Pierre Clermont c. R. |
2020 QCCQ 3408 |
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COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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« Chambre criminelle et pénale » |
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N° : |
500-01-201333-207 |
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DATE : |
15 septembre 2020 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
SUZANNE COSTOM, J.C.Q. |
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Duckerns PIERRE CLERMONT |
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Requérant-accusé |
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c. |
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La Reine |
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Intimée-poursuivante |
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JUGEMENT SUR UNE REQUÊTE EN EXCLUSION DE LA PREUVE |
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en vertu des articles 8, 9, 10a), 10b) et 24(2) |
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de la Charte canadienne des droits et libertés |
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[1] M. Pierre Clermont est accusé de diverses infractions en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances[1], la Loi sur le cannabis[2] et le Code criminel.
[2] Il présente une requête en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés[3] (ci-après « Charte »), dans laquelle il allègue que plusieurs de ses droits constitutionnels ont été violés. Il invite le Tribunal à exercer sa discrétion, comme le prévoit l’article 24(2), pour exclure les éléments de preuve obtenus lors de l’exécution du mandat de perquisition.
LES FAITS
[3] Les parties s’entendent en grande partie sur la narration des faits qui se retrouve dans le rapport d’incident (R-1) et dans deux rapports complémentaires (R-2 et R-4). Cette preuve se complète par le témoignage de l’agent Berthiaume ainsi que par une admission concernant le témoignage de l’agent Proulx (R-8).
[4] Le tout débute quand deux patrouilleurs (les agents Berthiaume et Proulx) se présentent à la résidence du requérant faisant suite à un appel logé au 911 signalant un possible conflit.
[5] Quand les policiers frappent à la porte, celle-ci s’ouvre d’elle-même et ils entrent dans la résidence. Ils voient une femme (madame Noémie Brunet) dans le corridor au fond de l’appartement. Elle est en sous-vêtements et elle pleure.
[6] Pour l’agent Berthiaume, des ustensiles éparpillés sur le sol sont des traces de lutte.
[7] Il aperçoit le requérant au bout du corridor comme s’il veut savoir ce qui se passe.
[8] L’agent Berthiaume explique que ce dernier « est un de nos sujets connus » dans le secteur. Il sait que le requérant avait déjà été impliqué dans des interventions avec des armes à feu. Pour l’agent Berthiaume, la présence du requérant change le niveau de risque de l’intervention.
[9] Plus précisément, l’agent Berthiaume sait que le requérant a des antécédents judiciaires sans savoir combien. Il sait que ce dernier avait été impliqué dans une fusillade à l'automne 2019, possiblement en octobre. Il ignore si des accusations avaient été portées contre le requérant par la suite. Il avait aussi entendu parler du requérant dans les semaines précédant le 12 février pendant les rassemblements des policiers au poste au début de chaque cadre de travail. Il sait que les policiers avaient eu affaire avec le requérant à plusieurs reprises, qu’il est très actif sur internet, qu’il est lié à certains individus dans le milieu criminel et « qu’il y a des armes à feu la-dans ».
[10] L’agent Berthiaume ordonne au requérant de s’approcher en montrant ses mains, ce qu’il fait. L’agent le place face au mur et le menotte. Même si le requérant collabore et n'est aucunement agressif, l’agent Berthiaume explique que cette procédure est requise pour leur sécurité, compte tenu de la nature de l'appel et des antécédents du requérant.
[11] Dans son rapport, l'agent Berthiaume mentionne qu’après avoir menotté le requérant, il l'informe qu'il est en détention pour fins d'enquête et lui donne « sa mise en garde, son droit au silence et son droit de consulter un avocat »[4]. Il est environ 5 h 15.
[12] À l'audience, en réponse aux questions en contre-interrogatoire, l’agent Berthiaume affirme que même s'il ne l’a pas écrit dans son rapport, il est certain d'avoir également avisé le requérant du motif de sa détention, soit pour des menaces.
[13] L’agent Berthiaume procède par la suite à une fouille par palpation « pour sa sécurité ». Il cherche à savoir si le requérant a sur lui un objet tranchant comme un couteau ou une seringue. Dans le rapport d’incident qu’il a rédigé, il mentionne qu’il effectue « une fouille visuelle par palpation pour ma sécurité »[5]. L’agent Berthiaume sait que lors d'une détention pour fins d'enquête, il a le droit de procéder à une fouille par palpation s'il la juge nécessaire pour la sécurité, mais que la fouille ne peut pas avoir comme objectif la découverte d’éléments de preuve.
[14] Il est à noter que madame Brunet avait avisé les agents auparavant que le requérant avait son téléphone cellulaire à elle sur lui. Lorsque le téléphone cellulaire se met à sonner, le requérant indique aux policiers qu'il se trouve dans la poche droite de son pantalon.
[15] L’agent Berthiaume glisse la main dans la poche du pantalon pour récupérer le téléphone et découvre un sac « ziploc » contenant 6 balles de calibre .22 qui est collé sur celui-ci. Il sort les deux items de la poche du pantalon.
[16] L'agent Berthiaume demande au requérant si une arme se trouve sur les lieux et si d’autres individus se trouvent sur place. Il pose ces questions parce qu’il ne connaît pas les lieux, qu’ils ne sont pas sécurisés et que son partenaire et lui sont seuls. Il ne sait pas non plus s'il y a d'autres personnes dans l’appartement ou dans la cour. En effet, l'agent Proulx avait avisé précédemment l’agent Berthiaume qu’il y avait une porte à l’arrière menant à l'extérieur.
[17] L'agent précise qu’en questionnant le requérant, son objectif n’était pas de l’incriminer mais plutôt de s'assurer de sa sécurité et celle de son partenaire.
[18] Le requérant répond qu'il n’y a personne d'autre sur place et qu’une arme à feu se trouve dans une taie d'oreiller au niveau de la garde-robe à côté du lit.
[19] Les agents appellent des collègues pour venir leur prêter assistance. En attendant l'arrivée de ces derniers, l'agent Proulx sécurise les lieux, c’est-à-dire, il confirme qu’il n’y a personne d’autre dans l’appartement ni dans la cour.
[20] À l’arrivée des autres agents, l’agent Berthiaume sort du logement avec le requérant, qui est placé dans l’auto-patrouille. Le sac ziploc contenant les balles, deux téléphones cellulaires ainsi que l’argent sont également remis aux autres agents.
[21] L’agent Berthiaume rencontre le témoin qui avait fait l’appel 911 et, à 5 h 30, muni des renseignements obtenus de ce dernier, il retourne à l'auto-patrouille pour mettre le requérant en état d'arrestation pour avoir proféré des menaces de mort.
[22] L’agent Berthiaume va ensuite rejoindre l’agent Proulx qui est toujours dans l’appartement avec la présumée victime (madame Brunet). Il ne se sent plus en danger puisque les lieux sont sécurisés et le requérant n'est plus dans l'appartement.
[23] Les agents veulent amener madame Brunet dans un endroit sécurisé pour prendre sa déclaration. Elle accepte de les suivre mais dit qu'elle veut récupérer un sac à dos rose. Les agents lui disent qu’ils vont aller le chercher avec elle et la suivent dans la chambre.
[24] Madame Brunet indique que son sac à dos est dans la garde-robe. L’agent Berthiaume le récupère et regarde à l'intérieur pour s’assurer que l’arme à feu ne s’y trouve pas et il découvre alors « une quantité importante » d'argent en billets de 100$. L’agent Berthiaume voit également du cannabis sur le bureau de la chambre ainsi qu’un sac noir sur le lit contenant une substance qui semble être des roches de crack. Ces derniers éléments sont bien en vue (plain view).
[25] L’agent Berthiaume avise madame Brunet qu’elle ne peut pas prendre le sac à dos parce qu’il contient des éléments de preuve. Questionnée par les agents par rapport aux stupéfiants, madame Brunet dit qu'elle ne sait pas à qui appartient le cannabis mais que les autres stupéfiants appartiennent au requérant.
[26] L’agent Berthiaume sort de l’appartement pour aviser le requérant qu'il est arrêté pour possession de stupéfiants en vue d'en faire le trafic et il lui donne ses droits. L’agent Berthiaume lui demande à qui appartient le cannabis. Le requérant répond que c’est à lui. Par la suite, le requérant est amené au centre opérationnel et madame Brunet est amenée au poste de quartier.
[27] Le requérant consulte pour la première fois un avocat au centre opérationnel à 6 h 27.
[28] L’agent Berthiaume retourne pour une troisième fois dans l’appartement. Il veut localiser l'arme pour pouvoir diriger les enquêteurs qui viendront investir les lieux ultérieurement.
[29] L’agent Berthiaume se dirige dans la chambre où se trouve le lit. Il voit une taie d'oreiller dans une garde-robe qui n'a plus de porte et voit le canon d’une arme. L’arme a une balle chambrée. Les agents sécurisent l'arme et la place sur le lit pour les enquêteurs.
[30] Quelque 35 minutes plus tard, une autre équipe arrive dans l’appartement et prend la relève. Les agents Berthiaume et Proulx se rendent au poste où l’agent Berthiaume rédige son rapport et informe le sergent détective Reed (S/D Reed) de la situation. Ce dernier rédige une dénonciation en vue d’obtenir un mandat de perquisition (pièce R-3).
[31] La dénonciation contient 16 paragraphes qui résument l'intervention des agents Berthiaume et Proulx. Les extraits pertinents pour les fins de la détermination de cette requête se lisent comme suit:
« 8. Vers 05 :15, Les policiers se rendent face à la porte du 8518 St-Dominique, ils crient police et s'aperçoivent que la porte est non verrouillée. Donc les policiers pénètrent à l'intérieur du 8518 St-Dominique pour sécurisé les lieux, ils aperçoivent une femme (BRUNET, Noémie) au fond du logement en sous-vêtement qui pleure. Au même moment un homme (PIERRE CLERMONT' DUCKENS) vient à leurs rencontres (il s'agit d'un sujet que les policiers connaissent). Les policiers le détiennent pour fins d'enquêtes. L'agent Berthiaume #7185 effectue une fouille par palpation et trouve dans la poche avant droite de pantalon un sac ziploc transparent contenant des munitions de calibre .22.
9. Suite à la découverte des munitions, l'agent Berthiaume #7185 demande PIERRE CLERMONT, DUCKENS où se trouve le gun, ce dernier lui déclare qu'il est dans la chambre dans l'oreiller. Les policiers attendent le véhicule 27x2 qui se dirige en coopération avec eux.
[...]
13. Vers 05 :35, la victime BRUNET, Noémie veut quitter les lieux et elle insiste pour prendre son sac à dos rose qui se trouve dans la chambre à couché. Étant donné qu'il y a possibilité d'arme à feu, les policiers ouvre le sac à dos de la victime et découvrent une grosse somme d'argent canadiens dans le sac à dos. Sur la table de chevet se trouvent six onces de marijuana a l'intérieur d'un sac ziploc transparent et sur le lit qui est constitué d'un drap contour se trouve un sac noir ouvert contenant plusieurs roches de crack. La victime déclare que les stupéfiants appartiennent PIERRE CLERMONT, DUCKENS.
[...]
15. Vers 05 :55, l'agent Berthiaume vérifie dans la taie d'oreiller afin de valider et de pouvoir sécurisé s'il y a présence d'arme à feu. Un pistolet de calibre .22 chargé a été trouvé, ce dernier a été sécurisé. »[6] [Sic]
[32] Le mandat est autorisé et la perquisition qui s’en suit mène à la découverte et la saisie de la preuve qui est visée par cette requête en exclusion.
LA POSITION DES PARTIES
Le requérant
[33] Le requérant affirme que l’entièreté des motifs qui figurent dans la dénonciation en vue d’obtenir le mandat de perquisition a été obtenue en contravention de ses droits constitutionnels[7]. En conséquence, le mandat est invalide et la perquisition constitue une violation de l’article 8 de la Charte.
Le DPCP
[34] Le DPCP concède que les policiers n'ont pas respecté certains des droits constitutionnels du requérant au cours de l'intervention. Cependant, il plaide que le remède approprié est de supprimer les renseignements obtenus en violation de la Charte de la dénonciation en vue d'obtenir le mandat de perquisition. Selon lui, à la suite des suppressions, le reliquat est suffisant pour justifier l'octroi du mandat de perquisition. La fouille et les saisies sont donc légales.
ANALYSE
[35] Le Tribunal abordera, en ordre chronologique, chaque grief soulevé par le requérant.
La détention arbitraire (article 9)
[36] Selon l’article 9 de la Charte canadienne des droits et libertés, « Chacun a droit à la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires »[8].
[37] Dans R. c. Le[9], la Cour suprême explique que pour respecter l’article 9, « la détention doit être autorisée par une règle de droit, la règle de droit elle-même doit être exempte de caractère abusif et la manière dont la détention est effectuée doit être non abusive »[10].
[38] Le requérant admet qu’au début de l’intervention, les policiers avaient des motifs raisonnables de soupçonner qu’il avait commis une infraction (en matière de violence conjugale) et que sa détention pour fins d’enquête était légale.
[39] Par contre, il allègue que la détention était effectuée de manière abusive, la rendant arbitraire. Il souligne qu'il a collaboré, qu’il n’avait rien dans ses mains et qu’il n’était nullement agressif. Il note que les agents n’ont pas entendu de cris avant d’entrer dans le domicile. Ces faits ne sont pas contestés. Il reproche ainsi aux agents de l’avoir menotté et de l’avoir placé dans l’auto-patrouille.
[40] Le Tribunal n’est pas de cet avis. Les policiers sont appelés pour répondre à un appel du 911 concernant des cris dans une résidence. Rendus sur les lieux, ils voient des ustensiles sur le sol du corridor que l’agent Berthiaume attribue à des traces de conflit. Madame Brunet est en larmes. L’agent Berthiaume reconnaît le requérant et est au courant que ce dernier a déjà été impliqué dans une fusillade et qu’il est associé avec des individus dans un milieu criminalisé. À ce point, il ignore si le requérant a sur lui des objets tranchants. Il veut aussi prévenir le risque que le requérant prenne la fuite et il ignore s’il y a une porte arrière de la maison. L’agent témoigne que dans les circonstances, il est nécessaire de le menotter pour la sécurité des agents et celle de la victime à la lumière de la nature de l'appel et des antécédents du requérant.
[41] Le Tribunal considère que l’agent Berthiaume a témoigné de façon crédible et transparente. Son évaluation de la situation est raisonnable. La mise des menottes n’est pas abusive et ne rend pas la détention arbitraire.
[42] Le fait que le requérant soit placé dans l’auto-patrouille n’est pas abusif non plus. L’agent Berthiaume a témoigné que les agents voulait le sortir de l’appartement pour être en mesure de discuter avec la présumée victime et que compte tenu du froid, il l’a amené dans l’auto-patrouille. Le requérant n’y restera que 20 minutes avant de quitter en direction du poste de police à 5 h 40[11].
[43] Le Tribunal conclut qu’il n’y a eu aucune violation de l’article 9.
Le droit d’être informé dans les plus brefs délais des motifs de son arrestation ou de sa détention (article 10a))
[44] Selon l’article 10a) de la Charte :
« Chacun a le droit, en cas d’arrestation ou de détention :
a) d’être informé dans les plus brefs délais des motifs de son arrestation ou de sa détention; »
[45] Le requérant allègue que l’agent Berthiaume a omis de l’aviser des motifs de sa détention à deux occasions. Tout d’abord, il prétend qu’au moment de sa mise en détention pour fins d’enquête pour avoir proféré des menaces, bien qu’on l’ait avisé de ses droits, il n’a pas été informé des motifs de sa détention Ensuite, il plaide que dès la découverte des munitions, il aurait dû être avisé de sa détention pour fins d’enquête en lien avec des d’armes à feu.
[46] Dans les deux cas, l’existence de la violation alléguée dépend de la crédibilité de l’agent Berthiaume. Il témoigne avec certitude qu’il a avisé le requérant qu'il était détenu pour fins d'enquête en lien avec les menaces. Son rapport, rédigé dans les heures qui ont suivies l'incident, mentionne uniquement qu'il donne au requérant « sa mise en garde, son droit au silence et son droit de consulter un avocat »[12]. Mais selon l’agent, « c’est dans la base des choses » d’aviser les individus des motifs de leur détention, peu importe la nature de l’intervention.
[47] Le requérant plaide l’arrêt Wood c. Schaeffer[13] qui souligne l'obligation des policiers d’écrire des notes complètes et détaillées. Il plaide que l’omission de l’agent Berthiaume de mentionner dans son rapport qu'il a avisé le requérant des motifs de sa détention devrait amener le Tribunal à tirer une inférence adverse quant à sa crédibilité.
[48] Le Tribunal n’est pas de cet avis. L'avocate du requérant a elle-même plaidé que l'agent Berthiaume a rendu son témoignage avec une « candeur étonnante ». Sans qualifier le témoignage d'étonnant, le Tribunal considère que l'agent a témoigné en toute honnêteté, au meilleur de ses souvenirs. Il ne s'est jamais mis sur la défensive même lorsque le requérant a remis en question ses actions. Il a répondu à toutes les questions d’une façon claire et précise, sans exagérer. Son rapport est très détaillé et son témoignage correspond à quelques détails près au contenu de ce rapport.
[49] À la lumière des circonstances du présent dossier, l'absence d'une inscription mentionnant que l'agent a avisé le requérant des motifs de sa détention n’amène pas le Tribunal à douter de la crédibilité de celui-ci. Son témoignage selon lequel il affirme avoir avisé le requérant des motifs de sa détention parce qu'il le fait à chaque arrestation, de façon systématique, et selon lequel il se souvient l'avoir dit particulièrement dans le cas qui nous occupe, est également fiable.
[50] Sur le deuxième volet de cet argument, l’agent Berthiaume explique que la découverte des munitions n'a pas engendré un changement dans le statut du requérant. Il explique que cette découverte a plutôt augmenté le niveau de risque de l'intervention et que sa réaction était donc d'en aviser son partenaire.
[51] Le Tribunal croit l’agent Berthiaume. Comme déjà mentionné, le Tribunal considère que dans son ensemble, l'agent Berthiaume a rendu un témoignage crédible et fiable. Sur ce point précis, le Tribunal note que dans la période qui suit immédiatement la découverte des munitions, l’objectif principal de l'agent était d'obtenir des renseignements supplémentaires du témoin et de la présumée victime pour poursuivre son enquête en matière de violence conjugale.
[52] Les agents n’ont pas enfreint l’article 10a) de la Charte.
La fouille accessoire à la détention pour fins d’enquête (article 8)
[53] Selon l’article 8 de la Charte, « Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives ». La jurisprudence nous enseigne que toute fouille effectuée sans mandat est présumée abusive[14], à moins qu’elle ne puisse être justifiée.
[54] Dans le cadre d’une détention aux fins d’enquête, le droit canadien reconnaît un pouvoir limité de procéder à une fouille. Dans un arrêt récent, notre Cour d’appel, sous la plume de l’honorable Patrick Healy, résume la portée de ce pouvoir comme suit :
[54] Il existe également en common law un pouvoir limité de procéder à une fouille dans le cadre d'une détention aux fins d'enquête. Un policier qui possède des motifs raisonnables de croire que sa sécurité ou celle d'autrui est menacée peut procéder à une fouille par palpation préventive. Ce pouvoir est justifié par le devoir policier de protéger la vie et la sécurité.
[55] En revanche, des inquiétudes « vagues ou inexistantes » ne sauraient justifier une fouille et, là encore, les policiers ne peuvent procéder uniquement sur la base d'un instinct ou d'une intuition. Le policier doit agir à partir « d'inférences raisonnables et précises fondées sur les faits connus se rapportant à la situation. »
[56] Dans tous les cas, une fouille justifiée par des motifs raisonnables de sécurité ne sera constitutionnellement valide que si son exécution est raisonnable dans les circonstances. Le caractère globalement non abusif de la fouille dépend alors de l'ampleur de l'atteinte et de la façon dont la fouille a été effectuée. Une fouille sera jugée non abusive si la façon dont elle a été effectuée est raisonnablement nécessaire pour éliminer la menace de sécurité qui plane sur les policiers ou autrui.[15]
[55] Le requérant plaide que l’agent Berthiaume n’avait « aucun motif raisonnable»[16] de craindre pour sa sécurité ou celle d’autrui. Il concède que l’agent Berthiaume avait des craintes subjectives pour sa sécurité mais considère qu’elles n’étaient pas raisonnables: l’appel logé au 911 ne mentionnait pas l’emploi d’une arme, les renseignements concernant le requérant étaient vagues et datés[17], et ce dernier était calme et collaboratif. Rien dans son comportement ne laissait croire qu’il cachait quelque chose. Il souligne aussi le fait qu'il était menotté.
[56] La poursuite soutient que le Tribunal doit tenir compte du contexte dans lequel les agents de la paix font leur travail :
Comme les policiers ont pour mission de protéger la paix publique et d'enquêter sur les crimes, ils doivent être habilités à réagir avec rapidité, efficacité et souplesse aux diverses situations qu'ils rencontrent quotidiennement aux premières lignes du maintien de l'ordre.[18]
[57] Elle plaide que les craintes de l’agent Berthiaume sont raisonnables dans les circonstances.
[58] Qu’en est-il?
[59] L’agent Berthiaume témoigne qu’après avoir menotté le requérant, il a effectué une fouille par palpation pour des raisons de sécurité. Il précise qu’il ne cherchait pas de la preuve mais plutôt des objets piquants ou tranchants qui pourraient constituer un danger pour la sécurité des agents ou du requérant.
[60] En l’espèce, la nature de l’appel et les renseignements que l’agent Berthiaume détenait par rapport au requérant lui ont laissé croire que ce dernier pouvait être en possession d’un objet qui pourrait constituer un danger pour sa sécurité ou celle de son partenaire. De plus, les lieux n'étaient pas sécurisés et il ignorait s'il y avait une autre personne dans l'appartement. Dans l'esprit de l'agent, ceci augmentait le niveau de risque.
[61] L’agent Berthiaume n’exécute pas des fouilles automatiquement chaque fois qu’il détient quelqu’un aux fins d’enquête. Dans ce cas-ci, l’agent précise qu’il procède à une fouille par palpation mais qu’il se limite aux endroits accessibles aux mains de la personne menottée mais « pas plus que ça ».
[62] Le témoignage de l'agent Berthiaume démontre qu'il est (a) conscient que le requérant est menotté (b) considère que nonobstant ce fait, il croit nécessaire de procéder à une fouille pour des motifs de sécurité, mais (c) reconnaît que cette fouille doit se limiter à rechercher des objets tranchants ou piquants au niveau des parties du corps qui sont accessibles à une personne qui est menottée.
[63] Tout comme le requérant, le Tribunal ne met pas en doute la sincérité des craintes subjectives de l’agent Berthiaume pour sa sécurité et celle d'autrui. De plus, le Tribunal considère que les craintes de l'agent Berthiaume n’étaient pas « vagues»[19] et qu’elles émanaient « d'inférences raisonnables et précises fondées sur les faits connus se rapportant à la situation »[20].
[64] Comme la Cour suprême le souligne dans Mann, « les policiers s'exposent quotidiennement à de nombreux risques dans le cours de leurs fonctions de maintien de l'ordre, et ils ont droit d'accomplir leur travail en sachant que ces risques sont, dans toute la mesure du possible, réduits au minimum»[21] . La décision d’effectuer une fouille comportant les limites décrites par l’agent Berthiaume était raisonnable.
[65] Cependant, cela ne répond pas entièrement à la question soulevée. Alors que l’agent Berthiaume procédait à la fouille par palpation, un téléphone cellulaire s’est mis à sonner. Madame Brunet avait mentionné précédemment que le requérant avait un cellulaire sur lui qui lui appartenait. Le requérant indique à l’agent que le téléphone se trouvant dans la poche droite de son pantalon était celui de madame Brunet et que l’autre téléphone lui appartient. L’agent témoigne qu’il « déduit » que le requérant consent à ce qu’il aille dans sa poche pour sortir le téléphone de madame Brunet.
[66] L’agent met donc sa main dans la poche du pantalon du requérant. Son objectif n’est plus sa sécurité mais plutôt de remettre le téléphone à madame Brunet. Alors qu’il sort le téléphone, apparaît alors un sac « ziploc » transparent contenant 6 balles de calibre .22 qui est « collé » sur ce dernier.
[67] Le requérant plaide que lorsque l'agent Berthiaume met sa main dans sa poche, il dépasse largement le cadre d’une fouille accessoire à une détention aux fins d’enquête. En conséquence, il soutient que l’exécution de la fouille n’était pas raisonnable.
[68] Le Tribunal donne raison au requérant. Une fouille accessoire à une détention aux fins d'enquête est limitée par ce qui est nécessaire pour assurer la sécurité des policiers ou d'autrui. Une telle fouille n'est pas autorisée pour d'autres objectifs, aussi bien intentionnés qu’ils puissent être. De plus, une renonciation à un droit constitutionnel doit être explicite[22]. Dans le cas présent, on ne peut prétendre que le requérant ait renoncé à son droit à la protection contre les fouilles abusives, simplement en confirmant que le téléphone dans sa poche appartient à madame Brunet.
[69] Lorsque l’agent Berthiaume met sa main dans la poche du requérant, il effectue une fouille sans mandat qui n'est pas justifiée. En conséquence, les droits constitutionnels du requérant protégés par l'article 8 de la Charte ont été violés.
[70] Il est à noter que le DPCP concède que l’agent Berthiaume a outrepassé ses pouvoirs quand il a mis sa main dans la poche du requérant et il concède donc la violation de l’article 8 de la Charte. Cependant, il souligne la bonne foi de l’agent Berthiaume. Nous y reviendrons ci-après en discutant du remède approprié.
Le droit à l’avocat (article 10b))
[71] Selon l’article 10b) de la Charte, « Chacun a le droit, en cas d’arrestation ou de détention […] d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit ». La Cour suprême dans Bartle résume les obligations qui en découlent comme suit :
L'alinéa 10b) impose trois obligations aux représentants de l'État: informer la personne détenue de son droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat, lui donner la possibilité raisonnable d'exercer ce droit et s'abstenir de l'interroger jusqu'à ce qu'elle ait eu cette possibilité raisonnable.[23]
[72] Le requérant soutient qu’après la découverte des munitions, lorsque l’agent Berthiaume lui a demandé s’il y avait une arme à feu dans la résidence, il a porté atteinte à son droit à l'avocat. Il plaide qu'il y a eu une deuxième violation plus tard durant l'intervention, lorsque l'agent lui a demandé si le cannabis qu'il avait vu dans la chambre lui appartenait.
[73] On se rappellera que dès que l’agent Berthiaume met le requérant en détention aux fins d'enquête, il lui donne ses droits, y compris le droit à l'avocat. Mais le requérant n'a pas pu l’exercer jusqu’à son arrivée au centre opérationnel. En conséquence, il plaide que les agents étaient obligés de surseoir à toute mesure visant à soutirer des renseignements de nature incriminante.
[74] Le DPCP plaide qu’il était légitime pour l’agent Berthiaume de demander au requérant s’il y avait des armes dans l’appartement. Il souligne que les policiers ont été appelés sur la scène d’un possible cas de violence conjugale. Ils n'ont pas encore tous les détails concernant l’incident et le logement n'est pas encore sécurisé. De plus, l’agent trouve des munitions dans la poche du suspect.
[75] Le Tribunal considère que d’autres options se présentaient à l’agent pour s’assurer de leur sécurité. Par exemple, le requérant est menotté et les agents ont pu sortir toutes les personnes présentes de l’appartement. Ils auraient pu appeler une escouade spécialisée pour sécuriser l’endroit. Dans les circonstances, l’agent Berthiaume aurait dû s’abstenir de poser des questions au requérant[24], respectant ainsi son droit à l’avocat.
[76] Il est à noter que même s’il plaide que les questions ont été posées au requérant en toute légitimité, le DPCP concède que les réponses de l’accusé aux questions sont inadmissibles en preuve[25]. En outre, la référence à la déclaration de l’accusé qu’il avait une arme dans une taie d’oreiller dans la chambre devra, selon le DPCP, être supprimée de la dénonciation en vue d’obtenir le mandat de perquisition.
[77] Le Tribunal ajoute qu’il y a clairement eu violation de droit à l’avocat de l’accusé plus tard dans l’intervention quand l’agent a demandé au requérant si le cannabis lui appartenait.
Les fouilles sans mandat de la résidence (article 8)
[78] Comme déjà mentionné ci-dessus[26], une fouille effectuée sans mandat est présumée abusive et contraire à l’article 8 de la Charte, à moins qu’elle ne puisse être justifiée. Il revient alors au ministère public d'établir selon la prépondérance des probabilités, que la fouille était autorisée par la loi, que la loi n'est pas abusive et que la fouille n'a pas été effectuée de manière abusive[27].
[79] En l’espèce, le requérant reconnaît que les policiers étaient en droit d’entrer dans sa résidence, en conformité avec les principes établis par la Cour suprême dans Godoy[28]. Il allègue, toutefois, que les fouilles des deux chambres dépassaient le cadre des principes établis dans cet arrêt.
[80] Un petit rappel sur la chronologie des événements: le requérant est détenu et fouillé. L’agent Proulx sécurise la résidence et s’assure que personne ne s’y trouve. L’agent Berthiaume sort le requérant de l’appartement, et il rencontre le témoin qui avait placé l’appel 911. Suite aux révélations du témoin, il met par la suite le requérant en état d’arrestation pour avoir proféré des menaces. Ce dernier est assis dans l’auto-patrouille.
[81] L’agent Berthiaume retourne à l’appartement pour rejoindre l’agent Proulx qui se trouve avec la présumée victime. Elle accepte de les accompagner au poste pour faire une déclaration mais veut amener avec elle son sac à dos qui se trouve dans la chambre. Les agents la suivent. C’est là où les choses se compliquent.
[82] Le DPCP considère qu’il était parfaitement légitime pour les agents d’aller dans la chambre avec madame Brunet. Ils ne pouvaient pas l'empêcher d’avoir accès à ses effets personnels mais, sachant qu’une arme se trouvait dans la résidence, ils ne pouvaient pas la laisser circuler seule dans l’appartement. N’eut été de sa demande de récupérer son sac, les agents ne seraient pas allés dans la chambre.
[83] Le requérant soutient de son côté que les agents n’avaient pas le droit d’accompagner madame Brunet à la chambre. L’appartement est sécurisé et le requérant est détenu dans l’auto-patrouille. La légitimité de leur présence sans mandat dans la résidence se limite à ce qui est nécessaire pour s’assurer de la vie et la sécurité des personnes qui pouvaient être en danger[29].
[84] Tout comme le requérant, le Tribunal estime qu’il faut s’attarder sur la justification de la présence des policiers dans la résidence. En effet, leur présence sans mandat est circonscrite dans l’arrêt Godoy comme suit :
[…] l'importance du devoir qu'ont les agents de police de protéger la vie justifie qu'ils entrent par la force dans une maison afin de s'assurer de la santé et de la sécurité de la personne qui a composé le 911. L'intérêt que présente pour le public le maintien d'un système d'intervention d'urgence efficace est évident et est suffisamment important pour que puisse être commise une atteinte au droit à la vie privée de l'occupant. Cependant, j'insiste sur le fait que l'atteinte doit se limiter à la protection de la vie et de la sécurité. Les agents de police ont le pouvoir d'enquêter sur les appels au 911 et notamment d'en trouver l'auteur pour déterminer les raisons de l'appel et apporter l'aide nécessaire. L'autorisation donnée aux agents de police de se trouver dans une propriété privée pour répondre à un appel au 911 s'arrête là. Ils ne sont pas autorisés en plus à fouiller les lieux ni à s'immiscer autrement dans la vie privée ou la propriété de l'occupant.[30]
(Nos soulignements)
[85] Le Tribunal comprend le désir des agents d'accommoder la présumée victime et de lui permettre d’aller chercher son sac à dos. Cependant, si les considérants de sécurité ne leur permettaient pas de la laisser aller à la chambre seule, ils se devaient, soit de refuser sa demande d’aller chercher son sac à dos ou d’obtenir son consentement à ce qu’ils l’accompagnent. Une fois que la maison était sécurisée et la vie et la sécurité des habitants n'étaient plus en péril, ils n'avaient aucune autorisation légale de circuler dans le foyer.
[86] Le Tribunal ouvre une parenthèse pour mentionner qu'il n'est pas sans précédent pour les policiers de refuser l'accès par un citoyen à leurs effets personnels. Lorsqu’une perquisition est en cours, les occupants du lieu perquisitionné ne peuvent généralement pas y avoir accès même si aucun soupçon ne pèse sur eux. Il en est de même pour une scène de crime. Le Tribunal est conscient que les contextes sont très différents mais il fait allusion à ces situations afin de démontrer que les policiers n’étaient pas obligés de permettre à madame Brunet de récupérer son sac. En l’espèce, le fait de la priver temporairement de son sac à dos aurait été un moindre mal.
[87] Il est utile de souligner que le DPCP n’a pas plaidé que l’accusé n’avait pas d’expectative de vie privée dans la chambre où se trouvait le sac à dos. Au contraire, même si cela n’a pas été dit de façon explicite, l’audition s’est déroulée de façon à sous-entendre que l’appartement perquisitionnée était le domicile du requérant et de madame Brunet et que les deux y vivaient en couple et avaient une expectative de vie privée à travers le logement.
[88] Le requérant n’a clairement pas consenti à la présence des agents dans la chambre. De plus, on ne peut prétendre que madame Brunet a donné son accord non plus. On se rappellera que la présence des agents dans la chambre constitue, prima facie, une perquisition sans mandat et est donc présumée abusive. Il incombe au ministère public d'établir, selon la prépondérance des probabilités, que la fouille était autorisée. En l’espèce, aucune preuve n’a été présentée pour permettre au Tribunal de conclure que madame Brunet a consenti à la présence des policiers dans la chambre. Le mieux que l’on puisse dire, c’est qu’elle ne les a pas empêchés de la suivre pour aller récupérer son sac.
[89] Les observations suivantes de la Cour suprême dans Silveira[31] sont applicables en l’espèce :
Il n'existe aucun endroit au monde où une personne possède une attente plus grande en matière de vie privée que dans sa "maison d'habitation". Même si la police pouvait avoir les meilleures intentions du monde lorsqu'elle est entrée dans la maison, cette entrée sans mandat portait atteinte aux droits garantis à l'appelant par l'art. 8 de la Charte.[32]
[90] Même si on retient, qu’en allant dans la chambre, la motivation des policiers était bienveillante, leur présence dans celle-ci violait les droits constitutionnels du requérant protégé par l’article 8 de la Charte.
[91] Une série d’évènements se déroulent en cascade après l’entrée illégale des agents dans la chambre où se trouve le sac à dos. L’agent Berthiaume voit « en plain view » du cannabis sur le bureau. Sur le lit, se trouve un sac noir dans lequel l’agent voit (toujours « en plain view ») des roches de crack. Mais même si ces items étaient bien en vue, ils n’auraient pas été aperçus par les agents n’eut été de leur présence non autorisée dans la pièce. Madame Brunet leur dit qu’elle ne sait pas à qui appartient le cannabis mais que le crack appartient au requérant.
[92] En fouillant le sac à dos, les agents trouvent une quantité importante de billets de 100$[33].
[93] Rien de cela ne serait produit si les droits constitutionnels du requérant prévus à l’article 8 avaient été respectés.
[94] Si on revient à notre chronologie, tous ces éléments de preuve amènent l’agent Berthiaume à retourner à l’auto-patrouille pour mettre le requérant en état d’arrestation pour possession en vue d’en faire le trafic de stupéfiants.
[95] Par la suite, il retourne à l’appartement à la recherche d’une arme à feu. L’agent Berthiaume explique qu’il voulait confirmer l’emplacement de l’arme et s’assurer que personne ne se blesse. Pourtant, les lieux sont déjà sécurisés et d’autres agents sont en route. Comme le concède le DPCP, ceci constitue une violation de l’article 8 de la Charte.
Résumé
[96] Ni la mise de menottes au requérant, ni le fait qu’il fut amené dans l’auto-patrouille n’étaient abusifs. Il n’y a eu aucune violation de l’article 9 de la Charte.
[97] La décision d’effectuer une fouille de sécurité incidente à la détention aux fins d'enquête était légale mais l’agent Berthiaume a effectué une saisie illégale en mettant sa main dans la poche du requérant. Il y a eu violation de l’article 8. Cette violation a mené à la découverte des munitions.
[98] Il y a eu violation du droit à l’avocat protégé à l’article 10b) de la Charte quand l’agent a interrogé le requérant concernant l’arme à feu et concernant le cannabis.
[99] La fouille de la chambre où les policiers ont découvert les stupéfiants et l’argent dans le sac à dos était abusive. De plus, la fouille de la pièce où ils ont trouvé l’arme était illégale. Dans les deux cas, il y a eu violation de l’article 8.
L’incidence des violations sur la validité du mandat de perquisition
[100] Lorsqu’un juge est appelé à déterminer si un mandat de perquisition aurait dû être autorisé, son travail consiste à déterminer s'il existait suffisamment d'éléments de preuve crédibles et fiables pour permettre au juge de délivrer l'autorisation[34].
[101] L'information contenue dans l'affidavit peut être complétée par la procédure de révision incluant l'excision et l'amplification. Le juge réviseur doit retrancher de l'affidavit toute information obtenue en violation de la Charte[35].
[102] En l’espèce, les passages suivants doivent être radiés de la dénonciation[36] :
« 8. […] L’agent Berthiaume #7185 effectue une fouille par palpation et trouve dans la poche avant droite de pantalon un sac ziploc transparent contenant des munitions de calibre 22.
(Dernière phrase du paragraphe 8)
9. Suite à la découverte des munitions, l'agent Berthiaume #7185 demande PIERRE CLERMONT, DUCKENS où se trouve le gun, ce dernier lui déclare qu'il est dans la chambre dans l'oreiller. […]
(Première phrase du paragraphe 9)
[…]
13. […] Étant donné qu'il y a possibilité d'arme a feu, les policiers ouvrent le sac à dos de la victime et découvre une grosse somme d'argent canadiens dans le sac a dos. Sur la table de chevet se trouve 6 onces de marijuana a l'intérieur d'un sac ziploc transparent et sur le lit qui est constitué d'un drap contour se trouve un sac noir ouvert contenant plusieurs roches de crack. La victime déclare que les stupéfiants appartiennent PIERRE CLERMONT, DUCKENS. [Sic]
(Les deuxième, troisième et quatrième phrases du paragraphe 13)
14. Vers 05:40, Les policiers procèdent à l'arrestation de PIERRE CLERMONT, DUCKENS pour possession en but de trafic de stupéfiant.[37]
(Paragraphe 14)
15. Vers 05 :55, l'agent Berthiaume vérifie dans la tête d'oreiller afin de valider et de pouvoir sécurisé s'il y a présence d'arme à feu. Un pistolet de calibre .22 chargé a été trouvé, ce dernier a été sécurisé. [Sic]
(Paragraphe 15)
[103] Les trois premiers « considérants » qui se trouvent à la page 3 de la dénonciation doivent également être supprimés.
[104] Après l'excision de tous ces éléments[38], il est inconcevable qu'un juge de paix magistrat ait pu accorder l'autorisation[39].
[105] Le mandat est donc invalide et les items saisis ont été obtenus à la suite d’une perquisition sans mandat. Il s’agit d’une arme à feu, d’un chargeur contenant 9 munitions, de 10 munitions de calibre .22, de 8 000 $ en argent canadien, d’une balance noire, d’une preuve locative et de stupéfiants[40].
L’effet des violations sur l’admissibilité de la preuve
[106] Ayant conclu que les éléments de preuve furent obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés garanties par les articles 8 et 10b) de la Charte, le Tribunal doit maintenant déterminer si l’utilisation de ces éléments est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice et si, par conséquent, la preuve doit être exclue suivant l'article 24(2) de la Charte.
[107] R. c. Grant[41] est l'arrêt de principe qui nous guide dans l'application de l'article 24(2). La Cour suprême y décrit trois critères dont il faut tenir compte: la gravité de la conduite attentatoire de l'État, l'incidence de la violation sur les droits de l'accusé garantis par la Charte et l'intérêt de la société à ce que l'affaire soit jugée au fond. C’est la mise en balance de ses trois facteurs qui permettra aux juges de déterminer si l'admission de la preuve est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.
La gravité de la conduite attentatoire de l’État
[108] Le premier volet de l’analyse requise par le paragraphe 24(2) de la Charte exige que le tribunal évalue si « l’utilisation d’éléments de preuve déconsidérerait l’administration de la justice en donnant à penser que les tribunaux, en tant qu’institution devant répondre de l’administration de la justice, tolèrent en fait les entorses de l’État au principe de la primauté du droit en ne se dissociant pas du fruit de ces conduites illégales »[42]. Plus une violation est grave, plus il est essentiel pour les tribunaux de s’en dissocier en excluant les éléments de preuve ainsi acquis. Aussi, le tribunal devra se dissocier de la conduite de la police lorsque celle-ci agit de mauvaise foi.
[109] En l’espèce, le Tribunal ne considère pas que l’agent Berthiaume ait agi de mauvaise foi. Cependant, les multiples atteintes des droits constitutionnels du requérant découlent d'une méconnaissance troublante de l'étendue de son pouvoir[43].
[110] La violation de l’article 8 qui s’est produite lorsque l’agent a mis sa main dans la poche du requérant pour remettre un téléphone cellulaire qui sonnait à la victime n’est pas parmi les plus graves.
[111] Cependant, les autres violations de l’article 8 ne peuvent être considérées pareillement.
[112] L’agent aurait dû être conscient des strictes limites qui gouvernaient sa présence dans le domicile avant de suivre madame Brunet dans la chambre où il a découvert les stupéfiants et l’argent. Selon son témoignage, il n’a même pas considéré d’autres options.
[113] Les commentaires suivants de la Cour suprême dans R. c. Buhay[44] s’appliquent en l’instance :
Il convient de signaler tout d'abord que la croyance subjective de l'agent qu’il n'y avait pas d’atteinte aux droits de l'appelant ne diminue pas la gravité de l'atteinte, à moins que sa croyance n'ait été raisonnable.[45]
[114] En effet, la fouille dans la pièce où se trouvait l’arme dénote non seulement une méconnaissance de la loi, mais est une erreur déraisonnable. Ceci augmente la gravité de la violation.
[115] Les violations du droit à l’avocat à deux reprises démontre une ignorance complète de l’obligation des autorités de s’abstenir de poser des questions avant qu’un accusé ou un détenu ait la possibilité de consulter son avocat.
[116] Comme la Cour suprême l’avait dit dans R. c. Clarkson[46], « [c]e droit enchâssé à l'al. 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés vise manifestement à promouvoir le principe de l'équité dans le processus décisionnel »[47] . Dans R. c. Hebert[48], cette même Cour explique que « [l] a fonction la plus importante de l'avis juridique au moment de la détention est d'assurer que l'accusé comprenne quels sont ses droits dont le principal est le droit de garder le silence »[49]. Dans Grant[50], la Cour explique que « [l]es déclarations d’un accusé mettent en jeu le principe interdisant l’auto-incrimination, "l’une des pierres angulaires de notre droit criminel" »[51].
[117] Le DPCP plaide que la violation qui s’est produite lorsque l’agent a questionné le requérant sur le cannabis n’a eu aucune incidence en l’espèce parce que le cannabis avait déjà été découvert. Il a raison. Mais cette violation fait partie d’une série de violations qui augmente la gravité générale de violations[52].
[118] Le Tribunal ne peut que conclure que les violations du droit à l’avocat en l’espèce sont d’une gravité élevée.
[119] L’analyse de l’ensemble des circonstances quant à la gravité des multiples violations milite en faveur de l’exclusion de la preuve.
L’incidence de la violation sur les droits de l’accusé
[120] Comme l’a expliqué la Cour suprême dans Grant, « l’examen de cette question met l’accent sur l’importance de l’effet qu’a la violation de la Charte sur les droits qui y sont garantis à l’accusé, et il impose d’évaluer la portée réelle de l’atteinte aux intérêts protégés par le droit en cause »[53].
[121] La violation du droit à l’avocat « porte atteinte à son droit de décider utilement et de façon éclairée s’il parlera aux policiers, à son droit connexe de garder le silence et, plus fondamentalement, à la protection contre l’auto-incrimination testimoniale dont il jouit. Ces droits protègent l’intérêt qu’ont les individus d’être libres et autonomes […]»[54].
[122] En l’espèce, la première violation du droit à l’avocat du requérant engendre une cascade d’autres violations. L’incidence sur la violation sur les droits de l’accusé est très importante.
[123] L’article 8 quant à lui, souligne l’importance que notre société accorde au respect de la vie privée. En l’absence d’une autorisation légale, l’état n’a pas le droit de s'ingérer dans la vie privée ou la propriété des citoyens. L’expectative de vie privée est particulièrement élevée sur notre personne et dans une maison.
[124] Le Tribunal reconnaît qu’une fouille par palpation, comme celle effectuée en l’espèce, porte atteinte à la dignité de façon beaucoup moins importante qu’une fouille corporelle. Mais l’entrée illégale des agents dans deux différentes pièces de l’appartement a une incidence importante sur la vie privée du requérant.
[125] L’analyse de l’ensemble des circonstances quant à l’incidence de la violation sur les droits de l’accusé milite en faveur de l’exclusion de la preuve.
L’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond
[126] Dans Grant, la Cour suprême souligne que « la société s’attend généralement à ce que les accusations criminelles soient jugées au fond […] »[55]. Le Tribunal observe également que « l’exclusion d’éléments de preuve pertinents et fiables risque de compromettre la fonction de recherche de la vérité du système de justice et de rendre le procès inéquitable aux yeux du public, ce qui déconsidérerait l’administration de la justice. »[56]
[127] Dans le cas présent, les objets saisis sont fiables et essentiels au ministère public. et les accusations sont d’une gravité élevée.
[128] Ceci étant dit, la Cour suprême a souvent affirmé que «(l)a clameur publique immédiate exigeant une condamnation ne doit pas faire perdre de vue au juge appelé à appliquer le par. 24(2) la réputation à plus long terme du système de justice. En outre, si la gravité d’une infraction accroît l’intérêt du public à ce qu’il y ait un jugement au fond, l’intérêt du public en l’irréprochabilité du système de justice n’est pas moins vital, particulièrement lorsque l’accusé encourt de lourdes conséquences pénales »[57]. Il faut donc « soupeser l’utilité des éléments de preuve obtenus en violation de la Charte pour faciliter la découverte de la vérité et amener une décision au fond par rapport aux facteurs tendant à leur exclusion […].»[58]
[129] En l’espèce, le Tribunal est d’avis qu’à la lumière de la fiabilité de la preuve et la gravité de l’infraction, ce troisième critère milite en faveur de l’admission des éléments de preuve.
Conclusion sur le paragraphe 24(2) de la Charte
[130] Les deux premiers critères de l’arrêt Grant militent en faveur de l’exclusion de la preuve. Lorsque tel est le cas, ce n’est que très rarement que le troisième critère puisse suffisamment avoir de poids pour faire pencher la balance en faveur de l’admissibilité de la preuve[59].
[131] Après avoir soupesé toutes les considérations pertinentes, le Tribunal estime que l’utilisation des éléments de preuve serait susceptible à long terme de déconsidérer l’administration de la justice. La conduite attentatoire est grave et les intérêts qui doivent être protégés sont des plus importants.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
ACCUEILLE la requête pour l’exclusion de la preuve.
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__________________________________ SUZANNE COSTOM, J.C.Q. |
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Me Éric Poudrier |
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Procureur du DPCP |
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Me Claude Berlinguette |
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Procureur de l’accusé |
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Dates des audiences : |
15 juillet et 27 août 2020 |
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ANNEXE 1
ANNEXE 2
[1] Loi réglementant certaines drogues et autres substances (L.C. 1996, ch. 19).
[2] Loi sur le cannabis (L.C. 2018, ch. 16).
[3] Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11.
[4] Pièce R-1, page 3.
[5] Ibid.
[6] Pièce R-3.
[7] Requête en exclusion de la preuve, paragr. 94.
[8] Charte canadienne des droits et libertés, précité, note 3.
[9] R. c. Le, 2019 CSC 34.
[10] Ibid., paragr. 124.
[11] De 5 h 20 à 5 h 40, selon la pièce R-1.
[12] Pièce R-1, page 3.
[13] Wood c. Schaeffer, 2013 CSC 71.
[14] Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145.
[15] Wolfson c. R., 2020, QCCA 856.
[16] Requête en exclusion de preuve, paragr. 54.
[17] Sur ce point, le requérant cite R. v. Lee, 2017 ONCA 654, au paragr. 31 : “[…] the officer « is required to act on reasonable and specific inferences drawn from the known facts of the situation»”.
[18] R. c. Mann, [2004] 3 R.C.S. 59, paragr. 16.
[19] R. c. MacDonald, 2014 CSC 3, paragr. 41; R. c. Mann, précité, note 15, paragr. 40.
[20] R. c. Mann, précité, note 18, paragr. 41 citant Terry c. Ohio, 392 U.S. 1(1968), p. 29 cité dans R. c. Wolfson, précité, note 12, paragr. 55.
[21] R. c. Mann, précité, note 18, paragr. 43.
[22] Dans R. c. Bartle, [1994] 3 R.C.S. 173, le juge en chef Lamer s’exprime sur ce point comme suit :
« Comme je l'ai fait remarquer dans l'arrêt Korponay c. Procureur général du Canada, 1 R.C.S. 41, à la p. 49, pour qu'une renonciation à un droit procédural soit valide, "… il faut qu'il soit bien clair que la personne renonce au moyen de procédure conçu pour sa protection et qu'elle le fait en pleine connaissance des droits que cette procédure vise à protéger…" Ce critère s'applique également à une renonciation aux droits garantis par la Charte […]. »
[23] R. c. Bartle, précité, note 22.
[24] La détermination à savoir si les policiers ont le droit de poser des questions avant que le droit à l’avocat soit exercé lorsque cela est nécessaire pour assurer leur sécurité est un élément qui pourrait être débattu éventuellement dans un autre dossier. Mais dans le présent cas, le Tribunal n’a pas à trancher sur cette question à la lumière de sa conclusion à l’effet que les questions n’étaient pas requises pour des raisons de sécurité en l’espèce.
[25] L’avocat du DPCP s’inspire du paragr. 104 de l’arrêt R. v. Patrick, 2017 BCCA 57.
[26] Voir le paragr. 53 du présent jugement
[27] R. c. Nolet, 2010 CSC 24, paragr 21.
[28] R. c. Godoy, [1999] 1 R.C.S. 311. Cet arrêt confirme le droit des policiers d’entrer dans une maison d’habitation pour des raisons de sécurité.
[29] R. c. Godoy, précité, note 28, paragr. 28.
[30] Ibid, paragr. 22.
[31] R. c. Silveira, [1995] 2 R.C.S. 297.
[32] Ibid., au paragr. 140.
[33] Il est vrai, comme l’avait souligné le DPCP, que le requérant n'a pas l'intérêt (« standing ») pour se plaindre de la fouille dans le sac à dos appartenant à Madame. Mais la fouille dans le sac est intimement liée à la présence illégale des agents dans la chambre.
[34] Cadet c. R., 2018 QCCS 4619, au paragr. 112.
[35] Ibid., aux paragr. 123 et 124.
[36] Pièce R-3 (Annexe 1).
[37] N’eût été de la présence illégale des agents dans la chambre, ces derniers n’auraient jamais découvert les stupéfiants et l’argent qui leur ont permis d’acquérir les motifs pour arrêter le requérant pour possession de stupéfiants en vue d’en faire le trafic.
[38] Au début de ses observations, l’avocat du DPCP a suggéré au Tribunal de supprimer le paragraphe 15 de la dénonciation en vue d’obtenir le mandat de perquisition. Plus tard, à la suite des questions posées par le Tribunal, il a concédé que la dernière du paragraphe 8 et la première phrase du paragraphe 9 devraient également être rayées, et ce, parce que les informations avaient été obtenues en violation de l’article 8 ou 10b) de la Charte, ou étaient dérivées de ces violations. Le DPCP proposait de garder tous les autres paragraphes y compris les paragaphes13 et 14.
[39] Voir R-3, annexe 1. Une copie caviardée qui contient uniquement le reliquat, après les excisions, est attachée au présent jugement comme annexe 2.
[40] Pièce R-4.
[41] R. c. Grant, [2009] 2 R.C.S. 353.
[42] Ibid., paragr. 72.
[43] Voir Sopinka, John, Lederman, Sidney N. and Bryant, Alan W.:The Law of Evidence in Canada, 2nd ed. Toronto : Butterworths, 1999 à la page 450 cité dans R. c. Buhay, 2003 CSC 30, au paragr. 59.
[44] R. c. Buhay, précité, note 43.
[45] Ibid., paragr. 59.
[46] R. c. Clarkson, [1986] 1 R.C.S. 383.
[47] Ibid., paragr. 17.
[48] R. c. Hebert, [1990] 2 R.C.S. 151.
[49] Ibid., paragr. 52.
[50] R. c. Grant, précité, note 41, paragr. 89.
[51] Ibid,. paragr. 89.
[52] R. v. Davidson, 2017 ONCA 257, paragr. 48.
[53] R. c. Grant, précité, note 41, paragr. 76.
[54] Ibid., paragr. 95.
[55] Ibid., paragr. 79.
[56] Ibid., paragr. 81.
[57] R. c. Grant, précité, note 41 paragr. 84. Voir aussi R. c. Spencer, 2014 CSC 43, paragr. 79.
[58] Ibid., précité, note 41, paragr. 82.
[59] R. v. McGuffie, 2016 ONCA 365, paragr. 38
AVIS :
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