Dumais c. Jean-Charles Phillips avocat inc. | 2025 QCTAT 3180 |
|
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL |
(Division des relations du travail) |
|
|
Région : | Outaouais |
|
Dossiers : | 1314915-71-2303 1314916-71-2303 |
|
Dossier employeur : | 1073108 |
|
|
Montréal, | le 1er août 2025 |
______________________________________________________________________ |
|
DEVANT LA JUGE ADMINISTRATIVE : | Véronique Girard |
______________________________________________________________________ |
|
| |
Cindy Dumais | |
Partie demanderesse | |
| |
c. | |
| |
Jean-Charles Phillips Avocat inc. | |
Partie défenderesse | |
| |
| | | |
______________________________________________________________________
DÉCISION
______________________________________________________________________
L’APERÇU
- Le 1er mars 2023, Me Cindy Dumais, la plaignante, dépose deux plaintes en vertu de la Loi sur les normes du travail[1], la LNT, contre Jean-Charles Phillips Avocat inc., un bureau d’avocats faisant affaire sous la dénomination Mantha Phillips, afin de contester sa fin d’emploi survenue le 19 janvier précédent.
- Dans la première plainte, elle prétend avoir été congédiée en raison de son absence pour cause de maladie ayant débuté le 27 octobre 2022[2]. Dans la deuxième, elle soutient avoir fait l’objet d’un congédiement sans cause juste et suffisante[3].
- Mantha Phillips soulève un moyen préliminaire quant à la recevabilité des plaintes au motif que la plaignante n’est pas une salariée, mais une travailleuse autonome. Le cas échéant, cela ferait échec à ses deux recours, puisqu’il s’agit d’une condition d’ouverture à ceux-ci.
- Subsidiairement, si le Tribunal conclut qu’elle est une salariée, Mantha Phillips prétend avoir mis fin à son emploi pour une cause juste et suffisante n’ayant aucun lien avec son absence pour cause de maladie, soit son rendement insuffisant, sa négligence dans le suivi des dossiers et ses fautes déontologiques dans la planification de son absence qui, pris dans leur ensemble, constitueraient une faute grave.
- Il est convenu que le Tribunal se prononce d’abord sur la recevabilité et le bien-fondé des plaintes ainsi que sur la réintégration s’il les accueille et, le cas échéant, qu’il réserve sa compétence pour déterminer les autres mesures de réparation.
- Les questions en litige sont les suivantes :
- La plaignante est-elle une salariée au sens de la LNT?
- Dans l’affirmative, l’employeur a-t-il démontré qu’il a congédié la plaignante pour une cause sérieuse complètement étrangère à son absence pour cause de maladie?
- Le cas échéant, l’employeur a-t-il démontré que la plaignante a commis une faute grave lui permettant de procéder à son congédiement sans progression des sanctions?
- Si la plainte en vertu de l’article 124 de la LNT est accueillie, la réintégration doit-elle être ordonnée?
- Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que la plaignante est une salariée qui a fait l’objet d’un congédiement sans cause juste et suffisante. Sa plainte en vertu de l’article 124 de la LNT est donc accueillie. Sa plainte de pratique interdite l’est également, car l’employeur n’a pas démontré que le congédiement est étranger à son absence pour cause de maladie. Les parties étant toutes deux d’avis que la réintégration est impossible, elle n’est pas ordonnée.
La plaignante est-elle une salariée au sens de la LNT?
- Mantha Phillips est un bureau d’avocats de Gatineau offrant des services aux particuliers et aux entreprises. Il s’agit d’une société constituée en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions[4] et détenue par deux actionnaires, Me Vanessa Chénier et Me Jean-Charles Phillips. Ce dernier en est l’administrateur.
- Me Phillips qualifie l’entreprise de société de dépenses, soit un cabinet dans lequel chaque avocat contribue aux dépenses communes et est rémunéré en fonction des profits qu’il génère.
- Il précise que Mantha Phillips fournit un cabinet clés en main aux avocats œuvrant sous sa bannière : bureau, mobilier, outils de travail, service d’une adjointe, comptabilité, administration et conseils stratégiques. En contrepartie, les avocats lui paient entre 50 et 60 % de leurs revenus pour couvrir les frais du bureau.
- Mantha Phillips soutient n’avoir jamais eu d’avocat salarié à son emploi et que la plaignante y œuvrait comme travailleuse autonome. Me Phillips indique avoir mis sur pied un modèle d’affaires permettant de transférer ses connaissances, son expertise et ses clients à de jeunes avocats pour leur permettre de démarrer leur pratique. C’est ce qu’il a tenté de faire avec la plaignante.
- En décembre 2017, après la fin de son stage sous la supervision de Me Phillips, ce dernier propose à la plaignante de devenir actionnaire du cabinet. Elle refuse, car elle juge cela prématuré et non avantageux d’un point de vue fiscal.
- La plaignante prétend qu’elle est alors devenue une salariée de Mantha Phillips. Même si une partie de sa rémunération lui était versée à titre de revenus d’entreprise, elle affirme avoir toujours travaillé sous la subordination juridique de Me Phillips.
Le droit applicable
- La LNT définit la notion de salarié comme suit[5] :
« personne salariée » : une personne qui travaille pour un employeur et qui a droit à un salaire; cette expression comprend en outre le travailleur parti à un contrat en vertu duquel:
i. il s’oblige envers une personne à exécuter un travail déterminé dans le cadre et selon les méthodes et les moyens que cette personne détermine;
ii. il s’oblige à fournir, pour l’exécution du contrat, le matériel, l’équipement, les matières premières ou la marchandise choisis par cette personne, et à les utiliser de la façon qu’elle indique;
iii. il conserve, à titre de rémunération, le montant qui lui reste de la somme reçue conformément au contrat, après déduction des frais d’exécution de ce contrat;
- Cette définition d’une personne salariée englobe les entrepreneurs dépendants, qui demeurent subordonnés juridiquement à l’employeur. Seul l’entrepreneur indépendant est exclu de la LNT.
- La jurisprudence reconnaît que la relation employeur/salarié est composée de trois éléments : le salaire, la prestation de travail et l’existence d’un lien de subordination juridique, ce dernier élément étant au cœur de la détermination de la nature de la relation.
- Dans l’arrêt Dicom Express inc. c. Paiement[6], la Cour d’appel explique que la subordination juridique ne doit pas être confondue avec la dépendance économique. Elle contient l’idée d’une dépendance hiérarchique, qui inclut le pourvoir de donner des ordres et des directives, de contrôler l’exécution du travail et de sanctionner les manquements. Cependant, cette subordination s’exerce différemment selon le niveau hiérarchique de la personne concernée, l’étendue de ses compétences, la complexité et l’ampleur des tâches qui lui sont confiées, la nature du service offert et le contexte dans lequel elle exerce ses fonctions. L’analyse doit être faite dans une perspective globale.
- Le fait de jouir d’une liberté professionnelle pour accomplir son travail n’empêche pas d’être un salarié, comme le mentionnait le Tribunal du travail[7] à l’égard de chargés de cours universitaires :
Il faut donc revenir à la latitude dont jouit le chargé de cours dans l’exécution de son contrat. À notre avis, il est impossible de dissocier de la nature de la fonction exercée l’impact d’une latitude conférée dans l’exécution de celle-ci. Accorder toujours la même importance au résultat du test « contrôle sur la façon d’exécuter les tâches » mènerait à des absurdités; il est certain que dans divers domaines, et point n’est besoin de donner d’exemples, l’employeur doit se fier entièrement à son salarié spécialisé quant aux méthodes d’accomplissement du travail. Par ailleurs, dans d’autres secteurs où l’employeur pourrait sans doute exercer un contrôle plus serré de l’activité du salarié, il va de soi qu’il puisse lui laisser une marge de manœuvre importante, tenant compte d’un degré de confiance qu’impose le niveau de la fonction et le type de relations que cette dernière commande normalement.
[Nos soulignements]
- Les critères permettant de déterminer si une personne est un salarié ou un entrepreneur indépendant ont été résumés par le Tribunal dans une affaire récente impliquant également une avocate[8] :
[17] Dans une décision récente 9, le Tribunal répertorie cinq critères généralement reconnus par la jurisprudence afin de distinguer ces deux statuts :
• La subordination ou le contrôle de l’exécution du travail;
• La propriété des outils de travail;
• La possibilité de profits ou de pertes;
• L’intégration de la personne dans l’entreprise ou l’organisation;
• L’exécution personnelle du travail.
[18] Ces critères ne sont toutefois pas exhaustifs et leur importance relative dépend des circonstances et des faits particuliers de chaque affaire. Un exercice de pondération est requis afin de déterminer s’il y a subordination juridique, et ce, dans une perspective globale 10.
[19] De plus, la qualification de travailleur autonome dans un contrat ne peut faire obstacle à l’application de la LNT, qui est une loi d’ordre public 11. Il y a lieu d’aller au-delà des apparences contractuelles afin de déterminer s’il existe une relation employeur salarié 12. Comme le mentionne la Cour d’appel, un aménagement corporatif peut parfois servir de paravent « imposé par un employeur pour se décharger et échapper aux obligations que la loi lui impose à l’endroit de la personne soumise à sa subordination juridique » 13.
[20] Enfin, la qualification de travailleur autonome par les agences du revenu dépend de lois fiscales n’obéissant pas aux mêmes règles d’interprétation que celles de la LNT14.
[Nos soulignements et notes omises]
- Voyons ce qu’il en est dans le présent dossier.
L’application du droit aux faits
La prestation de travail
- À l’époque des faits, la plaignante travaille à temps complet pour Mantha Phillips, soit du lundi au vendredi de 8 h 30 à 16 h 30. À l’occasion, elle travaille davantage, notamment à l’approche d’un procès. L’entièreté de ses mandats est accomplie pour le compte de Mantha Phillips.
Le salaire
- Du mois de décembre 2017 au mois de février 2018, aucun salaire n’est versé à la plaignante à titre d’avocate[9]. Sa rémunération correspond à un pourcentage des revenus générés par son travail qui est facturé aux clients par Mantha Phillips. 60 % de ces revenus sont conservés par le cabinet pour couvrir les dépenses du bureau. Le reste est versé à la plaignante à titre de revenus d’entreprise. Ce pourcentage sera ultérieurement revu à 50 %.
- Au début de l’année 2018, la plaignante et Me Chénier approchent Me Phillips pour qu’une partie de leur rémunération soit versée toutes les deux semaines sous forme de salaire avec déductions à la source, assumées pour moitié par ces dernières. D’une part, elles souhaitent une certaine stabilité dans leurs revenus pour faire face à leurs obligations personnelles et d’autre part, elles veulent contribuer aux différents régimes gouvernementaux tels que le Régime des rentes du Québec, le Régime québécois d’assurance parentale, celui de la santé et de la sécurité au travail ainsi qu’à l’assurance-emploi, et ainsi, pouvoir bénéficier au besoin des prestations de ces organismes.
- Bien qu’initialement réfractaire au versement de salaires, Me Phillips finit par accepter. Il soutient toutefois que le salaire versé n’était qu’un véhicule de rémunération sous forme d’avance sur leurs revenus d’entreprise. La plaignante choisissait le montant à lui être versé sous cette forme et il lui appartenait de générer suffisamment de revenus pour ce faire, après paiement de sa quote-part des frais de bureau. Il souligne d’ailleurs qu’il a cessé le versement du salaire à l’automne 2022, parce que les revenus de la plaignante étaient insuffisants pour le couvrir.
- La plaignante se verse aussi ponctuellement des revenus d’entreprise[10] correspondant à sa quote-part des revenus générés par son travail, qui excèdent les versements de salaire bimensuels.
- Elle admet qu’elle recevait une partie de sa rémunération sous forme de salaire et l’autre sous forme de revenus d’entreprise, mais prétend qu’elle n’en était pas moins une salariée à part entière au sens de la LNT, et ce, en raison du lien de subordination juridique existant entre elle et Mantha Phillips. Elle explique le versement de revenus d’entreprise comme une forme d’incitatif à travailler davantage.
- Les déclarations de revenus de la plaignante confirment qu’entre 2018 et 2022, elle a déclaré à la fois des revenus d’emploi et des revenus de profession libérale profitant ainsi des avantages fiscaux liés à chacun des statuts. Toutefois, il est bien établi que la qualification de travailleur autonome aux fins fiscales n’obéit pas aux mêmes règles que celles de la LNT[11].
- La preuve révèle aussi que grâce à la rémunération versée sous forme de salaire, la plaignante a reçu des prestations d’assurance-emploi durant ses deux arrêts de travail et que le cabinet a pu bénéficier de subventions salariales durant la pandémie. Ces subventions ont été remises en totalité aux deux avocates. Le versement de salaires présentait également certains avantages pour le cabinet, puisqu’il s’agit d’une dépense qui permet de réduire le revenu imposable de la société par actions. Chaque partie a donc tiré profit de l’ambiguïté de la situation.
- Même si Mantha Phillips affirme qu’il ne voulait pas d’avocate salariée dans son cabinet, il a quand même accepté qu’une partie de la rémunération de la plaignante lui soit versée sous forme de salaire, avec déductions à la source.
- De plus, malgré la preuve extensive soumise par Mantha Phillips pour démontrer que la rémunération de la plaignante, quelle que soit la forme de son versement, provenait en totalité de revenus générés par son travail à titre autonome, celle-ci rencontre quand même la définition de salaire au sens de la LNT.
- En effet, le salaire est défini dans la LNT[12] comme : « la rémunération en monnaie courante et les avantages ayant une valeur pécuniaire dus pour le travail ou les services d’une personne salariée ». Cette notion doit recevoir une interprétation large et libérale pour inclure toutes les formes de rémunération.
- Le fait d’avoir un mode de rémunération complexe, à base de rendement ou de bonus, ou d’assumer des dépenses n’empêche pas de reconnaître la rémunération que recevait la plaignante à titre de salaire dû pour son travail[13].
Le lien de subordination juridique
Le contrôle de l’exécution du travail
- Me Phillips mentionne qu’en prévision de sa retraite, il souhaite transférer ses clients à Me Chénier et à la plaignante, selon leur champ d’expertise, tout en demeurant disponible pour leur fournir des conseils. Il s’agit cependant de leurs dossiers dans lesquels il ne s’immisce pas à moins qu’elles le demandent.
- Il affirme avoir pris une préretraite en mars 2019 en rassurant ses clients qu’il demeurerait présent tant que ses collègues en auraient besoin. Il indique ne plus avoir de dossiers propres. Il voyage fréquemment pour de longues périodes, mais continue d’assurer l’administration du bureau, ce qu’il peut faire à distance. Lorsqu’il n’est pas en voyage, Me Phillips va au bureau presque tous les jours et continue de faire des activités pour trouver de nouveaux mandats. Il se décrit comme étant le coordonnateur du bureau. Les deux avocates l’appellent affectueusement « le boss ». Lorsqu’il travaille dans un dossier, il le fait comme avocat-conseil et son temps est facturé au dossier de l’avocate responsable.
- De son côté, la plaignante affirme que, sauf quelques exceptions, tous ses clients sont d’anciens clients ou connaissances de Me Phillips. Il n’est pas rare qu’elle arrive au bureau le lundi matin et qu’un nouveau dossier ait été déposé sur sa chaise par ce dernier. Plus elle gagne en expérience, plus elle devient autonome dans la conduite des dossiers, mais, selon elle, Me Phillips a toujours un œil sur ceux-ci. Elle fait peu d’efforts pour développer sa propre clientèle, ce que Me Phillips lui reproche d’ailleurs dans son avis de départ.
- Selon la plaignante, Me Phillips conserve un droit de regard sur ses dossiers. Dans des échanges survenus entre les deux en 2022, elle lui demande de réviser des mises en demeure et s’enquiert de sa marge de manœuvre pour une conférence de règlement à l’amiable. À une seule reprise, elle ne suit pas les directives ou conseils que ce dernier lui donne pour la conduite des mandats. Par ailleurs, il arrive fréquemment que les clients appellent directement Me Phillips pour avoir des nouvelles de leur dossier.
- Selon ce dernier, cela s’explique par la longue relation qu’il a développée avec eux, mais n’indique pas qu’il conserve un quelconque contrôle sur le travail de la plaignante. Il plaide que s’il avait exercé un véritable contrôle sur son travail, il se serait aperçu bien avant l’automne 2022 du laxisme dont elle faisait preuve. Pour lui, cela démontre qu’elle n’était pas sa subordonnée.
- Il n’est pas contesté que Me Phillips ne faisait pas d’évaluation du rendement de la plaignante et qu’il n’a jamais sanctionné ses manquements. Le seul moment où il lui a fait part de tels commentaire est lorsqu’il a mis fin à leur relation, le 19 janvier 2023. Il marquait cependant son appréciation du travail par des cadeaux.
- Me Philips exige qu’une personne soit présente au bureau en tout temps pour recevoir les clients et demande que les avocates et la secrétaire se coordonnent entre-elles pour assurer une présence durant les heures ouvrables.
- Au début de l’année 2021, la plaignante doit arrêter de travailler quelques mois en raison d’une blessure. Alors qu’elle pensait être en arrêt de travail complet pour cause de maladie, Me Phillips envoie la secrétaire du cabinet chez elle quelques heures par jour pour qu’elle continue d’accomplir une partie de son travail. Bien qu’elle considère qu’elle devrait être au repos, elle n’ose rien dire et essaie de travailler tant bien que mal.
- Au niveau des vacances, la plaignante pouvait décider de leur durée et du moment pour les prendre, mais devait se coordonner avec sa collègue. Elle ne recevait pas de paie de vacances comme telle, mais continuait de recevoir ses versements de salaire aux deux semaines. Elle affirme qu’elle ne pouvait s’absenter plus de trois semaines consécutives, car Me Phillips ne l’aurait pas autorisée. Il a d’ailleurs émis des commentaires réprobateurs sur la durée de ses vacances à l’été 2022.
- Ce dernier nie avoir exercé un quelconque contrôle à ce sujet. Bien qu’il s’interroge sur l’à-propos des longues vacances de la plaignante au mois d’août 2022, à l’aube de sa convalescence, il n’intervient pas à ce sujet. Il plaide que s’il avait été l’employeur, il ne l’aurait pas permis. Il ajoute n’avoir jamais payé d’indemnité de vacances. La plaignante décidait des versements qu’elle souhaitait se faire durant ses vacances en fonction des revenus disponibles.
- En cas d’absence, la plaignante prévient sa collègue et envoie aussi un courriel à Me Phillips. Ce dernier soutient que cela n’est que pure courtoisie et non un indicateur d’une quelconque subordination.
- Évidemment, en raison de la nature professionnelle des activités exercées, la plaignante jouit d’un important niveau d’autonomie dans son travail. Le contrôle exercé par Me Phillips n’est pas quotidien, mais il demeure présent. Celui-ci s’exerce principalement par la gestion de l’administration du cabinet, la vérification des travaux en cours et des heures facturables afin de s’assurer de la suffisance des revenus, ce qu’il peut faire à distance. Le fait que les clients continuent de l’appeler directement et qu’il relaie des informations à la plaignante suivant ces conversations démontre qu’il conservait une forme de contrôle sur son travail, dont l’intensité variait selon les dossiers. Il est d’ailleurs révélateur qu’à quelques exceptions près, l’ensemble des clients est demeuré avec lui après le départ de la plaignante.
La propriété des outils de travail
- Tous les outils de travail de la plaignante appartiennent à Mantha Phillips : bureaux, salle de conférence, imprimantes, archives, casiers à la cour, serveurs ainsi que son ordinateur. À son départ, elle ne récupère que ses livres de doctrine. Par ailleurs, le choix des outils est effectué par Me Phillips. Ce dernier refuse notamment de fournir aux avocates l’accès à une banque de jurisprudence en ligne, dont le coût lui apparait trop élevé.
La possibilité de profits ou de pertes
- Plus la plaignante accomplit de travail, plus sa rémunération est élevée. Il est possible d’en conclure que sa possibilité de profits est en lien direct avec le travail qu’elle facture, comme le prétend l’employeur, ou d’y voir une forme de prime d’intéressement, comme le soutient la plaignante. Cet élément n’est donc pas particulièrement probant pour conclure dans un sens ou dans l’autre. Par ailleurs, la plaignante n’a pas accès aux bénéfices de l’entreprise.
- Le 21 août 2022, au retour des vacances de la plaignante, Me Phillips l’informe qu’il va diminuer le montant des versements sous forme de salaire, car les revenus qu’elle génère sont insuffisants pour justifier le montant qu’elle se verse à ce titre.
- À la mi-octobre, il décide unilatéralement de suspendre en totalité les versements de salaire de la plaignante jusqu’à son retour de convalescence. Il ajoute que par la suite, sa rémunération ne sera qu’à pourcentage jusqu’à ce que la situation financière soit rétablie et qu’elle devra lui faire part de son plan de redressement.
- À ces deux occasions, il évoque à la plaignante la nécessité d’un plan de redressement financier. C’est donc dire que Mantha Phillips lui impose des objectifs de performance à rencontrer à cet égard, même s’ils n’ont jamais été établis de façon précise.
- Certes, la plaignante a subi une baisse de revenus en raison de la diminution de sa facturation, mais elle a reçu des prestations d’assurance-emploi et la preuve ne révèle pas qu’elle a dû assumer les risques de créances impayées ou d’augmentation des frais d’exploitation du cabinet. Aucun montant ne lui a été réclamé à ce titre. En réalité, c’est Mantha Phillips qui a assumé des pertes dues à la baisse de revenus générés par la plaignante.
L’intégration de la personne dans l’entreprise ou l’organisation
- Mantha Phillips qualifie son entreprise de société de dépenses, communément appelée société nominale, soit un regroupement de professionnels œuvrant dans les mêmes bureaux et qui s’entendent sur certaines dépenses communes.
- Dans L’exercice de la profession d’avocat avec d’autres[14], Me Michelle Thériault explique que dans une société de dépenses, chacun exploite sa propre entreprise et conserve, à titre individuel, sa clientèle et ses revenus. Les parties s’entendent tout simplement pour partager les dépenses communes relatives à l’exploitation d’un bureau.
- Le Tribunal considère que cette définition ne correspond pas à la situation de la plaignante.
- La preuve révèle que tous les gestes posés par cette dernière dans le cadre de ses fonctions le sont au nom de Mantha Phillips. Ainsi, généralement, ses procédures et correspondances sont effectuées sous cette dénomination et non en son nom personnel. Les factures sont émises au nom du cabinet et les honoraires gagnés sont versés au compte en fidéicommis de Mantha Phillips. La plaignante n’en a jamais détenu. Cette dernière partage un agenda commun avec Me Phillips et Me Chénier pour le suivi des dossiers, notamment les dates de procès.
- Il appert qu’avant de devenir actionnaire, Me Chénier avait un statut de travailleuse autonome. Or, lors d’une inspection professionnelle effectuée auprès de cette dernière en 2016, le Barreau relève une problématique avec le fait d’être travailleuse autonome et d’utiliser le nom et le compte en fidéicommis du bureau. Il lui est alors demandé d’éclaircir sa situation professionnelle. Selon Me Chénier, si elle voulait continuer à travailler sous l’égide de Mantha Phillips et ainsi ne pas avoir à gérer l’administration, elle devait être soit salariée, soit actionnaire. C’est cette dernière option qu’elle a retenue de concert avec Me Phillips.
- La plaignante quant à elle a refusé de devenir actionnaire de Mantha Phillips. L’employeur ne pouvait donc ignorer que le statut de travailleuse autonome se conciliait mal avec la structure qu’il proposait pour l’intégrer à la pratique du cabinet.
- Le Tribunal note d’ailleurs qu’à compter de 2020, une autre avocate pratiquant véritablement à son compte sous sa propre dénomination a loué un bureau chez Mantha Phillips et payé pour certaines dépenses, comme l’utilisation des imprimantes, mais sans jamais être intégrée au cabinet.
L’exécution personnelle du travail
- La plaignante exécute personnellement le travail et elle ne peut le faire exécuter par une personne autre qu’un membre du cabinet.
Conclusion sur l’existence d’un lien de subordination juridique
- La nature de la relation entre la plaignante et Mantha Phillips n’a jamais été documentée par écrit. Les parties ont toutes deux tiré profit du flou entretenu à cet égard, jusqu’à ce que leur relation s’effrite. La plaignante se considérait et se comportait comme une salariée, alors que Me Phillips, à l’aube de sa retraite, comptait sur elle pour prendre en charge, à titre de travailleuse autonome, une partie de sa clientèle et faire fructifier le cabinet.
- L’analyse globale des différents critères penche cependant en faveur de l’existence d’un lien de subordination juridique entre Mantha Phillips et la plaignante. Même si celle-ci jouissait d’un niveau d’autonomie appréciable dans la conduite de ses dossiers et la gestion de son temps en raison de la nature de son travail, elle accomplissait toujours celui-ci sous un certain contrôle de son administrateur et actionnaire, Me Phillips. L’entièreté de son travail d’avocate était effectuée sous l’égide de Mantha Phillips, auquel elle était pleinement intégrée. De plus, le cabinet lui fournissait tous ses outils de travail. Le mode de rémunération retenu par les parties, notamment à des fins fiscales, n’est pas suffisant pour lui faire perdre son statut de salariée.
- Le Tribunal conclut que la plaignante est une salariée au sens de la LNT et que Mantha Phillips était son employeur. Il en découle que, lorsque le 19 janvier 2023, ce dernier écrit à la plaignante pour l’informer qu’il doit mettre un terme à sa relation d’affaires au terme de sa convalescence, il s’agit d’un congédiement au sens de cette même loi.
l’employeur a-t-il démontré qu’il a congédié la plaignante pour une cause sérieuse complètement étrangère à son absence pour cause de maladie?
- De façon subsidiaire, puisqu’il ne s’est jamais considéré comme son employeur, Mantha Phillips prétend avoir mis fin à l’emploi de la plaignante pour une cause juste et suffisante étrangère à son absence pour maladie, soit son rendement insuffisant, sa négligence dans le suivi des dossiers et ses fautes déontologiques dans la planification de son absence.
Le droit applicable
- L’article 122 de la LNT interdit à un employeur de congédier un salarié en raison de l’exercice d’un droit qui lui résulte de cette loi.
- S’il est établi à la satisfaction du Tribunal qu’une personne salariée est congédiée de façon concomitante à l’exercice d’un droit lui résultant de la LNT, le congédiement est présumé l’avoir été à cause de l’exercice de ce droit[15].
- La plaignante s’est absentée pour cause de maladie à partir du 27 octobre 2022 afin de subir une chirurgie et permettre sa convalescence[16]. L’employeur a mis fin à son emploi quelques jours avant son retour au travail prévu le 30 janvier 2023. Il y a donc concomitance entre le droit exercé et le congédiement donnant ouverture au bénéfice de la présomption de congédiement illégal.
- Lorsque la présomption s’applique, il appartient alors à l’employeur de prouver, par une preuve prépondérante, que le congédiement a été effectué pour une cause sérieuse, par opposition à un prétexte, qui constitue la raison véritable de la fin d’emploi[17].
- Comme le mentionne le Tribunal dans l’affaire Boulay c. Gestion immobilière DLS inc.[18] :
[12] Malgré la formulation de l’article 17 du Code, lors d’une plainte déposée selon l’article 122 de la LNT, le Tribunal n’a pas à déterminer si la décision de l’employeur repose sur une cause juste et suffisante, mais si les motifs allégués pour mettre fin à l’emploi de la plaignante sont bien réels ou, au contraire, sont de la nature d’un prétexte visant à empêcher l’exercice du droit dont elle se prévaut4.
[Notre soulignement et note omise]
- Par ailleurs, dès que le congédiement procède d’un motif illicite, ou que celui-ci cohabite avec un autre qui lui est licite, la présomption ne sera pas repoussée[19]. En d’autres termes, dès qu’un motif prohibé joue un rôle dans la décision de congédier une personne salariée, la mesure sera irrémédiablement viciée, sans qu’il soit nécessaire de déterminer dans quelle proportion il y a contribué, telle une goutte de poison qui contamine l’eau du vase[20].
L’application du droit aux faits
- Les parties entretiennent une excellente relation jusqu’en 2022. La plaignante affirme que les membres du cabinet étaient sa deuxième famille. Me Chénier et elle sont même allées rejoindre Me Phillips dans le Sud pour des vacances en février 2022.
- Me Phillips rentre au pays au mois d’avril 2022. Il est alors appelé à intervenir dans un dossier dont la plaignante est responsable. Le client l’appelle directement pour savoir ce qui se passe dans son dossier qui ne progresse pas. À la suite de son intervention, la situation se règle, mais il constate l’inaction de la plaignante dans le suivi de ce mandat confié par un important client du bureau.
- Durant la même période, un autre client important communique avec lui, n’ayant pas eu de réponse de la plaignante quant aux développements survenus dans son dossier. Me Phillips s’aperçoit alors que cette dernière n’a fait aucune procédure utile depuis près d’un an. Il réaligne le dossier et tente tant bien que mal d’expliquer la situation au client. Il est très contrarié de l’absence de réponse de la plaignante aux courriels de suivi du client ainsi que de son inaction dans le dossier depuis un an. Cependant, il ne lui en parle pas. Au contraire, à la fin du mois de juin, il lui remet une bouteille de vin en cadeau pour souligner son excellent travail.
- Enfin, il constate également une baisse des revenus générés par la plaignante, comparativement aux années précédentes. Il n’en discute pas avec elle à ce moment, car il demeure persuadé que la facturation non effectuée pourra rectifier la situation.
- Au cours de l’été 2022, la plaignante apprend qu’elle va devoir être opérée rapidement pour guérir sa blessure lui ayant causé un arrêt de travail d’environ trois mois l’année précédente. Celle-ci est d’abord planifiée au mois d’août, puis sera reportée à trois reprises par la suite. Elle sera finalement opérée le 2 novembre 2022. Elle indique avoir avisé Me Chénier et Me Phillips dès le mois de juin qu’elle ne prendrait plus de gros dossiers à partir de ce moment, puisqu’elle ne serait pas en mesure de les gérer durant son absence.
- Me Phillips nie avoir été informé de cette décision qu’il considère comme un non-sens. Selon lui, la plaignante aurait dû travailler davantage afin de compenser sa perte de revenus éventuelle liée à sa convalescence. Il se surprend également qu’elle prenne trois semaines de vacances au mois d’août, alors qu’elle sera sous peu en arrêt de travail.
- Au mois d’août 2022, Me Phillips réalise que les travaux en cours et les entrées d’argent à venir ne seront pas suffisants pour couvrir le salaire de la plaignante. Celle-ci ne compte alors plus que 16 dossiers, alors qu’elle en avait 40 en 2020.
- Le 21 août 2022, la veille du retour de vacances de la plaignante, Me Phillips lui transmet le courriel suivant pour l’aviser de la réduction de son salaire et évoquer un plan de redressement :
Cindy, j’espère que les vacances ont été bonnes. Pour le retour, tu noteras que la niveau d’activité dans tes dossiers semble avoir diminué considérablement. Il faudra établir un plan de redressent j’imagine. Je te laisse regarder cet aspect.
Pour ma part, il m’apparait évident que le niveau de facturation ces prochaines semaines ne sera pas suffisant pour justifier le salaire actuel. J’ai donc procédé avec la modification du taux horaire effectif a la prochaine paye. Tu seras au même salaire que Van.
Comme tu sais, je ne suis pas un fervent du salaire et j’étais plutôt contrarié aux augmentations avec le temps, mais bon. Donc, je rajuste et je vais privilégié les retraits le cas échéant.
Merci de ta compréhension,
Le ptit boss
MP
[Transcription textuelle]
- La plaignante se dit étonnée de recevoir un tel courriel à son arrivée au bureau. Elle ne comprend pas ce qui se passe. Selon elle, tout va bien. Elle a beaucoup de travail qui n’a pas encore été facturé aux clients, ce qui devrait régler la situation financière. Elle affirme en avoir discuté avec Me Phillips qui aurait alors accepté de rétablir son salaire. Ce dernier nie qu’une telle discussion ait eu lieu. Aucun plan de redressement ne lui a été présenté, ce qui l’a amené à diminuer les versements à nouveau à la fin du mois de septembre et à les cesser complètement à la mi-octobre.
- Selon la plaignante, c’est à partir de son retour de vacances que la relation avec Me Phillips se détériore. Il cesse alors de lui adresser la parole, l’évite, ne la salue plus et chaque fois qu’elle l’interpelle pour discuter d’un dossier, il lui répond qu’il n’a pas le temps. Il part pour un voyage au mois d’octobre sans même l’en aviser.
- Le 18 octobre 2022, la plaignante écrit à Me Phillips pour savoir s’il a réglé la question des paies et quel salaire il lui a appliqué. Ce dernier lui répond qu’il suspend son salaire jusqu’à son retour de convalescence et que, par la suite, elle sera rémunérée uniquement par retraits en fonction de son pourcentage de ses honoraires facturés, et ce, jusqu’à ce que la situation financière soit rétablie et permette à nouveau le versement d’un salaire bimensuel. Il ajoute : « Tu pourras me faire part de ton plan de redressement ».
- La plaignante s’inquiète alors des conséquences de cette suspension sur son droit à des prestations d’assurance-emploi durant sa convalescence. Me Phillips la rassure en lui disant qu’il va tenter de ne pas compromettre ses prestations. La plaignante ne semble pas remettre en question le fondement de la cessation du salaire ni la demande d’un plan de redressement. Selon elle, Me Phillips voulait tout simplement lui mettre de la pression pour la forcer à continuer à travailler durant sa convalescence comme l’année précédente, ce qu’elle refusait de faire, sa santé ne le permettant pas.
- La plaignante indique qu’à l’approche de sa chirurgie, elle panique, car personne au bureau ne semble vouloir prendre en charge ses dossiers durant sa convalescence. Me Phillips la fuit et Me Chénier est débordée par un important procès prévu en décembre. Celle-ci ne pourra gérer que les urgences. La plaignante affirme avoir préparé une liste de dossiers avec des suivis à faire, mais avoir quitté le bureau pour sa convalescence le 27 octobre avec celle-ci, faute d’avoir pu la transmettre à ses collègues. Elle se dit alors qu’ils communiqueront avec elle si jamais un problème survenait dans l’un de ses dossiers.
- Me Phillips nie avoir été sollicité par la plaignante pour assurer le suivi de ses dossiers, mais confirme que leur relation était alors tendue. De son côté, Me Chénier affirme que la plaignante lui a montré une feuille résumant certains dossiers où une action pourrait être nécessaire en son absence et lui a transféré un dossier avant de partir, mais qu’elle lui a indiqué que tout était sous contrôle pour le reste.
- L’arrêt de travail de la plaignante qui devait initialement durer six semaines a été prolongé à la mi-décembre pour une durée additionnelle de six semaines, soit jusqu’au 30 janvier 2023. Elle communique alors avec sa collègue pour faire le suivi de ses dossiers. Cette dernière lui indique que c’est Me Phillips qui va s’en occuper.
- Le 19 janvier 2023, quelques jours avant son retour prévu au travail, Me Phillips appelle la plaignante pour l’informer qu’elle ne reviendra pas travailler au cabinet pour les motifs indiqués dans un courriel qu’il s’apprête à lui transmettre.
- Selon l’employeur, après de premières années prometteuses, les revenus et la clientèle de la plaignante ont périclité obligeant Me Phillips à suspendre sa retraite et à mettre un terme à la relation d’affaires de Mantha Phillips avec elle.
- L’employeur soutient que la fin d’emploi de la plaignante était nécessaire, urgente et incontournable pour les motifs indiqués précédemment. Le lien de confiance était rompu et la réputation de même que les finances de l’entreprise étaient en jeu. Il qualifie les gestes reprochés à la plaignante comme étant une faute lourde ou grave caractérisée par une insouciance, une imprudence ou une négligence grossière qui ont perturbé la bonne marche de son entreprise.
- La plaignante affirme que c’est en prenant connaissance de son avis de départ qu’elle est informée pour la première fois des reproches de l’employeur. C’est à l’audience qu’elle apprend les faits au soutien des reproches invoqués dans cette lettre.
Les causes de fin d’emploi invoquée par l’employeur
- L’absence de transfert de dossiers avant son départ en convalescence est l’un des principaux reproches formulés par l’employeur à l’égard de la plaignante. Selon lui, il s’agit d’un manque flagrant à ses obligations déontologiques. Un avocat qui s’absente doit prendre les moyens raisonnables pour s’assurer que ses dossiers ne seront pas laissés sans suivi durant cette période.
- Dans l’avis de départ, Me Phillips écrit ce qui suit :
[…]
Responsabilité et charge des dossiers
Avant ton départ pour congé de maladie en octobre 2022, il était de ton devoir de préparer cette période d’absence.
Je suis abasourdi à l’idée qu’avant ton congé, tu n’as écrit aucune liste de dossiers en cours avec un résumé de l’état de la situation, notamment les mesures prises, les mesures à venir et les éventualités. Il s’agit à mon avis d’un manque flagrant de responsabilité de quitter le bureau sans laisser ces instructions.
Aussi, il aura été de ton devoir de mettre en place des mesures pour assurer le suivi des courriels et éviter pour ne citer que le plus récent évènement, qu’une convocation d’un juge à une conférence soit communiquée 17 jours plus tard et 2 jours avant la séance.
[Transcription textuelle]
- En effet, Me Phillips mentionne avoir pris sa décision de se départir de la plaignante le 9 janvier 2023. Alors qu’il est à l’hôpital pour un ennui de santé, celle-ci lui transfère un courriel datant du 23 décembre précédent d’un juge de la Cour du Québec la convoquant à une conférence téléphonique devant avoir lieu le 12 janvier 2023. La plaignante lui transfère la convocation avec la mention : « Je ne sais pas si vous avez eu le courriel ci-dessous ». Me Phillips doit, à seulement trois jours de préavis, se familiariser avec le dossier. Il constate que ce dernier est incomplet et que la plaignante n’a posé aucune action depuis plusieurs mois, alors que le juge coordonnateur avait demandé certains suivis au mois de juin précédent.
- La plaignante répond que durant sa convalescence, elle regardait ses courriels à l’occasion, mais pas de façon régulière. C’est ce qui, selon elle, explique son délai à transmettre la convocation du juge à Me Phillips. Elle ajoute qu’il n’y avait pas d’entente à ce qu’elle fasse un suivi régulier de ses courriels. Or, la plaignante n’a pas demandé à quiconque au cabinet d’effectuer un suivi régulier de ceux-ci. Elle mentionne que ses clients étaient avisés de sa convalescence et qu’elle avait un message de réponse automatique avertissant de son absence et demandant de communiquer avec Me Chénier pour toute question nécessitant une attention immédiate.
- Me Phillips cite également en exemple un procès de cinq jours devant avoir lieu au début du mois de décembre 2022, dans un dossier de la plaignante, pour lequel elle n’a assuré aucun suivi et qui n’a même pas été indiqué à l’agenda commun. Me Phillips en a été informé en raison d’une communication reçue du juge coordonnateur quelques jours avant le procès.
- De son côté, la plaignante affirme avoir ajouté le procès à l’agenda commun. Il s’agissait selon elle d’un dossier impliquant un ami de Me Phillips à qui elle n’a jamais parlé. Elle recevait de Me Phillips ses consignes sur les actions à poser dans le dossier et ce dernier lui a toujours dit qu’il ne serait pas nécessaire de participer au procès, le client n’étant que périphérique au litige. Il demeure qu’elle ne s’est pas assurée que ce dossier serait adéquatement pris en charge en son absence.
- La plaignante prétend que la preuve est claire que son absence maladie est la cause de son congédiement. L’employeur lui reproche de ne pas avoir géré ses dossiers durant sa convalescence alors qu’une personne en absence maladie ne devrait pas continuer de travailler. Elle a tout de même assuré un suivi minimal de certains dossiers durant sa convalescence, comme le démontre la preuve documentaire.
- Elle ajoute que Me Phillips s’est dégagé de toute responsabilité alors qu’il avait le devoir de collaborer avec elle pour gérer son absence pour maladie. Une telle absence vient avec des inconvénients que l’employeur ne peut utiliser par la suite pour justifier son congédiement. Elle prétend que ce dernier a coupé la communication avec elle dans l’espoir qu’elle continue à travailler durant sa convalescence comme il le lui avait imposé en 2021. Il ne peut lui reprocher par la suite de ne pas avoir assuré le suivi des dossiers durant sa convalescence.
- Le courriel transféré le 9 janvier pour une convocation d’un juge à une conférence téléphonique que l’employeur identifie comme l’évènement culminant ayant mené à sa décision de mettre fin à l’emploi de la plaignante démontre, selon elle, que la décision de l’employeur était contaminée par un motif illicite. Le délai à lui transférer ce courriel ne s’explique que par son absence maladie.
- Il est vrai que l’attitude et la bouderie de Me Phillips n’ont pas facilité les choses pour le transfert des dossiers. Il s’est ainsi dégagé de toute responsabilité par rapport à la gestion de son absence et au suivi des dossiers. Quant à la plaignante, elle explique en partie son inaction par son statut de salariée n’ayant pas la responsabilité ultime des dossiers.
- Le Tribunal ne peut cependant retenir la prétention de la plaignante sur ce point. Comme avocate et professionnelle, peu importe son statut, et considérant le niveau d’autonomie dont elle jouissait dans son travail, elle se devait de s’assurer que les dossiers dont elle avait la charge ne demeurent pas sans suivi durant son absence. Elle aurait dû laisser au bureau ou sur le réseau sa liste de dossiers en cours comprenant un résumé et précisant les actions imminentes à prendre et les délais pour chacun d’eux.
- De même, il était de sa responsabilité d’effectuer un suivi régulier de ses courriels ou de s’assurer que quelqu’un le fasse pour elle. Certes, son absence ne devait initialement durer que six semaines, mais même pour une telle durée, un avocat doit s’assurer que ses dossiers font l’objet d’un suivi adéquat. Son comportement ne peut être excusé par le fait qu’elle attendait qu’on l’appelle en cas de problème. Il s’agit assurément d’une faute commise par la plaignante. Nous reviendrons ultérieurement sur sa qualification.
- Pour le Tribunal, l’employeur a démontré que la plaignante a eu une conduite insouciante en ne s’assurant pas que ses courriels et ses dossiers fassent l’objet d’un suivi adéquat et régulier durant son absence, notamment par le biais d’une liste résumant les dossiers accessibles aux autres membres du cabinet. Le Tribunal conclut que ce motif ne constitue pas un prétexte pour se départir de la plaignante en raison de sa convalescence.
La qualité de son service à la clientèle et les lacunes dans le suivi des dossiers afin de les faire progresser, affectant la crédibilité et la réputation du cabinet
- À son retour de voyage le 4 novembre 2022, Me Phillips passe en revue l’ensemble des dossiers de la plaignante. Il se rend compte que les écueils survenus dans deux dossiers au printemps précédent n’étaient pas des évènements isolés. Il constate l’existence de ce qu’il qualifie de problème de fond, d’inaction et de laxisme dans la gestion des dossiers.
- L’employeur a mis en preuve l’ensemble des lacunes trouvées dans chacun des dossiers : radiations d’hypothèque non effectuées; un dossier en suspens depuis 4 ans; l’absence de démarches pour accélérer une audience au Tribunal administratif du logement, ce qui a entrainé une perte de loyers importante pour un client; une mise en demeure préparée, mais jamais envoyée, malgré des honoraires facturés; l’absence de réponses au client et de démarches pour faire avancer un dossier de succession.
- Les explications fournies par la plaignante pour expliquer son inaction dans certains dossiers sont peu convaincantes. Dans le dossier de succession, elle prétend que Me Phillips était impliqué et qu’il parlait fréquemment aux clients. Elle croyait qu’il s’en occupait.
- L’employeur prétend avoir réglé l’ensemble des situations rapidement. Cependant, il n’a pu facturer son travail, puisqu’il reprenait celui déjà effectué par la plaignante et tentait de regagner la confiance des clients. En somme, il lui reproche son manque de suivi pour s’assurer que les démarches effectuées donnent les résultats escomptés ainsi que son manque de proactivité et d’initiative pour faire avancer les dossiers rapidement à la satisfaction des clients. Selon lui, cette façon de travailler ne correspond pas aux valeurs du cabinet qu’il a mis sur pied et explique la baisse des dossiers et des revenus de la plaignante.
- C’est ce qu’il écrit dans son avis de départ :
[…]
J’ai été à même de constater qu’il y avait des lacunes inexplicables en ce qui concerne les suivis des dossiers, le suivi avec les clients et des appels de clients demeurés sans réponse, donc sans suivi! Ce n’est pas ma façon de fonctionner.
En ce qui concerne la qualité du travail, comme avocat et comme cabinet, nous avons une obligation de moyens. Le non-respect des délais, le manque de stratégie ou l’inaction complète dans les dossiers sont des erreurs qui sont inadmissibles.
Des clients ont communiqué directement avec moi avec ce genre de remarques. Inévitablement, la crédibilité et la réputation de mon bureau en sortent grandement affectées. J’ai toujours été disponible pour aider au besoin et ces manquements ne peuvent être tolérés plus longtemps.
Comme avocate, tu as la responsabilité d’offrir un service impeccable à la clientèle. Un service ordinaire n’est pas suffisant. Ce service à la clientèle ce doit d’être sérieux, efficace et personnalisé. Ces qualités sont au cœur de mes valeurs et la clé du succès de mon cabinet. Je constate à regret et malgré tout l’encadrement offert que tu n’as pas consacré les efforts nécessaires à ce niveau.
[Transcription textuelle]
- Bien que découvertes pour la plupart durant la convalescence de la plaignante, ces problématiques sont survenues antérieurement à celle-ci. Pour les fins de la plainte en pratique interdite, l’employeur a démontré par une preuve prépondérante qu’il s’agit d’un motif réel au soutien sa décision de se départir de la plaignante, qui ne constitue pas un prétexte en lien avec son absence pour cause de maladie.
L’incapacité d’assurer le paiement de son salaire et de générer des profits
- L’employeur affirme qu’au cours de l’année 2022, il a constaté une régression au niveau des heures facturables de la plaignante et une réduction importante du nombre de dossiers. Il ne s’explique pas cette situation étant donné qu’il lui a transféré l’ensemble de sa clientèle en matière civile. C’est ce qui l’amène à baisser les versements de salaire en août et à les supprimer par la suite. Évidemment, cette baisse de volume d’affaires a un impact direct sur les revenus de son entreprise, puisque la plaignante lui verse 50 % des revenus qu’elle génère. Il indique qu’en janvier 2023, le volume d’affaires est si bas, qu’il ne peut même pas recruter une autre jeune avocate pour prendre le relais de la plaignante.
- Me Phillips aborde la problématique financière avec la plaignante à deux reprises, en août et en octobre 2022, lorsqu’il est question de la baisse et de la suppression des versements sous forme de salaire. Il évoque alors un plan de redressement. Certes, il le fait davantage comme administrateur de la société, mais selon lui, un employeur n’accepterait pas non plus de garder à son emploi une avocate qui ne fait pas ses frais et qui ne fait aucun effort de développement de clientèle.
- La version des parties est contradictoire quant à l’existence d’une entente intervenue en juin 2022 pour que la plaignante n’entreprenne pas de gros dossiers avant sa chirurgie. Rappelons que celle-ci visait à guérir une condition lui causant de la douleur et des limitations. Soulignons également que la chirurgie devait initialement avoir lieu en août et qu’elle a été reportée à trois reprises. Il est donc normal que la plaignante ait commencé à ralentir ses activités à compter de l’annonce de sa chirurgie, que Me Phillips y ait consenti ou pas. Il est également prévisible qu’une convalescence entraine un ralentissement des activités et une baisse du volume des dossiers.
- Même si l’employeur a démontré qu’un certain ralentissement des activités et des revenus de la plaignante avait débuté dès le début de l’année 2022, avant qu’elle sache qu’elle devrait subir une chirurgie, il n’est pas intervenu à ce moment, car il demeurait persuadé que la situation allait se résorber avec la facturation à venir. Ce n’est qu’après l’annonce de celle-ci et d’une convalescence à venir, ce qui inclut nécessairement une baisse de revenus dans les mois suivants, que la situation financière semble être devenue véritablement problématique pour l’employeur. En effet, il aborde pour la première fois avec la plaignante la nécessité d’un plan de redressement à la fin du mois d’août 2022. Elle est alors sur le point de se faire opérer et ne sera assurément pas en mesure de remédier à ce qui lui est reproché avant sa convalescence. À l’aube de celle-ci, Me Phillips modifie unilatéralement son mode de rémunération. Il met fin à son emploi quelques jours avant son retour, sans qu’une réelle discussion ait eu lieu et avant que la plaignante ait pu lui présenter un quelconque plan de redressement.
- Dans les circonstances, le Tribunal ne peut retenir la prétention de l’employeur que les reproches qu’il formule concernant la rentabilité de la plaignante ne sont aucunement liés à cette absence. Dès lors qu’un motif prohibé joue un rôle dans la décision de congédier une personne salariée, la mesure est irrémédiablement viciée, sans qu’il soit nécessaire de déterminer dans quelle proportion il y a contribué.
- Ainsi, le Tribunal conclut que la décision de l’employeur de mettre fin à l’emploi de la plaignante a été contaminée par son absence pour cause de maladie. La plainte pour pratique interdite est donc accueillie.
- Dans la mesure où la plainte de pratique interdite a été accueillie, celle fondée sur l’article 124 de la LNT doit connaître le même sort. En effet, un motif illicite ne peut constituer ni cohabiter avec une cause juste et suffisante pour mettre fin à l’emploi d’un salarié[21].
- Toutefois, considérant la preuve administrée, il apparaît quand même utile de procéder à l’analyse des motifs invoqués par l’employeur sous l’angle d’une cause juste et suffisante de congédiement au sens de l’article 124 de la LNT.
- Ce critère d’analyse diffère de celui applicable à une plainte de pratique interdite, où la rigueur de la sanction n’est pas évaluée, à moins qu’elle ne révèle un prétexte. Ici, le Tribunal doit déterminer si le congédiement de la plaignante était une mesure justifiée et appropriée dans les circonstances.
- Il n’est pas contesté qu’à l’exception de la question financière, Me Phillips n’a jamais informé la plaignante de ce qu’il lui reprochait avant de mettre un terme à son emploi. Il qualifie les gestes reprochés à la plaignante comme étant une faute lourde ou grave caractérisée par une insouciance, une imprudence ou une négligence grossière qui ont perturbé la bonne marche de son entreprise et rompu le lien de confiance. Cette dernière avait un niveau d’autonomie très élevé dans son travail dont le Tribunal devrait tenir compte dans l’évaluation de la gravité de la faute.
- La plaignante prétend pour sa part que l’employeur soulève toute une série de fautes survenues au cours des années pour lesquelles il n’est jamais intervenu. Il ne peut soutenir maintenant qu’il s’agit de fautes graves. Les manquements qu’il rapporte relèvent davantage de la divergence d’opinions sur la façon de conduire les dossiers que d’une véritable faute, encore moins d’une faute grave.
- De surcroît, la plaignante plaide que l’employeur décrit le transfert du courriel d’un juge dix-sept jours après la réception comme étant l’incident culminant, mais cette théorie n’est pas applicable puisqu’il n’a jamais sanctionné les manquements précédents.
- La question que doit trancher le Tribunal consiste à savoir si l’employeur a démontré l’existence d’une faute grave permettant de procéder au congédiement de la plaignante sans qu’elle ait reçu d’avertissement préalable d’une conduite à corriger par le biais de sanctions progressives. En effet, les parties ont fait leurs représentations sous l’angle du congédiement disciplinaire et non administratif.
Le droit applicable
- L’article 124 de la LNT accorde une protection à un salarié qui justifie de deux ans de service continu dans une même entreprise et qui croit avoir été congédié sans cause juste et suffisante.
- Lorsque les conditions donnant ouverture au recours sont satisfaites, comme dans le présent cas, il appartient à l’employeur de démontrer qu’il a mis fin à l’emploi pour une cause juste et suffisante.
- Les règles applicables au congédiement disciplinaire pour faute grave ont été résumées par le Tribunal dans l’affaire Boulanger c. Loblaws inc. / Maxi[22].
[80] Il est de jurisprudence constante qu’à moins d’une faute grave de la part d’un salarié, le principe de la progression des sanctions s’impose puisque celui-ci doit être en mesure de comprendre les manquements qui lui sont reprochés par l’employeur et avoir l’occasion de s’amender avant qu’une telle mesure ne lui soit imposée2. Ainsi, le congédiement disciplinaire constitue en quelque sorte la peine capitale dans un milieu de travail.
[81] Par ailleurs, pour entrainer un congédiement, une faute doit être d’une gravité telle qu’elle conduit à la rupture immédiate du lien de confiance avec l’employeur. Des circonstances atténuantes ou aggravantes peuvent en outre moduler l’évaluation de la gravité d’une faute3. La préméditation des gestes reprochés, la répétition de ceux-ci, la nature des fonctions et responsabilités du plaignant, les aveux et les regrets, l’ancienneté et le dossier disciplinaire comptent parmi ces circonstances.
[Notre soulignement et notes omises]
- Ainsi, le principe de la progression des sanctions en matière disciplinaires n’est pas d’application absolue. Il peut être écarté en certaines circonstances, notamment en cas de faute grave ou « [...] en cas de comportement irréversible de la part d’un salarié, c’est-à-dire lorsque l’employeur démontre que même la discipline progressive n’aurait pas amené le salarié à amender sa conduite et à la rendre conforme aux attentes de l’employeur[23] ».
L’application du droit aux faits
- Il est admis que la plaignante n’a fait l’objet d’aucun suivi disciplinaire préalablement à sa fin d’emploi. L’employeur doit donc démontrer l’existence d’une faute grave.
- Or, contrairement à ce que plaide l’employeur, nous ne sommes pas en présence ici d’une faute d’une telle gravité qu’elle conduit irrémédiablement à une rupture du lien de confiance. Il n’est pas question de malhonnêteté ou d’une seule conduite impardonnable. L’employeur invoque un ensemble de faits l’ayant amené à conclure que la présence de la plaignante au cabinet nuisait à sa crédibilité et à sa réputation. En somme, la plaignante ne répondait plus à ses attentes. Comme il le dit dans son avis de départ, Me Phillips s’attendait à beaucoup plus de sa part et comptait sur elle pour reprendre sa pratique et faire fructifier son entreprise.
- Le problème c’est qu’il n’a jamais eu de conversation franche avec la plaignante au sujet de ses insatisfactions. Le Tribunal note qu’il n’a pas discuté avec elle de son mécontentement relativement à la conduite des deux dossiers dans lesquels il est intervenu au printemps 2022. Au contraire, il l’a félicité pour son excellent travail au mois de juin. Il s’est contenté de bouder et de la regarder couler pour finalement mettre un terme à son emploi après avoir constaté, durant sa convalescence, que sa façon de travailler n’était pas à la hauteur de ses standards.
- L’absence de mesures prises par la plaignante pour assurer le suivi de ses dossiers durant sa convalescence et les lacunes dans le suivi de certains dossiers identifiés par l’employeur durant celle-ci constituent des manquements qui auraient pu faire l’objet de mesures disciplinaires ou administratives de la part de ce dernier, mais ceux-ci ne satisfont assurément pas aux critères permettant de conclure à une faute grave justifiant un congédiement immédiat sans progression de sanction. Ce n’est pas parce que l’employeur regroupe d’un seul coup l’ensemble des comportements reprochés survenus au cours des derniers mois et années, sans qu’il ne soit jamais intervenu, que ceux-ci acquièrent le statut de faute grave.
- Deux courriels avec une simple phrase au sujet d’un plan de redressement financier ne peuvent non plus se qualifier comme des étapes suffisantes d’une véritable progression des sanctions. D’ailleurs, même une faute grave ne soustrait pas l’employeur à son obligation de laisser au salarié l’occasion de donner sa version des faits, ce qui n’a pas été fait dans le cas présent.
- N’ayant jamais discuté avec la plaignante des problématiques relevées, l’employeur ne peut non plus plaider qu’elle n’aurait pu corriger son comportement à la suite d’une sanction autre que la peine capitale ou d’un véritable plan de redressement qu’il aurait établi. La plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante est donc accueillie.
la réintégration doit-elle être ordonnée?
- La plaignante considère que sa réintégration est impossible, tout comme l’employeur. La preuve confirme leurs prétentions qu’une ordonnance de réintégration serait vouée à l’échec. Il s’agit d’un cabinet de petite taille, quasi familial, où une grande confiance, qui n’est plus là de part et d’autre, doit régner entre les parties. Dans les circonstances, il n’est pas dans l’intérêt de la justice qu’elle soit ordonnée.
- Par ailleurs, le Tribunal comprend qu’en conséquence la plaignante renonce à l’ordonnance de réintégration découlant de sa plainte pour congédiement illégal sous l’article 122 de la LNT.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :
REJETTE l’objection préliminaire soulevée par Jean-Charles Phillips Avocat inc. quant au statut d’entrepreneure indépendante de Cindy Dumais;
DÉCLARE que Cindy Dumais est une salariée;
ACCUEILLE la plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante de Cindy Dumais contre Jean-Charles Phillips Avocat inc. en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail;
ANNULE le congédiement imposé le 19 janvier 2023;
DÉCIDE qu’il n’y a pas lieu de réintégrer Cindy Dumais dans son emploi;
RÉSERVE ses pouvoirs pour déterminer les autres mesures de réparation appropriées;
ACCUEILLE la plainte pour pratique interdite de Cindy Dumais contre Jean-Charles Phillips Avocat inc. en vertu de l’article 122 de la Loi sur les normes du travail;
ANNULE le congédiement imposé le 19 janvier 2023;
PREND ACTE que Cindy Dumais renonce à l’ordonnance de réintégration dans son emploi pour cette plainte;
ORDONNE à Jean-Charles Phillips Avocat inc. de verser à Cindy Dumais, à titre d’indemnité de perte de salaire, dans les huit (8) jours de la notification de la présente décision, l’équivalent du salaire et des autres avantages dont l’a privé son congédiement, jusqu’à la date de la décision, le tout portant intérêt au taux fixé suivant l’article 28 de la Loi sur l’administration fiscale, à compter de la date du dépôt de la plainte, soit le 1er mars 2023, conformément à l’article 100.12 c) du Code du travail.
| __________________________________ |
| Véronique Girard |
|
|
|
Me Marlène Iradukunda |
LAROCHE AVOCATS CNESST |
Pour la partie demanderesse |
|
Me Jean-Charles Phillips |
Pour la partie défenderesse |
|
Date de la mise en délibéré : 9 mai 2025 |
VG/mp