Milot c. Belzile |
2019 QCRDL 28449 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Shawinigan |
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No dossier : |
462565 14 20190524 G |
No demande : |
2768727 |
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Date : |
03 septembre 2019 |
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Régisseur : |
Serge Adam, juge administratif |
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André Milot |
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Locateur - Partie demanderesse |
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c. |
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Richard Belzile |
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Locataire - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] Le locateur produit une demande de résiliation de bail et d’éviction de tous les occupants du logement dû à un mauvais usage du logement lui causant un préjudice sérieux. Il demande également l’exécution provisoire nonobstant appel et de statuer sur les frais.
[2] Les parties sont liées par un bail reconduit depuis une quinzaine d’années du 1er juillet 2019 au 30 juin 2020 au loyer mensuel de 400 $ payable le 1er jour de chaque mois.
Question en litige
[3] La preuve est-elle prépondérante à démontrer un mauvais usage du locataire de son logis entraînant un préjudice sérieux au locateur ?
Allégation et preuve des parties
[4] Au soutien de sa demande, le locateur allègue que le locataire n’use pas du logement en personne responsable, ce qui lui cause un préjudice sérieux.
[5] Il ferait ainsi défaut d’exécuter les obligations que la loi lui impose, obligations qu’il a, de plus, assumées de plein gré à la signature du bail. Il contreviendrait ainsi aux dispositions des articles 1855 et 1856 du Code civil du Québec lesquels stipulent :
« 1855. Le locataire est tenu, pendant la durée du bail, de payer le loyer convenu et d’user du bien avec prudence et diligence. »
[6] En effet, la preuve non contestée, voire admise par le locataire, ce dernier a pendant plus d’une douzaine d’années utilisé tout le deuxième étage du logement (maison unifamiliale) pour la cuture et la production de cannabis afin de combler ses besoins personnels, allègue-t-il.
[7] Ainsi le 24 mars dernier, une perquisition fut effectuée au logement concerné par la Sureté du Québec et ainsi selon l’aveu même du locataire, une quarantaine de plants de cannabis et plus de 600 boutures furent trouvés et saisis au domicile du locataire.
[8] Témoignant pour le locateur, Mme Mélanie Whissell, belle-fille de ce dernier explique avoir visité ce logement avec son mari M. Luc Milot au début du mois de juin 2019 et avoir constaté un logement dans un état désastreux alors que celui-ci était non seulement excessivement sale mais au surplus, la peinture est écaillée un peu partout, il y existe des trous dans les planchers, un prélart fortement abimé et une présence de moisissures sans compter des dizaines de coulisses sur les murs.
[9] Le mandataire du locateur, son fils Luc, corrobore l’état du logement du locataire et soutient avoir ainsi pu constater une forte présence de moisissures notamment dans l’entretoit dû au fait d’un arrosage constant des plants du locataire pendant toutes ces années.
[10] Des travaux sont nécessaires, selon le locateur, afin de pouvoir remettre le logement dans un bon état d’habitabilité et ce dernier craint une dépense d’au moins une quinzaine de milliers de dollars à cet effet car ce type de culture endommage les immeubles.
[11] Quant au préjudice sérieux subi, le locateur par l’entremise de son fils, témoigne du désir de son père maintenant âgé de 68 ans de vendre cet actif et profiter d’une retraite.
[12] Déjà un acquéreur potentiel désirait visiter cette propriété, mais s’est ravisé vu les événements récents. En effet, ceux-ci auront une répercussion importante sur la valeur de son immeuble vu l’importance des effets d’une telle culture dans le logement et pour une telle quantité de plants de cannabis et des boutures de ceux-ci pendant plusieurs années sur le bâtiment.
[13] Quant au locataire, il admet ne pas avoir nettoyé son logement pendant de nombreuses années mais produit des photographies de la salle de bain afin de démontrer son désir de modifier sa façon de vivre et promet de ne plus utiliser ce logement à des fins de production de cannabis ou de toute autre plante ou substance illégale et de le nettoyer régulièrement.
[14] Quant à l’état de la maison, il souligne l’absence d’investissements par son locateur dans celle-ci. Selon lui, l’écaillement de la peinture sur les murs et le prélart abimé le furent par une usure normale.
[15] Toujours selon le locataire, ce logement lors de son arrivée, n’était pas dans un parfait état, ce qui fut entièrement et vigoureusement nié par le mandataire du locateur alors qu’au contraire ce logement a été délivré dans un parfait état d’habitabilité et d’une propreté exceptionnelle.
[16] Ainsi se résume l’essentiel de la preuve présentée par les parties.
Décision
[17] L’article 1863 du Code civil du Québec établit dans le cas d’une inexécution d’une obligation par l’une des parties la possibilité pour l’autre partie de demander la résiliation du bail pourvu qu’un préjudice sérieux en résulte pour cette dernière.
[18] Pour obtenir la résiliation du bail, le locateur doit donc prouver la contravention d’une obligation de son locataire à ses obligations et d’un préjudice sérieux en résultant.
[19] Les articles 2803 et 2804 du Code civil du Québec prévoient:
« 2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée ».
« 2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante ».
[20] Dans l'application de ces règles, il faut voir qui a le fardeau de preuve, comme l'expliquait le professeur Ducharme :
« 146. S'il est nécessaire de savoir sur qui repose l'obligation de convaincre, c'est afin de pouvoir déterminer qui doit assumer le risque de l'absence de preuve. En effet, si, par rapport à un fait essentiel, la preuve offerte n'est pas suffisamment convaincante, ou encore si la preuve est contradictoire et que le juge est dans l'impossibilité de déterminer où se situe la vérité, le sort du procès va se décider en fonction de la charge de la preuve : celui sur qui reposait l'obligation de convaincre perdra. »[1]
[21] Le locateur a donc le fardeau de prouver, par prépondérance de preuve, les faits au soutien du droit réclamé.
[22] Plusieurs décisions du présent tribunal ainsi que la Cour du Québec ont été rendues concernant la possession, la culture ou le trafic de drogues dans des logements loués à des locataires.
[23] Ainsi, le juge Richard Landry, de la Cour du Québec, relate la jurisprudence et la doctrine à ce sujet dans l'affaire Pesant et Noël c. Corbeil[2] et conclut que l'appel de la décision rendue en première instance, laquelle avait résilié le bail pour ce motif, n'avait aucune chance de succès :
« Que l'on parle de trafic de drogues ou d'utilisation des lieux loués pour cultiver des substances illégales, la jurisprudence est constante et ne fait l'objet d'aucune controverse qu'il s'agit d'un changement de destination d'une occupation résidentielle de nature à entraîner la résiliation d'un bail. »
[24] Il cite notamment les auteurs Lamontagne et Larochelle, dans leur traité sur le Droit spécialisé des contrats[3] :
« Les tribunaux ont considéré que constitue un changement de destination le fait pour le locataire d'entreprendre une activité qui a pour effet de hausser les primes d'assurance incendie du locateur ou de nécessiter un circuit électrique spécial ou de s'adonner dans les lieux loués à des activités illégales. »
[25] L'auteur Pierre Gabriel Jobin est également de cet avis et il écrit que l'utilisation d'un logement à des fins contraires à l'ordre public constitue une violation de l'obligation de respecter la destination des lieux.[4]
[26] D’autres décisions plus récentes vont dans cette direction.[5]
[27] Dans le présent cas, le locataire a admis avoir cultivé pendant presqu’une quinzaine d’années dans le logement des dizaines de plants de cannabis et des centaines de boutures de celles-ci, par année. Il s'agit d'une activité illégale et d'un changement de la destination du logement, puisque tout un étage a servi à la culture illégale de cette plante.
[28] Le locateur subi également un préjudice sérieux d’une telle culture pendant ce nombre d’années admises par le locataire et le soussigné ne peut qu’admettre les dommages à l’immeuble résultant d’une telle production ne serait-ce qu’avec le taux d’humidité nécessaire pour faire pousser ces dits plants et boutures pendant tout ce temps.
[29] De plus, il ne fait aucun doute dans l’esprit du soussigné d’un autre réel préjudice sérieux pour le locateur lequel désire vendre son immeuble, ce qui affectera la réalisation rapide de celle-ci avec l’opération par le locataire d’une telle culture à grande échelle durant un si grand nombre d’années consécutives dans cet immeuble.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[32] ORDONNE l'exécution provisoire, malgré l'appel, de l'ordonnance d'expulsion à compter du 20e jour de sa date;
[33] CONDAMNE le locataire à payer au locateur la somme de 99 $ représentant les frais judiciaires;
[34] RÉSERVE au locateur tous ses recours.
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Serge Adam |
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Présence(s) : |
le mandataire du locateur le locataire |
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Date de l’audience : |
31 juillet 2019 |
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[1] Ducharme, Léo, Précis de la preuve, 5e Edition, 2005, Wilson Lafleur Ltée, p.62.
[2] Cour du Québec, District de Joliette, 705-80-000595-047, 10 septembre 2004.
[3] 2000, Édition Yvon Blais Inc., Cowansville, Vol. 1, p. 358.
[4] Jobin, P.G. Le louage de choses, Éd. Yvon Blais, 1989, p. 323.
[5] Dossier 231860 : Manon Talbot, juge administrative, le 20 octobre 2015, Gestion Immobilière Langlois Inc. c. Tapp pet 227457 Sylvie Lambert, juge administrative, le 30 septembre 2015, 3415384 Canada Inc. c. Nurse.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.