Centre de recherche du Centre hospitalier de l'Université de Montréal c. Blaise |
2009 QCCS 5750 |
|||||||
JP 0928 |
||||||||
|
||||||||
CANADA |
||||||||
PROVINCE DE QUÉBEC |
||||||||
DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
|||||||
|
||||||||
N° : |
500-17-037633-073 |
|||||||
|
|
|||||||
|
||||||||
DATE : |
Le 11 décembre 2009 |
|||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
GINETTE PICHÉ, J.C.S. |
||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
|
||||||||
CENTRE DE RECHERCHE DU CENTRE HOSPITALIER DE L'UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL
-et-
CENTRE HOSPITALIER DE L'UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL ("CHUM") |
||||||||
Demanderesses |
||||||||
c. |
||||||||
DOCTEUR GILBERT BLAISE |
||||||||
Défendeur |
||||||||
|
||||||||
|
||||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
JUGEMENT |
||||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
[1] Dans la présente cause, le Centre de recherche du Centre hospitalier de l'Université de Montréal et le Centre hospitalier de l'Université de Montréal («CHUM») poursuivent un des médecins chercheurs membre du Centre de recherche du CHUM, à qui on réclame un montant de 411 896,17$.
[2] Selon les demandeurs, ce montant représente le déficit accumulé par le défendeur au Centre de recherche dans un fonds appelé "Fonds de redressement numéro 26101".
[3] La mise en demeure date du 14 mai 2007. Le 17 mai 2007, le défendeur répondra par lettre (P-4) que "c'est son laboratoire qui est endetté et non pas lui" et qu'en 2003, il avait été convenu que 10% des nouveaux fonds de recherche iraient au remboursement du déficit accumulé dans les divers fonds de recherche. Il dira ignorer et ne pas comprendre pourquoi ce pourcentage de 10% n'a pas été prélevé par le Centre de recherche à même les fonds obtenus par lui depuis la signature de cette entente.
[4] Le plaidoyer du Dr Blaise sera produit le 31 octobre 2007. Dans sa défense, le défendeur plaide qu'il agit à titre de chercheur depuis plusieurs années au CHUM tout en étant praticien en anesthésie au CHUM et professeur à la faculté de médecine de l'Université de Montréal. Il expliquera que lorsqu'il obtient une subvention, les argents sont envoyés directement au Centre de recherche du CHUM qui devient responsable de la gestion et de l'administration des subventions obtenues par le chercheur. En aucun temps, plaide le Dr Blaise, il n'a eu la maîtrise de la distribution des sommes d'argent. Si de 1983 à 2003 des déficits se sont accumulés dans ses différents fonds de recherche, c'est, dira le défendeur, que les demandeurs l'ont toléré, approuvé et permis qu'il y ait des dépassements budgétaires. Il ne peut en être tenu responsable, plaide-t-il.
[5] Mario Deslongchamps a d'abord témoigné en tant que représentant du CHUM et du Centre de recherche. Il est directeur adjoint et s'occupe de la gestion au Centre de recherche du CHUM. Il expliquera que le rôle du Centre de recherche est d'offrir toutes les infrastructures nécessaires aux chercheurs afin qu'ils puissent réaliser leurs projets de recherche. Il s'y fait de la recherche fondamentale et de la recherche clinique.
[6] De son côté, Gilbert Blaise est un médecin spécialiste anesthésiste payé d'abord par la RAMQ. Il est aussi chercheur au CHUM et professeur à la Faculté de médecine de l'Université de Montréal. Le Dr Blaise a expliqué que c'est le chercheur qui doit faire lui-même les demandes de subventions auprès des différents organismes publics ou privés. Le chercheur n'est nullement rémunéré par le CHUM pour ses activités de recherche.
[7] Le Dr Blaise avait donc un double rôle au CHUM. Il était à la fois médecin spécialiste anesthésiste et clinicien-chercheur au Centre de recherche du CHUM.
[8] Le fonctionnement au Centre de recherche est le suivant: le chercheur soumet d'abord un projet de recherche, explique comment il va s'y attaquer, les résultats qui sont attendus et comment ce projet pourrait faire avancer la science. Si le projet est accepté et une subvention obtenue par lui, le Centre de recherche du CHUM va recevoir et gérer les subventions. Il va avoir un rôle de "fiduciaire", expliquera M. Deslongchamps. La subvention obtenue, le chercheur demandera l'ouverture d'un compte au Centre de recherche du CHUM et les subventions seront envoyées directement par l'institution au Centre de recherche du CHUM. Par ailleurs, c'est toujours le chercheur qui signera les demandes de fonds et les rapports financiers.
[9] Le Centre de recherche possède aussi son propre budget de fonctionnement qui est d'environ 4 millions de dollars afin de gérer son infrastructure. Le Centre de recherche est "le gardien des fonds du chercheur", dira encore M. Deslongchamps.
[10] Aux pièces P-8 et P-8a on peut voir quelle est la politique de gestion des projets de recherche. À la pièce P-8a, à la page 38, on peut lire ceci: "Les permutations budgétaires sont permises en autant qu'elles ne dérogent pas aux règles de l'organisme subventionné". On rappelle que: "C'est le chercheur qui est responsable de l'exécution des travaux et les demandes de paiement, requête d'achat et autres devront être toujours approuvées par le responsable du projet" (p. 34).
[11] Par ailleurs, lorsque le fonds de recherche est en déficit. Par ailleurs, le Centre de recherche du CHUM pourra avancer de l'argent, dira M. Deslongchamps. C'est le chercheur qui signera les chèques pour les personnes qui travaillent à la recherche. Il y a aussi parfois, expliquera M. Deslongchamps, des cas humanitaires dont il faut tenir compte (chercheurs de l'étranger déjà engagés par exemple) où le Centre de recherche avancera les argents nécessaires dans le fonds du chercheur, car la personne engagée peut avoir quitté son pays pour venir travailler ici et être sans moyens financiers pour lui et sa famille.
[12] À la pièce P-2a, on peut voir la liste des fonds de recherche du Dr Blaise qui étaient majoritairement déficitaires. Jusqu'en 2003, les fonds du Dr Blaise avaient accumulé un déficit de 411 896,17$.
[13] M. Deslongchamps a expliqué que c'est afin d'aider le Dr Blaise qu'on a d'ailleurs créé le "fonds de redressement" (P-11). "L'idée était de permettre le remboursement des argents avancés par le Centre de recherche au fil des ans", dira-t-il.
[14] Suite à la signature de D-1 en 2003, Dr Blaise n'aurait fait aucune demande pour transférer 10% des subventions reçues dans le fonds de redressement afin d'aider à baisser le déficit. C'est le 17 février 2005 (D-6) que le CHUM a averti le Dr Blaise qu'il n'y avait plus d'argent de disponible. Le Centre de recherche a refusé d'avancer tout autre argent et on fermera aussi son laboratoire.
[15] M. Deslongchamps expliquera longuement que le Centre de recherche agit à titre de fiduciaire. Les fonds sont déposés par l'institution qui subventionne et le Centre de recherche doit s'assurer que les dépenses sont conformes aux subventions obtenues. Notre responsabilité, dira M. Deslongchamps, "c'est de surveiller, nous avons un rôle de surveillance". Il dira aussi que les subventions sont bien déposées dans un compte institutionnel au Centre de recherche du CHUM et non dans les poches du chercheur. Quant à l'histoire du fonds de redressement, c'est Mme Brigitte Leclerc qui s'en est occupée (P-2a et D-1). Ce fut fait afin de trouver une solution aux déficits des fonds du Dr Blaise, dira Mme Leclerc.
[16] De 1993 à 2003, Dr Blaise aurait donc laissé s'accumuler un déficit de 411 893$ dans divers fonds de recherche. M. Deslongchamps dira qu'à cause de ceci le fonds de recherche du CHUM est en danger, car il y a plus de 411 000$ qui est dû par le Dr Blaise. M. Deslongchamps a débuté ses fonctions au Centre de recherche en 2005 et depuis, il dira avoir rencontré le Dr Blaise à plusieurs occasions. "Ce dernier était au courant de sa situation déficitaire", expliquera-t-il et il fallait trouver une façon de récupérer les fonds. "C'est dans ce cadre qu'on a signé D-1". Il devait nous remettre 10% des subventions obtenues, mais il ne l'a jamais fait, dira M. Deslongchamps.
[17] Le Tribunal a enfin entendu Mme Brigitte Leclerc qui est adjointe à la gestion financière au CHUM. Elle s'est occupée de la coordination du dossier du Dr Blaise et a témoigné en tant que représentante du CHUM et du Centre de recherche. Mme Leclerc a expliqué que la pièce D-1 fait référence à tous les soldes des comptes pour les projets de recherche terminés sous l'égide du Dr Blaise en date du 10 novembre 2003.
[18] "C'est bien dans le but de régler et fermer définitivement chacun des fonds où il y avait des soldes positifs ou négatifs", dira-t-elle, "qu'on a créé le "fonds de redressement". Tout a été contresigné par le Dr Blaise. "Pour les transferts, on a fait des écritures comptables permettant de "créer" des revenus et transférer dans le fonds de redressement les déficits". "Il y avait 10 fonds de recherche. Dans certains cas, les soldes étaient positifs, mais dans la majorité, il y avait un déficit et on a procédé par écritures comptables", expliquera Mme Leclerc. Se servir d'écritures comptables a permis de revoir les revenus et les dépenses pour chacun des fonds et majoritairement on a constaté que les soldes étaient déficitaires. Dr Blaise était parfaitement au courant de ce qui se passait dans ses fonds de recherche, dira enfin Mme Leclerc.
[19] Afin de régler la question des fonds déficitaires, une entente est intervenue entre le CHUM, le Centre de recherche et le Dr Blaise. Le Dr Blaise a signé un document nommé "Formulaire d'ouverture d'un compte-projet" (P-10), le 28 octobre 2003. Il s'est engagé alors "à respecter les règles administratives du CHUM qui reconnaît le droit du chercheur de satisfaire toutes les exigences de ou des organismes subventionnaires", de plus, il s'est engagé à garder en tout temps un solde positif dans l'ensemble de ses comptes advenant le cas où l'ensemble de ses comptes serait négatif, à entreprendre toutes les démarches requises pour corriger cette situation et à fournir toutes les informations nécessaires. Dr Blaise a donc ouvert ce compte pour l'usage de ses activités professionnelles et s'est engagé à disposer de ses fonds de manière à rencontrer les objectifs de l'organisme subventionnaire.
La question en litige
[20] La question à répondre ici est la suivante. Le défendeur est-il responsable du déficit accumulé dans le "fonds de redressement"? Est-ce le Dr Blaise ou plutôt le Centre de recherche du CHUM? Dr Blaise a signé une entente avec le Centre de recherche du CHUM le 28 octobre 2003. Voyons cette entente produite sous la cote D-1:
"ENTENTE INTERVENUE ENTRE
Dr Gilbert Blaise Et Centre de recherche du CHUM
§ Attendu que le Dr Gilbert Blaise est chercheur au centre de recherche; § Attendu que le centre de recherche du CHUM doit s'assurer que les fonds de recherche soient en équilibre; § Attendu que les fonds du Dr Gilbert Blaise présentent un déficit important; Il est convenu § Que les fonds déficitaires du Dr Gilbert Blaise seront fusionnés en un seul fonds identifié: Fonds-Redressement.
§ Qu'un prélèvement de 10% sur tous les fonds de recherche qui seront reçus par Dr Gilbert Blaise sera fait jusqu'à ce que le fonds de redressement soit à zéro. Que le Dr Gilbert Blaise gèrera ses fonds actuellement actifs de même que ses nouveaux fonds de façon que ceux-ci soient toujours en équilibre. Signé__________________ Signé______________________ Gilbert Blaise, M.D. Pavel Hamet, M.D., Ph.D. Chercheur Directeur de la recherche CHUM
28/10/2003_______________ 03-/0-2003__________________ Date Date |
[21] Notons immédiatement que cette entente a été signée suite à l'ouverture d'un "compte projet" pour le "fonds de redressement" et que M. Deslongchamps a expliqué dans quelles circonstances ceci a été fait. On y voit d'abord que le "compte projet" a débuté le 28 octobre 2003. Le responsable du "projet" était effectivement le Dr Gilbert Blaise du département d'anesthésie. La source de financement, i.e. l'organisme subventionnaire était le "Fonds-redressement". Au paragraphe 3 du formulaire d'ouverture du "compte-projet", on parle des engagements du responsable du projet. Voyons à quoi le Dr Blaise s'engage:
"ENGAGEMENT DU RESPONSABLE DU PROJET:
Je GILBERT BLAISE désire ouvrir un compte au CHUM pour l'usage de mes activités professionnelles et m'engage à disposer de mes fonds de manière à rencontrer les objectifs de l'organisme subventionnaire. Je m'engage à respecter les règles administratives du CHUM qui reconnaît le droit du chercheur de satisfaire toutes les exigences de ou des organisme(s) subventionnaire(s).
De plus, je m'engage à garder, en tout temps, un solde positif dans l'ensemble de mes comptes. Advenant le cas où le solde de l'ensemble de mes comptes serait négatif, je m'engage à entreprendre toutes les démarches requises pour corriger cette situation et à fournir toutes les informations nécessaires."
Signature: Gilbert Blaise Responsable(s) du projet Codification chercheur: R0050 10/11/03______________ Date
|
[22] La directrice administrative du Centre de recherche du CHUM est alors Ginette Belec et elle a contresigné l'entente.
[23] Aujourd'hui le CHUM demande au Tribunal d'ordonner au Dr Blaise de lui rembourser 411 896,17$.
[24] Voyons d'abord les attendus de l'entente signée devant expliquer les motifs ayant amené sa signature. On y lit d'abord que le Centre de recherche doit s'assurer que les fonds de recherche soient en équilibre:
"ATTENDU que le Dr Gilbert Blaise est chercheur au centre de recherche;
ATTENDU que le centre de recherche du CHUM doit s'assurer que les fonds de recherche soient en équilibre;
ATTENDU que les fonds du Dr Gilbert Blaise présentent un déficit important."
[25] Le Centre de recherche reconnaît par ceci une de ses obligations. Une obligation que le témoin, M. Deslongchamps, a reconnue en tant que directeur adjoint du Centre de recherche. Il parlera du rôle de "fiduciaire" que le Centre de recherche doit jouer. Ainsi donc, même si c'est le chercheur qui signe les autorisations de dépenses, c'est le Centre de recherche du CHUM qui est "le gardien des fonds du chercheur" Examinons ceci plus en détails.
[26] Dans son Manuel de gestion, pièce P-8, la politique du CHUM sur la gestion des projets de recherche et suivi des fonds de recherche (politique no. 50210), il est prévu que le rôle de la Direction de la recherche et la Direction des ressources financières et des partenariats économiques est le suivant:
1) S'assurer du respect des normes politiques et procédures administratives et financières internes dans le suivi des projets de recherche en général;
2) Administrer les fonds reçus des différents organismes et compagnies subventionnaires;
3) Assurer le suivi des projets en fonction des différentes normes et balises des divers organismes qui subventionnent et en rendre compte à ces derniers;
4) Assurer un support et une expertise professionnelle à l'ensemble des chercheurs.
[27] Quant au chercheur, il a lui aussi des obligations dont celles de respecter les normes, politiques et procédures internes tant éthiques, scientifiques, financières qu'administratives. Il doit "être responsable des dépenses qu'il effectue dans le respect des enveloppes budgétaires".
[28] Au paragraphe 5.2 intitulé "gestion d'un compte projet", on peut lire ceci:
"(…) l'imputabilité première de la gestion des fonds de recherche revient au chercheur responsable du projet."
On ajoute cependant ceci:
"Toutefois, l'administration de la recherche et du CHUM lui assurent un support et une expertise professionnelle dans la gestion de ses fonds."
[29] Parmi les principes et règles de gestion à retenir, il y a le suivant:
"(…) Les dépassements budgétaires peuvent être acceptés par le CHUM en autant qu'ils sont couverts par une autre source de financement confirmée. (…)"
[30] Les demandeurs plaident qu'en vertu de ces règles, c'est le chercheur, le Dr Blaise dans la présente instance, qui est la personne responsable des dépenses effectuées par lui. Suite à la signature de D-1, le défendeur n'aurait obtenu en effet qu'un seul fonds non reconnu (numéro 26505) d'un montant de 25 000$ de sorte que le montant qui aurait dû être prélevé est de 2 500$.
[31] Non seulement Dr Blaise n'a-t-il fait en sorte que les demanderesses puissent prélever 10% du montant alloué au fonds 26505, mais en plus, plaident les demanderesses, il n'a pas géré le fonds de manière à ce qu'il soit en équilibre. Il n'a donc pas respecté l'entente D-1 qui prévoyait qu'il devait gérer ses fonds "de façon équilibrée".
[32] On plaide aussi que Dr Blaise aurait reconnu sa dette dans le cadre des transactions ayant constitué le fonds de redressement.
[33] Dans un tableau préparé par Brigitte Leclerc sur les fonds de recherche actifs au 12 septembre 2009, on trouve certains renseignements additionnels au sujet des déboursés entre 2003 et 2007, comme par exemple un versement de bourse à Yanqin Qi, une autorisation d'engager des dépenses, une gestion du salaire de Mme Carole Y. Boucher, etc.
[34] La signature de l'entente date de 2003 et le Tribunal est d'avis qu'elle a été signée clairement parce que les demanderesses (le CHUM) ont soudainement réalisé qu'il y avait un énorme déficit dans le fonds de recherche et qu'il fallait y voir immédiatement. Mais le Tribunal pose la question: qu'avait-on fait du rôle de fiduciaire du CHUM? Pourquoi a-t-on toléré tous ces dépassements de coûts pendant si longtemps? Il fallait y voir avant, refuser les dépassements budgétaires ou les accepter si on avait les fonds nécessaires. Il ne faut pas oublier que le Centre de recherche est le "gardien des fonds du chercheur". Le Centre de recherche administre les fonds reçus, mais il doit aussi en assurer le suivi. Il doit assurer un support et une expertise professionnelle aux chercheurs.
[35] Oui, le chercheur est responsable des dépenses qu'il effectue, mais qu'en est-il si le Centre de recherche lui permet de dépasser l'enveloppe budgétaire? Qu'en est-il du support et de l'expertise du Centre de recherche dans la gestion des fonds du chercheur?
[36] Il est temps d'examiner ce que sont les obligations d'un fiduciaire. On peut prétendre en effet que le Centre de recherche a agi en tant que "fiduciaire" des subventions octroyées. Les obligations du fiduciaire se retrouvent principalement au titre "De l’administration du bien d’autrui" dans le Code civil du Québec. Il s’agit donc des mêmes obligations qui sont imposées par le législateur à toute personne qui administre des biens ne lui appartenant pas.
[37]
Selon l'article
"1260. La fiducie résulte d'un acte par lequel une personne, le constituant, transfère de son patrimoine à un autre patrimoine qu'il constitue, des biens qu'il affecte à une fin particulière et qu'un fiduciaire s'oblige, par le fait de son acceptation, à détenir et à administrer."
[38]
L’article
Art. 1265. "L'acceptation de la fiducie dessaisit le constituant des biens, charge le fiduciaire de veiller à leur affectation et à l'administration du patrimoine fiduciaire et suffit pour rendre certain le droit du bénéficiaire."
[39]
L’article
Art. 1278. "Le fiduciaire a la maîtrise et l'administration exclusive du patrimoine fiduciaire et les titres relatifs aux biens qui le composent sont établis à son nom; il exerce tous les droits afférents au patrimoine et peut prendre toute mesure propre à en assurer l'affectation."
Il agit à titre d'administrateur du bien d'autrui chargé de la pleine administration.
[40]
Tel que le prévoit l’article
Art. 1287. "L'administration de la fiducie est soumise à la surveillance du constituant ou de ses héritiers, s'il est décédé, et du bénéficiaire, même éventuel.
En outre, dans les cas prévus par la loi, l'administration des fiducies d'utilité privée ou sociale est soumise, suivant leur objet et leur fin, à la surveillance des personnes et organismes désignés par la loi."
[41]
Quant à l'article
Art. 1308. "L'administrateur du bien d'autrui doit, dans l'exercice de ses fonctions, respecter les obligations que la loi et l'acte constitutif lui imposent; il doit agir dans les limites des pouvoirs qui lui sont conférés.
Il ne répond pas de la perte du bien qui résulte d'une force majeure, de la vétusté du bien, de son dépérissement ou de l'usage normal et autorisé du bien."
[42] L’administrateur doit agir avec prudence et diligence, honnêteté et loyauté, dans le meilleur intérêt du bénéficiaire ou de la fin poursuivie:
13.09"L'administrateur doit agir avec prudence et diligence.
Il doit aussi agir avec honnêteté et loyauté, dans le meilleur intérêt du bénéficiaire ou de la fin poursuivie."
[43] À la lecture de toutes ces dispositions du Code civil du Québec, il appert que tout comme pour l'administrateur de biens d'autrui, le fiduciaire qui est chargé de la pleine administration du bien d'autrui, est responsable de l'administration du patrimoine fiduciaire et doit toujours agir avec prudence.
[44] Dans la présente cause, le Centre de recherche du CHUM devait s'assurer que les fonds de recherche étaient en équilibre et le Dr Blaise s'est engagé dans l'entente de 2003, à maintenir l'équilibre dans ses fonds actuellement actifs de même que dans ses nouveaux fonds. C'est cette obligation seulement qui pourrait ne pas avoir été respectée par le Dr Blaise et il n'y a aucune preuve à cet effet devant le Tribunal. On parle de la façon dont Dr Blaise devait gérer les fonds et entreprendre les démarches requises pour corriger la situation et fournir toutes les informations nécessaires. On ne retrouve pas l'obligation de rembourser le déficit accumulé dans l'entente.
[45] Dans cette entente, il est prévu que le chercheur gérera les fonds actuellement actifs et les nouveaux fonds de manière à maintenir l'équilibre. La gestion du fonds est complètement distincte de l'administration. Comme le fiduciaire est celui qui affecte les ressources dans "l'intérêt du bénéficiaire" et est en fait la personne qui autorise les sorties de fonds, il a une responsabilité certaine s'il autorise des sorties de fonds, un excédent des subventions disponibles.
[46] À la lecture de l'entente signée par les parties, chacune d'elle devait donc s'assurer que les fonds étaient et demeuraient en équilibre. Qui devait prélever la somme équivalente à 10 % des subventions qui seraient reçues?
[47] Comme nous l'avons vu, tant le fiduciaire que l'administrateur du bien d'autrui ont l'obligation de bien administrer les biens confiés. Le Centre de recherche du CHUM devait administrer correctement les fonds. On ne parle pas ici de fraude, mais plutôt d'un manque de prudence et de bonne administration de la part du Centre de recherche.
[48] La demanderesse a d'ailleurs admis à deux reprises dans ses procédures qu'elle devait administrer les sommes reçues, (paragraphe 40 de la réponse amendée ainsi qu'au point 6 de la déclaration de dossier complet).
[49] Le Centre de recherche avait la pleine administration du fonds constitué par les subventions versées au bénéfice des fonds de recherche.
[50] Les demanderesses sont fort mal placées pour demander au défendeur la somme de 411 896$ alors que le Centre de recherche a lui-même avancé au Dr Blaise, pour la poursuite de ses travaux de recherche, les sommes réclamées. Tant les règles de la fiducie que les règles de l’administration du bien d’autrui ne permettent pas au Tribunal de tenir le défendeur responsable du paiement réclamé.
[51] L’entente signée entre les parties en 2003 indique qu'autant le chercheur que le CHUM doivent maintenir l’équilibre dans les fonds. C'est le fiduciaire qui est la personne responsable de l’administration et de l'affectation des fonds et c'est lui qui est la personne autorisée à verser les sommes au bénéfice du chercheur. Il est de plus la personne ici qui a fourni des argents additionnels ne se retrouvant pas dans les fonds. Qui est le responsable du déficit accumulé? Dr Blaise a formulé des demandes monétaires que le fiduciaire n’était pas obligé de lui fournir tout simplement. Le fiduciaire, le Centre de recherche du CHUM pouvait dire non.
[52] Dans l'entente du 28 octobre 2003, il n'y a rien qui indique que le Dr Blaise est responsable du déficit accumulé. Ce dernier reconnaît que les fonds déficitaires seront fusionnés en un seul: "Le Fonds Redressement". Il reconnaît "qu'un prélèvement de 10% sera fait", (sans qu'on indique qui du Centre de recherche ou du chercheur fera le prélèvement). On peut penser que c'est le Centre de recherche qui devait faire les prélèvements, car il est celui qui reçoit les fonds. Dans ce sens, l'entente aurait permis au Centre de recherche de prélever 2 500$ (sur une subvention de 25 000$ reçue par le chercheur). Ils ne l'ont pas fait.
[53] Enfin, Dr Blaise reconnaît dans l'entente "qu'il gèrera" (on doit remarquer ici le verbe employé au futur par les parties) "ses fonds actuellement actifs de même que ses nouveaux fonds de façon équilibrée".
[54] Il n'y a pas de preuve d'ailleurs à l'effet qu'il n'ait pas géré les fonds de façon équilibrée. Il n'y a pas eu de subvention importante de reçue, c'est ce qui est arrivé. Le Dr Blaise n'a donc pas pu aider à"renflouer" le fonds de redressement.
[55] La pièce P-8 dit clairement d'ailleurs que c'est la Direction de la recherche et la Direction des ressources financières et des partenariats économiques "qui doivent s'assurer du respect des normes dans le suivi des projets de recherche et que c'est elles qui administrent les fonds reçus des organismes subventionnaires". Si le chercheur a la responsabilité des dépenses effectuées dans "le respect des enveloppes budgétaires", celui qui peut accepter "les dépassements budgétaires", est le Centre de recherche du CHUM qui les accepte "en autant qu'ils (les dépassements) sont couverts par une autre source de financement confirmée" (P-8). Ce n'était pas le cas dans la présente cause.
[56] Ce qu'on réclame au Dr Blaise en fait, ce sont les sommes déboursées par le CHUM qui dépassaient le montant des subventions et qui n'auraient pas dû être déboursées. Le Centre de recherche avait la responsabilité d'accepter ou non les demandes excédentaires. Pour ces motifs, les demanderesses sont malvenues de venir aujourd'hui réclamer au Dr Blaise des montants qu'elles ont elles-mêmes accepté de distribuer alors qu'ils n'étaient pas couverts par une source de financement certaine.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
[57] REJETTE la demande;
[58] AVEC DÉPENS.
|
||
|
__________________________________ GINETTE PICHÉ, J.C.S. |
|
|
||
Me David Quesnel |
||
Heenan Blaikie |
||
Procureurs des demanderesses |
||
|
||
Me Geneviève Pilon |
||
Cadrin Mayer |
||
Procureurs du défendeur |
||
|
||
Date d’audience : |
Les 19 et 20 octobre 2009 |
|
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.