Roy et Ministère de l'Immigration, de la Francisation et de l'Intégration | 2025 QCCFP 17 |
COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE |
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CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC |
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DOSSIER No : | 2000227 |
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DATE : | 31 juillet 2025 |
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DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF : | Denis St-Hilaire |
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JÉRÔME ROY |
Partie demanderesse |
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MINISTÈRE DE L’IMMIGRATION, DE LA FRANCISATION ET DE L’INTÉGRATION |
Partie défenderesse |
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DÉCISION
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(Article 81.20, Loi sur les normes du travail, RLRQ, c. N‑1.1) |
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- Le 20 juillet 2025, M. Jérôme Roy dépose une plainte de harcèlement psychologique à la Commission de la fonction publique (Commission), en vertu de l’article 81.20 de la Loi sur les normes du travail[1] (LNT), à l’encontre de son ancien employeur, le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (ministère).
- Le 22 juillet 2025, la Commission soulève d’office son absence de compétence pour entendre ce recours puisque M. Roy était un fonctionnaire syndiqué.
- Elle demande aux parties de lui transmettre par écrit, au plus tard le 5 août 2025, leurs commentaires concernant la recevabilité du recours afin de rendre une décision sur dossier.
- Le 24 juillet 2025, le ministère informe la Commission que M. Roy a démissionné de son emploi en novembre 2024 et qu’il était un fonctionnaire nommé en vertu de la Loi sur la fonction publique[2] (LFP) et syndiqué au moment de sa démission. Ses conditions de travail étaient régies à l’époque par la Convention collective des professionnelles et professionnels 2023-2028 (Convention). Le ministère conclut donc à l’absence de compétence de la Commission et soumet que la plainte est en conséquence irrecevable.
- Le 29 juillet 2025, M. Roy écrit à la Commission. Il reconnaît qu’il était un fonctionnaire syndiqué nommé en vertu de la LFP. Il confirme avoir démissionné le 10 novembre 2024 et mentionne qu’il était syndiqué jusqu’au moment de sa démission.
- La Commission juge qu’elle n’a pas compétence pour statuer sur le recours de M. Roy.
CONTEXTE ET ANALYSE
- Conformément à l’article 81.20 de la LNT, deux conditions doivent être remplies pour que la Commission puisse entendre la plainte de harcèlement psychologique de M. Roy. D’abord, il doit être un fonctionnaire, soit une personne nommée en vertu de la LFP. Ensuite, il ne doit pas être régi par une convention collective. En effet, cet article prévoit :
81.20. Les dispositions des articles 81.18, 81.19, 123.7, 123.15 et 123.16 sont réputées faire partie intégrante de toute convention collective, compte tenu des adaptations nécessaires. Un salarié visé par une telle convention doit exercer les recours qui y sont prévus, dans la mesure où un tel recours existe à son égard.
[…]
Les dispositions visées au premier alinéa sont aussi réputées faire partie des conditions de travail de tout salarié nommé en vertu de la Loi sur la fonction publique (chapitre F‐3.1.1) qui n’est pas régi par une convention collective. Ce salarié doit exercer le recours en découlant devant la Commission de la fonction publique selon les règles de procédure établies conformément à cette loi. La Commission de la fonction publique exerce à cette fin les pouvoirs prévus aux articles 123.15 et 123.16 de la présente loi.
[…]
[Soulignement de la Commission]
- M. Roy est bien un fonctionnaire nommé en vertu de la LFP. Or il ne respecte pas la deuxième condition puisqu’il était un agent de recherche et de planification socio-économique régi par une convention collective. En effet, il indique clairement dans son recours qu’il était un fonctionnaire syndiqué.
- Dans un document déposé à la Commission avec sa plainte de harcèlement psychologique, il fait lui-même référence à un représentant syndical et à un article de la Convention :
[…]
Comme tu m’as expliqué, vendredi dernier, qu’il sera question de mon «congédiement» lors de notre rencontre prévue lundi prochain, j’ai pris la liberté d’inviter un représentant syndical, en vertu de l’article 3-2.06. Je serai heureux d’en discuter davantage avec toi.
[…]
[Transcription textuelle]
- Dans ses commentaires soumis à la Commission, il reconnaît que cette dernière doit décliner compétence.
- Conformément à la Convention, M. Roy peut soumettre un grief en matière de harcèlement psychologique qui pourra être tranché par un arbitre. Ce recours relève de la compétence exclusive de celui-ci.
- La Commission a d’ailleurs rendu de nombreuses décisions dans lesquelles elle constate son absence de compétence pour entendre tout recours déposé par un fonctionnaire syndiqué[3].
- Elle ne peut pas statuer sur la plainte de M. Roy, car elle doit respecter, dans l’exercice de sa compétence, le cadre qui lui a été déterminé par le législateur.
- En effet, la Commission est un tribunal administratif qui n’a qu’une compétence d’attribution. Elle ne peut donc exercer que la compétence qui lui est accordée expressément par le législateur[4] :
[…]
À la différence du tribunal judiciaire de droit commun, un tribunal administratif n’exerce la fonction juridictionnelle que dans un champ de compétence nettement circonscrit. Il est en effet borné, par la loi qui le constitue et les autres lois qui lui attribuent compétence, à juger des contestations relatives à une loi en particulier ou à un ensemble de lois. Sa compétence ne s’étend donc pas à l’intégralité de la situation juridique des individus. […]
La portée de l’intervention du tribunal administratif et par conséquent l’étendue de sa compétence sont donc déterminées par la formulation des dispositions législatives créant le recours au tribunal. […]
Il faut donc, aussi bien en droit québécois qu’en droit fédéral, examiner avec attention le libellé de la disposition créant le recours, pour savoir quelles décisions de quelles autorités sont sujettes à recours, sur quels motifs le recours peut être fondé, sous quelles conditions – notamment de délai – il peut être introduit […].
[…]
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE :
DÉCLARE qu’elle n’a pas compétence pour statuer sur le recours de M. Jérôme Roy.
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| Original signé par __________________________________ Denis St-Hilaire |
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M Jérôme Roy |
Partie demanderesse |
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Me Benoît Denis |
Procureur du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration |
Partie défenderesse |
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Date de la prise en délibéré : | 30 juillet 2025 |
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[3] Marquis et Ministère des Transports et de la Mobilité durable, 2024 QCCFP 21; Hanh Bui et Tribunal administratif du logement, 2024 QCCFP 19; Kemmar et Société de l'assurance automobile du Québec, 2024 QCCFP 17; Richard et Ministère de la Sécurité publique, 2024 QCCFP 5; Bleau et Ministère de la Sécurité publique, 2023 QCCFP 30; Noameshie et Ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, 2023 QCCFP 27; Corriveau et Ministère du Conseil exécutif, 2023 QCCFP 12; Levesque et Institut de la statistique du Québec, 2023 QCCFP 6; Desouvrey et Ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, 2022 QCCFP 13; Cossette et Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec, 2019 QCCFP 56; Rivard et Assemblée nationale du Québec, 2019 QCCFP 36; Benchabane et Ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, 2017 QCCFP 14; Juteau et Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, 2017 QCCFP 3, Ajaba et Régie du bâtiment du Québec, 2017 QCCFP 2; Potvin et Ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, 2016 QCCFP 18; Lamarche et Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, 2015 QCCFP 18; Lavoie et Ministère de la Sécurité publique, 2012 QCCFP 20.
[4] Pierre Issalys et Denis Lemieux, L’action gouvernementale – Précis de droit des institutions administratives, 3e édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 421‑423.