Boucher c. Blake, Cassels & Graydon | 2025 QCCA 1054 |
COUR D'APPEL |
CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC |
SIÈGE DE MONTRÉAL |
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No : | 500-09-031521-255 |
(500-17-131631-247) |
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PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE
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PARTIE APPELANTE | |
ME BERNARD BOUCHER | PRÉSENT ET NON REPRÉSENTÉ |
PARTIE INTIMÉE | AVOCATS |
BLAKE, CASSELS & GRAYDON | Me ANDRÉ RYAN Me GABRIELLE LACHANCE TOUCHETTE (BCF) |
DESCRIPTION : | Requête en rejet d’appel (art. 365 C.p.c.). Requête pour l’émission d’une ordonnance de sauvegarde (art. 379 C.p.c.). |
9 h 57 | Début de l’audience. Identification du dossier et des avocats. Remarques préliminaires de la Cour. |
10 h 00 | Argumentation de Me Ryan. |
10 h 09 | Argumentation de Me Boucher. |
10 h 21 | Question de la Cour et réponse de Me Boucher. |
10 h 30 | Me Boucher poursuit son argumentation |
10 h 32 | Réplique de Me Ryan. |
10 h 33 | Suspension de l’audience. |
10 h 38 | Reprise de l’audience. PAR LA COUR : Arrêt rendu séance tenante – voir page 3. Fin de l’audience. |
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Ariane Simard-Trudel, Greffière-audiencière |
- La Cour est saisie de deux requêtes. La première, présentée par l’intimée, demande le rejet sommaire de l’appel au motif que l’appelant n’a aucune chance raisonnable de démontrer que le juge de première instance a commis une erreur révisable en renvoyant le litige à l’arbitrage[1]. La seconde requête, présentée par l’appelant, demande à la Cour de rendre une ordonnance de sauvegarde enjoignant à l’intimée de n’entreprendre aucune démarche de nature à faire progresser l’instance arbitrale qu’elle a récemment initiée.
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- Dans sa déclaration d’appel, l’appelant réitère sa prétention selon laquelle les litiges relatifs à la validité de clauses de non-concurrence sont inarbitrables au regard de l’article 2639 al. 1 C.c.Q., car ils mettent en cause le droit à l’emploi, une valeur fondamentale de la société québécoise.
- La Cour est d’accord avec l’intimée que cette prétention est vouée à l’échec. Il est bien établi que la notion de « questions qui intéressent l’ordre public/matters of public order » à laquelle le législateur fait référence à l’article 2639 al. 1 C.c.Q. est d’interprétation stricte, l’arbitrabilité des litiges étant la règle et l’inarbitrabilité l’exception[2]. La validité d’une clause de non-concurrence n’est aucunement analogue aux matières mentionnées à l’article 2639 al. 1 C.c.Q. — l’état et la capacité des personnes, ainsi que les matières familiales —[3], et rien ne donne à penser que l’arbitrage conventionnel est fondamentalement inadapté à la résolution de litiges s’y rapportant. Certes, les règles régissant la validité des clauses de non-concurrence sont d’ordre public, mais, en soi, cela importe peu, le législateur ayant précisé à l’article 2639 al. 2 C.c.Q. qu’« il ne peut être fait obstacle à la convention d’arbitrage au motif que les règles applicables pour trancher le différend présentent un caractère d’ordre public/[a]n arbitration agreement may not be opposed on the ground that the rules applicable to settlement of the dispute are in the nature of rules of public order ». En outre, la prétention de l’appelant méconnaît les enseignements de l’arrêt Desputeaux selon lesquels l’ordre public entre en jeu principalement a posteriori, c’est-à-dire une fois l’instance arbitrale complétée, lors de l’examen par les tribunaux judiciaires de la légalité de la sentence arbitrale[4].
- Dans sa déclaration d’appel, l’appelant soulève un nouveau moyen fondé sur l’arrêt rendu par la Cour suprême dans l’affaire Uber[5]. Il soutient que l’effet combiné de la clause d’arbitrage et de la clause de droit applicable désignant celui en vigueur en Ontario est de le priver du bénéfice des règles québécoises régissant la validité des clauses de non-concurrence. Autrement dit, par ces clauses, l’intimée chercherait à contourner une « politique locale impérative »[6] visant à protéger les travailleurs québécois. L’appelant estime que ce résultat est résolument contraire à l’ordre public.
- Le raisonnement de l’appelant est manifestement incomplet, car il tient pour acquis que l’application du droit en vigueur en Ontario conduirait nécessairement à un résultat qui lui serait moins favorable que si le litige était tranché en vertu du droit québécois. Il tient également pour acquis que, même dans l’éventualité où les règles québécoises relatives à la validité des clauses de non-concurrence s’avéreraient substantiellement plus favorables aux employés, le tribunal arbitral refuserait catégoriquement d’en tenir compte malgré les liens de rattachement entre le litige et l’ordre juridique québécois. Puisque l’appelant n’a pas démontré qu’il avait des chances raisonnables d’établir le bien‑fondé de ces prémisses, la Cour est d’avis que son second moyen est lui aussi voué à l’échec.
- En terminant, il convient de préciser que, contrairement à la situation des chauffeurs dont il était question dans l’affaire Uber, l’appelant n’est pas confronté à une clause de résolution des différends dont les modalités ont pour effet de le priver de tout accès au processus arbitral y étant prévu. Aucun élément au dossier ne donne à penser que son droit fondamental à l’accès à la justice est en jeu.
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- Étant donné qu’il y a lieu d’accueillir la requête en rejet de l’intimée, la requête de l’appelant devient sans objet.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
- ACCUEILLE la requête en rejet d’appel, avec les frais de justice;
- REJETTE l’appel, avec les frais de justice;
- DÉCLARE sans objet la Requête pour obtenir l’émission d’une ordonnance de sauvegarde.
| STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A. |
[1] Boucher c. Blake, Cassels & Graydon, 2025 QCCS 1528.
[2] Desputeaux c. Éditions Chouette (1987) inc., 2003 CSC 17; Specter Aviation c. Laprade, 2021 QCCA 1811, par. 48.
[3] Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs, 2007 CSC 34, par. 109.
[4] Desputeaux c. Éditions Chouette (1987) inc., 2003 CSC 17, par. 54.
[5] Uber Technologies Inc. c. Heller, 2020 CSC 16.
[6] Déclaration d’appel, par. 19.