castonguay le pénible souvenir de son épouse souffrante et handicapée, d’échec professionnel, de ses enfants délaissés par leur mère ;
69. Par ricochet les enfants ont souffert et souffrent encore du handicap limitant de leur mère et la demanderesse réclame pour eux, ès qualités, la somme de 20 000 $ chacun ;
70. La demanderesse réclame personnellement des défendeurs, sauf à parfaire :
a) Dommages non pécuniaires, angoisse extrême, crainte d’une mort imminente, douleurs, souffrances, troubles et inconvénients, perte de jouissance de la vie : (…) |
150 000 $
|
71. Le demandeur réclame des défendeurs, sauf à parfaire, pour dommages non pécuniaires, angoisse extrême, crainte d’une mort imminente de son épouse, douleurs, souffrances, troubles et inconvénients, perte de jouissance de la vie, surcharge de tâches et responsabilités familiales : Frais de santé et de déplacements : |
50 000 $ 2 366,43 $ |
[58] Force est de constater que l’admission des parties[40] en regard du quantum des dommages, et qui est datée du 13 mars 2013, a été réalisée pendant que l’instance était en cours. Elle est faite au regard de la réclamation des appelants telle qu’elle se trouve alors et qui englobe, en les particularisant, tous les dommages que les appelants soutiennent avoir subis.
[59] Bien qu’il leur fût possible de le faire, les intimés n’ont pas jugé utile, en temps opportun, d’exiger que les dommages moraux allégués soient particularisés ou précisés, comme ils le plaident maintenant. Le reproche qu’ils formulent à l’endroit des appelants ne peut être maintenant retenu. L’admission constitue un aveu judiciaire qui est clair, sans ambigüité et non équivoque[41]. Il est bien établi que les admissions des parties constituent un contrat judiciaire qui lie le juge et les parties[42].
[60] Il convient aussi de prendre en compte que, en raison de cette admission, les appelants n’ont pas produit en preuve les rapports des experts et leur témoignage en ce qui concerne les dommages moraux. Ces rapports et témoignages ne font pas partie du dossier d’appel. L’appelante était en bonne santé au moment de son hospitalisation en vue de son accouchement. Elle a été infectée par une bactérie virulente qui, en se logeant dans son articulation sacro-iliaque, lui a laissé des séquelles importantes et douloureuses. Comme l’écrit d’ailleurs la juge, « [l]a vie des demandeurs en a été grandement affectée »[43].
[61] La juge de première instance note l’inquiétude de l’appelante lorsqu’elle écrit :
[83] Le lendemain matin, [ le 27 décembre], Tristan a développé les cadeaux emballés la veille. La demanderesse dit que la douleur était présente et qu’elle avait de la difficulté à se lever. Elle s’est couchée et a dormi durant deux à trois heures. En fin d’après-midi, elle a mangé. Vers 18 h - 19 h, la mobilisation était difficile. Elle a pris de l’Empracet, mais cela ne la soulageait pas. La douleur avait augmenté. Sa température avant la prise de sa médication était à 38,2ºC ou 38,4ºC. Après qu’elle ait pris sa médication, cela ne l’a pas soulagée. Elle respirait rapidement et elle était souffrante. Son conjoint et sa mère ont décidé d’appeler l’ambulance. Lorsque les ambulanciers sont entrés dans la maison, elle avait mal, elle pleurait. Elle décrit sa douleur comme étant interne dans le dos, elle avait une lourdeur aux jambes comme si elle avait des sabots de ciment. Le conjoint de la demanderesse aurait aimé qu'elle soit transportée à St-Luc mais les ambulanciers lui ont dit devoir plutôt la conduire à l’hôpital BMP.
[…]
[415] La demanderesse est donc demeurée souffrante toute la soirée et toute la nuit [du 28 décembre au 29 décembre]. À 18 h 15 et 23 h 40, elle a reçu une sédation pour douleur généralisée. Ses signes vitaux n'ont pas été repris en soirée. Durant la nuit, elle reçoit une autre sédation à 3 h 30 en raison de douleur généralisée. À 8 h 15, sa température a augmenté à 38,9ºC et on lui donne deux comprimés de Tylenol. À 10 h, une autre sédation intramusculaire. La demanderesse est à bout, elle n'en peut plus d'endurer cette douleur. À 10 h 30, visite de la Dre Mout. Le conjoint de la demanderesse considère que rien ne bouge et que la condition de sa femme est très inquiétante. Il a peur de la perdre et la demanderesse se sent partir…
[…]
[112] Le matin du 29 décembre, la demanderesse souffrait beaucoup. Vers 10 h, se sentant faible, elle a cru qu'elle allait mourir.
[…]
[117] Pour la demanderesse, il était clair que si elle se rendait à St-Luc, elle y resterait et qu’elle ne reviendrait pas parce qu'elle ne se sentait pas prise au sérieux à l'hôpital BMP.
[118] La Dre Mout affirme tout d’abord que le transfert au CHUM St-Luc a été son idée après avoir discuté avec le médecin de l'endroit et que c'est elle qui a fait les démarches pour le transfert à St-Luc. Par la suite, son témoignage à cet égard devient un peu plus flou.
[119] Les demandeurs soutiennent au contraire que c'est le conjoint de la demanderesse qui a communiqué directement avec le Dr Beauregard au CHUM St-Luc parce qu'il le connaissait du temps où il y avait travaillé. Le demandeur affirme que devant la situation critique, le Dr Beauregard a accepté le transfert.
[120] Quoi qu’il en soit, la demanderesse a effectivement été transférée en début d’après-midi au CHUM St-Luc. La demanderesse a quitté l’hôpital BMP vers 13 h pour être transférée au CHUM St-Luc.[44]
[je souligne]
[62] Le tableau qui suit illustre les fautes retenues par la juge de première instance par les différents intervenants :
Date |
Faute |
Description |
Commettant |
Paragraphes du jugement frappé d’appel |
23 décembre |
Dre Dupuis |
-Elle a signé la feuille sommaire 2 jours avant le départ de l’appelante. |
- |
[226] |
24 au 25 décembre |
Infirmières* |
-Elles n’ont pas pris les signes vitaux de la manière régulière, telle que le prévoyait l’ordonnance. |
CHUM St-Luc |
[243] |
25 décembre |
Infirmière Pinard* |
-Elle n’a pas indiqué la raison pour laquelle elle a administré l’analgésique de manière plus rapprochée. -Elle n’a pas indiqué pourquoi elle a remis 2 comprimés d’Empracet à l’appelante au moment de son départ. -Elle n’a pas décrit la douleur de l’appelante lors de son changement d’état le 25 décembre à 11 h 15. |
CHUM St-Luc |
[263] |
25 décembre |
Infirmière Pinard* |
-Elle n’a pas communiqué à l’équipe médicale le changement dans la condition de l’appelante et l’inefficacité de l’analgésie. |
CHUM St-Luc |
[287] |
25 décembre |
Dre McGee (externe) |
-Elle a fait une note incomplète au dossier de la patiente en n’indiquant pas la valeur objective de la température et des notes sur la respiration et la tension artérielle. |
CHUM St-Luc |
[298] |
24 et 25 décembre |
Dre Durand (résidente) |
-Elle a signé le congé de l’appelante la veille du départ. -Elle n’a pas fait d’examen le matin du 25 décembre. -Elle n’a pas requis la prise des signes vitaux manquants. -Elle n’a pas écrit l’ordonnance d’enlèvement des agrafes au dossier. |
CHUM St-Luc |
[321] |
27 décembre |
Infirmière* |
-Elle n’a pas effectué le prélèvement d’urine prescrit. -Elle n’a pas inscrit une note au dossier concernant la prise de médicament ou le refus de l’appelante. |
Hôpital BMP |
[327] |
28 décembre |
Infirmière* |
-Elle n’a pas noté l’heure et le résultat de la prise de la température ainsi que l’heure des prélèvements des hémocultures. |
Hôpital BMP |
[340] |
28 décembre |
Infirmières* |
-Elles ont manqué de rigueur dans la prise des signes vitaux qui n’a pas été faite de façon sériée. |
Hôpital BMP |
[344] |
28 décembre |
Dre Mout |
-Elle ne s’est pas rendue au chevet de l’appelante après l’appel de l’infirmière. |
- |
[353] |
28 décembre |
Dre Mout |
-Elle aurait dû administrer l’antibiothérapie dès la fin de l’après-midi le 28 décembre. |
- |
[417] |
* Ces personnes ne sont pas poursuivies à titre personnel.
[63] Il nous faut donc retenir que pas moins de dix-sept fautes successives ont été commises par le personnel infirmier et certains médecins, ce qui n’est pas peu dire! Bref, que l’appelante affirme ne pas avoir été prise au sérieux et qu’elle ait cru qu’elle allait mourir relèvent de l’euphémisme.
[64] D’une part, le personnel infirmier fautif n’a pas été poursuivi par les appelants et les poursuites dirigées contre les centres hospitaliers le sont en leur qualité de commettant. D’autre part, la Dre McGee agissait à titre d’externe et la Dre Durand était résidente au moment des événements, ainsi le CHUM St-Luc doit répondre des fautes qu’elles ont commises.
[65] Bien qu’il n’existe pas de lien de causalité entre les dommages pécuniaires et la faute retenue à l’endroit de la Dre Mout de ne pas avoir administré l’antibiothérapie 24 heures plus tôt, il n’en demeure pas moins que les multiples fautes constatées tant au CHUM St-Luc, entre les 22 et 25 décembre, qu’à l’hôpital BMP, du 27 au 29 décembre, sont à l’origine des souffrances et des craintes des appelants. Les procédures judiciaires ont soutenu leur conviction selon laquelle n’eût été ces fautes, leurs inquiétudes, leurs souffrances et les répercussions successives qui en ont découlé ne se seraient pas réalisées. La juge le note précisément en écrivant :
[500] Il s'agit en l'espèce d'un cas bien particulier où les demandeurs étaient justifiés de se questionner quant à la responsabilité en raison des fautes commises lors des hospitalisations de la demanderesse.[45]
[66] Les auteurs Baudouin, Deslauriers et Moore écrivent d’ailleurs à cet égard :
Par contre, lorsque la preuve révèle que le seul retard à diagnostiquer ou à traiter la maladie dont le patient est affligé n’a eu aucune influence sur l’évolution de celle-ci, il faut, avec raison, y voir une absence de causalité entre l’acte ou la faute du médecin et le préjudice subi. Celui-ci se serait manifesté de toute façon. Seul le préjudice directement lié au retard (perte de jouissance de la vie, inconvénients généraux) doit alors faire l’objet d’une compensation340.[46]
[je souligne]
[67] La juge a procédé à une analyse méticuleuse des événements tels qu’ils se sont déroulés au CHUM St-Luc, entre les 22 et 25 décembre 1998. Elle retient que :
[262] Considérant l'augmentation importante de la douleur, l’infirmière aurait dû procéder à une évaluation complète de la situation et écrire dans ses notes les signes vitaux, les douleurs et toute autre information pertinente, ce qu’elle n’a pas fait.
[263] Le tribunal est d'avis que l'infirmière Pinard n'a pas agi de façon prudente et diligente dans le respect des règles de l'art en omettant d'indiquer dans ses notes la raison de l'administration de l'analgésie de façon plus rapprochée, en omettant d'indiquer la raison pour laquelle elle a remis deux comprimés d'Empracet à la demanderesse et enfin, en ne décrivant pas la douleur de la demanderesse lors du changement de son état le 25 décembre à compter de 11 h 15.
[…]
[268] Dans son rapport, même monsieur Vaillant, expert en défense, conclut que le contrôle de la douleur était sous-optimal le 25 décembre, et qu'il y a eu omission de partager avec le médecin l’inefficacité de l’analgésie administrée, soit l’Empracet et le Naprosyn, afin d’établir une stratégie de soins alternatifs pour un meilleur contrôle de la douleur. Lors de l’interrogatoire, il est d'avis que le 25 décembre l’infirmière aurait dû appeler un médecin alors que cela deviendra plus nuancé lors du contre-interrogatoire :
« Q. (…) Est-ce que si je lis encore aujourd’hui : « il y a eu une omission de partager avec le médecin traitant l’inefficacité de l’analgésie administrée, soit l’Empracet et le Naprosyn, afin d’établir une stratégie de soins alternatifs pour un meilleur contrôle de la douleur » cette phrase, aujourd’hui, vous êtes d’accord?
R. J’suis d’accord en mettant la perspective que, une infirmière, elle va utiliser tous les moyens qu’elle a à sa disposition avant d’aviser le médecin, on voit que ça a pas été optimisé. Moi je crois que, quand j’ai lu le rapport, j’ai dit ben, on aurait dû donner quelque chose d’un peu plus puissant pour contrôler sa douleur.
Juge : Donc, elle aurait dû appeler le médecin pour qu’il fasse une vérification?
R. On aurait dû appeler le médecin. J’parle pas nécessairement du, à la fin, j’parle de façon générale, on voyait que la douleur était modérée. Le médecin a eu des visites auprès de la patiente, mais de façon générale, je considérais que, ben, la patiente avait une douleur modérée, on aurait dû utiliser peut-être une stratégie un petit peu plus agressive, maintenant, je comprends que c’était pas l’approche à l’époque, mais quand j’ai rédigé mon rapport, je me suis dit, bon, ça aurait pu avoir un meilleur contrôle, l’infirmière aurait pu discuter de d’ça avec le médecin, c’est pour ça que j’ai écrit ça.
Q. Donc, votre opinion à l’époque c’est qu’elle aurait dû appeler un médecin, aujourd’hui ça l’est plus. Est-ce qu’aujourd’hui encore vous dites qu’elle aurait dû appeler un médecin?
R. Oui, aujourd’hui, je dis qu’elle aurait dû appeler un médecin mais je mets en perspective cet énoncé dans la phase d’hospitalisation complète des trois jours. C’est ce que je dis.»
[…]
[273] Le Dr Beaudoin dit dans un premier temps que si l’infirmière Pinard lui avait téléphoné en disant que la patiente avait une douleur +++, il ne se serait pas déplacé parce qu’il n’y avait pas d’autres signes inquiétants. Pourtant le lendemain, questionné à savoir si un médecin prudent et diligent, informé par une infirmière de la douleur +++ aurait été voir la patiente à son chevet, il dira finalement qu'il y aurait été :
« R. Alors, est-ce qu’un médecin diligent et prudent, on fait nos tournées le matin, on signe le congé, physiquement elle peut pas partir 5 minutes après que le congé ait été signé, de toute façon, on doit attendre que le pédiatre passe aussi pour donner congé au bébé. Ensuite, si l’infirmière ne rappelle pas, on ne revoit pas les patientes 5 minutes avant qu’elles partent. Si l’infirmière juge que la douleur est anormalement élevée dans les circonstances et qu’elle rappelle le médecin, je pense que le médecin doit se présenter au chevet puis re-réévaluer. Oui, ça arrive parfois qu’on me rappelle pour voir quelqu’un, j’examine la.. la douleur est au niveau de l’abdomen puis, si la douleur est ailleurs qu’au niveau de l’abdomen, c’est sûr que je vais me poser des questions, mais si la douleur est au niveau de l’abdomen et que je juge que c’est dû à sa cicatrice puis à sa chirurgie récente, je vais la rassurer, effectivement, je vais lui dire : vous pouvez quand même quitter, mais n’oubliez pas de revenir ou de rappeler si… puis bon les conseils d’usage. Mais il faut d’abord que le médecin soit prévenu d’aller la réexaminer on ne fait pas la tournée 3 fois par jour, on la fait une fois en avant-midi.
Juge : Si l’infirmière vous appelle, vous vous rendez au chevet de la patiente vérifier vous-même?
Dr Beaudoin : Ah! Certainement. »[47]
[je souligne]
[68] Il n’est donc pas étonnant de penser que l’appelante puisse croire qu’on ne la prenait pas au sérieux et qu’elle se sentait mourir :
[279] Le Dr Beauchesne est d'avis que la douleur n'était pas habituelle. Il convient que des tranchées peuvent être présentes le troisième jour suivant une deuxième césarienne, mais elles ne sont pas d'une intensité aussi sévère que ce qui apparaît au dossier. Il ne croit pas non plus que la mobilisation du départ explique une douleur qui passe de faible (+) à 9 h, à sévère (+++) qu'elle est à 11 h 15 pour ensuite se maintenir à ce niveau.
[…]
[284] Le dossier médical démontre que la demanderesse a quitté l'hôpital avec une forte douleur non contrôlée par la médication. La douleur était aussi intense qu'au cours des premières 24 heures postcésarienne et surtout beaucoup plus importantes que les heures précédentes. Face à la douleur sévère du 23 décembre, l'infirmière avait discuté avec la demanderesse de coanalgésie pour apaiser sa douleur.
[285] L'infirmière Pinard n'avait que trois mois d'expérience lorsqu'elle a décidé qu'elle n'avait pas à demander l'intervention de l'équipe médicale.
[286] L’infirmière est le dernier filet de sécurité. Elle est ni plus ni moins que les yeux de l'équipe médicale pour vérifier s'il y a un changement important dans la condition d'un patient. C'est pour cette raison que madame Lechasseur est formelle : lorsque l’infirmière constate un changement important dans la condition d'une patiente, elle doit en informer l'équipe médicale pour qu'une évaluation soit faite puisqu'il peut s'agir d'un signe de complication.
[…]
[298] Le tribunal est d'avis qu’à compter du moment où l'externe McGee a choisi de prendre elle-même la température, la tension artérielle et la respiration, elle aurait dû écrire une note complète, c’est-à-dire la valeur objective de la température ainsi que des notes sur la tension artérielle et la respiration. Conséquemment, elle n'a pas agi de façon prudente et diligente dans le respect des règles de l'art.
[…]
[317] La demanderesse et son conjoint ont témoigné à l'effet qu’elle a été informée de son congé le 25 décembre au matin. Bien qu'ils aient reçu la nouvelle le 25 décembre, cela n'empêche pas que la date dans le dossier soit bel et bien le 24 décembre. Cela pourrait d'ailleurs expliquer la cessation de la prise de signes vitaux par le personnel infirmier à compter du 24 décembre en soirée, soit le relâchement inexpliqué énoncé plus avant.
[…]
[321] Le tribunal est d'avis que la Dre Durand n'a pas agi de façon prudente et diligente et dans le respect des règles de l'art. Elle a signé le congé de la demanderesse la veille du départ, elle n'a pas fait d'examen le matin du 25 décembre, elle n'a pas requis la prise des signes vitaux manquants et elle n'a pas écrit l'ordonnance d'enlèvement des agrafes dans le dossier.[48]
[référence omise]
[69] En ce qui a trait à l’hospitalisation du 27 au 29 décembre 1998, à l’hôpital BMP, on peut lire du jugement :
[327] L'infirmière aurait dû faire le prélèvement d'urine prescrit par le Dr Marineau. Elle aurait également dû inscrire une note à l'effet qu'elle a donné le médicament à la demanderesse ou la raison de son refus de le prendre, le cas échéant. L'infirmière n'a donc pas agi de façon prudente et diligente dans le respect des règles de l'art.
[…]
[340] Le Tribunal estime que l'infirmière n'a pas accompli son travail de façon prudente et diligente dans le respect des règles de l'art. Elle aurait dû noter l'heure et le résultat de la prise de la température ainsi que noter l'heure des prélèvements des hémocultures.
[341] Enfin, le 28 décembre les infirmières n'ont pas pris les signes vitaux entre 17 h 15 et le lendemain à 9 h 24, contrairement à ce qui aurait dû être fait, et ce, même M. Vaillant l’admet.
[…]
[344] Le tribunal est d'avis que le personnel infirmier n'a pas agi de façon prudente et diligente dans le respect des règles de l'art en ne prenant pas de façon sériée les signes vitaux.
[…]
[363] Les notes au dossier médical révèlent qu'il y a eu passablement de mouvement dans la chambre de la demanderesse durant la matinée du 28 décembre, mais aucune note ne réfère à la présence de la Dre Mout. De fait, l'infirmière était dans la chambre de la demanderesse vers 10 h et 10 h 10 et il y a eu la visite et l'examen du Dr Giroux vers 11 h. L'infirmière y était également à 11 h 30 alors que la demanderesse allaitait son bébé, à midi elle lui a donné un sédatif, et à 12 h 30 alors que la demanderesse a uriné dans une bassine. La preuve à l'audience a également révélé que le Dr De St-Victor avait examiné la demanderesse avant l'examen fait par le Dr Giroux donc avant 11 h et enfin, que la Dre Mout n'a pas croisé ni discuté avec le Dr De St-Victor et le Dr Giroux.
[364] Seule la demanderesse a évoqué une visite le matin dans son interrogatoire avant défense. Or, cette dernière a expliqué à l'audience qu'elle avait perdu quelque peu la notion du temps lors de son hospitalisation en raison de sa condition de sorte que la matinée pouvait bien être plutôt le début d'après-midi.
[365] Considérant qu'il n'y a pas de note au dossier médical concernant la visite de la Dre Mout le matin du 28 décembre et considérant que l'explication de la Dre Mout n'est ni claire, ni plausible, le tribunal est d'avis que la Dre Mout n'a pas vu la demanderesse le matin du 28 décembre.
[…]
[367] Considérant qu'il n'y a aucune note dans le dossier médical relatant une visite de la Dre Mout en soirée et qu'au surplus l'explication alambiquée de la Dre Mout ne saurait convaincre, le tribunal est d'avis que la Dre Mout n'a pas vu la demanderesse en soirée.
[…]
[372] Considérant les notes au dossier médical et le souvenir de la demanderesse en 2003, le tribunal retient que la Dre Mout a vu la demanderesse en début d'après-midi alors qu'elle a débuté sommairement la première partie de l'examen et que la deuxième partie s'est continuée au retour de Granby vers 16 h 30. Malgré la piètre condition de la demanderesse, la Dre Mout ne reverra la demanderesse que le lendemain à 10 h 30. Le tribunal constate que le comportement de la Dre Mout face aux soins de la demanderesse ne tombe certainement pas sous le signe de l’attention diligente, mais plutôt de la nonchalance.
[…]
[413] Qu'en est- il de la condition de la demanderesse lorsqu'elle revient du scan de Granby? À 16 h 30, la Dre Mout fait la deuxième partie de l'examen alors que la demanderesse est souffrante. Les prélèvements d'hémocultures ont été faits pour vérifier la présence de bactérie et les deux résultats de laboratoire disponibles indiquent que les polynucléaires segmentés sont plus élevés que la normale. Le rapport préliminaire du scan a éliminé l'abcès péridural et le Dr De St-Victor a éliminé l'infection de type gynécologique. La Dre Mout a fait une demande de consultation en neurologie. À 17 h 05, la demanderesse fait de la fièvre, sa température est à 38,7ºC. Elle est toujours souffrante. La demanderesse est à l'hôpital BMP depuis moins de 24 heures avec des douleurs intenses qui avaient déjà été cotées par l'infirmière de nuit à ++++, ce qui dépasse le seuil de 10 10.
[414] Malgré cette condition la demanderesse ne sera pas revue par la Dre Mout en soirée et de fait cela n'ira qu'au lendemain matin à 10 h 30. C'est comme si le dossier était suspendu jusqu'au lendemain, sans plus.
[415] La demanderesse est donc demeurée souffrante toute la soirée et toute la nuit. À 18 h 15 et 23 h 40, elle a reçu une sédation pour douleur généralisée. Ses signes vitaux n'ont pas été repris en soirée. Durant la nuit, elle reçoit une autre sédation à 3 h 30 en raison de douleur généralisée. À 8 h 15, sa température a augmenté à 38,9ºC et on lui donne deux comprimés de Tylenol. À 10 h, une autre sédation intramusculaire. La demanderesse est à bout, elle n'en peut plus d'endurer cette douleur. À 10 h 30, visite de la Dre Mout. Le conjoint de la demanderesse considère que rien ne bouge et que la condition de sa femme est très inquiétante. Il a peur de la perdre et la demanderesse se sent partir….
[416] Le tribunal est d'avis qu'au retour du scan de Granby après avoir effectué la deuxième partie de l'examen, la Dre Mout aurait dû, en raison de la douleur intense, de la température, du niveau élevé des polynucléaires segmentés dans les résultats de laboratoire et le jugement clinique général, être mise sur la piste d'une infection et ainsi, sans délai, administrer une antibiothérapie. Il est certain que l'allergie à la pénicilline pouvait présenter un enjeu supplémentaire, mais il existait des antibiotiques appropriés.
[417] Le tribunal est d'avis que la Dre Mout n'a pas agi en médecin prudente et diligente dans le respect des règles de l'art en n'administrant pas l'antibiothérapie après le retour de la demanderesse en fin d'après-midi le 28 décembre 1998.[49]
[70] La juge de première instance justifie aussi, comme il se doit, sa décision de ne pas octroyer de dépens contre les appelants. Ses propos sont très évocateurs :
[498] La demanderesse était en bonne santé lorsqu'elle est entrée à l'hôpital. Une bactérie s'est infiltrée dans son sang lors de l'intervention chirurgicale et a été se loger dans l'articulation sacro-iliaque. Les symptômes se sont révélés quelques jours plus tard.
[499] La demanderesse portera à jamais en elle les douloureuses séquelles qui découlent de cette infection. La vie des demandeurs en a été grandement affectée.
[500] Il s'agit en l'espèce d'un cas bien particulier où les demandeurs étaient justifiés de se questionner quant à la responsabilité en raison des fautes commises lors des hospitalisations de la demanderesse.
[501] Malgré que plusieurs fautes aient été démontrées, la preuve n'a pas permis de conclure que les défendeurs étaient responsables des préjudices subis en raison de l'incapacité des demandeurs de surmonter les difficultés relatives au fardeau de preuve qui était le leur quant à la causalité.
[502] La règle est que la partie qui succombe supporte les dépens à moins que le tribunal en décide autrement. En l’instance, les motifs ci-dessus énoncés, les fautes et lacunes démontrées et la confusion en résultant constituent un contexte justifiant le tribunal à prononcer le rejet de la poursuite, sans frais à l’égard de tous les défendeurs.[50]
[référence omise]
[71] Le témoignage de l’appelante confirme les dommages moraux allégués, notamment en ce qui a trait au sentiment qui l’animait qu’on ne la prenait pas au sérieux, qu’elle avait peur de mourir et que les procédures judiciaires ont pu, pendant longtemps, nourrir son anxiété :
Puis en Cour, tout entendre ces experts-là parler de ma douleur, tu sais, de minimiser ça à rien, c’est vraiment…comment je pourrais vous expliquer ça? C’est…tu sais, on parle de ma douleur, on diminue ma douleur, puis suite à tous les témoignages jusqu’à la fin, j’ai toujours…je me dis toujours : ils n’ont jamais rien compris puis ils ne comprennent toujours pas qu’est-ce que j’ai vécu parce qu’ils ne parleraient pas comme ça de ma douleur. Parce que quand je suis rentrée à l’hôpital Brome-Missisquoi, je leur ai dit que ça ne filait pas.[51]
[72] Le témoignage de M. Castonguay est au même effet et fait état de ses propres souffrances : il a pris sur lui de faire les démarches pour que sa conjointe soit transférée au CHUM St-Luc les 28 et 29 décembre 1998.
[73] La Cour suprême du Canada a consacré le principe, dans l’arrêt Laferrière c. Lawson[52], qu’une preuve qui ne peut établir un lien de causalité à l’égard d’un préjudice particulier peut quand même justifier de conclure à l’existence d’une causalité à l’égard d’un préjudice moindre.
[74] Dans Massinon c. Ghys[53], la Cour supérieure a octroyé des dommages moraux à Mme Massinon, atteinte d’un cancer. Il était impossible d’établir un lien causal entre le stade du cancer de Mme Massinon et les délais de 75 jours dus à la faute du médecin, mais il était possible de conclure que ces délais avaient engendré une incertitude qui était liée causalement à une souffrance morale.
[75] Cette décision a été reprise avec approbation par la Cour d’appel dans St-Cyr c. Fisch[54]. La Cour y rejette le raisonnement du juge de première instance et conclut à l’absence d’un lien de causalité entre les diverses fautes commises par les médecins et l’évolution du cancer[55]. Elle conclut toutefois quant aux dommages moraux :
126 Par contre, la Cour estime que le juge a eu raison de tenir compte, dans l'évaluation des dommages moraux subis par St-Cyr, de l'angoisse et de la colère dont elle a été saisie lorsqu'elle a appris, en janvier 1999, que les symptômes pour lesquels elle avait consulté le 29 juillet 1998 étaient la conséquence d'une tumeur maligne, alors que Bouchard l'avait trop hâtivement rassurée. L'idée que des traitements auraient pu être mis en place plus rapidement et auraient peut-être pu améliorer sa qualité de vie ou encore en prolonger la durée l'a dévastée. Cette situation est directement reliée à la faute de Bouchard.
127 Dans l'arrêt Laferrière c. Lawson, précité, le juge Gontier écrit à la page 558 :
Je suis porté à souscrire à l'avis au juge Vallerand et, en fait, de la Cour d'appel à l'unanimité, qu'il faut faire droit à la réclamation pour angoisse et frustration. Cet aspect des dommages-intérêts n'a pas été considéré par le juge de première instance. Je ne doute pas que la faute de l'appelant soit directement liée au stress psychologique considérable et inutile que Mme Dupuis a ressenti en apprenant qu'elle avait vécu pendant quatre ans sans savoir qu'elle souffrait d'un cancer et sans bénéficier du suivi, du contrôle et du traitement qui auraient été indiqués dans son cas. Je traiterai plus loin du montant des dommages-intérêts relatifs à ce chef.
[…]
130 Prenant en compte tous ces éléments, la Cour croit, à la lumière des balises fixées par la jurisprudence et des critiques qu'elles ont entraînées (Laferrière c. Lawson, précité; Massinon c. Ghys, [1996] R.J.Q. 2258 (C.S.); Lambert c. Lefebvre, [1997] R.R.A. 699 (C.S.); Claude Masse, Chronique de droit civil québécois : session 1990-1991, (1992) 3 Sup. C. Law Rev. (2d) 211-225; Jean-Louis Baudouin et Patrice Deslauriers, La responsabilité civile, 6e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2003, p. 261, no 326), qu'il y a lieu d'établir à 60 000 $ les souffrances psychologiques vécues par St-Cyr pendant plus de quatre ans et demi après qu'elle eut appris, en début 1999, qu'elle avait un cancer envahissant tout en croyant que les choses auraient pu être différentes si ce dernier avait été dépisté sans délai et si elle avait été traitée plus tôt, dommages en lien avec la faute de Bouchard. Comme sa part de responsabilité représente deux tiers des dommages, il doit être condamné à payer à St-Cyr 40 000 $ (2/3 de 60 000 $ = 40 000 $).[56]
[76] Dans leur ouvrage La responsabilité civile, les auteurs Baudouin, Deslauriers et Moore expliquent :
1-364 Droit médical - […] Malgré le refus de reconnaître pleinement la perte de chance, la Cour suprême a néanmoins approuvé l'octroi d'une indemnité (minime) pour compenser le traumatisme causé par le choc de savoir qu'une chance, si petite soit-elle, avait été perdue200. À cet égard, il faut approuver une décision qui a accordé une indemnité plus élevée201.[57]
[77] La déclaration précisée ré-réamendée du 25 janvier 2013 allègue que :
69. Par ricochet les enfants ont souffert et souffrent encore du handicap limitant de leur mère et la demanderesse réclame pour eux, ès qualités, la somme de 20 000 $ chacun;
[78] Les parties ont convenu, par leur admission du 13 mars 2013, que les dommages moraux soufferts par les enfants Frédérick et Tristan Castonguay s’élevaient à 40 000 $. Bien que l’on puisse aisément croire que l’état d’esprit de leurs parents a pu affecter ces jeunes enfants, rien dans la preuve ne permet d’en arriver à un tel constat. Cette partie de la réclamation ne peut donc être reçue.
[79] Je suis donc d’avis que la juge a commis une erreur déterminante[58] en ne considérant pas les dommages moraux allégués par les appelants Roy personnellement et Castonguay, lorsqu’elle écrivait :
[496] Le tribunal ne peut retenir une relation causale puisque la preuve est insuffisante d'une part quant à la probabilité d'un préjudice moindre, et d'autre part, la preuve est inexistante quant à l'ampleur de ce préjudice moindre, le cas échéant.
[80] Son étude minutieuse de la preuve permet d’établir de tels dommages causés par les fautes des personnes énumérées plus avant. Les dommages étant admis, il suffisait alors de condamner les parties fautives, soit les docteures Julie Margarethe Mout, Marie-Josée Dupuis, Nancy McGee et Marie-Josée Durand. Les infirmières n’ont pas été poursuivies personnellement et chacun des centres hospitaliers où elles œuvraient est poursuivi à titre de commettant.
[81] Il est bien établi que le cadre juridique qui régit les relations hôpital-usager et patient-médecin est celui de la responsabilité extracontractuelle[59].
[82] L’article 1463 du Code civil du Québec énonce que :
[83] L’article 1526 du Code civil du Québec établit que :
1526. L'obligation de réparer le préjudice causé à autrui par la faute de deux personnes ou plus est solidaire, lorsque cette obligation est extracontractuelle.
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1526. The obligation to make reparation for injury caused to another through the fault of two or more persons is solidary where the obligation is extra-contractual.
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[84] Il n’a pas été démontré que le CHUM St-Luc et l’hôpital BMP ont commis quelques fautes. C’est à titre de commettant qu’ils sont poursuivis pour les fautes de leurs préposés. Ces établissements de santé ne peuvent être tenus responsables solidairement avec leurs préposés[60].
[85] La Cour a reconnu, dans l’arrêt Équipements d’incendie Levasseur inc. c. Chapdeleine[61], que lorsqu’il y a plusieurs auteurs de fautes contributoires, ceux-ci doivent être tenus solidairement responsables.
[86] Il convient toutefois de distinguer la nature de la responsabilité du centre hospitalier CHUM St-Luc et de l’hôpital BMP. Les auteurs Baudouin, Deslauriers et Moore sont en effet d’avis que :
[s]ous le régime de l'article 1054 C.c.B.-C., une jurisprudence discutable, sur le plan de la théorie du droit, a maintenu qu'il y a solidarité à l'égard de la victime entre le commettant et le préposé. Or, pour qu'il y ait solidarité, il faut, aux termes de l'article 1526 C.c. (1106 C.c.B.-C.), être en présence de la faute de deux personnes. Dans ce cas-ci, la responsabilité du commettant étant engagée en dehors de tout comportement fautif de sa part, on voit mal comment la solidarité passive pourrait donc s'appliquer, sauf cas de faute prouvée du commettant. Il pourrait cependant y avoir solidarité imparfaite[62].
[références omises]
[87] La Cour suprême du Canada a d’autre part reconnu, dans l’arrêt Prévost - Masson c. Trust Général du Canada[63], le principe de la solidarité « in solidum ».
[88] Il n’est donc pas ici inapproprié de reconnaître que la responsabilité est solidaire entre certains intimés et « in solidum » à l’égard d’autres intimés[64].
[89] Tout cela étant, je suis d’avis de reconnaître les intimées Mout, Dupuis, McGee et Durand solidairement responsables des dommages moraux causés aux appelants. Quant aux intimés, Centre hospitalier de l’Université de Montréal - Hôpital St-Luc ainsi que l’Hôpital Brome-Missisquoi-Perkins, leur responsabilité s’appliquera « in solidum » à l'endroit des appelants.
[90] En ce qui a trait à l’argument des intimés relatif à l’indemnité additionnelle et à la double indemnisation, il n’y a pas lieu de le retenir puisque le dossier d’appel ne contient aucune preuve selon laquelle les montants de 150 000 $ et 50 000 $ étaient actualisés au moment de l’admission des parties sur le quantum de ces dommages. En effet, il appert plutôt que l’actuaire mandaté par les appelants affirme le contraire et son témoignage n’a pas été contredit.
[91] En application des articles 1618 et 1619 C.c.Q., je suis d’avis que l’indemnité reconnue pour dommages moraux doit porter intérêts et indemnité additionnelle à compter de l’assignation, soit à compter du 21 décembre 2001, et que les intimés doivent supporter les entiers dépens, tant en Cour supérieure que devant la Cour d’appel.
[92] Je propose donc d’accueillir l’appel pour partie, de condamner les intimées Mout, Dupuis, McGee et Durand solidairement et les intimés Centre hospitalier de l’Université de Montréal - Hôpital St-Luc et l’Hôpital Brome-Missisquoi-Perkins « in solidum », à payer à Mme Linda Roy, personnellement, 150 000 $ et 50 000 $ à M. Hugues Castonguay, avec intérêts et indemnité additionnelle, à compter du 21 décembre 2001, et les dépens des deux cours.
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JACQUES J. LEVESQUE, J.C.A. |
[1] Jugement frappé d’appel, 2013 QCCS 6254.
[2] Jugement frappé d’appel, 2013 QCCS 6254.
[3] Dossier médical, pièce P-1.
[4] Jugement frappé d’appel, supra, note 1, paragr. 83.
[5] Ibid., paragr. 84.
[6] Dossier médical, pièce P-8, p. 50.
[7] Jugement frappé d’appel, supra, note 1, paragr. 101.
[8] Dossier médical, pièce P-8, p. 50.
[9] Dossier médical, pièce P-8, p. 32 et 33 et jugement frappé d’appel, supra, note 1, paragr. 105.
[10] Dossier médical, pièce P-8, p. 51 et jugement frappé d’appel, supra, note 1, paragr. 107.
[11] Le premier paragraphe du mémoire des appelants est ainsi libellé : [1] Les APPELANTS-demandeurs s’en remettent aux faits rapportés par la juge de première instance (ci-après « la juge ») aux paragraphes 6 à 136 du jugement dont appel. [Référence omise].
[12] Jugement frappé d’appel, supra, note 1, paragr. 109-136.
[13] Jugement frappé d’appel, supra, note 1, paragr. 180-188.
[14] Ibid., paragr. 191-195.
[15] Ibid., paragr. 196-200.
[16] Ibid., paragr. 226, 243, 263, 287, 298 et 321.
[17] Ibid., paragr. 327, 339, 340 et 344.
[18] Ibid., paragr. 353, 389 et 394.
[19] Ibid., paragr. 395.
[20] Ibid., paragr. 397-410.
[21] Le témoignage du Dr Montminy n’a pas été produit au mémoire des appelants.
[22] Le témoignage du Dr Beauchesne n’a pas été produit au mémoire des appelants.
[23] Il s’agit de l’expert produit par les appelants.
[24] Il s’agit de l’expert produit par les intimés.
[25] Jugement frappé d’appel, supra, note 1, 416 et 417.
[26] Ibid., paragr. 434.
[27] Ibid., paragr. 440.
[28] Ibid., paragr. 444.
[29] Ibid., paragr. 474-476.
[30] Ibid., paragr. 483.
[31] Ibid., paragr. 484-496.
[32] Ibid., paragr. 485.
[33] Témoignage de la Dre Marie Gourdeau, 21 février 2013, p. 72.
[34] Témoignage du Dr Karl Weiss, 22 février 2013, p. 215-218.
[35] Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, 2002 CSC 33; R. c. Oickle, [2000] 2 R.C.S. 3, 2000 CSC 38; Laflamme c. Prudential-Bache Commodities Canada Ltd., [2000] 1 R.C.S. 638, 2000 CSC 26; Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam inc., [1997] 1 R.C.S. 748; Schwartz c. Canada, [1996] 1 R.C.S. 254; Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211; Hodgkinson c. Simms, [1994] 3 R.C.S. 377; Lapointe c. Hôpital Le Gardeur, [1992] 1 R.C.S. 351; P.L. c. Benchetrit, J.E. 2010-1600 (C.A.), 2010 QCCA 1505.
[36] Mémoire des appelants, paragr. 93-95.
[37] Mémoire des intimés, CHUM, BMP, McGee et Durand, paragr. 9.
[38] Mémoire des intimés, CHUM, BMP, McGee et Durand, paragr. 11.
[39] Mémoire des intimés, CHUM, BMP, McGee et Durand, paragr. 12 et mémoire des intimées Mout et Dupuis, paragr. 1.
[40] Admission des parties, voir paragraphe [19] des motifs.
[41] Thatcher c. Québec (Ville de), J.E. 2014-20 (C.A.), 2013 QCCA 2110, paragr. 4.
[42] Janacek c. Bell Canada, [2001] R.J.Q. 584, paragr. 11 (C.A.).
[43] Jugement frappé d’appel, supra, note 1, paragr. 499.
[44] Ibid., paragr. 83, 112, 117-120 et 415. Le jugement fait état, à de nombreux endroits, des douleurs et des souffrances de l’appelante : 61, 64-66, 70, 77, 80-83, 88, 93, 97, 99, 102, 105, 107, 111, 112, 117, 122, 256 et 257. Ces constatations ne sont pas contestées par les intimés.
[45] Ibid., paragr. 500.
[46] Jean-Louis Baudouin, Patrice Deslauriers et Benoît Moore, La responsabilité civile, 8e éd., vol. 2, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, no 2-113, p. 105. [Références de la note de bas de page 340 : Biron c. Verrier, C.S., no 405-05-000746-982, 29 février 2004; aussi : Bayoud c. Abboud, B.E. 2005BE-123 (C.S.), EYB 2004-80712; Leblanc c. Ricard, J.E. 2006-535 (C.S.), EYB 2005-99456].
[47] Jugement frappé d’appel, supra, note 1, paragr. 262, 263, 268 et 273.
[48] Ibid., paragr. 279, 284-286, 298, 317 et 321.
[49] Ibid., paragr. 327, 340, 341, 344, 363-365, 367, 372, 413-417.
[50] Ibid., paragr. 498-502.
[51] Témoignage de Linda Roy, 26 février 2103, p. 34.
[52] Laferrière c. Lawson, [1991] 1 R.C.S. 541.
[53] Massinon c. Ghys, [1996] R.J.Q. 2258 (C.S.).
[54] St-Cyr c. Fisch, [2005] R.J.Q. 1994 (C.A.), 2005 QCCA 688.
[55] Ibid., paragr. 120.
[56] Ibid., paragr. 126,127 et 130.
[57] J.-L. Baudouin, P. Deslauriers et B. Moore, supra, note 45, no 1-364, page 402. [Références de la note de bas de page 200 : Laferrière c. Lawson, [1991] 1 R.C.S. 541, EYB 1988-63123; commentaires C. MASSE, (1992) 3 Sup. C. Law Rev. (2d) 214]. - [Références de la note de bas de page 201 : Massinon c. Ghys, [1996] R.J.Q. 2258 (C.S.), EYB 1996-87873. Voir aussi : Fisch c. St-Cyr, [2005] R.R.A. 721 (C.A.), EYB 2005-93221; Émond c. Benhaim, 2011 QCCS 4755, EYB 2011-195528 (en appel)].
[58] St-Jean c. Mercier, [2002] 1 R.C.S. 491, 2002 CSC 15.
[59] Hôpital de l’Enfant-Jésus c. Camden-Bourgault, [2001] R.J.Q. 832 (C.A.); J.-L. Baudouin, P. Deslauriers et B. Moore, supra, note 45, no 2-33, p. 44.
[60] Genex Communications inc. c. Association québécoise de l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo, [2009] R.J.Q. 2743 (C.A.), 2009 QCCA 2201, paragr. 106-109; Chiasson c. Fillion, [2005] R.J.Q. 1066 (C.S.), paragr. 61-66, conf. par 2007 QCCA 570, paragr. 65 et 76.
[61] Équipements d'incendie Levasseur inc. c. Chapdelaine, [2004] R.R.A. 76 (C.A.), paragr. 50 et 51.
[62] J.-L. Baudouin, P. Deslauriers et B. Moore, supra, note 45, no 1-822, p. 813.
[63] Prévost-Masson c. Trust Général du Canada, [2001] 3 R.C.S. 882, 2001 CSC 87, paragr. 28 et 29.
[64] Par exemple, 9030-4197 Québec inc. c. Caisse Desjardins de Lorimier, J.E. 2005-227 (C.A.), paragr. 16-20; Lambert c. Macara, [2004] R.J.Q. 2637, J.E. 2004-1893 (C.A.).
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