Décision

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Alawie c. Groupe BMTC inc.

2021 QCCQ 4463

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

« Chambre civile »

N :

500-32-708361-193

 

DATE :

 26 mai 2021

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

ALAIN BREAULT

______________________________________________________________________

 

 

MAHMOUD ALAWIE

[...]

Montréal (Québec)  [...]

 

Demandeur

 

c.

 

GROUPE BMTC INC.

8500, Place Marien

Montréal-Est (Québec)  H1B 5W8

 

Défenderesse

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           Le demandeur réclame des dommages-intérêts totalisant 8 343,76 $ à la suite de l’achat de deux sofas en cuir dont il est insatisfait. L’indemnité recherchée englobe le prix total payé à la défenderesse (4 343,76 $), des dommages-intérêts punitifs (2 000 $) et des dommages moraux (2 000 $).

[2]           La défenderesse ne nie pas que les deux sofas étaient affectés d’un vice de fabrication. Les parties ne s’entendent toutefois pas sur l’indemnité à laquelle le demandeur a droit.

LE CONTEXTE

[3]           Le 7 mars 2014, pour le prix total de 4 389,76 $, le demandeur achète un ensemble de sofas en cuir de la marque Fonirama auprès du magasin « Brault et Martineau » situé sur la rue Jean-Talon Est, à Montréal. Les sofas sont livrés une semaine plus tard, plus ou moins.

[4]           Le prix total payé comprend l’achat d’un produit d’entretien (39,95 $) et d’un plan de traitement du cuir pour une durée de 10 ans (2 x 110 $) offert par une tierce entreprise (« Magi Seal »).

[5]           Quelque 3 1/2 ans plus tard, le demandeur et son épouse observent que les sofas se décolorent facilement. En fait, dès qu’elle applique le produit hydratant ou qu’elle nettoie doucement la surface d’un sofa avec un peu d’eau, cette dernière voit une trace de décoloration significative.

[6]           Le 25 septembre 2018, un appel est fait chez la défenderesse à ce sujet. Un technicien se rend sur place le 18 octobre 2018.

[7]           Ce dernier constate alors un défaut de fabrication dans le cuir. Un rapport est confectionné. Le rapport dont il est question n’a cependant jamais été produit au dossier de la Cour et n’est pas présenté en preuve.

[8]           La défenderesse ne rappelle toutefois pas le demandeur à ce sujet avant le 29 janvier 2019. Des pourparlers ont ensuite lieu entre les parties aux fins de tenter de convenir d’une entente à l’amiable.

[9]           Les discussions achoppent. Les parties ne se sont pas comprises, semble-t-il. En particulier, la défenderesse avait conclu que le demandeur s’était départi des deux sofas, ce qui empêchait de satisfaire à une condition essentielle pour elle, à savoir que les sofas devaient lui être remis.

[10]        Du témoignage du demandeur et de sa conjointe, il ressort que les deux sofas sont toujours demeurés en leur possession. Ils ne s’en sont jamais dessaisis, contrairement à ce que la défenderesse avait compris. Par contre, ils ont été placés dans une autre pièce de la maison en attendant le dénouement du litige.

[11]        Séance tenante, vu le remboursement complet qu’il recherche du prix payé et l’impossibilité d’en venir à une entente avec la défenderesse, le demandeur confirme ou reconnait devant le Tribunal que sa réclamation équivaut à une demande de résolution (« cancel ») du contrat d’achat conclu avec la défenderesse. Il précise du reste qu’il est prêt à remettre les deux sofas à la défenderesse.

[12]        Considérant l’admission de la défenderesse quant au défaut de fabrication du cuir recouvrant les deux sofas, la principale question en litige devient dès lors plus  circonscrite. Elle consiste à déterminer l’indemnité à laquelle le demandeur a droit dans les circonstances pertinentes.

ANALYSE ET MOTIFS

[13]        Les articles 37 et 38 de la Loi sur la protection du consommateur[1] L.p.c. ») énoncent ce qui suit :

37. Un bien qui fait l'objet d'un contrat doit être tel qu'il puisse servir à l'usage auquel il est normalement destiné.

38. Un bien qui fait l'objet d'un contrat doit être tel qu'il puisse servir à un usage normal pendant une durée raisonnable, eu égard à son prix, aux dispositions du contrat et aux conditions d'utilisation du bien.

[14]        Dans Fortin c. Mazda Canada inc.[2], la Cour d’appel, entre autres, commente ainsi au sujet de la portée de ces articles :

[62]       L’article 37 L.p.c. confère au consommateur la garantie d’usage, c'est-à-dire que l'usage du bien doit répondre à ses attentes légitimes. Ainsi, dès que le bien ne permet pas l’usage auquel le consommateur peut raisonnablement s’attendre, il y a alors présomption que le défaut est antérieur à la vente, ce qui laisse également présumer, en application du troisième alinéa de l'article 53 L.p.c., de la connaissance par le vendeur de son existence.

(…)

[72]       Il n’est cependant pas nécessaire que le déficit enlève toute utilité au bien ou rende son usage impossible. Seule la preuve d’une gravité suffisante au point de jouer un rôle déterminant sur la décision du consommateur s’avère nécessaire. Bref, le fabricant doit concevoir le bien en conservant à l’esprit les besoins et les objectifs de sa clientèle. Telle est la norme.

(…)

[83]       Cela dit, l’usage protégé par la garantie de qualité est autonome. Le respect des normes par le commerçant ou le manufacturier ne met pas nécessairement ces parties à l’abri d’une conclusion de déficit d’usage. D'ailleurs, une importante jurisprudence appuie cette idée.

[15]        En l’espèce, le déficit d’usage sérieux a été démontré. Les deux sofas, en raison du vice de fabrication admis par la défenderesse, souffrent d’une détérioration prématurée et ne peuvent pas servir aux fins pour lesquelles ils étaient destinés. En d’autres termes, ils ne répondent pas aux attentes légitimes et raisonnables que le demandeur (et son épouse) avait au moment où ils ont été achetés.

[16]        Cela étant dit, le demandeur n’a pas droit aux différentes indemnités qu’il recherche.

[17]        D’abord, comme déjà mentionné, en recherchant le remboursement complet du prix payé, la réclamation du demandeur équivaut à une demande de résolution du contrat d’achat.

[18]        Pour le Tribunal, au regard de l’article 272 de la L.P.C., il s’agit en tout état de cause de la solution la mieux adaptée aux diverses récriminations du demandeur, au fait qu’il ne désire plus conserver les deux sofas et à la nature des dommages-intérêts recherchés[3].

[19]        Dans cette perspective, non seulement doit-il offrir à la défenderesse de lui remettre les biens que cette dernière lui a vendus, ce qu’il mentionne séance tenante accepter de faire, mais une réduction par rapport au prix payé doit être établie pour tenir compte de la période de temps où les sofas ont été utilisés par le demandeur et sa famille.

[20]        En effet, la restitution de biens achetés est assujettie, entre autres, aux articles 1699, 1700 et 1702 C.c.Q., lesquels établissent les principales règles applicables en cette matière :

1699. La restitution des prestations a lieu chaque fois qu'une personne est, en vertu de la loi, tenue de rendre à une autre des biens qu'elle a reçus sans droit ou par erreur, ou encore en vertu d'un acte juridique qui est subséquemment anéanti de façon rétroactive ou dont les obligations deviennent impossibles à exécuter en raison d'une force majeure.

Le tribunal peut, exceptionnellement, refuser la restitution lorsqu'elle aurait pour effet d'accorder à l'une des parties, débiteur ou créancier, un avantage indu, à moins qu'il ne juge suffisant, dans ce cas, de modifier plutôt l'étendue ou les modalités de la restitution.

1700.  La restitution des prestations se fait en nature, mais si elle ne peut se faire ainsi en raison d'une impossibilité ou d'un inconvénient sérieux, elle se fait par équivalent.

L'équivalence s'apprécie au moment où le débiteur a reçu ce qu'il doit restituer.

1702. Lorsque le bien qu’il rend a subi une perte partielle, telle une détérioration ou une autre dépréciation de valeur, celui qui a l’obligation de restituer est tenu d’indemniser le créancier pour cette perte, à moins que celle-ci ne résulte de l’usage normal du bien.

[21]        L’auteur Vincent Karim[4], traitant de l’article 1699 C.c.Q., écrit :

Aux termes de l’article  1699 C.c.Q., le montant à être restitué ne peut s’étendre qu’à ce qui a effectivement été reçu par la partie tenue à la restitution, ce qui ne comprend pas forcément l’ensemble des sommes déboursées par la partie qui la réclame.

Le tribunal dispose cependant d’un pouvoir discrétionnaire dans l’application de cette règle, qui lui permet de refuser la restitution ou d’en modifier l’étendue ou les modalités lorsque l’une des parties, débiteur ou créancier, bénéficierait alors d’un avantage indu. (…)

(…)

Ce pouvoir discrétionnaire est accordé au juge pour lui permettre de modifier l’étendue et les modalités de la restitution lorsque la situation le nécessite (…).

(…)

La décision quant au droit à la restitution ou à l’étendue et aux modalités de celle-ci doit prendre en considération de la conduite et le comportement de chaque partie. Ainsi, à la lumière de la preuve soumise, le juge tient compte de la bonne ou de la mauvaise foi de chacune des parties, de leurs comportements et conduite, non seulement lors de la conclusion du contrat, mais tout au long de son existence, ainsi que lors de son extinction. Dans son appréciation des faits, il doit être guidé par les principes d’équité et de justice naturelle.

Dans la prise de sa décision, le juge doit se donner comme objectif la recherche d’un équilibre entre les parties, afin qu’aucune d’elles ne s’enrichisse au détriment de l’autre. La remise en état des parties peut être la tâche la plus difficile lorsque le contrat avait déjà produit des effets multiples (…)[5].

[22]        Le Tribunal, vu les circonstances exposées, conclut qu’une valeur doit être effectivement attribuée à la période de temps où les sofas ont été utilisés par le demandeur et sa famille avant que le problème de décoloration se manifeste. Autrement, le demandeur obtiendrait un enrichissement démesuré par rapport au préjudice réellement subi.

[23]        La preuve révèle que le problème de décoloration a été constaté par la défenderesse le 18 octobre 2018, après un appel que le demandeur lui a lancé le 25 septembre précédent.

[24]        La défenderesse ne lui revient toutefois pas avant le 29 janvier 2019. Les pourparlers entre les parties achoppent en février 2019. Par la suite, mais à une date indéterminée, le demandeur enlève les deux sofas du salon pour les placer dans une autre petite pièce. Le demandeur et sa conjointe ont réaménagé leur salon depuis.

[25]        Le Tribunal, de tout cela, arbitre que la période d’utilisation des deux sofas par le demandeur et sa famille s’étend du 7 mars 2014 au 18 octobre 2018, soit 4 ans et 7 mois ou 55 mois.

[26]        Le Tribunal ne retient aucune période subséquente pour les motifs qui suivent :

1.      la défenderesse connaissait parfaitement bien depuis le 18 octobre 2018 le défaut important affectant les sofas ;

2.      elle n’a pas fait preuve d’une grande diligence par la suite pour répondre aux divers appels du demandeur et trouver une solution pouvant satisfaire aux attentes légitimes d’un consommateur ; et

3.      le demandeur et sa famille, quoique à compter d’une date non précisée dans la preuve, ont cessé d’utiliser les deux sofas pour les fins auxquels ils étaient destinés et suivant leurs attentes raisonnables ;

[27]        Dans l’affaire Belle-Isle c. Brick Warehouse[6], notre collègue, la juge Chantal Gosselin, j.c.Q., écrit que, selon la jurisprudence recensée, la durée de vie utile d’un meuble en cuir varie de 10 ans à 13 ans[7]. Elle retient une période de 12 ans, ce qui est conforme à la fourchette habituellement définie par les tribunaux depuis quelques années[8].

[28]        Le Tribunal, prenant en compte le prix payé par le demandeur pour les deux sofas et faute d’une preuve spécifique à ce sujet, estime que la conclusion de la juge Gosselin est celle qui doit être appliquée en l’instance. La durée de vie utile des deux sofas en cuir devait donc être de 12 ans ou 144 mois.

[29]        Le Tribunal précise qu’il ne faut confondre la durée de vie utile d’un bien et la période de garantie offerte par le commerçant. Il s’agit de deux concepts juridiques distincts, le deuxième ne concordant pas nécessairement, pour ne pas dire jamais, avec la réalité juridique du premier.

[30]        Par ailleurs, sur le prix total payé par le demandeur (4 343,76 $), il n’y a pas lieu, comme le suggère la défenderesse, de déduire les montants payés pour acheter le produit hydratant et obtenir la garantie de 10 ans pour chacun des sofas. Ces éléments font partie d’une vente globale et sont étroitement liés à l’achat des deux sofas qui, bien avant l’expiration de cette garantie de 10 ans, ont cessé d’être utilisés pour les fins auxquelles ils étaient destinés. La garantie est devenue inutile à compter de ce moment-là.

[31]        La réduction devant être appliquée sur le prix total payé équivaut donc au montant proportionnel correspondant à la période d’utilisation des deux sofas (55 mois) par rapport à la période totale de ce qui aurait dû être leur vie utile (144 mois). La réduction est ainsi établie à 1 659,07 $ (4 343,76 $ x 55 / 144 ou 38,20  %).

[32]        Partant, en ce qui concerne sa première réclamation, le demandeur a droit au montant de 2 684,69 $ (4 343,76 $ - 1 659,07 $) et, suivant ce qui est exposé dans les conclusions du jugement, il devra remettre à la défenderesse les deux sofas en litige.

[33]        Pour ce qui touche les dommages moraux, la preuve offerte est insuffisante pour octroyer une indemnité à hauteur du montant demandé (2 000 $).

[34]        Le Tribunal constate néanmoins que le demandeur a dû subir des retards à la fois déraisonnables et  inexpliqués dans le traitement de ses plaintes auprès de la défenderesse. Les nombreux appels qu’il a faits sont demeurés trop souvent sans réponse pendant trop longtemps.

[35]        Pour ses troubles, ennuis et inconvénients, surtout les pertes de temps subies, le Tribunal lui accorde 400 $.

[36]        Enfin, le dossier ne présente aucun élément suffisant permettant de conclure que les dommages-punitifs réclamés (2 000 $) peuvent être accordés. Les critères développés par la jurisprudence ne sont pas démontrés ici. Cette réclamation est donc rejetée.

[37]        En définitive, la créance du demandeur est établie au montant total de 3 084,69 $ (2 684,69 $ + 400 $).

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ACCUEILLE en partie la réclamation du demandeur ;

PRONONCE la résolution de la vente intervenue le 7 mars 2014 entre le demandeur et la défenderesse pour l’achat de deux sofas en cuir de la marque Fonirama au prix total de 4 389,76 $, comprenant l’achat d’un produit hydratant et d’une garantie de 10 ans pour chacun des sofas ;

CONDAMNE la défenderesse à payer au demandeur la somme de 3 084,69 $, avec les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1618 C.c.Q., à compter de la demeure, le 28 janvier 2019 ;

DONNE ACTE au demandeur de son offre de remettre à la défenderesse les deux sofas en cuir ;

AUTORISE la défenderesse à se rendre au domicile du demandeur aux fins de reprendre possession des deux sofas en cuir, et ce, pour autant qu’elle lui donne un préavis de quatre jours ouvrables de la date où elle s’y rendra et qu’elle s’exécute dans un délai de 30 jours de la date du jugement ;

AUTORISE le demandeur à se départir comme il l’entend des deux sofas en cuir si la défenderesse ne s’exécute pas dans le délai précité de 30 jours ;

LE TOUT, avec les frais de justice de 190 $ en faveur du demandeur.

 

 

 

 

 

 

__________________________________

ALAIN BREAULT, J.C.Q.

 

 

 

Date d’audience :

18 mai 2021

 



[1]      RLRQ, c. P-40.1.

[2]      (C.A., 2016-01-15 (jugement rectifié le 2016-01-26)), 2016 QCCA 31, SOQUIJ AZ-51245973, 2016EXP-431, J.E. 2016-203 ; requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (C.S. Can., 2016-08-11), 36898.

[3]      Luc THIBAUDEAU, Guide pratique de la société de consommation, Tome 2, Les Garanties, 2017, Édition Yvon Blais, p. 702-703.

[4]      Vincent Karim, Les obligations, volume 2 (art. 1497 à 1707 C.c.Q.), 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, 1507 p.

[5]      Id., p. 1386-1387 et p.1391.

[6]      (C.Q., 2020-12-10), 2020 QCCQ 10032, SOQUIJ AZ-51736160.

[7]      Id., par. 24.

[8]      Lacasse c. Brault & Martineau, (C.Q., 2017-07-31), 2017 QCCQ 9899, SOQUIJ AZ-51422579 (10 ans), par. 19 ; Bergeron c. Mariette Clermont inc., (C.Q., 2014-05-09), 2014 QCCQ 3843, SOQUIJ AZ-51075153 (12 ans) ; Paquin c. Meubl’en Vrac, (C.Q., 2014-11-18), 2014 QCCQ 12432, SOQUIJ AZ-51138301 (10 ans) ; Bélisle c. Brick, (C.Q., 2012-11-21), 2012 QCCQ 13535, SOQUIJ AZ-50920464, par. 20 (environ 10 ans) ; Cantin c. Brick GP Ltd., (C.Q., 2011-03-29), 2011 QCCQ 4191, SOQUIJ AZ-50750370, par. 6 (certainement pas moins de 10 ans) ; Choinière c. Brick Warehouse, l.p., (C.Q., 2010-12-22), 2010 QCCQ 12352, SOQUIJ AZ-50710721, par. 23 (au moins 10 ans).

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