Université du Québec à Montréal c. Syndicat des professeurs de l'Université du Québec à Montréal - SPUQ |
2021 QCCA 1565 |
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COUR D'APPEL |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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GREFFE DE |
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No : |
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PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE |
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DATE : Le 22 octobre 2021 |
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FORMATION : LES HONORABLES |
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PARTIE APPELANTE |
AVOCAT |
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Absent
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PARTIE INTIMÉE |
AVOCATE |
Syndicat des professeurs de l'Université du Québec à Montréal - SPUQ |
Absente
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PARTIE MISE EN CAUSE |
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Nathalie Massicotte, en sa qualité d’arbitre de grief
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En appel d’un jugement rendu le 6 juillet 2020 par l’honorable Marc St-Pierre de la Cour supérieure, district de Montréal. |
NATURE DE L’APPEL : |
Salle : Antonio-Lamer |
AUDITION |
9 h 30 |
Début de l’audience. Continuation de l'audience du 19 octobre 2021. Les parties ont été dispensées d’être présentes à la Cour. |
9 h 31 |
PAR LA COUR : Arrêt - voir page 4. Fin de l’audience. |
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René Gutknecht, Greffier-audiencier |
ARRÊT |
[1] Ce litige concerne le non-renouvellement du contrat d’un professeur (« le plaignant ») du département de danse de l’appelante (« l’employeur ») à la suite de deux évaluations négatives du comité d’évaluation et du comité de révision chargés d’examiner son dossier.
[2] La décision de l’employeur est rencontrée par un grief déposé par l’intimé (« le syndicat ») au nom du plaignant.
[3] Au terme de quatre jours d’audience, la mise en cause Me Nathalie Massicotte (« l’arbitre ») rejette ce grief.
[4] Après avoir décrit le processus d’évaluation des professeurs prévu à la convention collective[1] et la façon avec laquelle le dossier du plaignant a été évalué[2], l’arbitre pose les jalons de son intervention en fonction des pouvoirs conférés par la convention collective[3].
[5] Elle souligne que les règles imposées par les parties en matière d’évaluation d’un professeur limitent sa juridiction, ce que le syndicat ne remet pas en cause[4]. Voici comment elle s’exprime à ce sujet :
[32] À l’évidence, les règles imposées par les parties en matière d’évaluation du professeur, soit qu’elle ne puisse s’effectuer que par ses pairs (AD), conjuguées aux articles 6.14 et 6.16, limitent la juridiction de l’arbitre pour se prononcer sur le mérite du dossier du professeur ou pour apprécier les motifs de refus du CR d’infirmer la recommandation de l’AD. L’arbitre doit respecter ces limites conventionnelles. Autrement dit, il n’intervient que s’il constate que la procédure d’évaluation, comme prévue à la convention collective, a souffert d’un vice de fond préjudiciable au professeur ou si elle n’a pas été exercée suivant les exigences de la bonne foi.[5]
[Soulignement ajouté]
[6] Le syndicat invoque cinq vices à la procédure d’évaluation. L’arbitre les examine un à la suite de l’autre et conclut qu’aucun d’entre eux ne constitue un vice de fond justifiant son intervention[6].
[7] Puis, elle entreprend de vérifier si les évaluations des comités d’évaluation et de révision sont empreintes d’arbitraire ou de mauvaise foi. Pour ce faire, elle doit d’abord trancher deux objections à la preuve formulées par l’employeur, dont une seule revêt une importance aux fins du litige qui nous concerne.
[8] Au moment de l’arbitrage, le syndicat tente d’introduire en preuve le dossier d’évaluation de quatre autres professeurs, dont l’évaluation s’est déroulée au cours de la même journée que celle du plaignant. Selon le syndicat, la simple comparaison entre ces quatre évaluations et celle du plaignant dénote des incohérences dans les cotes attribuées à ce dernier, d’où la mauvaise foi.
[9] L’employeur s’oppose au dépôt des documents. L’arbitre accepte la preuve sous réserve après avoir permis aux parties de faire valoir tous leurs arguments à ce sujet, tant au moment de l’enquête qu’au stade des plaidoiries.
[10] Dans la sentence arbitrale, l’arbitre accueille l’objection de l’employeur au motif que cette preuve n’est pas pertinente. Il convient de reproduire les motifs retenus par celle-ci :
[54] La première objection concerne le dépôt des évaluations des quatre professeurs évalués le même jour que M. Menicacci. La seconde objection touche les témoignages de collègues de travail ayant collaboré avec lui au centre de recherche institutionnel Hexagram. J’accueille les objections et considère non pertinents les évaluations et les témoignages. Voici mes motifs.
[55] Le syndicat a plaidé que les témoignages des collègues de M. Menicacci étaient nécessaires pour prouver que son implication dans Hexagram était très importante contrairement à ce que la cote 1, qu’il a obtenue pour les composantes recherche/création et service à la collectivité, reflète. Il plaide aussi que les évaluations des autres professeurs prouvent la disparité de traitement à l’égard de M. Menicacci et l’incohérence de la cote qu’on lui a attribué concernant ses réalisations.
[56] Dans les deux cas, force est de constater que ces preuves visent à parfaire le dossier d’évaluation de M. Menicacci et à me convaincre de lui attribuer une cote supérieure à celle qu’il a obtenue par le CE et qui a été confirmée par le CR. Dans ce contexte, ces preuves n’ont pas pour effet d’établir la mauvaise foi ou l’arbitraire dans le cadre du processus d’évaluation, mais bien d’évaluer à nouveau M. Menicacci.
[57] Plus spécifiquement quant aux évaluations, elles ont pour but de m’amener à comparer le dossier d’évaluation de M. Menicacci avec d’autres professeurs. En effet, le syndicat a comparé, dans sa plaidoirie, les évaluations obtenues par les autres professeurs, m’invitant à constater, par exemple, que certains d’entre eux n’avaient pas eu de subventions, alors que celle obtenue par M. Menicacci était substantielle et que d’autres n’avaient pas plus précisé que lui quelles [sic] étaient les publications à leur actif. Ce rôle de comparaison entre les réalisations de deux professeurs, si tant est qu’il en soit un, est réservé à l’AD.
[58] Quant aux témoignages de ses collègues, ils constituent une preuve de réputation à l’extérieur du département de danse, ce qui ne fait pas partie du dossier examiné par le CE, l’AD ou le CR et qui est étranger au litige qui m’est soumis. Aucune de ces instances n’a eu le bénéfice d’entendre ces témoignages, lesquels, au surplus ne peuvent avoir d’influence sur la décision prise par l’AD ou le CR.
[59] Ceci dit, avec égard, j’estime que les évaluations et les témoignages constituent une preuve extrinsèque non pertinente à mon analyse, considérant le litige qui m’est soumis.[7]
[Soulignements ajoutés]
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[11] Le juge Marc St-Pierre annule la sentence arbitrale et retourne le dossier devant un autre arbitre[8]. Il estime qu’elle a commis une erreur en refusant d’admettre en preuve le dossier d’évaluation des quatre professeurs évalués au cours de la même journée que le plaignant. Son raisonnement tient dans les trois paragraphes suivants :
[28] La cour croit que l’arbitre ne pouvait pas décider en délibéré de refuser de tenir compte de la preuve relative au dossier des quatre autres professeurs; l’arbitre ne pouvait pas décider que cette preuve n’aurait aucune influence sans procéder à son examen.
[29] La mise en cause plaide en Cour supérieure que l’évaluation de trois des quatre autres professeurs ne portait pas aux mêmes conséquences que pour le professeur en cause parce qu’il ne s’agissait pas dans leur cas de l’évaluation en vue du renouvellement ou du non-renouvellement de leur contrat; or, précisément, c’est à l’arbitre à voir.
[30] Le refus d’entendre ou de tenir compte de preuve pertinente constitue une violation de la règle audi alteram partem qui donne ouverture à une intervention en contrôle judiciaire lorsque cette preuve peut avoir un impact sur la décision du tribunal administratif.[9]
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[12] Il est acquis que le rôle d’une Cour d’appel en matière de contrôle judiciaire est de vérifier si le juge a choisi la bonne norme de contrôle et s’il l’a appliquée correctement[10].
[13] Qu’en est-il ici?
[14] Le juge ne dit mot dans son jugement de la norme de contrôle applicable. Quoi qu’il en soit, les parties conviennent que la norme de la décision raisonnable s’applique. Elles ont raison puisque l’arbitre de grief, comme le précise la Cour suprême dans l’arrêt Commission scolaire de Laval c. Syndicat de l’enseignement de la région de Laval, « est maître de la preuve et de la procédure lors de l’arbitrage et il a compétence exclusive à cet égard »[11], conformément à l’article 100.2 du Code du travail[12]. Les décisions en cette matière appellent donc une très grande déférence.
[15] Ainsi, pour le juge, le refus de tenir compte de la preuve du dossier d’évaluation des quatre autres professeurs « constitue une violation de la règle audi alteram partem »[13] donnant ouverture au contrôle judiciaire de la sentence arbitrale.
[16] Il se méprend.
[17] La Cour ne voit pas en quoi il y a ici une violation de cette règle de justice naturelle puisque l’arbitre a pris le soin de recevoir les documents en preuve, d’entendre les arguments au soutien de leur admissibilité et de leur pertinence et de décider au final, qu’ils n’étaient, justement pas, pertinents.
[18] En fait, le juge n’a jamais analysé la raisonnabilité de la sentence arbitrale. Il a, sous le couvert d’une soi-disant violation de la règle audi alteram partem, substitué son opinion à celle de l’arbitre, et appliqué la norme de la décision correcte.
[19] Une fois cela constaté, il nous faut donc vérifier le caractère raisonnable de la sentence de l’arbitre.
[20] Le raisonnement de l’arbitre et le résultat auquel elle parvient se tiennent.
[21] Elle décide que le dossier d’évaluation des quatre autres professeurs vise à parfaire le dossier d’évaluation du plaignant en vue de hausser sa cote plutôt que d’établir la mauvaise foi du processus d’évaluation. Puisque son rôle n’est pas d’évaluer le professeur, elle considère que ces documents ne sont pas pertinents. Dans les circonstances propres à ce dossier, cette conclusion n’a rien de déraisonnable.
[22] La preuve démontre également que, selon elle, les séances d’évaluation des deux comités « se sont déroulées sans accroc à la procédure prévue à la convention collective »[14], d’où sa conclusion que le processus d’évaluation n’était pas empreint de mauvaise foi ou d’arbitraire. Outre la déférence due à cette évaluation de la preuve, cette conclusion est en ligne directe avec les limites imposées par la convention collective[15].
[23] Bref, une décision arbitrale, fort bien rédigée, motivée et intelligible que le juge n’était aucunement fondé d’annuler.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[24] ACCUEILLE l’appel avec les frais de justice;
[25] INFIRME le jugement de première instance; et, procédant à rendre le jugement qui aurait dû être rendu;
[26] REMPLACE le dispositif de ce jugement par le suivant :
REJETTE la demande de pourvoi en contrôle judiciaire du demandeur;
CONFIRME la décision arbitrale rendue le 13 juin 2019;
AVEC les frais de justice contre le demandeur.
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ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A. |
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JOCELYN F. RANCOURT, J.C.A. |
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SOPHIE LAVALLÉE, J.C.A. |
[1] Syndicat des professeurs de l'Université du Québec à Montréal - SPUQ et Université du Québec à Montréal - UQAM, 2019 QCTA 437 [Sentence arbitrale], paragr. 10-16.
[2] Sentence arbitrale, paragr. 17-27.
[3] Sentence arbitrale, paragr. 28-33.
[4] E.I. p. 3, paragr. 15-16.
[5] Sentence arbitrable, paragr. 32.
[6] Sentence arbitrale, paragr. 34-50.
[7] Sentence arbitrale, paragr. 54-59.
[8] Syndicat des professeurs et professeures de l'Université du Québec à Montréal (SPUQ) c. Massicotte, 2020 QCCS 3152 [jugement entrepris].
[9] Jugement entrepris, paragr. 28-30.
[10] Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, paragr. 45-47.
[11] Commission scolaire de Laval c. Syndicat de l’enseignement de la région de Laval, 2016 CSC 8, paragr. 31, renvoyant à Université du Québec à Trois-Rivières c. Larocque, [1993] 1 R.C.S. 471, p. 487.
[12] RLRQ, c. C-27.
[13] Jugement entrepris, paragr. 30.
[14] Sentence arbitrale, paragr. 62.
[15] Sentence arbitrale, paragr. 32.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.