Décision

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Section des affaires immobilières

En matière de fiscalité municipale

 

 

Date : 10 juillet 2023

Référence neutre : 2023 QCTAQ 07146

Dossier  : SAI-Q-265531-2211

Devant le juge administratif :

JEAN-FRANÇOIS LÉCUYER

 

MICHEL AUCLAIR

Partie requérante

c.

VILLE DE TROIS-RIVIÈRES

Partie intimée

et

OSCAR AUCLAIR

Partie mise en cause

 


DÉCISION INCIDENTE

Requête en irrecevabilité


 


 


APERÇU

[1]                    Par requête introductive d’instance, Michel Auclair conteste la valeur inscrite au rôle d’évaluation foncière de 2022-2023-2024 pour l’unité d’évaluation foncière située au [...][1], laquelle appartient à Oscar Auclair, le mis en cause.

[2]                    La Ville de Trois-Rivières (Ville) dépose une requête en irrecevabilité dans laquelle elle prétend que le recours est irrecevable, car la demande de révision pouvait porter uniquement sur le changement visé par le certificat de lévaluateur et avis de modification et que la demande de révision contestant la valeur inscrite au rôle est, par conséquent, déposée hors délai.

[3]                    L’audience se tient par visioconférence le 14 juin 2023 devant le Tribunal administratif du Québec, Michel et Oscar Auclair sont absents, mais le procureur qui les représente tous les deux est présent. Toutes les parties ont l’opportunité de faire leurs représentations et le délibéré débute le même jour.

[4]                    Le Tribunal doit décider si la demande de révision du requérant a été déposée dans les délais prévus et conformément à la Loi sur la fiscalité municipale[2] (LFM), et ainsi déterminer si le recours est irrecevable.

[5]                    Pour les motifs qui suivent, le Tribunal décide que le recours est irrecevable, car la demande de révision portant sur la contestation de la valeur inscrite au rôle est déposée hors délai.


CONTEXTE

[6]                    Le 29 août 2021, M. Oscar Auclair signe une promesse d’achat pour l’immeuble situé au [...], Trois-Rivières, laquelle est acceptée par le vendeur le 30 août 2021.

[7]                    À la suite de cette promesse d’achat, le notaire de M. Oscar Auclair lui indique que le vendeur ne détient pas un bon et valable titre sur la propriété et que le vendeur doit corriger la situation. Le processus de correction du titre est enclenché, mais devant les insuccès du vendeur, ce dernier et M. Oscar Auclair conviennent d’une baisse du prix de vente. Une modification de la promesse d’achat est finalisée le 28 décembre 2021.

[8]                    En réalisation de la promesse d’achat, M. Oscar Auclair devient propriétaire de l’unité d’évaluation lors de la signature de l’acte notarié de vente le 4 mai 2022.

[9]                    La Ville reçoit une copie de l’acte notarié et, le 31 mai 2022, conformément à l’article 174 paragraphe 3 LFM, émet le certificat de lévaluateur et avis de modification du rôle dévaluation foncière numéro M220520827 qui vise uniquement le changement de propriétaire et de l’adresse de correspondance.

[10]               Une demande de révision de la valeur inscrite au rôle est transmise à la Ville le 25 juillet 2022 par M. Michel Auclair.

[11]               Mme Jennifer Lacasse Linteau, évaluatrice agréée de la Ville, conclut que la demande de révision est non fondée, car la modification avait pour objet un changement de propriétaire et qu’il n’est pas possible de contester la valeur inscrite au rôle. Elle transmet sa réponse au requérant le 28 septembre 2022.

[12]               Insatisfait de la réponse de l’évaluatrice de la Ville, M. Michel Auclair dépose une requête introductive de recours le 21 novembre 2022.


PREUVE ET ANALYSE

[13]               L’article 130 LFM indique que la demande de révision de la valeur inscrite au rôle doit être déposée avant le 1er mai suivant l’entrée en vigueur du rôle. Le nouveau rôle entre en vigueur au début du premier exercice pour lequel il est confectionné[3]. Le rôle de 2022-2023-2024 entre ainsi en vigueur le 1er janvier 2022 et toute demande de révision de la valeur doit être déposée avant le 1er mai 2022.

[14]               En fiscalité municipale, l’immuabilité du rôle d’évaluation foncière est un principe reconnu et très important, car il permet la stabilité des finances municipales durant un rôle triennal. Pour cette raison, le délai prévu à l’article 130 LFM est de rigueur et toute demande de révision déposée après ce délai doit être rejetée.

[15]               Aucune demande de révision n’a été déposée avant le 1er mai 2022 par l’ancien propriétaire de la propriété, alors qu’aucune disposition légale ne l’empêchait de le faire.

[16]               M. Oscar Auclair a reçu le certificat de lévaluateur et avis de modification de la part de la Ville et l’article 132 LFM lui permet de déposer une demande de révision uniquement à l’égard de la modification du rôle faisant l’objet de cet avis. L’avis numéro M220520827 modifie seulement le propriétaire et l’adresse de correspondance. M. Oscar Auclair ne conteste pas cette modification.

[17]               L’avis numéro M220520827 ne modifie pas la valeur de l’unité d’évaluation, et ainsi il ne permet pas la contestation de la valeur inscrite au rôle.

[18]               Malgré cela, le 25 juillet 2022, M. Michel Auclair, agissant à ce moment comme mandataire de M. Oscar Auclair, dépose une demande de révision portant sur la contestation de la valeur de la propriété de M. Oscar Auclair.

[19]               Cette demande de révision est déposée après le 1er mai 2022 et par conséquent, elle est déposée hors délai.

[20]               Mais l’article 134.1 LFM indique qu’une demande de révision qui n’a pu être déposée dans le délai prescrit en raison d’une situation de force majeure peut l’être dans les 60 jours suivant la fin de cette situation.

[21]               C’est à celui qui invoque la situation de force majeure de prouver celle-ci. La jurisprudence constante est à l’effet que la situation de force majeure doit remplir quatre conditions : l’imprévisibilité, l’irrésistibilité, la non-imputabilité et l’impossibilité d’exécution.

[22]               M. Pierre Thiboutot, courtier immobilier et témoin de M. Oscar Auclair, témoigne que ce dernier devient propriétaire le 4 mai 2022. Il précise que l’acte notarié n’a pu être signé avant cette date dû à la procédure complexe pour obtenir une correction du titre du vendeur et aux difficultés pour fixer une date de signature de l’acte notarié.

[23]               Selon la preuve, dès le 28 décembre 2021, il est évident que le problème de titre du vendeur ne se règlera pas et, en contrepartie, une réduction du prix de vente et la souscription à une assurance-titres ont été accordées par le vendeur. Ce qui laisse près de quatre mois à M. Oscar Auclair, au vendeur et au notaire pour fixer une date de rendez-vous avant le 1er mai 2022. D’ailleurs, la clause 11.1 de la promesse d’achat[4] indique que la vente devait se conclure initialement le ou avant le 8 octobre 2021. Dans son témoignage, M. Thiboutot précise que, à la suite de la modification du prix, l’acte notarié de vente est censé se signer en avril 2022. Ainsi selon la preuve, dès août 2021, M. Oscar Auclair envisage de signer l’acte de vente avant le 1er mai 2022.

[24]               Dès le 28 décembre 2022, M. Oscar Auclair peut finaliser l’acte de vente et devenir propriétaire avant le 1er mai 2022. Il n’était donc pas dans l’impossibilité d’agir.

[25]               Aucun élément ni motif contenu dans le témoignage de M. Thiboutot ne s’apparente à une situation de force majeure. Les décisions constantes du Tribunal sont à l’effet qu’un changement de propriétaire n’est pas une situation de force majeure[5].

[26]               Son offre d’achat et la modification de celle-ci étant signées avant l’entrée en vigueur du rôle, M. Oscar Auclair pouvait déposer une demande de révision de la valeur inscrite au rôle pour sa nouvelle propriété qu’il était en voit d’acquérir et ce à tout moment entre le 1er janvier 2022 et le 1er mai 2022.

[27]               La jurisprudence[6] reconnait qu’une promesse d’achat donne au promettant-acquéreur un intérêt suffisant pour contester la valeur[7]. Il ne l’a pas fait et sa méconnaissance de cet aspect n’est pas une situation de force majeure.

[28]               Concernant l’argument subsidiaire de la partie intimée, si par hypothèse nous étions en présence d’une situation de force majeure, ce qui n’est pas le cas en l’espèce selon l’état actuel du droit et de la jurisprudence, M. Oscar Auclair aurait eu 60 jours suivant la signature de l’acte notarié[8] pour déposer sa demande de révision[9]. Cette demande est déposée 82 jours après la signature de l’acte de vente et ainsi, elle demeure hors délai.

[29]               En conséquence, en l’absence de situation de force majeure, le Tribunal conclut que la demande de révision a été déposée hors délai et que, par conséquent, le recours est irrecevable.

POUR CES MOTIFS, le Tribunal :

ACCUEILLE la requête en irrecevabilité de l’intimée;

REJETTE le recours du requérant;

LE TOUT sans frais de justice.

 


 

 

JEAN-FRANÇOIS LÉCUYER, j.a.t.a.q.


 

Me Jacques Patry

Procureur de la partie requérante

Procureur de la partie mise en cause


 


[1] Matricule 7936-58-3328.

[2] RLRQ, chapitre F-2.1.

[3] Article 76 LFM.

[4] Pièce RI-001.

[5] Charlotte Morin c. Bouchette (Municipalité de) 2021 QCTAQ 08335. Voir également Marc Lupien c. Morin
  Heights (Municipalité de) 2021 QCTAQ 12337.

[6] Marc-Aurèle Sylvain c. Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu 2014 QCTAQ 04486.

[7] Article 124 LFM.

[8] Dans cette hypothèse, la signature de l’acte notarié de vente est la fin de la situation de force majeure.

[9] Article 134.1 LFM

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